Le syndicalisme dans les Postes et télécommunications


Le syndicalisme des PTT en France est né au début du XXe siècle dans les conditions particulières de la réglementation de la fonction publique. Alors que le droit syndical est reconnu en 1884 pour les salariés de tous les secteurs d'activité économique, l'État lui-même dénie ce droit à ses agents.
L'importance grandissante des activités de communication sous monopole étatique la Poste et le télégraphe, auxquelles s'ajoute progressivement le téléphone, pousse l'Administration à des recrutements nombreux.
Dans l'effervescence du syndicalisme révolutionnaire français des années 1900-1910 une fraction importante des fonctionnaires des Postes et Télégraphes ne se satisfait plus d'être tenue à l'écart du droit commun aux autres salariés.
De 1900 à 1946, la revendication de la reconnaissance de leur syndicalisme et de son rattachement à la CGT, en particulier, accompagne les nombreuses doléances des fonctionnaires de l'Administration des PTT. À l'inverse de la plupart des autres fonctionnaires, les postiers et les télégraphistes utilisent une forme d'action, qui elle aussi ne leur est pas légalement reconnue : la grève.

Les conditions de l'émergence du syndicalisme français des PTT ont fait que des fédérations syndicales propres aux PTT ont été créées et se sont développées dans chaque centrale syndicale, comme dans le secteur de l'Éducation nationale.
Cependant, depuis la fin des années 1980, dans un cadre juridique nouveau, à la suite de la réforme des PTT de 1990, la tendance est au regroupement des forces, au sein de chaque Confédération, des salariés des deux opérateurs « historiques », La Poste et France Télécom devenue Orange en 2013, avec les salariés de l'ensemble des entreprises du secteur des activités de communication.

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Les PTT, Postes, télégraphes et téléphones en France n'existent plus en tant que tels depuis le vote par le Parlement de la loi 90-568 du 2 juillet 1990 dite loi Quilès. Celle-ci crée deux établissements publics distincts : la Poste d'une part et France Télécom d'autre part. Cependant le terme générique PTT est le plus proche d'une réalité que lègue l'histoire sociale du XXe siècle. Souvent employés, y compris par les syndicalistes CGT qui utilisèrent les termes de Fédération postale pour désigner la Fédération nationale des travailleurs des PTT- CGT, les termes « postal » ou « postier » sont réducteurs à une partie seulement des salariés du secteur. Ils excluent la spécificité des "télégraphistes", fiers de leur technicité. Le terme télécommunication paraît anachronique pour les fonctionnaires des années 1900...

L'Administration des PTT elle-même, a varié dans son appellation.
Les Postes, Télégraphes et Téléphones, constitués en administration autonome à la fin du XIXe siècle ont, durant tout le siècle suivant, posé problème aux politiques comme aux juristes : administration publique, service public ou entreprise publique à caractère industriel et commercial ?
La création en 1923 du budget annexe des PTT est une première réponse. La loi institue en même temps un organisme consultatif, le Conseil supérieur des PTT, où prennent place des représentants élus du personnel. C'est une première dans une fonction publique française qu'on dit sclérosée. Mais le budget annexe ne permet pas une réelle autonomie des PTT, faute d'une réelle volonté politique. Pourtant dès les années 1960-1970, dans les faits, la séparation des PTT en deux branches distinctes est mise en place, malgré les protestations de certains syndicalistes. La loi de 1990 a mis en texte une réalité, et sans doute préparé d'autres évolutions pour le XXIe siècle. Dans l'esprit du public, le terme PTT survit, mais pour combien de temps ? Toutes les fédérations syndicales importantes tendent vers l'abandon de ce vocable…

Le syndicalisme dans les PTT est né aux alentours de 1900. Il s'est très vite distingué du syndicalisme de l'ensemble Fonction publique et s'est doté d'organisations spécifiques à la "corporation", qui tiennent leur légitimité du nombre des agents concernés et des luttes particulièrement vives menées au sein de l'Administration des PTT.
Les grèves des PTT, en 1909, marquent durablement les relations sociales dans ce service de l'État.
Le conflit de l'automne 1974 paralyse l'économie durant plusieurs semaines.
Le syndicalisme, toujours puissant dans les deux branches professionnelles, est souvent tenté, conforté par l'histoire, de privilégier le "rapport de force" conflictuel sur la négociation. Le "dialogue social" est rendu difficile dans l'entreprise de main d'œuvre qu'est la Poste, par la fragmentation du syndicalisme, l'étendue du territoire, le nombre des salariés (près de 300 000 à la Poste) et le bureaucratisme des structures de l'organisation. À France Télécom (plus de 140 000 salariés), dont le secteur d'activité est ouvert à une concurrence forte d'autres opérateurs, les défis technologiques et les modes de gestion ont déstabilisé les anciennes structures syndicales.

Le syndicalisme des anciens PTT se donne pour objectif de couvrir les salariés de l'ensemble des entreprises du secteur des activités postales et de télécommunication. Il aspire à dépasser le strict périmètre des activités dévolues à la Fonction publique, pour faire face à la "libéralisation" du marché des services publics.

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Aperçu historique des organisations syndicales aux PTT

Le droit syndical dans les PTT, comme dans l'ensemble de la Fonction publique française, n'a été véritablement reconnu que par le Statut de la Fonction publique adopté en 1946. Cependant dès la fin de la première guerre mondiale, il est un fait acquis: les syndicats participent aux organismes mis en place dans l'Administration, comme les conseils de discipline ou les commissions d'avancement de grade. Aux PTT, parmi les 28 membres du Conseil supérieur des PTT, institué en 1923, les représentants du personnel, au nombre de 6, sont élus sur des listes présentées par les organisations syndicales. Seule la référence CGT est bannie des Bulletins officiels présentant les candidats! Pourtant, bien que formellement unifié au sein d'une "fédération postale", le syndicalisme des PTT est jusqu'en 1945 un assemblage, au sommet, de trois syndicats nationaux corporatifs, héritiers, pour deux d'entre eux des Associations Générales mises en place au début du XXe siècle, avec l'aval du socialiste "ministériel" Alexandre Millerand, qui est chargé du Ministère du Commerce, de l'Industrie et des PTT de 1899 à 1902, dans le gouvernement Pierre Waldeck-Rousseau. Le droit de grève, par contre, est fermement interdit aux fonctionnaires jusqu'à sa reconnaissance globale par le préambule de la Constitution de la 4e République.

Les dirigeants de la grève des facteurs parisiens d'avril 1906

La grève des postiers.
- Photographie d'une salle de la Recette principale de la Poste de Paris, lors d'une grève des facteurs au début du 20e siècle

Avant 1914 : la rude naissance du syndicalisme
Les agents des PTT peuvent se rassembler dans des Associations Générales. Toutefois il existe un exception: dès 1899, les ouvriers des PTT qui travaillent à l'installation et à l'entretien des lignes télégraphiques aériennes ou souterraines constituent un Syndicat national des Ouvriers des PTT, qui s'affilie à la CGT.
En 1914, il compterait 5 000 membres parmi un personnel d'environ 9 000 ouvriers. Les ouvriers des services techniques des centraux télégraphiques ou téléphoniques, ceux de l'Imprimerie des timbres-poste, située alors boulevard Brune à Paris, 14e, les ouvriers des garages postaux relèvent de ce Syndicat, qui délègue des représentants à chaque Congrès de la CGT.
Les « agents », c’est-à-dire les « commis » des guichets des bureaux de poste, les commis du tri et des centraux télégraphiques, ainsi que les « dames employées » des guichets et du téléphone, se regroupent dans l'Association générale des agents des PTT : 22 000 adhérents en 1914, pour un effectif de 40 000 fonctionnaires. Les commis des PTT, ainsi que les dames-employées sont recrutés par concours national. Ils ont le même niveau d'études que les instituteurs ou les institutrices. C'est parmi eux que le syndicalisme postier puise une forte proportion de ses dirigeants. Certains d'entre eux, après leurs débuts militants à l'A.G., se tournent vers le militantisme politique, où leur culture leur permet parfois de "faire carrière" d'élu local ou national. Ainsi, plusieurs des pionniers du syndicalisme postier, que les luttes sociales ont aguerris, en particulier ceux qui à la suite des grèves de l'année 1909 ont subi des sanctions lourdes, figurent après 1918 parmi les candidats socialistes ou communistes aux élections à la députation.
À la Chambre des députés, entre 1919 et 1950, le groupe socialiste SFIO, le groupe communiste et celui du Parti d'unité prolétarienne, comptent plusieurs postiers "révoqués de 1909": Jean-Louis Chastanet, Jean-Baptiste Canavelli, Clovis Constant, Jules Hippolyte Masson, René Plard. Plusieurs autres ont fait leurs débuts dans ce syndicalisme postier bien particulier : André Barthélémy, Léon Dagain, Charles Lussy, Auguste Pageot, Robert Philippot, Alexandre Piquemal, Louis Sellier.

Grèves des PTT de 1909, sacs et corbeilles de courrier en attente de la fin du conflit

Enfin il y a la "catégorie" la plus nombreuse, 55 000 fonctionnaires, appelés jusqu'en 1919 les « sous-agents », qui deviennent à cette date les « employés » : ce sont les facteurs et les agents de manipulation et de transport du courrier. Ils se reconnaissent dans deux organisations distinctes, une A.G. des sous-agents, modérée et majoritaire, bien implantée parmi les facteurs ruraux, et un Syndicat national des sous-agents, né au cours d'une grève des facteurs parisiens en avril 1906. Ce syndicat illégal, mais qui rassemblerait près de 9 000 membres adhère à la CGT en 1910, malgré la sanction que ce ralliement implique : il n'est pas reconnu par l'Administration forte en la matière de la jurisprudence du Conseil d’État.
Au moment des grèves qui secouent les PTT à la fin du Ministère Clemenceau, en 1909, les trois organisations qui mènent le mouvement, AG des agents, Syndicat des sous-agents et Syndicat des ouvriers, se rassemblent dans une Fédération nationale des PTT, autonome, qui disparait en 1914.

1918-1940, unité, scission, réunification, antagonismes

La fin des hostilités en 1918 s'accompagne d'un essor du mouvement syndical. En décembre, l'AG des agents se transforme en Syndicat national des agents des PTT. Puis le 28 août 1919, les trois syndicats nationaux (Agents, Employés et Ouvriers) s'unissent dans une structure fédérative, où chacun garde son autonomie. Ainsi naît la Fédération nationale des travailleurs des PTT de France et des colonies. Elle adhère à la CGT, sitôt sa création. Elle constitue dès 1920, une des fédérations-clefs (selon la classification utilisée par Annie Kriegel) de la Confédération. On estime à 43 500 le nombre de ses adhérents, chiffre important, qui donne à voir un taux de syndicalisation de la profession avoisinant les 30 %. À la direction de cette fédération chacun des trois syndicats nationaux est représenté. Ainsi en juin 1920, le secrétaire général est un "employé", Léon Digat, le secrétaire général-adjoint est un "agent", Joseph Lartigue, et un troisième secrétaire est issu du syndicat des "ouvriers", Antoine Tournadre.
Les débats sur le ralliement aux Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), puis autour de l'adhésion à l'Internationale syndicale rouge entrainent, lors du 2e Congrès de la fédération, en juin 1921, un partage des forces en faveur du maintien dans la CGT: 159 voix contre 129, sur 350 mandats.

Les "unitaires" : en 1922, les minoritaires, emmenés par Joseph Lartigue, Henri Raynaud et Henri Gourdeaux, rallient la CGTU, dont la fédération des PTT ne compte jamais plus de 15 000 adhérents. Ils étaient 8 000 en 1935, lors de la réunification syndicale. Malgré leur faible nombre, et le refus de l'administration de les reconnaître en tant qu'organisation syndicale, passé le court moment du Cartel des gauches (1924-1925), les syndicalistes de la FPU mènent quelques luttes qui recueillent un écho certains: pour les dames-employées, ou chez les facteurs.
Après avoir évincé les syndicalistes révolutionnaires, dont le premier secrétaire Joseph Lartigue, les communistes dirigent la fédération unitaire, non sans pousser dehors les dissidents. Ainsi en 1931, le secrétaire général (depuis 1927), le facteur Julien Taillard, qui suit les élus communistes parisiens dans leur adhésion au Parti d'unité prolétarienne est remplacé par Henri Gourdeaux. Celui-ci est assisté à la direction fédérale par Jean Grandel, Emmanuel Fleury, Léonard Garraud et Adèle Lecoq.

Les "confédérés" : la fédération postale CGT quant à elle, annonce entre 37 000 membres en 1925 et 48 000 en 1935. Son existence est marquée au cours des années 1920 par des rivalités de personnes et des luttes d'influence entre les francs maçons et les syndicalistes "purs". C'est en particulier le cas au Syndicat national des agents dont le secrétaire général Jean Baylot est évincé en 1927 par Jean Mathé. De plus chacun des trois syndicats catégoriels a tendance à ne défendre que son « pré carré », au détriment d'une vision d'ensemble. Cette fédération participe à tous les organismes mis en place au sein de l'administration, au sein desquels siègent des élus du personnel élus ou nommés : conseil de discipline, commission d'avancement, Conseil supérieur des PTT, Comité technique des PTT. Nombreux sont les syndicalistes à cumuler direction syndicale et présence dans ces structures: Jean Baylot, Antoine Tournadre, Jean Mathé, Léon Digat, Émile Courrière, Charles Moreau, Émile Farinet, Marcel Caillon, Combes, André Dutailly, pratiquement tous les dirigeants de la fédération postale ou des syndicats nationaux qui la composent, siègent un moment au conseil supérieur des PTT. Les élections en novembre de chaque année pour le renouvellement de la moitié des élus de ce conseil, sont le temps fort de ce syndicalisme que les "unitaires" accusent d'être « réformiste ».

La réunification syndicale a lieu aux PTT, lors du Congrès des 10-14 décembre 1935.
Albert Perrot, ancien "confédéré" est élu secrétaire général, alors que l'ancien "unitaire" Henri Gourdeaux est secrétaire général adjoint. Trois secrétaires, un par catégorie, les assistent, tous trois sont d'anciens confédérés : Jean Mathé pour les agents, Aimé Cougnenc pour les employés, Charles Moreau pour les services techniques. La dynamique de la réunification, alliée à celle du Front populaire, font croître les effectifs de cette fédération, de 60 000 en 1935, à 75 000 en 1936, jusqu'aux alentours de 100 000 en 1938. Selon Antoine Prost, le taux de syndicalisation à la CGT atteint alors plus de 50 % aux PTT. Dans le dispositif des différentes tendances au sein de la CGT, la fédération des PTT se situe majoritairement aux côtés de Syndicats, dont le leader René Belin est un ancien syndicaliste des PTT.
Dès 1938 un fossé se creuse entre les "confédérés" et les "unitaires". Bien que réélu lors du 9e congrès de la fédération postale, tenu en mai 1938 à Vichy, Gourdeaux est évincé cinq mois plus tard (octobre 1938) de son poste de secrétaire général adjoint à l'occasion d'une réunion du comité national de cette fédération. Les débats entre la direction fédérale qui approuve les accords de Munich et les communistes sont vifs. De plus l'échec de la grève générale lancée par la direction de la CGT, le 30 novembre 1938, atteint particulièrement la fédération postale, dont certains militants sont sanctionnés par l'administration. Alors que les unitaires sont chassés de tous les postes de responsabilité, sitôt après le Pacte germano-soviétique de 1939, plusieurs dirigeants syndicalistes des PTT, Albert Perrot, Émile Courrière vont suivre René Belin dans son évolution vers la collaboration, après la défaite de 1940.

La Résistance syndicale aux PTT

La Résistance au sein des PTT est multiforme. Aucune synthèse n'a été faite, qui prenne en compte tous les réseaux, les actes relevant des résistances locales, les sabotages des lignes télégraphiques, la coupure des câbles souterrains, le renseignement, la participation syndicaliste dans les institutions vichystes et la résistance des syndicalistes eux-mêmes. Cette dernière est fortement entravée par le ralliement à René Belin de certains dirigeants de la Fédération postale et par l'attentisme, pour le moins passif à l'égard du nouveau régime, des autres membres de la direction fédérale. L'exclusion des anciens syndicalistes unitaires de la Fédération des PTT en septembre 1939 prive ceux-ci d'un moyen d'action et d'une légitimité indiscutable. De plus à l'automne 1940, plusieurs syndicalistes "unitaires" et communistes sont révoqués de l'administration au même titre que les juifs et les francs-maçons. C'est le cas de Marie Couette, Jean Lloubes, Léonard Garraud, René Bontemps, tandis que d'autres sont arrêtés tel Jean Grandel.

C'est par le relais des organisations du Parti communiste français que se constitue le mouvement résistant Libération nationale PTT, lié au Front national de lutte. Aux noms déjà cités, il faut ajouter d’autres dirigeants syndicalistes unitaires, Henri Gourdeaux, Emmanuel Fleury, Camille Trébosc, Fernand Piccot, Jean Abbadie. Ce mouvement a une importance notable surtout en Région parisienne, où il dirige en août 1944 la grève générale des services postaux. Plusieurs de ses dirigeants sont déportés, Jean Lloubes à Buchenwald, René Bontemps à Mauthausen, tout comme Léonard Garraud, qui y meurt. L'épouse du dirigeant des facteurs parisiens, Marie-Thérèse Fleury, syndicaliste elle-même, meurt à Auschwitz.

De même les milieux résistants socialistes se regroupent dans plusieurs mouvements, comme Action PTT, dirigé par Ernest Pruvost, Maurice Horvais, Simone Michel-Lévy, ou comme Etat-major PTT (EMPTT). Ces mouvements se rassemblent en 1943 dans Résistance PTT, dont l'origine est due à un rédacteur des Services ambulants, Edmond Debeaumarché, déporté par la suite. Ce mouvement semble particulièrement implanté parmi l'encadrement, tout comme un autre réseau de Résistance, étendu au niveau de la Fonction publique, le NAP, Noyautage des administrations publiques, spécialisé dans le Renseignement.

Selon certaines sources, 10 000 postiers sur un effectif de 200 000, auraient pris une part active dans les réseaux de Résistance. Cela représenterait 5 % de la profession. D'autres citent le chiffre de 9 %, qui paraît exagéré. Incontestables sont les chiffres suivants qui ne concernent que les agents des PTT :
- fusillés: 243. L'ancien dirigeant syndicaliste unitaire Jean Grandel est fusillé en octobre 1941, à Châteaubriant, le facteur parisien Paul Vaguet est - fusillé en décembre 1941, le chargeur des bureaux-gares Gabriel Laumain tombe en 1942. Les communistes ne sont pas les seuls à subir cette répression sanglante. Le dirigeant régional de Résistance PTT à Amiens, Gaston Moutardier est fusillé en 1944, tout comme le receveur des Postes de Valence (Drôme), Paul Gateaud.
- tués au combat, en tant que volontaire de la Résistance : 92.
- morts en détention : 12.
- morts en déportation, du fait de Résistance : 373. Aux noms déjà cités, il faut ajouter entre autres ceux de l'ingénieur Robert Keller, de la rédactrice Simone Michel-Lévy, du commis André Maratrat, ancien révoqué de 1909, de Maurice Harmel, ancien postier, "révoqué de 1909" devenu journaliste au journal cégétiste Le Peuple, proche de Léon Jouhaux, résistant au sein du mouvement Libération-Sud.
- déportés rentrés des camps : 326. Parmi ceux-ci, Edmond Debeaumarché, qui à l'égal de l'ingénieur Robert Keller, de Simone Michel-Lévy, de Gaston Moutardier, de Paul Gateaud a été commémoré par l'édition d'un timbre-poste, dans la série des Héros de la Résistance, éditée par les PTT entre 1957 et 1960.

Depuis 1945, un syndicalisme éclaté

La réunification syndicale dans la clandestinité, actée pour la CGT dans son ensemble par les Accords du Perreux, en avril 1943 ne se réalise pas aux PTT. Le passif entre anciens confédérés et anciens unitaires ne permet aucune entente. L'ancien confédéré Léon Digat et l'ancien unitaire Emmanuel Fleury trouvent un terrain d'entente, fin 1943. En vain. En août 1944, ce sont deux fédérations rivales qui aspirent à la reconnaissance administrative et syndicale. Celle-ci est d'abord acquise par la fédération postale reconstituée par l'ancienne équipe dirigeante de 1939 : Jean Mathé, Aimé Cougnenc, Edmond Fronty. Les communistes, qui dirigent une fédération issue de Libération nationale PTT obtiennent un arbitrage du Bureau confédéral de la Cgt: la fédération des PTT est placée sous un système de cogérance, sous l'autorité d'un résistant, Coste, secrétaire général, d'un ancien confédéré Astrie et de l'ancien unitaire Emmanuel Fleury, secrétaires, jusqu’au Congrès qui se réunit du 11 au 15 septembre 1945, à Limoges.

La Fédération nationale des travailleurs des PTT - CGT

Les documents mis en discussion au congrès de 1945 sont clairs : il s'agit du « premier Congrès de la fédération postale reconstituée ». Pourtant, si on suit la chronologie de la Fédération "postale", c'est le 10e congrès de celle-ci depuis 1919, qui se tient. C'est un bouleversement du rapport des forces internes qu'enregistre le vote du rapport. 79 500 voix se prononcent contre la direction des confédérés, 10 588 voix l'approuvent, 5 048 s'abstiennent. Au terme des travaux, le communiste Fernand Piccot devient secrétaire général de la fédération Cgt des PTT. Un congrès extraordinaire a lieu en décembre 1946, à la suite des grèves de l'été de cette même année. L'enjeu est d’importance : la fédération regroupe près de 150 000 adhérents, selon les sources cégétistes. Les résultats des votes confirment le basculement de la fédération CGT des PTT, dans l'orbite des anciens unitaires : 92 156 voix pour, 27 748 contre, 4 815 abstentions. Fernand Piccot est réélu secrétaire général. En 1950, Georges Frischmann lui succède. Communiste, il siège au bureau politique du PCF à partir de 1954. Il dirige la fédération postale durant 29 ans. Son successeur Louis Viannet, de 1979 à 1982, est lui aussi militant notoire du Parti communiste français, tout comme l'ouvrier des timbres, Albert Leguern, qui dirige la CGT-PTT de 1982 à 1988. La Fédération nationale des travailleurs des PTT-CGT, un temps ébranlée par la scission de 1947, ses effectifs approchant les 45 000 syndiqués en 1953, est demeurée la première force syndicale aux PTT depuis 1950 jusqu'à nos jours. C'est également une des plus importantes fédérations de la CGT. Maryse Dumas, qui a été jusqu'en 2009 une "officieuse" numéro"2" de la CGT, était issue de cette fédération. Première femme à accéder à cette fonction aux PTT, elle est de 1988 à 1998, la secrétaire générale de la CGT-PTT. Son successeur a été Alain Gautheron. Comme Maryse Dumas, il était issu du corps des inspecteurs des PTT, c’est-à-dire de l'encadrement professionnel. C'est de nouveau une femme, Colette Duynslaeger, qui depuis 2004 dirige la CGT des PTT. Cette fédération s'appelle désormais la Fédération des salariés du secteur des activités postales et de télécommunications.

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Au 35e congrès de la CGT Fapt, qui s'est tenu à Marseille du 23 au 27 mars 2015, Christian Mathorel succède à Colette Duynslaeger.

La fédération syndicaliste des PTT Force ouvrière :
Pendant les trois années qui suivent la Libération, les PTT sont le champ d'un affrontement entre la direction de la fédération et les anciens confédérés. Fin juillet- début août 1946, ceux-ci lancent aux PTT une grève, qui exprime le mécontentement d'une profession quant à son niveau de vie, mais qui est aussi utilisée contre le ministre d'État chargée de la fonction publique, le communiste Maurice Thorez. Un Comité National de Grève, dirigé par Camille Mourguès est mis en place, pour concurrencer la fédération postale. Transformé en Comité d’action syndicaliste en décembre 1946, ce comité, qui annonce 15 000 membres, est à la base de la Fédération syndicaliste des travailleurs des PTT, créée les 11-12 juillet 1947. Cette fédération adhère à Force ouvrière en avril 1948. Plusieurs anciens responsables "confédérés" y prennent place, Jean Mathé, Charles Moreau, mais aucun n'y détient de responsabilités importantes. C'est une des plus importantes de la jeune centrale syndicale. Annonçant 29 000 adhérents en 1952, elle en atteindrait 52 000 en 1964. En août 1953, sa présence active dans les grèves du secteur public, et son rôle dans la fin du conflit assoient sa visibilité. Sous la Quatrième République, elle bénéficie d'un environnement politique favorable: FO ralliant à elle les postiers socialistes, les députés SFIO, comme le rapporteur du budget des PTT Léon Dagain et le ministre socialiste des PTT Eugène Thomas qui a ce secteur en charge durant 77 mois, cumulés entre novembre 1945 et décembre 1958 lui prêtent une oreille favorable. La puissance de FO-PTT, qui n'est que la seconde force syndicale de la profession jusqu'en 1983, est à son apogée vers 1958-1961. Son leader emblématique est Camille Mourguès, qui reste un des responsables de la fédération des PTT, même après son accession au bureau confédéral de Force ouvrière en 1960. Ses successeurs sont Roger Viaud de 1957 à 1969, puis André Fossat6. À partir de la fin des années 1960 le déclin de FO-PTT est accompagné par l'affirmation d'une troisième puissance syndicale, la CFDT, issue de la CFTC. D'autres syndicalistes de FO PTT ont accédé au bureau confédéral de Force ouvrière, au temps du long mandat de André Bergeron, tel Jean Rouzier7. Rival en 1989 de Marc Blondel pour le poste de secrétaire général de FO, Claude Pitous, considéré comme le successeur désigné par André Bergeron, est issu de la fédération des PTT, qu'il dirige de 1978 à 19828. Il bénéficie en cette occasion du soutien de Jacques Marçot, secrétaire général de FO-PTT depuis 1982. Mais il échoue.

Renommée depuis l'année 2000 FO communication, cette fédération est dirigée actuellement par Christine Besseyre.

La CFTC-PTT
La division durable du syndicalisme aux PTT ne se limite pas à la scission entre CGT et FO.
Les années d'après la Libération sont celles où émerge un troisième pôle syndical, autour de la CFTC. Quasi inexistante avant 1939, la Fédération des syndicats chrétiens des PTT- CFTC gagne au cours de la 4e République une audience qui recueille l'assentiment de 20 % des postiers. Les grèves de l'été 1953 provoquent des remous au sein des militants CFTC, du fait d'un appel précoce à la reprise du travail. Forte de 20 000 membres, en septembre 1953, lors de son congrès tenu à Lyon, la fédération PTT-CFTC élit Charles Fleury, nouveau secrétaire général. La minorité, qui souhaite une évolution vers la laïcisation de la Centrale syndicale recueille 455 mandats, contre 627 et 15 abstentions. Jusqu'en 1964, ce débat agite les militants CFTC. Après cette date, la CFTC "maintenue" a gardé à la Poste et à France Télécom une audience réelle et constante, qui apparaît dans les résultats des élections professionnelles. Le Président du Sénat français (en date de 2008), deuxième personnage de la République, Christian Poncelet a fait ses "classes" dans le syndicalisme CFTC. En 2007 la fédération CFTC des PTT est dirigée par Laurence Decroix, présidente et Daniel Rodriguez, secrétaire général. En 2010, dirigée par Jean-Luc Jacques, elle accuse la Poste d'avoir violé le Code du Travail en n'incluant pas les mois ou années passés en CDD dans l'ancienneté de près de 100.000 postiers et intente une action en justice retentissante pour obtenir réparation.

La fédération démocratique des travailleurs des PTT- CFDT
En 1964, la déconfessionnalisation de la CFTC, donne naissance à une nouvelle force, la CFDT. Aux PTT, le paysage syndical s'enrichit donc de la Fédération démocratique des travailleurs des PTT-CFDT. Portée par l'essor des luttes syndicales et la popularisation des idées autogestionnaires, la CFDT-PTT est partie prenante des grèves de 1968 et de 1974 aux PTT. Durant 12 années cruciales, le secrétaire général de la CFDT-PTT est Émile Le Beller. Cette fédération fusionne avec un syndicat autonome, implanté aux Télécommunications, la FNT (Fédération nationale des télécommunications). Devenue fédération démocratique unifiée CFDT-PTT, puis Fédération unifiée des postes et télécoms (FUPT CFDT), elle est à partir de 1980 la seconde force syndicale des PTT. Mais elle connaît deux crises successives. En 1987, le secrétaire général Denis Tonerre est remplacé brusquement. Puis plus gravement, en 1988-1989, une fraction notable de ses effectifs rejoint Sud-PTT. Lors de la mise en chantier de la réforme des PTT, par le ministre socialiste Paul Quilès, la CFDT PTT joue un rôle actif dans la promotion du changement. Le secrétaire général de la CFDT-PTT, Jean-Claude Desrayaud, qui fait face à la sécession de Sud-PTT, est un des interlocuteurs les plus écoutés de Hubert Prévot. Ce dernier, haut fonctionnaire est un ancien commissaire général au Plan, mais il est aussi un ancien syndicaliste éminent de la CFDT, où de 1975 à 1982, il est secrétaire confédéral chargé du secteur économique. En 2005, la CFDT PTT a fusionné avec la fédération CFDT de la culture (FTILAC CFDT) et la partie "conseil" de la Fédération des Services pour donner naissance à l'actuelle fédération F3C CFDT, Communication, Conseil, Culture dont le champ est beaucoup plus large. Le premier congrès de cette fédération nouvelle, en octobre 2005, a eu lieu à Dijon. Le second congrès de cette fédération a eu lieu en mai 2009 à Strasbourg.
En 2021, la CFDT retrouve un siège cadre au Conseil d’Administration d’Orange.

SUD-PTT
C'est de l'intérieur de la CFDT que s'opère en 1989, une nouvelle scission syndicale. L'aile gauche de la CFDT, au terme de débats internes portant sur le recentrage syndical de la confédération et à la suite d'un conflit social très dur, celui des "camions jaunes" de l'automne 1988 est amenée à quitter cette centrale en construisant une sixième fédération syndicale aux PTT: Solidaires Unitaires Démocratiques SUD-PTT. Avant d'essaimer des groupes SUD dans de nombreux secteurs professionnels, c'est aux PTT que SUD a trouvé son berceau. Fondé, selon les observateurs du mouvement "SUD", par une bande de quatre copains, Annick Coupé, Christophe Aguiton, Christian Chartier, Thierry Renard, le syndicat est dirigé par Annick Coupé jusqu'en 1999, par une autre syndicaliste, Joëlle Charuel de 1999 à 2002, puis par René Ollier, selon une volontaire rotation des responsables. Annonçant 15 000 adhérents le syndicat SUD-PTT était devenu la 2e force du syndicalisme des postiers et des télécommunicants.
SUD-PTT est le 5e syndicat d’Orange.

La CFE-CGC
À cette diversité du syndicalisme, caractéristique qui n'est pas uniquement celle des PTT, comme dans toutes entreprises, il faut ajouter le syndicalisme catégoriel des cadres.
En 2006, la CFE-CGC organise sa transformation en fusionnant dans un seul syndicat ses différentes composantes présentes au sein du groupe France Télécom (Fonction Publique, Salariés de droit privé en maison mère et en filiales) et en abandonnant son statut catégoriel. La Cour de Cassation viendra confirme que sa représentativité ne peut être catégorielle en raison de la présence de fonctionnaires au sein du corps électoral. Ce syndicat prend successivement le nom de CFE-CGC France Télécom puis CFE-CGC Orange.

En juin 2007, la CFE-CGC et SUD-PTT crée l'Observatoire du Stress et des mobilités forcées, alors que la crise sociale couve à France Télécom. Avec SUD-PTT, la CFE-CGC se porte partie civile dans le "procès des suicides" qui aboutit. En première instance à la condamnation d’Orange et en appel le 30 septembre 2022 à la condamnation de Didier Lombard et de 4 autres dirigeants.
Le syndicat est dirigé par un Président, par ailleurs cadre dirigeant d'Orange, Sébastien Crozier (depuis 2006) et un Secrétaire Général Thierry Chatelier.

La progression de la CFE-CGC Orange en 14 ans, passant de la 6e à la 1ère place est sans doute l’un des événements syndicaux le plus marquant des dernières années à Orange (ex-France Telecom - Orange).

Elle remporte également le siège Cadre aux élections du Conseil d’administration de 2017, puis de nouveau un siège cadre en 2021. Elle remporte aussi le siège de l’administrateur représentant les salariés actionnaires en 2020 et dispose depuis de deux sièges au Conseil d’Administration.
et l'Union nationale des syndicats autonomes

Le début des années 2000 est marqué pour le syndicalisme aux PTT par la réactivation d'un syndicalisme autonome, jamais disparu totalement depuis la naissance du mouvement syndical. Ainsi, principalement issu de FO, une branche de l'UNSA a acquis le statut d'organisation syndicale représentative aux Télécoms d'abord, à France Télécom dans l'Ouest (Ex DR Bretagne et Pays de Loire) puis en 2005 à La Poste.

En 2008, la CFE-CGC et l'UNSA décident de faire alliance à France Télécom. La CFE-CGC et l'UNSA France Télécom-Orange présentent des listes communes aux élections professionnelles IRP et Paritaires de janvier 2009 et aux élections du Conseil d'Administration d'octobre 2009.

A partir de juillet 2013, le syndicat UNSA du groupe France Télécom-Orange s'associe à la CFDT.

Il est à noter aussi l'existence d'une branche PTT de la CNT, Confédération nationale du travail, animée par quelques militants. Elle n'est pas reconnue par La Poste, parmi les syndicats représentatifs.

Régulièrement, ont lieu dans chacune des deux entreprises, des Élections professionnelles. Elles permettent d'élire des représentants du personnel siégeant dans les divers Comités et Commissions paritaires, à la Poste, ou les délégués du personnel et les représentants syndicaux dans les comités d'entreprise à France Télécom. La loi de 1990, a institué à La Poste, un Conseil d'administration de 21 membres, dont 7 sont élus tous les cinq ans par les salariés de l'établissement public. Un même organisme avait été institué à France Télécom. Mais depuis 2004, à la suite de la privatisation de l'entreprise, les élections ont lieu selon un calendrier différent. Les résultats de ces élections donnent à voir l'influence des diverses organisations syndicales et l'évolution de celle-ci.

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1899 PTT Les risques du métier

Depuis rentrée des premières «dames employées » aux PTT au siècle dernier , la féminisation de ce service public n’a pas cessé de se poursuivre, mais de manière inégale selon les secteurs. L’introduction des nouvelles technologies, la volonté de l’administration de rentabiliser les services, risquent aujourd’hui de remettre en cause l’emploi des femmes dans les PTT.

La féminisation des PTT date de la fin du xixe siècle au début xxe s’inscrit dans un contexte d’accroissement du trafic postal engendré par la fusion, en 1878, de l’administration des postes et de celle des télégraphes. L’arrivée massive des «dames employées » (ainsi furent-elles surnommées) rencontra une vive opposition de la part du personnel masculin ; seules les féministes de l’époque se félicitèrent de ce changement. Ce fut même une question politique à part entière dans les débats parlementaires.

Aujourd’hui, on compte environ 36 % de femmes dans les PTT (hors Télécoms). Elles sont majoritaires dans les petites catégories de titulaires (catégories C et D) et représentent plus des deux tiers des auxiliaires. Les centres financiers (Chèques postaux, Caisse nationale d’épargne) sont particulièrement féminisés (plus de 75 %). Les centres de tri, secteur traditionnellement masculin, ont connu, ces dernières années, une relative féminisation.

Nous avons rencontré Evelyne, qui travaille au centre de tri de Bobigny depuis plus de six ans. Elles sont 218 femmes à travailler dans ce centre, dont 82 à l’acheminement (décharge et charge des camions, ouverture des sacs, classement pour envoi au service général) et 136 au service général (tri manuel et automatique du courrier, indexation et ensachement du courrier) sur un effectif total de 629 salariés.


Tranche de vie dans un centre de tri :
C’est un lieu commun de dire que le choix de la fonction publique est déterminé par la garantie de l’emploi. Ce ne fut pas le cas d’Evelyne . A 18 ans, elle voulait quitter le lycée et travailler. Elle a passé le concours d’entrée aux PTT et s’est retrouvée au centre de tri de Bobigny. Le témoignage d’Isabelle, recueilli par Viva (revue mutualiste), confirme cette démarche : «Ce que je voulais, c’était, avant toute chose, gagner ma vie. » Elle fut reçue au concours d’agent d’exploitation et attérit aux chèques postaux sans l’avoir choisi.
Comme la plupart de ses collègues, Evelyne est originaire de province. C’est un véritable déchirement familial que de venir travailler à Paris. Nombre de femmes sont obligées de quitter leur mari et leurs enfants faute de pouvoir trouver un logement pour toute la famille. Le personnel a le choix entre les foyers PTT, où les chambres individuelles sont réduites au strict minimum, et le partage à quatre ou cinq d’un appartement. Evelyne opta, à son arrivée à Paris, pour l’appartement collectif mais elle n’y resta qu’un mois, à cause des inconvénients qu’entraînent les horaires différents de chacun. Aujourd’hui, elle vit avec ses deux enfants dans un appartement et commence enfin à pouvoir organiser sa vie comme elle l’entend.
Elle travaille au service général à l’indexation, c’est-à-dire à la lecture automatique du courrier (les petits bâtonnets que vous trouvez au bas de vos lettres). Elle fait partie de la brigade «mixte », ainsi appelée du fait de ses horaires particuliers (7h45-16 h), les autres brigades ayant des horaires alternés (un jour le matin, le lendemain l’après-midi). Ce ne fut pas sans difficultés, le nombre de postes dans cette brigade étant très limité : la direction l’y affecta d’abord à titre provisoire et l’obligea à faire des remplacements au restaurant administratif, avant de l’affecter définitivement à la brigade mixte.
Evelyne a «choisi » le temps partiel à 80 %, à cause de ses charges familiales (elle est seule avec ses deux enfants). Comme le souligne l’ex-commission travailleuses CFDT, peut-on parler de «libre » choix des femmes ? . «Le temps partiel signifie : à la maison, elle en fait plus. Au boulot, elle en fait autant. Ses revenus baissent. Alors, le travail à temps partiel n’est-il pas un piège ? »
Aujourd’hui, Evelyne ne considère plus qu’elle doit «se sacrifier » pour ses enfants, elle a décidé de prendre du temps pour elle. «C'est possible , dit-elle, à partir du moment où on prend le temps de l’expliquer à ses enfants. » Mais dans sa brigade, pourtant composée uniquement de femmes ayant des enfants, elle se sent isolée, car elle a du mal à aborder ces problèmes avec ses collègues : «Je ne les sens pas révoltées, je n’ai pas l’impression quelles aient envie de se battre contre leurs difficultés. Elles râlent contre leur manque de temps, mais je ne suis pas sûre quelles approuveraient ce que je dis sur l’importance de prendre du temps pour soi. » Pourtant, les récents mouvements de grève, en octobre et novembre, furent l’occasion pour ces femmes de discuter collectivement de leurs problèmes spécifiques et de leurs revendications : elles ont compris qu’elles seules pouvaient mettre en avant des revendications telles que la création d’une crèche halte-garderie, ou l’officialisation de leur brigade, régulièrement menacée de disparition. En effet, la direction, profitant des difficultés que connaissent ces femmes (beaucoup vivent seules avec leurs en fants), agite en permanence la menace du retour aux brigades de jour (c’est ainsi qu’elle a réussi à leur imposer de travailler le samedi !).
Elles ont obtenu, pendant la grève, que ces revendications soient intégrées dans la plate forme générale de revendications, ce qui n’était pas gagné d’emblée, car la brigade mixte est encore perçue comme une brigade «privilégiée » par une partie du personnel. Priviligiées, le fait d’être considérées comme des «cas sociaux » par la direction ? Privilègiées, alors que leur travail provoque des nuisances pour les yeux, que les pauses qu’on leur octroie sont insuffisantes ?
Beaucoup de femmes ont participé activement à la grève, même si encore, comme le dit Evelyne, «ce sont les hommes qui gèrent les femmes ». Il faut encore des sexistes indécrottables, comme ce militant de FO, pour oser insulter des femmes qui participaient aux piquets de grève et leur dire : «Vous, les femmes, vous restez les jambes écartées mais après vous voulez qu’on vienne nourrir vos petits». Fort heureusement, ces propos furent dénoncés en assemblée générale par une femme et hués par les grévistes...

Les choses sont en train de changer, même si, de toute évidence, les femmes auront beaucoup plus de mal à s’imposer dans un milieu de travail encore très masculin (le culte du chef combattant a la peau dure) que dans des secteurs hyper-fémi-nisés comme la santé, par exemple.
Les femmes auront encore bien des batailles à mener si elles ne veulent pas voir leur droit à l’emploi remis en cause, si elles ne veulent pas être les laissées-pour-compte de la modernisation.

Modernisation = exclusion ?
Comme le privé, l’administration est toujours à la recherche d’une plus grande productivité des services. C’est ainsi que, dès 1973, fut mis en place une première phase de modernisation des services financiers postaux par l’introduction de l’électronique : cela se traduisit par une diminution de moitié des effectifs et par une déqualification d’une partie importante du personnel. Les femmes, majoritaires dans ces services (chèques postaux, CNE), furent parmi les premières victimes.
Une nouvelle phase de modernisation est en route depuis quelques années et la réorganisation des services en GEG (groupe d’exploitation et de gestion) a pour finalité un nouveau gain de pro ductivité. C’est ainsi que sont supprimées les liaisons entre services du fait du regroupement des opérations d’un même compte.
Certes la modernisation signifie souvent, pour le personnel le moins déqualifié, un travail un peu moins monotone. Mais dans les services exclus de cette réorganisation, tel celui des saisies, nombre d’emplois vont disparaître rapidement avec le développement de la monnaie électronique, des cartes à puce, etc.

Comme le soulignait, en 1986, un groupe de réflexion mis en place par les syndicats CFDT des centres régionaux, l’administration instaure cette nouvelle organisation du travail en partant de l’idée que les postes inintéressants seront toujours occupés par les femmes ayant le plus d’ancien neté, que, de toute façon, la seule chose qui les préoccupe ce sont les horaires et qu’elles se trouvent bien comme elles sont...
L’administration se contente d’une politique de formation strictement fonctionnelle, plutôt que d’envisager une politique de formation pour l’ensemble du personnel. Ne pas poser ces problèmes de formation à temps pourrait entraîner l’exclusion de fait des «OS du papier » à qui l’on n’offre pas la possibilité de suivre l’évolution des technologies dans les PTT. La robotisation de tâches aujourd’hui parcellisées pourrait alors exclure demain nombre de femmes du marché du travail (processus identique à ce qui se passe dans les banques).

Une première étude, portant sur les effets de la modernisation des PTT entre 1973 et 1976 sur l’emploi des femmes, corrobore ces sombres pronostics. Les femmes occupaient alors, et depuis longtemps, les postes les plus déqualifiés ; elles se sont retrouvées sans formation dans les bureaux de postes. Certaines ont sombré dans la dépression nerveuse.
La disparition de certaines tâches comme le pointage, la vérification et à terme la saisie, nécessite de convaincre les femmes affectées à ces tâches qu’elles peuvent faire autre chose afin qu’elles puissent s’assurer un débouché pour l’avenir. Certes, il y a des réticences de la part des femmes à s’engager dans un processus de formation, notamment par crainte des changements d’horaire. Mais les principales raisons sont ailleurs : charges domestiques, enfants, etc. ; et aussi peur de ne pas être «à la hauteur », par intériorisation de leur prétendue «incapacité ».

C’est pourquoi la défense du droit à l’emploi des femmes implique des exigences en terme de formation mais doit aussi s’inscrire dans une bataille d’ensemble pour la réduction du temps de travail, pour le partage des tâches domestiques et pour la satisfaction des besoins sociaux comme la création d’équipements collectifs (crèches, écoles maternelles) en grand nombre. Cette dernière revendication est importante si l’on comprend la différence entre les hommes et les femmes dans leur rapport au temps de travail. Pour les hommes, tout ce qui n’est pas du travail salarié est du temps libre ; pour les femmes c’est du temps en plus pour les tâches domestiques.

Grève des postiers, Paris, 1909.

L’administration des PTT, bien évidemment, ne prend pas en compte toutes ces données et considère que les femmes qui ne s’adaptent pas ne sont tout simplement pas motivées et doivent donc être laissées pour compte. Elle exclut, a priori, de la formation les femmes qui occupent depuis plus de quinze ans les postes les plus déqualifiés. S’il est nécessaire de lutter contre la marginalisation des femmes travaillant à temps partiel, il est tout aussi impératif de lutter contre l’exclusion des femmes dans les secteurs où elles sont entrées massivement voici quelques années.

Cela devient encore plus crucial si l’on songe aux effets qu’aura l’Acte unique européen de 1992 sur les services financiers postaux français. Pour l’instant, aucune directive européenne ne concerne ces services, mais le personnel des PTT risque d’avoir encore de fâcheuses surprises quant à son statut et ses effectifs : vu la diversité des situations au niveau européen, des réajustements sont à prévoir (dans huit pays sur douze, les services financiers de la poste sont des structures administratives, alors qu’aux Pays-Bas et au Royaume-Uni ce sont des services autonomes). La concurrence renforcée, la multiplicité des acteurs sur le marché des produits et des services financiers vont aggraver la course aux gains de productivité et donc sans aucun doute jouer à la baisse des effectifs. Les risques pour l’emploi des femmes sont d’autant plus grands. Cela suppo sera, de la part des organisations syndicales, une volonté farouche de défendre les intérêts des salariés jusqu’au bout, et notamment le droit à l’emploi des femmes.

Une bataille prolongée...

On est en droit de s’interroger sur la réelle volonté des organisations syndicales de mener cette bataille. Depuis quelques années, certains syndicats pratiquent plus volontiers une politique d’adaptation à la gestion de la crise que la défense intransigeante des revendications des salariés.
La CFDT, par exemple, n’a pas été particulièrement en pointe dans la défense des femmes salariées. Qu’en sera-t-il demain, alors que cette confédération vient de suspendre plusieurs syndicats, notamment celui de l’Union régionale parisienne PTT ? La commission travailleuses de ce secteur, qui était l’une des dernières à continuer à se battre sur ce terrain, n’existe donc plus. Annick, ex-permanente CFDT et victime comme beaucoup d’autres de la répression syndicale, est plutôt pessimiste. Elle pense que l’on va assister à une régression dans la CFDT en ce qui concerne la défense des revendications spécifiques des femmes.
Annick fait aujoud’hui partie du syndicat SUD (Solidaire; unitaire et démocratique), outil syndical créé par les militant(e)s suspendus pour pouvoir continuer leur travail militant en attendant l'issue de leur bataille pour leur réintégration dans la CFDT ; les militantes de SUD, comme Annick, continuent à vouloir se battre pour les revendications des femmes salariées.

C’est une bataille prolongée que devront mener l’ensemble des travailleuses des PTT, et à l’instar des infirmières, c’est en prenant elles-mêmes leurs affaires en main qu’elles obtiendront satisfaction.

Catherine Rosehill

Les «dames employées»

La féminisation des bureaux de postes de province se développa après 1835. En 1880, on dénombrait quatre mille receveuses des postes en province. Avant la fusion des postes et des télégraphes, le travail était rarement intense et les receveuses vaquaient à leurs occupations domestiques dans leur logement attenant au bureau de poste. On les surnommaient les «receveuses Pot-au-Feu ».
En 1892, on féminisa les bureaux de postes urbains, les femmes furent embauchées en qualité de commis, poste jusque-là réservé aux hommes. Les principaux organes d’expression des employés s’opposèrent vigoureusement à cette politique de féminisation. On trouve dans le Journal des postes des phrases succulentes à ce sujet : la féminisation était jugée «tout ce qu’il y a de plus immoral et de plus antisocial au monde! (...) Cette promiscuité est un défi porté à la défaillance humaine, un encouragement aux unions libres, à l'instinct bestial. »
Tous blâmaient l’administration d’avoir «déraciné les femmes de leur foyer ». Seules les féministes soutenaient cette politique, tels les groupes les Postières, la Solidarité des femmes, la Ligue française pour le droit des femmes.
A la fin des années 1890, le ministre Millerand se fit le défenseur des intérêts des commis et s’opposa à l’extension de la féminisation des nouveaux bureaux de postes. Les «dames employées » s’organisèrent petit à petit pour défendre leurs intérêts. En 1907, elles organisèrent un mouvement pour obtenir que des cantines soient installées dans tous les centraux téléphoniques. Au central télégraphique de Paris, une sorte de crèche fut aménagée et, en 1907, cette mesure fut généralisée à tous les établissements.
A partir de 1904, les femmes entrèrent dans les associations d’employés, on comptait 1804 «dames employées » contre 7267 commis dans l’Association générale des agents. Une disposition interne à cette association interdira tout regroupement catégoriel, ce qui eut pour effet de dissoudre un groupe de «dames employées » qui avait réussi à se constituer. Une nouvelle associa tion des «dames employées » se constitua mais ne regroupa que. quatre à cinq cents membres.
Cette association eut des liens étroits avec les féministes de l’époque. Les revendications spécifiques qu’elles avançaient étaient très en avance pour l’époque : par exemple, le droit pour les femmes de passer les mêmes concours d’entrée que les hommes! et d’avoir accès aux grades supérieurs.
Elles furent très actives pendant la grève de mars 1909 mais les conflits sexistes réapparurent après la grève et certains hommes se demandaient comment en finir avec la concurrence des femmes. Dans les années vingt, les femmes les plus militantes, lassées de la non-prise en compte de la revendication sur l’égalité salariale, menèrent une campagne autonome.
L’histoire de la féminisation des PTT témoigne des barrières idéologiques, culturelles, sociales et politiques que les femmes ont dû franchir pour s’imposer. Encore aujourd’hui, la pleine reconnaissance de la place des femmes dans le monde du travail nous oblige à remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier.

Extrait de l’article de Susan Bachrach «La féminisation des PTT en France au tournant du siècle », paru dans la revue le Mouvement Social de juillet — septembre 1987.

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