Quand Vichy s'appuyait sur les PTT pour surveiller les Français.


L'historien Antoine Lefébure dévoile dans son livre «Conversations secrètes sous l'occupation» (Tallandier) des milliers de lettres et d’échanges téléphoniques. Et raconte comment l'ancêtre de la poste, qui régnait alors sur les télécommunications, espionnait les Français.

 

De 1940 à 1944, alors que les Français vivent le pire, Vichy invente un outil diabolique: le Service des contrôles techniques, SCT, chargé de surveiller les Français à travers leurs correspondances et leurs communications téléphoniques.
Rapidement, cet organe ultra secret de surveillance sert à des fins policières : identifier les dissidents, repérer les ennemis de l’État et faire la chasse aux juifs.

Après de longues recherches aux Archives nationales, Antoine Lefébure dévoile dans son livre Conversations secrètes sous l'occupation (Tallandier) des milliers de lettres et d’échanges téléphoniques.

Nous en publions un extrait, qui raconte comment le gouvernement de Vichy a instrumentalisé les PTT, ancêtres de la poste, qui régnaient alors sur les télécommunications, pour espionner les Français.

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Les PTT sont, depuis leur origine, une administration lourde, hiérarchisée, soumise à une réglementation complexe.
Vichy va accentuer la tendance naturelle de la hiérarchie à s’abriter derrière les ordres donnés, à afficher un opportunisme de bon aloi, meilleure manière de progresser dans la hiérarchie.
Ordre nouveau, réformes technocratiques, lutte antisyndicale font bon ménage pour transformer les PTT.
En effet, les cadres supérieurs des PTT se mettent souvent dans la position de «l’ingénieur rédempteur qui va aider le pays à entamer l’effort de redressement national dont il a tant besoin».
Dans cette construction pyramidale, chacun a un statut et un rôle fixés, une contrainte mais aussi une sécurité.
Le subordonné dépend de son supérieur qui donne ses instructions, sanction ou récompense, dont va dépendre sa carrière.

Dans ce monde à part, le mépris du supérieur et la flagornerie du subordonné sont monnaie courante.
Là prédominent une inquiétude sourde, un conformisme pesant et un secret généralisé.
Face aux contraintes imposées par Vichy et aux exigences de l’occupant, s’installe une véritable anesthésie morale engendrée par le conditionnement créé par le réflexe hiérarchique: le lien de dépendance entre le subordonné et ses supérieurs.
Jean Berthelot, major de Polytechnique, convaincu de la nécessité d’une modernisation technocratique des PTT, entre au gouvernement le 7 septembre 1940 comme secrétaire d’État aux Communications.

Les PTT annexés

Brillant esprit, représentant type de cette élite française qui a cru que la fin du régime parlementaire représentait une opportunité, Berthelot s’attelle aussitôt aux réformes qu’il a conçues, tout en n’hésitant pas à participer à l’épuration des juifs et des francs-maçons, ainsi qu’à la mise au pas des syndicats.
Dans ce cadre contraint, les PTT feront tout leur possible pour faciliter les interceptions postales et téléphoniques, pratiquées par l’occupant en zone occupée et par le gouvernement de Vichy en zone libre.

Favorable à une collaboration loyale avec l’Allemagne, Berthelot s’oppose avec vigueur aux premières actions de résistance qu’il estime manipulées par l’étranger et qu’il considère comme autant de saboteurs en puissance d’une administration fragile.
L’ampleur des réformes exposées, les contraintes que fait peser l’occupant, l’attitude autoritaire des dirigeants des PTT accentuent le malaise du personnel qui commence à se poser des questions.

Les services d’interception utilisent les locaux et les infrastructures des PTT, lesquels ont obligation de leur faciliter la tâche, ce qui n’est pas toujours bien accepté, d’autant que le service des postes et télécommunications a des difficultés pour assurer son activité normale en ces temps troublés.
Le pays est coupé en deux et les Allemands ont imposé de très fortes restrictions dans les communications postales et téléphoniques.
En outre, de nombreux employés des PTT sont retenus prisonniers en Allemagne.
Les autorités allemandes effectuant de nombreuses réquisitions pour couvrir leurs besoins propres, le matériel manque et, dans les zones de combats de 1940, les destructions ont été importantes.
Par ailleurs, en zone libre, les communications se sont multipliées en raison de la présence de nombreux réfugiés et des déplacements incessants
–72.000 télégrammes sont traités à Toulouse le 29 juin 1940, contre 8.000 par jour en temps de paix.
L’afflux de réfugiés avides de nouvelles explique ce phénomène. La conjoncture est donc très difficile pour les PTT.

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Les transmissions, un outil vital pour l'Allemagne nazie

Dès la conclusion de l’armistice, l’Allemagne s’est souciée de tirer le meilleur parti des ressources humaines et techniques de l’administration des PTT. L’enjeu est de taille puisque les transmissions constituent un outil vital dans la poursuite de la guerre contre l’Angleterre.
Les réseaux allemand et français doivent établir les liaisons entre les armées allemandes, la coordination de la défense aérienne, la transmission des informations météo. Le téléphone et le télégraphe assurent également un lien précieux entre usines allemandes et françaises d’armement.

Le 14 juin 1940, selon un plan bien établi, les spécialistes des transmissions de l’armée allemande (Feldnachrichten Kommandantur) prennent le contrôle des centraux téléphoniques parisiens et isolent les lignes desservant les édifices réquisitionnés le jour même par leurs différents états-majors.
Le haut commandement militaire en France (MBF) s’installe à l’hôtel Meurice, la Feldgendarmerie à l’hôtel Majestic, tandis que le Lutetia devient le siège des services secrets de l’armée (Abwehr). L’aviation et la marine s’installent rue du Faubourg-Saint-Honoré et rue Royale.

L’administration des PTT connaît une situation très particulière puisque le ministre est en résidence à Vichy et l’administration, sous forme de secrétariat général, est à Paris.
Pour ce qui concerne la poste, la tutelle allemande est effectuée par l’Armeefeldpostmeister 51, rue d’Anjou à Paris.
Les télécommunications sont sous contrôle allemand du HONAFU, commandement des transmissions de l’armée allemande qui dirige, en province, 17 organismes régionaux Feldnachrichten Kommandanturen (FNK).
C’est le HONAFU qui passe commande aux PTT des matériels et des services dont ils ont besoin.

Sentiment d'appartenance commune

Dans leurs rapports avec les Allemands, les PTT peuvent jouer d’un sentiment d’appartenance commune à l’internationale postale où les Français jouissent d’une excellente réputation –le français est la langue de travail.
Les conditions de la collaboration entre l’armée d’occupation et les PTT français, en zone occupée et en zone libre, sont discutées entre officiels français et allemands à Wiesbaden. Vichy y a installé sa direction des services de l’armistice (DSA), organisme par lequel doivent passer toutes les négociations officielles franco-allemandes.
Deux hauts fonctionnaires des PTT ont donc été détachés afin de participer à toutes les discussions concernant leur administration. Ils ont pour interlocuteurs les dirigeants de la poste militaire allemande (Armeefeldpostmeister) et le commandant supérieur des Transmissions (Höhere Nachrichten Führer).

Afin de s’assurer une collaboration sans faille des services français, les techniciens militaires allemands divisent la zone occupée en quatre régions et en subdivisions correspondant exactement aux régions couvertes par les PTT.

Au sommet de la hiérarchie, l’état-major allemand traite directement avec le secrétariat général des PTT à Paris. Un dispositif très efficace, comme l’indique une note interne de l’administration française:

«En juxtaposant un organe central de contrôle allemand à l’organe central de l’administration contrôlée, des organes subordonnés à chacun des services d’exécution, les Allemands sont, à tous les échelons de la hiérarchie, en contact permanent avec les services contrôlés en ayant la même compétence technique et territoriale que ces derniers».

Malgré la partie de leur personnel mobilisé et emprisonné en Allemagne, les PTT, qui disposaient de 200.000 fonctionnaires en 1939, essaient de faire bonne figure.
L’armée d’occupation demande au gouvernement français d’utiliser son réseau de câbles souterrains et de lignes aériennes pour constituer un maillage complet de l’armée d’occupation.
C’est donc aux PTT d’assurer la mise à disposition et l’entretien de ces lignes que les Français immatriculent «AA».
Ces installations se font évidemment au détriment des capacités du réseau français, déjà sous-équipé.
Câbles et postiers réquisitionnés

Comme nous le raconte Michel Ollivier, rattaché aux PTT de Blois pendant la guerre, son service devra assurer le service de l’autorité allemande installée dans le chef-lieu de département; Feldkommantur, Feldgendarmerie, Gestapo sont traités comme des abonnés normaux.
Le service des câbles à longue distance doit, sur réquisition de l’occupant, étoffer le réseau.
C’est ainsi qu’un très important centre de commandement allemand est réalisé à Thoré-la-Rochette, relié à tous les états-majors en France et en Allemagne.

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À Nancy, le responsable de la police française a l’idée de demander au directeur des PTT de la ville d’utiliser les facteurs pour informer les autorités de tout élément suspect.
La demande remonte à Paris où le secrétaire d’État aux Communications, qui donne son accord par un courrier du 26 septembre 1942, précise qu’il donnera les instructions utiles pour que les postiers informent les autorités: «Chaque fois qu’au cours de leur tournée, ils constateraient des faits bizarres tels que : présence d’in- dividus aux environs d’ouvrages d’art ou dans la forêt, de bicyclettes abandonnées, etc».
Ainsi, chaque postier en ville ou à la campagne a le devoir de se transformer en informateur de la police, à un moment critique où la Résistance monte en puissance.

Afin de répondre aux craintes du gouvernement allemand qui estime estime en 1942 que le rétablissement des relations entre zone libre et zone occupée «favorise l’échange de renseignements sur les opérations en cours», le secrétariat général des PTT propose que soient centralisées à Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux et Perpignan toutes les correspondances à destination de pays étrangers.
Une mesure destinée à s’assurer qu’aucun courrier ne passe entre les mailles du contrôle postal. Pour donner plus de poids à cette proposition et séduire son interlocuteur allemand, le rédacteur français écrit: «Pour donner plus d’efficacité au contrôle, tout en allége ant le travail des commissions, les Kommandanturs pourraient également être habilitées à examiner le courrier pour l’étranger et à opposer un cachet de garantie18».
Les courriers ouverts et lus

En zone libre, la surveillance des communications est assurée par le Service des contrôles techniques [le SCT, créé par l’État de Vichy, est chargé de surveiller les Français à travers leurs correspondances et leurs communications téléphoniques. ndlr].
Par lettre confidentielle aux préfets, le secrétaire général à la police rappelle le 29 juin 1942 que seul ce service est habilité à user du libellé «contrôle postal». Sont visés les personnels de surveillance des «camps de regroupement» de la zone libre, qui exigent que les détenus remettent leurs courriers ouverts et qui ouvrent le courrier reçu; après quoi, ils apposent un tampon «contrôlé» pour mieux repérer le courrier clandestin.
Face aux plaintes des Contrôles techniques, cette pratique va cesser, le courrier continuera à être lu sans apposition de cachet.

On n’ouvre plus ouvertement le courrier, aux ciseaux en y apposant une bande notifiant le passage à la censure.
La démarche est sournoise et les fonctionnaires flairent la mise en place d’un système policier aux intentions répressives.

Le zèle des employés des Contrôles techniques est peu apprécié de l’administration des PTT qui s’estime lésée d’une partie de ses prérogatives. Supporter que des personnes «étrangères au service» manipulent le courrier et écoutent les conversations téléphoniques, dans les locaux mêmes de l’administration et avec son matériel, s’avère difficile pour le postier ou la téléphoniste dévoués.
Si, en 1939, la situation était tolérable du fait de l’état de guerre, après la reddition de la France, les fonctionnaires des PTT comprennent difficilement ce que font encore les militaires des Contrôles Techniques dans leurs services.
D’autant que les procédés ont changé: on n’ouvre plus ouvertement le courrier, c’est-à-dire aux ciseaux en y apposant une bande notifiant le passage à la censure. Cette fois, la démarche est sournoise et ces braves fonctionnaires flairent bien la mise en place d’un système policier aux intentions répressives.

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Malaise chez les employés des PTT

Pour prendre la mesure du malaise des employés, on lira cette écoute téléphonique de deux d’entre eux parlant de, devinez quoi, mais des écoutes téléphoniques, sans se douter, bien sûr, qu’ils sont eux-mêmes écoutés et enregistrés.
La conversation a lieu entre O..., receveur des PTT à Navarreux, et son collègue (et ami sans doute), le directeur des PTT de Pau.
Le premier commente la qualité de la liaison téléphonique entre M. de Brinon, ambassadeur de France auprès des Allemands à Paris, et les ministères à Vichy.

«O. – On entend maintenant très bien, même avec tous ces braillons intermédiaires qui sont à l’écoute en dérivation et qui diminuent l’intensité. J’ai entendu M. de Brinon qui disait qu’il va encore en parler au ministre des Communications pour avoir un circuit parfait. Il faut vous attendre à ce que l’on vous parle encore de cela d’après ce que M. de Brinon a dit.

Et le postier de Navarreux, visiblement en verve et à cent lieues de se douter qu’il joue peut-être sa carrière, aborde le sujet des interceptions du courrier postal.

O. – J’ai reçu votre mot pour communiquer les correspondances pour le contrôle postal. J’en ai envoyé et ils ont commencé à me les renvoyer sous enveloppe close, mais c’est dangereux pour nous, cela.

Pau. – Ne vous inquiétez pas, nous sommes couverts.

On imagine l’inquiétude du responsable de Pau face aux bavardages de son collègue. Sa réponse laconique peut lui permettre d’espérer que la conversation va aborder des sujets moins sensibles. Mais O... est lancé et plus rien ne l’arrête.

O. – Car ça se voit fort que ça a été ouvert, ce n’est pas fait proprement, il y a des bavures sur l’enveloppe. Enfin c’est tout à fait visible... ils [les destinataires de ces lettres nda] vont s’en apercevoir et ils pourraient penser que cela vient de nous. Tout le monde doit faire son métier, d’accord, mais ils pourraient le faire proprement, car, du point de vue postal, nous serons soupçonnés et critiqués...

Pau. – Ne vous inquiétez pas, nous sommes couverts.»

Les incidents se mutliplient

Les conditions tout à fait exceptionnelles dans lesquelles s’effectue le contrôle du courrier entraînent une multiplication d’incidents entre les employés de la Poste et ceux des Contrôles techniques à qui Darlan a donné de nouvelles prérogatives.
C’est pourquoi, en juillet 1942, il décide de réunir une commission pour améliorer le fonctionnement des Contrôles techniques auquel il tient tant.

Il le fait savoir par courrier au secrétariat d’État aux Communications qui demande à la direction de la Poste de préparer une réponse argumentée. Cette note secrète, qui a échappé aux éliminations que les PTT ont faites avant de déposer leurs archives aux Archives nationales, est très intéressante.
Nous y retrouvons le mélange de réticence et de soumission qui caractérise l’attitude d’une administration «technique» face à la volonté du «politique».

Le rédacteur du secrétariat B fait d’abord remarquer perfidement que la lettre de l’amiral de la Flotte, vice-président du Conseil, fait allusion à un décret du 26 mars 1941 relatif au fonctionnement du SCT. «Or, il n’a pu en tenir compte, ignorant son existence.» Critique feutrée d’une utilisation excessive du secret qui prive les PTT d’informations dans un domaine particulièrement délicat.
Modérant ensuite très vite son propos, le rédacteur se fend d’une déclaration d’intention très explicite: «L’administration n’a nullement l’intention de s’immiscer dans le fonctionnement intérieur du contrôle et d’en apprécier l’opportunité ou la nécessité.
Il s’agit là d’une affaire de gouvernement dont elle n’a à connaître que pour modifier, le cas échéant, son organisation technique en conformité des décisions prises».
Raison d'État

Ainsi, le fonctionnaire d’une administration technique trace précisément les limites de ses revendications.
Il ne s’agit pas là de mettre en cause l’existence des interceptions ni même d’en apprécier l’intérêt, car ce domaine est une «affaire de gouvernement». C’est-à-dire une activité conçue et mise en œuvre au plus haut niveau de l’État et qui est du ressort de la raison d’État.
C’est donc un principe à la limite du droit, qu’aucun spécialiste de droit public n’a pu définir précisément.
La raison d’État autorise à faire une action illégale pour un résultat qui est censé être fait pour la défense de l’État.
Ce domaine est couvert par le plus haut niveau de secret et c’est pourquoi l’administration technique «n’a pas à connaître», pour reprendre cette formule consacrée.

La seule information dont les PTT ont besoin, c’est celle de la modalité des interceptions qui se font sur des réseaux qu’elle administre et dont elle a la responsabilité. Il lui appartient, cette connaissance acquise, d’adapter son service à cette intrusion.
En effet, interception de courrier et écoutes télégraphiques ou téléphoniques mal exécutées peuvent entraîner des dysfonctionnements. Et, dans ce cas-là, l’usager peut soupçonner la probité des PTT ou, pire, se douter d’une interception gouvernementale.

«La liberté de pensée est restée pour [le Français] un bien précieux et, s’il a accepté à certaines époques un contrôle de ses correspondances, il ne l’a supporté que parce que celui-ci était effectué sans dissimulation»
La direction de la Poste

Rentrant dans les détails, la note explique ensuite qu’elle prend acte de la demande de Darlan d’autoriser le SCT à faire des prélèvements de courriers dans les salles de tri ou dans les wagons postaux; elle demande simplement qu’une décharge soit alors signée et que la correspondance interceptée soit rendue le plus rapidement possible «afin de ne pas attirer l’attention des destinataires».
La direction de la Poste met en garde contre cette pratique d’interception clandestine, qui, dans le passé, a suscité d’amples protestations contre le «Cabinet noir».

Un argumentaire intéressant du fonctionnaire postal qui fait un petit cours d’histoire au gouvernement: «Sur ce point, l’état d’esprit du Français, tout en évoluant au rythme des conditions nouvelles de la vie en société, ne paraît pas s’être sensiblement modifié.
La liberté de pensée est restée pour lui un bien précieux et, s’il a accepté à certaines époques (périodes de guerre) un contrôle de ses correspondances, il ne l’a supporté que parce que celui-ci était effectué sans dissimulation».
Bien entendu, il ne sera jamais tenu compte des avis des fonctionnaires de la Poste et les interceptions continueront, à un rythme soutenu, sans la moindre mention des ouvertures effectuées.

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Le 31 août 1942, le secrétariat d’État aux Communications s’adresse à tous les directeurs régionaux, départementaux et aux ingénieurs en chef régionaux des PTT.
Ce courrier est envoyé suite à plusieurs rapports signalant qu’en réponse à des plaintes d’utilisateurs, des mentions d’interceptions «officielles» avaient été faites. La note rappelle donc d’entrée que « le fonctionnement, les activités et les procédés qu’utilisent ces organismes doivent être entourés du secret le plus absolu».
La note concède ensuite que des incidents comme des pertes, des retards, des lettres mal refermées entraînent des réclamations. Pourtant: «On ne saurait admettre que les renseignements fournis aux réclamants, à la suite des enquêtes administratives, laissent plus ou moins deviner l’activité des services des Contrôles techniques».
Et la note, signée Di Pace, secrétaire général des PTT, conclut que toute indiscrétion sur ce sujet sensible sera considérée comme une violation du secret professionnel et punie avec vigueur21. En 1942, l’expression «punie avec vigueur» peut légitimement faire peur.

Note du secrétaire général des PTT, le 31 août 1942. | D.R.

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Aux PTT, la Résistance s'organise

Il serait injuste d’affirmer que tous les fonctionnaires et techniciens des PTT ont effectué dans l’enthousiasme les tâches octroyées par l’occupant. La résistance passive devint courante, surtout à partir de 1942.
Certains fonctionnaires de la zone occupée, inquiétés en raison de leurs origines juives, étaient «mutés» en zone libre.
À partir de 1943, une minorité se lança dans la résistance active, interceptant du courrier envoyé à la Gestapo, écoutant les communications allemandes, effectuant des sabotages avant et après le débarquement.

Alors que la situation militaire de l’Allemagne se dégrade, les pressions sur les PTT s’intensifient, suscitant de plus en plus de contestations.
Les Allemands mobilisent l’essentiel des lignes téléphoniques, les premiers actes de résistance ont donné lieu à de terribles représailles. L’administration est pesante, mais elle commence à craquer de toutes parts malgré une apparente stabilité.
Bien peu de fonctionnaires osent refuser d’appliquer un ordre qu’ils estiment contraire au service du public, ou remettre en cause une demande de l’occupant allemand. Il faudra pour cela se singulariser, refuser la logique de l’obéissance aveugle et assumer les conséquences de cette attitude courageuse.

Rendre le moins possible de services sans pour autant se faire accuser de sabotage

Avant 1944, les fonctionnaires qui oseront refuser un ordre ou une directive assurant l’harmonie entre les PTT, le gouvernement légal et les autorités d’occupation seront peu nombreux.
Beaucoup d’agents des PTT se contentent de faire leur travail avec un minimum d’efficacité et de rapidité, surtout quand il s’agit de demandes de l’occupant. L’art étant de rendre le moins possible de services sans pour autant se faire accuser de sabotage.
Une minorité, par patriotisme et par conviction politique, se lance dans une résistance active avec interceptions de courriers de dénonciations envoyés aux autorités allemandes ou françaises, transmissions de renseignements aux organismes de résistance, destructions de lignes et de matériel utilisés par l’occupant.
Il faut comprendre ici que, outre les risques de mort encourus, le sabotage actif n’est pas une action facile pour un membre des PTT, très attaché à son outil de travail.

Sévères représailles

Ce genre d’activité était d’ailleurs le plus souvent camouflé.
Michel Ollivier, ancien téléphoniste, se souvient que, quand des lignes allemandes étaient coupées par la Résistance, les employés des PTT tentaient de camoufler le sabotage en indiquant comme motif de la panne « fils coupés par mitraillage », accusant faussement les bombardements alliés d’avoir détruit les lignes.
Restait ensuite à faire accepter cette indication par leurs vis-à-vis allemands. En cas contraire, de sévères représailles étaient menées par les occupants.
C’est pourquoi ceux des PTT qui montent et organisent une résistance concrète à l’occupant peuvent être consi- dérés comme des héros.
Les risques qu’ils ont pris étaient immenses, ils ont bien souvent payé de leur vie leurs actes courageux.

Les associations d’anciens conservent précieusement les souvenirs de ces martyrs.
L’exemple le plus fameux de cette attitude héroïque est celui de l’ingénieur Robert Keller, qui réussit à installer une table d’écoute indétectable sur le câble Paris-Metz par lequel transitaient toutes les liaisons d’état-major entre Paris et Berlin.
Après avoir échappé de justesse à une perquisition de leur station clandestine à Noisy-le-Grand, Keller et ses camarades récidivèrent en mettant sur écoute le câble Paris-Strasbourg. Les renseignements recueillis étaient ensuite transmis à Londres.

Cette fois, ils ne purent échapper à l’arrestation et furent torturés avant de mourir dans un camp de concentration 23.
Plusieurs anciens résistants sont persuadés que Bousquet dénonça aux Allemands l’équipe de Keller.

Ce qui est certain, c’est qu’Hitler et Ribbentrop furent tenus constamment au courant du développement de cette affaire qui les a préoccupés au plus haut point.

Antoine Lefébure Historien des médias.
Auteur de «L'affaire Snowden, comment les Etats-Unis espionnent le monde» (La Découverte, 2014).

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