1886 le "Journal
Télégraphique "
Transmettre électriquement le son
et la parole sans autre conducteur que des rayons de lumière,
tel est le merveilleux problème dont M. le Professeur
Bell a donné récemment la solution à
l'Association américaine pour l'avancement des sciences.
Parmi les nombreux articles que cette intéressante
communication a provoqués dans les journaux spéciaux,
celui que M. Antoine Bréguet a publié dans
la Revue scientifique du 25 Septembre dernier nous paraît
donner une des descriptions les plus claires et les plus
complètes du principe et des procédés
imaginés par M. Bell. Nous le reproduisons ici avec
l'autorisation de l'auteur.
Alexander GraJiam Bell, le célèbre
inventeur du premier téléphone articulant,
a fait, il y a peu de temps, au dernier meeting de l'Association
américaine, une communication du plus haut intérêt.
Sa découverte consiste dans un instrument appelé
par lui Photophone, parce qu'il sert à transmettre
les sons par l'intermédiaire d'un rayon lumineux.
Tandis que le téléphone ordinaire nécessite
des conducteurs métalliques pour joindre entre elles
les deux stations en correspondance, le Photophone récepteur
est tout-à-fait indépendant de son transmetteur.
Il suffit qu'un faisceau de lumière puisse traverser
l'espace d'un poste à l'autre sans rencontrer aucun
obstacle opaque.
Encore verrons-nous que cette condition n'est pas rigoureusement
absolue, et que certaines natures d'écran n'empêchent
pas toujours les communications verbales de s'établir.
Le principe sur lequel est fondé
le photophone est déjà connu depuis plusieurs
années.
sommaire
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C'est à M. Willoughby Smith que
revient l'honneur de l'avoir découvert. Le 12 Février
1873, ce physicien annonçait à la Société
des ingénieurs télégraphistes de Londres
que le sélénium présente une résistance
bien plus faible au passage du courant électrique, lorsqu'il
est exposé à la lumière, que s'il se trouve
dans l'obscurité. De là à imaginer un appareil
téléphonique mettant à profit ce singulier
phénomène, il n'y avait pas loin, et, en réalité,
la pensée en vint à plusieurs personnes presque
simultanément. Nous citerons entre autres M. Adriano Paiva,
professeur à l'Académie de Porto ; M. Senlecq, d'Ardres,
etc.
Mais, avant d'examiner avec quelque détail
les projets, plus ou moins heureux, de ces divers savants, il
n'est pas sans intérêt do reprendre la question do
plus haut et de faire ici une histoire sommaire du sélénium.
C'est en 1817 que Berzélius et Gottlieb
Gahn découvrirent ce métalloïde, à Gripsholm,
en cherchant à préparer de l'acide sulfurique au
moyen des pyrites de fer. Ils constatèrent, dans l'acide
obtenu, la présence d'une substance d'un rouge tirant sur
le brun clair qui, soumise à la flamme du chalumeau, dégageait
une odeur .analogue à celle du tellure. Berzélius
crut pendant quelque temps qu'il pourrait, par ce procédé,
isoler ce dernier corps ; mais il n'y parvint pas. Il prépara
alors une plus grande quantité du nouveau produit et put
en extraire des sulfures de mercure, de cuivre, de zinc, de fer,
d'arsenic et de plomb, mais jamais aucune trace de tellure. Il
no se rebuta point et acquit enfin la conviction qu'il était
en présence d'un nouveau corps simple qui offrait avec
le tellure de grandes analogies comme propriétés
chimiques. Pour marquer cette parenté, il appela le corps
qu'il venait de préparer, sélénium le mot
tellure venant lui-même de tellus, terre.
Bien que, à beaucoup d'égards, le
sélénium et le tellure aient souvent le même
rôle, chimiquement parlant, ces deux métalloïdes
offrent une grande dissemblance si l'on examine leurs propriétés
électriques. Le tellure est un excellent conducteur de
l'électricité ; le sélénium est, comme
Berzélius l'avait montré, une substance isolante.
Knox remarque pourtant, en 1837,
que le sélénium devient conducteur lorsqu'il est
fondu à l'aide de la chaleur. Hittorff, en 1852,
montre que, même à des températures ordinaires,
son pouvoir conducteur devient appréciable s'il se trouve
sous une de ses formes allotropiques. Quand il est brusquement
refroidi à partir de son point de fusion, il est isolant;
alors la forme qu'il affecte est la forme vitrée, amorphe
; sa couleur est brun foncé, noire à la lumière
réfléchie, et sa surface est extrêmement brillante.
En lames minces, il est transparent et parait, à la lumière
transmise, d'un magnifique rouge de rubis.
Lorsque le sélénium est refroidi,
au contraire, avec ménagement, ses caractères physiques
sont tout autres. Sa couleur rappelle colle du plomb, sa structure
est cristalline et ressemble à celle d'un métal.
C'est sous cette forme que Hittorff l'a trouvé conducteur
de l'électricité aux températures ordinaires.
Il trouva aussi que sa résistance électrique subissait
une décroissance continue lorsqu'on le chauffait jusqu'à
la fusion, et que cette résistance s'accroissait brusquement
au passage de l'état solide à l'état liquide.
On savait déjà que le sélénium, exposé
aux rayons du soleil, passe de l'une de ses formes allotropiques
à l'autre, et cette observation présente
quelque importance pour ce qui nous reste à dire.
Le sélénium était déjà connu
depuis soixante ans environ ot n'avait pu trouver à s'utiliser
à aucun titre dans les arts. C'était une simple
curiosité chimique. On le préparait en crayons cylindriques,
la plupart du temps à l'état amorphe, c'est-à-dire
la forme sous laquelle il ost isolant.
M. Willoughby Smith crut que, en raison de sa grande résistance,
cette substance pourrait lui rendre service dans un mode d'épreuve
des câbles sous-marins qu'il avait imaginé. Ses expériences
lui montrèrent qu'en effet cette résistance était
considérable. Quelques crayons de sélénium
accusaient une résistance do 1400
megomis. C'était l'équivalent d'une ligne
télégraphique de fil de fer de 4 millimètres
de diamètre qui unirait la terre au soleil ! Mais
il fut reconnu que cette résistance était singulièrement
variable, et. on voulut trouver la cause de cette bizarrerie.
Ce fut alors que M May, préparateur ¦de M- Willoughby
Smith, découvrit que le sélénium était
plus conducteur à la lumière que dans l'obscurité.
Afin de s'assurer que c'était bien un effet
de la. lumière et que la température ne jouait aucun
rôle dans ce phénomène, le sélénium
fut entouré d'eau et les rayons lumineux ne l'at'teignaient
qu'après avoir traversé plusieurs centimètres
de liquide. Même dans ces conditions, la simple approche
d'une bougie allumée produisait une déviation relativement
considérable de l'aiguille d'iin galvanomètre dont
le circuit Comprenait une pile et la barre de sélénium.
La lumière du magnésium eii combustion réduisait
la résistance totale à la moitié de sa valeur.
.
Au premier abord, ces résultats si inattendus
rencontrèrent dans le monde savant, sinon de l'incrédulité,
au moins quelque peu de scepticisme. Mais ils ne tardèrent
pas à être confirmés par les travaux du lieutenant
Sale, de Draper, de Môss et de plusieurs autres physiciens.
sommaire
M. Sale soumit le sélénium
aux différentes radiations spectrales et observa que l'effet
maximum se produisait au maximum de température. Mais M.
Adams du King's Collège reconnut au contraire que
le maximum a lieu en pleine lumière, c'est-à-dire
en pleine radiation jaune verdâtre.
Lord Eosse, voulant élucider la question,
plaça une barre de sélénium et une pile thermo-électrique
dans des conditions identiques, afin de voir si la chaleur les
influencerait de la même manière. Il les soumit à
l'action de la chaleur obscure émanant de corps échauffés
; il interposa, entre ia source lumineuse et le sélénium,
une cuve d'alun qui devait arrêter au passage les rayons
calorifiques. Dans le premier cas, le galvanomètre montrait
que la pile seule était influencée; dans le second
cas, c'était au contraire le sélénium. La
question était tranchée. M. Adams constata, en outre,
que la lumière froide de la lune impressionnait le sélénium,
et M. Wemer Siemens découvrit même que certaines
espèces particulières subissaient quelquefois des
effets opposés de la part de la lumière et de la
chaleur. Le même électricien put préparer
un échantillon de sélénium dont la résistance
variait de 15 à 1 lorsqu'il le faisait passer de l'obscurité
à une vive lumière.
M. Werner Siemens eut l'idée de
profiter de cette propriété pour réaliser
un photomètre d'un nouveau genre et d'une trèsgrande
sensibilité.
Le jeu en est aisé à comprendre. Un courant constant
traversait, d'une manière continue, à la fois une
tige de sélénium et un galvanomètre. Lorsque
la lumière tombait sur le sélénium, sa résistance
diminuait et, par suite, l'intensité du courant augmentait.
L'aiguille du galvanomètre était alors déviée,
et l'on conçoit qu'il soit possible de graduer empiriquement
un tel instrument afin de savoir qu'une déviation de
tant de degrés représente une lumière de
tant de becs Carcel. M. Siemens construisit encore un oeil artificiel
dont les paupières s'abaissaient à la lumière
et s'ouvraient dans l'obscurité et dont on peut trouver
la description dans la Revue scientifique du 2 Septembre 1876.
sommaire
Les applications Commençaient.
De plusieurs côtes, on Imaginait à la fois des dispositions
qui n'étaient, il faut l'avouer, que rarement mises à
exécution, pour résoudre un autre problème
des plus attrayants. Il s'agissait de faire pour la vue ce que
le téléphone avait fait pour le son. Il fallait
trouver le moyen de voir électriquement de Paris ce qui
se passe au même moment aux antipodes !
Les gens confiants dans l'électricité et
il n'en manque pas, se mirent à la besogne et se
torturèrent l'esprit pour arrivera découvrir la
solution si désirée:
Il serait certainement malaisé de
démontrer qu'un tel problème est insoluble, et,
à vrai dire, il n'est pas probable qu'il le soit. Mais
il est difficile, à n'en pas douter, et les solutions ne
furent pas trouvées.
Ces recherches donnèrent lieu pourtant
à d'ingénieuses idées, qui méritent
d'être mentionnées. M. Adriano de Paiva fut
le premier peut-être à songer à une application
de cette nature. Un journal américain avait annoncé
l'apparition d'un certain Télectroscope fondé,
comme le téléphone, sur la transmission électrique.
II se compose, dit l'article eu question,
de deux chambres, placées l'une au point de départ,
l'autre au point d'arrivée. Ces chambres sont reliées
entre elles par. des fils métalliques convenablement (!)
combinés. La paroi antérieure et interne de la chambre
de départ est hérissée de fils imperceptibles
dont l'extrémité apparente forme, parleur réunion,
une surface plane. Si l'on place devant cotte surface un objet
quelconque, et si les vibrations lumineuses, répondant
aux détails des formes et des couleurs de cet objet, sont
saisies par chacun des fils conducteurs et transmises à
un courant électrique, elles se reproduisent identiquement
à l'extrémité de ces fils.
Cette note, évidemment, ne signifiait pas
grand'chose, sinon que le germe d'une idée nouvelle était
dans l'air. Il est aisé de décrire des appareils
en parlant de conducteurs convenablement combinés, et notre
conviction est que cette soi-disant invention n'a jamais reçu
le moindre commencement d'exécution. Néanmoins M.
A. de Paiva, y mettant du sien, la rendit un peu moins irréalisable
en lui donnant un point d'appui scientifique, tiré justement
des propriétés du sélénium. Une plaque
de sélénium formait la plaque sensible. .
Ce corps ( La Télescopie électrique basée
sur l'emploi du sélénium) par A. de Paiva ),
dit l'autenr, jouit d'une propriété récemment
découverte. Interposé dans le circuit d'un galvanomètre
et d'une pile, il fait dévier l'aiguille d'une manière
notable, toutes les fois qu'un faisceau lumineux vient tomber
sur lui. Ces déviations sont d'ailleurs différentes
sous l'influence des diverses radiations du spectre, comme le
montrent les nombres suivants Couleurs. Déviations
:
Ultra-violet 139
Violet 148
Bleu 158
Jaune 178
Bouge 188
Ultra-rouge 180
Evidemment, l'appareil de M. de Paiva présentait
d'immenses difficultés d'exécution, peut-être
insurmontables dans l'état actuel de la science ; mais
enfin l'idée première pouvait se défendre.
M. Senlecq, d'Ardres, avait songé à
un Télectroscope moins ambitieux, puisqu'il n'aurait
transmis au loin que des dessins exécutés à
la main, en quelque sorte, et non, directement, des panoramas
naturels. Mais, par contre, l'invention semblera plus réalisable.
On va en juger.
Cet appareil serait basé sur cette propriété
quo posséderait le sélénium d'offrir une
résistance électrique variable et très-sensible
selon les différentes gradations de lumière.
L'appareil consisterait dans une chambre noire ordinaire contenant
au foyer une glace dépolie et un système de transmission
de télégraphe autographique quelconque. La pointe
traçante du transmetteur destinée à parcourir
la surface de la glace dépolie serait formée d'un
morceau de sélénium maintenu par doux ressorts faisant
pince, communiquant l'un avec la pile, l'antre avec la ligne.
La pointe do sélénium fermerait le circuit. En glissant
sur les surfaces plus ou moins éclairées de la glace
dépolie, cette pointe communiquerait, à des degrés
différents et avec une grande sensibilité, les vibrations
de la lumière.
Le récepteur aurait également une pointe traçante
en plombagine ou en crayon très-tendre, reliée à
une plaque trèsmince de fer doux maintenue à peu
près comme dans les téléphones Bell, et vibrant
devant un électro-aimant gouverné par le courant
irrégulier émis dans la ligne. Ce crayon, appuyant
sur une feuille de papier disposéo do manière à
recevoir l'impression de l'image produite dans la chambre noire,
traduirait les vibrations de la plaque métallique par une
pression plus ou moins accentuée sur cette feuille de papier.
La pointe traçante en sélénium parcourrait-elle
une surface éclairée, le courant augmenterait d'intensité,
l'électroaimant du récepteur attirerait à
lui avec plus de force la plaque vibrante, et le crayon exercerait
moins de pression sur le papier. Le trait, alors formé,
serait peu ou point apparent. Le contraire se produirait si la
surface était obscure, car la résistance du courant
augmentant, l'attraction de l'aimant diminuerait le crayon, pressant
davantage le papier, y laisserait un trait plus noir.
Cette description ne laisse-t-elle pas,
en effet, peu de chose à désirer au point de vue
scientifique ?
Ce télectroscope ne paraît pas aujourd'hui plus prodigieux
que ne paraissait le téléphone de Bell, lorsqu'il
ne nous était encore connu que par les premières
descriptions.
Il n'a pas tenu cependant les promesses
que son inventeur en attendait. Le silence s'est fait sur lui,
et ni M. Senlecq, ni d'autres personnes qui avaient eu des idées
analogues à la sienne n'ont mis le public à même
d'expérimenter un instrument achevéa).
sommaire
Nous arrivons maintenant au photophone de Graham
Bell.
Si le sélénium y est toujours mis à contribution
comme dans les appareils précédents, le but est
pourtant loin d'être le même. Bell n'a eu qu'un objectif:
construire un téléphone qui n'eût pas besoin
de conducteurs.
Le problème a déjà de quoi tenter,
et il parait qu'il est, dès à présent, résolu
d'une manière tout-à-fait satisfaisante.
Tous les savants qui avaient étudié
le sélénium, MM. Willoughby Smith, Sale, Draper,
Moss, Adams, Kosse, Day, Sabine, Siemens, s'étaient tous
servis du galvanomètre. Bell pensa à lui substituer
son téléphone.
Mais, ainsi qu'on le sait, ce téléphone ne peut
accuser que des variations de courant et non pas l'existence de
courants continus si puissants qu'ils soient. C'est seulement
lorsque le courant devient plus fort ou plus faible, que la membrane
de fer s'abaisse ou se relève et rond un son.
Si donc on veut constater la présence d'un courant dans
un circuit téléphonique, il faut interrompre ce
courant un grand nombre de fois pondant un temps très-court,
de manière à produire uno suite de courants intermittents.
Au lieu d'interruptions, do simples modifications dans l'intensité
du courant impressionnent aussi le récepteur, quoiqu'à
un moindre degré. Ajoutons que des courants, trop faibles
pour être révélés par le téléphone
lorsque le circuit est coupé et rétabli une seule
fois, deviennent perceptibles lorsque les ouvertures du circuit
se répètent fréquemment à court intervalle.
Afin de rendre sensibles les propriétés
du sélénium à l'aide de son appareil, Bell
disposa son expérience comme il suit: un crayon de sélénium
fut traversé par le courant continu d'une pile et placé
dans le circuit d'un téléphone articulant.
On faisait tomber sur le sélénium un rayon de lumière
éclipsé un grand nombre de fois dans l'espace d'une
seconde, autrement dit une série d'émissions lumineuses
successives et très-rapprochées. Chacune de ces
émissions causait une variation dans la résistance
du sélénium, et par suite, dans l'intensité
du couant dont le circuit était le
siège. Le téléphone qui se trouvait placé
dans ce circuit subissait donc des alternatives d'aimantation
correspondantes.
S'il se produit de la sorte 435 éclairs,
435 variations de courant s'ensuivront et la plaque du téléphone
récepteur exécutera 435 vibrations,
c'est-à-dire la note LA du diapason normal. Cette disposition
pourra donc servir à transmettre les sons musicaux. Il
reste à savoir si le timbre de ces sons peut aussi se transmettre
ou, ce qui revient an mémo, si la voix humaine peut être
ainsi perçue avec toutes ses finesses.
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Pour y parvenir, Bell dispose deux petites lames
voisines et parallèles L, L' percées de fentes étroites
F F absolument en regard l'une de l'autre, de manière qu'un
faisceau lumineux puisse les traverser librement.
L'une de ces lames L est solidaire d'un support fixe, tandis que
l'autre dépend d'une membrane téléphonique
mince M à laquelle elle est perpendiculaire.
Lorsqu'on parle contre une membrane, celle-ci vibre et entraîne
la lame dans tous ses mouvements. Mais alors les doux fentes cessent
d'être en regard et le faisceau lumineux se trouve éclipsé
à certains instants, en entier ou en partie.
En somme, ce faisceau subit constamment, dans son intensité,
des variations qui correspondent rigoureusement aux diverses amplitudes
des vibrations de la membrane. C'est ce que Bell appelle un rayon
de lumière ondulatoire. Voilà pour la station transinettrice.
A l'autre station, séparée do la
première par une distance quelconque, on a disposé
l'appareil récepteur qui se compose du sélénium,
de la pile et du téléphone articulant. Le rayon
ondulatoire dirigé sur le sélénium l'impressionne
à chaque instant en raison de son intensité. Il
s'ensuit des variations ondulatoires de la résistance du
métalloïde et des vibrations correspondantes dans
le téléphone.
En un mot, on entend par ce téléphone les paroles
prononcées vis-à-vis de la membrane de la première
station.
Début mars 1880 M. Bell cite une
expérience faite à la distance de 213 mètres.
Son aide M. Tainter se trouvait dans les combles de la
maison d'école de Franklin, à Washington,
et le système récepteur était place à
la fenêtre de son laboratoire, 1325 L street. Il raconte
avoir entendu distkictemement les paroles suivantes, en plaçant
le téléphone à son oreille:
« Mr. Bell, if you hear what I say,
corne to the window and wave your liât. »
(Monsieur Bell, si vous entendez ce que
je vous dis, venez à la fenêtre et agitez votre chapeau.)
En présence d'une relation aussi précise,
il n'y a plus qu'à s'incliner et croire, tout miraculeux
que puisse paraître le photophone.
Mais pour en arriver là, Bell a rencontré
un certain nombre de difficultés dont il a dû commencer
par triompher.
Lorsqu'il entreprit l'ordre de recherches qui
vient de le conduire à un si magnifique résultat,
il reconnut que le sélénium possédait une
résistance do beaucoup supérieure à celle
de ses téléphones, ce qui constituait un premier
obstacle à une bonne réussite. Il dut s'occuper
de réduire cotte résistance et de construire des
téléphones en rapport avec les conditions nouvelles
qui s'imposaient à lui.
Cette grande résistance provenait,
paraît-il, de deux causes distinctes : on premier lieu,
de la forme physique du sélénium, et, en second
lieu, do la nature du métal en contact direct avec lui.
Bell réussit à modifier quelque
peu la forme cristalline et put ainsi réduire la résistance
d'un même échantillon do 250 000 ohms à 300
ohms (dans l'obscurité). Au jour, la résistance
baissait encore à 155 ohms.
Ces premiers progrès lo mirent à même d'annoncer
à l'Institution royale do la Grande Bretagne, dans la séance
du 17 Mai 1878, qu'il était possible d'entendre l'ombre
et la lumière au moyen du sélénium !
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C'était en général de platine
qu'on se servait pour prendre contact sur le sélénium
afin de compléter le circuit. Bell reconnut qu'il est impossible
d'obtenir un bon contact dans ces conditions
et il a augmenté la conductibilité de ces points
d'attache en se servant de laiton. Il suppose qu'il s'exerce entre
le sélénium et le laiton une action chimique favorable
à l'intimité de leur contact. Il compare le sélénium
fondu à l'eau qui ne touche réellement bien que
les substances qu'elle mouille et non les substances grasses.
La préparation qui permet d'obtenir
le sélénium à l'état de conductibilité
convenable consiste à le soumettre à la chaleur
d'un four à gaz. On observe l'aspect de sa surface et il
arrive un moment où celle-ci se ternit comme par une buée
et qu'elle prend une apparence métallique et cristalline.
Alors on retire le sélénium du four et on le laisse
se refroidir au dehors. L'opération dure quelques minutes
on tout, et il n'est pas besoin, en réalité, d'opérer
le refroidissement avec lenteur, comme l'avaient recommandé
les précédents expérimentateurs.
Vu au microscope, le sélénium
obtenu de cette manière offre l'aspect de « flaques
de neige grisâtres sur un sol de rubis».
Si l'action de la chaleur avait été prolongée,
le microscope aurait montré comme une foule do cristaux
pris en masse, analogues aux basaltes.
Préparé ainsi, le sélénium
présente la conductibilité désirable. Mais
il est une autre condition non moins importante qu'il est nécessaire
de réaliser. Le sélénium ne doit pas seulement
être bon conducteur, il doit encore être sensible
aux influences les plus rapides, les plus courtes de la lumière
; car, s'il exigeait un temps appréciable, mesurable pour
mieux dire, pour modifier sa résistance sous l'action d'un
rayon lumineux, il aérait impuissant à traduire
toutes les nuances incessamment variables de ce dernier, et le
timbre au moins, si ce n'est la note elle-même, ne pourrait
en aucune façon se transmettre. L'impression lumineuse
est, sans nul doute, superficielle. Il faut donc tailler le sélénium
suivant des formes qui présentent une surface immense eu
égard à leur masse. C'est ce à quoi M. W.
Siemens avait déjà songé lorsqu'il préparait
pour ses expériences le sélénium en forme
de spirale plane trèsmince et très-resserrée.
Plus de cinquante appareils de genres différents
ont été expérimentés par Bell, à
seule fin de produire des variations d'intensité dans un
faisceau lumineux. Nous en passerons quelques-uns on revue.
Tout d'abord, on doit remarquer que la source
de lumière peut être directement influencée
de manière à augmenter on diminuer son intensité.
C'est ce qu'on pourrait faire, par exemple, en agissant sur le
robinet d'un conduit de gaz. On pourrait aussi agir sur un rayon
lumineux d'intensité constante à l'aide d'un écran
qui masquerait ou démasquerait la lumière en un
point quelconque do son parcours.
C'est ce dernier procédé qui a paru le plus commode.
Mais il donne lieu lui-même à
de nombroux dispositifs très-différents les uns
des autres.
La lumière pourrait encore être
polarisée, et, dans ce cas, on la modifierait par des influences
magnétiques ou électriques à la façon
de Faraday.
Une autro méthode consisterait à
faire passer la lumière à travers une lentille à
foyer variable comme colle du docteur Cusco.
Mais la meilleure disposition, parmi toutes
celles qui ont été essayées, consiste à
faire réfléchir le faisceau lumineux sur un miroir
plan et flexible tel qu'une feuille de mica argenté ou
de verre mince. On parle alors contre ce miroir et ce sont ses
propres vibrations qui modifient constamment la direction du rayon
réfléchi.
Quant à la source de lumière,
on s'est servi du soleil dont les rayons, concentrés à
l'aide d'une lentille sur le miroir, étaient rendus parallèles
par une autre lentille aussitôt après leur réflexion.
Mais les transmissions se produisent également lorsqu'on
emploie un foyer électrique et même une lampe à
gaz ou à pétrole.
A l'arrivée, les rayons étaient
reçus dans un réflecteur parabolique qui les obligeait
tous à concourir au même point, son foyer, où
se trouvait placé le fragment de sélénium
à impressionner. Comme précédemment, ce dernier
faisait partie du circuit d'une pile et d'un téléphone
ordinaire.
Bell a cherché à déterminer
la nature des radiations en jeu dans ces phénomènes
si remarquables II a, à cet effet, disposé ses expériences
d'une manière un peu différente de celle que nous
venons do décrire.
Les éclipses successives de lumière
étaient produites à l'aide d'un disque ordinaire
do phénakisticope, c'est-à-dire d'un disque percé
de fenêtres sur tout son pourtour et animé d'un mouvement
rapido de rotation. Les sons obtenus ainsi dans lo téléphone
récepteur avaient une intensité relativement considérable.
Si la vitesse de rotation était assez grande et uniformo,
on entendait une certaine note, toujours la mémo ; si la
vitesse augmentait, le son s'élevait, et si la vitesse
diminuait, le son s'abaissait. En plaçant la main sur lo
trajet de la lumière, aucun bruit n'était plus perçu.
Si la main obturait le faisceau lumineux à des intervalles
déterminés correspondant à une et deux secondes,
par exemple, on entendait des bruits brefs ou prolongés
comme ceux qui dans les parleurs télégraphiques
correspondent aux signaux de l'alphabet Morse.
Voilà, en passant, une ingénieuse application
du photophone à la télégraphie ordinaire.
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Les choses ainsi disposées, diverses substances
absorbantes furent placées sur le trajet du pinceau lumineux.
On reconnut de cotte façon qu'une solution d'alun ou de
sulfure de carbone n'affaiblit que dans une faible mesure l'intensité
des sons, tandis que du sulfure de carbone contenant de l'iode
en dissolution les arrête d'une manière
presque absolue. Les écrans opaques semblent devoir arrêter
également toute espèce de transmission ; cependant
M. Bell affirme qu'une feuille mince de caoutchouc placée
entre la source de lumière et le disque tournant n'empêche
pas complètement le phénomène sonore de se
produire, bien que l'on paraisse agir sur un faisceau obscur.
Il serait prématuré, sans de nouvelles et nombreuses
expériences, de se prononcer sur la nature de ces radiations
efficaces, quoique obscures ; mais il est difficile de mettre
en doute leur influence, puisque le photophone a fonctionné
malgré un écran composé de deux feuilles
de caoutchouc séparées l'une de l'autre par une
cuve d'alun en dissolution saturée.
Nous n'en avons pas fini avec les faits surprenants
que nous révèle M. Bell.
Si l'on fait tomber sur une feuille de caoutchouc lé rayon
de lumière rendu vibratoire, pour ainsi dire, par le disque
perforé, cette feuille de caoutchouc rend un son, comme
il est facile de s'en assurer on en approchant l'oreille.
Le sélénium taillé eii lame mince jouit encore
de la même propriété et non seulement
le sélénium mais encore l'or, l'argent, le
platine, le fer, l'acier, le laiton, le cuivre, le zinc, le plomb,
l'antimoine, le maillechort, les alliages de Jenlrin et de Bàbbitt,
l'ivoire, le celluloïde, la gùtta-percha, le papier,
le parchemin, le bois, le mica et le verre argenté ! !
Les seules substances absolument réfractaires ont été
le charbon et le verre mince, et pourtant. M. Bell pense qu'il
est là en présence d'une propriété
nouvelle et générale des corps. Il pense que toute
espèce de substance est capable de rendre un son sous l'action
d'une lumière scintillante. Il affirme avoir entendu des
sons suffisamment nets à travers des tubes de caoutchouc,
de laiton et de bois qui, d'abord éclairés par la
lumière du soleil, étaient tout à coup plongés
dans l'obscurité.
Vraiment, si l'on n'avait pas affaire à
Bell, à l'inventeur de ce téléphone auquel
personne ne croyait avant son apparition, on serait en droit de
refuser toute créance à la communication qu'il vient
de faire au congrès de Boston.
Le photophone prouve une fois de plus que toute
cause capable de modifier les propriétés électriques
des corps peut servir à réaliser un téléphone
articulant.
Ces modifications peuvent viser la force
électromotrico, alors aucune pile, aucune énergie
extérieure ne sera mise à contribution ;
c'est le cas du téléphone de Bell et le cas du téléphone
à mercure.
Elles peuvent viser la capacité des
corps, et, dans ce cas, aucune dépense d'énergie
extérieure ne serait nécessaire. Il n'existe pas
d'ailleurs de téléphone fondé sur les variations
de capacité, bien que des essais aient été
tentés dans ce sens par plusieurs physiciens.
Elles peuvent encore viser la résistance
des corps, alors il est indispensable d'introduire un courant
électrique, c'est-àdire une énergie extérieure
dans le système ; c'est le cas du microphone,
du téléphone d'Edison, et c'est le cas aussi du
photophone sujet de cette étude.
Mais si ces divers procédés rendent
possible la transmission ou la reproduction de la voix humaine,
c'est aussi grâce à la délicatesse prodigieuse
de notre ouïe. Aucune méthode connue d'amplification
n'a été capable de révéler physiquement
les déplacements vibratoires d'une membrane téléphonique
réceptrice, lorsque celle-ci servait à recueillir,
non une note musicale, mais la parole. Et cependant ces déplacements
existent. Cela prouve donc uniquement qu'ils sont d'une amplitude
extraordinairement petite. C'est justement là le secret
de la possibilité des téléphones. Pour des
variations si faibles, d'un jeu si peu étendu, l'élasticité
des lames métalliques, la pression de deux substances déjà
eii contact, la résistance électrique d'un conducteur,
la sensibilité à la lumière, etc., peuvent
être considérées, comme rigoureusement proportionnelles
aux causes qui les forcent à se modifier. En d'autres ternies,
les effets sont dans la plus complète dépendance
des causes.
Cela explique aussi pourquoi il est si difficile
d'augmenter la puissance des téléphones au delà
d'une certaine limite. Passé une certaine amplitude, la
dépendance en question n'existe plus, les appareils fonctionnent
mal.
sommaire
Quelles pourront être les applications
pratiques du photophone ?
Il est toujours dangereux de risquer des prophéties,
qu'elles soient optimistes ou pessimistes. Nous croyons pourtant
que le photophone ne détrônera pas le téléphone.
Sans doute il est éminemment commode de pouvoir transmettre
dos messages sans l'intermédiaire de conducteurs coûteux,
embarrassants et sujets à des accidents. Mais ces conducteurs
peuvent suivre des chemins détournés, tandis qu'un
rayon lumineux devra toujours être rectiligne. Il sera nécessaire,
pour correspondre par le photophone, de disposer les deux stations
de manière qu'aucun obstacle opaque, aucun mur, aucune
maison, aucune montagne ne les sépare, ne coupe la ligne
droite qui les réunit. On pourrait certainement se servir
de réflecteurs, de miroirs métalliques ou autres,
pour dévier le rayon, si cela est absolument indispensable
; mais ces réflexions absorberaient une notable part du
faisceau incident, et, lui enlevant la puissance, elles en réduiraient
la portée.
Et cependant serait-il absurde d'espérer
qu'on puisse arriver un jour à établir de véritables
relais photophoniques ? Non certainement au point de vue théorique.
Qui pourrait empêcher lo rayon lumineux d'impressionner
un récepteur de sélénium dont la membrane
agirait à son tour sur un rayon appartenant à une
nouvelle source locale de lumière, et ainsi de suite?
Nous ne voyons pas à priori d'objection scientifique au
fonctionnement de ces relais successifs, et leur réalisation,
si elle est jamais possible, permettra alors de mettre en correspondance
deux points quelconques sans les astreindre à se voir l'un
l'autre, suivant une ligne rigoureusement droite.
Mais les expériences manquent à
cet égard. Bell n'en parle pas, et c'est une simple espérance,
un peu téméraire, que nous nous risquons à
formuler.
En dehors des applications publiques ou privées,
il resterait encore bien des cas où cet appareil serait
capable de rendre de réels services. Nos lecteurs se rappelleront
sans doute les travaux géodésiques accomplis par
le colonel Perrier et le général Ibanez, pour relier,
par des triangulations directes, l'Espagne à l'Algérie.
Les feux électriques de la Sierra-Nevada
et des montagnes africaines étaient réciproquement
visibles pour ces deux stations. Eh bien, n'aurait-on pas pu utiliser
ces mêmes feux pour se parler d'Espagne en Algérie
au moyen du photophone ?
Le téléphone avait déjà
paru faire mentir les lois do la physique qui assignent une durée
notable à la propagation des sons.
Le photophone semble mettre en défaut
un autre dogme scientifique beaucoup plus absolu. On enseigne,
en effet, que les sons ne se propagent pas dans le vide éthéré.
Mais, puisque la lumière se transmet dans le vide aussi
bien et même mieux qu'elle ne se transmet à travers
l'atmosphère, est-il possible de dire plus longtemps que
la parole ne se propage pas dans le vide ?
sommaire
Depuis la publication de cet article, le Professeur
Bell est venu lui-même en Europe et M. Antoine Bréguet
ayant pu l'assister dans quelques-unes de ses expériences
a, sous le titre « Les appareils photophoniques de MM. Bell
et Tainter », complété et précisé
par un nouvel article inséré dans la Revue scientifique
du 9 Octobre, la description des procédés employés
par l'inventeur et par son collaborateur M. Tainter, ainsi que
le compte-rendu des résultats obtenus.
D'après la disposition la plus employée
et celle qui donne les meilleurs résultats pour la transmission
des sons et de la parole à de plus grandes distances, les
rayons parallèles provenant de la source lumineuse, le
soleil, par exemple, sont réfléchis par un miroir
et concentrés ensuite, à l'aide d'une lentille,
en un foyer placé à une petite distance du tube
téléphonique transmetteur de façon à
ce que l'irradiation des rayons partant du foyer soit recueillie
sur une feuille mince de verre ou de métal formant miroir
(d'une épaisseur d'un dixième de millimètre)
et qui obture le tube téléphonique à l'embouchure
duquel on parle. Réfléchis de nouveau par ce second
miroir, les rayons sont reçus par une seconde lentille
qui les rend parallèles et les conduit à un grand
réflecteur parabolique situé au point de réception
et au foyer duquel est placé le récepteur de sélénium.
Dans le circuit de ce récepteur sont intercalés
une pile et un téléphone.
Ceci posé, on saisira facilement la marche
de l'appareil. sous l'influence de la parole, c'est-à-dire
des vibrations de l'air du tube transmetteur,
le miroir mince qui en obture l'orifice se bombe ou se creuse,
devient convexe ou concave et, par conséquent, les rayons
lumineux qu'il reçoit s'épanouiront ou se concentreront.
L'intensité lumineuse qu'il projettera à distance
sur le réflecteur parabolique changera à chaque
vibration et le récepteur de sélénium, à
son tour, subira des variations incessantes dans sa résistance,
variations correspondant à celles de la pression de l'air
dans le tube transmetteur, ce qui revient à dire que la
parole sera transmise.
M M. Bell et Tainter ont imaginé deux formes
pour le récepteur de sélénium : celle d'un
disque pressé entre deux plaques de cuivre, pour le cas
où les rayons reçus par le réflecteur parabolique
sont bien parallèles, ou, comme cette condition est difficile
à obtenir au delà de certaines distances, celle
d'un cylindre où le sélénium remplit les
cavités comprises entre des piles de disques de cuivre
et de mica. Sous l'une et l'autre forme, les dispositions sont
très-ingénieusement combinées pour satisfaire
à ces deux conditions presque contradictoires que le sélénium
offre à la lumière une surface aussi grande que
possible et cependant qu'il ne présente qu'une trèsfaible
résistance au passage du courant.
Tout en nous référant pour plus
de détails sur le dispositif des expériences et
des appareils au second article de M. Bréguet et aux figures
qu'il contient, nous lui emprunterons pour terminer quelques observations
qui ne sont pas sans intérêt sur les phénomènes
accessoires que ces expériences ont donné lieu de
constater.
Dans le cours de ses recherches, M. Bell a été
amené à découvrir, comme on passant, bien
dos faits dont on n'avait pas la plus petite notion avant lui.
Nous en avons énuméré un certain nombre dans
le premier article que nous avons consacré au photophone;
mais nous devons revenir sur quelques-uns d'entre eux, notamment
sur ceux dont M. Bell vient do nous rendre témoins.
On se rappelle que M. Bell avait vérifié
qu'une foule de substances recevant directement de la lumière
vibratoire rendaient un son, et il avait cité comme seules
exceptions le charbon et le verro mince. Aujourd'hui, ces derniers
corps essayés avec plus de soins n'ont pas été
différents des autres ; il est donc très-probable
que M. Bell a découvert là une propriété
absolument générale et dont les conséquences
peuvent être considérables au point de vue do la
constitution de la matière.
En réalité, M. Bell n'a pas réussi
à faire parler toutes ces substances, mais seulement à
les faire chanter, autrement dit, M. Bell
a démontré que c'était bien la lumière
et non la chaleur qui agissait ici, en vérifiant qu'une
cuve d'alun placée sur le trajet des rayons n'empêchait
pas le phénomène sonore de se produire, tandis qu'une
dissolution d'iode supprimait toute espèce de sons. les
sons se trouvent reproduits indépendamment de leur timbre
; mais il ne serait pas possible d'affirmer que l'articulation
ne pourra jamais s'obtenir dans ces conditions. C'est une nouvelle
voie à explorer, et nous serions bien surpris si elle ne
tenait pas lès promesses qu'elle semble promettre aux chercheurs.
Le sélénium présentant de
grandes analogies avec le soufré et lé tellure,
il était naturel de chercher si ces deux corps jouissaient
aussi de la faculté d'être sensibles à l'action
de la lumière, et si leur résistance électrique
subissait des modifica-, fions correspondantes. Pour lé
tellure, la question fut tranchée immédiatement,
puisqu'on savait qu'il était, dans toutes les circonstances,
bon conducteur de l'électricité.
Mais le soufre est généralement
connu comme isolant. G. Knox avait bien annoncé, en 1839,
que le phosphore, le soufre et l'iode conduisent.l'électricité
lorsqu'ils sont rendus fluides à l'aide de la chaleur ;
mais Faraday avait discrédité cette affirmation
une année après, en ce qui concerne le soufre et
le phosphore, si bien que personne ne se préoccupa plus
de ce qu'avait dit Knox.
Mi Bell, dans ses patientes et longues recherches
sur la meilleure forme allotropique à donner au sélénium,
eut l'idée de reprendre l'expérience de Knox. Il
parvint à donner au soufre une forme telle qu'il le trouva,
même à l'état solide, sensible à l'influence
de la lumière. Il ne se laissa pas distraire de la vraie
direction qu'il s'était imposée'pour parvenir à
réaliser son merveilleux photophone, et il s'est réservé
de revenir plus tard à une étude approfondie du
soufre afin de voir s'il ne pourrait pas être substitué
au sélénium dans la photojriionie.
Ce même esprit de méthode qui lui
avait servi à ne pas sortir du chemin qu'il s'était
tracé, quelque résultat qui pût le le frapper
en route, a empêché aussi M. Bell de faire l'essai
de différentes lumières artificelles pour son photojmone.
A notre grand étonnement, il n'avait pas même tenté
d'y appliquer la lumière électrique avant son arrivée
à Paris.
A vrai dire, le soleil de Washington, plus brillant
que le nôtre en toute saison et surtout au mois d'Octobre,
suffisait grandement à réaliser toutes les expériences
possibles sur la sensibilité du sélénium.
Mais à Paris, le soleil faisait souvent défaut ces
derniers jours et il nous a fallu, de gré ou de force,
employer la lumière de l'arc voltaïque.
Les résultats obtenus ont été, comme on pouvait
s'y attendre, des plus satisfaisants, et nous espérons
d'ici peu, grâce à ce soleil artificiel, rendre le
monde scientifique témoin des belles expériences
du professeur Graham Bell.
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