La ligne téléphonique
entre Paris et Londres.
Nous avons fait connaître autrefois des travaux
fort intéressants relatifs à la téléphonie
à grande distance. Les transmissions se font à des
distances de plus en plus grandes ; le 15 mars 1891, on a
pu converser téléphoniquement
entre Londres et Paris.
On a pu craindre un moment que l'ouverture de la nouvelle ligne
ne fut bien retardée, car le vaisseau qui portait le câble
téléphonique destiné à relier la France
et l'Angleterre a été assailli par une violente tempête.
Les journaux ont raconté son odyssée. Les ingénieurs
français à bord du Monarch ont pu croire un moment
que leur ouvrage était perdu. L'opération de la pose
du câble a été rendue très difficile
; mais il a définitivement été posé,
et l'on se souvient aussi sans doute que le premier message envoyé
d'Angleterre en France a été un verset de la Bible,
qui n'était pas trop mal choisi, mais qui ne laissa pas d'étonner
un peu ceux qui ne s'attendaient qu'aux courtoises banalités
des inaugurations officielles.
M. Preece est l'ingénieur électricien
en chef de la poste d'Angleterre ; il avait particulièrement
étudié la question de la transmission téléphonique
à grande distance ; il avait bien compris que, pour ces transmissions
à grande distance, il y a deux obstacles à vaincre,
la résistance de la ligne d'abord et puis sa capacité
électrostatique; la limite de perceptibilité des transmissions
est en rapport avec le produit de ces deux facteurs. L'unité
de résistance se nomme l'ohm; l'unité de capacité
se nomme farad (une abréviation assez malheureuse de Faraday)
et comme le farad est trop grand pour les besoins de la pratique,
on fait usage d'une unité moindre qu'on
nomme le microfarad. Quand le produit de la résistance d'une
ligne mesurée en ohms par sa capacité électrostatique
mesurée en microfarads, dépasse 15,000, la transmission
devient pratiquement impossible. Pour être dans de bonnes
conditions, il ne faut pas rester beaucoup au-dessous de 5,000 et
ne pas trop s'approcher de 10,000.
On voit ici l'utilité de ces recherches
théoriques, dont les résultats s'expriment dans quelques
lois connues des électriciens ; elles leur donnent des moyens
pratiques de résoudre certaines questions difficiles; ces
quantités mesurables, ohms, microfarads, etc., fournissent
à l'électricité des indications précieuses
; il suffit d'établir des câbles, dans certaines conditions
données, car on sait mesurer dans ces câbles les éléments
dont nous venons de parler.
Entre Londres et Paris, quel câble a-t-on
été conduit à choisir pour obtenir une transmission
convenable ?
La maison Siemens, de Londres, a fait un câble à quatre
conducteurs, dont chacun est fait d'un toron de sept fils de cuivre,
isolé par dos couches de gutta-percha. Ces quatre conducteurs
forment une âme couverte par du fil de jute tanné,
protégé par une armature de seize fils de fer de sept
millimètres de diamètre, le tout enduit d'un mélange
de résine minérale et de sable.
De Londres â Douvres, et de Paris à
Calais, la ligne est aérienne ; les fils sont passés
sur des isolateurs et des poteaux. Dans Paris même, la ligne
est souterraine sur sept kilomètres de longueur entre les
fortifications et la direction des postes et des télégraphes.
Nous parlerons prochainement des appareils téléphoniques
employés aux extrémités de la ligne; à
Londres, on préconise le système dit Gower-Bell ;
à Paris, celui de M. Roulez, qui est nouveau. Rien n'est
encore décidé d'une manière définitive
au sujet de ces appareils.
Le système Gower-Bell a été
appuyé par M. Preece et ses collaborateurs ; le système
Roulez, par M. Amiot et.les ingénieurs français. Tous
les deux ont sans doute leurs avantages et leurs défauts,
mais tous les deux peuvent rendre de bons services.
Comme tous les transmetteurs actuellement en usage (on a donné
le nom de transmetteurs aux instruments qui transforment les sons
articulés, caractérisés par des vibrations
sonores, en courants électriques), ils sont tous deux des
variétés du microphone â charbon du professeur
D.-E. Hughes. Le principe de ce dernier appareil est la variation
de la résistance électrique du charbon sous l'influence
de la pression; cette variation de la résistance du charbon
avait été découverte par Th. du Moncel en 1856
(l'on retrouve toujours ce nom â l'origine de toutes les applications
de l'électricité), et il avait été utilisé
pour la première fois dans la téléphonie par
Edison. Hughes a utilisé dans l'appareil qui porte le nom
de microphone la résistance d'un contact imparfait ; son
invention date de 1878. Tous les transmetteurs sont actuellement
fondés sur ces variations de résistance dans les contacts
imparfaits, variations qui se produisent quand les vibrations d'un
son articulé modifient le contact. Si l'on emploie le charbon,
c'est il cause de ses propriétés physiques ; il ne
s'oxyde pas, ne fond pas, il est mauvais conducteur de la chaleur.
Dans le microphone Hughes, il y a une petite roue en charbon., avec
des sortes de dents, fixée derrière le diaphragme
en bols qui reçoit et transmet les vibrations sonores. Dans
le microphone .Roulez, le microphone est formé par un bloc
de charbon percé de petits trous, remplis des filaments brisés
des fils charbonneux employés dans les lampes à incandescence»
Les bouches de ces petites ouvertures sont couvertes par le diaphragme.
La finesse des filaments charbonneux donne une grande délicatesse
au microphone Roulez.
Nous avons dit que le câble téléphonique
qui relie Londres et Paris a été construit ri. Londres,
par la maison Siemens. Nous dirons, à ce sujet, que cette
industrie de la construction des câbles sous-marins a pris
racine en France. La Compagnie générale des téléphones,
qui a cessé, en 1889, d'exploiter les réseaux téléphoniques
qu'elle avait installés, a établi une usine â
Calais nour la
construction des câbles sous-marins. M. Max
de Nansouty en a donné une description dans le Génie
civil. Veut-on savoir quelle est la valeur des câbles sous-marins
actuellement reposant au fond des mers dans le monde entier ?
Cette valeur s'élève à un milliard de francs,
et pourtant cette industrie n'a que vingt ans d'existence. Il était
vraiment temps que la France ne restât point à la remorque
de l'Angleterre dans la 'construction de ces câbles. L'Italie
nous a déjà précédés; l'Angleterre
a quatre grandes usines, « les frères Siemens »,
le « Telegraph Construction and Maintenance oompany »,
l' « India Rubber Gutta Percha and Telegraph works company
» et « Henley's works ». En Italie, il y a la
Société Pirelli à la Spezzia.
La Société des téléphones
créa une première usine à Bezons, pour fabriquer
les âmes des câbles sous-marins et des côtes.
L'emplacement était peu commode ; on choisit ensuite Calais,
qui a un nouveau port facile d'accès et un grand bassin;
MM. Weyher et Richemond, et M. Brasseur, de Lille, fournirent les
machines â vapeur; aujourd'hui la fabrication peut se faire
couramment; elle n'offre aucune difficulté
spéciale, car il nes'agit que d'entourer un conducteur en
[cuivre d'une gaine isolante et d'une armaturr. La production de
l'usine est calculée pour une longueur de câble de
500 mille marins; un câble transatlantique fournirait à
peine six mois de travail à l'usine.
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