1917 LE TÉLÉPHONE AUX ÉTATS-UNIS

Par Austin-CL LESCARBOURA de la revue "La science et la vie" décembre 1917.

Il y a quelque mois, lord Northcliffe, le grand publiciste anglais, au cours de sa mission aux Etats-Unis, se trouvait dans un bureau d’affaires de New-York où l’avaient convié un certain nombre de directeurs de sociétés de téléphones.

Un récepteur lui fut remis ; il le porta à son oreille et perçut instantanément le bruit des vagues déferlant sur les rôchers de Seal, à San Francisco, c’est-à-dire le murmure du Pacifique éloigné de plus de 4.000 kilomètres. Un autre récepteur lui fut alors présenté, qui lui transmit immédiatement la rumeur du flot, de l’Atlantique mourant doucement sur la plage de Long Beach, chère aux New-Yorkais.
Ainsi, grâce au téléphone, grâce surtout au fonctionnement parfait de la ligne à longue distance reliant New-York à San Francisco, lord Northcliffe eut le privilège enviable d’être mis à même d’entendre simultanément les deux vastes océans qui limitent la grande république alliée à l’orient et à l’occident, gémir sous l'effort continu de leur tâche éternelle.
Cette magnifique démonstration étonna peut-être encore davantage le publiciste anglais qu’elle ne l’intéressa. Quant à nos amis les Yankees, elle ne leur apprit rien. Pour eux, c’était simplement, en effet, bien que sous une forme inédite,«sportive», comme ils disent, la réédition de ce que des milliers d'Américains font chaque jour puisque, sans la moindre difficulté ni surtout sans interminables attentes, tout abonné peut parlera des correspondants qui se trouvent à une distance souvent égale à plusieurs fois la plus grande longueur de la France.
Quotidiennement, les Américains lancent plus de 30 millions d’appels téléphoniques se répartissant sur des lignes d’environ 32 millions de kilomètres d’étendue, constituant le principal réseau téléphophonique des Etats-Unis, celui de la Compagnie Bell.
Ce système, à lui seul, étend ses ramifications à 70.000 agglomérations, plusieurs milliers de plus que n’en dessert le réseau des téléphones du gouvernement. Il comporte environ 10 millions de postes dont un quart consiste exclusivement en postes ruraux. Pour entretenir ce réseau, l’exploiter, le réparer, l’augmenter et le perfectionner, la Compagnie Bell utilise les services journaliers de près de 180.000 personnes.
En Photo : MODÈLE TYPE DE L’APPAREIL TÉLÉPHONIQUE MOBILE D’UN USAGE GÉNÉRAL AUX ÉTATS-UNIS .

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TRACÉ DE LA LIGNE TÉLÉPHONIQUE TRANSCONTINENTALE DES ÉTATS-UNIS

Les distances sont indiquées en milles terrestres (Le mille terrestre correspond à 1600 mètres environ.)
Partant de New-York, cette ligne, la plus longue du monde, aboutit à Sa7i Francisco, reliant ainsi l'Atlantique au Pacifique, après avoir couvert environ 5.500 kilomètres.

On estime qu’un habitant sur huit possède le téléphone aux Etats-Unis ; cet énorme pourcentage est dû surtout à l’incroyable multiplicité des appareils dans les grandes villes. New-York en utilise près de 700.000 et peut-être davantage ; il n’est certainement pas une seule administration, pas une boutique, pas une maison qui ne possède un appareil téléphonique accessible à tous.

Les stations téléphoniques publiques des villes américaines ne sont pas, comme en France, L'unique privilège des bureaux de poste ; à la vérité, c’est dans les bureaux de poste qu’on va le moins lorsqu’on désire téléphoner, car, outre qu’on peut utiliser le téléphone dans tous les magasins (téléphones automatiques et payants dont il sera parlé plus loin), les cabines publiques sont légion dans les grandes villes américaines.
Rien qu’à New-York, on en compte environ 33.000. Parfois, elles sont uniques et renferment un appareil automatique fixé contre une cloison, tandis que dans les installations étudiées pour répondre à un trafic intense, elles sont groupées et renferment soit l’appareil automatique, soit un appareil ordinaire desservi par un opérateur professionnel qui a la charge de plusieurs cabines.
L’appareil automatique est employé là ou le nombre des communications n’est pas suffisant pour justifier la présence et surtout les frais d’un opérateur.
Il se compose d’une boîte en métal épais surmontant la sonnerie et pourvue, comme le montre la photographie de trois fentes pouvant recevoir, l’une des pièces de nickel de 5 cents (notre pièce de 25 centimes),l’autre des pièces de 10 cents (50 centimes), et la troisième, des pièces de 25 cents (1 fr. 25), suivant le coût de la communication.

MODÈIÆ TYPE DU TÉLÉPHONE AUTOMATIQUE EN USAGE AUX ÉTATS-UNIS
Trois fentes disposées au-dessus de l'appareil permettent d'y introduire une pièce de monnaie ou, si besoin est, plusieurs pièces de 5,10 ou 25 cents, suivant le coût de la communication.
Une fois le prix acquitté, on décroche le récepteur, on demande le numéro voulu et, si la communication ne peut être obtenue,

L' argent versé retourne automatiquement dans le petit réceptacle de gauche marqué « Coin Return », où l'intéressé n'a qu'à le prendre. La personne qui désire appeler commence par introduire dans l’appareil une pièce ou, s’il est nécessaire, plusieurs pièces de monnaie, ce qui, automatiquement, établit la communication avec le Central. Elle demande alors le numéro qu’elle désire et elle l’obtient généralement entre cinq et dix secondes. Dans certaines villes, cependant, la pièce de monnaie n’est introduite que sur la demande de l’opérateur du Central, lorsque la communication a été obtenue.

De toute manière, si l’abonné appelé n’a pu être touché, l’argent, versé est retourné automatiquement par l’opérateur du Central dans un réceptacle ad hoc marqué «Coin Return», placé à gauche de l’appareil. Les cabines des stations téléphoniques publiques sont pourvues de portes coulissantes. Dans les stations très importantes, toutes les cabines sont reliées à un tableau desservi par un ou plusieurs opérateurs. Chaque cabine est munie d’une lampe élec-trique-témoin qui s’allume, soit lorsque la communication est établie, soit lorsque la porte de la cabine est complètement fermée.

GROUPE DE CABINES DANS UN DES PLUS RÉCENTS « GRATTE-CIEL » DE NEW-YORK
Ces cabines ne sont pas, aux Etats-Unis, le privilège des bureaux de poste ; on les trouve, au contraire, dans presque tous les immeubles d'affaires, dans les salles souterraines, les gares, les théâtres et dans les principaux monuments publics.

Dans la plupart des bureaux d’affaires américains, tous les employés ayant une tâche quelque peu importante ont un appareil sur leur bureau. Ces instruments individuels sont reliés à un central privé, de manière que les appels entre bureaux et ceux avec l’extérieur puissent être rapidement et correctement servis. Les hôtels modernes, les clubs, les maisons de rapport, les institutions . publiques, etc... ont leurs centraux connectés avec le réseau principal et reliés d’autre part à toutes les salles, appartements ou chambres. Deux nouveaux hôtels en construction à New-York et qui, lorsqu’ils seront achevés, dépasseront comme proportions les immenses édifices de ce genre déjà existants, posséderont des réseaux intérieurs qui desserviront respectivement 2.200 et 2.400 appareils téléphoniques.
Tous les grands magasins de nouveautés, d’alimentation, de consommation, etc... possèdent, à New-York et dans les principales villes des Etats-Unis, des « tables de commandes téléphoniques ». Autour de ces tables, des employés spécialement entraînés à ce genre de travail, reçoivent toutes les commandes transmises par le téléphone et les exécutent ou se contentent de les transmettre, encore téléphoniquement, aux différents rayons ou magasins. Le client possède généralement un catalogue et un tarif des maisons où il a l’habitude de se servir ; chaque article ayant un numéro d’ordre, il suffit d'indiquer celui qui correspond à l’objet dont on veut faire l’achat pour le recevoir sans confusion possible ; des commandes sont ainsi transmises de villes souvent extrêmement éloignées.
Les ménagères font leur marché par téléphone et commandent de cette manière leur épicerie, leur viande, etc... qui leur sont apportées à domicile avec une rapidité admirâble, grâce à un service d’automobiles et de voitures de livraison sans rival.

BUREAIJ DE UECEPTION DES COMMANDES TELEPHONEES, DANS UN GRAND MAGASIN
Aux Etats-Unis, l'acheteur se déplace le moins possible. : il préfère téléphoner ses commandes. Pour l'épicerie, les viandes, les légumes, la pharmacie, les ménagères s'adressent téléphoniquement à leurs fournisseurs, qui ont tous une équipe d'employés spéciaux pour la réception dès ordres de livraison. (Je rajouterai : Amazone avant l'heure).


TYPE DES « CENTRAUX » PRIVÉS EMPLOYÉS DANS LES HOTELS, CLUBS, ETC... AMÉRICAINS
Nous avons en France, dans la plupart des grandes administrations publiques et particulières, des appareils de ce genre ; aussi, nous ne reproduisons cette photographie que pour montrer la forme extrêmement simple et l'agencement spécial du central téléphonique privé d'un usage courant aux Etats-Unis.

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Les annuaires téléphoniques des grandes villes américaines viennent au secours des abonnés, qui, dans certaines circonstances critiques, pourraient s’affoler et ne pas savoir à quelle porte réclamer de l’aide. C’est ainsi que, sur leur couverture, on lit en lettres rouges : « Si vous avez besoin d’un docteur, d’une ambulance, d’un agent de police, de signaler un incendie, dites simplement à l’opérateur : « J’ai besoin d’un docteur, d’une ambulance », etc... N’est-ce pas admirable ? Mais il y a mieux, en moins sérieux, il est vrai : vous vous levez un matin et constatez que votre pendule s’est arrêtée ; ou bien vous doutez que votre montre marque correctement l’heure ; que faire ? — Très simplement, vous décrochez le récepteur de votre téléphone et dites à la téléphoniste, sans précaution oratoire aucune : « Quelle heure est-il ? »
Elle vous répondre), aussitôt, après un rapide coup d'œil jeté sur l’horloge électrique marquant l’heure de l’Observatoire, placée dans chaque bureau : « Il est telle heure », et vous pouvez vous y lier, je vous en réponds.
Maintenant, si vous réfléchissez à ce fait qu’une téléphoniste répondra à pareille question plus de cent fois peut-être dans une seule journée, vous serez forcé de convenir que les demoiselles du téléphone américaines sont non seulement toutes charmantes, mais bien stylées. D’ailleurs, et sans partialité, il faut leur reconnaître une parfaite civilité.

Les bureaux centraux téléphoniques des Etats-Unis ne ferment jamais; à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit, il y a toujours en service un personnel suffisant pour prendre soin de toutes les communications demandées.
New-York, avec ses 5.500.000 habitants, a une superficie inférieure à celle de Londres, et cependant ses rues, dans le quartier des affaires, sont moins congestionnées que les voies correspondantes de la métropole anglaise ; deux choses expliquent ce fait : le téléphone et le gratte-ciel.
Le téléphone fait « voyager » les gens par la parole ; le gratte-ciel les loge. Quoi qu’il en soit, les habitants de New-York utilisent le téléphone plus de 2.500.000 fois chaque jour.
On peut, pour démontrer l’excellence et l’étendue du réseau téléphonique américain, en même temps que le rôle qu’il joue dans les transactions commerciales et financières, citer les deux exemples suivants :
- Un vendeur de grains couvrit un jour, au moyen de trente-huit appels téléphoniques, une partie de l’Etat du Maine en trois heures et vendit 126 wagons de grains représentant une valeur totale de 74.400 dollars.
- Un boursier new-yorkais était assis dans son bureau et s’entretenait avec un ami. La sonnerie du téléphone retentit. Il y répondit et parla pendant quelques minutes ; il raccrocha ensuite le récepteur et demanda un numéro qu’il obtint rapidement. Quand il eut terminé, il dit à son ami : « J’ai reçu de Cleveland une offre représentant 100.000 dollars d’obligations et j’ai vendu ces valeurs à un client demeurant à Atlanta avec un bénéfice très appréciable. — Quand ? demanda l’ami. — A l’instant, pendant que vous restiez assis ; tout fut fait par téléphone. » Cleveland est à quelque 1.100 kilomètres à l’ouest de New-York, et Atlanta est à environ 1.400 kilomètres au sud de la même ville. Le financier avait donc franchi ces 2.500 kilomètres, une distance supérieure à celle de Paris-Madrid, en quelques minutes et effectué une grosse opération sans bouger de sa chaise ni élever la voix au-dessus du ton normal de la conversation courante.


LA MAISON FAISANT FACE A LA « BOURSE DU TROTTOIR » A NEW-YORK
Un marché de valeurs non cotées à la Bourse se tient tous les jours sur une petite longueur de Broad Street, à New-York. Des courtiers y achètent et y vendent toutes sortes de valeurs plus ou moins sérieuses. Par des signaux conventionnels, au moyen aussi d'éclats lumineux produits par des lampes électriques de poche, ces courtiers restent en communication avec des employés ou partenaires qui, eux-mêmes, sont en communication téléphonique avec leurs clients. Ainsi, ces derniers savent presque instantanément s'ils ont pu acheter les valeurs convoitées ou se débarrasser de celles qu'ils voulaient vendre et à quel prix. Sans le téléphone, ce curieux marché ne pourrait exister.

Dans les « business quarters » de New-York, où des millions de dollars circulent en tous sens et pourtant impalpables, le téléphone joue un rôle considérable ; ceci est particulièrement vrai dans la partie de Broacl Street, où se tient un marché financier bizarre, sorte de foire aux valeurs où vendeurs et acheteurs choisissent un tronçon de rue qui n’a pas cinquante mètres de longueur pour théâtre de leurs activités. Ces courtiers font un échange de valeurs non cotées en Bourse et connues sous le nom de « Curb Stocks », qu’on pourrait traduire par « valeurs du bord du trottoir ». Ils occupent également des bureaux entassés dans trois ou quatre vieilles et petites maisons faisant face au marché, de chaque côté de la rue. Des employés se tiennent aux fenêtres de ces bureaux, plus en dehors qu’en dedans, le téléphone en main, et, au moyen de signaux conventionnels, ressemblant assez à la mimique des sourds et muets, ou encore à l’aide d’éclats lumineux, ils se maintiennent en communication avec leurs patrons ou associés, Ceux-ci, par tous les vents, en toutes saisons, traitent leurs affaires au dehors, les débattent dans un brouhaha qui reproduit en plus petit celui de la Bourse de Paris aux environs d’une heure de l’après-midi. Lies employés ou courtiers aux fenêtres prennent téléphoniquement les ordres de leurs clients et les signalent à leurs partenaires dans la rue par les moyens indiqués ; ceux-ci répondent de la même manière, de sorte que le client, sans quitter le téléphone, sait, au bout de quelques minutes, s’il a pu vendre les valeurs dont il désirait se débarrasser ou, au contraire, s’il a pu se procurer celles qu’il voulait acquérir, et à quel prix.

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La vogue du téléphone aux Etats-Unis est due surtout à ce que le service y est sûr et rapide, et le réseau extrêmement ramifié. Il n’existe que deux types d’appareils, l’un mobile, l’autre fixe.
L’un et l’autre sont caractérisés par une grande simplicité. Le plus répandu, l’appareil mobile, se compose d’un socle lourd garni eh dessous d’un disque de feutre et d’un bras que surmonte le microphone ; celui-ci peut pivoter dans un plan vertical de manière à toujours recueillir la parole dans les meilleures conditions possibles, quelle que soit la taille de la personne qui en fait usage.

DISPOSITIF ÉVITANT L'ENCOMBREMENT D’UN BUREAU PAR I,E TÉLÉPHONE
Il se compose d'une sorte de bras articulé supportant très convenablement l'appareil et permettant de le repousser loin de soi quand la conversation est terminée.

Le récepteur a la forme d'un cornet allongé, ce qui le rend commode à manier ; on le suspend à un levier terminé par une fourchette. Le disque du microphone porte un volet dans lequel on insère un petit carton portant le numéro de l’abonné. L’appareil est robuste, toutes ses parties et pièces constituantes sont interchangeables. L’instrument est relié à une boîte qui renferme un petit condensateur, une bobine d’induction et la sonnerie. Point n’est besoin de piles pour son fonctionnement, car le courant téléphonique est fourni par des batteries d’accumulateurs installées dans les stations centrales ; des générateurs à courant alternatif de 75 volts de force électromotrice sont également installés dans ces stations pour fournir le courant nécessaire aux appels, c’est-à-dire pour actionner les sonneries, les lampes-témoins, etc...
Le second type d’appareil est le téléphone mural. Il est fabriqué en tôle d’aeier estampée et ne diffère de l’autre que par le fait qu’il est absolument fixe et ne forme, avec la boîte des appareils auxiliaires et la sonnerie, qu’un seul et unique élément.
Une infinité de dispositifs sont employés dans les bureaux américains pour que l’appareil téléphonique mobile ordinairement posé sur le bureau ne constitue pas un embarras tout en restant à portée de la main.

AUTRE DISPOSITIF ÉVITANT L'ENCOMBREMENT D’UN BUREAU PAR I,E TÉLÉPHONE
Ce support extensible est d’une grande utilité lorsque, assis dans un fauteuil, par exemple, on veut avoir près de soi un téléphone habituellement posé sur une table.

Le plus populaire est une sorte de bras extensible et contractile, appelé familièrement « lazy-tongue » (langue paresseuse), pouvant être levé ou abaissé dans un plan vertical grâce à sa monture à pivot ; pour téléphoner, il suffit d’allonger le bras et tirer l’appareil à soi ; la conversation terminée, on repousse l’instrument et, au besoin, on le remonte assez haut pour qu’il ne puisse être d’aucune gêne. D’autres dispositifs répondent au désir de laisser à la personne qui téléphone le libre usage de ses deux mains. L’un des meilleurs se compose d’un bras articulé pouvant être également plus ou moins éloigné ou rapproché du bureau ; ce bras porte un support pouvant maintenir fermement le récepteur de rappareil téléphonique, à peu près à hauteur de l’oreille, quand, l’ayant décroché pour répondre à 1’appel, on l’y a placé ; ainsi la personne qui téléphone conserve ses deux mains libres. Un autre dispositif de ce genre consiste en une lame serrant la tête et portant un seul récepteur appliqué en permanence contre l’oreille et relié au récepteur ordinaire suspendu à l’appareil ; si bien que, lorsqu'on veut utiliser le téléphone, il suffit de décrocher ce récepteur et de le poser sur la table puisque l'on écoute dans celui placé contre l’oreille. Mais, le dispositif le plus récent et qui semble le plus intéressant, consiste en une boîte de résonnance et une paire de tuyaux acoustiques se terminant par des écouteurs semblables à ceux des premiers phonographes, c’est-à-dire pouvant être introduits dans le pavillon de l’oreille. Quand on veut téléphoner ou répondre à un appel, on pose le récepteur sur la boîte de résonnance, les écouteurs étant conservés en permanence dans les oreilles. Ainsi, non seulement on conserve l’usage des deux mains, mais on s’isole par la même occasion de tous les bruits extérieurs qui pourraient vous gêner.

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Puisque nous en sommes aux dispositifs employés conjointement avec le téléphone, nous pouvons dire deux mots du Téléscribe, un instrument imaginé par Edison et qui est une adaptation du phonographe à cylindres de cire de cet inventeur. (Consultez la page dictaphone sur ce site).
Quand il est relié à une ligne téléphonique, les conversations échangées peuvent être enregistrées automatiquement soit en totalité, soit en partie. Cet appareil permet, pour ne citer qu’une de ses multiples applications, à un vendeur se trouvant dans le bureau ou le magasin d’un client, de téléphoner à sa maison sous la dictée de l’acheteur l’énoncé d’une commande ou les termes d’un marché, avec la certitude que cette communication sera parfaitement interprétée. Il est évident que cette manière de procéder évite non seulement toute confusion, mais fait gagner du temps. Les cylindres de cire sont donnés à la dactylographe qui les place sur le phonographe et recopie la dictée au son émis par la machine parlante, avec la même aisance (que si elle lui était faite verbalement.


CARTE MONTRANT, EN LIGNE DROITE, LES DISTANCES COUVERTES PAR LES GRANDES LIGNES TÉLÉPHONIQUES DU CONTINENT AMÉRICAIN.
Cette carte montre également les liaisons établies par télégraphie sans fil entre l'ancien et le nouveau continent, d'une part, et, de l'autre, entre ce dernier et le Japon, ainsi qu'avec Honolulu et Panama.

La ligne transcontinentale, ou plutôt les circuits ou lignes qui, ajoutés les uns aux autres, constituent le fil New-York-San Francisco, concourt à former le réseau reliant les villes principales des Etats-Unis. Elle consiste en deux fils pesant chacun environ 124 kilogrammes par kilomètre, soit un total d’environ 1.350 tonnes de cuivre pour une longueur approximative de 5.400 kilomètres de ligne. Si un semblable circuit n’était alimenté que par un courant de l’intensité de ceux des circuits téléphoniques ordinaires, l’énergie qui parviendrait à son extrémité réceptrice serait de l’ordre de la vingt-cinq millionième partie de l’énergie qui lui serait communiquée à l’extrémité transmettrice. Certaines limitations de la puissance des transmetteurs téléphoniques et de la sensibilité des récepteurs établissent le fait qu’on ne peut attendre une bonne transmission de la parole d’une ligne qui ne fournit pas au récepteur au moins un millième de l’énergie impartie dans le transmetteur, et, dans de nombreux cas, la proportion désirable est d’un centième, sinon davantage. D’autre part, il est évident que l’on pourrait diminuer la perte d’énergie en abaissant la résistance de la ligne, et, par conséquent, en augmentant proportionnellement le diamètre des fils ; mais cela entraînerait une dépense de matière supplémentaire considérable et prohibitive. Comment donc la parole peut-elle être transmise dans de bonnes conditions de New-York à San Francisco avec des fils d’un diamètre tel que la perte de courant est formidable? Voilà une question qui nécessite évidemment quelques explications.
Pour augmenter l’efficacité d’une ligne téléphonique de grande longueur, on lui intercale à des intervalles appropriés des bobines d’induction calculées d’une façon toute spéciale et que l’on appelle des bobines de charge. Sur la ligne New-York-San Francisco, environ 400 de ces bobines sont espacées à des intervalles compris entre 12 et 15 kilomètres. Ces bobines diminuent les pertes de courant dans des proportions telles que l’énergie qui parvient à l’extrémité réceptrice est, environ, la millionième partie de celle qui a été mise dans le circuit à l’extrémité transmettrice. Ce n’est pourtant pas suffisant, à beaucoup près. Mais, en dehors de ces bobines, d’autres appareils connus sous le nom de répétiteurs téléphoniques sont également intercalés dans la ligne ; ils sont capables, recevant un courant électrique affaibli, d’introduire dans le circuit un nouveau courant dérivé d’une source indépendante, mais contrôlé par le premier, de sorte que cette nouvelle énergie possède, au point de vue électrique et de transmission du son, toutes les caractéristiques de l’énergie affaiblie qu’elle ne fait, en somme, que raviver. L’emploi de ces appareils, dont la théorie est assez complexe et trop longue à expliquer pour entrer dans le cadre de cet article, a permis de recevoir
à l’extrémité réceptrice d'un circuit téléphonique de grande longueur une énergie égale à un quatre-vingtième de celle impartie à l’extrémité transmettrice. Ce sont ces bobines d’induction et ces répétiteurs qui ont permis de résoudre pratiquement le problème de la téléphonie terrestre à longue distance. Les deux fils dont nous avons parlé sont protégés par 300.000 isolateurs.

VOITURES TRANSPORTANT UES OUVRIERS I)E LA LIGNE NEW-YORK - SAN FRANCISCO
Le personnel chargé de la surveillance, de Ventretien et des réparations de l'immense réseau téléphonique voyage dans des sortes de roulottes qui lui servent d'habitation. Les ouvriers emportent tout ce qui est nécessaire à leur subsistance pendant ces déplacements, qui sont souvent de longue durée.

Parmi les hommes vaillants que les Etats-Unis nous envoient pour collaborer à l’œuvre commune se trouvent des centaines d’ouvriers téléphonistes expérimentés. Us ont la charge des communications téléphoniques de l’armée américaine, tant sur le front qu’à l’arrière, en liaison avec nos propres divisions, états-majors, etc... Il n’est pas douteux que leurs méthodes, leurs moyens et leurs appareils seront et sont peut-être déjà étudiés par nos experts comme par nos propres téléphonistes militaires qui, sans doute, y puiseront d’utiles énseignements.

Il ne serait pas juste de terminer cet article sans dire quelques mots du développement important que prend actuellement aux Etats-Unis la téléphonie sans fil. Ce développement doit son essor à l’exploitation d’un brevet nouveau sur lequel, pour le moment, la compagnie intéressée garde le plus grand secret. Les premières expériences auxquelles ce nouveau système donna lieu datent d’un peu plus de deux ans ; elles furent effectuées en partie, et avec un succès complet, entre la station de télégraphie sans fil américaine d’Arlington (Virginie) et la tour Eiffel.
Si l’on songe que les plus grandes distances jusque-là franchies par la parole sans l’aide de fils n’avaient pas dépassé 300 kilomètres,
on conviendra que le nouveau procédé fit de jolis débuts. Les choses n’en restèrent pas là, et, peu après, la voix humaine franchit, sans autre aide que l’impondérable éther, tout le continent américain et l’océan Pacifique jusqu’aux îles Hawaï (poste de T.S.F. d’Honolulu). La plus grande portée obtenue fut de 4.900 milles (près de 8.000 kilomètres).
Toutes les stations de T.S.F. américaines seront bientôt complétées par une installation de téléphonie sans fil ; ensuite, ce sera le tour de tous les bâtiments de guerre, puis, sans doute, mais après la cessation des hostilités, celui des paquebots faisant le service entre les Etats-Unis, l’Angleterre et la France. Un jour viendra aussi, espérons que ce sera bientôt, où la station de télégraphie sans fil de la tour Eiffel, actuellement si précieuse au point de vue militaire, rendue à son service du temps de paix, permettra d’assurer des communications téléphoniques fréquentes et régulières avec l’Amérique.


Austin-C. Lescarboura.

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