LA DIRECTION GENERALE DES TELECOMMUNICATIONS
La direction générale des Télécommunications
(DGT), précédemment direction des Télécommunications
(DT), est une ancienne direction du ministère français
chargé des Télécommunications, créée
en 1941 pour accroître l'indépendance de la France dans
les télécommunications et réglementer le secteur.
Elle a été remplacée par France Télécom
en 1988 et est ensuite intégrée à Orange.
sommaire
Bien avant la DGT, cest en 1878 quapparaît le premier
ministère des postes et télégraphes. Elle choisit,
dans un premier temps, de ne pas exploiter elle-même le téléphone
mais de procéder à une concession, utilisant en cela les
possibilités de la loi sur la télégraphie de 1837,
reprise par un décret-loi de 1851.
Les P&T
Après l'invention du télégraphe électrique
et ensuite du téléphone, l'État français
crée en 1879 un ministère des Postes et Télégraphes.
Créé, sous la troisième République, il est
issu de la fusion de deux administrations : d'une part, la Direction
de l'exploitation postale, rattachée jusqu'alors au ministère
des Finances ; d'autre part, la Direction des lignes télégraphiques,
qui avait longtemps relevé du ministère de l'Intérieur.
En 1879 une seule société, la Société générale
des téléphones, obtient la permission de construire et
dexploiter les réseaux de Paris et de quelques villes de
province. Sa concession est courte (limitée à quatre ans).
Elle est renouvelée sans difficulté une première
fois. Puis, entre 1886 et 1889, une succession de débats aboutit
à la nationalisation, votée le 16 juillet 1889,
des réseaux de téléphone. Ils sont confiés
à ladministration des télégraphes; celle-ci
perçoit des recettes qui sont versées au budget général
de lÉtat. Comment en est-on arrivé à une
nationalisation, procédé insolite en cette époque
où triomphe la République des affaires ?
Les raisons dune nationalisation
Il semble quil y ait eu, là, coalition dintérêts
très divers. Dune part, il ne faut pas sous-estimer lapproche
proprement politique des Républicains de gauche qui souhaitent
augmenter les secteurs dintervention de lÉtat; or,
il se trouve que ces Républicains rencontrent les intérêts
des milieux daffaires. Ces derniers sont mécontents des
prestations de la Société générale des téléphones
et, de plus, suspicieux devant une compagnie en situation de monopole.
Légalité daccès aux réseaux
de communication pour le téléphone comme, quarante ans
auparavant, pour le télégraphe est considéré
par les contemporains comme indispensable à la régulation
de la vie économique. Et, pour des Français, cest
lÉtat qui paraît le mieux à même de
faire preuve dimpartialité dans le traitement des abonnés.
Lopinion nationale na aucune confiance dans la capacité
dune entreprise privée à ne pas abuser dune
position dominante. On rencontre là une dimension importante
du problème. Placé devant la même difficulté,
Théodore Vail, constructeur du Bell System et théoricien
du développement du téléphone aux États-Unis,
comprend quil est vital pour que la société américaine
tolère la position de monopole d 'A TT, de consacrer des milliers
de dollars à ce que lon nappelle pas encore une politique
de communication, afin de faire admettre à lopinion que
la Bell est garante de IV equal access » et de légalité
de traitement des abonnés.
En France, faute de stratégie de ce type de la part de la SGT,
tout se passe comme si un consensus secret sélaborait pour
remettre à lÉtat, en loccurrence à
son administration des postes et télégraphes, le nouveau
réseau de communication. Ce consensus est assez fort pour sceller
définitivement le sort des télécommunications françaises.
Plus jamais la dévolution de lexploitation des réseaux
principaux, télégraphes et téléphones, ne
sera sérieusement remise en cause, quelle que soit la gravité
de la crise technique et financière ou la manifeste incapacité
de ladministration à répondre aux besoins du pays.
Jamais, on ne touchera, autrement que pour des aménagements,
au «noyau dur » que représente «ladministration
» chargée de lexploitation du réseau (direction
dadministration centrale au ministère et directions départementales
ou régionales...). En revanche, à chaque fois que, sous
la pression dinnovations techniques, la nécessité
de réforme se fera sentir, on procédera à des réorganisations
à la périphérie du système. Ainsi, pour
les techniques nouvelles ou les relations internationales, on verra
successivement se créer des filiales, des associations ou encore
lon réanimera la possibilité de procéder
à des concessions, bâtissant au coup par coup lédifice
administratif complexe qui est encore largement celui qui existe aujourdhui.
La première crise se produit dans le domaine des câbles
sous-marins. Cest une activité qui demande beaucoup
de capitaux et présente des risques financiers importants. Les
Anglais dominent totalement un secteur qui, à la fin du xixe
siècle, est devenu, en raison de la rivalité coloniale,
stratégique. Depuis lorigine, le ministère a concédé
à des consortiums, constitués souvent à laide
de capitaux anglais, les liaisons les plus rentables, notamment la liaison
de lAtlantique Nord. Malheureusement, ces sociétés
ont successivement fait faillite.
En 1910, la menace précise dun rachat, par des capitaux
anglais, dune compagnie de câbles dans les Antilles précipite
les choses. Ladministration procède alors, en plusieurs
temps, au rachat des capitaux des sociétés menacées
et la Sudam, ainsi que la CFTC, deviennent des sociétés
de droit privé à capitaux publics. Leur activité
se poursuit parallèlement à celle des services exploitant
les câbles sous-marins appartenant à lÉtat.
La crise suivante est consécutive à lapparition
de la radio. Dans la mesure où ladministration
des télégraphes, scindée en plusieurs bureaux,
manquant dingénieurs, est peu puissante administrativement,
la radiotélégraphie est principalement développée
à la veille de la guerre de 1914 par larmée, grande
institution innovatrice de cette fin de siècle, mais aussi par
les marins, pour des raisons évidentes, et par le ministère
des colonies pour lequel la radio représente souvent le seul
moyen de liaison vers et à lintérieur des territoires
nouveaux. Le monopole traditionnel des postes et télégraphes
sur la télégraphie est donc battu en brèche par
dautres secteurs de lÉtat; il lui faut aussi compter
avec les appétits des sociétés privées constructrices
de matériel radiotélégraphique, au premier rang
desquelles la Marconis Wireless qui espère, en gérant
le trafic, obtenir lexclusivité de la fourniture de matériel
aux navires en mer.
La riposte des PTT est dabord juridique;
dans un jugement de 1902, les liaisons radio sont assimilées
à la télégraphie et il est confirmé que
des compagnies privées ne pourront exploiter, sans autorisation,
de réseau de radiotélégraphie. Restent les autres
administrations; le ministère reçoit le secours de...
ses syndicats dont la stratégie consiste à revendiquer
toujours le champ dactivité le plus large possible pour
les PTT afin, notamment, dassurer lemploi. En juin 1919
un rapport, présenté à un congrès de la
CGT à Valence, réclame que les PTT assurent la totalité
de lexploitation des liaisons radio dintérêt
commercial. En juillet 1919, un décret en ce sens est pris
Pendant ce temps, néanmoins, la situation sest
dégradée au cur du système : ladministration
savère incapable dassurer le développement
dun réseau téléphonique normal. La crise
est multiforme; technique, dabord : le réseau, mal étudié,
est fragile; sociale ensuite : de grandes grèves secouent ladministration
en 1906 et 1909; enfin les abonnés, en particulier les abonnés
daffaires, commencent à se plaindre vivement. Les rapports
parlementaires se succèdent, analysant les racines de la crise.
LÉtat ne sest pas donné les moyens de ses
ambitions. En 1885, le système qui sest mis en place pour
le financement du téléphone a été décalqué
dun système existant pour les travaux publics, routes et
ponts notamment. Une collectivité locale désireuse davoir
un réseau téléphonique fait au ministère
lavance des frais nécessaires (avec laide le plus
souvent de petites banques locales), à charge pour les postes
et télégraphes de la rembourser sur les recettes du réseau.
Ceci a lavantage, aux yeux des pouvoirs publics, dassurer
une hiérarchie décentralisée des urgences, seules
les collectivités réellement motivées procédant
à cette avance. Le procédé permet aussi déviter
de faire appel au budget central de lÉtat dont la fonction,
analysent les contemporains, nest pas de financer un risque commercial
ou industriel. Efficace au début, et dailleurs adopté
à linitiative dune collectivité locale (Limoges),
ce dispositif est bientôt générateur deffets
pervers : il multiplie les «petits » réseaux et,
après que lon ait décidé la fusion des comptes,
empêche de mesurer la rentabilité réelle des réseaux.
A la veille de la guerre de 1914, les rapports se multiplient, analysant
lucidement les dysfonctionnements du système.
En 1910, le sénateur Steeg dépose une proposition de loi
sur la réorganisation financière et administrative des
PTT. La même année le rapporteur du budget des PTT, Charles
Dumont, préconise la séparation du budget général,
la tenue de comptes dexploitation sur le modèle industriel,
la préparation de plans déquipement. Tout ceci sappuie
sur les études techniques réalisées sur le réseau
de Paris en 1907 et 1908. Le projet est déposé en 1914...
La concession Radio France
Les grandes tentatives de réforme administrative des
PTT redémarrent au lendemain de la guerre sous la pression, une
fois encore, du progrès technique. Celui-ci se manifeste sur
trois fronts : la radio, les centraux automatiques des grandes villes
et les câbles amplifiés.
La radio dabord. Au sortir de la guerre, les entreprises se trouvent
devant un problème de reconversion à des activités
civiles. Deux voies souvrent à elles : exploiter les liaisons
radiotélégraphiques longue distance concurrentes des câbles
sous-marins, par exemple sur lAtlantique Nord; développer
la radiodiffusion, qui leur donne loccasion de fabriquer des centres
émetteurs et des récepteurs pour un marché grand
public. La France dispose au moins dune société
de taille internationale dans ce domaine, la SFR dÉmile
Girardeau. Le gouvernement français se trouve donc devant un
problème de politique industrielle exprimé en termes modernes
: que faire pour que le dispositif réglementaire et le partage
des tâches entre administration et industrie privée concourrent
globalement à la puissance du pays, sachant que celui-ci a autant
besoin dune industrie performante susceptible dêtre
mobilisée en cas de conflit que de voir protégés
les droits régaliens de lÉtat ? Pour les liaisons
radiotélégraphiques à grande distance on décide,
en 1920, de réactiver le système de concessions prévu
par la loi de 1837 et anciennement utilisé pour les câbles
sous-marins. Violemment combattue par la gauche à la Chambre
et dénoncée par les syndicats des P et T, cette politique
est matérialisée par la concession faite à une
filiale de la SFR, Radio France, de liaisons importantes dont celles
de lAtlantique Nord. Pourtant, ladministration ne va pas
jusquau bout des idées de son ministre. Exploitant elle-même
certaines liaisons radiotélégraphiques stratégiques
ou de moindre rapport, elle est en quelque sorte en position de concurrence
avec la société quelle doit contrôler. La
situation se tend et la convention, jugée trop défavorable
à lÉtat, est révisée au bout de quelques
années. Ce ne serait somme toute, que dialectique normale entre
des intérêts divergents si on ne pouvait faire la comparaison
avec ce qui se passe aux États-Unis au même moment (!)
: placé devant le même problème, le Département
dÉtat, qui a clairement exclu lexploitation de liaisons
radio par ladministration, soutient de tout son poids diplomatique
la société RCA choisie comme «champion » des
intérêts américains, en Amérique centrale
et du Sud notamment.
Les «postes PTT» et leurs associations
Dans le domaine de la radiodiffusion, le gouvernement laisse
aussi sinstaller une situation de concurrence entre stations privées
et stations publiques. A partir de 1922, les premières stations
«privées » commencent à émettre, lune
à partir du poste militaire de la tour Eiffel «mis à
la disposition » des entrepreneurs par les militaires; lautre,
nommée Radiola (derrière laquelle se trouve la SFR) à
partir de son propre émetteur en novembre 1922; dautres
postes se multiplient en province. Par des décisions successives
le gouvernement décide détablir un régime
dautorisation. En 1928, un décret confirme lautorisation
des stations déjà installées et interdit la mise
en place de nouveaux émetteurs. Cependant, peu à peu,
lintérêt politique de la radio a commencé
à se dégager. Or, parallèlement à la mise
en place des postes privés, ladministration des PTT sest
dotée de tout un réseau de «postes PTT »,
construit sans vrai plan densemble, du moins au début.
Le premier poste, par exemple, celui de lÉcole supérieure
de télégraphie, est mis en place rue de Grenelle à
des fins pédagogiques. Suivent les postes de Lyon, Bordeaux,
qui tirent parti de la présence des grands émetteurs publics
du service radiotélégraphique, Rennes, Lille... Or rien
dans lorganisation de ladministration ne permet de gérer
«normalement » un poste de radio. Comment élaborer
les programmes, sur quel budget payer les artistes, les animateurs?
On résout la question en créant, à partir de 1924,
des «associations » attachées à chaque poste
et chargées de gérer les programmes et les relations avec
les auditeurs. Au cours des années 1930, au fur et à mesure
que laspect politique de la radio saffirme, le gouvernement
tend à centraliser et contrôler ces associations jusquau
moment où il crée, pour la radio, des structures plus
classiquement administratives. En 1933, notamment, lÉtat,
désireux de se doter dune station de grande audience, rachète
purement et simplement le plus grand poste privé, Radiola, qui
devient «Radio Paris ». Le transfert de la gestion de la
radiodiffusion à un ministère ad hoc, celui de linformation,
a lieu à la veille de la guerre
La dimension industrielle des investissements publics
Autres «fronts » de linnovation technique
plus directement liés au téléphone : les câbles
longue distance et les centraux automatiques des grandes villes. Au
lendemain de lArmistice, le ministre des P et T se trouve devant
des problèmes déquipement technique sans précédent.
Pour faire face à laccroissement du trafic téléphonique
des grandes villes comme Paris, il est indispensable de séquiper
en grands centraux automatiques. Londres et Berlin ont exactement le
même problème. Cela suppose des crédits dune
ampleur sans précédent, des ingénieurs compétents
et cela pose demblée un problème industriel dune
dimension nouvelle : quelles usines, quelles sociétés
va-t-on faire travailler? Cest à ce moment que les commandes
de ladministration des télégraphes-téléphones
commencent véritablement à être abordées
en termes de politique industrielle. La même question se pose
pour les câbles amplifiés. Les nouveaux câbles téléphoniques
longue distance sont désormais dotés de lampes damplification;
pour en maîtriser les spécifications et lusage, il
faut des ingénieurs compétents en électronique,
discipline entièrement nouvelle. Les brevets et les matériels
disponibles sont américains, allemands, anglais. Les militaires
sont conscients de limportance stratégique de ces câbles.
La question est : comment créer une compétence nationale
conjointement dans lindustrie et dans ladministration? Cest-à-dire,
comment organiser la recherche et le développement dune
technologie de pointe ?
La première question, celle des centraux téléphoniques,
amène demblée à remettre en cause la nationalisation
de 1889. ITT a décidé de simplanter en Europe. La
toute jeune société américaine vient dobtenir
la concession des téléphones espagnols. ITT demande au
ministre des P et T français la concession des téléphones
de lensemble du réseau : elle sengage à assurer
lautomatisation et lexploitation dans des conditions satisfaisantes
et à reverser des royalties à lÉtat. Le ministre
lui fait répondre que «cela serait contraire à la
tradition républicaine du pays ». En clair, cela veut dire
que lalliance entre les syndicats des PTT et la gauche républicaine
est déjà suffisamment forte, avec lapprobation tacite
de lopinion publique, pour que la concession du cur du réseau
soit définitivement exclue. Bien au contraire, on engage une
réforme interne au système État-administration
pour permettre à cette dernière de faire face aux nouveaux
problèmes. Cette réforme est le vote du budget annexe
de 1923.
Son contenu peut être résumé succinctement :
les recettes de la poste et du téléphone sont séparées
des autres recettes de lÉtat;
elles sont réaffectées à lintérieur
du même budget au développement de la poste et du téléphone;
ladministration est autorisée à emprunter,
à élaborer des programmes pluriannuels et à mettre
en place un fonds de réserve et un fonds damortissement
lui permettant de faire face aux énormes dépenses dinvestissement
quelle envisage.
Tout ceci, on le voit, rompt avec les principes traditionnels
du budget de lÉtat : non-affectation des recettes, annualité
des dépenses, et vise explicitement à donner aux postes
et télégraphes un caractère «industriel et
commercial ».
Comment en est-on arrivé là ?
Non sans débats évidemment. Il semble, daprès
P. Musso, que lon ait assisté à une alliance de
circonstance entre deux «partis » porteurs dune analyse
assez différente. Le premier, situé plutôt à
droite, voit dans le budget annexe le premier pas vers lattribution
de toutes les caractéristiques dune entreprise commerciale
aux postes et télégraphes. Le second, qui compte les syndicats,
lanalyse comme un premier pas vers une gestion plus décentralisée,
rendant à la population le contrôle réel du fonctionnement
du système. Notons, par exemple, que le budget de 1923 institue
un «Conseil supérieur des postes et télégraphes
» qui étudie le budget avant transmission à la Chambre
et est composé de représentants des intérêts
industriels et commerciaux autant que de représentants des usagers.
Cest donc sur cette convergence dintérêts que
se met en place le budget annexe, structure très solide puisquelle
est encore en place.
En pratique, pourtant, ses dispositions les plus hardies vont être
vidées de leur contenu dans les années qui suivent, à
la faveur notamment de la crise financière qui va autoriser le
renforcement du pouvoir du ministère des finances et rendre moins
évidemment nécessaires les dispositions relatives aux
investissements. Ainsi les programmes pluriannuels ne sont-ils exécutés
quen partie; le fonds damortissement nest pas alimenté...
Comment plaider le contraire à un moment où, à
cause de la crise, les recettes du trafic international baissent ?
Il est à noter que le budget annexe de 1923 nest pas une
singularité française. Confrontés aux mêmes
problèmes, Anglais, Allemands et Italiens adoptent des solutions
analogues. LAllemagne procède à une réforme
des tarifs et de la comptabilité en 1923; lAngleterre adopte
une sorte de budget annexe à la même époque; lItalie,
elle-même, réforme profondément son système
complexe de compa¬ gnies nationales, régionales et internationales
sous légide de YIRI.
Enfin, il ne faut pas oublier que, pour les contemporains,
lunion de la poste et des télégraphes-téléphones
est dautant moins contestée que ce sont les recettes de
la poste qui, dans une grande mesure, financent alors le téléphone.
Appliquée en pleine crise économique, victime de demi-mesures
dans son application, la réforme de 1923 donne des résultats
médiocres. Le téléphone reste un bien déquipement
rare et coûteux et la qualité de lexploitation du
réseau insatisfaisante.
Lémergence des télécommunications proprement
dites
Les évolutions suivantes vont venir
du choc de la guerre. Les télécommunications, en cela,
ne présentent en rien une trajectoire originale. Leur réforme
participe du mouvement global qui amène le régime de Vichy
à attribuer la responsabilité de la défaite aux
excès du parlementarisme et à renforcer le pouvoir des
«techniciens », dont les ingénieurs.
Au sein du ministère des PTT, cela se traduit par une modification
de léquilibre entre la poste et les télégraphes-téléphones.
Alors que, dans le vocabulaire technique, le terme télécommunications
avait été proposé, dès 1904, par E. Estaunié,
romancier, ingénieur, directeur de lÉcole supérieure
des postes et télégraphes et adopté, dans les années
trente, par lUnion internationale des télécommunications,
le ministère a continué à être doté
dune direction de lexploitation télégraphique
et dune direction de lexploitation téléphonique
séparées qui, en pratique, ont peu de poids face à
la direction des postes. En 1942, ces deux entités sont réunies
en une seule direction des télécommunications qui devient
direction générale en 1943. De même, les services
de recherche amorcent-ils un mouvement de concentration qui aboutit,
dans les premiers mois de 1944, à la création du Centre
national détudes des télécommunications dont
la vocation initiale est interministé¬ rielle mais qui est
clairement sous lautorité du ministre des PTT. Fin 1944,
cette création est confirmée par le nouveau gouvernement.
sommaire
La direction des Télécommunications
(DGT) est créée sous le régime de Vichy par
la loi du 9 février 1941, a pour se substituer à
la direction de l'Exploitation télégraphique et à
la direction de l'Exploitation téléphonique. Cette «
mutation sémantique » voit l'apparition de la notion de
télécommunications dans l'administration française.
Les évolutions vont venir du choc de la guerre.
Les télécommunications, en cela, ne présentent
en rien une trajectoire originale. Leur réforme participe du
mouvement global qui amène le régime de Vichy à
attribuer la responsabilité de la défaite aux excès
du parlementarisme et à renforcer le pouvoir des «techniciens
», dont les ingénieurs. Au sein du ministère des
PTT, cela se traduit par une modification de léquilibre
entre la poste et les télégraphes-téléphones.
Alors que, dans le vocabulaire technique, le terme télécommunications
avait été proposé, dès 1904, par E. Estaunié,
romancier, ingénieur, directeur de lÉcole supérieure
des postes et télégraphes et adopté, dans les années
trente, par lUnion internationale des télécommunications,
le ministère a continué à être doté
dune direction de lexploitation télégraphique
et dune direction de lexploitation téléphonique
séparées qui, en pratique, ont peu de poids face à
la direction des postes.
En 1942, ces deux entités sont réunies en une seule
direction des télécommunications qui devient direction
générale en 1943.
De même, les services de recherche amorcent-ils un mouvement de
concentration qui aboutit, dans les premiers mois de 1944, à
la création du Centre national détudes des télécommunications
dont la vocation initiale est interministérielle mais qui est
clairement sous lautorité du ministre des PTT.
Le 10 septembre 1944, le premier gouvernement Charles de Gaulle compte
un ministre des Postes, Télégraphes et Communications,
qui reprend les attributions de lancien secrétaire général
des PTT. Cette décision renoue, par-delà la coupure de
la guerre, avec la tradition gouvernementale interrompue en 1940, les
PTT sétant vu attribuer dès 1928 leur propre ministère,
avant dêtre relégués par le régime
de l'État français à un niveau subalterne. Le Conseil
supérieur des PTT, créé en 1923 et dissous à
la veille de la guerre, na en revanche pas été reconstitué.
Dès ses premières années dexistence, le ministère
doit faire face aux nouvelles perspectives des gouvernements de la Libération,
puis de la IVe République, et en particulier la réforme
de ladministration. Sous Eugène Thomas, qui détient
le portefeuille sous 13 gouvernements jusquen 1959, il voit la
création, par décret du 4 mai 1946, du corps des administrateurs
des PTT. Il est alors décidé que ceux-ci doivent suivre
au préalable tout ou partie du cursus de lÉcole
nationale dadministration nouvellement créée en
1945, ce quils font jusquen 1992.
Lorganisation centrale du ministère est, quant à
elle, fixée par décret le 10 mai 1946. Le Gouvernement
provisoire y intègre la Direction des Télécommunications
créée sous le régime de l'État français
(1941), et renommée à cette occasion direction générale
des Télécommunications.
Auparavant, dans chaque bureau de poste de France, dans chaque département
du pays, nexiste quun service du téléphone
(dépendant de la Direction de lExploitation Téléphonique),
qui nest alors quune direction lambda sans marge d'autonomie
parmi les autres directions de cette administration essentiellement
postale.
Les bâtiments et leur gestion, y compris ceux abritant les installations
de télécommunications, sont dans la foulée rattachés
à la Direction de la Poste et des Bâtiments également
créée, ce qui revient indirectement au maintien dune
sorte de droit de regard matériel, donc en partie financier,
par la branche postale sur la branche des télécommunications.
La Direction Générale des Télécommunications
doit faire face à partir de 1968-1969 au développement
accéléré des télécommunications.
En raison du caractère industriel et commercial de son activité,
elle doit comme n'importe quelle entreprise en très forte expansion
adapter ses structures à cette croissance. Ceci est un problème
propre aux télécommunications qui ont du se dégager
d'une structure de type administratif. L'évolution se poursuit
vers une structure fonctionnelle, elle favorise une forte déconcentration
de la Direction Générale des Télécommunications
sur les services territoriaux qui permet un meilleur dialogue et une
meilleure responsabilité des cadres à tous les niveaux
de la hiérarchie. La Direction Générale des Télécommunications
cherche ainsi à atteindre une meilleure efficacité globale
de l'entreprise et à fournir les services des télécommunications
à un meilleur rapport qualité/coût.
En près dun demi-siècle, le ministère change
seize fois de nom ou de statut, devenant à plusieurs reprises
secrétariat dÉtat ou ministère délégué,
dépendant notamment de la Présidence du Conseil, des Travaux
publics, de lÉconomie ou encore de lIndustrie. Il
prend en particulier en 1959 le nom de ministère des Postes et
Télécommunications à loccasion de la réunion
en une seule entité des exploitations télégraphique
et téléphonique.
À partir des années 1970 cependant, les PTT, confrontés
à la modernisation croissante de leur secteur et à un
retard économique de plus en plus criant, se voient dans lobligation
de souvrir à léconomie de marché, seule
capable de leur assurer les financements dont ils ont besoin.
La grande grève de 1974 met en évidence la nécessité
de la réforme, mais celle-ci ne voit le jour quaprès
une quinzaine dannées de tâtonnements, avec cependant
comme ligne politique de plus en plus claire une scission des PTT .
Cest finalement Paul Quilès, ministre des
Postes et Télécommunications et de l'Espace sous François
Mitterrand, de mai 1988 à mai 1991, qui engage la réforme.
Après consultation des syndicats, Hubert Prévot, chargé
dorchestrer le débat, produit fin 1988 un rapport justifiant
auprès des agents le changement de statut et la scission des
PTT.
Enfin, la loi Quilès, portant création à compter
du 1er janvier 1991 des établissements publics La Poste et France
Télécom est promulguée le 8 juillet 1990. La Poste
succède ainsi à la direction générale de
la Poste. Létablissement France Telecom succède
à ladministration du même nom qui avait succédé
en 1988 à la direction générale des Télécommunications.
La DGT prend le nom commercial de France Télécom,
une personne morale de droit public au statut proche de l'Établissement
public à caractère industriel et commercial.
La loi Quilès est suivie, en décembre 1990, dune
loi sur la réglementation des télécommunications
modifiant le code des PTT.
À partir du 1er janvier 1991, le ministère
des Postes et Télécommunications a donc désormais
un rôle non plus opérationnel et technique, mais de tutelle
des deux établissements publics et de régulation du marché.
Après une brève dépendance du ministère
de lEconomie entre mai 1991 et avril 1992, les fonctions Postes
et Télécommunications se fondent au cours des années
1990 dans celles de lIndustrie : les deux ministères sont
fusionnés le 30 mars 1993, avec une courte nouvelle séparation
entre mai et novembre 1995 ; lIndustrie elle-même est rattachée
à lEconomie et aux Finances à partir du 1er juin
1997, le ministère de lIndustrie, de la Poste et des Télécommunications
devenant un simple secrétariat dEtat à lIndustrie,
et le ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications
et à lEspace disparaissant du même coup. Il ny
aura désormais plus de fonctions de rang ministériel pour
les postes et télécommunications.
À un niveau inférieur, les différentes
directions des PTT sont fusionnées en une unique direction générale
des Postes et Télécommunications en décembre 1993,
elle-même fondue dans une direction générale de
lIndustrie, des Technologies de linformation et des Postes
le 2 novembre 1998.
Par ailleurs, entre 1988 et 1997, la question de lespace
est régulièrement détachée de la Recherche
pour être rattachée aux PTT.
France Télécom n'est restée en
marge d'aucune de ces évolutions. Grâce à la compétence
et à la remarquable capacité d'adaptation dont ont fait
preuve l'ensemble de ses agents, la direction générale
des télécommunications des années 1980 est devenue
en moins de quinze années un groupe employant 240 000 collaborateurs
dans plus de 39 pays au service de 112 millions de clients, occupant
des positions de premier plan dans les métiers de la téléphonie
fixe et mobile, de l'internet et des services aux entreprises, et dont
l'excellence technique et les performances opérationnelles sont
largement reconnues.
Cette remarquable évolution n'a été rendue possible
que par une adaptation progressive du statut de France Télécom.
La création du statut d'exploitant public, par la loi du 2 juillet
1990, a permis à l'ancienne administration de se doter de la
personnalité juridique et d'initier son expansion internationale,
tout en entrant dans le cadre du droit commun pour les relations avec
ses clients et fournisseurs. La transformation de l'exploitant public
en société anonyme en juillet 1996 a donné à
France Télécom les moyens de faire face à l'ouverture
du secteur à la concurrence et d'accéder à de nouvelles
ressources pour financer son développement.
Plus de sept années après la transformation de France
Télécom en société anonyme, il est aujourd'hui
nécessaire de procéder à une nouvelle évolution
du statut de l'entreprise afin de mettre France Télécom
en situation de pouvoir relever les défis à venir dans
les meilleures conditions.
Par la suite, une direction générale des
Postes et Télécommunications (DGPT) existe en tant que
service du ministère des Télécommunications, de
l'Industrie et des Postes (TIP), dirigé en 1993 par Gérard
Longuet, sous le gouvernement Édouard Balladur.
Elle est dirigée à cette époque par Bruno Lasserre.
Elle est alors chargée de la réglementation des postes
et des télécommunications, jusqu'à la création
de l'Autorité de régulation des télécommunications
(ART) en 1997, devenue l'Autorité de régulation des communications
électroniques et des postes (ARCEP) en 2005 puis l'Autorité
de régulation des communications électroniques, des postes
et de la distribution de la presse en 2019.
Les directeurs généraux des Télécommunications
sont successivement :
Charles Lange 9 février 1941 a 23 mai 1946
Jean Rouvière 27 avril 1951
Raymond Croze 5 février 1957
Pierre Marzin 21 décembre 1967
Louis-Joseph Libois 11 octobre 1971
Gérard Théry 16 octobre 1974
Jacques Dondoux 7 août 1981
Marcel Roulet 15 décembre 1986
Après 1991, voir Orange (entreprise)
A la tête de la Direction Générale
des Télécommunications se trouve le directeur général
qui est responsable de l'ensemble des services de télécommunications.
Il définit la politique générale des Télécommunications,
détermine les moyens nécessaires à leur fonctionnement,
élabore le budget des Télécommunications et prépare
la politique industrielle. La Direction Générale des Télécommunications
coexiste avec deux directions fonctionnelles communes aux deux directions
générales : la Direction du Personnel et des Affaires
Sociales et la Direction du Budget et de la Comptabilité qui
assure la préparation du budget et a autorité sur l'organisation
comptable des Télécommunications.
sommaire
1974-1981 Stratégies des groupes français
et interventions des pouvoirs publics
Les pouvoirs publics français ont, pendant la
période qui nous occupe, porté un intérêt
tout particulier à la branche électronique, branche stratégique,
à bien des égards, pour les économies développées.
La toile de fonds des interventions de l'Etat est constituée
par l'objectif de structures affirmé dans le Vème Plan
et rappelé dans le Vlème : constituer dans chaque secteur
un ou plusieurs groupes de taille suffisante pour affronter la concurrence
sur le marché mondial. Le contexte de crise qui marque l'élaboration
du Vllème Plan élève au rang d'objectif principal
le rétablissement de l'équilibre extérieur.
Au-delà des affirmations des plans, l'essentiel des actions entreprises
dans l'électronique, par les pouvoirs publics, a été
l'uvre de la Direction Générale des Télécommunications
(DGT).
L'action de la DGT est basée sur l'analyse suivante : les télécommunications
et leurs nouvelles applications (télématique, bureautique,...)
constituant un créneau. Non encore investi par un grand groupe
mondial de l'électronique, c'est l'occasion pour les groupes
français de conquérir une place de choix dans la division
internationale du travail..
La DGT est par ailleurs une administration puissante,
disposant de moyens financiers importants et dirigée, au début
de la période qui nous intéresse, par une équipe
nouvelle et dynamique. Enfin, le caractère public des marchés
confère à la DGT des occasions d'intervention : agrément
des matériels, puis procédures conduisant à des
marchés expérimentaux puis à des marchés
publics de taille réelle.
La DGT utilisera tous ces moyens pour intervenir, non seulement dans
le domaine des télécommunications mais aussi en amont
(composants) et en aval (nouvelles applications : visiophones, télécopieurs,
postes téléphoniques à clavier, terminaux vidéotex...).
La DGT, pour mettre sa politique en uvre, a agi à tous
les stades du processus de production : recherche (création d'une
nouvelle antenne du CNET à Grenoble, spécialisée
en microélectronique) ; développement (prototypes élaborés
dans les laboratoires publics ou sous traités aux laboratoires
privés) ; production et commercialisation de pré-séries
puis de grandes séries (création de la filiale Intelmatique
pour promouvoir les produits de la télématique française
à l'étranger, discussion des normes avec les groupes étrangers
afin de préserver les chances de l'industrie française).
Le contenu de la politique de la DGT s'inspire des préoccupations
mises en avant par les plans : concentrer les moyens, développer
les exportations. Ainsi, la DGT organise-t-elle l'entrée de Thomson
dans la commutation publique en 1976, à travers la prise de contrôle
de LMT (ITT) et de la SFTE (Ericsson). En 1980, après le démantèlement
de l'AOIP, Thomson assure 40 % de la production française, à
égalité avec la CGE et, contrairement aux « accords
de Yalta » conclus entre les deux groupes en 1969. Les pouvoirs
publics espéraient ainsi équiper la France, particulièrement
sous développée en ce domaine, abaisser les prix et constituer
une base technique et commerciale pour conquérir une partie du
marché mondial en technique « temporelle ».
De même, le plan composants dans sa formulation de 1978 visait-il
à concentrer les moyens de l'industrie française et à
équilibrer les échanges extérieurs : Secimos devait
regrouper les principaux utilisateurs français de circuits intégrés
de pointe Mos et assurer la production des circuits en association avec
l'entreprise américaine Intel qui apporterait sa technologie.
La DGT va tenter d'impulser chez les grands groupes
de l'électronique une politique dynamique en matière de
produits nouveaux situés à la croisée des différentes
branches de l'électronique, télématique, bureautique,
terminaux vidéotex (expérience de Velizy, annuaire électronique),
télécopieurs, visiophones... De même, dans le domaine
des transmissions, la DGT française a-t-elle participé
à la création d'une unité de production française
pour la fabrication de fibres optiques : une filiale commune à
Saint Gobain, Thomson et Corning Glass (E.U.) fournira les fibres optiques
nécessaires au câblage de 2 000 foyers à Biarritz
en 1983.
Ces actions visent toutes à utiliser des techniques
de pointe sur les marchés publics français, de façon
à maîtriser la technique, à en abaisser les coûts
et les prix, et, dans un deuxième temps, à conquérir
des marchés à l'extérieur.
Cependant, l'action de la DGT et, plus généralement, celle
de l'ensemble des pouvoirs publics français, n'est pas pour autant
marquée par la cohérence et l'efficacité. Elle
doit, plus fondamentalement, faire face à des problèmes
qu'elle n'a pas les moyens de résoudre :
il apparaît difficile de constituer un ou deux groupes
français compétitifs dans chaque branche : en 1978, la
CGE se situe au 9ème rang mondial dans les télécommunications
avec un chiffre d'affaires qui représente moins de 10 °/o
de celui de Western Electric.
la recherche d'une certaine concurrence au niveau national (
CGE et Thomson dans la commutation publique) constituerait plutôt
un handicap à l'exportation, en dispersant les moyens et les
efforts face à une offre très concentrée. Telinter,
qui devait être l'instrument de la coopération des deux
groupes à l'exportation n'y jouera aucun rôle actif...
les « objectifs à moyen terme d'indépendance
et dynamisme » que les pouvoirs publics assignaient à l'industrie
électronique française pourront-ils être atteints
dans des branches trop longtemps délaissées par les entrepreneurs
privés ? Ainsi, le plan composants est-il totalement dépendant
de la technologie américaine. L'industrie française pourra-t-elle
dépasser le stade de la sous traitance dans ce domaine-clef ?
De même la technologie américaine est-elle indispensable
dans les fibres optiques. L'action des pouvoirs publics semble, dans
ces domaines, avant tout soucieuse de faire face aux contraintes à
court terme d'équilibre de la balance commerciale.
les pressions des groupes industriels constituent souvent des
obstacles à la mise sur pied d'actions cohérentes d'envergure.
Les hésitations et les revirements qui ont marqué les
Plans calcul en portent la marque : à la solution « européenne
» a succédé la « solution américaine
», dont le chef de file français fut tout d'abord la CGE,
puis Saint Gobain. Il en fut de même pour le Plan composants :
les groupes français refusent de participer à la création
de Secimos. De tractation en tractation, les pouvoirs publics seront
amenés à subventionner trois et non plus deux pôles
: Efcis (Thomson, CEA, Motorola), Eurotechnique (Saint Gobain, NSC),
MHS (Matra, Harris). Ces trois pôles ne devaient pas entrer en
concurrence jusqu'à ce que Matra remette en cause le schéma,
au printemps 1981, en annonçant un accord avec Intel (circuits
N MOS, tout comme Eurotechnique). Ce quatrième pôle recevra
cependant une aide des pouvoirs publics...
Les perspectives ouvertes par les nationalisations
Les restructurations opérées entre 1974 et 1981 ont
été fortement marquées par l'influence des pouvoirs
publics, en particulier de la DGT. Cette influence a dû, cependant,
nous l'avons souligné, tenir compte des intérêts
et pressions bien souvent contradictoires, des réticences et
des hésitations des groupes privés concernés.
Les nationalisations réalisées en février 1982
changent sensiblement les données du problème. Elles donnent
aux pouvoirs publics les moyens de définir et de mieux maîtriser
une politique industrielle dans l'électronique.
Pour cela un certain nombre de choix seront nécessaires. Au préalable,
un effort de cohérence devra être réalisé.
1. Assurer la cohérence de l'ensemble nationalisé
Nous avons souligné combien l'histoire récente de l'électronique
française a été rythmée par des conflits
entre décideurs privés, en particulier entre Thomson et
la CGE. Ces conflits ne se posaient pas tant sur le terrain concurrentiel
classique qu'au niveau du partage des multiples aides (à la recherche,
au développement industriel,...) et des importants marchés
publics protégés, tant en France que dans les «
territoires sous influence ».
De nombreuses décisions de politique industrielle ont été
en conséquence retardées, prises au coup par coup, au
terme d'hésitations coûteuses, reflets de luttes d'influence
et d'incapacité à choisir.
Les Plans calcul illustrent parfaitement cette démarche. L'action
de la DGT dans le téléphone, responsable de la promotion
de Thomson dans cette activité, comporte les mêmes ambiguïtés.
En appuyant Thomson, la DGT freina l'exploitation par Cit Alcatel de
son avance technologique dans le domaine des centraux temporels. Cela
fut dommageable, globalement pour l'industrie française, d'autant
plus que le système Thomson, hérité des laboratoires
de LMT, s'avéra moins fiable et d'une mise au point longue et
délicate. L'industrie française avait elle les moyens
de soutenir deux techniques de commutation publique concurrentes ? Il
aurait sans doute été plus réaliste et plus efficace
d'appuyer et de promouvoir la technique de Cit Alcatel, bien que l'introduction
de la concurrence ait stimulé les deux producteurs et abouti
à des baisses de prix sensibles, après des années
marquées par le règne du « cartel des téléphonistes
».
Enfin, le Plan composants constitue un autre exemple de ces hésitations,
retards et incohérences, comme nous l'avons souligné précédemment.
La nationalisation des quatre groupes devrait permettre de promouvoir
une optique différente, dominée par l'exercice des complémentarités,
de collaborations, de répartition des tâches. Cette mise
en commun des ressources de l'Etat et des entreprises nationalisées
devrait assurer une meilleure efficacité des moyens importants
dont disposent les pouvoirs publics pour impulser une politique industrielle
cohérente.
Par ailleurs, les nationalisations devraient permettre
de définir l'action des entreprises de l'électronique
par rapport à des objectifs dépassant la logique purement
micro-économique des firmes privées, sans perdre de vue
la compétitivité qu'implique le choix d'une économie
ouverte. La politique industrielle devrait ainsi viser à s'assurer
la maîtrise par la collectivité des technologies du futur
dans un domaine-clef dont dépendent l'organisation du travail,
l'emploi, la culture,..., aussi bien que les échanges extérieurs
et la croissance. Les objectifs énoncés par le gouvernement
en matière de reconquête du marché intérieur
et de développement des exportations devraient trouver, dans
la branche électronique, un terrain d'application immédiate
et décisive.
La cohérence nécessaire pour atteindre les objectifs nouveaux
implique bien sûr de nouvelles restructurations. Toutefois, la
concentration nécessaire des moyens pour chaque sous branche
dans un seul groupe peut comporter des dangers : la confrontation de
divers offreurs dans les marchés d'études proposés
par la DGT s'est révélée positive et stimulante
au niveau des prix et des techniques. Il ne faut donc pas laisser se
développer des comportements de monopole, exploitant une rente
sur des marchés protégés. La nécessité
de l'exportation, le choix d'une économie ouverte, le caractère
mondial de la concurrence devraient permettre d'éviter cet écueil.
Une autre question difficile peut conduire à
un certain immobilisme : les nationalisations pourront-elles mettre
fin aux luttes d'influence entre les dirigeants des grands groupes ?
La résistance passive, le poids de l'histoire et des habitudes,
le jeu des relations et des solidarités peuvent constituer de
puissants obstacles à la mise en uvre d'une nouvelle politique.
Appliquer dans l' électronique les grandes orientations de
la politique industrielle suppose que l'on effectue des choix, que
l'on réponde essentiellement à deux questions :
a. quelle place dans la filière électronique
?
Il est en effet essentiel de se déterminer par rapport à
ce problème central : la politique industrielle française
peut elle choisir d'être présente à tous les niveaux
de cette filière stratégique qu'est l'électronique
? Ou bien, doit-on choisir quelques créneaux ? Peut-on être
présent industriellement dans une économie ouverte dans
les biens grand public, la grande informatique, les composants, la bureautique,
l'électronique médicale... ? Si la réponse est
positive, mettra-t-on tout d'abord l'accent sur l'aval de la filière
(grand public), pour remonter ensuite vers l'amont (c'est la stratégie
japonaise) ou privilégiera-t-on l'amont (électronique
de pointe, professionnelle), celui-ci nourrissant peu à peu l'aval
de ses innovations (stratégie affichée par Thomson Brandt)
? La couverture de l'ensemble de la filière peut aussi être
favorisée par une politique d'alliances, cet aspect devenant
alors central.
b. quels partenaires ?
Les entreprises nationalisées avaient noué des contacts
avec des firmes américaines, pour l'essentiel. Le Plan composants
en est un des exemples les plus spectaculaires. Or, les principales
décisions intervenues depuis mai 1981 vont dans le sens d'une
remise en cause de ces alliances. Est-ce à dire que l'on va désormais
étudier les conditions d'une collaboration avec des partenaires
européens, ce que les groupes français ont généralement
refusé jusqu'ici ? Il semble bien qu'une politique ambitieuse
ne puisse faire l'économie d'une telle démarche. Il faudra
vaincre des habitudes, trouver les meilleures complémentarités,
et rester cependant, d'une façon ou d'une autre, présent
sur le marché nord américain où sont définis
les standards, expérimentées les innovations et où
se situeront les deux tiers du marché mondial pour la bureautique
et la télématique en 1985. Des réponses claires
doivent être apportées à ces questions dans un délai
raisonnable. Seules des alliances avec des partenaires de la Communauté
Européenne peuvent permettre d'assurer une présence industrielle
concurrentielle à tous les niveaux de la filière, les
autres alliances possibles (Etats Unis, Japon) entraînant des
dépendances trop fortes.
Il convient donc de faire des propositions aux partenaires potentiels,
ou de répondre à leurs avances (celles de Philips, par
exemple, qui propose à Thomson un accord européen pour
les biens grand public).
(En complément lire la page Restructurations
des groupes français de l'électronique )
Plus d'un an après le changement politique, le
changement industriel n'est guère amorcé dans l'industrie
électronique. Le rapport Farnoux préconise bien la mise
en uvre d'une politique de filière et des alliances européennes.
Mais aucun progrès concret n'a été réalisé
: concernant le redécoupage des activités entre les quatre
groupes, constituera-t-on un seul pôle téléphonie,
malgré les dangers soulignés par M. Théry ? Regroupera-t-on
l'informatique, grande, moyenne et petite ? Se lancera-t-on résolument
dans la télématique, malgré les réticences
du marché intérieur ? Aura-ton une politique industrielle
européenne dans la branche grand-public ?. La persistance de
la crise ne remettra-t-elle pas en cause, par ailleurs, l'allocation
des moyens nécessaires à la mise en uvre d'une véritable
politique industrielle de filière ? Les graves difficultés
de Cil HB, de la CGR, de la téléphonie et de l'informatique
chez Thomson requièrent déjà des sommes importantes.
Elles placent aussi les décideurs face à des choix décisifs
et rapides. Il ne faudrait pas oublier, au moment de ces choix, que
pour beaucoup l'électronique peut constituer un atout susceptible
d'accélérer la sortie de crise...
Enfin, plus généralement, le changement voudrait que la
stratégie mise en uvre et les choix industriels opérés
ne soient pas l'affaire des seuls dirigeants des entreprises nationalisées,
mais qu'un débat réel soit engagé avec les planificateurs,
les syndicats et les usagers. Toutes les dimensions du problème
seraient ainsi abordées, concernant une activité-clef
pour l'avenir.
1987 L'administration des Télécoms
va devoir à son tour en passer par d'importantes suppressions
d'emplois dans les années à venir : un rapport interne
de la DGT (Direction générale des télécommunications)
évalue en effet à 32 655 d'ici à l'an 2000 le nombre
de personnes en sureffectif dans ses services, soit un excédent
de 20 %. Selon les projections de la DGT qui reposent sur une hypothèse
d'activité "constante", les effectifs tomberaient de
161 950 persosnnes à la fin 1985 à 129 295 à la
fin de ce siècle, soit un niveau proche de celui de 1975 (127
820), année du lancement de la modernisation du réseau
téléphonique français qui a donné lieu à
un gonflement important du personnel.
Toutefois, le profil de l'emploi serait considérablement modifié
: alors que les effectifs des populations les plus qualifiées
(cadres supérieurs et inspecteurs) augmenteraient fortement (de
63,3 % et 9,5 % respectivement), ceux des catégories les plus
basses seraient réduits : le nombre d'ouvriers chuterait de 23,6
%, celui des administratifs du service général de près
de 30 %, contre une baisse de 26 % pour les agents des lignes et de
24,6 % pour les techniciens et aide-techniciens.
Cette "déflation des effectifs", souligne-t-on à
la DGT, sera effectuée régulièrement, au rythme
de 2 000 à 2 500 l'an. Il s'agit, ajoute-t-on, d'une tendance
commune à tous les opérateurs dans le monde, liée
aux progrès de la technologie. Elle s'inscrit en outre dans un
souci d'améliorer la compétitivité de la DGT, où
l'on compte actuellement 7 agents pour 1 000 abonnés contre 4
à 4,5 dans les autres pays.
sommaire
Extrait d'un article "FRANCE TELECOM : UNE
HYBRIDATION RÉUSSIE ?' de Elie COHEN et Jean-Michel SAUSSOIS
Novembre 1988 le Ministre des Postes, des Télécommunications
et de l'Espace vient de proposer « un nouveau concept »
pour France Télécom (ex. Direction Générale
des Télécommunications). Ce nouveau concept est celui
d'administration entreprenante.
Que ce concept ne soit pas nouveau ou que ce concept n'en soit pas un
nous importe peu. Plus intéressant est de comprendre cette volonté
du politique de procéder à une hybridation.
Qu'en est-il en effet d'un croisement où l'on essaierait de marier
ce qui fait la force de l'administration publique avec ce qui fait la
force de l'entreprenariat ?
En politique, le risque est toujours de prendre les mots pour les choses.
Dire est-il faire ? Avancer l'idée d'une administration entreprenante
ne relève pas que de l'oxymoron plaisant. Cette figure de rhétorique
est aussi un télescopage volontaire de logique contradictoire,
souhait désespéré d'un responsable politique qui
ne veut pas choisir entre deux solutions aussi peu satisfaisantes l'une
que l'autre. Nous voudrions montrer que ce « concept » est
une stratégie de compromis, puis nous interroger sur les conditions
dans lesquelles une telle hybridation est possible en sélectionnant
trois couples de variétés différentes « extraites
» des souches administration et entrepreneur : esprit d'innovation
et administration, imagination stratégique et tutelle administrative,
esprit d'entreprise et statut de la fonction publique. 'administration
entreprenante : sous le concept, une stratégie de compromis.
Le maniement simultané des contraires est à
la mode dans les livres de management qui font l'éloge de l'équivoque.
Les structures d'entreprise doivent être à la fois souples
et rigides, la rigueur doit cohabiter avec l'imagination. Les dirigeants
des grands groupes industriels constatent que le temps de réponse
que mettent leurs structures à réagir « aux sollicitations
» de l'environnement devient de plus en plus long. Face à
ces structures difficiles à gouverner, en voie dedévitalisation,
la recherche d'hybrides croisant les vertus des petits groupes et les
vertus des grands systèmes devient urgente ; l'intrapreneur est
une innovation organisationnelle répondant aux inquiétudes
de ces dirigeants. Faire en sorte que les cadres se comportent en entrepreneurs
tout en restant à l'intérieur d'un grand ensemble préférant
suivre les règles de la hiérarchie aux règles du
marché : voilà un hybride récemment inventé
par les consultants en organisation. Dans un contexte bien différent,
le tuteur politique d'une administration est aussi soucieux de trouver
une telle hybridation où l'on pourrait marier les vertus de l'administration
et de l'entrepreneur. Ces vertus sont connues, les vices également
; si l'on écarte les vices, un bref résumé des
vertus pourrait être le suivant : pour une administration comme
la DGT, la principale vertu serait l'absence de contrainte de profit
qui facilite l'engagement de programmes à horizon de temps long
impliquant une recherche publique articulée sur des marchés
publics ; autre vertu, cette administration a un accès privilégié
au financement public pour conduire des investissements lourds sans
« retour » explicité ; ayant le monopole de l'exploitation
du réseau, tout risque de concurrence frontale est écarté
; enfin, dernière vertu, le personnel est doté d'un statut
lui donnant une garantie d'emploi ; l'emploi à vie, l'élément
clef, explique-t-on, du succès des grandes entreprises japonaises,
permet aux dirigeants de cette administration d'opérer des changements
de structure, de technique, de marché sans que le personnel ne
craigne pour son emploi ; cette plasticité s'accompagne en outre
d'un fort attachement du personnel à l'esprit de service public,
puissant réservoir duquel il est possible de mobiliser des énergies
individuelles.
Pour l'entreprenariat, la vertu la plus connue est la
capacité de l'entrepreneur à innover, à relier
sans cesse des objets techniques à de nouveaux usages sociaux
; sa vertu est aussi de savoir prendre des risques et les assumer sans
compter sur des financements affectés d'avance ; cherchant à
obtenir rapidement un retour sur ses investissements, l'entrepreneur
prendra l'initiative de choisir son rythme de croissance, ses partenaires,
son personnel, un personnel soumis au marché du travail.
Le croisement de ces vertus relève-t-il de l'imaginaire de l'homme
politique saisi par un souci de « donner un projet » à
son administration ? Peut-être ; il s'agit surtout d'une stratégie
de compromis, une stratégie qui sauvegarde sans traumatismes
l'unité des contraires : faire en sorte que la DGT (maintenant
France Télécom) soit à la fois une administration
et une entreprise. Tout le problème étant contenu dans
le « à la fois ». L'hybridation réussie consisterait
à éviter le camouflage : le camouflage d'une administration
en entreprise (à l'exemple d'A.T.T. avant son démantèlement)
ou bien le camouflage d'une entreprise en administration. Comme un camouflage
finit toujours par se découvrir, l'hybridation permet aussi d'éviter
la mue, sans cesse remise à plus tard, celle consistant à
transformer cette administration en ce qu'elle aurait dû être,
c'est-à-dire une entreprise ; une entreprise nationale à
l'image d'E.D.F.
E.D.F. a toujours eu un effet d'attraction, notamment pour les ingénieurs
appartenant au corps des Télécom, et cela, depuis 1967,
lorsque le Ministre des Finances de l'époque, Valéry Giscard
d'Estaing, proposa la création d'une Compagnie Nationale du Téléphone.
Cette solution revient constamment à la surface surtout lors
de crises identitaires faisant cruellement laisser apparaftre une administration
qui ressemble à une entreprise mais qui n'est pas véritablement
une entreprise. En regardant agir l'acteur E.D.F., tout se passe comme
si les ingénieurs DGT retrouvaient leur image : celle d'un acteur
central dans le développement économique doublé
d'un acteur politique capable de passer d'une grande ambition nationale
à une autre. Il n'est jusqu'au comportement de chacune des deux
organisations à l'égard des industriels qui ne vienne
souligner leur mimétisme. Sommé en 1987 par son Ministre
de Tutelle d'abaisser ses tarifs en faveur des industriels, E.D.F. refuse
ce dictât au nom de sa conception de sa mission de service public.
Voilà un acte d'indépendance vis-à-vis du politique
qui ne peut que séduire ceux qui manuvrent pour faire de
la DGT un opérateur doté d'une autonomie stratégique
et opérationnelle ; un acte d'indépendance qui ne peut
qu'inquiéter ceux qui défendent le maintien de France
Télécom dans le statut de la fonction publique et ceux
qui veulent s'assurer des recettes pour le budget de l'État ;
des recettes dont le principal mérite est d'être sans coût
politique et d'un rendement excellent.
Cette mue, envisagée, ne s'est jamais produite malgré
les alternances politiques. Est-elle nécessaire, inévitable
ou bien l'hybridation se révèle- t-elle finalement comme
la seule solution qui parvienne à satisfaire tous les acteurs
impliqués au sein de ce que nous avons appelé le système
télécom ?
L'administration des Télécom, la DGT, n'est évidemment
pas une administration comme les autres : c'est une administration qui
exerce une fonction d'entrepreneur. Cette fonction d'entrepreneur ne
consiste pas seulement à inventer un objet technique mais aussi
à le relier à un marché. A ce titre, l'exemple
du terminal vidéotex (dénommé Minitel) est une
illustration parfaite d'un processus de destruction créatrice
déclenché par une administration. L'exemple du Minitel
est d'ailleurs rentré dans la légende des innovations
réussies, sans cesse réexpliqué sous la forme du
conte où l'État (éclipsant la DGT) innovateur occupe
une très bonne place. La force des explications a posteriori
est de mettre en avant des volontés et des logiques qui n'étaient
pas aussi facilement décelables dans le comportement des acteurs.
Comment est-on parvenu à produire une telle offre créatrice
: volonté ou hasard ? Cet exemple est-il reproductible ? Tout
d'abord cette offre a été créée à
partir d'un terrain préparé selon un mode que nous avons
appelé ailleurs le mode du grand projet, un mode peut-être
uniquement repérable en France.
La DGT, sous la houlette d'un Directeur Général
stratège, a su détruire la structure d'un secteur endormi
par le régime des quotas pour en créer une nouvelle en
imposant des règles du jeu aussi bien à ses propres chercheurs
qu'aux industriels fabriquant le matériel de commutation et de
transmission.
Ce travail de destruction/reconstruction ne s'est pas fait sans heurts,
ni violence symbolique. Le centre de recherche (CNET), jusque là
au milieu du système, a été mis à l'écart
: les industriels ont été subordonnés : la DGT
ne leur abandonna ni le choix des matériels ni le choix des implantations,
ni la fixation du calendrier de la montée en charge. Voici une
administration qui en quatre ans (1975-1978) développe un programme
d'équipement à marche forcée, bousculant les procédures
administratives, allant jusqu'à court-circuiter les hiérarchies
politiques pour chercher un appui direct auprès du plus haut
personnage de l'État.
Après l'achèvement de ce programme, la
DGT aurait pu faire une pause, un peu à l'exemple d'A.T.T. qui
pendant un siècle (1875-1974) n'a modifié ni sa stratégie
d'intégration verticale, ni sa structure décentralisée.
La façon dont fonctionne ce monopole à la fois privé
et régulé « résonne » parfaitement
avec les objectifs de la firme. Les régulateurs locaux sont tout
à fait favorables à ce que les investissements soient
amortis sur longue période, de façon à faire bénéficier
les abonnés, c'est-à-dire leurs électeurs, des
tarifs les plus bas possibles. Dans une logique de profit, les investissements
doivent s'amortir ; à partir du moment où l'objet technique
téléphone est stabilisé, il s'agit de travailler
sur des améliorations en évitant des rythmes de renouvellement
trop rapide. Autrement dit, il s'agit avant tout de contrôler
le rythme de l'innovation de façon à protéger les
actifs industriels contre toute recherche qui leur serait néfaste...
Suivant cette logique, à l'abri de toute concurrence, la DGT
aurait pu exploiter son réseau, et faire profiter ses clients
des gains de productivité obtenus à partir des nouveaux
équipements.
C'est une toute autre stratégie qui l'emporte
: celle consistant à rééditer le grand projet «
rattrapage téléphonique » mais dans un autre champ
; un champ résolument novateur, métissage du téléphone
et de l'informatique, la télématique. Offrir un objet
technique tel que le terminal annuaire électronique avait le
mérite de répondre simultanément à plusieurs
objectifs : trouver des activités industrielles pouvant se substituer
aux industries de la commutation téléphonique publique
lors de la fin prévisible (1983) de la modernisation du réseau
public, consolider de surcroft la place de la DGT dans l'administration
(industrie, finances) en ayant à nouveau une responsabilité
industrielle.
Voulu au départ rustique (terminal dédié
aux spécifications assez pauvres), cet objet technique était
toutefois innovant dans l'usage social qu'il désignait ; quant
à sa valeur d'échange, la DGT va user avec génie
des ambiguïtés de son statut : le minitel ne sera pas vendu
mais donné. C'est d'ailleurs peut-être là que se
révèle la fécondité du croisement entre
l'administration publique et l'esprit d'innovation. Une distribution
gratuite impensable ailleurs... qu'en France. Le bilan de cette offre
créatrice est éloquent : l'opération Minitel a
généré en 1986 trente millions d'heures (soit 26
fois plus qu'en 1985), un chiffre d'affaires dépassant deux milliards
de francs pour un nombre de services offerts supérieur à
4.000, enfin ce programme minitel a contribué à créer
40.000 emplois.
Ces chiffres ne doivent pas cependant masquer le chemin pour y parvenir.
Un chemin tortueux, celui de toute innovation. Aux États-Unis,
l'idée de congeler les aliments date de 1912, il a fallu quarante
ans pour « passer à l'acte », c'est- à-dire
parvenir à un accord entre des acteurs dont les intérêts
étaient directement mis en cause par cette innovation technique.
Dans l'exemple du minitel, on trouve ce modèle
tourbillonaire où l'innovation est testée sous forme de
maquette, puis remise en question sous la pression d'acteurs qui anticipent
bien les conséquences d'une telle innovation. La DGT n'avait
pas en effet prévu que son innocent terminal annuaire électronique
était un concurrent de la presse locale. En fragilisant celle-ci
par un détournement de recettes publicitaires locales, ce sont
les notables qui se retrouvaient en difficulté précisément
au moment où l'État cherchait à décentraliser
ses pouvoirs.
D'où l'obligation de trouver une solution qui préserve
l'objet technique et qui concilie les intérêts locaux :
cette solution socio-technique sera trouvée par la nouvelle équipe
dirigeante de la DGT mise en place par la gouvernement socialiste ;
en inventant la fonction « kiosque », un compromis est trouvé
et permet une claire coupure entre le transporteur, le serveur et l'offreur
de service. Du même coup, la DGT se préserve de deux critiques
: l'exercice du monopole et l'atteinte aux libertés individuelles.
En outre, un fantastique champ de diversification est offert aux groupes
de presse. L'alternance politique et le changement de Directeur Général
sont à intégrer dans le modèle tourbillonaire sans
que soit remis en cause le projet initial. Face à des industriels
qui apprennent à s'émanciper, l'intransigeance technique
n'est plus un instrument de pression, le volume des commandes prévues
n'impressionne plus mais inquiète plutôt des fournisseurs
échaudés ; face à des notables dont la position
dans des réseaux sociaux risque d'être détruite,
le politique efface le technicien. La DGT apprend à négocier,
découvre que ses fournisseurs peuvent être aussi des partenaires,
que les usagers deviennent des clients à décliner par
segment.
Projet d'entreprise : le technicien et le politique en concurrence
La DGT est depuis longtemps à la recherche de
son identité ; dans le domaine du symbolique, dès 1974,
un logo marquera la séparation irréversible entre la Poste
et le Téléphone, les peintures se dissocieront également,
le jaune pour la Poste, le bleu pour le Téléphone; le
couronnement de ce travail sur les symboles sera le déménagement
de l'état-major de la DGT installé jusque là dans
les locaux de son ministère de tutelle. La DGT désormais
occupe seule un immeuble résolument tourné vers le futur
: le cordon ombilical avec les P.T.T. est coupé.
Ce travail sur l'image s'accompagne également d'un travail sur
la maftrise de l'instrument de gestion jusque là inconnu. Dès
1974, la DGT forme la hiérarchie intermédiaire aux techniques
de gestion, modernise ses rapports hiérarchiques, apprend à
gérer par objectifs, assimile les techniques de marketing, fait
appel à un véritable bataillon de consultants en management,
en stratégie. Le couronnement de cet effort continu sera en 1986
la rédaction d'un projet d'entreprise résultat d'un an
de consultation auprès des différents niveaux hiérarchiques.
Comme toute entreprise saisie par la mode des desseins, la DGT a défini
les siens sur la décennie à venir : entreprendre, exercer
son métier d'exploitant, élargir ses marchés. L'alternance
politique (1986) et la venue d'un nouveau Ministre (1986-1987) soucieux
d'appliquer les recettes de l'économie libérale viennent
ajouter de l'équivoque. Conçu dans les entreprises ayant
un management « moderne » comme un instrument de mobilisation
et de cohésion identitaire, ce projet d'entreprise se transforme
en projet de privatisation aux yeux d'un certain nombre d'agents attachés
au statut de la fonction publique.
Cet impressionnant travail de la DGT sur elle-même
pour se doter des attributs symboliques d'une entreprise ne peut masquer
un raccordement à un pouvoir politique qui sait utiliser cette
administration soit comme un levier politique, soit comme un instrument
de régulation économique. Les dirigeants successifs de
la DGT le savent pertinemment et intègrent plus ou moins facilement
cette donnée dans la conduite de leur stratégie. Rarement
ministre technicien, encore plus rarement ministre qui pèse politiquement,
voilà un homme politique que la DGT essaye de « socialiser
» à sa culture organisationnelle pour en faire un défenseur
éventuel auprès du Budget. Les apprentissages sont plus
ou moins longs selon la durée de vie de chaque ministre ; les
espaces de jeu entre les dirigeants et le pouvoir politique dépendent
en fait des recouvrements de leurs objectifs.
Lors du grand chantier « rattrapage et modernisation
du téléphone », la stratégie était
simple, les objectifs faciles à formuler : le technique renforce
le politique qui renforce le technique. Lorsque France Télécom
définit un projet apparemment technique mais qui est aussi un
projet sur la société, la stratégie devient équivoque
pour un pouvoir politique qui se vit comme doublé. En voulant
se transformer en grand architecte de la communication, la DGT se met
dans une posture d'acteur societal venant concurrencer l'acteur politique.
Un acteur politique qui ne tarde pas d'ailleurs à lui rendre
la monnaie de sa pièce : si la partie veut se prendre pour le
tout, que l'on aille jusqu'au bout de cette logique. La DGT se verra
appliquer des objectifs ... contre son gré. L'exemple le plus
caricatural est certainement la décision de mettre la filière
électronique sous la tutelle de la DGT. C'est l'époque
où l'idéologie industrialiste entre en résonance
avec la vision socialiste de la société. Parvenue au pouvoir,
la Gauche va porter à des sommets, inconnus jusque là,
la logique mercantiliste giscardienne des années 1974. La DGT
devient « par décret » une instance de tutelle de
groupes électroniques nationalisés dont on attend qu'elle
finance la filière électronique et non qu'elle l'organise.
A afficher des innovations techniques à dimension sociétale,
la DGT développe des stratégies dont s'emparent tous les
acteurs concernés. Du même coup, l'acteur DGT se trouve
embarqué dans des jeux politiques dont il connaft mal les règles
; les choix de stratégies en viennent à être débattus
publiquement jusqu'à détruire sa cohésion interne
; le politique en vient à effacer le technicien, les rôles
se croisent : le directeur général se transforme en entrepreneur
politique, le ministre se transforme en technicien des télécommunications.
Ce chassé-croisé de rôles ne fait
que brouiller l'image d'une administration qui marche à côté
de son titre. Lorsque les acteurs retrouvent leur rôle, le rappel
des places respectives peut être violent : la DGT est toujours
soumise au pouvoir d'une autorité publique. Pour les dirigeants
de la DGT, la décision unilatérale du gouvernement prise
en août 1984 de relever la taxe du service de base est un dur
rappel à la réalité : celle d'être une administration,
même si elle se vit comme entreprise, le surplus reste toujours
la propriété du politique.
Esprit d'entreprise et statut de la fonction publique : un croisement
impossible ?
Voilà peut-être le croisement impossible
si l'on s'en tient aux stéréotypes : l'esprit d'initiative,
l'individualisation des responsabilités, l'indifférence
vis-à-vis du rapport entre un titre et un poste, la récompense
qui vient sanctionner la performance, autant de forces venant buter
contre le mur du statut de la fonction publique et les règles
du droit administratif. En fait, la réalité est plus complexe.
Tout concourt, et cela depuis vingt ans maintenant, à vider le
statut progressivement de son sens, en adoptant une politique de petits
pas. En fait le pari tenu est que le statut, telle une vieille peau,
finira par tomber quand le corps social se sera profondément
renouvelé. A ce renouvellement, la DGT y travaille aussi bien
en inventant de nouvelles fonctions qu'en bâtissant des plans
de communication interne et externe, qu'en s'attacha nt par contrats
de nouveaux profils éloignés de ceux des ingénieurs
télécoms. Cette activité consistant à greffer
de nouveaux comportements en matière de gestion, à s'approprier
les techniques les plus sophistiquées en matière de management
a pour objet de renouveler la culture interne de la DGT. L'imagination
ne manque pas pour contourner les obstacles administratifs : la floraison
des associations de type 1901 (rituellement dénoncée par
la Cour des Comptes) est l'expression de l'esprit d'entreprise développée
au sein de l'administration. En matière de gestion de personnel,
les marges de manuvre pour jouer avec le statut ne manquent pas
non plus. Là aussi, il est possible « d'assouplir »
les textes et de récompenser la performance individuelle. Ces
initiatives, souvent le fait de dirigeants soucieux de mobiliser leur
personnel, ont cependant leur limite. L'entrée irréversible
de la logique du marché apparaft comme une menace pour la cohésion
de cette organisation
A cette menace, la DGT y a répondu depuis longtemps
en filialisant des activités nouvelles. Plusieurs explications
peuvent être avancées quant à cette pratique de la
filialisation : l'une est technique et met en avant l'incompatibilité
entre les règles de gestion administrative et le développement
de produits nouveaux ou bien d'activités ne rentrant pas dans la
mission de l'administration (la vente d'espaces publicitaires par exemple).
Affecter des dépenses à des ressources connues d'avance,
cette fameuse règle incontournable, n'est évidemment pas
facile à suivre lorsqu'il s'agit d'investir pour escompter des
recettes. La comptabilité publique est donc présentée
comme l'obstacle justifiant la création de véritables entreprises
chargées de gérer un service public : un réseau (Transpac)
ou la régie publicitaire des annuaires téléphoniques
(ODA).
Une autre explication avancée s'inscrit plus
dans la logique du comportement d'un monopole qui pourrait être
paresseux. Tout se passe comme si la pression menée par des clients
exigeants était telle que la réponse des dirigeants, campés
sur leur métier de base, était de canaliser cette pression
vers des filiales qui auraient une autonomie de gestion suffisante pour
offrir à ces clients exigeants des prestations de qualité,
facturées sans aucune contrainte administrative.
Lors du débat sur la déréglementation,
débat imposé par le Ministre de tutelle de l'époque
(1986 - 1987) à une DGT qui n'en comprenait pas l'urgence, l'idée
se forma progressivement de différencier au sein de la DGT ce
qui relevait du monopole du service de base et donc devait garder un
statut public de ce qui constituait un portefeuille d'activités
nouvelles pouvant être filialisé dans un premier temps
et ouvert aux capitaux privés dans un second temps. Cette solution
chirurgicale, mise en débat public, ne fut pas retenue, les dirigeants
de la DGT y voyant le risque « d'effeuiller la marguerite »,
ce qu'Hirschman énonce autrement en soulignant que le monopole
qui tue les voix de ses clients les plus exigeants pour assurer sa tranquillité
s'achète le droit de s'auto-détruire.
Le recours à la filialisation n'est pas donc
sans risque pour l'unité de la DGT ; sur le plan de la gestion
du personnel des cadres, le détachement/récompense en
filiale permet aux ingénieurs de la DGT une inculcation de l'esprit
d'entreprise qui, trop réussie, ne permet plus le retour «
à la maison mère ». Phénomène bien
connu que le souci constant des filiales de se démarquer de leur
maison mère ; ayant goûté au jeu du marché,
elles cherchent alors à se fédérer pour mieux peser
ensuite sur leur « maison mère » dont elles souhaitent
le maintien dans le statut de la fonction publique. La transformation
de la DGT en entreprise les prive en effet de toute spécificité
et annule leur identité ; la périphérie refuse
que le centre se transforme.
Conclusion
Tous les « grands projets » poursuivis depuis 1945, dont
celui du téléphone, partagent quelques traits communs :
la création d'hybrides administration-entreprise, une articulation
pensée d'emblée entre recherche, industrie et marchés
publics, une liaison forte au politique, un financement pré-affecté,
la concession du projet à un grand corps qui en fait sa chose,
une conception de l'efficacité débarrassée de la
contrainte de la rentabilité... et au total l'affirmation de ces
hybrides mi-administration mi-entreprise comme de véritables centres
de pouvoir privé et ce quel que soit leur statut formel.
Or tous ces grands projets connaissent un moment délicat,
celui de leur passage du stade de grand chantier national à l'épreuve
du marché international. Le CNES a su créer ARIANESPACE,
le BRP a cédé la place à ELF, le CEA a filialisé
ses activités industrielles, AIRBUS et DASSAULT ont un statut
d'entreprise de droit commun. La Direction Générale des
Télécom a beau s'auto-baptiser FRANCE TELECOM pour faire
comme BRITISH TELECOM elle a l'allure d'une entreprise, le style de
gestion d'une entreprise, les contraintes d'exploitation d'une entreprise,
mais c'est une administration centrale.
Si FRANCE TELECOM a su par le passé investir,
se moderniser et au total agir comme entreprise, elle le devait aux
grands projets qu'elle poursuivait. Dès lors que les objectifs
se resserrent puisqu'il s'agit d'être plus performant dans le
service rendu à une clientèle segmentée, de faire
jeu égal avec ses concurrents exploitants européens, l'administration
des télécom veut légitimement se muer en entreprise,
se désendetter, moduler ses prix, diversifier sa politique salariale.
Mais, en même temps, pour un État à la recherche
de gisements fiscaux la tentation est grande de puiser dans la caisse
transformant ainsi l'entreprise en collecteur d'impôts. Si les
effets sont peu visibles sur le moment, ils n'en sont pas moins pernicieux.
Comment justifier l'effort commercial, la productivité, le redéploiement
des moyens quand l'État, souverainement, prélève
20 milliards de Francs et laisse se développer un colossal endettement.
La volonté dérégulatrice des cadres DGT est l'enfant
légitime du grand projet entrepris et mené au cours des
vingt dernières années. L'autonomie conquise face à
l'État par les grands programmes d'équipement ne peut
être regagnée face à la Direction du Budget que
par l'adoption d'un statut de droit commun.
La logique voudrait donc que le parachèvement du « Grand
Projet » passe par la mise sur le marché de l'hybride.
Mais une telle issue qui suppose la révision du statut de la
fonction publique, la perte de recettes pour l'État, un risque
de conflit social majeur et plus encore la nécessité de
traiter un problème qui n'est perçu comme ni crucial,
ni urgent, peut circonstanciellement être impraticable.
Dès lors l'autonomie que l'entreprise ne peut
gagner par la banalisation du statut doit être reconquise au besoin
par la réactivation ou la redécouverte du « Grand
Projet ». Si l'analyste des politiques sait manifester une grande
intelligence rétrospective, il se risque peu à la prévision.
Pourtant les exigences de notre modèle nous conduisent à
penser qu'à défaut de mettre fin à l'exceptionalité
de l'hybride, celui-ci, pour durer et exister face au pouvoir politique,
doit se réinventer un grand dessein.
LES VULNÉRABILITÉS NÉES DU PASSÉ
On ne demeure pas, pendant plus d'un siècle, administration
d'Etat sans connaître un certain décalage avec les réalités
du marché quand on commence à devenir une entreprise.
France Télécom en a fait l'expérience depuis qu'elle
est devenue, le 1er janvier 1991, un exploitant autonome de droit public.
Elle s'est d'ailleurs résolument attaquée à la
correction de cette distorsion. Marcel Roulet l'a propulsée vers
le marché international et a amorcé la substitution d'une
" culture de clientèle " à une " culture
de l'usager ".
Cependant, on ne transforme pas l'héritage de
cent ans de comportements administratifs en cinq ans. France Télécom,
si elle était riche de ses traditions de service public, elle
était encore handicapée par certaines conséquences
des politiques et des pratiques antérieures.
En ce domaine, on distingue quatre vulnérabilités : l'importance
de la dette, le poids des réflexes réglementaires, des
charges de retraite asphyxiantes, une grille tarifaire déconnectée
de la réalité des coûts.
En 1990, au moment de sa transformation en exploitant autonome, France
Télécom traînait une dette dont le montant atteignait
120,7 milliards de francs.Celle-ci dépassait largement son chiffre
d'affaires (103 milliards de francs). Le poids des frais financiers
(11 milliards de francs) représentait le pourcentage très
élevé de 11 % du chiffre d'affaires (3 fois supérieur
à celui de BT).
Cette situation très dégradée s'expliquait, essentiellement,
par l'obligation faite, depuis 1982, à l'ancienne direction générale
des télécommunications, de reverser à l'Etat une
partie des bénéfices inscrits au budget annexe des P et
T. Ce prélèvement qui a culminé à 18,3 milliards
de francs en 1986 avait naturellement suscité de coûteux
recours au marché financier pour assurer les investissements.
En outre, il convient de rappeler que dans le cadre de la réforme
de 1990, France Télécom s'est trouvé substituée
à la Caisse nationale des Télécommunications pour
le remboursement de ses financements obligataires.
Dans le cadre des engagements pris dans son contrat de plan 1991-1994,
l'opérateur a réussi à faire baisser cette dette
colossale à 95 milliards de francs fin 1994. Son nouveau contrat
de plan (1995-1998) lui impose un objectif de 45 milliards de francs
de dette fin 1998, soit un effort 1,7 fois supérieur à
celui consenti antérieurement. Il s'agit d'abaisser le ratio
frais financiers sur chiffres d'affaires -qui est un important ratio
de productivité- pour l'amener au niveau de celui de ses meilleurs
concurrents, c'est-à-dire 2 % ou moins. Fin 1994, ce ratio était
de 5,6 % à France Télécom.
En 1995, en raison notamment du report sur 1996 de l'investissemennt
prévu pour l'entrée au capital de l'allié américain
Sprint, l'entreprise a consacré 16,8 milliards de francs à
son désendettement au lieu des 3,5 milliards initialement prévus.
Il a ainsi ramené sa dette à 78,5 milliards de francs.
Cependant la crainte qu'on peut avoir face à l'ampleur du rétablissement
financier -certes indispensable- demandé à l'entreprise
publique, c'est que celui-ci soit réalisé au détriment
de l'investissement, surtout si les bénéfices ne demeurent
pas au niveau de ceux réalisés ces deux dernières
années.
D'ores et déjà, l'enveloppe des investissements
programmée par le nouveau contrat de plan est de 132 milliards
de francs sur la période 1995-1998, contre 150 milliards de francs
pour le précédent contrat de plan.
L'importance de sa dette financière entrave donc assez sensiblement
les mouvements de l'entreprise.
sommaire
Un autre article L'entreprise publique comme acteur
politique : la DGT et la genèse du plan câble
de Edith Brénac, Bruno Jobert, Philippe Mallein, Guillaume Pay
en et Yves Toussaint.
1 Définition du champ : le plan de câblage par fibre
optique
Nous nous proposons d'étudier l'interaction entre gouvernement
et entreprises publiques à travers le cas de la genèse
d'une politique publique particulière : le plan de câblage
par fibre optique dont le principe a été adopté
par le Conseil des ministres du 3 novembre 1982.
C'est un programme d'équipement très ambitieux du point
de vue tant technique qu'économique. L'option choisie par le
gouvernement français va bien au-delà des réseaux
classiques de télédistribution par câble coaxial
que l'on peut voir dans certains pays étrangers. Il s'agit, à
long terme, d'équiper la France d'un nouveau moyen de communication
«point à point » qui, parfaitement interactif, permette
une communication à double sens du même type que celle
du téléphone. Mais surtout, ce nouvel équipement
permettrait d'intégrer les services les plus divers allant de
la télématique (transmission de données) à
la vidéophonie (téléphone avec images) en passant
par toutes les formes de communication audiovisuelle. Un tel réseau
implique pour l'État une énorme charge financière,
renouvelée pendant de très nombreuses années alors
même qu'une très grande incertitude demeure quant au développement
possible des usages.
Ce projet, outre ses implications financières et industrielles
considérables, dépasse largement l'image que peut en avoir
le grand public : la télévision par câble n'est
plus guère qu'un prétexte pour un système national
intégré et cohérent permettant, dans la logique
des PTT du «tout télécommunication », de maîtriser
et contrôler dans un réseau unique l'ensemble des formes
modernes de transmission.
Cette constatation nous incite à renverser la
tendance courante qui consiste à étudier les rapports
entre entreprises publiques et gouvernement en termes d'exécution.
La question posée ici serait plutôt la suivante : «Quelle
est la contribution d'une entreprise publique à l'élaboration
d'une politique gouvernementale qui concerne directement son secteur
? ».
Sous cet angle-là, le plan de câblage par fibre optique
est un cas exemplaire. En effet, la Direction générale
des télécommunications (DGT) est la promotrice du projet
et demeure la partenaire essentielle du gouvernement pour sa mise au
point et son application. Sa compétence technique et surtout
son poids économique elle dispute à l'EDF le titre
de premier investisseur français lui permettent d'affirmer
sa présence dans le champ politique au-delà de ce que
son statut d'administration pourrait laisser supposer.
D'autre part, comme pour la plupart des nouvelles technologies de communication,
la perspective de la «vidéo-communication interactive »
suscite de nombreuses mythologies utopiques ou futuristes et peut sembler
être, aux yeux des gouvernants, la réponse adéquate
à leurs projets d'informatisation ou de décentralisation
en même temps qu'aux objectifs de relance de la croissance économique.
Ainsi, ce plan d'équipement, en alliant un projet politique et
social à un programme économique et industriel, nous permet
de confronter les rhétoriques privilégiées de chacun
des deux grands partenaires. De plus, comme il y a simultanément
une stratégie particulière de l'entreprise publique et
des enjeux globaux que doit gérer le gouvernement, il sera intéressant
de vérifier si ces deux dimensions de l'action recoupent le conflit
des logiques techniques et politiques, caractéristiques de ces
types de grands projets modernistes.
Afin de mieux circonscrire le champ d'investigation,
nous entendons privilégier la phase de genèse et d'élaboration
de cette politique. Celle-ci commence au début des années
soixante-dix par le développement des technologies de la fibre
optique issues des laboratoires et les premières expériences
de TV communautaire, puis est marquée par l'adoption du rapport
Mexandeau en novembre 1982 et se clôt avec la fixation des modalités
d'application du plan par le Conseil des ministres du 3 mai 1984.
II. Problématique générale Logique globale
- logique sectorielle
Poser le problème de l'adéquation entre
les stratégies des entreprises publi¬ques et la politique
du gouvernement revient à se demander comment une logique sectorielle,
propre à une institution ou à un groupe spécialisé,
peut s'accorder avec les mécanismes, les valeurs et les priorités
de l'action politique générale contrôlée
par les responsables gouvernementaux. Une politique publi¬ que traite
toujours, d'une façon ou d'une autre, de ce rapport global/sectoriel
(1).
(1) P. Muller, «Schéma d'analyse des politiques sectorielles
», Revue française des sciences politique, vol. 35, n°
2, avril 1985, p. 165-188.
Dans une telle perspective, il convient d'analyser comment une institution
telle que la Direction générale des télécommunications
a été amenée à définir une nouvelle
politique, de nouveaux objectifs et peut-être même de nouvelles
valeurs pour gérer son secteur. La politique globale y joue-t-elle
un rôle important ? Comment enfin cette nouvelle stratégie
va-t-elle être acceptée puis restructurée par de
nouveaux cercles non spécialisés chargés de la
légitimer et d'autoriser sa mise en uvre ?
En résumé, il s'agit de découvrir quel est le système
d'action initial qui a produit ce discours et comment celui-ci a été
reformulé lorsqu'il a été repris dans d'autres
cercles d'acteurs.
La restructuration du secteur et du système de relation
avec le gouvernement
Au-delà de la recherche événementielle,
l'analyse doit appréhender à plus long terme les situations
et les logiques prévalant tant au sein de l'entreprise publique
que dans les cabinets ministériels chargés de ce secteur.
Elle est susceptible de faire apparaître une double structuration.
En effet, l'introduction d'une nouvelle technologie telle que la fibre
optique au sein du secteur des télécommunications peut
entraîner non seulement la modification de sa stratégie,
mais aussi, à plus ou moins brève échéance,
le bouleversement des modalités et des finalités de son
activité même.
La DGT L'entreprise publique comme acteur politique est amenée
à prendre en compte la logique et les intérêts des
moyens de communication de masse qu'elle pouvait ignorer jusqu'à
présent. Elle ne peut, non plus, continuer à complètement
négliger les problèmes de contenu comme s'ils ne relevaient
pas de sa compétence. Aussi, les critères d'évaluation
deviennent-ils nécessairement de plus en plus qualitatifs. D'autre
part, ces bouleversements se sont répercutés dans le domaine
gouvernemental et l'ont également restructuré : la DGT
n'a plus seulement à traiter avec le ministère des PTT,
mais aussi, semble-t-il, avec ceux chargés de l'Intérieur,
de la Culture, des Techniques de la communication, de l'Industrie.
L'évolution et l'articulation des référentiels
La transformation d'un secteur est aussi nécessairement accompagnée,
ou même souvent précédée, par l'évolution
du système de valeurs qui le régissait. On verra donc
qu'une politique publique de cette ampleur implique un changement de
référentiel sectoriel qui sert de trame à la stratégie
et au discours de l'entreprise publique concernée. Il conviendra
donc d'analyser les conditions de son évolution, de discerner
quels enjeux et intérêts nouveaux s'y manifestent et qui
les exprime, de déterminer si elle doit plus à la production
d'intellectuels précurseurs qu'au changement technologique ou
sectoriel.
Mais, pour que la stratégie issue de ce nouveau référentiel
sectoriel soit politiquement efficace, il faut que celui-ci s'accorde
de façon plus ou moins harmonieuse au référentiel
global qui est pris en compte par les autorités gouvernementales.
En particulier, on examinera comment des thèmes tels que ceux
de «l'économie informationnelle » ou de la «démocratie
interactive », nouvelles mythologies suscitées par les
nouvelles technologies, ont été suffisamment puissants
pour s'insérer dans le référentiel global en fonction
des interpréta¬ tions du lien social qu'ils supposent.
III. Méthodologie
La dynamique interne de la DGT
Il est impossible de comprendre le plan câble si l'on
ne prend pas en compte l'évolution, depuis le début des
années soixante-dix, du secteur contrôlé par la
DGT, et par là même, la transformation du discours de celle-ci.
La DGT doit en effet faire face à une crise sectorielle provoquée
par la baisse d'activités résultant de la conclusion du
programme téléphone lancé dans les années
soixante-dix. Elle est aussi amenée à relever un nouveau
défi technique : l'émergence dans le domaine industriel
des techniques optiques et électroniques sur lesquelles elle
travaille depuis plus de dix ans. L'emploi et toute l'activité
économique du secteur se trouvent ainsi doublement mis en cause.
Ces constatations nous conduisent à une première hypothèse
: la dynamique interne de la DGT a progressivement remis en cause son
propre référentiel sectoriel.
Cette hypothèse peut expliquer, a contrario, la relative passivité
de TDF. Isolée par la force du monopole, animée par une
faible croissance, insérée dans une logique de la programmation
qu'ignore la DGT et surtout gérée comme une administration,
Télédiffusion de France n'avait pas la vitalité
nécessaire pour répondre aux enjeux que recouvrent les
nouvelles technologies d'information et de communication.
A l'opposé, la DGT, à partir d'un groupe restreint d'ingénieurs
concepteurs du CNET et sous l'impulsion de sa direction, a su concrétiser
ce changement et formuler une nouvelle stratégie sectorielle
qui s'est peu à peu imposée. Ainsi, on trouve aujourd'hui
la plupart de ces acteurs, autrefois marginaux, à la tête
des principaux nuds décisionnels du plan câble. Il
conviendra donc de suivre attentivement la formation de ce groupe et
l'évolution de son discours, en se demandant s'ils sont politisés,
ouverts à d'autres courants d'analyse, ou s'ils sont, tout simplement,
à la recherche d'une nouvelle légitimité professionnelle.
L'impact ambigu de l'alternance politique
Il semble que la gauche, lorsqu'elle accède au pouvoir,
n'a pas de programme politique très explicite concernant les
nouveaux moyens de communication. On ne peut donc lui attribuer la paternité
du plan câble. Il apparaît néanmoins que le gouvernement
a favorisé cette décision par une action spécifique.
Face à ce paradoxe, notre hypothèse est que la nouvelle
situation politique créée en 1981 a facilité l'avènement
du groupe de prospective du CNET.
Si cette supposition s'avère exacte, il reste encore à
déterminer à quoi est due cette brusque promotion.
Est-elle purement fortuite et circonstantielle et ne peut-elle être
attribuée qu'aux habituelles mutations dont la haute fonction
publique est l'objet à l'occasion des changements de majorité
? Ou bien, comme cela est plus probable, correspond-elle à une
volonté politique présente de façon plus ou moins
isolée au sein du gouvernement ? On peut même se demander
s'il n'y a pas eu dès juin 1981 une véritable stratégie
ministérielle, élaborée soit par le ministère
des PTT, soit par celui de la Culture, plus ou moins en marge de la
politique gouvernementale et de la nouvelle idéologie partisane
au pouvoir. Dans un tel cas, on reviendrait à notre hypothèse
sur les groupes d'intellectuels précurseurs et novateurs : peut-on
repérer des groupes ayant accès simultanément à
l'entreprise publique et aux cercles gouvernementaux, jouant ainsi un
rôle médiateur ? Cette question nous amène d'ailleurs
à notre dernière hypothèse de base. Le discours
sur la sortie de crise par la communication
Il semble bien, en effet, que le plan Mexandeau adopté
par le conseil des ministres du 3 novembre 1982 soit point par point
le programme élaboré par la DGT. Seule la volonté
présidentielle, qui ne doit en aucun cas être négligée
dans l'ensemble de cette politique publique, en particulier avec l'influence
de ses conseillers, a modifié ce plan pour souligner les problèmes
de contenu posés par la faiblesse des industries de programme.
Il n'en demeure pas moins étonnant, que le gouvernement ait ainsi
légitimé politiquement le discours sectoriel de la DGT
plus ou moins relayé par le ministère des PTT.
Doit-on conclure que les responsables gouvernementaux n'avaient aucune
analyse proprement politique à opposer à la logique industrielle
et techni¬ cienne de la direction des télécommunications
? Trois éléments devraient nuancer cette conclusion.
Tout d'abord, la DGT semble avoir su habiller habilement ses intérêts
sectoriels avec des arguments plus globaux répondant aux problèmes
posés par le bouleversement du domaine de la communication. D'autre
part, le ministère de la Culture a apparemment formulé
une véritable réflexion politique qui se serait à
peu près accordée, dans un premier temps, aux grandes
lignes du plan proposé. Enfin, facteur vraisemblablement déterminant,
la DGT et le gouvernement semblent avoir eu un référentiel
commun : la croyance, aujourd'hui de plus en plus répandue, dans
la résolution de la crise par le moyen des nouvelles technologies.
IV. L'approche de la grande organisation publique : Fonction de
l'élite dirigeante de réserve
La plupart de nos interlocuteurs ont affirmé
que le plan câble résultait d'une véritable OPA
menée par la DGT (dont la direction avait été renouvelée
à l'occasion de l'alternance gouvernementale) tant sur le ministère
des PTT que sur le domaine nouveau des technologies nouvelles de communication.
L'analyse plus précise du processus de formulation des politiques
montre le rôle crucial d'un petit groupe de promoteurs qui prend
en effet les leviers de commande du CNET et de la DGT après mai
1981. Encore faudrait-il se méfier des comparaisons anthropomorphiques
qui tendent à prêter à des organisations aussi complexes
une sorte de volonté homogène que traduisent les formulations
«la DGT a imposé le plan câble », «elle
avait la volonté, etc. ». En réalité, il
n'est pas possible d'identifier totalement la DGT au groupe qui assure
pendant un temps le gouvernement politique de ce grand service industriel.
Ce groupe peut d'abord se définir par touches successives.
Les chercheurs et ingénieurs qui ont mené les recherches
sur la fibre optique dont les qualités supposées
légitiment ce grand pari industriel n'ont pas été
associés de près à cette décision. Autrement
dit, la promotion du plan câble n'est pas le simple prolongement
d'une logique technique se développant de façon autonome.
Le groupe de promoteurs recrute ses acteurs principaux parmi
les membres de l'élite dirigeante de l'organisation qui ont été
mis sur la touche par ceux qui assuraient dans la période précédente
le gouvernement de l'entreprise. En effet, la politique précédente
avait été marquée par l'ébranlement de la
suprématie exercée par le CNET sur l'organisation des
télécommunications. Les cadres de production avaient été
renforcés ; la politique d'innovation technique devenait l'apanage
de nouvelles directions (DAII, DACT) dont le souci était d'échapper
à la préoccupation maniaque de sophistication technique
imputée au CNET(1). Le traumatisme ainsi infligé au CNET
trouvera son expression dans la remise en cause par certains de ses
cadres de la politique télématique engagée (Minitel,
annuaire électronique). Ces changements induiront pour une fraction
de l'élite une mise à l'écart qu'ils mettront à
profit pour élaborer dans le cadre de commissions et travaux
prospectifs des stratégies infléchissant la politique
précédente (2).
Du point de vue de l'analyse des politiques, il est donc important d'abandonner
une image monolithique de la grande entreprise publique. Celle-ci est
traversée par des conflits d'intérêts qui sont médiatisés
par divers groupes rivaux au sein de l'élite dirigeante. Encore
faudrait-il circonscrire précisément ceux qui ont accès
au débat stratégique dans l'entreprise. A ce niveau, les
thèses de Bauer et Cohen (3) sur le pouvoir industriel pourraient
être utiles pour préciser l'analyse. L'hypothèse
que nous voudrions vérifier serait qu'il ne suffit d'être
un cadre même de rang élevé pour y participer. Il
y aurait ainsi une rupture entre la technostructure et le gouvernement
de l'entreprise. Le fait de la grande organisation serait de maintenir
en place, aux côtés de l'équipe exerçant
effectivement la direction, des équipes alternatives, mises en
réserve au cas où la conjoncture se modifierait. De même
que les corps d'inspecteurs de l'État, les grands corps, les
services d'études ministériels font fonction de réservoir
pour la fraction de l'élite dirigeante qui ne goûte pas
au délice des cabinets et des postes à nomination discrétionnaire,
de même la grande organisation publique saurait se constituer
ces propres réservoirs qui permettraient à l'élite
dirigeante en disgrâce de survivre en préparant sa revanche
loin des tâches plus routinières dévolues à
la technostructure.
(1) Cf. J. M. Charon et E. Cherki, Vélizy
ou les premiers pas de la télématique grand public , ministère
de l'Industrie, Centre de Prospective et d'Évolution, Paris,
1984, p. 13 et suivantes.
(2) Cf A. Giraud, J. L. Missika et D. Wolton, Les réseaux pensants,
Paris, Masson, 1978 ; A. Glowinski, Télécommunications
objectif 2000, Paris, Dunod, 1981.
(3) M. Bauer et E. Cohen, Qui gouverne les groupes industriels ?, Seuil,
Paris, 1981.
L'entreprise publique comme acteur politique
Cette organisation aura une autonomie d'autant plus grande vis-à-vis
des politiques gouvernementales que l'arbitrage entre les factions dirigeantes
et les factions de réserve pourra se réaliser au sein
même de l'organisation. Tel n'est pas le cas dans la décision
qui nous occupe. En effet, chacune des factions rivales a tenté
de consolider son pouvoir tissant des liens privilégiés
avec le pouvoir politique : le directeur précédent de
la DGT avait pu consolider sa position dans le système administratif
en s' assurant des relations directes avec l'Élysée. Les
équipes rivales avaient elles-mêmes tissé des liens
plus étroits avec les partis de l'union de la gauche. Elles ont
pu ainsi passer très rapidement aux postes de commande à
l'occasion de l'alternance.
Les implications de ces relations entre politiques et élites
restent cependant à définir. Il serait sûrement
exagéré de voir dans les décisions prises depuis
1981 la simple traduction d'un projet politique global conçu
à l'intérieur des partis. Certes, on peut retrouver dans
les textes du PS d'avant 1981 des éléments annonçant
la politique actuelle (1). Mais il ne semble pas que ceux-ci aient fait
l'objet d'un débat substantiel dans aucun des partis qui conquièrent
le pouvoir après mai 1981. Ces textes tendent plutôt à
donner une légitimité partisane à des perspectives
construites et mises au point par une fraction de l'élite dirigeante
de la grande organisation. Certes, le succès de l'utopie technique
avancée par les promoteurs de la politique du câble doit
être imputé également au fait qu'il est en harmonie
avec un certain nombre des valeurs des normes que la nouvelle coalition
au pouvoir veut promouvoir : l'extension du service public, la défense
de l'industrie nationale, la décentralisation. Mais il n'y a
pas construction au sein même des partis d'une hégémonie
définissant en termes nouveaux l'articulation entre les activités
et les intérêts multiples qui s'affrontent sur le terrain
de la communication. Le parti est plus une chambre d'échos pour
des techniciens-sympathisants qu'acteur construisant une aggregation
nouvelle des intérêts autour d'une image globale de l'avenir
du pays.
(1) Parti socialiste, bureau exécutif, Orientations générales
pour une politique industrielle de F électronique, de rinformatique
et des télécommunications, Paris, 11 février 1981.
V. La construction du référentiel sectoriel
Ce qui distingue la technostructure de l'élite
dirigeante, c'est la capacité de cette dernière de construire
une image de l'évolution future de l'organisation qui soit compatible
avec les contraintes extérieures, et avec les principaux intérêts
qui s'affrontent en son sein.
Dans le cas du câble, on pourrait montrer comment cette politique
prétend concilier :
Le maintien du plan des charges des industries liées à
la DGT par un nouveau programme qui prendrait le relais du téléphone
;
La recherche d'une compétitivité industrielle externe
accrue par l'emploi d'un produit nouveau (fibre optique) ;
L'affirmation de la position monopolitistique de la DGT sur les
réseaux de communication : le modèle du RNIS ;
La réaffirmation de la place éminente du CNET dans
la politique d'innovation.
L'efficacité de cette représentation sectorielle résulte
aussi de rencontre avec certaines des préoccupations centrales
du politique : emploi, industries nationales, compétitivité,
société d'information, réactivation du lien social
par l'interactivité.
Cependant, la DGT ne maîtrise directement qu'une partie des éléments
permettant de faire la transaction de la logique sectorielle à
la stratégie globale :
Dans le domaine des canaux de communication, elle se trouve en
compétition avec TDF qui contrôle les réseaux hertziens
et entend plutôt favoriser le satellite, complété
éventuellement par un réseau de câble coaxial. Pour
contrer cette éventualité, elle est conduite à
mettre en valeur les possibilités d'interacti¬ vité
de la fibre optique et donc de chercher des appuis auprès de
ceux qui entendent promouvoir de nouveaux modèles d'information
et de communication ;
L'alliance entre les ingénieurs et les «saltimbanques
», entre les poseurs de tuyaux et les experts qui imaginent d'autres
types de services et de programmes devient donc un élément
stratégique de la décision.
VI. La recherche d'alliés, la marginalisation des adversaires
De fait, une fois éliminés les verrous
juridiques qui s'opposaient à la mise en place de nouveaux moyens
de communication (loi sur la communication audiovisuelle), la décision
de câblage semble avoir résulté de l'alliance
parfois malaisée du groupe des promoteurs issus de la
DGT, bien relayé au niveau du cabinet du ministre des PTT avec
une partie de l'élite dirigeante du ministère de la Culture.
Parmi ceux-ci, un bon nombre avaient eux aussi été mis
en réserve de la vie active, notamment dans les services de prospective
de l'INA, où ils s'étaient essayés à expérimenter
d'autres modalités de la communication audiovisuelle que la télévision
hertzienne. Si les difficultés de la programmation locale et
de la participation expérimentées avec les premières
tentatives de télédistribution leur apparaissaient
substantielles, ils n'en étaient pas moins convaincus de la nécessité
de préserver au maximum les possibilités de développement
des industries françaises de programmes et de continuer à
explorer les possibilités de développer des services interactifs.
C'était par ce biais de la promotion des industries culturelles
qu'il était enfin possible de sortir le ministre de la Culture
de son statut marginal de tuteur des beaux-arts : pour sortir de la
crise, «l'impératif culturel » devenait le complément
nécessaire de «l'impératif industriel » (1).
(1) Commissariat général du Plan, L'impératif
culturel, rapport du groupe long terme «culture », préparation
du IXe Plan, Documentation française, Paris, 1983, 140 p.
De ce point de vue, l'alliance avec les ingénieurs
du câble paraissait une stratégie fructueuse. Elle se résumait
dans cette formule lapidaire : « 1 F pour les tuyaux, 1 F pour
les programmes ». Il s'agissait de faire en sorte que le vaste
plan d'investissement physique prévu par la DGT soit complété
par un effort du même ordre dans le domaine des industries de
programmes.
Le plan câble paraissait plus riche de promesses
que la solution alternative proposée par TDF qui consistait à
faire fond sur le développement des satellites avec diffusion
hertzienne ou par câble coaxial et sans préoccupation de
programme national. Le satellite en effet pouvait se présenter
comme un «gigantesque arrosoir » à partir duquel
l'industrie mondiale des programmes pourrait couvrir de ses produits
standardisés l'ensemble du territoire français. La possibilité
de relancer par son entremise une industrie nationale des programmes
serait donc beaucoup plus limitée qu'une extension progressive
du câblage qui garantirait le développement d'une programmation
locale conséquente. L'alliance des ingénieurs et des saltimbanques
se forge donc autour de l'idée d'une stratégie associant
les collectivités locales à l'expérience et favorisant
l'essor d'une production nationale et locale de programmes. C'est en
effet la coalition des forces issues des ministres de la Culture, du
Plan et des PTT qui va emporter la décision du plan câble
en novembre 1982 après une série de groupes de travail
et de réunions interministérielles.
Durant cette phase, la principale opposition à
ce projet est venue de TDF. Pour les ingénieurs de TDF, le plan
câble représentait une menace mortelle pour leur autonomie.
Le plan câble réveillait en effet une vieille querelle
; depuis plusieurs décennies TDF avait conquis son autonomie
technique en aménageant par ses soins les réseaux hertziens
utilisés par la radio et la télévision publique.
Cela était perçu comme une conquête majeure par
les ingénieurs de TDF et comme une anomalie agaçante par
la DGT. Or le plan câble en fibre optique devrait permettre à
terme d'intégrer en un seul système l'ensemble des réseaux
de communication et par là même rendre caduque l'autonomie
de TDF.
A l'inverse le satellite relayé éventuellement par un
réseau de télédistribution en câble coaxial
permettait de consolider l'indépendance de cet organisme. On
s'explique donc que la phase précédant l'adoption du plan
câble fut l'occasion d'un affrontement très rude entre
la DGT et TDF.
Cependant l'affrontement de ces deux institutions tourne
rapidement à l'avantage de la DGT. Plusieurs facteurs expliquent
cette évolution : tout d'abord l'équation politique de
TDF n'était pas favorable. Le président de son conseil
d'administration avait été nommé par l'ancienne
majorité et ne disposait pas d'une influence puissante sur les
sphères politiques. D'autre part, les sociétés
de programmes de l'ex-ORTF qui siègent dans son conseil d'administration
avaient plutôt tendance à freiner tout projet de télédistribu¬
tion qui aurait inévitablement entamé leur monopole. Enfin,
le secrétariat d'État à la Communication, ne semble
pas avoir disposé de l'expertise et de l'influence lui permettant
de jouer un rôle d'arbitre dans la décision.
La configuration de la scène politique où se joue le programme
étudié présente un certain nombre de caractéristiques
que nous pouvons maintenant présenter.
On peut d'abord la caractériser par l'absence d'un certain nombre
d'acteurs dont on aurait pu raisonnablement envisager la participation
active.
Ainsi on aurait pu penser que les chercheurs du CNET
qui ont le plus contribué aux travaux sur la fibre optique seraient
associés à des choix qui reposent largement sur les capacités
actuelles ou futures de ce matériau nouveau; jusqu'à nouvel
ordre, nous n'avons pas trouvé trace de leurs implication directe
active dans la préparation du plan câble.
De même il peut sembler paradoxal qu'un pari industriel de cette
ampleur ait pu être effectué sans consultation intensive
et suivie des entreprises qui devront par la suite le prendre en charge.
Il est prématuré de tirer actuellement des conclusions
définitives de cette première impression. Si cette hypothèse
se confirme nous nous trouverions ici devant un modèle original
de politique industrielle impulsée et conçue par l'élite
dirigeante d'un grand service public.
Enfin, les collectivités locales sur lesquelles reposera en fin
de compte la tâche de gérer le système n'ont pas
été aucunement consultées ni associées à
la décision.
Ainsi certains des acteurs dont la conduite sera déterminante
pour la mise en uvre de ces politiques n'ont pas été
associés de façon substantielle à sa formulation.
Tout se passe comme si un petit groupe de promoteurs avait tenté
d'obtenir un engagement irréversible de l'État avant d'ouvrir
le jeu à d'autres partenaires. Mais cette opération de
commando pourrait bien se solder par une victoire à la Pyrrhus.
On peut se demander si ce grand monopole qu'est la DGT saura faire preuve
de la capacité de souplesse et de négociation pour réussir
dans un domaine où la concurrence reste vive.
VII. Les limites de la stratégie du coup parti
Si l'on situe cette décision par rapport à
d'autres décisions lancées récemment dans le même
domaine, on a l'impression que la communication ne s'est pas encore
constituée comme un secteur de la politique gouvernementale.
Il s'agirait plutôt d'une jungle. Ce qui fait en effet une politique
sectorielle constituée, ce serait la domination par un centre
intellectuel et politique d'un champ nettement délimité
d'activités. Dans le cas qui nous occupe c'est l'absence d'un
centre s'appuyant sur une représentation cohérente du
secteur qui est frappante. Chacune des grandes organisations publiques
ou privées présentes dans le domaine essaye de faire évoluer
à son avantage les possibilités nouvelles offertes par
les techniques modernes de communication. Chacune semble être
parvenue à obtenir un accord de principe des gouvernements qui
ont lancé simultanément satellite, câble, télévision
à péage, télévisions privées, etc.
Les arbitrages différés au niveau de la formulation se
réalisent maintenant silencieusement, par ajustements successifs
au niveau de la mise en uvre. Mais à cette étape,
pas plus qu'aux précédentes, on n'a l'impression de se
trouver en face d'une politique des communications appuyée sur
une stratégie à long terme, mise en place par une élite
cohérente, capable de définir les arbitrages nécessaires.
Les grandes entreprises politiques sont suffisamment
puissantes pour faire prévaloir leurs vues dans la formulation
des politiques gouvernementales les concernant. Il en résulte
une superposition de politiques gouvernementales dont la coordination
paraît problématique en l'absence d'un centre exerçant
une véritable hégémonie sur ce secteur en voie
de constitution.
sommaire
Entre la création de France Télécom
et sa privatisation, seize années se sont écoulées.
France Télécom, créé en 1988 à partir
de la Direction Générale des Télécommunications
qui dépendait de ladministration des PTT, devient un établissement
public à gestion autonome en 1991, puis une société
anonyme en 1996.
La même année, Deutsche Telekom, issue des PTT allemands,
est privatisée.
Dans les pays concernés par ces évolutions des agences
de régulation sont créées pour permettre à
de nouvelles entreprises dapparaître et dintroduire
une véritable concurrence sur les nouveaux marchés comme
le mobile ou encore Internet.
Le processus a donc été long, mais ce fut, pour les gouvernements
successifs, le prix à payer pour que la transformation se fasse
sans heurts majeurs, sans mouvements sociaux importants. Ainsi, c'est
en 1988 que l'opérateur est fondé, remplaçant l'ancienne
Direction générale des télécommunications
(DGT). Trois ans plus tard, France Télécom obtient son
autonomie de gestion. Et, en 1996, l'opérateur voit son statut
transformé en société anonyme afin de préparer
l'ouverture à la concurrence des télécommunications
et une introduction en Bourse. Celle-ci aura lieu, en grandes pompes
à Paris, dès octobre 1997.
Mais il faudra attendre septembre 2004 _ et la fin des déboires
liés aux 100 milliards d'euros d'acquisitions de l'année
2000 _ pour que l'Etat baisse sa participation au capital en dessous
de la barre des 50 %. Au prix de l'inscription dans la loi du statut
des fonctionnaires de France Télécom, afin d'apaiser les
inquiétudes des salariés. Aujourd'hui, l'Etat ne détient
plus que 27,4 % du capital de France Télécom, et près
de 70 % des salariés bénéficient toujours du statut
de fonctionnaire.
En comparaison, les transformations vécues par
EDF et Gaz de France apparaissent plus brutales. En l'espace de cinq
ans, les deux entreprises et leurs salariés auront eu à
absorber la libéralisation de leurs marchés, un changement
de statut, la réforme de leur régime de retraite, l'ouverture
de leur capital et même, pour GDF, une privatisation préfigurant
son rapprochement avec Suez. Cette profonde mutation, l'électricien
et le gazier l'ont finalement assez bien digérée.
Cette évolution essentielle pour l'avenir de
France Télécom doit tenir compte de la situation tout
à fait particulière qui résulte de l'histoire exceptionnelle
de cette entreprise. Au terme des évolutions qui viennent d'être
rappelées, le groupe emploie en effet 240 000 personnes, dont
106 000 sont des fonctionnaires, lesquels sont pour la grande majorité
en position d'activité dans l'entreprise et constituent plus
de 86 % des effectifs de la maison mère France Télécom
SA.
A cet égard, la situation de France Télécom est
sans équivalent, puisque aucune société n'emploie
en France des fonctionnaires en si grand nombre, ni dans une telle proportion.
Cette situation est transitoire, puisque la loi du 2 juillet 1990 ne
permet plus à France Télécom de recruter de fonctionnaires
depuis le 1 er janvier 2002. Mais elle restera longtemps exceptionnelle,
puisque un quart des agents fonctionnaires devraient encore être
présents dans l'entreprise à la fin de l'année
2018, et que les derniers ne devraient pas la quitter avant 2035. La
situation de France Télécom a donc vocation à être
évaluée au 1 er janvier 2019, en vue, le cas échéant,
d'adapter les conditions d'emploi des fonctionnaires de France Télécom
à la situation de l'entreprise et aux exigences d'une bonne gestion
des corps auxquels ceux-ci appartiennent.
Une société cotée, à l'implantation mondiale,
dans un environnement totalement concurrentiel, aujourd'hui attributaire
par la loi de missions de service public et employant plus de 100 000
fonctionnaires dont les derniers ne devraient pas la quitter avant 2035
: telle est la situation tout à fait particulière de France
Télécom, qui appelle une solution nécessairement
exceptionnelle.
Il convient également de tirer les conséquences de la
crise financière que, comme la plupart des grands opérateurs
de télécommunications, France Télécom a
traversée au cours des années 2000 à 2002, et dont
l'obligation d'une détention majoritaire par l'État du
capital de France Télécom a été un des facteurs.
Plus généralement, l'approfondissement de la concurrence
et les évolutions technologiques et stratégiques à
venir dans le secteur européen des télécommunications
impliquent que France Télécom soit placée dans
un cadre juridique aussi proche que possible de celui de ses concurrents.
Ce sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement
souhaita mettre fin à l'obligation de détention majoritaire
publique du capital de France Télécom, qui est l'un des
derniers opérateurs de télécommunications européen
à appartenir au secteur public.
Pour l'ensemble de ces évolutions nécessaires,
le Gouvernement s'est fixé deux principes essentiels.
- Le premier, c'est de garantir la continuité du service public
des télécommunications qui est rendu aux Français.
Les modifications qu'il est proposé d'apporter au code des postes
et télécommunications et à la loi du 2 juillet
1990 relative au service public de la poste et des télécommunications,
en application de la législation communautaire, garantissent
que l'ensemble des missions de service public qui sont aujourd'hui attribuées
par la loi à France Télécom seront maintenues ;
seul leur mode d'attribution, par le recours à un mécanisme
transparent et ouvert, sera modifié.
- Le second principe que s'est fixé le Gouvernement est d'assurer
la plus grande continuité dans le statut des personnels qui resteront
fonctionnaires de l'entreprise. Les agents fonctionnaires qui le souhaiteront
se verront proposer par l'entreprise un contrat de travail de droit
privé sur la base d'un emploi et d'une rémunération
au moins équivalents aux leurs ; tous ceux qui ne feront pas
usage de cette faculté conserveront leur statut de fonctionnaire,
ainsi que l'ensemble des garanties fondamentales, des droits et des
obligations qui y sont attachés. Les dispositions principales
du statut de la fonction publique leur demeureront, comme aujourd'hui,
applicables.
Dans le respect de ces deux principes, le projet de
loi contient un certain nombre de dispositions qui permettront d'harmoniser
les relations de France Télécom avec ses agents fonctionnaires
et contractuels, et qui sont de nature à renforcer la cohésion
des personnels de l'entreprise et à placer France Télécom
dans une situation plus proche de celle des autres opérateurs
de télécommunication.
...
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