LE TELEPHONE MONOFILAIRE


Bien avant la premièe guerre mondiale, depuis longtemps déjà, les progrès considérables réalisés en T. S. F. et en téléphonie sans fil semblaient devoir porter un préjudice énorme aux communications transmises par conducteurs métalliques.
Deux spécialistes français, MM. Gaston Vincent et Louis Duverger, qui, depuis de longues années, poursuivent l'étude et l'application des courants de haute fréquence, frappés de ce fait qu’on ne pourrait jamais obtenir le secret dans les communications transmises par le rayonnement des antennes, pensèrent tout autrement.

Ils conçurent et appliquèrent l’idée nouvelle d'utiliser, non plus le rayonnement, mais l'antenne elle-même. Ils transformèrent les circuits téléphoniques en antenne horizontale, à l'extrémité de laquelle ils détectèrent directement les variations de potentiel produites par un poste émetteur.
Par ce procédé, ils ont obtenu des communications téléphoniques d'une portée si considérable que les plus grands espoirs leur sont permis.
D'ailleurs, au cours d'expériences officielles effectuées en secret voilà plus de deux ans, ils réussirent, en présence des ingénieurs des P. T. T., à établir, sans aucun relais, avec leur récepteur le plus simple, une liaison téléphonique entre Bordeaux et Marseille par Paris, doublant d'un seul coup la portée commerciale des dispositifs en service sur les multiples réseaux de l’Etat.

La réalisation des communications téléphoniques à très grande distance peut être regardée comme l'une des questions les plus considérables de la science moderne tan au point de vue international qu'au point de vue technique. Si de plus, on envisage les difficultés nombreuses qu’offrent ces communications, difficultés qui, a priori, semblent insurmontables et dont la moindre est l'affaiblissement progressif et rapide de l'énergie le long des conducteurs, on comprend tout l’intérêt qui s’attache à la solution nouvelle présentée par les inventeurs susnommés.
La pratique journalière, par les ingénieurs spécialistes, de la télégraphie sous-marine, a permis une étude sudisante des lois de la propagation de l’énergie électrique le long des cables immergés pour que nous puissions aisément suivre la marche des phénomènes.

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Considérons un conducteur quelconque de très grande longueur, dans lequel nous lançons un courant. Nous savons parfaitement qu’à l’extrémité de ce conducteur, très loin de la source, le courant, très faible à l’origine, augmente peu à peu pour arriver à un maximum d’intensité qu'il ne dépasse plus. Si on fait des essais sur des câbles de même diamètre, mais de longueurs sensiblement différentes, on voit que, pour produire un effet déterminé, le courant emploie des temps qui augmentent plus rapidement que la simple longueur des eonducteurs. La période d’établissement du courant varie comme le carré de cette longueur.
Ainsi, lorsque nous envoyons une charge positive d’un point A à un point B, si, avant que le courant soit établi en B, nous introduisons dans la ligne une charge négative, nous retardons la transmission. Par contre, nous abrégeons la période d’établissement du courant si nous y lançons une autre charge positive. En effet, sur une ligne téléjihonique de 570 kilomètres de longueur, la charge positive, lancée jmr une batterie de piles de 150 éléments mettra 0"03s pour amener le point B à la joériode dite d’état permanent. Si, jiendant cette période d’établissement, on introduit une nouvelle charge de nom contraire, à l’aide d’une pile de 20 éléments Bunsen, le temps devient 0"038. Pour une charge de même nom, le nombre sera seulement 0"018.
Si, maintenant, nous remjilaçons le conducteur aie 570 kilomètres j)ar un cable sous-marin France-Amérique, dont la longueur dépasse 5.500 kilomètres, aux dillicultés déjà énoncées s’ajouteront les effets de capacité, car un conducteur immergé de cette étendue constitue, avec l’eau salée, un condensateur immense dont la charge s’oppose au passage du courant qu’on y lance. Il s’y oppose d’autant joins fortement que le courant utilisé est joins énergique.
Disons enfin que, dans le cas jiartieulier de la télégrajolne sous-marine, l’exjoérience montre que les résultats obtenus sont d’autant meilleurs que le câble est complètement déchargé après chaque signal.
Quelle devait donc être la solution dans le cas de la téléjihonie où, au lieu de signaux très distants le.s uns des autres, on se trouve en présence de courants alternatifs extrêmement rapides, si on les compare aux signaux télégrapiqucs du système Morse ?
Il fallait entretenir dans le conducteur envisagé des pulsations toujours de même sens afin de réduire dans toute la mesure du possible la période d'établissement du courant à l’extrémité du conducteur, et d’y maintenir une énergie qui soit sulhsante pour influencer, à travers toutes les résistances et capacités de la ligne, un appareil de réception dont la sensibilité soit telle qu’il fonctionne à la moindre variation électrique produite par la source.
Pour y parvenir, MM. Vincent et Duverger pensèrent qu’avant toute chose, il leur fallait étudier un récepteur de grande sensibilité capable de fonctionner sous l’action d’une quantité d’énergie aussi faible que possible. C’est ainsi qu’ils créèrent l’absorbeur.

SCHEMA DE MONTAOE D'UN TELEPHONE MONIFILAIRE
A gauche, se trouvent le microphone M, lu batterie de piles C et le transformateur T rendu unipolaire par la liaison du secondaire au primaire. A droite, on voit l'absorbeur G F2 P F,, sa batterie de chauffa g* A et sa batterie auxiliaire H influençant les récepteurs II du téléphone du correspondant. Ce dispositif est Fun de ceux (pie. Ion préconise pour la téléphonie sous-marine. La portée, pratiquement illimitée, est fonction de l'isolement du câble utilisé.

TELEPHONE PAR DÉTECTION DIRECT. UTILISANT UN DISPOSITIF ABSORBEUR
L'dbsorbeur, que l'on voit à droite sur la. photographie, possède les mêmes propriétés que l'audiou, mais il est moins fragile et il permet d'utiliser des filaments spéciaux recouverts d'oxydes métalliques.

Présentée sous cette forme, la question devenait soluble pour des chercheurs avertis.
L’absorbeur, tel que nous le montre la figure, n’est autre chose qu’un tube à vide dont l’ampoule de verre et la plaque sont remplacées par un tube de métal dans lequel on fait un certain vide et à l'intérieur duquel se trouvent le filament et la grille.


Tout comme l’audion, cet appareil fonctionne à la manière d’un clapet électrique qui admet les courants d’un certain sens et arrête ceux de sens inverse. Il permet donc d’actionner un téléphone placé dans un circuit d’utilisation, et cela quelle que soit la rapidité des changements de sens du courant.
Lorsque le détecteur fut trouvé, les auteurs envisagèrent la question dans son sens le plus large ; puisque, dans la plupart des cas où l’on aurait à appliquer le téléphone à très grande distance, notamment en téléphonie sous-marine, on ne pourrait disposer que d’un seul conducteur, le câble télégraphique, il fallait réaliser un dispositif qui permette d’utiliser indifféremment un ou deux conducteurs.
Mais comment influencer au départ un .conducteur monofilaire ?
On prit à cet effet un poste ordinaire : pile, microphone, transformateur, dont l’une des bornes du secondaire fut reliée au négatif de la pile, rendant ainsi le transformateur unipolaire.
Sous l’action des variations d’intensité produites par le micro dans le circuit primaire, des oscillations se produisaient le long du conducteur partant du secondaire, et il suffisait de brancher directement l’autre extrémité du conducteur à la grille de l’absorbeur ou du tube à vide du poste récepteur pour pouvoir influencer un téléphone disposé convenablement dans le circuit d’utilisation.
La sensibilité de l’ensemble ainsi constitué fut telle que, dès les premiers essais et malgré tous les dispositifs employées, on ne réussit jamais, tant en laboratoire que sur lignes réelles, àéteindre la communication.
Des expériences furent faites entre Paris et le Havre, Paris-Marseille, Marseille le Havre par Paris, Bordeaux-Marseille par Paris, toutes ces communications établies directement et sans relais intermédiaires, montrèrent immédiatement la supériorité du procédé sur tous les dispositifs existants, jusques et y compris l’amplification à la réception.

SCHEMA D'UN MONTAGE DE TELEPHONiE PAR ONDE ENTRETENUES
Il s'agit du montage d'un poste générateur d'ondes entretenues influençant la ligne sur laquelle est branché, à la réception, le poste de l'absorbeur A. Ce poste se compose d'un circuit oscillant comprenant un condensateur C, une self S1 S2 et un audion montés en série. Les deux bornes B1 et B2 du circuit de haute fréquence sont reliées, l'une à la ligne L1, l'autre à la terre ou à la deuxième ligne d'un circuit ordinaire.

A gauche, se trouvent le microphone M, la batterie de piles C et le transformateur T rendu unipolaire par la liaison du secondaire au primaire.
A droite, on voit l'absorbeur G F2 P F1 sa batterie de chauffage A et sa batterie auxiliaire H influençant les récepteurs R du téléphone du correspondant. Ce dispositif est l'un de ceux que l'on préconise pour la téléphonie sous-marine. La portée, pratiquement illimitée, est fonction de l'isolement du câble utilisé.


DISPOSITIF DE TELEPHONE PAR DETECTION DIRECTE
Cet ensemble permet de recevoir des communications téléphoniques directes par un andion, sans batterie auxiliaire. La sensibilité de cet appareil est telle qu'il a permis de recevoir à Marseille un message venant de Bordeaux par Paris, sans relais d'aucune sorte.

Toutefois, ce n’était encore que la première partie du problème qui avait été résolue : à la vérité, on possédait bien un dispositif de réception d’une sensibilité tout à fait exceptionnelle, mais comment se comporteraient les oscillations de basse fréquence en présence des capacités formidables constituées par les câbles ou seulement les lignes de très grande longueur ?
Les essais autorisés par M. le ministre du Commerce, tant à l’école supérieure des Postes et Télégraphes que sur les réseaux d’études des centraux téléphoniques, ne permirent jamais, malgré l'emploi de toutes les résistances et capacités disponibles introduites dans les circuits, d’arriver à un étouffement sensible des communications.

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Poussant beaucoup plus loin leurs très intéressantes recherches, MM. Vincent et Duverger s’attaquèrent à la seconde partie du problème : la création de courants spéciaux susceptibles de vaincre capacités et résistances.
Ils se souvinrent à propos d’une particularité bien connue des courants de haute fréquence qui tendent à se transmettre le long et à l’extérieur des conducteurs. Utiliser les courants haute fréquence, c’était de toute évidence lutter avantageusement contre la résistance considérable du conducteur.
L'expérience fut tentée en remplaçant, au poste de départ, les oscillations de basse fréquence par des ondes entretenues alin d’apporter à l’émission les mêmes perfectionnements déjà obtenus à la réception.
Les conséquences de cette nouvelle application dépassèrent de beaucoup les espérances.
On put, par ce procédé, non seulement communiquer téléphoniquement de poste à poste à l’aide d’un seul conducteur, mais on réalisa des conununications multiples.

Le nouveau poste émetteur se compose d’un générateur d’ondes entretenues analogue à ceux employés pour la téléphonie sans fil : un microphone est monté dans le circuit d’une pile dans lequel est intercalé le primaire d’un transformateur téléphonique dont les constantes ont fait l'objet d'une étude toute spéciale, notamment en ce qui concerne le rapport de transformation très élevé.

L'appareil de droite permet l'intercommunication avec un poste téléphonique placé à proximité du treuil d'an ballon captif on avec un poste, de réseau ordinaire sans antre liaison électrique que le câble d'attache du ludion. L'appareil de gauche permet la communication mono flaire ou bifilaire au choix. Si l'âme téléphonique du câble vient à se rompre, on passe instantanément du système monofitaire au bifilaire. Il suffit, pour cela de tourner simplement, le commutateur à flèche que l'on voit vers la partie supérieure de la figure et de débrancher la fiche lïi vers Mono.

La force électromotrice induite du secondaire placé dans le circuit de grille, agissant sur celle-ci, y produit des variations de tension. Le secondaire est, en outre, shunté par un condensateur qui a pour effet de transmettre directement le courant de haute fréquence.
Du négatif de la batterie du circuit plaque, part la ligne qui n’est autre chose qu'une immense antenne dont la base est reliée à la terre et le sommet au poste récepteur. Dans ces conditions, on conçoit aisément le fonctionnement à la réception :
Dès l'instant où l'on se brandie, à l'arrivée, à l'extrémité de l’antenne, les variations, quelles qu’elles soient, se trouveront fidèlement détectées par l'appareil spécial placé en ce point de la ligne, que ce soit un audion ou un absorbeur. Si le dispositif émetteur est à communication unique, la réception sera unique au circuit d’utilisation. Si le dispositif émetteur est établi pour lancer simultanément plusieurs communications, le dispositif récepteur sélectionnera automatiquement, au moyen de selfs et de capacités appropriées, les différentes longueurs d'ondes
auxquelles correspondent les postes émetteurs et permettra à autant d’appareils récepteurs de recueillir chacun sa communication particulière, les oscillations intéressant chaque poste pouvant être établies suivant des longueurs d'onde différentes.
Ainsi résumées, les recherches entreprises par les inventeurs semblent d'une simplicité extrême ; elles représentent pourtant des années d'expériences et de mise au point, et, en pareille matière, ce sont seulement les résultats qui comptent. Or ceux-ci furent immédiats.

Dès 1918, en pleine guerre, la téléphonie monofilaire permettait de résoudre un autre problème considéré comme insoluble : la téléphonie avèc la nacelle des ballons d'observation à l'aide d’un seul conducteur qui n’était autre que le câble de traction, non muni d’une âme téléphonique.
Deux types d’appareils furent créés qui permettent, la communication à bout de câble, c’est-à-dire à plus de 1.500 mètres de hauteur, l’un pour les ballons dont le câble ne comporte pas d'âme téléphonique, l’autre pour les ballons à câble portant une âme téléphonique. Lorsque celle-ci vient à se rompre, au cours d’une manœuvre, on peut passer instantanément, par le seul déplacement d’une manette, du dispositif bifilaire au dispositif monolilaire .

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