Jean Marie Boussard




Jean Boussard
(1844-1923)
Jean Marie Boussard, né à Cry (Yonne) le 7 septembre 1844, fils de Marie Louis Gabriel Boussard 31 ans docteur en médecine, et de Anne Joséphine Élisabeth Benoit 23 ans,
Après avoir passé sa jeune scolarité dans le département, il monte à Paris, grâce aux relations de son père, médecin à Saint-Florentin et investi en politique (il était proche de Paul Bert). Jean Boussard pousse alors les portes de l’atelier d’Alexis Paccard à l’École des Beaux-Arts ou il admis en 2è classe le 26 octobre 1867, son dossier d'élève est vide (architecte à Paris 5è [entre 1875 et 1882], et Paris 16è [38, puis 41, rue Ribera, entre 1888 et 1923]; architecte du Ministère des Postes et Télégraphes, inspecteur des travaux le 5 septembre 1872.
Architecte titulaire (février 1878), il procède notamment à la réinstallation des bureaux de Paris à la fusion avec le Service télégraphique; hôtels des postes à Angers, Fontainebleau, Bordeaux; postes et caisses d'épargne; installation du Congrès Postal au Palais Bourbon en 1878, installation du Congrès Télégraphique dans la salle du Manège du Louvre en 1890; nombreux immeubles et hôtels particuliers dans Paris et ses environs (Asnières, Boulogne-Billancourt, Gennevilliers, Levallois-Perret, Meudon), tombeaux pour les cimetières parisiens et de province; expert près le Tribunal civil de la Seine; nombreuses publications sur l'architecture, comme Concours de l'École des beaux-arts, 1874-1875, Recueil des tombeaux les plus remarquables, ou Petites habitations françaises, 1881, Constructions et décorations pour jardins, 1881, coll. à la Revue générale de l'architecture, et au Moniteur des architectes, collaborateur de la Revue générale de l'architecture et des travaux publics; membre de la Société centrale des architectes en 1878, et de l'Union syndicale des architectes français; officier d'Académie le 1er août 1878, officier de l'Instruction publique le 1er janvier 1884, chevalier de la Légion d'honneur, décret du 12 juillet 1890,
En 1923 Jean Boussard revient dans le département à sa retraite. Il s’investit à Cry en restaurant une vieille bâtisse pour en faire sa résidence secondaire et réalise également des travaux pour le compte de la commune : "Il se propose de dessiner le monument aux morts après la Première Guerre mondiale, en se présentant comme l’enfant du pays". L’architecte meurt finalement chez lui, à Paris, dans le XVIe arrondissement, le 14 juin 1923 à 78 ans.

Un architecte ambitieux face à un nouveau programme

Lorsque lui est confié le projet de l’hôtel des Téléphones de Paris, Jean Boussard vient tout récemment d’être nommé architecte auprès de la direction générale des Postes et télégraphes. La formation initiale de Boussard, tout comme ses années passées entre les murs de l’école des beaux-arts de Paris sont assez mal documentées. Nous savons néanmoins qu’il fréquente l’atelier d’Alexis Paccard au milieu des années 1860 et qu’il n’a jamais concouru au traditionnel Grand Prix de Rome. Doté d’une personnalité bouillonnante, l’architecte conduit de front une carrière de constructeur et de théoricien. En effet, il ne s’illustre pas seulement dans le domaine de la construction mais également dans celui de l’édition. Il publie ainsi plusieurs ouvrages, dont le premier – et certainement l’un des plus importants au vu de sa diffusion – est un recueil de tombeaux, paru en 1870. Ce recueil, constitué d’une cinquantaine de planches gravées, s’inscrit dans une tradition éditoriale lancée au début du XIXe siècle.

Au-delà de ses recueils d’architecture dans lesquels il esquisse brièvement ses théories en matière de construction, Boussard publie un important ouvrage intitulé L’Art de bâtir sa maison (1887) où il consigne les règles à suivre pour l’édification de la demeure idéale, à la fois rationnelle, économique et hygiénique, qu’il imagine calquée sur le modèle de villas gallo-romaines du IIIe siècle. De cet ouvrage et des théories qu’il renferme naîtront plusieurs habitations réparties sur l’ensemble du territoire français.
D’emblée, l’ambitieux Boussard cherche à s’imposer parmi les plus grands architectes de son temps.

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Boussard parvient à accéder à la commande publique lorsqu’il intègre l’administration des Postes et Télégraphes, d’abord au grade d’inspecteur des travaux, puis à celui d’architecte en chef. Pour cette administration, il va d’abord construire plusieurs hôtels des postes en province, notamment dans cette liste, les hôtels des postes d’Angers dès 1887, Bordeaux, Fontainebleau, ... avant de concevoir les plans du premiers central téléphoniques parisiens Gutemberg en 1892.
Suivirent d'autres centres parisiens comme Roquette en 1893, Chaudron en 1896 , Gobelins en 1896, Wagram en 1897, et Ségur en 1900.

A Fontainebleau l'architecte de l’administration des Postes et Télégraphes JM Boussard fut choisi pour édifier l'Hôtel des Postes.

Fin 1892, Conseil municipal du 2 décembre : La lettre de M. le directeur général des postes et télégraphes, informant que les plans et devis dressés en vue de la construction d'un hôtel des Postes à Fontainebleau, on. été approuvé par le conseil général des bâtiments civils. ... Le budget sera voté en 1893. Les Plan sont dressés en 1891 par l'architecte Louis Botte approuvé en 1892 par l'inspecteur des domaines et le receveur des Postes et Télégraphes.
A Bordeaux
Dans le « goût romain », l'architecte parisien Jean Boussard établit en 1892 plan et façade du nouvel hôtel des postes : de grandes palmes installées à l'origine sur le fronton principal ainsi que deux énormes sphinx en console évoquaient la lointaine civilisation mésopotamienne. Un bas-relief, représentant un empereur romain sur son char, ornait le fronton de cette entrée traitée en serlienne. Étranges ornements pour un bâtiment destiné à abriter un service des postes et télégraphes. Son « éclectisme exotique » tranchait avec le classicisme architectural du quartier. Aussi l'étrangeté de son style ne tarda-t-elle pas à soulever de vives critiques.
Au-dessus du bâtiment principal s'élevait « une herse » téléphonique aux proportions gigantesques, « véritable édifice de fer constellé de godets isolateurs en émail blanc » où convergeait tout le réseau des abonnés de Bordeaux. Le poids de cette énorme structure métallique nécessita le scellement de contreforts métalliques qui, au fil du temps, ébranlèrent la maçonnerie. En 1924, elle disparut et le bâtiment fut exhaussé d'un étage. Justin Tussau, architecte de l'administration des P.T.T. nommé par le ministère, réaménagea le bâtiment et simplifia sa façade. Dans le style Art déco, la coupole en béton percée d'oculi à pans coupés est construite sur l'ancienne cour. C'est un des plus remarquables endroits de ce bâtiment
A Angers
L'hôtel des postes prend sa forme définitive en 1887, après l’inauguration du Grand théâtre (1871). Pensé par Jean Boussard, architecte des Postes et télégraphes, le bâtiment abrite désormais l’hôtel des postes.

En 1937, l’hôtel des postes déménage dans la rue Franklin-Roosevelt et l’édifice devient l’hôtel des impôts ... puis à nos jours un restaurant.
Avec une capacité proche de 500 couverts, la brasserie du Théâtre est aujourd’hui l’un des plus grands restaurants des Pays de la Loire.
Ancien Hôtel des Postes à Orléans
Le 19 novembre 1900, la place Marché-Porte-Renard, sur laquelle en 1899-1901 fut élevé l'Hôtel des Postes et Télégraphes d'Orléans, sera renommée place Adolphe Cochery. Le pavillon du Marché-Porte-Renard sera démonté et déplacé rue Eugène Vignat pour abriter les pompes des réservoirs de la ville situés dans cette rue.
Le bâtiment est inauguré le 17 juin 1901. Une frise de panneaux sculptés repésentant des timbres de toutes nations, œuvre de Ernest Lanson, décore le deuxième étage. Les statues du fronton sont de Caillot.

Mis en service en 1903 (avec seulement une centaine d'abonnés au téléphone à Orléans) et ayant échappé aux bombardements de 1940, le bâtiment, surmonté de sa grande coiffe de fils téléphoniques, restera en service jusqu'en 1963. Imposant et moderne, le grand hall au plafond décoré accueillait les clients pour le courrier et le télégraphe. Une fois détruit, un nouveau bâtiment sera construit juste en face, sur la désormais Place De Gaulle. C'est la Caisse Primaire d'Assurance Maladie qui sera installée sur l'emplacement de l'ancien Hôtel des Postes.

 
Central téléphonique Chaudron 22, rue Chaudron à Paris (1896).

Bâtiment construit en 1896 par l'architecte Jean-Marie Boussard. 22 rue Chaudron (Paris-10e).
Cet édifice, typique de l'ancienne architecture industrielle, fut désaffecté par suite de la mise en service du central "Villette".
Central téléphonique Wagram ex Desrenaudes - Paris 17e, Bâti en 1897

Cet édifice, situé 29 rue des Renaudes (Paris-17e), est aujourd'hui détruit. Il abrita jusqu'à 400 demoiselles des téléphones.
Ancien central Desrenaudes (nom de rue rectifié en des Renaudes en 1897), renommé Wagram puis transféré au central Carnot.

Parmi ces derniers, l’hôtel des téléphones de Paris fait figure d’exception, d’abord par la place qu’il ambitionne d’occuper dans le maillage du réseau téléphonique, ensuite par sa typologie.

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Aux origines du réseau téléphonique parisien

Rappelons le contexte en 1879, à l’époque, au sein du ministère des postes et télégraphes, personne ne paraît soupçonner l’importance future qui sera accordée au nouveau moyen de communication qu'est le Téléphone. L’État choisit alors de remettre l’exploitation du téléphone entre les mains de compagnies privées. Cependant, il est nécessaire de préciser que cette concession – éphémère – prévoit un partage des tâches bien défini entre l’administration et les compagnies privées. À ces dernières reviennent l’installation des centraux et le raccordement des abonnés au réseau téléphonique. À l’administration revient la pose des câbles nécessaires au développement du réseau.
À Paris, comme dans d’autres villes en France, c’est la Société générale des téléphones (S.G.T.) qui détient le monopole.
Au milieu des années 1880, la S.G.T. – méfiante vis-à-vis de l’État qui souhaite reprendre la main sur l’exploitation du téléphone – cesse d’investir dans l’entretien et l’extension du réseau téléphonique.
À la même époque, la notion de service public qui émerge timidement au sein du gouvernement entraîne le non-renouvellement des concessions accordées aux sociétés privées.
Finalement, l’ensemble des infrastructures nécessaires au fonctionnement des réseaux téléphoniques est nationalisé en 1889.

À Paris, la situation est critique : le nombre d’abonnés croît de manière exponentielle tandis que les centraux téléphoniques saturent.
Nombreux sont les Parisiens qui se retrouvent sur liste d’attente, espérant être un jour raccordés au réseau téléphonique de la capitale. L’administration des Postes et télégraphes, à laquelle est adjointe le Téléphone pour former ce qu’il convient d’appeler les P.T.T. (Postes, Téléphones et Télégraphes), décide alors la mise en place d’une commission consultative dont le but est de réfléchir à la transformation du réseau téléphonique de Paris.
Dans son rapport daté du 20 novembre 1889, la commission préconise notamment la création de quatre bureaux centraux en remplacement des douze bureaux existants, hérités de la S.G.T.
L’acceptation de cette proposition conduit l’administration à construire de nouveaux bâtiments, vastes et bien éclairés, à l’instar des centraux téléphoniques que le rapporteur a pu observer à Berlin. Le premier de ces édifices à être construit est l’hôtel principal des Téléphones, que le ministère choisit d’implanter rue Gutenberg, à proximité de l’hôtel des Postes L’architecte Jean Boussard est alors désigné pour diriger les travaux.

Après la fusion des Postes et Télégraphes avec les Téléphones en 1889, c’est toute une administration qui se réorganise et une architecture qu’il faut (ré)inventer. A Paris, le nombre d’abonnés du Téléphone croit de manière exponentielle et il incombe à l’Etat de concevoir un édifice capable de répondre à un programme nouveau et aux besoins futurs.

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C’est ainsi que Jean Boussard, architecte de l’administration des Postes et Télégraphes, se voit confier la lourde tâche de construire le premier Hôtel des Téléphones français en 1892.


1892 L’Hôtel des Téléphones et une vue actuelle

On
connait la Poste de la rue du Louvre et la polémique qu’elle a engendrée au cours de ces années. En revanche, peu connaissent l’Hôtel des Téléphones qui la jouxte. Pourtant, cette construction à l’allure de forteresse émaillée constitue un jalon essentiel dans l’histoire de l’architecture publique En effet, il s’agit là du premier bâtiment construit par l’État pour répondre à un programme nouveau : celui des centraux téléphoniques.

Paradoxalement aussi ostensible que méconnu, l’Hôtel des Téléphones – souvent désigné sous l’appellation de central Gutenberg – mérite que l’on s’intéresse à lui d’un peu plus près. Dans cet article, nous examinerons sa genèse en rappelant le développement notable du réseau téléphonique français à la fin du XIXe siècle, avant de nous arrêter quelques instants sur la formation et la carrière de son auteur. Puis, nous étudierons son architecture et son évolution avant de réfléchir à sa patrimonialisation.

La construction de l’hôtel des téléphones de Paris

L’autorisation de bâtir obtenue en janvier 1891, la construction débute en avril de la même année et se poursuit jusqu’à l’automne 1892, lorsque le monument est livré à l’État. La presse se hâte alors de couvrir l’événement . Boussard fait appel à des illustrateurs et graveurs, tels Georges Garen qui fut son élève.

À l’instar de l’Hôtel des postes qu’il jouxte, l’édification de l’hôtel des téléphones a produit une abondante littérature, qu’il s’agisse de la presse à grand tirage ou des revues spécialisées d’architecture. Cette construction est donc exceptionnellement bien documentée. Fort heureusement, les Archives de Paris conservent le permis de construire de ce central téléphonique. Le dossier qui le compose nous renseigne sur la date et les modalités de dépôt des plans de la nouvelle bâtisse. On apprend que la demande de permis de construire est déposée par Boussard lui-même au nom de l’État le 9 octobre 1890. Dans le dossier, il est précisé que l’architecte cherche à obtenir « la permission de construire un monument public destiné à contenir le « Poste principal téléphonique », conformément aux plans produits, lequel sera élevé « d’un rez-de-chaussée et de 3 étages sous comble ». Malheureusement, les originaux des plans, établis sur papier calque, sont en trop mauvais état pour pouvoir être consultés. Nous ignorons donc la date à laquelle Boussard a pu établir les plans définitifs de son bâtiment. Néanmoins, force est de constater que l’architecte a bénéficié d’assez peu de temps pour la réalisation de ses plans. En effet, entre la nationalisation du réseau téléphonique et le dépôt du permis de construire il ne s’écoule qu’un peu plus d’un an. Sans doute Boussard s’est-il efforcé de respecter au mieux les préconisations établies par le rapport de la commission évoquée précédemment.

Plans des différents niveaux de l’Hôtel des Téléphones Gutenberg

Cliquez sur un étage pour voir en détail



Gravure d'affectation des divers étages.
Un immense hall de 60 métres de long recevra 90 employés pour les chaque étage 1,2 et 3.

Situé au 55 rue Jean-Jacques-Rousseau (Paris 1er), ce bel immeuble en briques bleues s’appelait autrefois le “Central Gutenberg“.
C’était le tout premier bâtiment téléphonique du service public : 1 400 opératrices y mettaient en relation 18 000 abonnés… manuellement ! Ici, Jean Boussard a proposé une forteresse médiévalo-industrielle, dotée de verrières, qui a impressionné les parisiens lors de son inauguration en 1892.

Ces salles mesurent 60 mètres en longueur et 10 en largeur; leur hauteur de plafond est d'au moins 5 mètres.
Chacune d'elles a la forme d'un rectangle allongé, terminé à ses deux bouts par des demi-cercles. De vastes baies distribuent la lumière. Dans le sous-sol, les trois foyers d'un grand calorifère fournissent la chaleur à tous les étages. Au-dessus des chambres de chauffe, un ventilateur puissant répartit dans la tuyauterie une forte colonne d'air comprimé, provenant de la distributionde la compagnie Popp. C'est cette colonne d'air qui répandune douce chaleur dans les différentes salles. L'été, au contraire, lorsque le calorifère reste inactif, le même ventilateur sert à l'aération de l'immeuble, et maintient la fraîcheur si nécessaire au nombreux personnel groupé autour des appareils...

Sur une parcelle étroite de près de 1200 mètres carrés, l’architecte prévoit l’installation d’un long bâtiment formé de deux ailes.
L’articulation de celles-ci génère une petite cour intérieure dont l’usage est réservé à l’Hôtel des Postes qui y trouve l’espace idéal pour le remisage de ses voitures hippomobiles. La première aile, longue d’une soixantaine de mètres, borde la rue Gutenberg. Elle est flanquée de deux tours réalisées en maçonnerie de pierres et de briques émaillées qui confèrent à l’édifice un aspect de forteresse médiévale.
Cette partie du bâtiment étant destinée à accueillir, superposées, les salles des multiples où s’affaireront les « demoiselles du téléphone», l’architecte cherche à y apporter un maximum de lumière. Il conçoit alors une façade toute de fer et de verre à l’instar de celles qui garniront, près d’une dizaine d’années plus tard, les sous-stations électriques de la Compagnie générale du Métropolitain. La rue Gutenberg étant trop étroite pour pouvoir apprécier avec suffisamment de recul la façade du central téléphonique, seules les vues d’artistes insérées dans les revues de l’époque nous permettent de considérer l’effet que pouvait produire cette construction sur le promeneur. On y constate que la façade de verre et de fer revêt un aspect de légèreté, souligné par la série d’arcades du premier niveau. Elle vient alors contrebalancer la lourdeur et la massivité de la seconde aile, érigée le long de la rue Jean-Jacques Rousseau. De dimensions beaucoup plus modestes, celle-ci accueille les bureaux et une partie des espaces de circulation du central téléphonique à l’instar du grand escalier de service. Ce dernier, construit en béton, est largement ouvert sur l’extérieur par une série de fenêtres à arcs rampants dont la silhouette ne va pas sans évoquer celle des cages d’escaliers des châteaux de la Renaissance.

Cette dénomination de monument d’un genre nouveau confirme l’aspect inédit que revêt la construction d’un central téléphonique. L’auteur, anonyme, souligne également que « l'originalité de la construction consiste principalement dans l'emploi de la céramique pour les façades ». Ces céramiques, qui incluent les briques émaillées employées pour l’appareil des murs donnant sur les rues du Louvre et Jean-Jacques Rousseau ainsi que les encadrements de terre cuite installés autour des différentes baies, proviennent d’une entreprise chère à Boussard : les usines Perrusson d’Ecuisses, en Saône-et-Loire. Résistantes aux effets néfastes de la pollution (elles ne se couvrent pas de croûte noire comme la pierre calcaire en raison de leur émail) ces céramiques ont assuré à l’Hôtel des Téléphones des façades colorées et rutilantes tout le long du XXe siècle. Étonnamment, aucun journal à l’époque ne semble avoir condamné ce parti pris esthétique, en rupture totale avec les autres immeubles du quartier.

Si les choix de Boussard peuvent surprendre, il faut néanmoins souligner la cohérence du programme et de la construction. D’abord, le recours aux matériaux industriels tels que le fer et le verre convient parfaitement à la nature du lieu et répond aux besoins de luminosité que nécessite cette « usine » téléphonique. En outre, sa volonté de rupture et de modernité s’inscrit également dans la maçonnerie : par le recours à une brique émaillée de couleur claire qui tranche avec la pierre des immeubles contigus ; mais également par la présence des deux rostres qui flanquent la façade vitrée, à hauteur du troisième étage. Celles-ci pourraient vouloir signifier aux passants de la rue du Louvre que le bâtiment qui se dresse devant eux, constitue le vaisseau amiral d’une flotte conquérante, allégorie de l’administration des P.T.T. Ajoutons que le rationalisme de l’édifice est maintes fois souligné dans les revues spécialisées de l’époque, à l’instar de La Semaine du constructeur qui déclare à ce sujet : « le principe d’accusation au dehors de la distribution intérieure se trouve rigoureusement appliqué». Ce rationalisme, visible en élévation, s’exprime également dans les volumes intérieurs où de vastes espaces sont conçus pour l’installation du matériel téléphonique.

L’édifice, dont la construction débute en 1912, se situe à l’angle de deux voies : la rue Bergère, (...)
Enfin, le plan en équerre de l’Hôtel des Téléphones, que nous évoquions plus haut, jouit d’une descendance exceptionnelle. Ainsi, l’architecte François Le Cœur (1872-1934), qui travailla également au service des P.T.T., employa à son tour cette formule pour plusieurs de ses édifices dont le central téléphonique Bergère situé rue du faubourg Poissonnière. De même, Paul Guadet (1873-1931) conserva cette formule lors de l’édification de ses centraux téléphoniques parisiens.

Un édifice rescapé et remanié

Malgré ses qualités, l’Hôtel des Téléphones de la rue du Louvre a pourtant bien failli disparaître. Le 20 septembre 1908 au soir, un incendie ravage le bâtiment. Là encore, la presse s’empare du sujet et les articles qui en découlent se comptent par dizaines. Fait remarquable, Boussard livre son point de vue sur l’évènement dans une interview qu’il accorde au journal Le Rappel. L’architecte fait part de son incompréhension et précise : « Les salles n'avaient d'autre communication entre elles que la cheminée qui servait au passage des câbles. Il était donc facile d'isoler une salle dans laquelle un incendie se déclarait. Pour moi, c'est une chose inconcevable que la destruction totale de l'hôtel des téléphones. » Boussard ajoute qu’à l’époque où il a conçu son bâtiment, « l’administration ne voulait pas entendre parler du ciment armé. […] On était donc obligé d'employer, pour soutenir le plancher d'aussi vastes salles, des colonnes de fer. Ces colonnes auront sans doute, sous l'action d'un incendie qui a duré plusieurs heures, rougi et se seront déformées sous le poids. Dans ce cas tout l'édifice est compromis. » Et l’architecte est loin de se méprendre. En effet, les photographies prises au lendemain de l’incendie attestent du ploiement des planchers et de l’éclatement de plusieurs colonnes.
De plus, si les propos que l’on prête à Boussard se révèlent exacts, il est nécessaire de souligner le fait que l’architecte se montre novateur sur le plan technique. Ainsi exprime-t-il sa volonté, très précoce, d’employer le ciment armé en lieu et place du fer et de la fonte dans la construction des planchers et la structure du bâtiment. Malheureusement, force est de constater que Boussard n’utilisera le ciment armé qu’à de très rares occasions dans ses constructions ultérieures.
Malgré l’importance des dégâts matériels, la décision est prise par l’administration de ne pas reconstruire l’intégralité du bâtiment. Les raisons qui ont amené cette décision sont de différents ordres : à la fois pratiques et financiers. Par chance, l’incendie a épargné une partie des installations techniques situées au premier étage du bâtiment. Aussi, le central téléphonique provisoire installé dans la cour qui sépare l’ancien Hôtel des Téléphones de l’Hôtel des Postes peut-il être raccordé rapidement au matériel épargné afin de léser le moins possible les abonnés. La conservation d’une partie du bâtiment incendié s’est alors imposée à l’Administration. De surcroit, la reconstruction intégrale d’un pareil édifice aurait fortement obéré les finances de l’État. La solution d’une reconstruction partielle – donc, à moindre coût – est d’autant plus souhaitable.
C’est l’architecte Charles Giroud (1871-1955) qui est chargé de la reconstruction du central téléphonique.
La demande de permis de construire est déposée le 22 novembre 1909 par M. Le Directeur des services téléphoniques. Le dossier vise à obtenir la permission de reconstruire l’Hôtel des Téléphones « en conservant une partie du bâtiment sinistré ». Les plans, datés du 11 novembre 1909, attestent que l’aspect général du bâtiment original est conservé à ceci près que le nouvel édifice est surélevé d’un étage installé en encorbellement et que les planchers métalliques laissent place à des planchers en béton armé. Finalement, le nouvel édifice, inauguré en 1912, conserve le souvenir prégnant de Jean Boussard. Outre quelques aménagements intérieurs nécessaires compte tenu de l’évolution des technologies et de la miniaturisation du matériel électrique, le central téléphonique Gutenberg tel que l’on peut l’observer aujourd’hui, a dans l’ensemble conservé ses dispositions d’origine, tant en plan qu’en élévation.

Quel avenir pour ce « monument » ?
L’Hôtel des téléphones érigé par Jean Boussard constitue, nous l’avons vu, un édifice important dans l’histoire de l’architecture publique. Pourtant, l’édifice demeure absent des manuels d’histoire de l’art spécialisés, à de rares exceptions près. Seul le chercheur américain Frances H. Steiner a vu dans l’Hôtel des Téléphones « l’un des plus brillants exemples de fonctionnalisme au XIXe siècle». Par l’intermédiaire de cette étude, nous souhaitions donc rendre à ce bâtiment et à son auteur les honneurs qu’ils méritent.

Lorsque Jean Boussard meurt le 14 juin 1923 dans son appartement de la rue Ribera (Paris, XVIe arrondissement), il ne laisse aucun héritier. Ses archives, dispersées ou bien détruites, ne sont pas parvenues jusqu’à nous. Aussi, rares sont les historiens de l’art qui ont pris le temps de s’intéresser à cet architecte et à son œuvre. Aucune monographie, ni même aucun article scientifique ne lui ont jamais été dédiés.

Face à la pression immobilière, l’Hôtel des téléphones – propriété de l’entreprise Orange – paraît voué à la vente et à la reconversion à l’instar d’un grand nombre d’anciens centraux téléphoniques. Ce contexte doit nous inciter à faire preuve d’une extrême vigilance, laquelle est d’autant plus justifiée que l’immeuble n’est protégé que par le plan local d’urbanisme (P.L.U.) de la Ville de Paris. Or, l’édifice nous parvient dans un état historique intéressant, offrant encore à l’œil du visiteur quelques reliquats du premier central téléphonique tels que la cage d’escalier, les colonnes en fonte du premier niveau, les façades de briques émaillées, etc., ainsi que des aménagements postérieurs hérités des travaux de Charles Giroud. Ne bénéficiant d’aucune protection au titre des Monuments historiques, l’Hôtel des Téléphones pourrait être aux prises avec toutes sortes de déprédations visant à retirer les derniers éléments décoratifs qu’il renferme et qui témoignent de son glorieux passé. Aussi interrogeons-nous : la protection au titre du PLU26 est-elle suffisante et pérenne ? Rien n’est moins sûr…

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Les Réalisations de Jean BOUSSARD

50, rue des Bernardins à Paris (1879), Sur le pan coupé de la rue des Écoles, médaillon de Gaspard Monge (1746-1818).
66, avenue Kléber à Paris (1880), au coin du 2, rue Cimarosa. Immeuble de cinq étages à sept et six fenêtres. La double porte semble postérieure. Non signé. Médaillon de Cimarosa au coin.
93, avenue Kléber à Paris (1880). Signé et daté. 6 étages et 7 fenêtres. Grand balcon filant au cinquième. 7 mansardes.
24, boulevard Saint-Germain à Paris (1881),
7-9, place des Ternes (La cité mondaine) à Paris (1881-1882), signé et daté. Grand immeuble dont les entrées se rejoignent sur une cour circulaire à 25 fenêtres. Fenêtres au coin et sur l'avenue de Wagram. 13 + 3 + 5. Le sol des entrées est signé Corbassière, entreprise toujours en activité (comme les 30-28, rue Michel-Ange de Louis Salvan (1891) et le 5, rue Benjamin-Franklin). Balcon filant en pierre au 5e étage sur 6. Le sixième a 16 + 6 vasistas.
21, boulevard Saint-Germain à Paris (1881-1882, gravé). Remarquable fronton. Grand vestibule de classe. Signé J. Boussard. 8 fenêtres par étages tous différents. Belle pierre, comme toujours. De part et d'autre de la double porte d'entrée, deux cariatides, sans bras ni jambes, se font face.
21, rue Greneta à Paris (1885). Immeuble de six étages à neuf fenêtres. JEAN BOUSSARD ANNO 1885, gravé dans la pierre.
Hôtel des Postes d'Angers (1887),
Caisse nationale d'épargne, rue Saint-Romain à Paris, (actuel siège de La Banque postale) (1890),
Caisse d'épargne à Saint-Florentin (actuel hôtel de ville) (1890),
Hôtel des Téléphones (Central Gutenberg), rue du Louvre (46 bis) et rue Jean-Jacques-Rousseau (55) à Paris (1890). Partiellement incendié en 1908. Remanié par Charles Giroud.
17, rue des Bernardins à Paris (1890),
Maison romaine d’Épinal (1892),
Grande Poste de Bordeaux (1892),
Hôtel des Postes de Fontainebleau (1893),
4, rue Jean-Goujon à Paris (1894),
41 et 45, rue Ribera à Paris (1894),
40 et 42, rue Ribera et 5, rue Dangeau (1894),
Central téléphonique Chaudron 22, rue Chaudron à Paris (1896). Désaffecté. Remplacé par La Villette.
76 et 78, avenue Mozart, 2, rue de l'Yvette et 13-15, rue de la Cure (arrière), (1896),
37, rue Ribera, Paris (1898) : hôtel particulier de trois étages, aujourd'hui démoli, construit par l'architecte pour lui-même5,
Hôtel des Postes d'Orléans (1898),
Château des Hautes-Montées (Château de la Chênaie) à Orléans (1898),
4 (et 1, rue de l'Yvette) et 6, rue Jasmin, à Paris (1911 et 1914-1916).
Auxerre, hôtel particulier, 3 boulevard du 11-Novembre

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Les Publications

Études sur l'art funéraire moderne, Paris, Librairie polytechnique de J. Baudry, 1870, 200 pl.
Recueil des tombeaux les plus remarquables exécutés de nos jours et représentés en perspective, Paris, Librairie polytechniques de J. Baudry, s.d., 52 pl.
Concours de l'École des Beaux-Arts (médailles et mentions), Paris, 1874-1875
Constructions et décorations pour jardins, 1881
Petites habitations françaises, 1881
Choix de fontaines décoratives, 1883
Conseils pratiques de construction. La Maison française, ce qu'elle est, ce qu'elle devrait être, 1883
L'Art de bâtir sa maison, Paris, 1887

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