IRAK

L'Irak fit longtemps partie de l’Empire ottoman.
A la veille de la guerre de 1914, il n'existe que deux principales routes, Beyrouth-Damas et Beyrouth-Tyr, construites par des sociétés françaises. On compte au Mont-Liban quelque 500 km de mauvaises routes, étroites et vouées aux caravanes mais accessibles aux automobiles en période sèche. Il fallait en 1918 près d'une journée pour se rendre en voiture de Beyrouth à Tripoli ... Le réseau téléphonique est inexistant.
Au cours de la Première Guerre mondiale, l’Irak est conquis par les Britanniques et est déclaré indépendant de l’Empire ottoman le 1er octobre 1919.
Le 25 avril 1920, la Société des Nations (ancêtre de l’ONU) confie un mandat au Royaume-Uni pour administrer la Mésopotamie.
Le mandat britannique de Mésopotamie, durant lequel la monarchie irakienne est proclamée, assure la transition du pays vers l'indépendance.
Un mois plus tard, l'administration britannique doit déjà faire face à une importante révolte. Le clergé chiite est durement réprimé, ce qui le conduit à retourner à son apolitisme premier.
Le royaume d'Irak devient réellement indépendant le 3 octobre 1932, même si les Britanniques y conservent des bases militaires.
Le 1er avril 1941, le régent Abdelilah ben Ali el-Hachemi, jugé trop dévoué aux intérêts du Royaume-Uni, est démis de ses fonctions à la suite d'un coup d'État, et remplacé par le gouvernement nationaliste de Rachid Ali al-Gillani, qui oriente alors la politique du royaume vers un rapprochement avec l'Allemagne dans le but d’obtenir son soutien à l'indépendance des États arabes. Les Britanniques interviennent rapidement.
Le 2 juin 1941 leurs forces entrent dans Bagdad où elles réinstallent le régent et mettent en place un gouvernement pro-britannique.
Pendant ce temps, les partisans de Rachid Ali al-Gillani lancent un pogrom contre la communauté juive qui, outre les pillages et les viols, fait 135 à 180 victimes juives et plus de 500 blessés. Cinq des instigateurs du coup d'État furent pendus et de nombreux autres emprisonnés dont Khairallah Talfah, un oncle de Saddam Hussein. Après la proclamation de l'État d'Israël, la communauté juive irakienne d'environ 125 000 personnes se réfugie massivement en Israël, à la suite du climat d'insécurité qu'elle subit alors en Irak.
La monarchie dure jusqu'en 1958, puis plusieurs gouvernements se succèdent par des coups d'État, l’Irak oscillant entre les influences antagonistes occidentales et anti-occidentales dans le contexte de la guerre froide.

sommaire

A la fin de 1860, sous le régime Ottoman, la ligne Constantinople-Bagdad était pratiquement terminée et, début 1861, la liaison télégraphique Bagdad-Londres était opérationnelle. Néanmoins, la construction de la ligne Bagdad-Fao, sur le golfe Persique, dura plusieurs années . Lorsque la ligne fut achevée, en 1864, le service du télégraphe des Travaux publics ottomans disposait d'un petit groupe de techniciens possédant des connaissances et un savoir- faire satisfaisants : ce sont eux qui développèrent le réseau sur l'ensemble du pays.
Quand, en février 1861, une partie de la ligne entre Mosul et Badgad eut été détruite, Ismail Pasha, gouverneur de Kerkuk, demanda à la Porte de lui octroyer un détachement de trois cents cavaliers .

1941 BAGDAD CENTRAL BRITANNIQUE.


Nouveau central téléphonique pour 5000 abonnés.

L'un des plus grands centraux téléphoniques automatiques publics du Proche Orient relie la Grande-Bretagne à Bagdad.
Il y aura 5 000 abonnés pour commencer ; mais les appareils et équipements, de la conception la plus moderne, permettront en fin de compte d'en fournir le double.
Les sélecteurs sont du type récent du British Post Office, et un nouveau bâtiment téléphonique a été construit pour abriter l'installation de commutation automatique et les standards téléphoniques interurbains.
Deux petits centraux automatiques, en service depuis un certain temps, seront intégrés au réseau de sous-centraux, avec des fonctions directes vers le nouveau central de Bagdad.

1956 Des progrès supplémentaires étaient réalisés à Mossoul dans le domaine des communications avec la mise en service d'un nouveau central téléphonique automatique de 5 000 lignes.


1976 Un commutateur Alcatel CITEDIS (PABX) est installé dans l'aéroport de Bagdad .
Le réseau téléphonique irakien, dont une grande partie avait été installée par le groupe français Alcatel dans les années 80, a été durement touché lors des raids aériens de la guerre du Golfe en 1991. Il n’a jamais été rétabli dans sa capacité d’avant-guerre.

Depuis, l’Irak a connu trois guerres meurtrières, des répressions sanglantes (dont celles des Kurdes et des chiites) et plus de dix ans d’embargo. Son régime, fondé à la fin des années 1960 par le Baas, a été aboli par l’invasion de la coalition menée par les États-Unis en 2003.
Ce régime, en dépit de son caractère dictatorial présent dans la majorité des États du Moyen-Orient, semble avoir été populaire chez la plupart des sunnites, traditionnellement nationalistes, mais minoritaires au sein de la population irakienne. Depuis l’invasion américaine, l’Irak a été de facto sous tutelle de la coalition internationale, les Kurdes ont obtenu l’autonomie d’une région au nord du pays, la laïcité a disparu et la politique a été dominée par les affrontements intercommunautaires, ponctués de nombreux attentats et cause de l’émigration des minorités chrétiennes et juives...

Les statistiques sur les télécommunications irakiennes sont largement indisponibles.
La forte augmentation des dépenses publiques, amorcée au milieu des années 1970, a entraîné un quasi-doublement du nombre de téléphones.
En 1977 Le nombre de téléphones en Irak s'élevait à environ 320 000, ce qui équivaut à 2,6 téléphones pour 100 habitants.
Les installations existantes comprennent des équipements de commutation téléphonique automatique crossbar avec de nouveaux centraux installés à Bagdad, Ninive et Tamim, ainsi que des réseaux micro-ondes entre les grandes villes.
Deux stations satellite terrestre existent à Dubaï pour être utilisées dans les communications internationales ; ils ont été construits par Telspace, une filiale de CIT-Alcatel, de France.
Un système télex situé à Bagdad comptait 1 462 lignes en 1980, mais un contrat a été attribué pour tripler ce nombre.
Le nombre de récepteurs radio dans le pays est estimé à 2 millions.
Sur la base d’informations plutôt limitées, il semble que des progrès rapides aient été réalisés avant la guerre avec l’Iran pour renforcer les capacités du système irakien.

L’Irak a choisi la commutation crossbar et les systèmes numériques avancés, bien que son utilisation soit encore faible – parmi les plus faibles des six pays étudiés.
L'importation à grande échelle d'équipements de télécommunications par l'Iraq n'a commencé qu'en 1975, lorsque les dépenses consacrées aux importations de l'OCDE ont atteint 65,5 millions de dollars. Les importations d’équipements, pièces et accessoires de télécommunications de tous fournisseurs représentaient plus de 3 pour cent des importations totales de l’Irak et plus de 1,1 pour cent des importations mondiales totales d’équipements de télécommunications pour ces années. La diminution des exportations de pétrole, à partir de 1982, et la guerre prolongée avec l'Iran ont cependant freiné l'expansion civile dans le domaine des télécommunications.

Depuis 1996, la France était devenue le premier pays fournisseur de l'Irak avec près de 15 % des importations. L'équipementier Télécom Alcatel a ainsi obtenu un nouveau contrat de 80 millions de dollars .

sommaire

Le parti Baas prend de plus en plus d’importance et permet l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein en 1979.
Puis le régime de Saddam Hussein est tombé. Une autre ère s'ouvre pour les nouvelles technologies en Irak
BAGDAD Dans la capitale irakienne, il est plus aisé d'envoyer un e-mail pour annoncer son retard que de téléphoner. Nasier Kattan, chef d'entreprise, l'a appris à ses dépens. Copropriétaire d'un café, il souffre de l'absence d'un réseau téléphonique local digne de ce nom: « Ma maison est à trois kilomètres mais je n'arrive pas à la joindre», explique Kattan, assis au Café Botan, un café Internet qui a ouvert ce mois-ci.
Magie? Non, son message est envoyé par satellite à un serveur en Grande-Bretagne, puis il revient à Bagdad, dans la boîte à lettres électronique de son épouse. Le système téléphonique irakien est délabré, mais, l'usage d'Internet explose. Depuis que les troupes anglo-américaines ont chassé le régime du dictateur et de sa clique, des dizaines de cybercafés ont ouvert dans la capitale. Les cafés utilisent des liaisons par satellite. Sans devoir vivre totalement dans la clandestinité, Internet était très surveillé par le régime en place. Autant dire que le chat était interdit.

Pas question de perdre plus du temps. La promotion des cybercafés où les clients peuvent surfer, correspondre, participer à des forums de discussion, utiliser la messagerie instantanée ou encore discuter avec des amis à l'étranger au moyen de casques et de micros est totale... Pour exemple, le prix moyen oscille autour de deux dollars de l'heure.

Ce lundi 13 mars 1995, Ahmed Mourtada Ahmed est pressé. Au premier jour de sa visite officielle à Paris, le ministre irakien des Transports et des Communications a prévu de déjeuner avec Serge Tchuruk, le patron de Total, et Pierre Suard, le n° 1 d'Alcatel-Alsthom.
Au menu, le contrat du siècle : 15 milliards de francs offerts par l'Irak, payables en pétrole sur quatre ou cinq ans, pour rebâtir les télécommunications du pays.
La firme française se prépare à savourer sa revanche. L'occasion rêvée de revenir en force sur la scène mondiale et de balayer des mois d'humiliations et de traumatismes.

1998 Très endommagé pendant la guerre du Golfe, le réseau téléphonique irakien n'a pas été rétabli à son niveau d'avant 1991, faute de pièces de rechange.

sommaire

2003 : la guerre d'Irak, seconde guerre du Golfe
Avant le conflit, 1,1 million d'Irakiens, dont la moitié à Bagdad, étaient abonnés à ITPC pour un service téléphonique fixe.
Douze centres de commutation de la capitale ont été détruits pendant le conflit, perturbant le service à 240 000 des 520 000 abonnés.
Le sous-traitant d'ITPC et Bechtel, Lucent Technologies, a installé 13 nouveaux commutateurs ; le sous-traitant d'ITPC et de Bechtel, Globecomm, a installé la passerelle internationale ; et Bechtel a géré les travaux. Les commutateurs et la passerelle internationale sont connectés et surveillés et contrôlés depuis le nouveau centre d'exploitation du réseau d'Al Mamoun, le plus grand site de central téléphonique du pays.
«Cet effort a réussi grâce au partenariat solide entre Bechtel, ses sous-traitants et l'ITPC», a déclaré Steve Beuby, chef de projet pour les télécommunications de Bechtel. « Le travail de l’ITPC a été vraiment remarquable. »
Le central téléphonique d'Al-Mamoun rétablira les services téléphoniques pour environ 30 000 abonnés. Al-Mamoun est l'un des 12 centraux téléphoniques de la région de Bagdad qui ont été détruits lors du récent conflit. Le premier appel téléphonique international via le nouveau central téléphonique d'Al-Mamoun a eu lieu le 23 octobre 2003. Six énormes générateurs ont été pillés sur ce site du central téléphonique d'Al-Mamoun.
Les travaux du central téléphonique ITPC comprenaient une préparation considérable du site ; creuser de nouvelles goulottes de câbles ; épissage de câbles de 1 800 paires et plus ; pose de dalles de béton pour conteneurs d'équipement ; et construire des murs de sécurité, des clôtures et des installations d'éclairage. Les équipes d'ITPC ont travaillé 24 heures sur 24 pendant des périodes de deux et trois jours pour mettre en service et intégrer les commutateurs, et ont effectué tous les épissures de câbles et le câblage des répartiteurs principaux. L'épissage des câbles de pointe et la connexion du câblage de l'abonné aux commutateurs se poursuivent


2005 La population adopte rapidement et avec enthousiasme les techniques de communication modernes, également utilisées par les insurgés et les terroristes
- 4,5 millions d’abonnés au téléphone – fixe et mobile – en août 2005 contre 833 000 avant l’invasion ;
- 147 000 abonnés à Internet en mars 2005 contre 4 500 en 2002 ;
- 7,1 millions de téléphone portable fin 2006.

sommaire

 

Selon l'enquête "The Ericsson List", conduite par l’ICIJ et ses partenaires dont Radio France, le géant des télécommunications Ericsson a financé l’État islamique pour pouvoir continuer de travailler en Irak.

Selon les conclusions d'une enquête interne conduite par Ericsson sur la période 2011-2019, le géant des télécommunications suédois, aurait versé des millions de dollars suspects à travers des caisses noires, des voyages offerts à l'étranger, et des pots-de-vin, notamment pour pouvoir poursuivre ses activités en Irak, en dépit de la présence de l’organisation État islamique.
Ce rapport secret est révélé par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) qui a enquêté avec 30 partenaires, dont la Cellule investigation de Radio France, dans le cadre du projet baptisé "Ericsson List"

Ericsson est un acteur-clé dans la bataille qu'Occidentaux et Chinois se livrent pour conquérir le marché des communications mondiales.
Le géant suédois génère 25 milliards de dollars de revenus annuels et emploie environ 100 000 personnes dans plus de 140 pays.
Après une série de scandales et d’échecs commerciaux dans les années 2000, il perd du terrain face à Huawei Technologies. Le groupe suédois essaye alors de redresser la barre en ayant recours à des intermédiaires pour s’implanter dans des pays en voie de développement.

Ce faisant, il est rattrapé par les affaires.
En 2013, la justice américaine ouvre une première enquête sur des soupçons de corruption.
En 2019, Ericsson est condamné à verser un milliard de dollars de pénalités au ministère américain de la Justice. L'enquête a mis en évidence l’existence d’un système de corruption actif dans cinq pays.

Le contre-feu d’Ericsson

L’enquête de l’ICIJ et de ses partenaires vient compléter ce tableau, en jetant une lumière crue sur la manière dont le géant des télécommunications aurait aussi payé des membres de l’organisation État islamique (EI) à l’époque où cette dernière contrôlait une partie du nord de l’Irak. Elle s’appuie pour cela sur un rapport de 79 pages, fruit d’une enquête interne lancée par Ericsson sur ses activités en Irak, qui a fuité. On peut y lire les résumés de 28 entretiens avec des témoins-clés, 22,5 millions d'e-mails, ainsi que des graphiques, des cartes et des données financières.
Nous avons vérifié l'authenticité de ces documents, passé plusieurs mois à en examiner d'autres, et à interroger d'anciens employés, des fonctionnaires, des entrepreneurs et des experts du secteur des télécommunication en Irak, à Londres, à Washington, en Jordanie, au Liban et ailleurs… C’est ce travail qui aboutit à ce qu’on appelle aujourd’hui "The Ericsson List".
Lorsque nous avons envoyé nos questions détaillées à Ericsson pour lui permettre de s’expliquer sur ce rapport, la direction, plutôt de que de nous répondre, a allumé un contre-feu en organisant sa propre communication.
Le 15 février 2022, dans une déclaration publique, la société reconnaît une "faute liée à la corruption" en Irak, et de possibles paiements à l'EI, sans donner plus de précisions. Dans la foulée, le président-directeur général (PDG) d'Ericsson, Börje Ekholm, accorde des interviews à des médias qui ne sont pas en possession des documents que nous révélons. À un journal suédois, il déclare : "Nous ne pouvons pas déterminer où va réellement l'argent parfois, mais nous pouvons constater qu'il a disparu". La valeur de l'action d'Ericsson plonge alors de 4,4 milliards de dollars, perdant plus de 10 % de sa valeur

L’histoire d’Ericsson en Irak ne date pas d’hier.
Dès les années 1960, la société suédoise participe à l'installation d'un réseau téléphonique à Bagdad.
À l’époque, le dictateur Saddam Hussein limite la possession de téléphones mobiles à une élite.
Mais après l'invasion américaine de 2003, l'Irak devient un des rares marchés de téléphonie mobile quasiment vierge, donc à fort potentiel. De ce fait, les ventes d'Ericsson en Irak représentent près de 1,9 milliard de dollars entre 2011 et 2018.

Après la guerre, Ericsson remporte plusieurs contrats. Il fournit en nouvelles technologies l'entreprise publique Iraq Telecommunication & Post.
Il décroche aussi des contrats pour la fourniture d’antennes, et la mise à niveau d'équipements et de réseaux, pour les trois principaux opérateurs mobiles irakiens que sont Asiacell (une entreprise qatarie), Zain Iraq (qui fait partie d'un groupe de télécommunications koweïtien), et Korek, contrôlé par Sirwan Barzani, le neveu de l'ancien président de la région semi-autonome du Kurdistan irakien, dans le nord du pays, par ailleurs chef d'une milice peshmerga.

Les Barzani sont une famille de dignitaires kurdes considérée par les États-Unis comme des alliés de poids dans la lutte contre l'organisation État Islamique. Le rapport d’enquête interne d’Ericsson qui a fuité fait pourtant état de transactions douteuses impliquant des membres de cette famille, dont Sirwan Barzani, et Rasech Barzani, un consultant qui aurait à lui seul perçu 1,2 million de dollars pour avoir offert "des renseignements commerciaux et une facilitation auprès du président de Korek".
Selon le rapport d’Ericsson, Korek aurait évité de payer des impôts et des taxes à hauteur de 375 millions de dollars.
L'opérateur, peut-on lire, a menacé de "démolir les antennes d'entreprise rivales en territoire kurde".
Ni Rasech Barzani, ni Sirwan Barzani n'ont souhaité répondre à nos questions concernant ces apparentes faveurs accordées par Ericsson à Korek