1896 LE TELEMICROPHONOGRAPHE DUSSAUD

L’ingénieur Genevois Franz Dussaud, docteur ès science, élu député en 1895, s’intéresse de près aux nouvelles machines en vogue en cette fin du xixe siècle. Il est aussi bien attiré par les nouveautés spectaculaires que l’on peut dénicher dans les fêtes foraines, que par les instruments scientifiques, notamment ceux qui ont une relation avec la surdité. En compagnie de Casimir Sivan, concessionnaire du phonographe Edison en Suisse et futur fabricant du microphonographe, Dussaud a introduit le kinétoscope Edison à Lausanne et Genève en mars 1895. En 1896, Dussaud a eu l’idée, pour la guérison des sourds, de combiner le phonographe Edison au microphone à charbon conçu par David Edwin Hughes depuis 1877.

Dussaud n’a certes pas été le premier à imaginer une telle combinaison. L’Anglais Charles Adams Randall, les 5 et 10 juillet 1888, a déposé dans son pays deux brevets (n° 9762 et 9996). Le premier concerne un appareil reproducteur de son, où celui-ci est « reproduit non par l’intermédiaire d’un cornet acoustique, mais par une plaque vibrante munie d’une embouchure et mise en mouvement par un double bobinage parcouru par le courant d’une pile1 ». Le second donne la description d’un système d’enregistrement électromécanique à gravure latérale : il prévoit l’utilisation d’un microphone pouvant transmettre un courant modulé à un burin graveur. Ce burin est formé par une plaque vibrante, mise en mouvement par un électro-aimant alimenté par le courant modulé émis par le microphone. Toutefois, les brevets Randall, comme le brevet plus ancien d’Edison qui prévoit l’application d’un électro-aimant au diaphragme reproducteur et au stylet graveur, sont restés, semble-t-il, à l’état de projet.


Le 29 décembre 1896, Dussaud présente son microphonographe à la Sorbonne, au laboratoire de physiologie du professeur Laborde.
Ce dernier décrit ainsi l’appareil : « Un instrument appelé le microphonographe Dussaud (du nom de son premier auteur) créé et construit sous ma direction scientifique dans le but de servir au traitement fonctionnel de la surdité». Une démonstration de l’appareil est faite devant une assemblée de médecins et de journalistes. « L’amplification des sons parut extraordinaire », écrit l’un d’eux en février 1897 dans La Nature. Cette même revue décrit précisément l’appareil :
« L’enregistreur se compose d’un cylindre horizontal mû par un mouvement d’horlogerie. Sur ce cylindre on fixe un rouleau de cire devant lequel se déplace au moyen d’un mécanisme une pièce de la forme et de la grosseur d’une montre, composée essentiellement d’électro-aimants minuscules qui agissent sur une membrane commandant le burin destiné à graver la cire. Pour enregistrer de faibles bruits, on place […] un microphone d’un système particulier qu’on relie au micro-phonographe enregistreur par un courant électrique. […] Par l’intermédiaire du courant, les sons recueillis par le microphone sont fidèlement répétés par la membrane du microphonographe et inscrits dans la cire par le burin»
Le dispositif permet à Dussaud d’enregistrer les pulsations du cœur d’un malade. La restitution des sons se fait au moyen d’un style arrondi et d’une membrane microphonique réglable par vis micrométriques. Le courant (Dussaud utilise des piles au sulfate de mercure) distribue le son à un cornet de type téléphonique .
Une autre revue, La Semaine littéraire, consacre un article à la découverte de Dussaud, en 1898. L’auteur, Émile Yung, explique non seulement le principe du microphonographe, mais insiste également sur une prochaine révolution : « Il s’agit de combiner la merveille qui nous occupe avec cette autre merveille, le cinématographe »... En tout cas, écrit Yung, une commande est déjà passée à Dussaud et à François Jaubert (lui aussi docteur ès sciences et ancien polytechnicien) pour travailler sur un projet suggéré par l’ingénieur Eugène Pereire, président de la Compagnie générale transatlantique du Havre. Celui-ci a confié aux deux chercheurs le soin de réaliser pour l’Exposition universelle de 1900, « une reproduction des scènes de la vie maritime auxquelles assistent les voyageurs qui traversent l’océan Atlantique et la Méditerranée sur les paquebots de la Compagnie qu’il dirige ; une reproduction de la vie à bord, dans laquelle on verrait non seulement les faits et gestes des navigateurs et des habitants des ports, mais dans laquelle on entendrait encore les adieux du départ, le bruit de la vapeur, les commandements du capitaine»...

Finalement c’est une équipe à trois qui va être formée : Charles François (ou Franz) Dussaud, Georges François Jaubert et Louis Alfred Berthon, administrateur de la société industrielle des téléphones. Ils commencent alors les essais dans un petit théâtre de Paris, dans le but de résoudre un problème crucial : le synchronisme. Les résultats se concrétisent le 25 juin 1897, lorsque les trois chercheurs prennent soin de déposer un brevet pour leur système microphonique, concernant uniquement la transmission du son à distance. Brevet 238185 du 1er juillet 1897.

Il s’agit de leurs premiers pas sur la voie du synchronisme.

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