Le téléphone
au théâtre : mise en scène dun objet
Avant de retranscrire la pièce de théatre "Au
téléphone", c'est dabord
à travers le théâtre quapparaissent le plus
significativement les possibilités dramaturgiques offertes par
le téléphone. Les situations et les thèmes dans lesquels
le téléphone apparaît ont fondé les histoires
de téléphone au cinéma. Bon nombre de recours utilisés
se retrouvent dans les films.
Un renouveau des situations comiques et dramatiques
Lintérêt du téléphone a été
de permettre le renouvellement dun certain nombre de procédés
comiques et dramatiques traditionnels. Le téléphone est
« récupéré » pour rajeunir des situations
stéréotypées du théâtre classique.
Cest le cas de Vaudeville où la mise en scène du mensonge
joue un rôle central. Ladultère trouve par le téléphone
de nouvelles ressources : un mari entend au téléphone sa
femme le tromper, un mari dit travailler alors quil badine avec
son amante. Le téléphone devient un objet de suspens dont
la sonnerie est le leitmotiv : « Comédie en trois actes et
quatre coups de téléphone. » Le coup de téléphone
devient coup de théâtre.
Le téléphone est un outil de tromperie, qui permet en particulier
de mentir sur le lieu ou létat dans lequel on se trouve.
Dans les relations amoureuses, les amants trouvent dans le téléphone
un nouveau moyen de se rapprocher. Ils anticipent leur prochaine rencontre
et les moments
qui les attendent. Cest loccasion de donner au téléphone
des propriétés inattendues : «Quand je téléphone
à ma femme, je me recoiffe» disait Sacha Guitry (Faisons
un rêve, 1916)
Dans la page "Le théatrophone de Ader"
après la présentation du système, est retranscrit
"Le Téléphone au théâtre
(France, 1880-1930) analyse selon Isabelle Krzywkowski" .
sommaire
Au
téléphone
Pièce en deux actes, représentée pour
la première fois au Théâtre Antoine
le 27 Novembre 1901
|

cliquez
sur l'affiche
signée Maurice Deumont
|
ANDRE
DE LORDE & CHARLES FOLEY
PARIS LIBRAIRIE MOLIÈRE
30, RUE DES ÉCOLES, 30
Pièce en deux actes
Tous droits de reproductions, de traduction et de représentation
réservés pour tous pays, y compris
la Suéde, la Norvège, la Hollande et le Danemark
Enlered according to act of Congress, in thé year
1902, by André de LORDE and Charles FOLEY in thé
office of thé Librarian of Congress at Washington
Dans le même registre
une autre pièce était jouée au Théatre
Antoine
"Le Bon Journal" du 24 Janvier 1904 relate cette
pièce de théâtre, "HORRIBLE DRAME
AU TELEPHONE"
|
 |
Un homme avait été abandonné par sa femme qui
vivait avec un nommé G... et il semblait avoir accepté
cette situation avec résignation, quoiqu'il eût conservé
au cur le souvenir de l'infidèle.
Naguère, appelé au téléphone, il entendit
une voix qui l'avertissait d'écouter, car il allait se passer
des choses qui l'intéressaient.
Puis quelques secondes après, il perçut distinctement
l'organe de sa femme qui demandait grâce. Un instant de calme,
puis des détonations, des gémissements, des râles
et enfin le grand silence de la mort.
Courant prévenir la police, le mari se précipita avec
les agents chez G... Il y trouva deux cadavres.
L'assassin s'était fait justice après avoir tué
sa maîtresse.
La vérité est souvent plus tragique que la conception
du plus noir drame théâtral. D'ailleurs, ne suffiit-il
pas de regarder autour de soi, en sachant voir, pour découvrir
des réalités dépassant en horreur tous les
romans.
V. Nacla
sommaire
|
PERSONNAGES
ANDRÉ...........................MM. ANTOINE
RÎVOIRE....................... KEMM
BLAISE.......................... CHARLIES
UN DOMESTIQUE........ TUNG
MARTHE MAREX......... Mme BEI.LANGER
NANETTË...................... MILLER
LUCIENNE RIVOIRE..... DE NYS
UN GAMIN..................... MARLAY
|
AU TÉLÉPHONE
PREMIER ACTE
A la campagne.
Au Château de la Chesnaye, chez les Marex.
Un salon au rez-de-chaussée.
Porte-fenêtre, au fond, ouvrant sur un parc
De chaque côté de la porte-fenêtre,
une fenêtre.
Portes à droite et à gauche.
A droite, une cheminée où le feu est
allumé.
Entre la cheminée et la rampe, un appareil
téléphonique installé au mur.
A gauche, table, fauteuils, chaises, un secrétaire
dans un coin.
Au moment où le rideau se lève, la
vieille bonne, Nanette, est assise près du feu ;
le petit Pierre sur ses genoux feuillette un livre d'images.
Marex, en costume de voyage, achève de ranger
des papiers dans le secrétaire ouvert.
Sa femme Marthe enveloppe quelques menus objets qu'elle
met dans une valise posée tur Sa table.
On entend le bruit du vent et de la pluie.
MAREX, s'arrêtant
soudain et écoutant,
C'est la voiture?...
MAHTHE,
allant à la fenêtre de droite.
Non... pas encore.
MAREX.
Ils ne sont pas en avance.
|
MARTHE.
D'ordinaire ils sont exacts.
MAREX, nerveux.
Chez quel loueur a-t-on été commander cette
voiture?
MARTHE.
Toujours le même : Perrin. C'est Nanette qui a fait
la commission.
NANETTE.
J'y suis allée hier matin et j'ai bien recommandé
que le cocher soit ici, au plus tard, à six heures
moins le quart.
MARTHE.
Tu as encore le temps.
MAREX.
Tout juste.
MARTHE.
En vingt minutes tu peux être à Servon.
MAREX.
Il faudra bien marcher...
NANETTE.
Oh ! Monsieur, les chevaux de Perrin sont bons !
MAREX, nerveux.
Si, dans dix minutes, la voiture n'est pas là, ce n'est
plus la peine de songer à partir.
MARTHE.
Elle va arriver.
MAREX.
Vois-tu que je manque le train? Je serais dans de jolis draps.
Si je ne suis pas demain à Paris, au rendez-vous de
Muller, l'affaire est fichue... perte sèche : dix mille
francs 1
|
MARTHE.
Cette affaire te rapportera autant que ça ?
MAREX.
Même un peu plus, j'espère.....
MARTHE.
Attends... J'entends du bruit. (Regardant à la fenêtre.
) Non ! Je m'étais trompée. (Soucieuse.) Ce
serait désolant !... Si, encore, ce loueur avait
le téléphone, on pourrait s'assurer que la
voiture est partie.
MAREX.
Si elle n'est pas partie, c'est trop tard ! Et puis ils
n'ont pas le téléphone. A Servon, personne
ne l'a. On ne trouve rien dans ce trou : pas même
le nécessaire ! Juge un peu... le téléphone
! On ne sait même pas ce que c'est !
MARTHE,
regardant la pendule, sur la cheminée. Six heures
!
MAREX.
Ah ! si je tenais le cocher... le gredin ! II n'y
a qu'une chose à faire : je vais partir à
pied. Blaise portera ma valise. Nous irons au devant de
la voiture... (La pluie redouble au dehors.)
NANETTE.
Mais Monsieur, écoutez : il pleut à verse...
MARTHE.
Il fait un temps horrible...
MAREX.
Oui, ça tombe ferme ! Joli mois de septembre ! Nous
sommes venus à la campagne pour respirer l'air pur,
faire de longues promenades... et voilà trois semaines
que nous n'avons pu mettre le nez dehors... Sale pays !
Je l'ai pris en horreur !
|
MARTHE.
Nous n'y reviendrons pas aux vacances prochaines
MAREX.
...h! ça non ! Un pays incommode pour tout... humide...
triste.. La ville est morne. Les communications sont impossibles...
NANETTE.
On est loin de tout ! Si on avait besoin de quelque chose,
si on était malade la nuit, on pourrait bien mourir
avant d'avoir le moindre secours !
MARTHE.
On irait demander aux voisins.
NAVETTE.
ils sont encore rudement loin, les voisins!
MAREX.
C'esi vrai I On est un peu isolé...
MARTHE.
Cette habitation ne serait pratique qu'à la condition
d'avoir cheval et voiture.
MAREX.
Et encore! C'est trop grand. Il faudrait cinq ou six domestiques
pour entretenir tout ça. Pense que nous avons un bois
de sept hectares : une vraie petite forêt ! A quoi ça
nous sert-il ? Je ne chasse pas, personne ne s'y promène...
NANETTE.
Merci bien... pour y faire de mauvaises rencontres, comme
l'autre jour !
MARTHE, riant.
Est-elle peureuse, cette Nanétte !
MAREX gâiment
Quelque mendiant...
MANETTE.
Une sale figure !
|
MAREX.
Une figure sale, tout simplement. Enfin, l'année
prochaine, nous irons ailleurs.
NANETTE.
Je serai joliment contente, moi! Je ne vis pas. ici. S'il
me fallait y rester toute seule... heureusement qu'il y
a Monsieur et puis Blaise
MAREX.
Tiens, à propos, j'oubliais... (Il va au téléphone,
sonne.)
MARTHE.
Qu'est-ce que tu fais ?
MAREX.
Je téléphone aux Rivoire. (Dans l'appareil.)
Allô!... Voulez-vous me donner... Vitré...
276-32... le plus vite possible, n'est-ce pas ? Merci. (Se
retournant vers Marthe.) Je vais leur dire que j'arrive
chez eux, ce soir, vers les huit heures.
MARTHE.
Et tu en repartiras ?
MAREX.
Je reprends le rapide à 10 h. 40. Je serai à
Paris demain matin, 5 h. 15. Si tu avais quelque chose à
me dire ou à faire dire aux Rivoire, tu peux encore
me téléphoner chez eux, ce soir, jusqu'à
9 heures.
MARTHE.
Et à Paris ?
MAREX.
Hôtel Terminus, chambre 16... (Le téléphone
résonne. Au téléphone.) Allô!...
C'est toi, mon vieux?.. Oui... J'ai dû faire
|
mettre le téléphone...
très cher... Il n'est pas à Servon... je suis
relié à Luxeuil... très cher... c'était
indispensable pour mes affaires... oui... dis donc, j'irai
prendre le café ce soir, avec vous... je prends le
rapide de Paris... une affaire urgente... non le café,
seulement... j'ai déjà dîné...
je pense être chez vous vers les huit heures... Ça
ne vous dérange pas ?
MARTHE, qui
s'est rapprochée de Marex.
Dis-lui bonjour de ma part, ainsi qu'à Lucienne.
MAREX,
répondant dans le téléphone à
une question qu'on lui pose.
Oui... c'est ma femme... Elle vous fait dire toutes ses amitiés
à toi et à Lucienne...
MARTHE, à
son mari.
Comment, Rivoire a entendu que je te parlais ?
MAREX, toujours au téléphone.
Merci... à ce soir... (Il remet le récepteur
en place.)
MARTHE.
Il a entendu ma voix ?...
MAREX.
Tu étais près de moi. On entend très
bien. Il faut se méfier, c'est traître...
MARTHE
Tiens! je ne savais pas...
NANETTE, prêtant
l'oreille et allant à la fenêtre.
Cette fois...
MARTHE, allant
à droite.
Oui... C'est la voiture enfin... (Bruit de grelots.)
NANETTE.
Elle entre dans le parc.
|
MAREX
Ce n'est pas malheureux.
LE PETIT
PIERRE, allant à son père.
Papa...
MAREX.
Mon chéri...
LE PETIT
PIERRE.
Tu me rapporteras quelque chose ?
MAREX.
Oui, mon petiot. (A Marthe.) Donne-moi mon sac. Où
est Blaise ?
MARTHE.
Là, dans la salle à manger... Je vais l'appeler.
(Elle appelle gauche.) Blaise ! Blaise !
NANETTE,
toujours à la fenêtre.
La voiture est là.
BLAISE,
entrant.
Madame m'appelle?
MAREX.
Oui, Biaise. Vous ferez bien attention pendant mon absence.
Je compte sur vous. Je vous confie tout mon monde, tout
mon cher petit monde.
BLAISE.
Que Monsieur soit tranquille !
MAREX.
Mettez ma valise dans la voiture. (Blaise exécute
les ordres, sort, pui revient. Marex embrassant l'enfant.)
Au revoir, mon chéri, sois sage... autrement je ne
te rapporterai rien.
LE PETIT
PIERRE.
Oh! Papa, si...
|
MAREX,
Eh bien, qu'est-ce que tu veux?
LE PETIT PIERRE.
Oh ! papa... tu m'apporteras une petite sur.
MAREX, riant.
Mâtin! C'est que ça coûte cher !
LE PETIT PIERRE.
Oh ! papa, j'en voudrais une tout de même.
MAREX.
On verra.
LE PETIT PIERRE.
Si ça coûte trop cher, toute neuve, prends-en
une d'occasion 1
MAREX, riant
et embrassant l'enfant.
D'occasion... oui, chéri. (Embrassant sa femme.) Au
revoir, ma chère petite femme ! Au revoir, Nanctte
! Ne pensez plus à vos bêtises : vous n'avez
pas à avoir peur, Blaise est là ! Ah ! à
propos, tenez, Blaise,.. (Il désigne la table, y va
et en tire le tiroir.) On ne
sait pas... par précaution... pour faire peur aux sales
figures, comme dit Nanette, il y a là, dans ce tiroir...
vous voyez... un revolver chargé. (Il essaie de refermer
le tiroir.) Tiens ! Je ne peux plus... enfin, vous fermerez.
Faites attention que le petit n'y touche pas. Au revoir. C'est
moi qui me mets en retard maintenant... au revoir, mes chéris.
MARTHE, l'accompagnant
avec Nanette et l'enfant.
Au revoir.
MAREX, arrêtant
Marthe.
Ne sors pas : tu vas prendre froid. (Il sort suivi de Biaise.
Au dehors on l'entend qui dit:) « Allons, cocher, ventre
à terre ou nous ratons le train... au revoir Biaise...
je vous confie la maison ! »
|
LE
PETIT PIERRE, criant à la porte.
Au revoir papa ! N'oublie pas ma petite sur ?
NANETTE
Mais oui, papa y pensera. Viens regarder les images... (Elle
prend l'enfant sur ses genoux. Peu à peu celui-ci
s'endort.)
MARTHE,
à la fenêtre.
Le voilà au bout de l'avenue. Pourvu qu'il arrive
! Quel temps... un brouillard ! On distingue à peine
les lanternes ! La voiture tourne le petit bois... on ne
voit plus rien... la pluie redouble... comme il fait noir,
déjà ! C'est vrai : ce pays est triste...
Nanette...
NANETTE,
à voix basse.
Chut I II commence à dormir.
MARTHE.
Ah ! Pose-le sur le canapé, doucement, et va chercher
la lampe : on n'y voit plus. (Blaise rentre.) Chut! le petit
dort... (Nanette pose l'enfant endormi sur le fauteuil et
va chercher la lampe.)
BLAISE,
à voix basse.
Monsieur est déjà loin. Il a un bon cocher.
MARTHE.
Blaise, vous pourrez fermer les contrevents de la salle
à manger (elle désigne la droite) et la porte
du parc... Nanette fermera ici.
BLAISE.
Bon, je détacherai aussi les chiens ?
MARTHE.
Oui. Et puis vous apporterez votre lit : vous coucherez
dans
Cette pièce. (A Nanette qui rentre une lampe à
la main.) Je dis à Blaise de faire son lit ici, dans
cette chambre : ça vaudra mieux.
|
NANETTE,
à voix basse, pendant que Blaise sort par la droite
et qu'on l'entend fermer une grille et les contrevents.
Bien sûr. On sera plus tranquille.
MARTHE, souriant.
On... Tu peux dire Je, ma bonne Nanette.
NANETTE.
Mettons que Je serai plus tranquille. Je ne suis pas brave,
ça c'esl vrai.
MARTHE.
Oh ! non !
NANETTE.
Que voulez-vous ? On se fait vieille. Enfin, trois jours,
c'est vite passé. Monsieur sera ici mercredi, au plus
tard, n'est-ce pas ? Ça ne l'amusait pas de partir,
bien sûr...
MARTHE.
Quand Blaise aura fait son lit, nous monterons là-haut,
dans nos chambres, et nous coucherons le petit.
NANETTE. se
penchant sur l'enfant.
Oui. Il dort comme une souche... Est-il gentil comme ça
!
MARTHE, après
un silence s'asseyant à la table.
Voyons... si j'en profitais pour faire mes comptes. (Elle
prend un carnet. A Nanettc.) Je t'ai donné vingt francs,
hier ?
NANETTE.
Oui, Madame.
MARTHE.
Bon .. (Elle calcule.) Tu as pavé le boulanger ?
NANETTE.
Oui. Madame... six francs dix sous.
|
MARTHE,
inscrivant.
Si francs dix sous... Le boucher aussi !
NANETTE.
Oui... J'ai la note dans ma poche. Je vais vous la donner.
(A ce moment le vent souffle avec violence, la pluie redouble.)
MARTHE.
Ferme donc les volets... le vent siffle... c'est désagréable...
et si triste !
NANETTE,
ouvre la fenêtre de gauche pour fermer les volets.
Oui... (Elle recule soudain.) Ah !
MARTHE.
Quoi ?
NANETTE.
Il y a quelqu'un devant la fenêtre !
MARTHE,
se retournant
Tu es folle ! C'est le reflet delà lampe...
NANETTE,
terrifiés
Non...
MARTHE.
Allons, voyons, Nanette...
NANETTE,
recule.
Ah ! Madame, le cur me bat. Blaise fermera, je ne
peux pas j'ai trop peur...
MARTHE.
Quelle poltrone ! Vraiment, ça dépasse les
bornes ! Qui veux-tu qui soit là ?... Voyons. (Elle
va à la porte du fond, elle l'ouvre ; puis elle recule
soudain, pousse un cri étouffé : elle a aperçu
une ombre.) Ah ! (A ce moment s'avance lentement une sorte
de gamin, de voyou, la casquette à la main.)
|
LE
GAMIN, entre en laissant la porte entr'ouverte.
Salut, m'dame, la compagnie...
MARTHE.
Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous voulez ?
LE GAMIN,
tout en regardant vivement autour de lui.
C'est une lettre... (il cherche dans sa poche.)
MARTHE.
D'où venez-vous ?
LE GAMIN,
cherchant dans son autre poche.
De là-bas, de la ville...
MARTHE, fiévreusement.
Par où êtes-vous entré ? Pourquoi n'avez-vous
pas sonné à la grande porte ?
LE GAMIN,
inspectant tout autour de lui.
Je ne sais pas où elle est la grande porte. J'ai coupé
au plus court : Je suis venu par les bois. (Il tire une lettre
toute chiffonnée de sa poche et la tend.)
MARTHE, la
prenant.
Pour qui, cette lettre ? Qui vous l'a remise ?
LE GAMIN.
C'est pour Monsieur Blaise. Sa mère est au plus mal.
MARTHE, très
émotionnée.
Ah ! mon Dieu ! Nanette, vite, porte celte lettre à
Blaise.
NANETTE.
Je vais l'appeler par la cuisine. (En sortant.) Pauvre garçon
!
MARTHE.
Va vite... Va Vite ! (Au gamin.) Mais qui vous a remis cette
lettre ?
LE GAMIN.
Quelqu'un que je ne connais pas. On m'a dit où qu'il
fallait aller la porter... On m'a dit de m'dépècher,
de courir... pis pas autre chose.
|
MARTHE.
Attendez un instant : il y a peut-être une réponse.
(Le petit
Pierre, dans un geste vague de sommeil, fait tomber le livre
d'images posé près de lui, sur le fauteil,
Marthe le regarde.) Tu dors, mon chéri...? (Elle
va vers le canapé où l'enfant est étendu,
cherche à le poser mieux et dit sans se retourner
: Asseyez-vous. Blaise va venir, vous lui expliquerez...
(Le gamin a d'abord regardé longuement autour de
lui. puis il s'est assis à quelque dislance de la
table. Son regard tombe sur le tiroir ouvert. Il y voit
le revolver, s'assure qu'il n'est pas observé, s'approche
tout contre le tiroir et y prend le revolver. Puis, à
pas de loup, il gagne à reculons la porte entr'ouverte
et disparaît soudain dans l'entrebâillement.)
LE PETIT
PIERRE, rêvant.
Nanette...
MARTHE,
allant à l'enfant, se penchant vers le fauteuil,
toujours le dos tourné au gamin.
Nanette va revenir. Ne te tourmente pas mon chéri,
on va te coucher. Là, dors, dors... C'est ta maman
qui te berce. Comme il a les pieds froids. Il était
trop loin du feu... (Elle rapproche le fauteuil.) Puis,
c'est cette porte ouverte... Voulez-vous fermer la
porte, s'il vous... (Elle se retourne.) Tiens ! ou est-il
donc ? (Se
redressant.) Parti ?... Je lui avais dit de rester. il n'aura
pas compris... Il attend peut-être dehors. (Elle va
vers la.porte-fenètre, regarde au dehors.) Non !
Plus personne... (Elle referme la porte.) Il est
reparti. Décidément, il n'aura pas compris...
(Nanette entre.)
MARTHE.
Eh bien ?
NANETTE.
J'ai remis la lettre à Blaise. Il la lit. Il pleure,
pauvre garçon !
Mais ou est le gamin ? (Elle regarde autour d'elle.)
|
MARTHE
II est reparti. Ah ! voilà Blaise.., Eh bien, mon pauvre
Blaise?
BLAISE entre
en s'essuyant les yeux.
Ah ! madame... un grand malheur... ma mère est malade,
très malade ; elle est à la mort, elle veut
me voir.
MARTHE.
Oh ! mon pauvre Blaise ! C'est votre mère qui vous
écrit...?
BLAISE.
Non. Elle sait pas. C'est quelque voisine qu'aura tenu la
plume. Ah ! quel malheur! Bon Dieu... quel malheur! (il pleure.)
NANETTE.
Mon pauvre garçon !... Qu'est-ce que vous allez faire
?
BLAISE, indécis.
Je sais pas.
MARTHE.
Mais, Nanette, Blaise va s'en aller bien vite voir ce qu'a
sa mère... et puis il reviendra..
BLAISE.
Vrai ? Madame consent, Madame me permet ?
MARTHE.
Partez tout de suite.
NANETTE, peureuse.
Nous allons rester seules ?
BLAISE, se
retourne et s'arrête.
Oui... c'est, vrai ça : je ne peux pas vous laisser
seules... Monsieur qui m'a tant recommandé...
NANETTE, à
Blaise.
Monsieur ne serait pas content.
|
BLAISE.
J'irai plutôt demain, au petit jour. Madame n'aura
pas peur, au petit jour ?
MARTHE,
vient à Biaise qui recule en sortie.
Je n'ai pas peur. De quoi aurais-je peur, d'ailleurs ? Nous
nous enfermerons bien. Nanette est ridicule. Partez, Blaise,
laissez-nous... J'expliquerai à Monsieur... je lui
dirai que c'est moi qui ai voulu. Partez ! Vous pouvez être
à Servon dans une demi-heure...
BLAISE.
Oh ! dans moins que ça 1
MARTHE.
Vous prendrez une voiture pour revenir. Vous pouvez être
rentré de très bonne heure.
BLAISE.
Madame pense bien que je ne flânerai pas.
MARTHE.
J'en suis sûre. Fermez-nous bien les volets de la
fenêlre avant
de vous en aller. (Pendant que Biaise ferme les volets des
fenêtres, bas à Nanette.) S'il arrivait malheur
à sa pauvre mère, je ne nie pardonnerais jamais
de l'avoir privé de la voir une dernière fois.
(Haut à Blaise.) C'est bien, Blaise, Merci. Maintenant,
partez !
BLAISE.
Àh ! Madame a bon cur. La maison est bien close.
Je vais courir tout le long de la route. Le temps d'embrasser
ma pauvre vieille et je reviens. Je prendrai une voiture
au retour. Je ne serai pas absent plus de deux heures, en
tout... je le jure à Madame! Je serai ici avant neuf
heures !
NANETTE,
insistant.
Oh ! oui. avant neuf heures...
|
MARTHE.
Ce sera très bien. Couvrez-vous : il pleut. Je fermerai
la porte derrière vous : Nanette n'aurait pas ce courage
!
BLAISE.
Merci, Madame... merci. (Il sort suivi de Marthe.)
NANETTE, seule.
Ah ! non! j'aurai pas ce courage, bien sûr ! Dans cette
grande diablesse de maison, on aurait le temps d'être
égorgé avant que personne vienne seulement à-votre
aide ! Dans le Petit Journal d'hier, je lisais que l'autre
jour...
MARTHE, rentrant.
J'ai refermé la porte sur Blaise. (Elle ferme les contrevents
de la
porte-fenêtre.) Là, nous sommes chez nous...
bien tranquilles. Nous attendrons Blaise ici. Le petit dort
toujours ?
NANETTE.
Oui... Il a un bon sommeil : rien ne le réveille. Faut-il
le mettre au lit ?
MARTHE.
Non, laisse-le. Nous monterons nous coucher quand Blaise sera
rentré. (Elle se remet à sa table.) Reprenons
nos comptes... où en étais-je ? (A Nanette.)
Tu dis que tu as payé le boucher ?
NANETTE.
Oui, Madame.
MARTHE.
Tu as la note ?
NANETTE, fouillant
dans sa poche.
La voilà !
MARTHE.
Bon. il faudra commander demain six bouteilles d'eau de Vichy...
n'oublie pas.
|
MANETTE.
Source Célestins ?
MARTHE.
Oui, toujours... c'est pour Monsieur.
NANEÏTE,
riant.
Et pour Blaise !
MARTHE.
Comment pour Blaise ?
NANETTE.
Oui, de temps en temps, il en boit un verre : il a l'estomac
délicat...
MARTHE,
riant aussi.
C'est très bien.
NANETTE.
Surtout que Madame ne le lui dise pas (Elle s'interrompt
soudain.) Madame n'entend pas ?
MARTHE.
Encore !...
NANETTE.
C'est comme quelqu'un qui siffle...
MARTHE,
sèchement pour la rassurer.
Non, je n'entends rien.
NANETTE.
Alors, je suis folle. (Elle se remet à tricoter)
MARTHE.
Absolument. As-tu payé la blanchisseuse?
NANETTE,
se levant,
laisse son tricot sur le fauteuil et va vers la porte- Oui.
Ah !... cette fois-ci... entendez-vous?
|
MARTHE,
écoutant.
Les chiens... Ils grognent... Eh bien ?
NANETTE,
effrayée.
Il y a quelqu'un dans le parc.
MARTHE, impatiente.
Blaise aura oublié quelque chose : il revient peut-être.
NANETTE.
Les chiens le connaissent. Ils n'aboieraient pas. Et ils aboient...
très loin... du côté de la petite porte...
MARTHE, plus
impatiente.
C'est un passant.
NANETTE.
Ou un maraudeur...
MARTHE.
Tu es ridicule. Les chiens aboient souvent comme ça.
NANETTE.
Oh ! non, pas comme ça... on dirait qu'ils courent,
les chiens !
MARTHE, prêtant
l'oreille, commence seulement à être inquiète.
Oui...
NANETTE.
Ah! Madame... les chiens se rapprochent maintement... on dirait
qu'ils reculent devant quelqu'un... ils sont tout près...
ils se taisent... Ah !... tenez, maintenant, on dirait des
pas qui s'avancent... le sable craque...
MARTHE, énervée.
Nanette, voyons !
NANETTE, folle
de peur.
Là, tout près... derrière la porte peut-être...
|
MARTHE.
Nanette
NANETTE.
Oui, là, derrière la porte... ils cherchent
peut-être à entrer... à forcer les volets...
MARTHE,
prise de frayeur.
Nanette, tais-toi... tais-toi...
NANETTE.
Ah ! Madame a peur... je la vois qui tremble...
MARTHE.
C'est toi... tu es stupide avec tes idées I Tu arriveras
à m'effrayer...
NANETTE.
C'est que j'ai peur, moi, Madame...
MARTHE,
la voix étranglée.
Voyons, raisonne un peu, imbécile ! S'il y avait
des voleurs,, là... derrière la porte... les
chiens aboieraient... on n'entend rien !
NANETTE.
C'est vrai... à moins que... (Elles se regardent
dans les yeux.)
MARTHE.
A moins que...
NANETTE.
A moins que... on ne sait pas... à moins qu'ils ne
puissent plus aboyer, les chiens... qu'on les ait tués...
MARTHE,
tressaillant
Tu es idiote! (Un silence très long.) Je n'entends
plus rien... tout
est calme... tu vois...
|
NANETTE
Oui...
MARTHE, d'un
ton vif, la bousculant.
Tu vois bien que ce n'était rien?
NANETTE, se
rassure.
Faut croire...
MARTHE.
Allons, remets-toi, Nanette. Si tu voyais ta figure !...
NANETTE.
J'en suis toute tremblante, Madame aussi est toute pâle.
MARTHE.
C'est fini maintenant ! Assez, hein ! Tu m'ennuies !
NANETTE.
Oui, Madame... ah! les jambes me rentrent!... c'est nerveux
!
MARTHE.
Tiens, rallume un peu le feu: il s'éteint. (A elle-même,
avec impatience.) Et il n'est que huit heures !... (Cherchant
à penser à autre chose.) Monsieur est arrivé.
Il est chez les Rivoire... Ce sont de braves gens, ces Rivoire.
Tu les connais... Tu les as déjà vus à
Paris ?
NANETTE, revenant
à son idée.
Oui, Monsieur est là-bas, lui, bien tranquille... en
société...
MARTHE, soudain.
J'ai envie de lui téléphoner pour lui dire que
la mère de Blaise est au plus mal ? (Elle se lève
et va au téléphone.)
NANETTE, faisant
effort pour se remettre, toute joyeuse.
Oui, oui, c'est ça, Madame... téléphonez,
ça nous fera de la distraction... (montrant le téléphone)
d'entendre sa voix au bout de ce
fil là... ça sera un peu... comme s'il était
au milieu de nous !
Madame me fera écouter ? (Elle s'approche de
Madame Marex.)
MARTHE.
Oui... Oui... (Elle sonne au téléphone.) Allô
!... Allô !...
|
NANETTE, à elle-même.
Ah ! cet instrument, c'est une belle invention tout de même...
Via Monsieur à plusieurs lieues..., et il va nous
causer comme s'il était tout près de nous,
dans cette chambre !
MARTHE,
au téléphone.
Allô!... Allô!...
NANETTE,
continuant.
Bien sûr quand j'entendrai sa voix, ça me calmera...
je n'aurai plus peur... c'est déjà comme si
Monsieur était là !
MARTHE,
toujours au téléphone.
Ah!,.. Voulez-vous me donner Vitré... numéro
276.32.. vite... vite... Bon... merci... j'attends...

(Et
le rideau baisse lentement.)
sommaire
|
DEUXIÈME ACTE
Chez les Rivoire, à
Vitré.
Un petit cabinet de travail.
Tables, chaises, etc.
Un téléphone sur une table.
Au lever du rideau, le téléphone sonne. A ce
moment la porte du fond s'ouvre, un domestique entre, va au
téléphone.
LE DOMESTIQUE,
dans le téléphone.
Allô!... Allô!... Ah! Monsieur Marex... de la
part de qui ? Ah ! bien, Madame... Oui, il est là,
avec Monsieur et Madame Rivoire... dans la salle à
manger... Il vient d'arriver... Je vois l'appeler. Oui...
bien, Madame... Si Madame veut attendre une minute à
l'appareil...
Il raccroche le récepteur et se dirige vers la porte
du fond. Juste à ce moment, cette porte s'ouvre. Entrent,
M., M"' Rivoire et Marex.)
MADAME RIVOIRE,
au domestique
Justin, vous servirez le café, ici.
LE DOMESTIQUE.
Bien, Madame. (A Marex.) On demande Monsieur Marex au téléphone.
MAREX.  
Ah !... (il cherche le téléphone.)
RIVOIRE,
montrant le téléphone
|
Tiens... sur la table.
MAREX,
allant au téléphone.
Ça doit être ma femme. Je lui avais dit...
(Il décroche le récepteur.) Allô ?...
RIVOIRE,
à Justin.
Vous apporterez la vieille fine Champagne... vous savez,
la vieille... cachet rouge.
LE DOMESTIQUE.
Bien, Monsieur, (il sort au fond.)
MAREX.
téléphonant.
Allô!... Allô 1... voyons... Allô!...
Allô!... (Silence.)
RIVOIRE.
On ne répond pas ?
MAREX.
Non. (Retéléphonant.) Voyons .. allô...
allô...
MADAME
RIVOIRE.
On a déjà coupé la communication !
C'est insupportable !
RIVOIRE,
à Marex.
Ça nous arrive constamment ici. Si on n'est pas là
tout de suite pour répondre...
MAREX.
Ça arrive partout, va ! Ma femme me redemandera,
voilà tout... (Il raccroche le récepteur.)
MADAME
RIVOIRE, servant le café à Marex.)
Du sucre î
MAREX.
Non, merci... jamais.
RIVOIRE,
une tasse à la main.
Mon cher, le téléphone est une belle invention...
bien pratique, mais encore bien mal organisée...
en France, tout au moins !
|
MAREX, gaîment, en prenant son café.
C'est égal, il ne faut pas se plaindre : c'est épatant
tout de même ! J'ai beau téléphoner vingt
fois par jour, je ne peux m'habituer à cet instrument-là:
ça m'étonne toujours. Je trouve ra mystérieux,
surnaturel...
JULTIN l'entre,
apportant une bouteille.
Voilà, Monsieur. (II pose la bouteille sur le guéridon
et sort au fond.)
RIVOIRE à
Marex.
Ah! attention! Je vais te faire goûter de ma vieille
fine de 1857.
MAREX.
1857 !
RIVOIRE.
Une merveille !
MADAME RIVOIRE.
Le curé de Vitré nous en a offert 50 francs
la bouteille !
RIVOIRE.
Ne lui parle plus. Laisse-le se recueillir.
MAREX, goûtant
longuement.
Oh ! exquise ! Tu avais raison : une merveille I
RIVOIRE,
lui offrant des cigarettes.
Alors, vous êtes bien dans votre château ?
MAREX.
Mal. très mal, mon vieux. Je ne relouerai pas aux vacances
prochaines.
MADAME RIVOIRE.
Vous nous lâchez ?
MAREX.
Nous irons en Touraine: c'est moins loin de Paris... et c'est
plus gai
|
RIVOIRE.
Payez-vous très cher la location de la Chesnaye ?
MAREX.
Très cher. Et ce n'est pas seulement ça, c'est
la situation : nous sommes loin de tout ! C'est très
incommode. Pour aller à Paris, il faut changer trois
fois de train. A cause de mes affaires, c'est presque impraticable.
Pour y remédier, j'ai fait mettre le téléphone...
c'est une folie qui m'a coûté les yeux de la
tête ?
MADAME
RIVOIRE.
Ça ne m'étonne pas. Entre Luxeuil et Servon,
il y a un bon bout de chemin... (A ce moment sonne le téléphone.)
MAREX,
allant au téléphone.
Oui, un bon bout de chemin 1 Allô !... Allô
!... Ah ! c'est toi, ma chérie ! Oui... très
bon voyage. Tes amis se portent bien... Et là-bas?...
Pas encore couchés?... Blaise n'est pas là
?... Comment ?... Sa mère.,, ah ! pauvre garçon
! Tu as bien fait... mais certainement... mais oui... Nanette
a tort... ce brave garçon !... Tu lui as dit de revenir
vite... en voiture... c'est ça ! -- Je pense que
vous n'avez pas peur, hein ?... à la bonne heure
! Tout à l'heure, des bruits ?... les chiens ?...
ça arrive tous les soirs ! Te souviens-tu lundi dernier,
ce vacarme !... Sacrée poltrone de Nanette ?... Elle
est pire que bébé... Il est couché
?... Non... vous attendez Blaise... Ça vaut mieux...
Ah!... il dort ?.. La sonnerie l'a réveillé...
alors approche-le qu'il me dise bonsoir ! Bonsoir,
mon mignon... tu dormais ?... Si tu as été
bien sage, à mon retour... (A Rivoire en riant.)
Il ne sait pas tenir le récepteur... (Au téléphone.)
Dis-lui qu'il aura peut-être sa petite sur...
j'y ai réfléchi... je crois qu'on peut la
lui promettre... (Il rit.) Veux-tu qu'on lui achète
ça, à nous deux ?... Oui... toute neuve...
Hein ? qu'est-ce que c'est ?... Nanette entend encore
quelque chose ?...
|
venir ici que je la gronde...
C'est vous, Nanette ?... Vous ne changerez donc pas !... des
bruits, quoi Dis-lui de ?... quels bruits ?... Que craignez-vous
?. .. Vous êtes bien enfermées. .. bien verrouillées.
.. c'est de la folie!... Allons, dormez sur vos deux oreilles...
Blaise va rentrer dans une heure au plus. .. (Riant.) Je vous
défendrai dorénavant de lire les feuilletons
du Petit Journal : ça vous monte la tête.
(Très tendrement.) Allons, bonsoir. .. bonne nuit...
au revoir, ma chère petite femme. .. à demain...
crois-tu que ce soit admirable ?: tu es près de moi...
je sens les moindres inflexions de ta voix... de tes gestes...
je le vois presque... oui, je te vois, ma chérie...
ma chère chérie. . . (Il l'embrasse par le téléphone.)
MADAME RIVOIRE,
gaiment.
On dirait des tourtereaux !
RIVOIRE,
blagueur.
Hé ! là. pas d'inconvenances !
MAREX, dans
le téléphone.
Tes amis me blaguent. .. Ça ne fait rien... à
demain. .. oui, ma chérie... à demain... (Il
cesse de téléphoner et accroche le récepteur.)
RIVOIRE.
Si nous n'avions pas été là...
MADAME RIVOIRE.
A quelles extrémités se seraient-ils portés
?
RIVOIRE.
Heureusement que les extrémités sont un peu
éloignées 1
MÀREX,
gaîment.
Soixante-dix kilomètres d'une bouche à l'autre.
,
RIVOIRE.
Ton café est froid.
|
MAREX.
Ça ne fait rien. (Il boit.) Figurez-vous que nous
avons une vieille bonne très dévouée,
mais peureuse comme on ne l'est pas. Au moindre bruit, elle
se trouve mal. Elle croit toujours avoir affaire à
des brigands__des assassins... (Rivoire allume une cigarette.)
RIVOIRE.
Le pays est sûr ?
MAREX.
Très sûr... je le crois... du moins... sûr
comme partout ! Nous sommes un peu isolés, un peu
éloignés du village, c'est vrai, mais...
MADAME
RIVOIRE.
Vous avez un bon domestique, qui couche dans la maison quand
vous n'êtes pas là ?
MAREX.
Oui, liaise, un brave garçon ; mais il a été
justement appelé près de sa mère, très
malade,
RIVOIRE.
T iens... alors ta femme et la bonne sont seules ?
MAREX.
Oh ! pour une heure ou deux, seulement ! J'avoue que ça
m'ennuie un peu... je n'ai pas voulu l'avouer à Marthe.
D'ailleurs, pour une raison aussi sérieuse, elle
ne pouvait pas faire autrement que de laisser partir Blaise...
(Changeant de ton.) Il n'y aucun danger ! C'est même
ridicule de songer une minute à des choses comme
ça !
MADAME
RIVOIRE.
Mon Dieu ! vous savez, on ne prend jamais trop de précautions.
On lit chaque jour tant de choses effrayantes dans les journaux
|
MAREX, riant.
Tenez, vous êtes comme Nanette, vous...
(Sonnerie du téléphone.)
RIVOIRE,
allant au téléphone.
Qu'est-ce qu'il y a encore ? (Au téléphone.)
Quoi ? Ah !... (Allant à Marex.) C'est ta femme, mon
vieux ! (Il lui tend le récepteur.)
MAREX, un peu ému, se lève et va au téléphone.
C'est toi... Oh ! comme tu as la voix altérée
! Qu'y a-t-il ?... "Vous entendez des pas... comme tout
à l'heure... dans le jardin. .. C'est peut-être
Blaise ?.,. Alors... vous êtes bien sûres ?...
Peut-être les chiens en courant sur le sable... comme
des bruits sourds... près de la porte... Mais je ne
sais pas! Voyons, je t'en supplie, Marthe, ne t'affole pas
!,.. Tu m'écoutes ? Oui, je t'en prie... Bébé
pleure... je l'entends... vous l'effrayez. .. calmez-vous...
mais calmez-vous donc !. .. Nanette est vraiment coupable
: elle t'a communiqué sa peur... Si, tu as peur, je
l'entends, lu as peur! Derrière la porte?...
Voyons... c'est impossible... Ah ! ne perds pas la tête...
Ecoute : je vais te rassurer... c'est bien simple... tu as...
tu as le revolver dans le tiroir de la table... tu sais...
je l'ai laissé tout chargé. Ecoule : entr'ouvre
légèrement une des fenêtres...
Tu n'oses pas ?... Voyons... je ne te reconnais plus, toi,
si courageuse !... Ouvre la fenèlre, pas les contrevents,
la fenêtre seulement et tire un coup de revolver : ça
effraiera... s'il y a quelqu'un... mais je ne crois pas qu'il
y ait quelqu'un, c'est impossible !... C'est.., ah! peul-êlre
une bête... un renard... on ne sait pas... je t'en prie,
ne te trouble pas comme ça ! Fais ce que je te dis
: tire... et prends garde de te blesser... préviens
bébé qu'il n'ait pas peur... fais ce que je
le dis... j'attends là... tu me diras...
RIVOIRE,
s'est levé un peu ému, à Marex.
Mais qu'y a-t-il ?
|
MAREX, à Rivoire.
Mon cher, la peur les prend. Ça y est : elles sont
affolées ! Elles disent qu'elles entendent des bruits,
des pas, même de grincements, un tas de choses...
derrière la porte d'entrée qui donne sur le
parc ! Elles ont perdu la tête ! Ah ! tiens, s'il
y avait encore un train pour là-bas... je repartirais,
je t'assure.
RIVOIRE.
Dis donc, si tu téléphonais au village.
MAREX.
Il n'y a pas de téléphone ; nous sommes directement
reliés a Luxeuil.
RIVOIRE.
Téléphone à Luxeuil, alors, à
la poste, qu'on envoie quelqu'un ?
MAREX.
Mais c'est beaucoup trop loin !.,. Ah 1... je commence à
avoir peur aussi, moi ! Je suis... je ne sais pas ce que
j'ai I (il se retient à la table.)
RIVOIRE.
Remets-toi...
MADAME
RIVOIRE.
Vous aussi ?
MAREX.
Oui, moi aussi. (Réfléchissant.) Ce départ
de Blaise après le mien, celle coïncidence...
RIVOIRE.
Tu ne vas pas te frapper ! C'est idiot... voyons...
MAREX.
Oui... c'est idiot... (Au téléphone.) Comment,
le revolver n'y est pas ? C'est impossible ! Cherche...
cherche partout., dans le
|
tiroir... au fond... où
veux-tu qu'il soit ?... Je l'y ai laissé, ce revolver...
(Aux Rivoire.) Ah ! mes amis 1...
RIVOIRE.
(Lui et sa femme s'approchent, leur émotion va croissant
jusqu'à la fin de la scène, ils sont debout,
suivant anxieusement les paroles et les gestes de Marex.)
MAREX.
Comment rien... On l'a pris alors... Qui ?... Blaise ? non
?... qui ? le gamin !... Ah ! Parle mieux... je n'entends
pas... ça bourdonne dans mes oreilles... qu'est-ce
que tu dis ? Non ! Non ! Marthe, n'aie pas peur... je t'en
prie... je t'en supplie... je suis là... je suis là...
La porte craque... pour la forcer... c'est impossible : les
volets sont solides !... Ah! je t'entends trembler... bébé
pleure... -Ne faites plus de bruit... fais-le taire... fais-le
donc taire... -mon chéri, tais-toi, je t'en prie, mon
cher petit Pierre... Oui, éteignez la lampe... dis
à Nanette... tout de suite... ça les éloignera
peut-être!... Je ne sais plus, moi !... ah ! mon Dieu...
maintenant... sous les volets des fenêtres ?... tu crois
?... Ils sont plusieurs... Et aussi derrière la porte
?..
RIVOIRE,
voulant arrêter Marex.
Mon ami...
MAREX, penché
sur le téléphone.
On glisse quelque chose sous les volets, sous la porte pour
forcer... Ah!. ..appelle... crie... appelle... crie : «
Au secours !»... C'est horrible !... Oui, tu as raison.,
ne crie pas... non, ne crie pas... cache-toi... sauve-toi,
emporte l'enfant... sauvez-vous... sauve-toi par la cuisine...
sauve-toi... cours... Ah !... (Il pousse cri déchirant.)
Ah ! qui est-ce qui a poussé ce cri-là ?...
Marthe 1 Marthe ! C'est toi qui as crié?... Réponds...
mais réponds...
MADAME RIVOIRE,
affolée, à son mari.
Il faut prévenir la police.
sommaire
|
RIVOIRE, désespéré.
Prévenir ? Ça se passe à soixante-dix
kilomètres d'ici !
MAREX,
au téléphone. .
Ah!... encore des cris... qu'est-ce qu'on leur fait... mais
qu'est-ce qu'on leur fait ?... On les tue... on les égorge...
Ah ! au secours !... à l'assassin!... ah! ah!...
ah !... au secours...
RIVOIRE.
Mon ami ! mon ami !
MAREX,
lâchant le téléphone et se sauvant comme
un fou en hurlant pendant que Mr. et Mme Rivoire essaient
de le retenir.
Au secours!... à l'assassin !... à l'assassin...
au secours...
ah !... au secours...

(Rideau.)
|
|