1888 COMÉDIE MARIAGE
AU TÉLÉPHONE
De MAURICE HENNEQUIN , Représentsée pour
la première fois, à Bruxelles, sur le théâtre
du du Vaudeville le 31 janvier 1888.
.
A mon ami André Mellerio
Le théâtre représenta la cabinet de travail de Rissolet.
Deux portes : au fond et à gauche.
A. droite, un bureau chargé de papiers.
Au mur, à gauche, un téléphone.
Canapé, chaises, casiers, etc..
PERSONNAGES :
- RISSOLET, 60 ans, notaire.
- EDOUARD DE CHÈVREFEUILLE, 26 ans.
SCENE UNIQUE RISSOLET, puis EDOUARD.
An lever du rideau, Rissolet est à la porte
de gauche et parle à la cantonade.
RISSOLET, une feuille de papier à la main.
Faites encore une copie du contrat... mais laissez
les noms en blanc ; je les écrirai moi-même !... (Fermant
la porte et allant s'asseoir à son bureau.)
Voyons si ce contrat de mariage est bien en règle...
(Lisant.) Par devant maiire Rissolet et son collègue maitre Coibin,
notaires, ont comparu...
EDOUARD, se montrant par la porte du fond.
Maître Rissolet, s'il vous plaît ?
RISSOLET.
C'est moi, monsieur ...
EDOUARD, entrant, une valise A chaque main, un plaid
au bras gauche et un Bottin sous le bras droit.
Je m'en doutais ! . . . Permettez-moi d'abord
de déposer mes valises...
RISSOLET, se levant, ahuri, A part.
Gomment, ses valises ?
EDOUARD.
Oh I ne vous dérangez pas, je vais m'asseoir
...
RISSOLET.
Ah! ça! monsieur...
EDOUARD, s'asseyant devant le bureau.
Monsieur, vous avez devant vous un homme qui a soif ...
RISSOLET, se levant.
Mais une étude n'est pas un café,
monsieur !...
EDOUARD.
Je m'en suis toujours douté .. De grâce,
monsieur, asseyez-vous et ne m'interrompez pas !
RISSOLET, s'asseyant.
Cependant, monsieur...
EDOUARD.
Je suis excessivement pressé !... Monsieur,
vous avez devant vous un homme qui a soif de vengeance !
RISSOLET, se levant.
Monsieur, il y a des heures où je ne déteste
pas la plaisanterie ! ...
EDOUARD.
Ça prouve que vous êtes gail... Et
j'adore les notaires gais ! .., Mais au nom du ciel, asseyez-vous !
...
RISSOLET, s'asseyant, furieux.
Monsieur...
EDOUARD.
Maintenant, je continue.... Monsieur, hier à
la même heure j'étais en pleine mer, mais pas à
la nage, comme vous pourriez le croire ! ... Je me promenais sur le
pont d'un steamer qui revenait de Buenos-Ayres, capitale de la République
Argentine, 180,000 habitants, commerce considérable de cuirs,
de peaux, de suif et de viandes salées ! ...
RISSOLET, ahuri, à lui-même.
C'est un professeur de géographie !...
EDOUARD.
Nous filions donc, à toute vapeur, vers
les côtes de France, et j'étais joyeux, tout à fait
joyeux, étonnamment joyeux! ...
RISSOLET.
Cette histoire est sans doute fort intéressante...
EDOUARD, continuant.
A sept heures, trente-deux minutes, vingt-huit
secondes du soir, nous débarquions à Bordeaux. Je ne vous
cacherai pas plus longtemps que mon cur battait fort, lorsque
je me sentis sur le sol natal, car je suis Français, des pieds
à la tête, de la tête, surtout .
RISSOLET.
Monsieur, la patience a un terme...
EDOUARD.
Elle est bien heureuse de n'en avoir qu'un... (continuant) Mon premier
soin, en débarquant, fut... (changement de ton.) Au fait, devinez
quel fut mon premier soin ?... Non ! Vous ne trouverez pas !... (continuant.)
.Mon premier soin fut d'acheter le Figaro !..
RISSOLET, à part.
Ça m'a l'air d'un toqué ! ... Ne
le contrarions pas ! ... (Haut, comme avec intérêt.) Ah!
votre premier soin fut...
EDOUARD.
... D'acheter le Figaro !... (D'une voix navrée.) Hélas
monsieur, qu'y lus-je ?...
RISSOLET, ne comprenant pas, à lui-même.
Comment ? Qu'y lus-je ?
EDOUARD, sans l'entendre
J'y lus...
RISSOLET.
J'y lus ?... Ah! je comprends !...
EDOUARD, étonné.
Qu'est-ce que vous comprenez ?
RISSOLET.
Qu'y lus-je ?...
EDOUARD, à part.
Dieu ! que ce notaire est bête ! (Reprenant
avec éclat) Eh bien, je lus qu'elle allait se marier ! oui, monsieur,
se marier avec un autre !... (Tout à fait furieux.) se marier!
RISSOLET.
Qui, se marier?
EDOUARD.
Mais elle, parbleu !... Qui voulez-vous que ce soit
RISSOLET, ahuri.
Au fait... (à part.) Il est complètement
toqué !..
EDOUARD.
Et savez-vous qui elle épouse ?... Je vous
le donne en mille !...
RISSOLET.
Vous me le donneriez même en dix...
EDOUARD.
Elle épouse un de mes amis, un petit gros
ridicule qui mange comme quatre, boit comme dix et a de l'esprit (Avec
dédain.) comme un notaire !
RISSOLET, véxé.
Eh ! dites donc, monsieur !...
EDOUARD.
Ah ! voilà bien les femmes !... Et j'ai
été assez naïf pour croire à sa parole, à
ses serments ! Oui, monsieur, j'y ai cru! Qui donc n'a pas cru à
ces serments-là, au moins une fois dans sa vie. Vous-même,
vous avez dû aimer ?
RISSOLET, satisfait.
Mon Dieu...
EDOUARD, sévèrement.
Vous êtes trop vieux pour vous en souvenir
!
RISSOLET, furieux.
Trop vieux ?...
EDOUARD, avec chaleur.
Mais si vous l'aimez, me demanderez-vous, pourquoi
ne pas l'avoir épousée, pourquoi être parti pour
Buenos-Ayres ?
RISSOLAT, de plus en plus furieux.
Je vous ferai observer que je ne vous demande
rien du tout !...
EDOUARD.
Pourquoi, respectable rebellion ? Parce que j'étais sans fortune,
que je n'avais pas un sou devant moi ... Si encore j'en avais eu derrière,
je n'aurais eu qu'à me retourner ! Mais je n'avais rien ! Et
vous comprenez que si j'avais osé demander sa main, son père
m'eût accordé (Geste d'un coup de pied.) son pied quelque
part !... Il fut donc convenu entre elle et moi, un soir que nous nous
rencontrâmes au bal, que j'irais tenter fortune en Amérique.
Je vous attendrai, me dit elle, avec cette voix douce que vous ne connaissez
pas ... Je vous attendrai, partez ! (Furieux.) Partez ! (Très
calme, se levant.) Je pars !...
RISSOLET, se levant, à part.
Ouf, ce n'est pas malheureux !
EDOUARD, se rasseyant.
Je pars ! lui répondis-je !... Et je partis
!...
RISSOLET, furieux, à part, se rasseyant.
Il se réinstalle !
EDOUARD.
Mon absence a duré un an, huit mois et
deux jours, (plus vite.) J'ai visité le Brésil, le Chili,
le Pérou, la Colombie, le Venezuela, le Paraguay, l'Uruguay et
la Plata. J'ai spéculé sur les farines, le sucre, le café,
le coton, le guano, le suif, le cacao, le caoutchouc, les bêtes
à cornes et sans cornes, l'or, l'argent, le cuivre et la houille;
bref, j'ai fait plus ou moins honnêtement fortune; mais en Amérique,
on n'a pas le choix !
RISSOLET, à part.
Il aurait bien dû y rester !
EDOUARD, furieux.
Et quand je reviens, j'apprends qu'elle m'a trahit
. C'est horrible ! C'est épouvantable ! Ah ! je vous le répète,
j'ai soif de vengeance... j'en ai la pépie ! Voyons, que feriez-
vous à ma place ?...
R ISSOLET.
Je quitterais d'abord cette étude sans
plus tarder !...
EDOUARD, se levant.
Ah ! je vous comprends ! vous iriez confondre
l'infiâme, lui reprocher... (Se rasseyant.) Jamais ! ma dignité
s'y oppose !
RISSOLET, qui s'est levé, se rasseyant, a part.
Il ne s'en ira donc pas ?
EDOUARD, se levant.
Ou bien provoquer l'autre, nous battre ! (Se rasseyant.)
Jamais, non plus : il est plus fort que moi !... Mais rassurez-vous,
j'ai trouvé ma vengeance. Moi aussi, je vais me marier, à
la même heure, dans la même église, à une
chapelle voisine de la nef !...
RISSOLET, se levant.
Il me reste à vous présenter les
compliments d'usage, d'autant plus que si la personne est jolie...
EDOUARD, se rasseyant.
Je ne la connais pas
RISSOLET, à part, furieux.
Il se rassied encore !... (Haut.) Ah 1 ça,
monsieur, aurez -vous bientôt fini de me raconter toutes vos histoires
?...
EDOUARD, très digne.
Ah 1 Maître Rissolet, pas un mot de plus,
car vous me feriez regretter de vous avoir choisi dans le Bottin.
RISSOLET.
Enfin, monsieur, que voulez-vous ?
EDOUARD, se levant.
Ce que je veux ? J'ai l'honneur de vous demander
la main de la fille d'un de vos clients, n'importe lequel !
RISSOLET, éclatant de rire.
Par exemple !
EDOUARD, très vite.
Je ne vous parlerai ni de mon physique, ni de
mon caractère, car ma modestie m'empêche d'en dire tout
le bien que j'en pense, quant à ma fortune, je possède
quatre cent cinquante-deux mille trois cent soixante-cinq francs, (Comptant
les sous qu'il a dans son gousset.) et vingt-cinq
centimes.
RISSOLET, furieux.
Vous posséderiez même un million
!...
EDOUARD, digne.
Fi ! Seriez-vous un homme d'argent ? Voyons, quelle
est la jeune personne que vous avez à me proposer ?
RISSOLET, se levant.
Monsieur, je suis notaire et non pas agent matrimonial
!...
EDOUARD.
Maitre Rissolet, c'est parce que je méprise
ces sortes d'agents que je m'adresse à vous ! Il arrive souvent
qu'un père de famille qui a une fille à caser, demande
à son notaire s'il n'a pas un bon petit jeune homme dans sa clientèle
!... c'est moi !... Mais dépêchons-nous, car l'autre se
marie dans quinze jours, et le temps de publier les bans, d'acheter
la corbeille...
RISSOLET, hors de lui, se levant.
Monsieur, voilà trente ans que je suis
notaire et c'est la première...
EDOUARD, le prenant par les épaules et le forçant
à se rasseoir.
Voulez-vous bien vous asseoir, une fois pour toutes !
RISSOLET, n'en pouvant plus.
De la violence ? Sortez, monsieur...
EDOUARD, tirant un revolver.
Notaire de mon cur, si dans cinq minutes
tu ne m'as pas trouvé une femme, je t'occis comme un simple bison
des pampas !...
RISSOLET, d'une voix étranglé».
Je vais faire chercher la police !...
EDOUARD, très calme.
Soit, mais quand elle arrivera, elle ne trouvera
plus qu'un cadavre de notaire, gisant sur ce parquet !...
Il pose son revolver sur le bureau.
RISSOLET, tremblant.
Assassiner un notaire !...
EDOUARD
Oh ! le jury acquittera !... Il acquitte toujours
pour un notaire !... (Prenant un livre d'adresses
qui se trouve sur le bureau de Rissoiet.) Voilà
ton livre d'adresses : cherche !...
RISSOLET, saisissant avec une joie sauvage le revolver
d'Edouard et la visant.
Misérable assassin, je te tiens !...
EDOUARD, très calme.
Il n'est pas Chargé... (TiraM un autre
revolver de sa poche et visant Rissoiet.) Ce n'est pas comme celui-ci
RISSOLET, effrayé, remettant le revolver sur
la table.
Sapristi ! Pas de bêtises ! ...
EDOUARD, le visant.
Une fois, deux fois...
IUSSOLET, avec effroi.
Arrêtez I... Arrêtez !... (Ouvrant vivement au hasard son
livre d'adresses et lisant très vite.)
Durand, Durandard, Dli TOndeau...
EDOUARD, remettant ses revolvers dans sa poche.
Ont-ils des filles, tous ces Durand-là
?
RISSOLET, d'une voix faible.
Oui, tous les trois !... (a part.) Je n'en puis
plus !...
EDOUARD, joyeux.
Parfait 1... Jolies?
RISSOLET.
Pas mal !... La première louche quelque
peu ; la seconde a l'épaule droite un tantinet plus haute que
l'épaule gauche; quant à la troisième...
EDOUARD, effrayé.
Elle est bossue ?
RISSOLET.
Non 1 mais ce n'est pas un aigle.
EDOUARD.
Oh ! je ne tiens pas plus que ça à
épouser un aigle !
Et pourvu qu'elle ne soit pas une oie !... Allons, je choisis mademoiselle
Durandeau I... (joyeux.) Rissolet, c'est toi qui feras le contrat !...
RISSOLET.
Je ne l'aurai pas volé.
EDOUARD.
Voyons. Occupons-nous maintenant de mademoiselle...
Quel est son petit nom?
RISSOLET.
Virginie 1...
EDOUARD.
Virginie ?... (Galamment.) Ah ! je regrette de ne pau m'appeler Paul
!...
RISSOLET, se levant comme pour sortir.
Je vais aller trouver son père.
EDOUARD, tirant sou revolver et le visant.
Rassieds-toi, ou tu es mort !...
RISSOLET, se rasseyant vivement.
Voilà ! (a part.) Ça n'a pas pris
!...
EDOUARD.
Ah ! Tuveux donc m'échapper, vieux Machiavel
! Je te préviens charitablement que si tu recommences, je fais
feu.
RISSOLET.
Comment diable voulez vous que j'aille voir M.
Durandeau, si vous ne me permettez pas de bouger ?
EDOUARD, apercevant le téléphone, à
part.
Un téléphone ?... Oh ! quelle idée!...
(Haut, légèrement.) Ce Durandeau est-il un homme de progrès
? Enfin, est-il abonné au téléphone ?
RISSOLET, ne comprenant pas.
Oui ! (Devinant la pensée d'Èlouard.) C'est-à-dire
...
EDOUARD, jouant avec son revolver.
Tu as dit oui, d'abord ! (Examinant son revolver.)
Terribles, ces balles à la dynamite !...
RISSOLET, à part, effrayé.
Que c'est bête de jouer avec ces choses-là
I
EDOUARD, feignant d'être surpris, jouant toujours
aveccle revolver, très aimable.
Comment, maitre Rissolet, vous n'êtes pas
encore au téléphone ?
RISSOLET.
Quoi, vous voulez ?...
EDOUARD, arev un sourire, le visant.
Je vous en prie...
RISSOLET, vivement.
J'y vais !... (il va au téléphone et poussa le bouton
d'appel, à part.) J'en ferai une maladie,
c'est sûr I
EDOUARD.
Un mariage au téléphone !... C'est
original, au moins !
RISSOLET.
Voilà trente ans que je suis notaire et
c'est la première fois...
On entend la sonnerie du téléphone.
EDOUARD.
Maître Rissolet, on sonne !
RISSOLET, parlant au téléphone.
Allô I allô !.. Mademoiselle, voulez-vous
me mettre en communication avec M. Durandeau, 180, rue Taitbout. (A
part, se retournant du côté du public.) Il va croire que
je deviens fou !
EDOUARD, à lui-même.
Ah ! l'infidèle ! Quand elle me verra entrer
à l'église...
(Sonnerie. Haut à Rissolet.) Dépêchons,
maître Rissolet, dépêchons...
RISSOLET, à part.
Quelle situation pour un notaire !... (Parlant
au téléphone enécoutant.) Allô !... Allô!...
C'est vous, mon cher M. Durandeau ?... Oui!... Pas mal et vous?... Toujours
vos rhumatismes ?... Ma femme va bien, merci!... Et madame Durandeau
?...
EDOUARD.
Ah ca quand vous aurez fini de nous donner de
vos nouvelles.
RISSOLET, sa retournant, à Edouard.
Je ne peux pourtant pas à brùle-pourpoint...
Enfin !... (pariant au téléphone.) Voulez-vous marier
votre fille ? (Écoutant, puisse retournant,
à Edouard.) Avec joie I
EDOUARD.
0 bonheur!...
RISSOLET, parlant au téléphone.
J'ai justement sous la main un assassin... (se
reprenant.) un charmant jeune homme!... C'est très pressé
!
(Écoutant, puis répondant.) S'il est de bonne famille
?
EDOUARD.
Excellente !... un de mes aïeux a failli aller aux
croisades.
RISSOLET, parlant au téléphone.
Excellente!... Un de ses aïeux a failli aller
aux croisades!... Sa fortune ?... Quatre cent cinquante-deux mille trois
cent soixante cinq francs et des centimes!...
EDOUARD.
La dot de la jeune personne ?
RISSOLET, ay téléphone.
Allô! Allô t.. . La dot ? (Écoutant, puis répétant.)
Vingt mille francs !
EDOUARD.
De rente ? Non, de dot !.
EDOUARD.
Sapristi, c'est maigre!... Pourvu qu'elle ne soit
pas comme sa dot ! (a Rissoiet.) Enfin, ça m'est égal!
RISSOLET, au téléphone.
Et à moi donc!. . (se reprenant.) Je veux
dire que ça lui est égal (Écoutant.)
Hein?... Que nous venions diner ce soir ? Bien!... (a Edouard ) Il nous
invite à dîner, il a justement quelques amis et une dinde
!...
EDOUARD.
Accepté!...
RISSOLET, au téléphone.
Allô! allô! C'est entendu! A six heures
et demie... Mille choses à ces dames!...
EDOUARD, gaiement.
Voilà l'affaire baclée!... Ah! ce
mariage s'annonce sous les plus heureux auspices !
RISSOLET, redescendant en s'épongeant le front.
Ouf!... Si mes clercs me voyaient !...
EDOUARD, regardant l'heure.
Déjà cinq heures passées!...
Diable!... (Ouvrant une de ses valises et en tirant
un habit noir qu'il pose sur le canapé.) Je n'ai
que le temps de passer un costume de circonstance !...
RISSOL ET, ahuri.
Comment? Vous allez vous habiller ici '
EDOUARD, se déshabillant.
Je n'ai pas le temps d*aller à l'hôtel.
RISSOLET.
et si une cliente entrait ?...
EDOUARD.
Je la recevrais... avec mon plus gracieux sourire!
RISSOLET, voulant l'empêcher de sa déshabiller.
Mais, monsieur, on n'a pas idée d'un sans-gène
pareil.
EDOUARD, continuant à se déshabiller.
Je ne me gène jamais... chez les autres
1
RISSOLET, hors de lui.
Ah ça ! monsieur, vous voulez donc finir
par me faire tourner en bourrique ?
EDOUARD, qui a ôté sa veste et son gilet.
Vous n'avez pas besoin de moi pour ça !
RISSOLET.
Monsieur, je suis notaire ! ...
EDOUARD, fouillant dans sa valise.
A qui le dites-vous!... Sapristi ! ... J'ai oublié
mes chemises à Bordeaux !...
RISSOLET.
Allez les chercher !...
EDOUARD.
Dites donc, vous ne pourriez pas m'en prêter
une ?
RISSOLET, hors de lui.
Il veut mon linge, à présent! J'aimerais
mieux la manger, entendez-vous !...
EDOUARD, ouvrant une autre valise."
Une chemise de notaire ?... Vous vous empoisonneriez !... (Poussant
un cri.) Caramba !...
RISSOLAT, à part.
Il est enragé!... Si je pouvais renvoyer
chez Pasteur!
EDOUARD, tirant uie photographie de la valise.
Le portrait de l'infidèle!... Ah! la voilà
bien avec ses jolis yeux, son joli petit nez, sa jolie petite bouche...
(s''adressant au portrait.) Je te hais ! je te hais! je te hais! ! !
(Donnant le portrait à Rissoiet.) Tenez, je ne veux plus la voir
!...
RISSOLET, regardant le portrait.
Hein!... Mais je ne me trompe pas !
EDOUARD.
Comment ? Vous connaissez mademoiselle Jeanne
de Follavoine ?
RISSOLET.
Si je la connais : c'est ma nièce !...
EDOUARD.
Vous êtes son oncle?
RISSOLET.
Dame! il y a des chances !...
EDOUARD, remettant vivement ses effets pêle-mêle
dans sa valise.
Malédiction ! Elle a un oncle qui est notaire
!et je tombe dessus!...
RISSOLET, se souvenant.
Attendez donc, ne vous nommeriez- vous pas Edouard
da Chèvrefeuille ?
EDOUARD.
Charles-Alfred-Edouard de Chèvrefeuille
? En effet ! ...
RISSOLET, ahuri.
Vous n'êtes donc pas mort ?...
EDOUARD, ahuri.
Pas que je sache!...
RISSOLET.
Mais le bruit de votre mort a couru !
EDOUARD.
Et personne ne l'a anêté?
RISSOLET.
On a- même prétendu que vous aviez
été mangé par un Peau-Rouge!
EDOUARD.
Mais c'est moi qui l'ai mangé I
RISSOLET.
Et Jeanne qui vous a pleuré !
EDOUARD, ému
Elle m'a pleuré ?
RISSOLET.
Pendant trois mois
EDOUARD, de plus en plus ému.
Un terme!
RISSOLET.
Elle ne voulait pas épouser le baron Zéphirin
de la Barrette ! Ce sont ses parents qui lui ont fait entendre raison...
EDOUARD, joyeux.
Ce sont ses parents?... Ah! notaire!... Ah! son
oncle !.. (L'embrassant.) Et moi qui l'accusais !...
RISSOLET.
Mais, sapristi, vous m 'étouffez !...
EDOUARD, remettant son gilet et son paletot.
Je vais aller trouver mon ami le baron Zéphirin
de la Barrette... Je lui raconterai...
RISSOLET.
Non! J'irai moi-même 1
EDOUARD.
J'aime mieux ça! C'est un imbécile,
vous vous comprendrez facilement!... Ah! chère Jeanne, quelle
joie!...
Sonnerie au téléphon.
RISSOLET, subitement.
Sapristi ! Et ces Durandeau !...
EDOUARD.
Tiens, je les oubliais !...
RISSOLET.
C'est peut-être le père qui me demande ? (Allant au téléphone.)
Allô ! Allô ... Qui est là?... (il écoute,
puis se retournant vers Edouard.) C'est lui!...
EDOUARD, à Risssolet qui écouta.
Que dit-il?
RISSOLET, à Edouard.
Que j'ai oublié de lui dire le nom du prétendant
...
EDOUARD, allant vivement au téléphone
et prenant la place de Russolet.
Attendez, je vais lui répondre... (Parlant
au téléphone.)
Allô!... Allô ! ... Tout est rompu...
mille regrets... On me croyait mort à cause du Peau-Rouge, mais
c'est moi qui l'ai mangé.
RISSOLET, se précipitant vers le téléphone.
Qu'est-ce qu'il va penser, mon Dieu!
EDOUARD, gaiement.
Bah! il se consolera avec sa dinde !...
Sonnerie.
RISSOLET, parlant au téléphone.
Allô! Allô! c'est moi. (Écoutant.) Hein ? Vous le
direz à maître Rissolet ?... (Redescendant à Edouard
en riant.) Voyez, il croit que c'est un de mes clercs !
Sonnerie.
EDOUARD, riant.
Elle est bien bonne !... (sonnerie ) Encore ?... (Allant au téléphone.)
Allô! Allô!... Flûte ! (Redescendant et prenant ses
valises.) Et maintenant, filons! Pauvre Jeanne!
Ce qu'elle va être surprise !
RISSOLET.
Et son contrat que j'étais en train de
faire quand vous êtes arrivé! (Allant
le prendre sur son bureau.) Heureusement que j'ai laissé les
noms en blanc !
EDOUARD.
Ah ! son oncle, vous êtes le plus grand
des notaires! Aussi, je vous offrirai un jaguar !
RISSOLET, effrayé.
Un jaguar dans une étude ?...
EDOUARD, l'entraînant par le fond.
Rassurez-vous : il est empaillé I...
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