Le téléphone dans les prisons
Article 11 du Décret n° 2007-699 du 3 mai 2007 modifiant
le code de procédure pénale (troisième partie :
Décrets) relatif au renforcement de léquilibre de
la procédure pénale et à la prévention de
la délinquance:
I. Les alinéas 2 à 4 de larticle D. 417 sont
abrogés.
II. Après larticle D. 419, il est inséré
trois articles D. 419-1 à D. 419-3 ainsi rédigés
:
« Art. D. 419-1. Les condamnés sont autorisés
à téléphoner au moins une fois par mois, à
leurs frais, aux membres de leur famille, à leurs proches quils
soient ou non titulaires de permis de visite ainsi quà
leur avocat.
« Par dérogation au principe posé au premier alinéa,
dans lattente de linstallation des dispositifs techniques,
la liste des maisons darrêt dans lesquelles les condamnés
sont autorisés à téléphoner est fixée
par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice.
« Le chef détablissement peut, sur décision
motivée par des impératifs dordre, de sécurité
et de prévention des infractions pénales ainsi que sil
apparaît que les communications risquent dêtre contraires
à la réinsertion du détenu, à lintérêt
des victimes ou sur demande du correspondant, refuser ou retirer lautorisation
dune communication téléphonique.
« Les condamnés peuvent aussi être autorisés
par le chef détablissement à téléphoner
à dautres personnes en vue de la préparation de
leur réinsertion sociale.
« La fréquence, les jours et les heures daccès
à un poste téléphonique ainsi que la durée
de la communication sont fixés par le règlement intérieur
de létablissement pénitentiaire.
« Les numéros dappel et lidentité des
destinataires des appels doivent être communiqués au chef
détablissement.
« Art. D. 419-2. Dans les centres pour peines aménagées,
les condamnés peuvent téléphoner, à leurs
frais ou aux frais de leur correspondant, aux personnes de leur choix.
« Art. D. 419-3. Conformément aux dispositions de
larticle 727-1, les conversations téléphoniques,
à lexception de celles avec les avocats, peuvent, sous
la responsabilité du chef détablissement, être
écoutées, enregistrées et interrompues par le personnel
de surveillance désigné à cet effet.
« Dans les maisons centrales, les conversations téléphoniques
peuvent être enregistrées de façon systématique.
« Linformation du détenu et de son correspondant
relative à ces contrôles est faite au début de la
conversation, le cas échéant par un message préenregistré.
« Les conversations téléphoniques peuvent faire
lobjet dune interruption lorsque leur contenu est de nature
à compromettre lun des impératifs énoncé
au troisième alinéa de larticle D. 419-1.
« Les conversations en langue étrangère peuvent
être traduites aux fins de contrôle.
« La transmission au procureur de la République des conversations
susceptibles de constituer ou de faciliter la commission dun crime
ou dun délit est effectuée immédiatement,
au moyen dune retranscription sur support papier. Si les communications
concernent une personne mise en examen, copie en est adressée
au juge dinstruction saisi.
« Les enregistrements sont conservés pour une durée
maximum de trois mois.
« Pendant cette durée, seuls le chef détablissement
et les membres du personnel de surveillance quil habilite à
cet effet peuvent avoir accès à ces enregistrements, sous
réserve des dispositions du dernier alinéa.
« La destruction des enregistrements qui nont pas été
transmis à lautorité judiciaire est effectuée
à lexpiration du délai de trois mois sous la responsabilité
du chef détablissement.
« Le procureur de la République peut procéder sur
place, à tout moment, au contrôle du contenu des enregistrements
conservés. Il peut ordonner leur destruction si leur conservation
ne lui paraît plus nécessaire, après en avoir informé
le chef détablissement. »
Article modifié 17 mai 2021 Des téléphones
ont été installés dans pratiquement tous les établissements
pénitentiaires. La plupart du temps, ils se trouvent dans les
cours de promenades ou dans les coursives (couloirs).
Les cabines sutilisent sans pièces et sans cartes. La personne
détenue doit sur lappareil, taper un identifiant et un
code, puis faire bloquer par la comptabilité, la somme quil
désire bloquée pour les appels téléphoniques.
La comptabilité effectue le blocage et le détenu peut
téléphoner jusquà épuisement de son
crédit. Il peut demander à renouveler son crédit.
En cas de libération ou de transfert, le crédit restant
est rendu à la personne détenue.
Les téléphones portables sont interdits en détention.
Seuls les détenus se trouvant en Centre de Semi-liberté
peuvent utiliser leurs téléphones portables, lorsquils
sont à lextérieur de létablissement.
Les condamnés et les détenus peuvent téléphoner,
sous réserve de disposer du pécule nécessaire.
Les prévenus doivent dabord recevoir lautorisation
du magistrat, pour pouvoir téléphoner.
les détenus doivent communiquer une liste au Directeur
de létablissement ou au magistrat, avec le numéro
de téléphone et le nom de la personne, avant de pouvoir
contacter ces personnes. Le nombre de correspondants peut être
limité. Dans dautres, il ny a pas de liste.
La durée de lappel peut être limitée
: 15 minutes, 30 minutes
Dans dautres, il ny a pas
de limitation.
La personne peut être limitée en nombre dappels
dans le mois. Dans dautres établissements, il ny
a pas de limitation.
Certains établissements instaurent des limitations, pour permettre
au plus grand nombre de pouvoir téléphoner.
Le prix des communications est à la charge des personnes détenues.
Il nest pas possible dappeler les cabines téléphoniques.
Dans certains établissements, la direction demande de fournir
une facture de téléphone afin de vérifier le numéro
de téléphone et lidentité du correspondant.
Un courrier où le correspondant accepte de recevoir des appels
téléphoniques de la personne détenue peut être
aussi demandé.
Les appels peuvent être écoutés, enregistrés
par létablissement pénitentiaire.
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En 2016 Une expérience a d'abord
été réalisé depuis juillet dans la Meuse
à la prison de Montmédy avant de prendre la décision
de généraliser la mesure.
Cette installation a permis de mettre à disposition le téléphone
pour pouvoir appeler à n'importe quelle heure des membres de
la famille avec l'autorisation de l'administration ou du juge. Le coût
des appels a été fixé à moins de 20% du
tarifs des cabines qui se trouvent dans les coursives. De manière
générale, les détenus ont le droit de composer
jusqu'à quatre numéros dont les titulaires doivent être
identifiés. La présidente de la justice, Nicolle Belloubet,
s'est donc prononcée en août pour prolonger l'expérience
menée à la prison de Montmédy.
Les 296 détenus (pour 343 places) de l'établissement au
1er décembre 2017, selon les chiffres communiqués par
le ministère, ont à leur disposition un téléphone
qu'ils peuvent utiliser 24h/24. Ils peuvent ainsi joindre les membres
de leur famille si les numéros ont été autorisés
par l'administration ou par un juge. Leurs proches peuvent aussi les
joindre selon un système ressemblant au bipeur.
Elle permet au détenu d'élargir leur plage horaire d'accès
au téléphone et de bénéficier de davantage
d'intimité lors de leurs appels.
Par exemple, à Montmédy, les résultants ont été
concluants en multipliant par 3 les appels et par 2 le temps de communication
par détenu. La baisse du trafic de portables a automatiquement
baissé de 31%.
Vous l'aurez donc compris au-delà du maintien d'une relation
plus fluide avec l'environnement familial du détenu, l'objectif
est également de réduire la circulation clandestine des
téléphones portables, qui actuellement est l'une des principales
causes d'incidents derrière les barreaux.
Pour le ministère de la Justice, avec ce nouveau dispositif,
il s'agit de lutter contre la prolifération des téléphones
portables en prison.
En 2016, 33.521 portables et accessoires ont été saisis.
A la prison de Montmédy, s'ils n'ont pas totalement disparus,
le nombre de téléphones portables a nettement diminué
entre le premier semestre 2016 et le premier semestre 2017 avec 57 saisies
contre 83.
Selon l'Observatoire international des prisons (OIP),
la multiplication des portables peut s'expliquer également par
les horaires contraignants des téléphones installés
dans les coursives qui sont accessibles entre 8 heures et 17h30, c'est-à-dire
quand les conjoints sont au travail ou les enfants à l'école.
Dans certaines prisons, l'accès était même impossible
faute de surveillants pour accompagner les détenus ou en raison
de la surpopulation carcérale, notait l'OIP, qui se félicite
de cette généralisation.
2018 Vers linstallation de téléphones fixes dans
les cellules des prisons en France ?
Le gouvernement souhaite équiper chaque cellule dune
ligne fixe à la fois afin de lutter contre le trafic de portables
en prison et favoriser le maintien des liens familiaux.
Les 178 établissements pénitentiaires en France sont concernés
par cette nouvelle mesure. Les numéros d'appel seront contrôlés
et devront préalablement être autorisé par l'administration
ou par un juge.
Dans cet objectif, le gouvernement a lancé un appel d'offres
afin de pouvoir procéder à l'installation de téléphones
fixes dans l'ensemble des cellules en France. Cette mesure concerne
plus de 50 000 cellules qui seront alors équipées dans
les trois prochaines années. Les appels seront évidemment
enregistrés et surveillés.
Le renforcement des liens familiaux.
Il est important pour chaque détenu de pouvoir rester en contact
avec sa famille conjoint, enfants. Plus de communication avec les familles
permet de diminuer la pression ressentie dans les prisons ainsi que
grands nombres d'incidents. Jusque-là les cabines dans les coursives
ne permettaient aux détenus que de pouvoir appelé de temps
car leur accès peut devenir difficile notamment dans les prisons
surpeuplées. Par ailleurs, elles n'étaient accessibles
qu'à certaines heures déterminées où souvent
les conjoints pouvaient être au travail et les enfants à
l'école. L'installation du téléphone fixe permettra
au détenu de rétablir un contact régulier avec
sa famille. D'ailleurs, le maintien des relations familiales est un
facteur reconnu comme essentiel pour préparer les détenus
à une réinsertion.
Une lutte contre le trafic de portables
C'est l'un des fléaux des prisons en France car les détenus
cherchent à maintenir les liens familiaux par n'importe quel
moyen. La lutte contre le trafic de téléphone portable
est presque devenu une routine dans les prisons.
2018 La question des téléphones
illégaux en prison restent toutefois une priorité au ministère
de la Justice embarqué dans une course folle à la technologie.
En août dernier, la ministre de la Justice avait rectifié
le tir après avoir estimé qu'elle ne trouvait pas "absurde"
l'autorisation de téléphone portable en prison. Nicole
Belloubet avait alors assuré qu'elle voulait parler de téléphones
fixes. La Chancellerie a passé un marché auprès
d'un prestataires il y a quelques jours pour faire l'acquisition de
nouvelles technologies de brouillage mais aussi le réglage et
la maintenance pour remplacer les quelques 800 brouilleurs en place
mais déjà obsolètes. L'objectif est donc clair:
acquérir une technologie qui pourra évoluer. Pour cela,
une première enveloppe de 15 millions va être débloquée
avec pour priorité, cibler les établissements pénitentiaires
les plus sensibles, notamment quand ils accueillent des détenus
pour terrorisme.
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2019 Un téléphone fixe dans une
cellule de la prison de la Santé, à Paris, le 12 avril
2019.
Le téléphone fixe est en passe dêtre installé
dans les cellules de toutes les prisons françaises. Après
la prison de la Santé à Paris, équipée pour
sa réouverture en janvier 2019, ce chantier est entré
dans une phase dindustrialisation. Environ 12 000 cellules de
60 établissements en sont désormais équipées.
Ces téléphones, quon ne peut pas joindre de lextérieur,
permettent dappeler uniquement des numéros enregistrés,
autorisés par la justice. Jusquici, les détenus
bénéficiaient pour ces numéros dune cabine
téléphonique disponible, souvent en bout de coursives,
seulement quelques heures par jour.
Le premier objectif de linstallation du téléphone
en cellule est le maintien des liens familiaux », a expliqué
au Monde le directeur de ladministration pénitentiaire
Stéphane Bredin. En effet, le retour en cellule en fin daprès-midi
empêche généralement les détenus dappeler
leur conjoint après le travail ou leurs enfants après
lécole, et le lien familial est promu comme un facteur
important facilitant la réhabilitation. De plus, la queue à
la cabine téléphonique est souvent vectrice de tension
et laisse peu de place à lintimité. Mais ladministration
pénitentiaire espère également que linstallation
du téléphone en cellule réduira lintérêt
des trafics de portables. Elle permettra également denregistrer
toutes les conversations. Pour Stéphane Bredin, cette mesure
représente aussi « un élément de prévention
du suicide.
Lavantage de cette nouvelle mesure réside également
dans son coût, puisquil sera nul pour les administrations
pénitentiaires, et donc pour le contribuable. En effet, le service
est donné en concession pour dix ans à une entreprise
privée, qui financera linstallation et se rémunérera
sur les communications.
Mais depuis l'installation du téléphone dans les
cellules des prisons, les appels des détenus se multiplient.
C'est le cas au centre pénitentiaire de Condé-Sur-Sarthe,
dans l'Orne. Faute de personnel, tout contrôle des appels devient
impossible...
Le syndicat FO pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe, dans
l'Orne, dénonce un manque de moyens alors q'un seul agent seulement
est dédié à la surveillance des conversations.
C'est loin d'être suffisant puisque selon le syndicat le nombre
d'appels est devenu "pharaonique" depuis linstallation
d'un téléphone fixe dans chaque cellule.
Condé-sur-Sarthe est en fait la septième prison à
bénéficier du plan national annoncé par le garde
des Sceaux. À terme, tous les prisonniers de France doivent avoir
une ligne fixe, hors quartiers disciplinaires. Objectif : améliorer
les liens familiaux des prisonniers, prévenir les suicides et
renforcer la surveillance. Problème, un seul gardien est largement
insuffisant pour passer au crible les appels des 103 détenus
de Condé-sur-Sarthe selon Force ouvrière.
Même si le principe est une surveillance ciblée concentrée
sur les profils à risque et que les numéros accessibles
sont autorisés au compte-gouttes par les juges. Personne n'imagine
réellement qu'un projet d'attentat soit organisé sur une
ligne surveillée selon un autre syndicat, mais Condé-sur-Sarthe
est un établissement ultra-sensible où sont incarcérés
des condamnés réputés dangereux tel que Abdelakder
Merah, le frère de Mohammed. Le syndicat FO réclame au
moins un autre agent. La chancellerie promet que ce sera très
prochainement le cas.
Le déploiement sera achevé début
2021 dans les 188 établissements.
Seules les cellules des quartiers disciplinaires resteront à
lécart de cette innovation.

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Les téléphones portables en prison (franceinfo)
Depuis 2018, le ministère de la justice a dépensé
au moins 125 millions deuros pour faire la chasse aux téléphones
portables en prison. Son arme : le brouillage des communications mobiles.
En 2018, Nicole Belloubet, ministre de la justice l'annonçait
: nous nautorisons pas les téléphones portables
en détention, cest la raison pour laquelle nous avons pris
un marché pour brouiller les téléphones portables
qui sera extrêmement efficace. Efficace, vraiment ?
A la prison de la santé, à Paris.
Depuis la rénovation du bâtiment en 2019, la chasse aux
téléphones portables illégaux promettait dêtre
draconienne. 500 brouilleurs dondes ont été installés.
Mais quelques heures passées sur les réseaux sociaux suffisent
à se rendre compte quen 2021 à la prison de la Santé,
les communications ne sont pas toutes coupées. Les détenus
se filment et postent des vidéos depuis leur cellule avec des
téléphones introduits depuis lextérieur.
Malgré les brouilleurs, les riverains constatent quil y
a toujours autant de trafic de téléphones aux portes de
la prison. ".
Une habitante du quartier, dont les fenetres de son appartemant donnent
directement sur la prison l'affirme : "vous voyez ce petit coin-là
? On voit beaucoup d'échanges de portables. On pense quil
y a beaucoup de portables qui entrent dans la prison. Dans lentrée
de limmeuble voisin, sur des images de vidéosurveillance
que nous nous sommes procurées, on voit des individus préparer
discrètement des paquets. Nourriture, drogue mais aussi téléphones.
Il lancent ensuite leurs colis par-dessus le mur. Les détenus
nont plus quà les ramasser depuis les promenades
et ont recours à une technique bien rôdée : avec
des morceaux de draps, ils pêchent les paquets depuis leurs cellules.
Et se les échangent même parfois entre prisonniers. Alors
pourquoi les brouilleurs seraient-ils inefficaces à la prison
de la Santé malgré un budget, selon les syndicats de 7
millions deuros par an. Nous avons pu pénétrer à
lintérieur de la prison avec la sénatrice écologiste
de Paris, Esther Benbassa lors dune visite impromptue. Dans la
lutte contre les téléphones portables, la prison de la
Santé fait pourtant figure dexemple, premier établissement
en France équipé dun système de brouilleurs
nouvelle génération.
Si au rez-de-chaussée, les communications semblent bien coupées,
dans les étages supérieurs en revanche, et notamment dans
le quartier des prévenus, les téléphones fonctionnent.
Bruno Clément-Petremann, directeur de létablissement,
admet une efficacité aléatoire du dispositif : les
brouilleurs fonctionnent quand même dans certaines parties de
létablissement. Après, cest vrai que lorsque
vous êtes dans les étages, cest plus facile. Ça
pose des problèmes, oui, mais on a jamais eu dévasion
ici, ça n'existe pas les technologies qui marchent à la
perfection.
La technologie, justement. Pour faire simple, les brouilleurs fournis
par une société prestataire neutralisent les réseaux
2 et 3G. Ils ne brouilleraient que partiellement la 4G. Et aujourdhui,
la 5G plus puissante rend les brouilleurs obsolètes, reconnait
le ministère de la justice.
Pour Erwan Saoudi, délégué régional du syndicat
pénitentiare FO Justice, il est urgent dagir. Et la prison
de la Santé serait loin dêtre un cas isolé
en France : "les téléphones portables sont un fléau
en détention. Cest ce qui permet aux personnes encore à
lintérieur de pouvoir continuer leur trafic à lextérieur,
ça permet aussi à certaines personnes détenues
de continuer à harceler leurs victimes. Cest quelque chose
qui pose problème pour la sécurité à lintérieur
mais aussi à lextérieur. Contactée,
lentreprise prestatataire qui a installé les brouilleurs
dit être soumise à un devoir de confidentialité.
A la Santé, 1200 téléphones portables ont été
saisis cette année. Plus dun appareil en moyenne par détenu.
Les "prisonniers 2.0", ou comment
des détenus utilisent les téléphones portables
pour monétiser leur vie derrière les barreaux.
Interdits en prison, les téléphones portables sont pourtant
devenus monnaie courante, offrant aux détenus un accès
direct aux réseaux sociaux. "Les Révélateurs"
ont enquêté sur ce phénomène.
Ces détenus communiquent en direct et avec le monde extérieur.
L'équipe des Révélateurs de France Télévisions
a visionné des centaines d'heures de vidéo et analysé
près de 200 comptes TikTok appartenant à des prisonniers
incarcérés. On les voit se filmer depuis leur cellule,
avec des téléphones jetés par-dessus les murs d'enceinte
des prisons, livrés par drone ou commandés en ligne, et
indétectables aux portiques de sécurité. Au moins
un tiers des établissements pénitenciers est concerné
et toutes les régions sont touchées.
Avec leurs abonnés, ils partagent en temps réel leur quotidien
de détenu devant leur smartphone, parfois pendant plusieurs heures.
Les conversations en direct avec des inconnus sont souvent futiles.
Les prisonniers sont avares en information personnelle, certains s'affichant
visages masqués, et taisent toujours les raisons de leur incarcération.
Certains s'improvisent même influenceurs culinaires. L'un d'entre
eux, incarcéré à la maison d'arrêt d'Osny
(Val-d'Oise), vante ses talents de cuisinier en postant de véritables
tutos sur son compte TikTok. Il détaille sa réalisation
de tartelettes dignes d'un chef-pâtissier, sa recette facile de
lasagnes, ou encore un mille-feuille "fait maison d'arrêt",
commente-t-il.
Des dizaines de milliers de téléphones au "garage".
Le téléphone portable est pourtant strictement interdit
dans les prisons françaises, stipule le code pénitentaire.
Sa possession en cellule est considérée comme du recel,
passible d'une peine pouvant atteindre cinq ans d'emprisonnement et
375 000 euros d'amende. Mais en réalité, les détenus
redoublent d'inventivité pour cacher leurs téléphones,
souvent dans la planque d'une cellule appelée "garage".
Si les fouilles sont régulières pour les confisquer, les
téléphones circulent en prison presque en toute impunité,
parfois à la discrétion de surveillants qui préfèrent
opter pour "la paix sociale".
Tant qu'elle reste anodine, leur utilisation est peu sanctionnée
par l'administration pénitentiaire. Mais en d'autres circonstances,
des échanges en direct avec le monde extérieur peuvent
avoir des conséquences plus inquiétantes. Parmi leurs
invités, interviennent en effet des tiktokeurs mineurs.
Encore plus alarmant, les discussions en direct permettent de partager
incognito des contacts. Ainsi, dans un live du 17 octobre, un homme,
qui se dit être originaire de Perpignan (Pyrénées-Orientales),
appelle un détenu de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis,
en région parisienne. Il lui demande "de le mettre en contact
avec des mecs de la cité de Mont-Mesly à Créteil".
Le codétenu lui répond qu'il va lui donner un contact
en privé, avant de lui souhaiter une bonne soirée.
La monétisation des "lives" en prison sur TikTok
Ces diffusions en direct, appelées "lives",
postées sur TikTok, sont accessibles à tout le monde,
en quelques clics. Un passage rapide par l'onglet dédié,
et des vidéos diffusées depuis les prisons apparaissent
dans le fil de diffusion de l'utilisateur. Plus on s'attarde sur ces
vidéos, plus l'algorithme les met en avant.
Nous avons identifié et enregistré les "lives"
de plus de 50 détenus, capturés depuis divers établissements
pénitentiaires à travers le pays. Selon nos enregistrements,
la durée de ces directs varie de quelques secondes à plus
de six heures, sans interruption notable de l'administration pénitentiaire.
Pourtant, dans de nombreux cas, les détenus se filment à
visage découvert et laissent entrevoir de nombreux indices visuels
permettant de localiser leurs prisons et donc de remonter leur trace.
Pendant ces longues heures de direct, les détenus profitent de
toutes les fonctionnalités de TikTok, y compris l'une des plus
lucratives : les "matchs". Des défis en direct où
les créateurs de contenus s'affrontent dans une compétition
de dons.
Ce sont les internautes, qui, motivés par l'intensité
du duel ou la curiosité, envoient des cadeaux virtuels, achetés
avec leur propre argent. L'objectif de ces matchs est donc clair : inciter
les spectateurs à envoyer de l'argent. La méthode s'avère
rentable pour les prisonniers, les cadeaux pouvant aller de quelques
centimes à 474 euros pour les plus généreux. Dans
l'un des lives capturés par Les Révélateurs, un
détenu parvient ainsi à récolter 151 euros. Dans
un autre, un prisonnier reçoit une "rose nébuleuse"
d'un internaute. Somme gagnée : 158,10 euros.
"Lors d'un live du 6 novembre 2024 un détenu reçoit
un "cygne", d'une valeur de 7,37 euros (à gauche) un
autre détenu reçoit une "rose nébuleuse",
d'une valeur de 158,10 euros, lors d'un live du 30 octobre 2024 ".
Des prisonniers démarchés par des "agences
de live"
Mais ce que nous découvrons va plus loin. Face au succès
de ces lives, certains prisonniers sont démarchés par
d'autres utilisateurs de TikTok, qui leur proposent des services pour
améliorer leurs performances : "Bonjour, je pense que votre
diffusion en direct a un grand potentiel. Je veux investir en vous,
contactez-moi s'il vous plaît", "Vos vidéos sont
géniales. Etes-vous intéressé à collaborer
? Suivez-moi pour en savoir plus"
Or, tous ces messages ont un point commun : ils sont
postés par des comptes qui se présentent comme les représentants
"d'agences de live". Des agences hébergées par
TikTok et qui fonctionnent comme des intermédiaires entre la
plateforme et les vidéastes. Elles offrent aux tiktokeurs un
accompagnement stratégique, avec notamment un accès privilégié
aux statistiques des lives.
Le manque d'indications sur l'identité des profils peut faire
que certains démarcheurs ignorent la situation carcérale
de leurs cibles. Néanmoins, il arrive que des représentants
soient pleinement conscients de l'incarcération de leurs interlocuteurs.
Un live du 22 octobre nous le confirme. Trois détenus échangent
avec une femme se présentant comme agente. Elle cherche sans
détour à recruter les trois détenus avec qui elle
est en direct. "J'ai déjà vu vos matchs, vous faites
des gages, vous rigolez, et ça attire des personnes, c'est bien",
leur explique-t-elle. "Vous êtes enfermés et ça
fait du boulot." Pendant une vingtaine de minutes, elle détaille
les avantages de son agence, et s'adapte à leur situation: "T'aurais
été en agence, on aurait pu te 'débanner'",
leur assure-t-elle, en référence aux bannissements fréquents
qui touchent les comptes de détenus. Elle insiste sur les récompenses
: "Si vous faites vos diamants (système de rémunération
de TikTok), vous avez une récompense par l'agence." A ce
jour, le manque de transparence sur l'identité des membres des
agences ne permet pas de vérifier si des détenus ont effectivement
rejoint ces réseaux.
"Le téléphone portable est indispensable,
sinon ce serait intenable" :
des détenus se confient sur leur utilisation de smartphones en
prison.
"Vous vous rendez compte que dehors les gens en ont besoin, alors,
imaginez, enfermé toute la journée dans une cellule de
huit mètres carrés", témoigne Mickaël,
incarcéré dans un établissement pénitencier
d'Île-de-France. Bien qu'interdits, les téléphones
portables sont partout en prison. Les chiffres sont impressionnants,
en 2023, l'administration pénitentiaire a mis la main sur 53
000 smartphones et leurs accessoires pour un total de 79 000 détenus..
Il n'a fallu que quelques coups de fil à franceinfo pour être
en ligne avec Mickaël, qui répond en plein repas, en train
de se cuisiner une omelette. Quand les portes de sa cellule ferment
pour la nuit, vers 17h, Mickaël dit passer ses soirées pendu
au téléphone, jusquà minuit. Il appelle sa
famille, les amis...
Il regarde aussi des vidéos sur les réseaux sociaux, visionne
des films sur la plateforme Netflix. "C'est indispensable, ça
nous permet d'évacuer, sinon, ce serait intenable et ça,
ils le savent, tout le monde le sait", assure-t-il.
Obtenir un téléphone est facile de Samir, un détenu
Franceinfo a pu joindre un autre détenu, ailleurs, dans un
établissement du sud de la France. Samir possède trois
téléphones, pour gérer un business qu'il prétend
légal. Selon lui, pour obtenir un téléphone facilement,
"il y a la corruption des surveillants, à qui on donne de
l'argent et ils vous le ramènent directement dans la cellule,
vous le payez 300 à 400 euros".
Les manières d'obtenir un téléphone portable en
prison sont multiples. Il a aussi "les projectiles", "les
gens de l'extérieur préparent un convoi, et lancent des
colis dans la prison à un endroit dans la promenade ou près
des cellules et les détenus vont essayer de les récupérer
avec des lassos et des fourchettes et les revendre après",
explique Samir. Puis, il y a le parloir, "mais c'est plus compliqué,
il n'y a que les petits téléphones qui passent et si vous
avez de la chance, ils ne le trouvent pas à la fouille",
poursuit-il.
"Pour cacher mon téléphone, je mets une serviette
devant ma porte, comme si c'était un tapis, et je mets mon téléphone
juste en dessous. Des fois, plus c'est gros, plus ça passe."
D'après Samir, qui enchaîne les incarcérations,
les fouilles ont lieu deux fois tous les trois mois et celui qui se
tient bien peut compter sur des fouilles très légères.
Arme ou instrument de "paix sociale" ?
Si le téléphone portable circule aussi facilement
en prison, c'est que ça arrange tout le monde. Plusieurs directeurs
d'établissements pénitentiaires nous ont confiés,
hors micro, laisser-faire pour acheter la "paix sociale".
Ça arrange aussi les policiers qui mettent certains détenus
sur écoute.
"L'usage du portable en prison est inéluctable."
François Korber, de l'association Robin des lois
François Korber, délégué général
de l'association Robin des lois, qui soutient les détenus et
qui milite pour la légalisation encadrée des portables
dans les établissements pénitentiaires, avec un système
où la carte SIM serait répertoriée. "Si une
personne détenue se fait prendre avec une puce qui n'est pas
répertoriée, elle sera sanctionnée, avec une attention
particulière pour les personnes réellement dangereuses
que l'administration pénitentiaire sait identifier", plaide-t-il.
Une solution préconisée par l'ancienne contrôleuse
générale des privations de liberté Adeline Hazan.
Mais du côté des syndicats de gardiens de prison, on affiche
une tolérance zéro, surtout après l'attaque d'un
fourgon, l'évasion de Mohamed Amra et la mort de deux gardiens
de prison au printemps dernier.
"Aujourd'hui un téléphone portable,
c'est une arme." Yannick Laserre, surveillant FO pénitencier
"L'histoire dramatique du 14 mai à Incarville, avec le détenu
Amra, nous avons retrouvé neuf portables, ça leur permet
de continuer leur business depuis l'établissement pénitentiaire,
s'insurge Yannick Laserre, surveillant FO pénitencier à
la maison d'arrêt de Lille-Sequedin, dans le nord de la France.
On a aussi des collègues hommes et femmes qui ont été
suivis et agressés devant leur domicile".
Un plan d'urgence avec des dispositifs anti-drones
Face à ce fléau, le gouvernement veut agir, et vite.
Le ministre de la Justice, Didier Migaud, a récemment annoncé
un plan d'urgence et des mesures spécifiques, notamment contre
les détenus condamnés pour narcotrafic.
"On sait que des détenus tentent de se faire livrer des
contenus illicites, dont des téléphones portables, par
des drones"
Selon Cédric Logelin, le porte-parole du garde des Sceaux, "les
dispositifs anti-drone vont s'accélérer". "On
va faire du profilage de manière plus fine, avec des régimes
de détention spécialisés pour le haut du spectre,
c'est-à-dire les détenus, condamnés pour criminalité
organisée, avec plus de place d'isolement pour garantir une étanchéité
et les empêcher de continuer leurs activités délinquantes
depuis la prison avec leur téléphone portable", explique-t-il.
Selon les derniers chiffres, sur un total de 187 prisons en France,
48 établissements sont équipés d'un système
anti-drone et ça devrait monter à 90 d'ici fin 2025, sachant
que les prisons françaises ont fait lobjet de 475 attaques
de drone en 2023. Par ailleurs, 20 établissements sont équipés
de brouilleurs fixes, cela devrait monter à 40 d'ici fin 2025,
sans compter les 110 brouilleurs mobiles pour certains quartiers spécifiques
comme les radicalisés ou les narcotrafiquants...
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