Le photophone de Bell.

Dans la revue "L'Année scientifique et industrielle" : ou Exposé annuel des travaux scientifiques, des inventions et des principales applications de la science à l'industrie et aux arts, qui ont attiré l'attention publique en France et à l'étranger, par Louis Figuier, on y lisait :

M. Graham Bell a justifié avec éclat la haute récompense que la France lui a accordée, en 1880, en lui décernant le prix Volta.
C'est, en effet, peu après la proclamation du prix décerné à M. Graham Bell que le physicien américain a fait connaître sa prodigieuse découverte du photophone.
Nous disons sa prodigieuse découverte. Il est impossible, en effet, de concevoir une plus brillante, une plus étonnante création que celle dont M. Graham Bell a enrichi la science en 1880. M. Graham Bell a fait parler la lumière.
Ces mots suffisent pour faire apprécier l'immense originalité, et en même temps la portée extraordinaire de cette découverte.
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Dans les expériences qui ont été faites à Paris, à la fin du mois.d'octobre 1880, dans les ateliers de M. Bréguet, les rayons du foyer électrique étaient reçus sur un réflecteur parabolique, qui les condensait tous en un même point : le foyer de ce miroir. C'est à ce foyer que se trouvait le fragment de sélénium à impressionner. Ce dernier faisait, comme précédemment, partie du circuit d'une pile et d'un téléphone ordinaire.
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suit une brève description du système et ci dessous l'exposé de A Bréguet .
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Le dispositif permettait la transmission du son sur un faisceau lumineux. Bell croyait que le photophone était son invention la plus importante « la plus grande invention que j'aie jamais faite, plus grande que le téléphone ». L'idée du photophone était donc de moduler un faisceau lumineux : l'éclairement variable résultant du récepteur induirait une résistance variable correspondante dans les cellules au sélénium, qui étaient ensuite utilisées par un téléphone pour régénérer les sons captés au niveau du récepteur. La résistance électrique du sélénium cristallin varie inversement avec l'éclairage qui lui tombe dessus, c'est-à-dire que sa résistance est plus élevée lorsqu'il est dans l'obscurité et plus faible lorsqu'il est exposé à la lumière.

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235 496 du 14 dec 1880 Alexander Graham Bell; Sumner Tainter

La Nature de 1880 y consacre aussi un article sur le Photophone ...et c'est dans le Journal Télégraphique de 1886 que la publication de A Bréguet sera la meilleure
.

1886 le "Journal Télégraphique "

Transmettre électriquement le son et la parole sans autre conducteur que des rayons de lumière, tel est le merveilleux problème dont M. le Professeur Bell a donné récemment la solution à l'Association américaine pour l'avancement des sciences.
Parmi les nombreux articles que cette intéressante communication a provoqués dans les journaux spéciaux, celui que M. Antoine Bréguet a publié dans la Revue scientifique du 25 Septembre dernier nous paraît donner une des descriptions les plus claires et les plus complètes du principe et des procédés imaginés par M. Bell. Nous le reproduisons ici avec l'autorisation de l'auteur.

Alexander GraJiam Bell, le célèbre inventeur du premier téléphone articulant, a fait, il y a peu de temps, au dernier meeting de l'Association américaine, une communication du plus haut intérêt. Sa découverte consiste dans un instrument appelé par lui Photophone, parce qu'il sert à transmettre les sons par l'intermédiaire d'un rayon lumineux. Tandis que le téléphone ordinaire nécessite des conducteurs métalliques pour joindre entre elles les deux stations en correspondance, le Photophone récepteur est tout-à-fait indépendant de son transmetteur.
Il suffit qu'un faisceau de lumière puisse traverser l'espace d'un poste à l'autre sans rencontrer aucun obstacle opaque.
Encore verrons-nous que cette condition n'est pas rigoureusement absolue, et que certaines natures d'écran n'empêchent pas toujours les communications verbales de s'établir.

Le principe sur lequel est fondé le photophone est déjà connu depuis plusieurs années.

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C'est à M. Willoughby Smith que revient l'honneur de l'avoir découvert. Le 12 Février 1873, ce physicien annonçait à la Société des ingénieurs télégraphistes de Londres que le sélénium présente une résistance bien plus faible au passage du courant électrique, lorsqu'il est exposé à la lumière, que s'il se trouve dans l'obscurité. De là à imaginer un appareil téléphonique mettant à profit ce singulier phénomène, il n'y avait pas loin, et, en réalité, la pensée en vint à plusieurs personnes presque simultanément. Nous citerons entre autres M. Adriano Paiva, professeur à l'Académie de Porto ; M. Senlecq, d'Ardres, etc.

Mais, avant d'examiner avec quelque détail les projets, plus ou moins heureux, de ces divers savants, il n'est pas sans intérêt do reprendre la question do plus haut et de faire ici une histoire sommaire du sélénium.

C'est en 1817 que Berzélius et Gottlieb Gahn découvrirent ce métalloïde, à Gripsholm, en cherchant à préparer de l'acide sulfurique au moyen des pyrites de fer. Ils constatèrent, dans l'acide obtenu, la présence d'une substance d'un rouge tirant sur le brun clair qui, soumise à la flamme du chalumeau, dégageait une odeur .analogue à celle du tellure. Berzélius crut pendant quelque temps qu'il pourrait, par ce procédé, isoler ce dernier corps ; mais il n'y parvint pas. Il prépara alors une plus grande quantité du nouveau produit et put en extraire des sulfures de mercure, de cuivre, de zinc, de fer, d'arsenic et de plomb, mais jamais aucune trace de tellure. Il no se rebuta point et acquit enfin la conviction qu'il était en présence d'un nouveau corps simple qui offrait avec le tellure de grandes analogies comme propriétés chimiques. Pour marquer cette parenté, il appela le corps qu'il venait de préparer, sélénium le mot tellure venant lui-même de tellus, terre.

Bien que, à beaucoup d'égards, le sélénium et le tellure aient souvent le même rôle, chimiquement parlant, ces deux métalloïdes offrent une grande dissemblance si l'on examine leurs propriétés électriques. Le tellure est un excellent conducteur de l'électricité ; le sélénium est, comme Berzélius l'avait montré, une substance isolante.

Knox remarque pourtant, en 1837, que le sélénium devient conducteur lorsqu'il est fondu à l'aide de la chaleur. Hittorff, en 1852, montre que, même à des températures ordinaires, son pouvoir conducteur devient appréciable s'il se trouve sous une de ses formes allotropiques. Quand il est brusquement refroidi à partir de son point de fusion, il est isolant; alors la forme qu'il affecte est la forme vitrée, amorphe ; sa couleur est brun foncé, noire à la lumière réfléchie, et sa surface est extrêmement brillante. En lames minces, il est transparent et parait, à la lumière transmise, d'un magnifique rouge de rubis.

Lorsque le sélénium est refroidi, au contraire, avec ménagement, ses caractères physiques sont tout autres. Sa couleur rappelle colle du plomb, sa structure est cristalline et ressemble à celle d'un métal. C'est sous cette forme que Hittorff l'a trouvé conducteur de l'électricité aux températures ordinaires. Il trouva aussi que sa résistance électrique subissait une décroissance continue lorsqu'on le chauffait jusqu'à la fusion, et que cette résistance s'accroissait brusquement au passage de l'état solide à l'état liquide. On savait déjà que le sélénium, exposé aux rayons du soleil, passe de l'une de ses formes allotropiques à l'autre, — et cette observation présente quelque importance pour ce qui nous reste à dire.
Le sélénium était déjà connu depuis soixante ans environ ot n'avait pu trouver à s'utiliser à aucun titre dans les arts. C'était une simple curiosité chimique. On le préparait en crayons cylindriques, la plupart du temps à l'état amorphe, c'est-à-dire la forme sous laquelle il ost isolant.
M. Willoughby Smith crut que, en raison de sa grande résistance, cette substance pourrait lui rendre service dans un mode d'épreuve des câbles sous-marins qu'il avait imaginé. Ses expériences lui montrèrent qu'en effet cette résistance était considérable. Quelques crayons de sélénium accusaient une résis
tance do 1400 megomis. —C'était l'équivalent d'une ligne télégraphique de fil de fer de 4 millimètres de diamètre qui unirait la terre au soleil ! — Mais il fut reconnu que cette résistance était singulièrement variable, et. on voulut trouver la cause de cette bizarrerie. Ce fut alors que M May, préparateur ¦de M- Willoughby Smith, découvrit que le sélénium était plus conducteur à la lumière que dans l'obscurité.

Afin de s'assurer que c'était bien un effet de la. lumière et que la température ne jouait aucun rôle dans ce phénomène, le sélénium fut entouré d'eau et les rayons lumineux ne l'at'teignaient qu'après avoir traversé plusieurs centimètres de liquide. Même dans ces conditions, la simple approche d'une bougie allumée produisait une déviation relativement considérable de l'aiguille d'iin galvanomètre dont le circuit Comprenait une pile et la barre de sélénium. La lumière du magnésium eii combustion réduisait la résistance totale à la moitié de sa valeur. .

Au premier abord, ces résultats si inattendus rencontrèrent dans le monde savant, sinon de l'incrédulité, au moins quelque peu de scepticisme. Mais ils ne tardèrent pas à être confirmés par les travaux du lieutenant Sale, de Draper, de Môss et de plusieurs autres physiciens.

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M. Sale soumit le sélénium aux différentes radiations spectrales et observa que l'effet maximum se produisait au maximum de température. Mais M. Adams du King's Collège reconnut au contraire que le maximum a lieu en pleine lumière, c'est-à-dire en pleine radiation jaune verdâtre.

Lord Eosse, voulant élucider la question, plaça une barre de sélénium et une pile thermo-électrique dans des conditions identiques, afin de voir si la chaleur les influencerait de la même manière. Il les soumit à l'action de la chaleur obscure émanant de corps échauffés ; il interposa, entre ia source lumineuse et le sélénium, une cuve d'alun qui devait arrêter au passage les rayons calorifiques. Dans le premier cas, le galvanomètre montrait que la pile seule était influencée; dans le second cas, c'était au contraire le sélénium. La question était tranchée. M. Adams constata, en outre, que la lumière froide de la lune impressionnait le sélénium, et M. Wemer Siemens découvrit même que certaines espèces particulières subissaient quelquefois des effets opposés de la part de la lumière et de la chaleur. Le même électricien put préparer un échantillon de sélénium dont la résistance variait de 15 à 1 lorsqu'il le faisait passer de l'obscurité à une vive lumière.

M. Werner Siemens eut l'idée de profiter de cette propriété pour réaliser un photomètre d'un nouveau genre et d'une trèsgrande sensibilité.
Le jeu en est aisé à comprendre. Un courant constant traversait, d'une manière continue, à la fois une tige de sélénium et un galvanomètre. Lorsque la lumière tombait sur le sélénium, sa résistance diminuait et, par suite, l'intensité du courant augmentait. L'aiguille du galvanomètre était alors déviée, et l'on conçoit qu'il soit possible de graduer empiriquement un tel instrument afin de savoir qu'une déviation
de tant de degrés représente une lumière de tant de becs Carcel. M. Siemens construisit encore un oeil artificiel dont les paupières s'abaissaient à la lumière et s'ouvraient dans l'obscurité et dont on peut trouver la description dans la Revue scientifique du 2 Septembre 1876.

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Les applications Commençaient.

De plusieurs côtes, on Imaginait à la fois des dispositions qui n'étaient, il faut l'avouer, que rarement mises à exécution, pour résoudre un autre problème des plus attrayants. Il s'agissait de faire pour la vue ce que le téléphone avait fait pour le son. Il fallait trouver le moyen de voir électriquement de Paris ce qui se passe au même moment aux antipodes !
Les gens confiants dans l'électricité — et il n'en manque pas, — se mirent à la besogne et se torturèrent l'esprit pour arrivera découvrir la solution si désirée:
Il serait certainement malaisé de démontrer qu'un tel problème est insoluble, et, à vrai dire, il n'est pas probable qu'il le soit. Mais il est difficile, à n'en pas douter, et les solutions ne furent pas trouvées.
Ces recherches donnèrent lieu pourtant à d'ingénieuses idées, qui méritent d'être mentionnées. M. Adriano de Paiva fut le premier peut-être à songer à une application de cette nature. Un journal américain avait annoncé l'apparition d'un certain Télectroscope fondé, comme le téléphone, sur la transmission électrique.
II se compose, dit l'article eu question, de deux chambres, placées l'une au point de départ, l'autre au point d'arrivée. Ces chambres sont reliées entre elles par. des fils métalliques convenablement (!) combinés. La paroi antérieure et interne de la chambre de départ est hérissée de fils imperceptibles dont l'extrémité apparente forme, parleur réunion, une surface plane. Si l'on place devant cotte surface un objet quelconque, et si les vibrations lumineuses, répondant aux détails des formes et des couleurs de cet objet, sont saisies par chacun des fils conducteurs et transmises à un courant électrique, elles se reproduisent identiquement à l'extrémité de ces fils.

Cette note, évidemment, ne signifiait pas grand'chose, sinon que le germe d'une idée nouvelle était dans l'air. Il est aisé de décrire des appareils en parlant de conducteurs convenablement combinés, et notre conviction est que cette soi-disant invention n'a jamais reçu le moindre commencement d'exécution. Néanmoins M. A. de Paiva, y mettant du sien, la rendit un peu moins irréalisable en lui donnant un point d'appui scientifique, tiré justement des propriétés du sélénium. Une plaque de sélénium formait la plaque sensible. .
Ce corps ( La Télescopie électrique basée sur l'emploi du sélénium) par A. de Paiva ), dit l'autenr, jouit d'une propriété récemment découverte. Interposé dans le circuit d'un galvanomètre et d'une pile, il fait dévier l'aiguille d'une manière notable, toutes les fois qu'un faisceau lumineux vient tomber sur lui. Ces déviations sont d'ailleurs différentes sous l'influence des diverses radiations du spectre, comme le montrent les nombres suivants Couleurs. Déviations :
Ultra-violet 139
Violet 148
Bleu 158
Jaune 178
Bouge 188
Ultra-rouge 180
Evidemment, l'appareil de M. de Paiva présentait d'immenses difficultés d'exécution, peut-être insurmontables dans l'état actuel de la science ; mais enfin l'idée première pouvait se défendre.

M. Senlecq, d'Ardres, avait songé à un Télectroscope moins ambitieux, puisqu'il n'aurait transmis au loin que des dessins exécutés à la main, en quelque sorte, et non, directement, des panoramas naturels. Mais, par contre, l'invention semblera plus réalisable. On va en juger.
Cet appareil serait basé sur cette propriété quo posséderait le sélénium d'offrir une résistance électrique variable et très-sensible selon les différentes gradations de lumière.
L'appareil consisterait dans une chambre noire ordinaire contenant au foyer une glace dépolie et un système de transmission de télégraphe autographique quelconque. La pointe traçante du transmetteur destinée à parcourir la surface de la glace dépolie serait formée d'un morceau de sélénium maintenu par doux ressorts faisant pince, communiquant l'un avec la pile, l'antre avec la ligne. La pointe do sélénium fermerait le circuit. En glissant sur les surfaces plus ou moins éclairées de la glace dépolie, cette pointe communiquerait, à des degrés différents et avec une grande sensibilité, les vibrations de la lumière.
Le récepteur aurait également une pointe traçante en plombagine ou en crayon très-tendre, reliée à une plaque trèsmince de fer doux maintenue à peu près comme dans les téléphones Bell, et vibrant devant un électro-aimant gouverné par le courant irrégulier émis dans la ligne. Ce crayon, appuyant sur une feuille de papier disposéo do manière à recevoir l'impression de l'image produite dans la chambre noire, traduirait les vibrations de la plaque métallique par une pression plus ou moins accentuée sur cette feuille de papier.
La pointe traçante en sélénium parcourrait-elle une surface éclairée, le courant augmenterait d'intensité, l'électroaimant du récepteur attirerait à lui avec plus de force la plaque vibrante, et le crayon exercerait moins de pression sur le papier. Le trait, alors formé, serait peu ou point apparent. Le contraire se produirait si la surface était obscure, car la résistance du courant augmentant, l'attraction de l'aimant diminuerait le crayon, pressant davantage le papier, y laisserait un trait plus noir.
Cette description ne laisse-t-elle pas, en effet, peu de chose à désirer au point de vue scientifique ?
Ce télectroscope ne paraît pas aujourd'hui plus prodigieux que ne paraissait le téléphone de Bell, lorsqu'il ne nous était encore connu que par les premières descriptions.
Il n'a pas tenu cependant les promesses que son inventeur en attendait. Le silence s'est fait sur lui, et ni M. Senlecq, ni d'autres personnes qui avaient eu des idées analogues à la sienne n'ont mis le public à même d'expérimenter un instrument achevéa).

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Nous arrivons maintenant au photophone de Graham Bell.

Si le sélénium y est toujours mis à contribution comme dans les appareils précédents, le but est pourtant loin d'être le même. Bell n'a eu qu'un objectif: construire un téléphone qui n'eût pas besoin de conducteurs.
Le problème a déjà de quoi tenter, — et il parait qu'il est, dès à présent, résolu d'une manière tout-à-fait satisfaisante.

Tous les savants qui avaient étudié le sélénium, MM. Willoughby Smith, Sale, Draper, Moss, Adams, Kosse, Day, Sabine, Siemens, s'étaient tous servis du galvanomètre. Bell pensa à lui substituer son téléphone.
Mais, ainsi qu'on le sait, ce téléphone ne peut accuser que des variations de courant et non pas l'existence de courants continus si puissants qu'ils soient. C'est seulement lorsque le courant devient plus fort ou plus faible, que la membrane de fer s'abaisse ou se relève et rond un son.
Si donc on veut constater la présence d'un courant dans un circuit téléphonique, il faut interrompre ce courant un grand nombre de fois pondant un temps très-court, de manière à produire uno suite de courants intermittents. Au lieu d'interruptions, do simples modifications dans l'intensité du courant impressionnent aussi le récepteur, quoiqu'à un moindre degré. Ajoutons que des courants, trop faibles pour être révélés par le téléphone lorsque le circuit est coupé et rétabli une seule fois, deviennent perceptibles lorsque les ouvertures du circuit se répètent fréquemment à court intervalle.

Afin de rendre sensibles les propriétés du sélénium à l'aide de son appareil, Bell disposa son expérience comme il suit: un crayon de sélénium fut traversé par le courant continu d'une pile et placé dans le circuit d'un téléphone articulant.
On faisait tomber sur le sélénium un rayon de lumière éclipsé un grand nombre de fois dans l'espace d'une seconde, autrement dit une série d'émissions lumineuses successives et très-rapprochées. Chacune de ces émissions causait une variation dans la résistance du sélénium, et par suite, dans l'intensité du cou
ant dont le circuit était le siège. Le téléphone qui se trouvait placé dans ce circuit subissait donc des alternatives d'aimantation correspondantes.

S'il se produit de la sorte 435 éclairs, 435 variations de courant s'ensuivront et la plaque du téléphone récepteur exécutera 435 vibrations, c'est-à-dire la note LA du diapason normal. Cette disposition pourra donc servir à transmettre les sons musicaux. Il reste à savoir si le timbre de ces sons peut aussi se transmettre ou, ce qui revient an mémo, si la voix humaine peut être ainsi perçue avec toutes ses finesses.

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Pour y parvenir, Bell dispose deux petites lames voisines et parallèles L, L' percées de fentes étroites F F absolument en regard l'une de l'autre, de manière qu'un faisceau lumineux puisse les traverser librement.
L'une de ces lames L est solidaire d'un support fixe, tandis que l'autre dépend d'une membrane téléphonique mince M à laquelle elle est perpendiculaire.
Lorsqu'on parle contre une membrane, celle-ci vibre et entraîne la lame dans tous ses mouvements. Mais alors les doux fentes cessent d'être en regard et le faisceau lumineux se trouve éclipsé à certains instants, en entier ou en partie.
En somme, ce faisceau subit constamment, dans son intensité, des variations qui correspondent rigoureusement aux diverses amplitudes des vibrations de la membrane. C'est ce que Bell appelle un rayon de lumière ondulatoire. Voilà pour la station transinettrice.

A l'autre station, séparée do la première par une distance quelconque, on a disposé l'appareil récepteur qui se compose du sélénium, de la pile et du téléphone articulant. Le rayon ondulatoire dirigé sur le sélénium l'impressionne à chaque instant en raison de son intensité. Il s'ensuit des variations ondulatoires de la résistance du métalloïde et des vibrations correspondantes dans le téléphone.
En un mot, on entend par ce téléphone les paroles prononcées vis-à-vis de la membrane de la première station.

Début mars 1880 M. Bell cite une expérience faite à la distance de 213 mètres.
Son aide M. Tainter se trouvait dans les combles de la maison d'école de Franklin, à Washington, et le système récepteur était place à la fenêtre de son laboratoire, 1325 L street. Il raconte avoir entendu distkictemement les paroles suivantes, en plaçant le téléphone à son oreille:
« Mr. Bell, if you hear what I say, corne to the window and wave your liât. »
(Monsieur Bell, si vous entendez ce que je vous dis, venez à la fenêtre et agitez votre chapeau.)

En présence d'une relation aussi précise, il n'y a plus qu'à s'incliner et croire, tout miraculeux que puisse paraître le photophone.
Mais pour en arriver là, Bell a rencontré un certain nombre de difficultés dont il a dû commencer par triompher.

Lorsqu'il entreprit l'ordre de recherches qui vient de le conduire à un si magnifique résultat, il reconnut que le sélénium possédait une résistance do beaucoup supérieure à celle de ses téléphones, ce qui constituait un premier obstacle à une bonne réussite. Il dut s'occuper de réduire cotte résistance et de construire des téléphones en rapport avec les conditions nouvelles qui s'imposaient à lui.
Cette grande résistance provenait, paraît-il, de deux causes distinctes : on premier lieu, de la forme physique du sélénium, et, en second lieu, do la nature du métal en contact direct avec lui.
Bell réussit à modifier quelque peu la forme cristalline et put ainsi réduire la résistance d'un même échantillon do 250 000 ohms à 300 ohms (dans l'obscurité). Au jour, la résistance baissait encore à 155 ohms.
Ces premiers progrès lo mirent à même d'annoncer à l'Institution royale do la Grande Bretagne, dans la séance du 17 Mai 1878, qu'il était possible d'entendre l'ombre et la lumière au moyen du sélénium !

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C'était en général de platine qu'on se servait pour prendre contact sur le sélénium afin de compléter le circuit. Bell reconnut qu'il est impossible d'obtenir un bon contact dans ces conditions et il a augmenté la conductibilité de ces points d'attache en se servant de laiton. Il suppose qu'il s'exerce entre le sélénium et le laiton une action chimique favorable à l'intimité de leur contact. Il compare le sélénium fondu à l'eau qui ne touche réellement bien que les substances qu'elle mouille et non les substances grasses.
La préparation qui permet d'obtenir le sélénium à l'état de conductibilité convenable consiste à le soumettre à la chaleur d'un four à gaz. On observe l'aspect de sa surface et il arrive un moment où celle-ci se ternit comme par une buée et qu'elle prend une apparence métallique et cristalline. Alors on retire le sélénium du four et on le laisse se refroidir au dehors. L'opération dure quelques minutes on tout, et il n'est pas besoin, en réalité, d'opérer le refroidissement avec lenteur, comme l'avaient recommandé les précédents expérimentateurs.
Vu au microscope, le sélénium obtenu de cette manière offre l'aspect de « flaques de neige grisâtres sur un sol de rubis».
Si l'action de la chaleur avait été prolongée, le microscope aurait montré comme une foule do cristaux pris en masse, analogues aux basaltes.

Préparé ainsi, le sélénium présente la conductibilité désirable. Mais il est une autre condition non moins importante qu'il est nécessaire de réaliser. Le sélénium ne doit pas seulement être bon conducteur, il doit encore être sensible aux influences les plus rapides, les plus courtes de la lumière ; car, s'il exigeait un temps appréciable, mesurable pour mieux dire, pour modifier sa résistance sous l'action d'un rayon lumineux, il aérait impuissant à traduire toutes les nuances incessamment variables de ce dernier, et le timbre au moins, si ce n'est la note elle-même, ne pourrait en aucune façon se transmettre. L'impression lumineuse est, sans nul doute, superficielle. Il faut donc tailler le sélénium suivant des formes qui présentent une surface immense eu égard à leur masse. C'est ce à quoi M. W. Siemens avait déjà songé lorsqu'il préparait pour ses expériences le sélénium en forme de spirale plane trèsmince et très-resserrée.
Plus de cinquante appareils de genres différents ont été expérimentés par Bell, à seule fin de produire des variations d'intensité dans un faisceau lumineux. Nous en passerons quelques-uns on revue.

Tout d'abord, on doit remarquer que la source de lumière peut être directement influencée de manière à augmenter on diminuer son intensité.
C'est ce qu'on pourrait faire, par exemple, en agissant sur le robinet d'un conduit de gaz. On pourrait aussi agir sur un rayon lumineux d'intensité constante à l'aide d'un écran qui masquerait ou démasquerait la lumière en un point quelconque do son parcours.
C'est ce dernier procédé qui a paru le plus commode. Mais il donne lieu
lui-même à de nombroux dispositifs très-différents les uns des autres.
La lumière pourrait encore être polarisée, et, dans ce cas, on la modifierait par des influences magnétiques ou électriques à la façon de Faraday.
Une autro méthode consisterait à faire passer la lumière à travers une lentille à foyer variable comme colle du docteur Cusco.
Mais la meilleure disposition, parmi toutes celles qui ont été essayées, consiste à faire réfléchir le faisceau lumineux sur un miroir plan et flexible tel qu'une feuille de mica argenté ou de verre mince. On parle alors contre ce miroir et ce sont ses propres vibrations qui modifient constamment la direction du rayon réfléchi.
Quant à la source de lumière, on s'est servi du soleil dont les rayons, concentrés à l'aide d'une lentille sur le miroir, étaient rendus parallèles par une autre lentille aussitôt après leur réflexion. Mais les transmissions se produisent également lorsqu'on emploie un foyer électrique et même une lampe à gaz ou à pétrole.
A l'arrivée, les rayons étaient reçus dans un réflecteur parabolique qui les obligeait tous à concourir au même point, son foyer, où se trouvait placé le fragment de sélénium à impressionner. Comme précédemment, ce dernier faisait partie du circuit d'une pile et d'un téléphone ordinaire.

Bell a cherché à déterminer la nature des radiations en jeu dans ces phénomènes si remarquables II a, à cet effet, disposé ses expériences d'une manière un peu différente de celle que nous venons do décrire.

Les éclipses successives de lumière étaient produites à l'aide d'un disque ordinaire do phénakisticope, c'est-à-dire d'un disque percé de fenêtres sur tout son pourtour et animé d'un mouvement rapido de rotation. Les sons obtenus ainsi dans lo téléphone récepteur avaient une intensité relativement considérable. Si la vitesse de rotation était assez grande et uniformo, on entendait une certaine note, toujours la mémo ; si la vitesse augmentait, le son s'élevait, et si la vitesse diminuait, le son s'abaissait. En plaçant la main sur lo trajet de la lumière, aucun bruit n'était plus perçu. Si la main obturait le faisceau lumineux à des intervalles déterminés correspondant à une et deux secondes, par exemple, on entendait des bruits brefs ou prolongés comme ceux qui dans les parleurs télégraphiques correspondent aux signaux de l'alphabet Morse.
Voilà, en passant, une ingénieuse application du photophone à la télégraphie ordinaire.

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Les choses ainsi disposées, diverses substances absorbantes furent placées sur le trajet du pinceau lumineux. On reconnut de cotte façon qu'une solution d'alun ou de sulfure de carbone n'affaiblit que dans une faible mesure l'intensité des sons, tandis que du sulfure de carbone contenant de l'iode en dissolution les arrête d'une manière presque absolue. Les écrans opaques semblent devoir arrêter également toute espèce de transmission ; cependant M. Bell affirme qu'une feuille mince de caoutchouc placée entre la source de lumière et le disque tournant n'empêche pas complètement le phénomène sonore de se produire, bien que l'on paraisse agir sur un faisceau obscur.
Il serait prématuré, sans de nouvelles et nombreuses expériences, de se prononcer sur la nature de ces radiations efficaces, quoique obscures ; mais il est difficile de mettre en doute leur influence, puisque le photophone a fonctionné malgré un écran composé de deux feuilles de caoutchouc séparées l'une de l'autre par une cuve d'alun en dissolution saturée.

Nous n'en avons pas fini avec les faits surprenants que nous révèle M. Bell.
Si l'on fait tomber sur une feuille de caoutchouc lé rayon de lumière rendu vibratoire, pour ainsi dire, par le disque perforé, cette feuille de caoutchouc rend un son, comme il est facile de s'en assurer on en approchant l'oreille.
Le sélénium taillé eii lame mince jouit encore de la même propriété— et non seulement le sélénium — mais encore l'or, l'argent, le platine, le fer, l'acier, le laiton, le cuivre, le zinc, le plomb, l'antimoine, le maillechort, les alliages de Jenlrin et de Bàbbitt, l'ivoire, le celluloïde, la gùtta-percha, le papier, le parchemin, le bois, le mica et le verre argenté ! !
Les seules substances absolument réfractaires ont été le charbon et le verre mince, et pourtant. M. Bell pense qu'il est là en présence d'une propriété nouvelle et générale des corps. Il pense que toute espèce de substance est capable de rendre un son sous l'action d'une lumière scintillante. Il affirme avoir entendu des sons suffisamment nets à travers des tubes de caoutchouc, de laiton et de bois qui, d'abord éclairés par la lumière du soleil, étaient tout à coup plongés dans l'obscurité.

Vraiment, si l'on n'avait pas affaire à Bell, à l'inventeur de ce téléphone auquel personne ne croyait avant son apparition, on serait en droit de refuser toute créance à la communication qu'il vient de faire au congrès de Boston.

Le photophone prouve une fois de plus que toute cause capable de modifier les propriétés électriques des corps peut servir à réaliser un téléphone articulant.
Ces modifications peuvent viser la force électromotrico, — alors aucune pile, aucune énergie extérieure ne sera mise à contribution ; — c'est le cas du téléphone de Bell et le cas du téléphone à mercure.
Elles peuvent viser la capacité des corps, et, dans ce cas, aucune dépense d'énergie extérieure ne serait nécessaire. Il n'existe pas d'ailleurs de téléphone fondé sur les variations de capacité, bien que des essais aient été tentés dans ce sens par plusieurs physiciens.
Elles peuvent encore viser la résistance des corps, — alors il est indispensable d'introduire un courant électrique, c'est-àdire une énergie extérieure dans le système ; — c'est le cas du microphone, du téléphone d'Edison, et c'est le cas aussi du photophone sujet de cette étude.

Mais si ces divers procédés rendent possible la transmission ou la reproduction de la voix humaine, c'est aussi grâce à la délicatesse prodigieuse de notre ouïe. Aucune méthode connue d'amplification n'a été capable de révéler physiquement les déplacements vibratoires d'une membrane téléphonique réceptrice, lorsque celle-ci servait à recueillir, non une note musicale, mais la parole. Et cependant ces déplacements existent. Cela prouve donc uniquement qu'ils sont d'une amplitude extraordinairement petite. C'est justement là le secret de la possibilité des téléphones. Pour des variations si faibles, d'un jeu si peu étendu, l'élasticité des lames métalliques, la pression de deux substances déjà eii contact, la résistance électrique d'un conducteur, la sensibilité à la lumière, etc., peuvent être considérées, comme rigoureusement proportionnelles aux causes qui les forcent à se modifier. En d'autres ternies, les effets sont dans la plus complète dépendance des causes.

Cela explique aussi pourquoi il est si difficile d'augmenter la puissance des téléphones au delà d'une certaine limite. Passé une certaine amplitude, la dépendance en question n'existe plus, les appareils fonctionnent mal.

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Quelles pourront être les applications pratiques du photophone ?

Il est toujours dangereux de risquer des prophéties, qu'elles soient optimistes ou pessimistes. Nous croyons pourtant que le photophone ne détrônera pas le téléphone.
Sans doute il est éminemment commode de pouvoir transmettre dos messages sans l'intermédiaire de conducteurs coûteux, embarrassants et sujets à des accidents. Mais ces conducteurs peuvent suivre des chemins détournés, tandis qu'un rayon lumineux devra toujours être rectiligne. Il sera nécessaire, pour correspondre par le photophone, de disposer les deux stations de manière qu'aucun obstacle opaque, aucun mur, aucune maison, aucune montagne ne les sépare, ne coupe la ligne droite qui les réunit. On pourrait certainement se servir de réflecteurs, de miroirs métalliques ou autres, pour dévier le rayon, si cela est absolument indispensable ; mais ces réflexions absorberaient une notable part du faisceau incident, et, lui enlevant la puissance, elles en réduiraient la portée.

Et cependant serait-il absurde d'espérer qu'on puisse arriver un jour à établir de véritables relais photophoniques ? Non certainement au point de vue théorique. Qui pourrait empêcher lo rayon lumineux d'impressionner un récepteur de sélénium dont la membrane agirait à son tour sur un rayon appartenant à une nouvelle source locale de lumière, — et ainsi de suite? Nous ne voyons pas à priori d'objection scientifique au fonctionnement de ces relais successifs, et leur réalisation, si elle est jamais possible, permettra alors de mettre en correspondance deux points quelconques sans les astreindre à se voir l'un l'autre, suivant une ligne rigoureusement droite.
Mais les expériences manquent à cet égard. Bell n'en parle pas, et c'est une simple espérance, un peu téméraire, que nous nous risquons à formuler.

En dehors des applications publiques ou privées, il resterait encore bien des cas où cet appareil serait capable de rendre de réels services. Nos lecteurs se rappelleront sans doute les travaux géodésiques accomplis par le colonel Perrier et le général Ibanez, pour relier, par des triangulations directes, l'Espagne à l'Algérie.
Les feux électriques de la Sierra-Nevada et des montagnes africaines étaient réciproquement visibles pour ces deux stations. Eh bien, n'aurait-on pas pu utiliser ces mêmes feux pour se parler d'Espagne en Algérie au moyen du photophone ?
Le téléphone avait déjà paru faire mentir les lois do la physique qui assignent une durée notable à la propagation des sons.
Le photophone semble mettre en défaut un autre dogme scientifique beaucoup plus absolu. On enseigne, en effet, que les sons ne se propagent pas dans le vide éthéré. Mais, puisque la lumière se transmet dans le vide aussi bien et même mieux qu'elle ne se transmet à travers l'atmosphère, est-il possible de dire plus longtemps que la parole ne se propage pas dans le vide ?

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Depuis la publication de cet article, le Professeur Bell est venu lui-même en Europe et M. Antoine Bréguet ayant pu l'assister dans quelques-unes de ses expériences a, sous le titre « Les appareils photophoniques de MM. Bell et Tainter », complété et précisé par un nouvel article inséré dans la Revue scientifique du 9 Octobre, la description des procédés employés par l'inventeur et par son collaborateur M. Tainter, ainsi que le compte-rendu des résultats obtenus.

D'après la disposition la plus employée et celle qui donne les meilleurs résultats pour la transmission des sons et de la parole à de plus grandes distances, les rayons parallèles provenant de la source lumineuse, le soleil, par exemple, sont réfléchis par un miroir et concentrés ensuite, à l'aide d'une lentille, en un foyer placé à une petite distance du tube téléphonique transmetteur de façon à ce que l'irradiation des rayons partant du foyer soit recueillie sur une feuille mince de verre ou de métal formant miroir (d'une épaisseur d'un dixième de millimètre) et qui obture le tube téléphonique à l'embouchure duquel on parle. Réfléchis de nouveau par ce second miroir, les rayons sont reçus par une seconde lentille qui les rend parallèles et les conduit à un grand réflecteur parabolique situé au point de réception et au foyer duquel est placé le récepteur de sélénium. Dans le circuit de ce récepteur sont intercalés une pile et un téléphone.

Ceci posé, on saisira facilement la marche de l'appareil. sous l'influence de la parole, c'est-à-dire des vibrations de l'air du tube transmetteur, le miroir mince qui en obture l'orifice se bombe ou se creuse, devient convexe ou concave et, par conséquent, les rayons lumineux qu'il reçoit s'épanouiront ou se concentreront. L'intensité lumineuse qu'il projettera à distance sur le réflecteur parabolique changera à chaque vibration et le récepteur de sélénium, à son tour, subira des variations incessantes dans sa résistance, variations correspondant à celles de la pression de l'air dans le tube transmetteur, ce qui revient à dire que la parole sera transmise.

M M. Bell et Tainter ont imaginé deux formes pour le récepteur de sélénium : celle d'un disque pressé entre deux plaques de cuivre, pour le cas où les rayons reçus par le réflecteur parabolique sont bien parallèles, ou, comme cette condition est difficile à obtenir au delà de certaines distances, celle d'un cylindre où le sélénium remplit les cavités comprises entre des piles de disques de cuivre et de mica. Sous l'une et l'autre forme, les dispositions sont très-ingénieusement combinées pour satisfaire à ces deux conditions presque contradictoires que le sélénium offre à la lumière une surface aussi grande que possible et cependant qu'il ne présente qu'une trèsfaible résistance au passage du courant.

Tout en nous référant pour plus de détails sur le dispositif des expériences et des appareils au second article de M. Bréguet et aux figures qu'il contient, nous lui emprunterons pour terminer quelques observations qui ne sont pas sans intérêt sur les phénomènes accessoires que ces expériences ont donné lieu de constater.

Dans le cours de ses recherches, M. Bell a été amené à découvrir, comme on passant, bien dos faits dont on n'avait pas la plus petite notion avant lui. Nous en avons énuméré un certain nombre dans le premier article que nous avons consacré au photophone; mais nous devons revenir sur quelques-uns d'entre eux, notamment sur ceux dont M. Bell vient do nous rendre témoins.

On se rappelle que M. Bell avait vérifié qu'une foule de substances recevant directement de la lumière vibratoire rendaient un son, et il avait cité comme seules exceptions le charbon et le verro mince. Aujourd'hui, ces derniers corps essayés avec plus de soins n'ont pas été différents des autres ; il est donc très-probable que M. Bell a découvert là une propriété absolument générale et dont les conséquences peuvent être considérables au point de vue do la constitution de la matière.

En réalité, M. Bell n'a pas réussi à faire parler toutes ces substances, mais seulement à les faire chanter, autrement dit, M. Bell a démontré que c'était bien la lumière et non la chaleur qui agissait ici, en vérifiant qu'une cuve d'alun placée sur le trajet des rayons n'empêchait pas le phénomène sonore de se produire, tandis qu'une dissolution d'iode supprimait toute espèce de sons. les sons se trouvent reproduits indépendamment de leur timbre ; mais il ne serait pas possible d'affirmer que l'articulation ne pourra jamais s'obtenir dans ces conditions. C'est une nouvelle voie à explorer, et nous serions bien surpris si elle ne tenait pas lès promesses qu'elle semble promettre aux chercheurs.

Le sélénium présentant de grandes analogies avec le soufré et lé tellure, il était naturel de chercher si ces deux corps jouissaient aussi de la faculté d'être sensibles à l'action de la lumière, et si leur résistance électrique subissait des modifica-, fions correspondantes. Pour lé tellure, la question fut tranchée immédiatement, puisqu'on savait qu'il était, dans toutes les circonstances, bon conducteur de l'électricité.

Mais le soufre est généralement connu comme isolant. G. Knox avait bien annoncé, en 1839, que le phosphore, le soufre et l'iode conduisent.l'électricité lorsqu'ils sont rendus fluides à l'aide de la chaleur ; mais Faraday avait discrédité cette affirmation une année après, en ce qui concerne le soufre et le phosphore, si bien que personne ne se préoccupa plus de ce qu'avait dit Knox.

Mi Bell, dans ses patientes et longues recherches sur la meilleure forme allotropique à donner au sélénium, eut l'idée de reprendre l'expérience de Knox. Il parvint à donner au soufre une forme telle qu'il le trouva, même à l'état solide, sensible à l'influence de la lumière. Il ne se laissa pas distraire de la vraie direction qu'il s'était imposée'pour parvenir à réaliser son merveilleux photophone, et il s'est réservé de revenir plus tard à une étude approfondie du soufre afin de voir s'il ne pourrait pas être substitué au sélénium dans la photojriionie.

Ce même esprit de méthode qui lui avait servi à ne pas sortir du chemin qu'il s'était tracé, quelque résultat qui pût le le frapper en route, a empêché aussi M. Bell de faire l'essai de différentes lumières artificelles pour son photojmone.
A notre grand étonnement, il n'avait pas même tenté d'y appliquer la lumière électrique avant son arrivée à Paris.

A vrai dire, le soleil de Washington, plus brillant que le nôtre en toute saison et surtout au mois d'Octobre, suffisait grandement à réaliser toutes les expériences possibles sur la sensibilité du sélénium.
Mais à Paris, le soleil faisait souvent défaut ces derniers jours et il nous a fallu, de gré ou de force, employer la lumière de l'arc voltaïque.
Les résultats obtenus ont été, comme on pouvait s'y attendre, des plus satisfaisants, et nous espérons d'ici peu, grâce à ce soleil artificiel, rendre le monde scientifique témoin des belles expériences du professeur Graham Bell.

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Plusieurs pages des notes de Bell sont également incluses en format pdf

Bell et Tainter obtiennent leur brevet sur le photophone le 14 décembre 1880. (BELL, A.G. and TAINTER, S., Photophone patent 235,496 granted 14 December 1880).
Ils obtiennent le même jour deux brevets sur la préparation des cellules de sélénium. (Patents 235497 et 235590).

Schémas du photophone de Bell et Tainter (extraits de BELL, A.G., "Production of Sound by Light", American Journal of Science, 20, October 1880.

L'appareil de Bell et Tainter occupe aujourd'hui une place quasi mythique dans l'histoire des technologies de communication, pourtant riche en appareils oubliés.
En février 1995, un groupe d'étudiants de l'Université de Virginie ont déposé une demande de brevet pour une version améliorée du photophone de Bell et Tainter.

Mais ce sont surtout les travaux menées à partir de 1960 sur les rayons laser, débouchant notamment sur le lancement en 1978 du Compact Disc Audio, qui ont donné l'illustration que l'hypothèse de Bell - transmettre le son à travers la lumière - était loin d'être absurde.

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L'idée de la vision à distance vient elle de Bell ?

Début mars 1880, Graham Bell et son associé Tainter déposèrent auprès du Franklin Institute deux boîtes scellées dont on ignore le contenu.
Ce dépôt suscite les imaginations. Dès février 1880, le Boston Transcript avait publié un article affirmant, comme Figuier deux ans plus tôt, que Bell avait mis au point un appareil permettant de voir à distance.
Cette nouvelle, reprise par la prestigieuse revue Nature, le 15 avril 1880, était fantaisiste puisque le pli concernait le photophone, c'est à dire un appareil permettant de transmettre le son en recourant à la lumière, mais non un appareil de vision à distance.

Cette rumeur aura néanmoins un impact intéressant pour les développements de la télévision à distance : elle va conduire à la publication, un peu précipitée, de diverses contributions qui elles sont bien relatives à l'hypothèse de la vision à distance recourant aux propriétés du sélénium
L
a réaction la plus prompte est celle de J.PERRY, J. et AYRTON, W.E., « Seeing by Electricity », Nature, 21, 21 April 1880.
Dans cet article, les deux auteurs déclarent explicitement qu'ils publient cet article afin que Bell ne soit pas le seul à tirer avantage de ce qui est supposé être la définition d'un système de vision par l'électricité basé sur les propriétés du sélénium.
Le conflit de brevets entre Bell et Gray sur le téléphone n'est probablement pas étranger à cette démarche. Cet article suscite lui-même la réponse de J.E.H. Gordon : "Seeing by electricity", letter, Nature, 29 April 1880, ainsi que la publication de l'article anonyme "Seeing by Telegraph", English Mechanic and World of Science, 31, 30 April 1880 et de celui de H.E. Bolton, "Seeing by electricity", letter, English Mechanic and World of Science, 14 May 1880.

Le 5 juin 1880, faisant également suite au dépôt du pli par Bell, le Scientific American publie l'article "Seeing by Electricity". Cet article est le premier qui mentionne les travaux (menés depuis 1877) de Georges R. Carey et, pour la première fois aux Etats-Unis, ceux du français Constantin Senlecq. Cet article provoque lui-même la publication de SAWYER, W.E., "Seeing by Electricity", Scientific American, 42, 12 June 1880.

Le 1er juillet 1880, le Comte Th. du Moncel, autorité en France en matière d'électricité et de télécommunication, publie son premier article sur la vision à distance du MONCEL, Th., "Le Téléphote et le Diaphote", La Lumière électrique, 1er juillet 1880.
L'idée de la vision à distance lui paraît devenir une hypothèse plausible "car pour qu'un homme de l'importance de Bell s'en soit occupé, il faut que l'idée soit sérieuse".
La simple rumeur aura donc suffit à libérer les imaginations, au grand bénéfice du progrès de la science.

On a parfois émis l'hypothèse que l'attribution du télectroscope par Figuier à Graham Bell provenait également de la confusion avec les travaux de Bell sur le photophone.
Mais la spécification provisoire du photophone est datée du 2 janvier 1879 et le résultat des travaux n'ont été révélés qu'en septembre 1880.

Un article de L'Illustration, 25 septembre 1880 - peut-être attribuable à Th. du Moncel - expliquant que le photophone de Bell, "comme on l'avait dit à tort un instant n'est pas un téléphote".
Bell a conservé la coupure de cet article. (The Alexander Graham Bell Papers at the Library of Congress).

Le malentendu est levé en septembre 1880 par une lecture que Bell fait lors d'une réunion de l'American Association et dont le contenu est publié dans Nature : BELL, A.G., "Selenium and the Photophone", Nature, 22, 23 Sept. 1880.
Un article plus détaillé sera publié quelques semaines plus tard : BELL, A.G., "Production of Sound by Light", American Journal of Science, 20, October 1880.

L'appareil que Bell propose, le photophone, permet de produire et reproduire le son en recourant aux propriétés du sélénium et n'a rien à voir avec la transmission des images


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