LA DIRECTION GENERALE DES TELECOMMUNICATIONS

La direction générale des Télécommunications (DGT), précédemment direction des Télécommunications (DT), est une ancienne direction du ministère français chargé des Télécommunications, créée en 1941 pour accroître l'indépendance de la France dans les télécommunications et réglementer le secteur. Elle a été remplacée par France Télécom en 1988 et est ensuite intégrée à Orange.

sommaire

Bien avant la DGT, c’est en 1878 qu’apparaît le premier ministère des postes et télégraphes. Elle choisit, dans un premier temps, de ne pas exploiter elle-même le téléphone mais de procéder à une concession, utilisant en cela les possibilités de la loi sur la télégraphie de 1837, reprise par un décret-loi de 1851.

Les P&T
Après l'invention du télégraphe électrique et ensuite du téléphone, l'État français crée en 1879 un ministère des Postes et Télégraphes.
Créé, sous la troisième République, il est issu de la fusion de deux administrations : d'une part, la Direction de l'exploitation postale, rattachée jusqu'alors au ministère des Finances ; d'autre part, la Direction des lignes télégraphiques, qui avait longtemps relevé du ministère de l'Intérieur.

En 1879 une seule société, la Société générale des téléphones, obtient la permission de construire et d’exploiter les réseaux de Paris et de quelques villes de province. Sa concession est courte (limitée à quatre ans). Elle est renouvelée sans difficulté une première fois. Puis, entre 1886 et 1889, une succession de débats aboutit à la nationalisation, votée le 16 juillet 1889, des réseaux de téléphone. Ils sont confiés à l’administration des télégraphes; celle-ci perçoit des recettes qui sont versées au budget général de l’État. Comment en est-on arrivé à une nationalisation, procédé insolite en cette époque où triomphe la République des affaires ?

Les raisons d’une nationalisation
Il semble qu’il y ait eu, là, coalition d’intérêts très divers. D’une part, il ne faut pas sous-estimer l’approche proprement politique des Républicains de gauche qui souhaitent augmenter les secteurs d’intervention de l’État; or, il se trouve que ces Républicains rencontrent les intérêts des milieux d’affaires. Ces derniers sont mécontents des prestations de la Société générale des téléphones et, de plus, suspicieux devant une compagnie en situation de monopole. L’égalité d’accès aux réseaux de communication pour le téléphone comme, quarante ans auparavant, pour le télégraphe est considéré par les contemporains comme indispensable à la régulation de la vie économique. Et, pour des Français, c’est l’État qui paraît le mieux à même de faire preuve d’impartialité dans le traitement des abonnés. L’opinion nationale n’a aucune confiance dans la capacité d’une entreprise privée à ne pas abuser d’une position dominante. On rencontre là une dimension importante du problème. Placé devant la même difficulté, Théodore Vail, constructeur du Bell System et théoricien du développement du téléphone aux États-Unis, comprend qu’il est vital pour que la société américaine tolère la position de monopole d 'A TT, de consacrer des milliers de dollars à ce que l’on n’appelle pas encore une politique de communication, afin de faire admettre à l’opinion que la Bell est garante de IV equal access » et de l’égalité de traitement des abonnés.
En France, faute de stratégie de ce type de la part de la SGT, tout se passe comme si un consensus secret s’élaborait pour remettre à l’État, en l’occurrence à son administration des postes et télégraphes, le nouveau réseau de communication. Ce consensus est assez fort pour sceller définitivement le sort des télécommunications françaises. Plus jamais la dévolution de l’exploitation des réseaux principaux, télégraphes et téléphones, ne sera sérieusement remise en cause, quelle que soit la gravité de la crise technique et financière ou la manifeste incapacité de l’administration à répondre aux besoins du pays. Jamais, on ne touchera, autrement que pour des aménagements, au «noyau dur » que représente «l’administration » chargée de l’exploitation du réseau (direction d’administration centrale au ministère et directions départementales ou régionales...). En revanche, à chaque fois que, sous la pression d’innovations techniques, la nécessité de réforme se fera sentir, on procédera à des réorganisations à la périphérie du système. Ainsi, pour les techniques nouvelles ou les relations internationales, on verra successivement se créer des filiales, des associations ou encore l’on réanimera la possibilité de procéder à des concessions, bâtissant au coup par coup l’édifice administratif complexe qui est encore largement celui qui existe aujourd’hui.

La première crise se produit dans le domaine des câbles sous-marins. C’est une activité qui demande beaucoup de capitaux et présente des risques financiers importants. Les Anglais dominent totalement un secteur qui, à la fin du xixe siècle, est devenu, en raison de la rivalité coloniale, stratégique. Depuis l’origine, le ministère a concédé à des consortiums, constitués souvent à l’aide de capitaux anglais, les liaisons les plus rentables, notamment la liaison de l’Atlantique Nord. Malheureusement, ces sociétés ont successivement fait faillite.
En 1910, la menace précise d’un rachat, par des capitaux anglais, d’une compagnie de câbles dans les Antilles précipite les choses. L’administration procède alors, en plusieurs temps, au rachat des capitaux des sociétés menacées et la Sudam, ainsi que la CFTC, deviennent des sociétés de droit privé à capitaux publics. Leur activité se poursuit parallèlement à celle des services exploitant les câbles sous-marins appartenant à l’État.

La crise suivante est consécutive à l’apparition de la radio. Dans la mesure où l’administration des télégraphes, scindée en plusieurs bureaux, manquant d’ingénieurs, est peu puissante administrativement, la radiotélégraphie est principalement développée à la veille de la guerre de 1914 par l’armée, grande institution innovatrice de cette fin de siècle, mais aussi par les marins, pour des raisons évidentes, et par le ministère des colonies pour lequel la radio représente souvent le seul moyen de liaison vers et à l’intérieur des territoires nouveaux. Le monopole traditionnel des postes et télégraphes sur la télégraphie est donc battu en brèche par d’autres secteurs de l’État; il lui faut aussi compter avec les appétits des sociétés privées constructrices de matériel radiotélégraphique, au premier rang desquelles la Marconi’s Wireless qui espère, en gérant le trafic, obtenir l’exclusivité de la fourniture de matériel aux navires en mer.

La riposte des PTT est d’abord juridique; dans un jugement de 1902, les liaisons radio sont assimilées à la télégraphie et il est confirmé que des compagnies privées ne pourront exploiter, sans autorisation, de réseau de radiotélégraphie. Restent les autres administrations; le ministère reçoit le secours de... ses syndicats dont la stratégie consiste à revendiquer toujours le champ d’activité le plus large possible pour les PTT afin, notamment, d’assurer l’emploi. En juin 1919 un rapport, présenté à un congrès de la CGT à Valence, réclame que les PTT assurent la totalité de l’exploitation des liaisons radio d’intérêt commercial. En juillet 1919, un décret en ce sens est pris

Pendant ce temps, néanmoins, la situation s’est dégradée au cœur du système : l’administration s’avère incapable d’assurer le développement d’un réseau téléphonique normal. La crise est multiforme; technique, d’abord : le réseau, mal étudié, est fragile; sociale ensuite : de grandes grèves secouent l’administration en 1906 et 1909; enfin les abonnés, en particulier les abonnés d’affaires, commencent à se plaindre vivement. Les rapports parlementaires se succèdent, analysant les racines de la crise. L’État ne s’est pas donné les moyens de ses ambitions. En 1885, le système qui s’est mis en place pour le financement du téléphone a été décalqué d’un système existant pour les travaux publics, routes et ponts notamment. Une collectivité locale désireuse d’avoir un réseau téléphonique fait au ministère l’avance des frais nécessaires (avec l’aide le plus souvent de petites banques locales), à charge pour les postes et télégraphes de la rembourser sur les recettes du réseau. Ceci a l’avantage, aux yeux des pouvoirs publics, d’assurer une hiérarchie décentralisée des urgences, seules les collectivités réellement motivées procédant à cette avance. Le procédé permet aussi d’éviter de faire appel au budget central de l’État dont la fonction, analysent les contemporains, n’est pas de financer un risque commercial ou industriel. Efficace au début, et d’ailleurs adopté à l’initiative d’une collectivité locale (Limoges), ce dispositif est bientôt générateur d’effets pervers : il multiplie les «petits » réseaux et, après que l’on ait décidé la fusion des comptes, empêche de mesurer la rentabilité réelle des réseaux. A la veille de la guerre de 1914, les rapports se multiplient, analysant lucidement les dysfonctionnements du système.
En 1910, le sénateur Steeg dépose une proposition de loi sur la réorganisation financière et administrative des PTT. La même année le rapporteur du budget des PTT, Charles Dumont, préconise la séparation du budget général, la tenue de comptes d’exploitation sur le modèle industriel, la préparation de plans d’équipement. Tout ceci s’appuie sur les études techniques réalisées sur le réseau de Paris en 1907 et 1908. Le projet est déposé en 1914...

La concession Radio France
Les grandes tentatives de réforme administrative des PTT redémarrent au lendemain de la guerre sous la pression, une fois encore, du progrès technique. Celui-ci se manifeste sur trois fronts : la radio, les centraux automatiques des grandes villes et les câbles amplifiés.
La radio d’abord. Au sortir de la guerre, les entreprises se trouvent devant un problème de reconversion à des activités civiles. Deux voies s’ouvrent à elles : exploiter les liaisons radiotélégraphiques longue distance concurrentes des câbles sous-marins, par exemple sur l’Atlantique Nord; développer la radiodiffusion, qui leur donne l’occasion de fabriquer des centres émetteurs et des récepteurs pour un marché grand public. La France dispose au moins d’une société de taille internationale dans ce domaine, la SFR d’Émile Girardeau. Le gouvernement français se trouve donc devant un problème de politique industrielle exprimé en termes modernes : que faire pour que le dispositif réglementaire et le partage des tâches entre administration et industrie privée concourrent globalement à la puissance du pays, sachant que celui-ci a autant besoin d’une industrie performante susceptible d’être mobilisée en cas de conflit que de voir protégés les droits régaliens de l’État ? Pour les liaisons radiotélégraphiques à grande distance on décide, en 1920, de réactiver le système de concessions prévu par la loi de 1837 et anciennement utilisé pour les câbles sous-marins. Violemment combattue par la gauche à la Chambre et dénoncée par les syndicats des P et T, cette politique est matérialisée par la concession faite à une filiale de la SFR, Radio France, de liaisons importantes dont celles de l’Atlantique Nord. Pourtant, l’administration ne va pas jusqu’au bout des idées de son ministre. Exploitant elle-même certaines liaisons radiotélégraphiques stratégiques ou de moindre rapport, elle est en quelque sorte en position de concurrence avec la société qu’elle doit contrôler. La situation se tend et la convention, jugée trop défavorable à l’État, est révisée au bout de quelques années. Ce ne serait somme toute, que dialectique normale entre des intérêts divergents si on ne pouvait faire la comparaison avec ce qui se passe aux États-Unis au même moment (!) : placé devant le même problème, le Département d’État, qui a clairement exclu l’exploitation de liaisons radio par l’administration, soutient de tout son poids diplomatique la société RCA choisie comme «champion » des intérêts américains, en Amérique centrale et du Sud notamment.

Les «postes PTT» et leurs associations
Dans le domaine de la radiodiffusion, le gouvernement laisse aussi s’installer une situation de concurrence entre stations privées et stations publiques. A partir de 1922, les premières stations «privées » commencent à émettre, l’une à partir du poste militaire de la tour Eiffel «mis à la disposition » des entrepreneurs par les militaires; l’autre, nommée Radiola (derrière laquelle se trouve la SFR) à partir de son propre émetteur en novembre 1922; d’autres postes se multiplient en province. Par des décisions successives le gouvernement décide d’établir un régime d’autorisation. En 1928, un décret confirme l’autorisation des stations déjà installées et interdit la mise en place de nouveaux émetteurs. Cependant, peu à peu, l’intérêt politique de la radio a commencé à se dégager. Or, parallèlement à la mise en place des postes privés, l’administration des PTT s’est dotée de tout un réseau de «postes PTT », construit sans vrai plan d’ensemble, du moins au début. Le premier poste, par exemple, celui de l’École supérieure de télégraphie, est mis en place rue de Grenelle à des fins pédagogiques. Suivent les postes de Lyon, Bordeaux, qui tirent parti de la présence des grands émetteurs publics du service radiotélégraphique, Rennes, Lille... Or rien dans l’organisation de l’administration ne permet de gérer «normalement » un poste de radio. Comment élaborer les programmes, sur quel budget payer les artistes, les animateurs? On résout la question en créant, à partir de 1924, des «associations » attachées à chaque poste et chargées de gérer les programmes et les relations avec les auditeurs. Au cours des années 1930, au fur et à mesure que l’aspect politique de la radio s’affirme, le gouvernement tend à centraliser et contrôler ces associations jusqu’au moment où il crée, pour la radio, des structures plus classiquement administratives. En 1933, notamment, l’État, désireux de se doter d’une station de grande audience, rachète purement et simplement le plus grand poste privé, Radiola, qui devient «Radio Paris ». Le transfert de la gestion de la radiodiffusion à un ministère ad hoc, celui de l’information, a lieu à la veille de la guerre

La dimension industrielle des investissements publics
Autres «fronts » de l’innovation technique plus directement liés au téléphone : les câbles longue distance et les centraux automatiques des grandes villes. Au lendemain de l’Armistice, le ministre des P et T se trouve devant des problèmes d’équipement technique sans précédent. Pour faire face à l’accroissement du trafic téléphonique des grandes villes comme Paris, il est indispensable de s’équiper en grands centraux automatiques. Londres et Berlin ont exactement le même problème. Cela suppose des crédits d’une ampleur sans précédent, des ingénieurs compétents et cela pose d’emblée un problème industriel d’une dimension nouvelle : quelles usines, quelles sociétés va-t-on faire travailler? C’est à ce moment que les commandes de l’administration des télégraphes-téléphones commencent véritablement à être abordées en termes de politique industrielle. La même question se pose pour les câbles amplifiés. Les nouveaux câbles téléphoniques longue distance sont désormais dotés de lampes d’amplification; pour en maîtriser les spécifications et l’usage, il faut des ingénieurs compétents en électronique, discipline entièrement nouvelle. Les brevets et les matériels disponibles sont américains, allemands, anglais. Les militaires sont conscients de l’importance stratégique de ces câbles.
La question est : comment créer une compétence nationale conjointement dans l’industrie et dans l’administration? C’est-à-dire, comment organiser la recherche et le développement d’une technologie de pointe ?
La première question, celle des centraux téléphoniques, amène d’emblée à remettre en cause la nationalisation de 1889. ITT a décidé de s’implanter en Europe. La toute jeune société américaine vient d’obtenir la concession des téléphones espagnols. ITT demande au ministre des P et T français la concession des téléphones de l’ensemble du réseau : elle s’engage à assurer l’automatisation et l’exploitation dans des conditions satisfaisantes et à reverser des royalties à l’État. Le ministre lui fait répondre que «cela serait contraire à la tradition républicaine du pays ». En clair, cela veut dire que l’alliance entre les syndicats des PTT et la gauche républicaine est déjà suffisamment forte, avec l’approbation tacite de l’opinion publique, pour que la concession du cœur du réseau soit définitivement exclue. Bien au contraire, on engage une réforme interne au système État-administration pour permettre à cette dernière de faire face aux nouveaux problèmes. Cette réforme est le vote du budget annexe de 1923.
Son contenu peut être résumé succinctement :
— les recettes de la poste et du téléphone sont séparées des autres recettes de l’État;
— elles sont réaffectées à l’intérieur du même budget au développement de la poste et du téléphone;
— l’administration est autorisée à emprunter, à élaborer des programmes pluriannuels et à mettre en place un fonds de réserve et un fonds d’amortissement lui permettant de faire face aux énormes dépenses d’investissement qu’elle envisage.

Tout ceci, on le voit, rompt avec les principes traditionnels du budget de l’État : non-affectation des recettes, annualité des dépenses, et vise explicitement à donner aux postes et télégraphes un caractère «industriel et commercial ».
Comment en est-on arrivé là ?
Non sans débats évidemment. Il semble, d’après P. Musso, que l’on ait assisté à une alliance de circonstance entre deux «partis » porteurs d’une analyse assez différente. Le premier, situé plutôt à droite, voit dans le budget annexe le premier pas vers l’attribution de toutes les caractéristiques d’une entreprise commerciale aux postes et télégraphes. Le second, qui compte les syndicats, l’analyse comme un premier pas vers une gestion plus décentralisée, rendant à la population le contrôle réel du fonctionnement du système. Notons, par exemple, que le budget de 1923 institue un «Conseil supérieur des postes et télégraphes » qui étudie le budget avant transmission à la Chambre et est composé de représentants des intérêts industriels et commerciaux autant que de représentants des usagers.
C’est donc sur cette convergence d’intérêts que se met en place le budget annexe, structure très solide puisqu’elle est encore en place.
En pratique, pourtant, ses dispositions les plus hardies vont être vidées de leur contenu dans les années qui suivent, à la faveur notamment de la crise financière qui va autoriser le renforcement du pouvoir du ministère des finances et rendre moins évidemment nécessaires les dispositions relatives aux investissements. Ainsi les programmes pluriannuels ne sont-ils exécutés qu’en partie; le fonds d’amortissement n’est pas alimenté... Comment plaider le contraire à un moment où, à cause de la crise, les recettes du trafic international baissent ?
Il est à noter que le budget annexe de 1923 n’est pas une singularité française. Confrontés aux mêmes problèmes, Anglais, Allemands et Italiens adoptent des solutions analogues. L’Allemagne procède à une réforme des tarifs et de la comptabilité en 1923; l’Angleterre adopte une sorte de budget annexe à la même époque; l’Italie, elle-même, réforme profondément son système complexe de compa¬ gnies nationales, régionales et internationales sous l’égide de YIRI.

Enfin, il ne faut pas oublier que, pour les contemporains, l’union de la poste et des télégraphes-téléphones est d’autant moins contestée que ce sont les recettes de la poste qui, dans une grande mesure, financent alors le téléphone. Appliquée en pleine crise économique, victime de demi-mesures dans son application, la réforme de 1923 donne des résultats médiocres. Le téléphone reste un bien d’équipement rare et coûteux et la qualité de l’exploitation du réseau insatisfaisante.

L’émergence des télécommunications proprement dites
Les évolutions suivantes vont venir du choc de la guerre. Les télécommunications, en cela, ne présentent en rien une trajectoire originale. Leur réforme participe du mouvement global qui amène le régime de Vichy à attribuer la responsabilité de la défaite aux excès du parlementarisme et à renforcer le pouvoir des «techniciens », dont les ingénieurs.
Au sein du ministère des PTT, cela se traduit par une modification de l’équilibre entre la poste et les télégraphes-téléphones. Alors que, dans le vocabulaire technique, le terme télécommunications avait été proposé, dès 1904, par E. Estaunié, romancier, ingénieur, directeur de l’École supérieure des postes et télégraphes et adopté, dans les années trente, par l’Union internationale des télécommunications, le ministère a continué à être doté d’une direction de l’exploitation télégraphique et d’une direction de l’exploitation téléphonique séparées qui, en pratique, ont peu de poids face à la direction des postes. En 1942, ces deux entités sont réunies en une seule direction des télécommunications qui devient direction générale en 1943. De même, les services de recherche amorcent-ils un mouvement de concentration qui aboutit, dans les premiers mois de 1944, à la création du Centre national d’études des télécommunications dont la vocation initiale est interministé¬ rielle mais qui est clairement sous l’autorité du ministre des PTT. Fin 1944, cette création est confirmée par le nouveau gouvernement.

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La direction des Télécommunications (DGT) est créée sous le régime de Vichy par la loi du 9 février 1941, a pour se substituer à la direction de l'Exploitation télégraphique et à la direction de l'Exploitation téléphonique. Cette « mutation sémantique » voit l'apparition de la notion de télécommunications dans l'administration française.

Les évolutions vont venir du choc de la guerre. Les télécommunications, en cela, ne présentent en rien une trajectoire originale. Leur réforme participe du mouvement global qui amène le régime de Vichy à attribuer la responsabilité de la défaite aux excès du parlementarisme et à renforcer le pouvoir des «techniciens », dont les ingénieurs. Au sein du ministère des PTT, cela se traduit par une modification de l’équilibre entre la poste et les télégraphes-téléphones. Alors que, dans le vocabulaire technique, le terme télécommunications avait été proposé, dès 1904, par E. Estaunié, romancier, ingénieur, directeur de l’École supérieure des postes et télégraphes et adopté, dans les années trente, par l’Union internationale des télécommunications, le ministère a continué à être doté d’une direction de l’exploitation télégraphique et d’une direction de l’exploitation téléphonique séparées qui, en pratique, ont peu de poids face à la direction des postes.
En 1942, ces deux entités sont réunies en une seule direction des télécommunications qui devient direction générale en 1943.
De même, les services de recherche amorcent-ils un mouvement de concentration qui aboutit, dans les premiers mois de 1944, à la création du Centre national d’études des télécommunications dont la vocation initiale est interministérielle mais qui est clairement sous l’autorité du ministre des PTT.
Le 10 septembre 1944, le premier gouvernement Charles de Gaulle compte un ministre des Postes, Télégraphes et Communications, qui reprend les attributions de l’ancien secrétaire général des PTT. Cette décision renoue, par-delà la coupure de la guerre, avec la tradition gouvernementale interrompue en 1940, les PTT s’étant vu attribuer dès 1928 leur propre ministère, avant d’être relégués par le régime de l'État français à un niveau subalterne. Le Conseil supérieur des PTT, créé en 1923 et dissous à la veille de la guerre, n’a en revanche pas été reconstitué.
Dès ses premières années d’existence, le ministère doit faire face aux nouvelles perspectives des gouvernements de la Libération, puis de la IVe République, et en particulier la réforme de l’administration. Sous Eugène Thomas, qui détient le portefeuille sous 13 gouvernements jusqu’en 1959, il voit la création, par décret du 4 mai 1946, du corps des administrateurs des PTT. Il est alors décidé que ceux-ci doivent suivre au préalable tout ou partie du cursus de l’École nationale d’administration nouvellement créée en 1945, ce qu’ils font jusqu’en 1992.
L’organisation centrale du ministère est, quant à elle, fixée par décret le 10 mai 1946. Le Gouvernement provisoire y intègre la Direction des Télécommunications créée sous le régime de l'État français (1941), et renommée à cette occasion direction générale des Télécommunications.

Auparavant, dans chaque bureau de poste de France, dans chaque département du pays, n’existe qu’un service du téléphone (dépendant de la Direction de l’Exploitation Téléphonique), qui n’est alors qu’une direction lambda sans marge d'autonomie parmi les autres directions de cette administration essentiellement postale.
Les bâtiments et leur gestion, y compris ceux abritant les installations de télécommunications, sont dans la foulée rattachés à la Direction de la Poste et des Bâtiments également créée, ce qui revient indirectement au maintien d’une sorte de droit de regard matériel, donc en partie financier, par la branche postale sur la branche des télécommunications.

La Direction Générale des Télécommunications doit faire face à partir de 1968-1969 au développement accéléré des télécommunications.
En raison du caractère industriel et commercial de son activité, elle doit comme n'importe quelle entreprise en très forte expansion adapter ses structures à cette croissance. Ceci est un problème propre aux télécommunications qui ont du se dégager d'une structure de type administratif. L'évolution se poursuit vers une structure fonctionnelle, elle favorise une forte déconcentration de la Direction Générale des Télécommunications sur les services territoriaux qui permet un meilleur dialogue et une meilleure responsabilité des cadres à tous les niveaux de la hiérarchie. La Direction Générale des Télécommunications cherche ainsi à atteindre une meilleure efficacité globale de l'entreprise et à fournir les services des télécommunications à un meilleur rapport qualité/coût.

En près d’un demi-siècle, le ministère change seize fois de nom ou de statut, devenant à plusieurs reprises secrétariat d’État ou ministère délégué, dépendant notamment de la Présidence du Conseil, des Travaux publics, de l’Économie ou encore de l’Industrie. Il prend en particulier en 1959 le nom de ministère des Postes et Télécommunications à l’occasion de la réunion en une seule entité des exploitations télégraphique et téléphonique.
À partir des années 1970 cependant, les PTT, confrontés à la modernisation croissante de leur secteur et à un retard économique de plus en plus criant, se voient dans l’obligation de s’ouvrir à l’économie de marché, seule capable de leur assurer les financements dont ils ont besoin.
La grande grève de 1974 met en évidence la nécessité de la réforme, mais celle-ci ne voit le jour qu’après une quinzaine d’années de tâtonnements, avec cependant comme ligne politique de plus en plus claire une scission des PTT .

C’est finalement Paul Quilès, ministre des Postes et Télécommunications et de l'Espace sous François Mitterrand, de mai 1988 à mai 1991, qui engage la réforme. Après consultation des syndicats, Hubert Prévot, chargé d’orchestrer le débat, produit fin 1988 un rapport justifiant auprès des agents le changement de statut et la scission des PTT.
Enfin, la loi Quilès, portant création à compter du 1er janvier 1991 des établissements publics La Poste et France Télécom est promulguée le 8 juillet 1990. La Poste succède ainsi à la direction générale de la Poste. L’établissement France Telecom succède à l’administration du même nom qui avait succédé en 1988 à la direction générale des Télécommunications.
La DGT prend le nom commercial de France Télécom, une personne morale de droit public au statut proche de l'Établissement public à caractère industriel et commercial.

La loi Quilès est suivie, en décembre 1990, d’une loi sur la réglementation des télécommunications modifiant le code des PTT.

À partir du 1er janvier 1991, le ministère des Postes et Télécommunications a donc désormais un rôle non plus opérationnel et technique, mais de tutelle des deux établissements publics et de régulation du marché. Après une brève dépendance du ministère de l’Economie entre mai 1991 et avril 1992, les fonctions Postes et Télécommunications se fondent au cours des années 1990 dans celles de l’Industrie : les deux ministères sont fusionnés le 30 mars 1993, avec une courte nouvelle séparation entre mai et novembre 1995 ; l’Industrie elle-même est rattachée à l’Economie et aux Finances à partir du 1er juin 1997, le ministère de l’Industrie, de la Poste et des Télécommunications devenant un simple secrétariat d’Etat à l’Industrie, et le ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace disparaissant du même coup. Il n’y aura désormais plus de fonctions de rang ministériel pour les postes et télécommunications.

À un niveau inférieur, les différentes directions des PTT sont fusionnées en une unique direction générale des Postes et Télécommunications en décembre 1993, elle-même fondue dans une direction générale de l’Industrie, des Technologies de l’information et des Postes le 2 novembre 1998.

Par ailleurs, entre 1988 et 1997, la question de l’espace est régulièrement détachée de la Recherche pour être rattachée aux PTT.

France Télécom n'est restée en marge d'aucune de ces évolutions. Grâce à la compétence et à la remarquable capacité d'adaptation dont ont fait preuve l'ensemble de ses agents, la direction générale des télécommunications des années 1980 est devenue en moins de quinze années un groupe employant 240 000 collaborateurs dans plus de 39 pays au service de 112 millions de clients, occupant des positions de premier plan dans les métiers de la téléphonie fixe et mobile, de l'internet et des services aux entreprises, et dont l'excellence technique et les performances opérationnelles sont largement reconnues.
Cette remarquable évolution n'a été rendue possible que par une adaptation progressive du statut de France Télécom. La création du statut d'exploitant public, par la loi du 2 juillet 1990, a permis à l'ancienne administration de se doter de la personnalité juridique et d'initier son expansion internationale, tout en entrant dans le cadre du droit commun pour les relations avec ses clients et fournisseurs. La transformation de l'exploitant public en société anonyme en juillet 1996 a donné à France Télécom les moyens de faire face à l'ouverture du secteur à la concurrence et d'accéder à de nouvelles ressources pour financer son développement.
Plus de sept années après la transformation de France Télécom en société anonyme, il est aujourd'hui nécessaire de procéder à une nouvelle évolution du statut de l'entreprise afin de mettre France Télécom en situation de pouvoir relever les défis à venir dans les meilleures conditions.

Par la suite, une direction générale des Postes et Télécommunications (DGPT) existe en tant que service du ministère des Télécommunications, de l'Industrie et des Postes (TIP), dirigé en 1993 par Gérard Longuet, sous le gouvernement Édouard Balladur.
Elle est dirigée à cette époque par Bruno Lasserre. Elle est alors chargée de la réglementation des postes et des télécommunications, jusqu'à la création de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) en 1997, devenue l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) en 2005 puis l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en 2019.

Les directeurs généraux des Télécommunications sont successivement :
Charles Lange 9 février 1941 a 23 mai 1946
Jean Rouvière 27 avril 1951
Raymond Croze 5 février 1957
Pierre Marzin 21 décembre 1967
Louis-Joseph Libois 11 octobre 1971
Gérard Théry 16 octobre 1974
Jacques Dondoux 7 août 1981
Marcel Roulet 15 décembre 1986
Après 1991, voir Orange (entreprise)

A la tête de la Direction Générale des Télécommunications se trouve le directeur général qui est responsable de l'ensemble des services de télécommunications. Il définit la politique générale des Télécommunications, détermine les moyens nécessaires à leur fonctionnement, élabore le budget des Télécommunications et prépare la politique industrielle. La Direction Générale des Télécommunications coexiste avec deux directions fonctionnelles communes aux deux directions générales : la Direction du Personnel et des Affaires Sociales et la Direction du Budget et de la Comptabilité qui assure la préparation du budget et a autorité sur l'organisation comptable des Télécommunications.

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1974-1981 Stratégies des groupes français et interventions des pouvoirs publics

Les pouvoirs publics français ont, pendant la période qui nous occupe, porté un intérêt tout particulier à la branche électronique, branche stratégique, à bien des égards, pour les économies développées.
La toile de fonds des interventions de l'Etat est constituée par l'objectif de structures affirmé dans le Vème Plan et rappelé dans le Vlème : constituer dans chaque secteur un ou plusieurs groupes de taille suffisante pour affronter la concurrence sur le marché mondial. Le contexte de crise qui marque l'élaboration du Vllème Plan élève au rang d'objectif principal le rétablissement de l'équilibre extérieur.
Au-delà des affirmations des plans, l'essentiel des actions entreprises dans l'électronique, par les pouvoirs publics, a été l'œuvre de la Direction Générale des Télécommunications (DGT).

L'action de la DGT est basée sur l'analyse suivante : les télécommunications et leurs nouvelles applications (télématique, bureautique,...) constituant un créneau. Non encore investi par un grand groupe mondial de l'électronique, c'est l'occasion pour les groupes français de conquérir une place de choix dans la division internationale du travail..

La DGT est par ailleurs une administration puissante, disposant de moyens financiers importants et dirigée, au début de la période qui nous intéresse, par une équipe nouvelle et dynamique. Enfin, le caractère public des marchés confère à la DGT des occasions d'intervention : agrément des matériels, puis procédures conduisant à des marchés expérimentaux puis à des marchés publics de taille réelle.
La DGT utilisera tous ces moyens pour intervenir, non seulement dans le domaine des télécommunications mais aussi en amont (composants) et en aval (nouvelles applications : visiophones, télécopieurs, postes téléphoniques à clavier, terminaux vidéotex...).
La DGT, pour mettre sa politique en œuvre, a agi à tous les stades du processus de production : recherche (création d'une nouvelle antenne du CNET à Grenoble, spécialisée en microélectronique) ; développement (prototypes élaborés dans les laboratoires publics ou sous traités aux laboratoires privés) ; production et commercialisation de pré-séries puis de grandes séries (création de la filiale Intelmatique pour promouvoir les produits de la télématique française à l'étranger, discussion des normes avec les groupes étrangers afin de préserver les chances de l'industrie française).

Le contenu de la politique de la DGT s'inspire des préoccupations mises en avant par les plans : concentrer les moyens, développer les exportations. Ainsi, la DGT organise-t-elle l'entrée de Thomson dans la commutation publique en 1976, à travers la prise de contrôle de LMT (ITT) et de la SFTE (Ericsson). En 1980, après le démantèlement de l'AOIP, Thomson assure 40 % de la production française, à égalité avec la CGE et, contrairement aux « accords de Yalta » conclus entre les deux groupes en 1969. Les pouvoirs publics espéraient ainsi équiper la France, particulièrement sous développée en ce domaine, abaisser les prix et constituer une base technique et commerciale pour conquérir une partie du marché mondial en technique « temporelle ».
De même, le plan composants dans sa formulation de 1978 visait-il à concentrer les moyens de l'industrie française et à équilibrer les échanges extérieurs : Secimos devait regrouper les principaux utilisateurs français de circuits intégrés de pointe Mos et assurer la production des circuits en association avec l'entreprise américaine Intel qui apporterait sa technologie.

La DGT va tenter d'impulser chez les grands groupes de l'électronique une politique dynamique en matière de produits nouveaux situés à la croisée des différentes branches de l'électronique, télématique, bureautique, terminaux vidéotex (expérience de Velizy, annuaire électronique), télécopieurs, visiophones... De même, dans le domaine des transmissions, la DGT française a-t-elle participé à la création d'une unité de production française pour la fabrication de fibres optiques : une filiale commune à Saint Gobain, Thomson et Corning Glass (E.U.) fournira les fibres optiques nécessaires au câblage de 2 000 foyers à Biarritz en 1983.

Ces actions visent toutes à utiliser des techniques de pointe sur les marchés publics français, de façon à maîtriser la technique, à en abaisser les coûts et les prix, et, dans un deuxième temps, à conquérir des marchés à l'extérieur.

Cependant, l'action de la DGT et, plus généralement, celle de l'ensemble des pouvoirs publics français, n'est pas pour autant marquée par la cohérence et l'efficacité. Elle doit, plus fondamentalement, faire face à des problèmes qu'elle n'a pas les moyens de résoudre :
• il apparaît difficile de constituer un ou deux groupes français compétitifs dans chaque branche : en 1978, la CGE se situe au 9ème rang mondial dans les télécommunications avec un chiffre d'affaires qui représente moins de 10 °/o de celui de Western Electric.
• la recherche d'une certaine concurrence au niveau national ( CGE et Thomson dans la commutation publique) constituerait plutôt un handicap à l'exportation, en dispersant les moyens et les efforts face à une offre très concentrée. Telinter, qui devait être l'instrument de la coopération des deux groupes à l'exportation n'y jouera aucun rôle actif...
• les « objectifs à moyen terme d'indépendance et dynamisme » que les pouvoirs publics assignaient à l'industrie électronique française pourront-ils être atteints dans des branches trop longtemps délaissées par les entrepreneurs privés ? Ainsi, le plan composants est-il totalement dépendant de la technologie américaine. L'industrie française pourra-t-elle dépasser le stade de la sous traitance dans ce domaine-clef ? De même la technologie américaine est-elle indispensable dans les fibres optiques. L'action des pouvoirs publics semble, dans ces domaines, avant tout soucieuse de faire face aux contraintes à court terme d'équilibre de la balance commerciale.
• les pressions des groupes industriels constituent souvent des obstacles à la mise sur pied d'actions cohérentes d'envergure. Les hésitations et les revirements qui ont marqué les Plans calcul en portent la marque : à la solution « européenne » a succédé la « solution américaine », dont le chef de file français fut tout d'abord la CGE, puis Saint Gobain. Il en fut de même pour le Plan composants : les groupes français refusent de participer à la création de Secimos. De tractation en tractation, les pouvoirs publics seront amenés à subventionner trois et non plus deux pôles : Efcis (Thomson, CEA, Motorola), Eurotechnique (Saint Gobain, NSC), MHS (Matra, Harris). Ces trois pôles ne devaient pas entrer en concurrence jusqu'à ce que Matra remette en cause le schéma, au printemps 1981, en annonçant un accord avec Intel (circuits N MOS, tout comme Eurotechnique). Ce quatrième pôle recevra cependant une aide des pouvoirs publics...

Les perspectives ouvertes par les nationalisations

Les restructurations opérées entre 1974 et 1981 ont été fortement marquées par l'influence des pouvoirs publics, en particulier de la DGT. Cette influence a dû, cependant, nous l'avons souligné, tenir compte des intérêts et pressions bien souvent contradictoires, des réticences et des hésitations des groupes privés concernés.
Les nationalisations réalisées en février 1982 changent sensiblement les données du problème. Elles donnent aux pouvoirs publics les moyens de définir et de mieux maîtriser une politique industrielle dans l'électronique.
Pour cela un certain nombre de choix seront nécessaires. Au préalable, un effort de cohérence devra être réalisé.

1. Assurer la cohérence de l'ensemble nationalisé
Nous avons souligné combien l'histoire récente de l'électronique française a été rythmée par des conflits entre décideurs privés, en particulier entre Thomson et la CGE. Ces conflits ne se posaient pas tant sur le terrain concurrentiel classique qu'au niveau du partage des multiples aides (à la recherche, au développement industriel,...) et des importants marchés publics protégés, tant en France que dans les « territoires sous influence ».
De nombreuses décisions de politique industrielle ont été en conséquence retardées, prises au coup par coup, au terme d'hésitations coûteuses, reflets de luttes d'influence et d'incapacité à choisir.
Les Plans calcul illustrent parfaitement cette démarche. L'action de la DGT dans le téléphone, responsable de la promotion de Thomson dans cette activité, comporte les mêmes ambiguïtés. En appuyant Thomson, la DGT freina l'exploitation par Cit Alcatel de son avance technologique dans le domaine des centraux temporels. Cela fut dommageable, globalement pour l'industrie française, d'autant plus que le système Thomson, hérité des laboratoires de LMT, s'avéra moins fiable et d'une mise au point longue et délicate. L'industrie française avait elle les moyens de soutenir deux techniques de commutation publique concurrentes ? Il aurait sans doute été plus réaliste et plus efficace d'appuyer et de promouvoir la technique de Cit Alcatel, bien que l'introduction de la concurrence ait stimulé les deux producteurs et abouti à des baisses de prix sensibles, après des années marquées par le règne du « cartel des téléphonistes ».

Enfin, le Plan composants constitue un autre exemple de ces hésitations, retards et incohérences, comme nous l'avons souligné précédemment.
La nationalisation des quatre groupes devrait permettre de promouvoir une optique différente, dominée par l'exercice des complémentarités, de collaborations, de répartition des tâches. Cette mise en commun des ressources de l'Etat et des entreprises nationalisées devrait assurer une meilleure efficacité des moyens importants dont disposent les pouvoirs publics pour impulser une politique industrielle cohérente.

Par ailleurs, les nationalisations devraient permettre de définir l'action des entreprises de l'électronique par rapport à des objectifs dépassant la logique purement micro-économique des firmes privées, sans perdre de vue la compétitivité qu'implique le choix d'une économie ouverte. La politique industrielle devrait ainsi viser à s'assurer la maîtrise par la collectivité des technologies du futur dans un domaine-clef dont dépendent l'organisation du travail, l'emploi, la culture,..., aussi bien que les échanges extérieurs et la croissance. Les objectifs énoncés par le gouvernement en matière de reconquête du marché intérieur et de développement des exportations devraient trouver, dans la branche électronique, un terrain d'application immédiate et décisive.
La cohérence nécessaire pour atteindre les objectifs nouveaux implique bien sûr de nouvelles restructurations. Toutefois, la concentration nécessaire des moyens pour chaque sous branche dans un seul groupe peut comporter des dangers : la confrontation de divers offreurs dans les marchés d'études proposés par la DGT s'est révélée positive et stimulante au niveau des prix et des techniques. Il ne faut donc pas laisser se développer des comportements de monopole, exploitant une rente sur des marchés protégés. La nécessité de l'exportation, le choix d'une économie ouverte, le caractère mondial de la concurrence devraient permettre d'éviter cet écueil.

Une autre question difficile peut conduire à un certain immobilisme : les nationalisations pourront-elles mettre fin aux luttes d'influence entre les dirigeants des grands groupes ? La résistance passive, le poids de l'histoire et des habitudes, le jeu des relations et des solidarités peuvent constituer de puissants obstacles à la mise en œuvre d'une nouvelle politique.

Appliquer dans l' électronique les grandes orientations de la politique industrielle suppose que l'on effectue des choix, que l'on réponde essentiellement à deux questions :
a. quelle place dans la filière électronique ?
Il est en effet essentiel de se déterminer par rapport à ce problème central : la politique industrielle française peut elle choisir d'être présente à tous les niveaux de cette filière stratégique qu'est l'électronique ? Ou bien, doit-on choisir quelques créneaux ? Peut-on être présent industriellement dans une économie ouverte dans les biens grand public, la grande informatique, les composants, la bureautique, l'électronique médicale... ? Si la réponse est positive, mettra-t-on tout d'abord l'accent sur l'aval de la filière (grand public), pour remonter ensuite vers l'amont (c'est la stratégie japonaise) ou privilégiera-t-on l'amont (électronique de pointe, professionnelle), celui-ci nourrissant peu à peu l'aval de ses innovations (stratégie affichée par Thomson Brandt) ? La couverture de l'ensemble de la filière peut aussi être favorisée par une politique d'alliances, cet aspect devenant alors central.
b. quels partenaires ?
Les entreprises nationalisées avaient noué des contacts avec des firmes américaines, pour l'essentiel. Le Plan composants en est un des exemples les plus spectaculaires. Or, les principales décisions intervenues depuis mai 1981 vont dans le sens d'une remise en cause de ces alliances. Est-ce à dire que l'on va désormais étudier les conditions d'une collaboration avec des partenaires européens, ce que les groupes français ont généralement refusé jusqu'ici ? Il semble bien qu'une politique ambitieuse ne puisse faire l'économie d'une telle démarche. Il faudra vaincre des habitudes, trouver les meilleures complémentarités, et rester cependant, d'une façon ou d'une autre, présent sur le marché nord américain où sont définis les standards, expérimentées les innovations et où se situeront les deux tiers du marché mondial pour la bureautique et la télématique en 1985. Des réponses claires doivent être apportées à ces questions dans un délai raisonnable. Seules des alliances avec des partenaires de la Communauté Européenne peuvent permettre d'assurer une présence industrielle concurrentielle à tous les niveaux de la filière, les autres alliances possibles (Etats Unis, Japon) entraînant des dépendances trop fortes.
Il convient donc de faire des propositions aux partenaires potentiels, ou de répondre à leurs avances (celles de Philips, par exemple, qui propose à Thomson un accord européen pour les biens grand public).
(En complément lire la page Restructurations des groupes français de l'électronique )

Plus d'un an après le changement politique, le changement industriel n'est guère amorcé dans l'industrie électronique. Le rapport Farnoux préconise bien la mise en œuvre d'une politique de filière et des alliances européennes. Mais aucun progrès concret n'a été réalisé : concernant le redécoupage des activités entre les quatre groupes, constituera-t-on un seul pôle téléphonie, malgré les dangers soulignés par M. Théry ? Regroupera-t-on l'informatique, grande, moyenne et petite ? Se lancera-t-on résolument dans la télématique, malgré les réticences du marché intérieur ? Aura-ton une politique industrielle européenne dans la branche grand-public ?. La persistance de la crise ne remettra-t-elle pas en cause, par ailleurs, l'allocation des moyens nécessaires à la mise en œuvre d'une véritable politique industrielle de filière ? Les graves difficultés de Cil HB, de la CGR, de la téléphonie et de l'informatique chez Thomson requièrent déjà des sommes importantes. Elles placent aussi les décideurs face à des choix décisifs et rapides. Il ne faudrait pas oublier, au moment de ces choix, que pour beaucoup l'électronique peut constituer un atout susceptible d'accélérer la sortie de crise...
Enfin, plus généralement, le changement voudrait que la stratégie mise en œuvre et les choix industriels opérés ne soient pas l'affaire des seuls dirigeants des entreprises nationalisées, mais qu'un débat réel soit engagé avec les planificateurs, les syndicats et les usagers. Toutes les dimensions du problème seraient ainsi abordées, concernant une activité-clef pour l'avenir.

1987 L'administration des Télécoms va devoir à son tour en passer par d'importantes suppressions d'emplois dans les années à venir : un rapport interne de la DGT (Direction générale des télécommunications) évalue en effet à 32 655 d'ici à l'an 2000 le nombre de personnes en sureffectif dans ses services, soit un excédent de 20 %. Selon les projections de la DGT qui reposent sur une hypothèse d'activité "constante", les effectifs tomberaient de 161 950 persosnnes à la fin 1985 à 129 295 à la fin de ce siècle, soit un niveau proche de celui de 1975 (127 820), année du lancement de la modernisation du réseau téléphonique français qui a donné lieu à un gonflement important du personnel.
Toutefois, le profil de l'emploi serait considérablement modifié : alors que les effectifs des populations les plus qualifiées (cadres supérieurs et inspecteurs) augmenteraient fortement (de 63,3 % et 9,5 % respectivement), ceux des catégories les plus basses seraient réduits : le nombre d'ouvriers chuterait de 23,6 %, celui des administratifs du service général de près de 30 %, contre une baisse de 26 % pour les agents des lignes et de 24,6 % pour les techniciens et aide-techniciens.
Cette "déflation des effectifs", souligne-t-on à la DGT, sera effectuée régulièrement, au rythme de 2 000 à 2 500 l'an. Il s'agit, ajoute-t-on, d'une tendance commune à tous les opérateurs dans le monde, liée aux progrès de la technologie. Elle s'inscrit en outre dans un souci d'améliorer la compétitivité de la DGT, où l'on compte actuellement 7 agents pour 1 000 abonnés contre 4 à 4,5 dans les autres pays.

sommaire

Extrait d'un article "FRANCE TELECOM : UNE HYBRIDATION RÉUSSIE ?' de Elie COHEN et Jean-Michel SAUSSOIS

Novembre 1988 le Ministre des Postes, des Télécommunications et de l'Espace vient de proposer « un nouveau concept » pour France Télécom (ex. Direction Générale des Télécommunications). Ce nouveau concept est celui d'administration entreprenante.
Que ce concept ne soit pas nouveau ou que ce concept n'en soit pas un nous importe peu. Plus intéressant est de comprendre cette volonté du politique de procéder à une hybridation.

Qu'en est-il en effet d'un croisement où l'on essaierait de marier ce qui fait la force de l'administration publique avec ce qui fait la force de l'entreprenariat ?
En politique, le risque est toujours de prendre les mots pour les choses. Dire est-il faire ? Avancer l'idée d'une administration entreprenante ne relève pas que de l'oxymoron plaisant. Cette figure de rhétorique est aussi un télescopage volontaire de logique contradictoire, souhait désespéré d'un responsable politique qui ne veut pas choisir entre deux solutions aussi peu satisfaisantes l'une que l'autre. Nous voudrions montrer que ce « concept » est une stratégie de compromis, puis nous interroger sur les conditions dans lesquelles une telle hybridation est possible en sélectionnant trois couples de variétés différentes « extraites » des souches administration et entrepreneur : esprit d'innovation et administration, imagination stratégique et tutelle administrative, esprit d'entreprise et statut de la fonction publique. 'administration entreprenante : sous le concept, une stratégie de compromis.

Le maniement simultané des contraires est à la mode dans les livres de management qui font l'éloge de l'équivoque. Les structures d'entreprise doivent être à la fois souples et rigides, la rigueur doit cohabiter avec l'imagination. Les dirigeants des grands groupes industriels constatent que le temps de réponse que mettent leurs structures à réagir « aux sollicitations » de l'environnement devient de plus en plus long. Face à ces structures difficiles à gouverner, en voie dedévitalisation, la recherche d'hybrides croisant les vertus des petits groupes et les vertus des grands systèmes devient urgente ; l'intrapreneur est une innovation organisationnelle répondant aux inquiétudes de ces dirigeants. Faire en sorte que les cadres se comportent en entrepreneurs tout en restant à l'intérieur d'un grand ensemble préférant suivre les règles de la hiérarchie aux règles du marché : voilà un hybride récemment inventé par les consultants en organisation. Dans un contexte bien différent, le tuteur politique d'une administration est aussi soucieux de trouver une telle hybridation où l'on pourrait marier les vertus de l'administration et de l'entrepreneur. Ces vertus sont connues, les vices également ; si l'on écarte les vices, un bref résumé des vertus pourrait être le suivant : pour une administration comme la DGT, la principale vertu serait l'absence de contrainte de profit qui facilite l'engagement de programmes à horizon de temps long impliquant une recherche publique articulée sur des marchés publics ; autre vertu, cette administration a un accès privilégié au financement public pour conduire des investissements lourds sans « retour » explicité ; ayant le monopole de l'exploitation du réseau, tout risque de concurrence frontale est écarté ; enfin, dernière vertu, le personnel est doté d'un statut lui donnant une garantie d'emploi ; l'emploi à vie, l'élément clef, explique-t-on, du succès des grandes entreprises japonaises, permet aux dirigeants de cette administration d'opérer des changements de structure, de technique, de marché sans que le personnel ne craigne pour son emploi ; cette plasticité s'accompagne en outre d'un fort attachement du personnel à l'esprit de service public, puissant réservoir duquel il est possible de mobiliser des énergies individuelles.

Pour l'entreprenariat, la vertu la plus connue est la capacité de l'entrepreneur à innover, à relier sans cesse des objets techniques à de nouveaux usages sociaux ; sa vertu est aussi de savoir prendre des risques et les assumer sans compter sur des financements affectés d'avance ; cherchant à obtenir rapidement un retour sur ses investissements, l'entrepreneur prendra l'initiative de choisir son rythme de croissance, ses partenaires, son personnel, un personnel soumis au marché du travail.
Le croisement de ces vertus relève-t-il de l'imaginaire de l'homme politique saisi par un souci de « donner un projet » à son administration ? Peut-être ; il s'agit surtout d'une stratégie de compromis, une stratégie qui sauvegarde sans traumatismes l'unité des contraires : faire en sorte que la DGT (maintenant France Télécom) soit à la fois une administration et une entreprise. Tout le problème étant contenu dans le « à la fois ». L'hybridation réussie consisterait à éviter le camouflage : le camouflage d'une administration en entreprise (à l'exemple d'A.T.T. avant son démantèlement) ou bien le camouflage d'une entreprise en administration. Comme un camouflage finit toujours par se découvrir, l'hybridation permet aussi d'éviter la mue, sans cesse remise à plus tard, celle consistant à transformer cette administration en ce qu'elle aurait dû être, c'est-à-dire une entreprise ; une entreprise nationale à l'image d'E.D.F.
E.D.F. a toujours eu un effet d'attraction, notamment pour les ingénieurs appartenant au corps des Télécom, et cela, depuis 1967, lorsque le Ministre des Finances de l'époque, Valéry Giscard d'Estaing, proposa la création d'une Compagnie Nationale du Téléphone. Cette solution revient constamment à la surface surtout lors de crises identitaires faisant cruellement laisser apparaftre une administration qui ressemble à une entreprise mais qui n'est pas véritablement une entreprise. En regardant agir l'acteur E.D.F., tout se passe comme si les ingénieurs DGT retrouvaient leur image : celle d'un acteur central dans le développement économique doublé d'un acteur politique capable de passer d'une grande ambition nationale à une autre. Il n'est jusqu'au comportement de chacune des deux organisations à l'égard des industriels qui ne vienne souligner leur mimétisme. Sommé en 1987 par son Ministre de Tutelle d'abaisser ses tarifs en faveur des industriels, E.D.F. refuse ce dictât au nom de sa conception de sa mission de service public. Voilà un acte d'indépendance vis-à-vis du politique qui ne peut que séduire ceux qui manœuvrent pour faire de la DGT un opérateur doté d'une autonomie stratégique et opérationnelle ; un acte d'indépendance qui ne peut qu'inquiéter ceux qui défendent le maintien de France Télécom dans le statut de la fonction publique et ceux qui veulent s'assurer des recettes pour le budget de l'État ; des recettes dont le principal mérite est d'être sans coût politique et d'un rendement excellent.
Cette mue, envisagée, ne s'est jamais produite malgré les alternances politiques. Est-elle nécessaire, inévitable ou bien l'hybridation se révèle- t-elle finalement comme la seule solution qui parvienne à satisfaire tous les acteurs impliqués au sein de ce que nous avons appelé le système télécom ?

L'administration des Télécom, la DGT, n'est évidemment pas une administration comme les autres : c'est une administration qui exerce une fonction d'entrepreneur. Cette fonction d'entrepreneur ne consiste pas seulement à inventer un objet technique mais aussi à le relier à un marché. A ce titre, l'exemple du terminal vidéotex (dénommé Minitel) est une illustration parfaite d'un processus de destruction créatrice déclenché par une administration. L'exemple du Minitel est d'ailleurs rentré dans la légende des innovations réussies, sans cesse réexpliqué sous la forme du conte où l'État (éclipsant la DGT) innovateur occupe une très bonne place. La force des explications a posteriori est de mettre en avant des volontés et des logiques qui n'étaient pas aussi facilement décelables dans le comportement des acteurs. Comment est-on parvenu à produire une telle offre créatrice : volonté ou hasard ? Cet exemple est-il reproductible ? Tout d'abord cette offre a été créée à partir d'un terrain préparé selon un mode que nous avons appelé ailleurs le mode du grand projet, un mode peut-être uniquement repérable en France.

La DGT, sous la houlette d'un Directeur Général stratège, a su détruire la structure d'un secteur endormi par le régime des quotas pour en créer une nouvelle en imposant des règles du jeu aussi bien à ses propres chercheurs qu'aux industriels fabriquant le matériel de commutation et de transmission.
Ce travail de destruction/reconstruction ne s'est pas fait sans heurts, ni violence symbolique. Le centre de recherche (CNET), jusque là au milieu du système, a été mis à l'écart : les industriels ont été subordonnés : la DGT ne leur abandonna ni le choix des matériels ni le choix des implantations, ni la fixation du calendrier de la montée en charge. Voici une administration qui en quatre ans (1975-1978) développe un programme d'équipement à marche forcée, bousculant les procédures administratives, allant jusqu'à court-circuiter les hiérarchies politiques pour chercher un appui direct auprès du plus haut personnage de l'État.

Après l'achèvement de ce programme, la DGT aurait pu faire une pause, un peu à l'exemple d'A.T.T. qui pendant un siècle (1875-1974) n'a modifié ni sa stratégie d'intégration verticale, ni sa structure décentralisée. La façon dont fonctionne ce monopole à la fois privé et régulé « résonne » parfaitement avec les objectifs de la firme. Les régulateurs locaux sont tout à fait favorables à ce que les investissements soient amortis sur longue période, de façon à faire bénéficier les abonnés, c'est-à-dire leurs électeurs, des tarifs les plus bas possibles. Dans une logique de profit, les investissements doivent s'amortir ; à partir du moment où l'objet technique téléphone est stabilisé, il s'agit de travailler sur des améliorations en évitant des rythmes de renouvellement trop rapide. Autrement dit, il s'agit avant tout de contrôler le rythme de l'innovation de façon à protéger les actifs industriels contre toute recherche qui leur serait néfaste... Suivant cette logique, à l'abri de toute concurrence, la DGT aurait pu exploiter son réseau, et faire profiter ses clients des gains de productivité obtenus à partir des nouveaux équipements.

C'est une toute autre stratégie qui l'emporte : celle consistant à rééditer le grand projet « rattrapage téléphonique » mais dans un autre champ ; un champ résolument novateur, métissage du téléphone et de l'informatique, la télématique. Offrir un objet technique tel que le terminal annuaire électronique avait le mérite de répondre simultanément à plusieurs objectifs : trouver des activités industrielles pouvant se substituer aux industries de la commutation téléphonique publique lors de la fin prévisible (1983) de la modernisation du réseau public, consolider de surcroft la place de la DGT dans l'administration (industrie, finances) en ayant à nouveau une responsabilité industrielle.

Voulu au départ rustique (terminal dédié aux spécifications assez pauvres), cet objet technique était toutefois innovant dans l'usage social qu'il désignait ; quant à sa valeur d'échange, la DGT va user avec génie des ambiguïtés de son statut : le minitel ne sera pas vendu mais donné. C'est d'ailleurs peut-être là que se révèle la fécondité du croisement entre l'administration publique et l'esprit d'innovation. Une distribution gratuite impensable ailleurs... qu'en France. Le bilan de cette offre créatrice est éloquent : l'opération Minitel a généré en 1986 trente millions d'heures (soit 26 fois plus qu'en 1985), un chiffre d'affaires dépassant deux milliards de francs pour un nombre de services offerts supérieur à 4.000, enfin ce programme minitel a contribué à créer 40.000 emplois.
Ces chiffres ne doivent pas cependant masquer le chemin pour y parvenir. Un chemin tortueux, celui de toute innovation. Aux États-Unis, l'idée de congeler les aliments date de 1912, il a fallu quarante ans pour « passer à l'acte », c'est- à-dire parvenir à un accord entre des acteurs dont les intérêts étaient directement mis en cause par cette innovation technique.

Dans l'exemple du minitel, on trouve ce modèle tourbillonaire où l'innovation est testée sous forme de maquette, puis remise en question sous la pression d'acteurs qui anticipent bien les conséquences d'une telle innovation. La DGT n'avait pas en effet prévu que son innocent terminal annuaire électronique était un concurrent de la presse locale. En fragilisant celle-ci par un détournement de recettes publicitaires locales, ce sont les notables qui se retrouvaient en difficulté précisément au moment où l'État cherchait à décentraliser ses pouvoirs.
D'où l'obligation de trouver une solution qui préserve l'objet technique et qui concilie les intérêts locaux : cette solution socio-technique sera trouvée par la nouvelle équipe dirigeante de la DGT mise en place par la gouvernement socialiste ; en inventant la fonction « kiosque », un compromis est trouvé et permet une claire coupure entre le transporteur, le serveur et l'offreur de service. Du même coup, la DGT se préserve de deux critiques : l'exercice du monopole et l'atteinte aux libertés individuelles. En outre, un fantastique champ de diversification est offert aux groupes de presse. L'alternance politique et le changement de Directeur Général sont à intégrer dans le modèle tourbillonaire sans que soit remis en cause le projet initial. Face à des industriels qui apprennent à s'émanciper, l'intransigeance technique n'est plus un instrument de pression, le volume des commandes prévues n'impressionne plus mais inquiète plutôt des fournisseurs échaudés ; face à des notables dont la position dans des réseaux sociaux risque d'être détruite, le politique efface le technicien. La DGT apprend à négocier, découvre que ses fournisseurs peuvent être aussi des partenaires, que les usagers deviennent des clients à décliner par segment.

Projet d'entreprise : le technicien et le politique en concurrence

La DGT est depuis longtemps à la recherche de son identité ; dans le domaine du symbolique, dès 1974, un logo marquera la séparation irréversible entre la Poste et le Téléphone, les peintures se dissocieront également, le jaune pour la Poste, le bleu pour le Téléphone; le couronnement de ce travail sur les symboles sera le déménagement de l'état-major de la DGT installé jusque là dans les locaux de son ministère de tutelle. La DGT désormais occupe seule un immeuble résolument tourné vers le futur : le cordon ombilical avec les P.T.T. est coupé.
Ce travail sur l'image s'accompagne également d'un travail sur la maftrise de l'instrument de gestion jusque là inconnu. Dès 1974, la DGT forme la hiérarchie intermédiaire aux techniques de gestion, modernise ses rapports hiérarchiques, apprend à gérer par objectifs, assimile les techniques de marketing, fait appel à un véritable bataillon de consultants en management, en stratégie. Le couronnement de cet effort continu sera en 1986 la rédaction d'un projet d'entreprise résultat d'un an de consultation auprès des différents niveaux hiérarchiques. Comme toute entreprise saisie par la mode des desseins, la DGT a défini les siens sur la décennie à venir : entreprendre, exercer son métier d'exploitant, élargir ses marchés. L'alternance politique (1986) et la venue d'un nouveau Ministre (1986-1987) soucieux d'appliquer les recettes de l'économie libérale viennent ajouter de l'équivoque. Conçu dans les entreprises ayant un management « moderne » comme un instrument de mobilisation et de cohésion identitaire, ce projet d'entreprise se transforme en projet de privatisation aux yeux d'un certain nombre d'agents attachés au statut de la fonction publique.

Cet impressionnant travail de la DGT sur elle-même pour se doter des attributs symboliques d'une entreprise ne peut masquer un raccordement à un pouvoir politique qui sait utiliser cette administration soit comme un levier politique, soit comme un instrument de régulation économique. Les dirigeants successifs de la DGT le savent pertinemment et intègrent plus ou moins facilement cette donnée dans la conduite de leur stratégie. Rarement ministre technicien, encore plus rarement ministre qui pèse politiquement, voilà un homme politique que la DGT essaye de « socialiser » à sa culture organisationnelle pour en faire un défenseur éventuel auprès du Budget. Les apprentissages sont plus ou moins longs selon la durée de vie de chaque ministre ; les espaces de jeu entre les dirigeants et le pouvoir politique dépendent en fait des recouvrements de leurs objectifs.

Lors du grand chantier « rattrapage et modernisation du téléphone », la stratégie était simple, les objectifs faciles à formuler : le technique renforce le politique qui renforce le technique. Lorsque France Télécom définit un projet apparemment technique mais qui est aussi un projet sur la société, la stratégie devient équivoque pour un pouvoir politique qui se vit comme doublé. En voulant se transformer en grand architecte de la communication, la DGT se met dans une posture d'acteur societal venant concurrencer l'acteur politique. Un acteur politique qui ne tarde pas d'ailleurs à lui rendre la monnaie de sa pièce : si la partie veut se prendre pour le tout, que l'on aille jusqu'au bout de cette logique. La DGT se verra appliquer des objectifs ... contre son gré. L'exemple le plus caricatural est certainement la décision de mettre la filière électronique sous la tutelle de la DGT. C'est l'époque où l'idéologie industrialiste entre en résonance avec la vision socialiste de la société. Parvenue au pouvoir, la Gauche va porter à des sommets, inconnus jusque là, la logique mercantiliste giscardienne des années 1974. La DGT devient « par décret » une instance de tutelle de groupes électroniques nationalisés dont on attend qu'elle finance la filière électronique et non qu'elle l'organise. A afficher des innovations techniques à dimension sociétale, la DGT développe des stratégies dont s'emparent tous les acteurs concernés. Du même coup, l'acteur DGT se trouve embarqué dans des jeux politiques dont il connaft mal les règles ; les choix de stratégies en viennent à être débattus publiquement jusqu'à détruire sa cohésion interne ; le politique en vient à effacer le technicien, les rôles se croisent : le directeur général se transforme en entrepreneur politique, le ministre se transforme en technicien des télécommunications.

Ce chassé-croisé de rôles ne fait que brouiller l'image d'une administration qui marche à côté de son titre. Lorsque les acteurs retrouvent leur rôle, le rappel des places respectives peut être violent : la DGT est toujours soumise au pouvoir d'une autorité publique. Pour les dirigeants de la DGT, la décision unilatérale du gouvernement prise en août 1984 de relever la taxe du service de base est un dur rappel à la réalité : celle d'être une administration, même si elle se vit comme entreprise, le surplus reste toujours la propriété du politique.
Esprit d'entreprise et statut de la fonction publique : un croisement impossible ?

Voilà peut-être le croisement impossible si l'on s'en tient aux stéréotypes : l'esprit d'initiative, l'individualisation des responsabilités, l'indifférence vis-à-vis du rapport entre un titre et un poste, la récompense qui vient sanctionner la performance, autant de forces venant buter contre le mur du statut de la fonction publique et les règles du droit administratif. En fait, la réalité est plus complexe. Tout concourt, et cela depuis vingt ans maintenant, à vider le statut progressivement de son sens, en adoptant une politique de petits pas. En fait le pari tenu est que le statut, telle une vieille peau, finira par tomber quand le corps social se sera profondément renouvelé. A ce renouvellement, la DGT y travaille aussi bien en inventant de nouvelles fonctions qu'en bâtissant des plans de communication interne et externe, qu'en s'attacha nt par contrats de nouveaux profils éloignés de ceux des ingénieurs télécoms. Cette activité consistant à greffer de nouveaux comportements en matière de gestion, à s'approprier les techniques les plus sophistiquées en matière de management a pour objet de renouveler la culture interne de la DGT. L'imagination ne manque pas pour contourner les obstacles administratifs : la floraison des associations de type 1901 (rituellement dénoncée par la Cour des Comptes) est l'expression de l'esprit d'entreprise développée au sein de l'administration. En matière de gestion de personnel, les marges de manœuvre pour jouer avec le statut ne manquent pas non plus. Là aussi, il est possible « d'assouplir » les textes et de récompenser la performance individuelle. Ces initiatives, souvent le fait de dirigeants soucieux de mobiliser leur personnel, ont cependant leur limite. L'entrée irréversible de la logique du marché apparaft comme une menace pour la cohésion de cette organisation

A cette menace, la DGT y a répondu depuis longtemps en filialisant des activités nouvelles. Plusieurs explications peuvent être avancées quant à cette pratique de la filialisation : l'une est technique et met en avant l'incompatibilité entre les règles de gestion administrative et le développement de produits nouveaux ou bien d'activités ne rentrant pas dans la mission de l'administration (la vente d'espaces publicitaires par exemple).
Affecter des dépenses à des ressources connues d'avance, cette fameuse règle incontournable, n'est évidemment pas facile à suivre lorsqu'il s'agit d'investir pour escompter des recettes. La comptabilité publique est donc présentée comme l'obstacle justifiant la création de véritables entreprises chargées de gérer un service public : un réseau (Transpac) ou la régie publicitaire des annuaires téléphoniques (ODA).

Une autre explication avancée s'inscrit plus dans la logique du comportement d'un monopole qui pourrait être paresseux. Tout se passe comme si la pression menée par des clients exigeants était telle que la réponse des dirigeants, campés sur leur métier de base, était de canaliser cette pression vers des filiales qui auraient une autonomie de gestion suffisante pour offrir à ces clients exigeants des prestations de qualité, facturées sans aucune contrainte administrative.

Lors du débat sur la déréglementation, débat imposé par le Ministre de tutelle de l'époque (1986 - 1987) à une DGT qui n'en comprenait pas l'urgence, l'idée se forma progressivement de différencier au sein de la DGT ce qui relevait du monopole du service de base et donc devait garder un statut public de ce qui constituait un portefeuille d'activités nouvelles pouvant être filialisé dans un premier temps et ouvert aux capitaux privés dans un second temps. Cette solution chirurgicale, mise en débat public, ne fut pas retenue, les dirigeants de la DGT y voyant le risque « d'effeuiller la marguerite », ce qu'Hirschman énonce autrement en soulignant que le monopole qui tue les voix de ses clients les plus exigeants pour assurer sa tranquillité s'achète le droit de s'auto-détruire.

Le recours à la filialisation n'est pas donc sans risque pour l'unité de la DGT ; sur le plan de la gestion du personnel des cadres, le détachement/récompense en filiale permet aux ingénieurs de la DGT une inculcation de l'esprit d'entreprise qui, trop réussie, ne permet plus le retour « à la maison mère ». Phénomène bien connu que le souci constant des filiales de se démarquer de leur maison mère ; ayant goûté au jeu du marché, elles cherchent alors à se fédérer pour mieux peser ensuite sur leur « maison mère » dont elles souhaitent le maintien dans le statut de la fonction publique. La transformation de la DGT en entreprise les prive en effet de toute spécificité et annule leur identité ; la périphérie refuse que le centre se transforme.

Conclusion
Tous les « grands projets » poursuivis depuis 1945, dont celui du téléphone, partagent quelques traits communs : la création d'hybrides administration-entreprise, une articulation pensée d'emblée entre recherche, industrie et marchés publics, une liaison forte au politique, un financement pré-affecté, la concession du projet à un grand corps qui en fait sa chose, une conception de l'efficacité débarrassée de la contrainte de la rentabilité... et au total l'affirmation de ces hybrides mi-administration mi-entreprise comme de véritables centres de pouvoir privé et ce quel que soit leur statut formel.

Or tous ces grands projets connaissent un moment délicat, celui de leur passage du stade de grand chantier national à l'épreuve du marché international. Le CNES a su créer ARIANESPACE, le BRP a cédé la place à ELF, le CEA a filialisé ses activités industrielles, AIRBUS et DASSAULT ont un statut d'entreprise de droit commun. La Direction Générale des Télécom a beau s'auto-baptiser FRANCE TELECOM pour faire comme BRITISH TELECOM elle a l'allure d'une entreprise, le style de gestion d'une entreprise, les contraintes d'exploitation d'une entreprise, mais c'est une administration centrale.

Si FRANCE TELECOM a su par le passé investir, se moderniser et au total agir comme entreprise, elle le devait aux grands projets qu'elle poursuivait. Dès lors que les objectifs se resserrent puisqu'il s'agit d'être plus performant dans le service rendu à une clientèle segmentée, de faire jeu égal avec ses concurrents exploitants européens, l'administration des télécom veut légitimement se muer en entreprise, se désendetter, moduler ses prix, diversifier sa politique salariale. Mais, en même temps, pour un État à la recherche de gisements fiscaux la tentation est grande de puiser dans la caisse transformant ainsi l'entreprise en collecteur d'impôts. Si les effets sont peu visibles sur le moment, ils n'en sont pas moins pernicieux. Comment justifier l'effort commercial, la productivité, le redéploiement des moyens quand l'État, souverainement, prélève 20 milliards de Francs et laisse se développer un colossal endettement. La volonté dérégulatrice des cadres DGT est l'enfant légitime du grand projet entrepris et mené au cours des vingt dernières années. L'autonomie conquise face à l'État par les grands programmes d'équipement ne peut être regagnée face à la Direction du Budget que par l'adoption d'un statut de droit commun.
La logique voudrait donc que le parachèvement du « Grand Projet » passe par la mise sur le marché de l'hybride. Mais une telle issue qui suppose la révision du statut de la fonction publique, la perte de recettes pour l'État, un risque de conflit social majeur et plus encore la nécessité de traiter un problème qui n'est perçu comme ni crucial, ni urgent, peut circonstanciellement être impraticable.

Dès lors l'autonomie que l'entreprise ne peut gagner par la banalisation du statut doit être reconquise au besoin par la réactivation ou la redécouverte du « Grand Projet ». Si l'analyste des politiques sait manifester une grande intelligence rétrospective, il se risque peu à la prévision. Pourtant les exigences de notre modèle nous conduisent à penser qu'à défaut de mettre fin à l'exceptionalité de l'hybride, celui-ci, pour durer et exister face au pouvoir politique, doit se réinventer un grand dessein.

LES VULNÉRABILITÉS NÉES DU PASSÉ
On ne demeure pas, pendant plus d'un siècle, administration d'Etat sans connaître un certain décalage avec les réalités du marché quand on commence à devenir une entreprise. France Télécom en a fait l'expérience depuis qu'elle est devenue, le 1er janvier 1991, un exploitant autonome de droit public. Elle s'est d'ailleurs résolument attaquée à la correction de cette distorsion. Marcel Roulet l'a propulsée vers le marché international et a amorcé la substitution d'une " culture de clientèle " à une " culture de l'usager ".

Cependant, on ne transforme pas l'héritage de cent ans de comportements administratifs en cinq ans. France Télécom, si elle était riche de ses traditions de service public, elle était encore handicapée par certaines conséquences des politiques et des pratiques antérieures.
En ce domaine, on distingue quatre vulnérabilités : l'importance de la dette, le poids des réflexes réglementaires, des charges de retraite asphyxiantes, une grille tarifaire déconnectée de la réalité des coûts.

En 1990, au moment de sa transformation en exploitant autonome, France Télécom traînait une dette dont le montant atteignait 120,7 milliards de francs.Celle-ci dépassait largement son chiffre d'affaires (103 milliards de francs). Le poids des frais financiers (11 milliards de francs) représentait le pourcentage très élevé de 11 % du chiffre d'affaires (3 fois supérieur à celui de BT).
Cette situation très dégradée s'expliquait, essentiellement, par l'obligation faite, depuis 1982, à l'ancienne direction générale des télécommunications, de reverser à l'Etat une partie des bénéfices inscrits au budget annexe des P et T. Ce prélèvement qui a culminé à 18,3 milliards de francs en 1986 avait naturellement suscité de coûteux recours au marché financier pour assurer les investissements. En outre, il convient de rappeler que dans le cadre de la réforme de 1990, France Télécom s'est trouvé substituée à la Caisse nationale des Télécommunications pour le remboursement de ses financements obligataires.
Dans le cadre des engagements pris dans son contrat de plan 1991-1994, l'opérateur a réussi à faire baisser cette dette colossale à 95 milliards de francs fin 1994. Son nouveau contrat de plan (1995-1998) lui impose un objectif de 45 milliards de francs de dette fin 1998, soit un effort 1,7 fois supérieur à celui consenti antérieurement. Il s'agit d'abaisser le ratio frais financiers sur chiffres d'affaires -qui est un important ratio de productivité- pour l'amener au niveau de celui de ses meilleurs concurrents, c'est-à-dire 2 % ou moins. Fin 1994, ce ratio était de 5,6 % à France Télécom.
En 1995, en raison notamment du report sur 1996 de l'investissemennt prévu pour l'entrée au capital de l'allié américain Sprint, l'entreprise a consacré 16,8 milliards de francs à son désendettement au lieu des 3,5 milliards initialement prévus. Il a ainsi ramené sa dette à 78,5 milliards de francs.
Cependant la crainte qu'on peut avoir face à l'ampleur du rétablissement financier -certes indispensable- demandé à l'entreprise publique, c'est que celui-ci soit réalisé au détriment de l'investissement, surtout si les bénéfices ne demeurent pas au niveau de ceux réalisés ces deux dernières années.

D'ores et déjà, l'enveloppe des investissements programmée par le nouveau contrat de plan est de 132 milliards de francs sur la période 1995-1998, contre 150 milliards de francs pour le précédent contrat de plan.
L'importance de sa dette financière entrave donc assez sensiblement les mouvements de l'entreprise.

sommaire

Un autre article L'entreprise publique comme acteur politique : la DGT et la genèse du plan câble
de Edith Brénac, Bruno Jobert, Philippe Mallein, Guillaume Pay en et Yves Toussaint.

1 Définition du champ : le plan de câblage par fibre optique

Nous nous proposons d'étudier l'interaction entre gouvernement et entreprises publiques à travers le cas de la genèse d'une politique publique particulière : le plan de câblage par fibre optique dont le principe a été adopté par le Conseil des ministres du 3 novembre 1982.
C'est un programme d'équipement très ambitieux du point de vue tant technique qu'économique. L'option choisie par le gouvernement français va bien au-delà des réseaux classiques de télédistribution par câble coaxial que l'on peut voir dans certains pays étrangers. Il s'agit, à long terme, d'équiper la France d'un nouveau moyen de communication «point à point » qui, parfaitement interactif, permette une communication à double sens du même type que celle du téléphone. Mais surtout, ce nouvel équipement permettrait d'intégrer les services les plus divers allant de la télématique (transmission de données) à la vidéophonie (téléphone avec images) en passant par toutes les formes de communication audiovisuelle. Un tel réseau implique pour l'État une énorme charge financière, renouvelée pendant de très nombreuses années alors même qu'une très grande incertitude demeure quant au développement possible des usages.
Ce projet, outre ses implications financières et industrielles considérables, dépasse largement l'image que peut en avoir le grand public : la télévision par câble n'est plus guère qu'un prétexte pour un système national intégré et cohérent permettant, dans la logique des PTT du «tout télécommunication », de maîtriser et contrôler dans un réseau unique l'ensemble des formes modernes de transmission.

Cette constatation nous incite à renverser la tendance courante qui consiste à étudier les rapports entre entreprises publiques et gouvernement en termes d'exécution. La question posée ici serait plutôt la suivante : «Quelle est la contribution d'une entreprise publique à l'élaboration d'une politique gouvernementale qui concerne directement son secteur ? ».
Sous cet angle-là, le plan de câblage par fibre optique est un cas exemplaire. En effet, la Direction générale des télécommunications (DGT) est la promotrice du projet et demeure la partenaire essentielle du gouvernement pour sa mise au point et son application. Sa compétence technique et surtout son poids économique — elle dispute à l'EDF le titre de premier investisseur français — lui permettent d'affirmer sa présence dans le champ politique au-delà de ce que son statut d'administration pourrait laisser supposer.
D'autre part, comme pour la plupart des nouvelles technologies de communication, la perspective de la «vidéo-communication interactive » suscite de nombreuses mythologies utopiques ou futuristes et peut sembler être, aux yeux des gouvernants, la réponse adéquate à leurs projets d'informatisation ou de décentralisation en même temps qu'aux objectifs de relance de la croissance économique. Ainsi, ce plan d'équipement, en alliant un projet politique et social à un programme économique et industriel, nous permet de confronter les rhétoriques privilégiées de chacun des deux grands partenaires. De plus, comme il y a simultanément une stratégie particulière de l'entreprise publique et des enjeux globaux que doit gérer le gouvernement, il sera intéressant de vérifier si ces deux dimensions de l'action recoupent le conflit des logiques techniques et politiques, caractéristiques de ces types de grands projets modernistes.

Afin de mieux circonscrire le champ d'investigation, nous entendons privilégier la phase de genèse et d'élaboration de cette politique. Celle-ci commence au début des années soixante-dix par le développement des technologies de la fibre optique issues des laboratoires et les premières expériences de TV communautaire, puis est marquée par l'adoption du rapport Mexandeau en novembre 1982 et se clôt avec la fixation des modalités d'application du plan par le Conseil des ministres du 3 mai 1984.

II. Problématique générale Logique globale - logique sectorielle

Poser le problème de l'adéquation entre les stratégies des entreprises publi¬ques et la politique du gouvernement revient à se demander comment une logique sectorielle, propre à une institution ou à un groupe spécialisé, peut s'accorder avec les mécanismes, les valeurs et les priorités de l'action politique générale contrôlée par les responsables gouvernementaux. Une politique publi¬ que traite toujours, d'une façon ou d'une autre, de ce rapport global/sectoriel (1).
(1) P. Muller, «Schéma d'analyse des politiques sectorielles », Revue française des sciences politique, vol. 35, n° 2, avril 1985, p. 165-188.

Dans une telle perspective, il convient d'analyser comment une institution telle que la Direction générale des télécommunications a été amenée à définir une nouvelle politique, de nouveaux objectifs et peut-être même de nouvelles valeurs pour gérer son secteur. La politique globale y joue-t-elle un rôle important ? Comment enfin cette nouvelle stratégie va-t-elle être acceptée puis restructurée par de nouveaux cercles non spécialisés chargés de la légitimer et d'autoriser sa mise en œuvre ?
En résumé, il s'agit de découvrir quel est le système d'action initial qui a produit ce discours et comment celui-ci a été reformulé lorsqu'il a été repris dans d'autres cercles d'acteurs.

La restructuration du secteur et du système de relation avec le gouvernement
Au-delà de la recherche événementielle, l'analyse doit appréhender à plus long terme les situations et les logiques prévalant tant au sein de l'entreprise publique que dans les cabinets ministériels chargés de ce secteur. Elle est susceptible de faire apparaître une double structuration.
En effet, l'introduction d'une nouvelle technologie telle que la fibre optique au sein du secteur des télécommunications peut entraîner non seulement la modification de sa stratégie, mais aussi, à plus ou moins brève échéance, le bouleversement des modalités et des finalités de son activité même.

La DGT L'entreprise publique comme acteur politique est amenée à prendre en compte la logique et les intérêts des moyens de communication de masse qu'elle pouvait ignorer jusqu'à présent. Elle ne peut, non plus, continuer à complètement négliger les problèmes de contenu comme s'ils ne relevaient pas de sa compétence. Aussi, les critères d'évaluation deviennent-ils nécessairement de plus en plus qualitatifs. D'autre part, ces bouleversements se sont répercutés dans le domaine gouvernemental et l'ont également restructuré : la DGT n'a plus seulement à traiter avec le ministère des PTT, mais aussi, semble-t-il, avec ceux chargés de l'Intérieur, de la Culture, des Techniques de la communication, de l'Industrie.

L'évolution et l'articulation des référentiels
La transformation d'un secteur est aussi nécessairement accompagnée, ou même souvent précédée, par l'évolution du système de valeurs qui le régissait. On verra donc qu'une politique publique de cette ampleur implique un changement de référentiel sectoriel qui sert de trame à la stratégie et au discours de l'entreprise publique concernée. Il conviendra donc d'analyser les conditions de son évolution, de discerner quels enjeux et intérêts nouveaux s'y manifestent et qui les exprime, de déterminer si elle doit plus à la production d'intellectuels précurseurs qu'au changement technologique ou sectoriel.
Mais, pour que la stratégie issue de ce nouveau référentiel sectoriel soit politiquement efficace, il faut que celui-ci s'accorde de façon plus ou moins harmonieuse au référentiel global qui est pris en compte par les autorités gouvernementales.
En particulier, on examinera comment des thèmes tels que ceux de «l'économie informationnelle » ou de la «démocratie interactive », nouvelles mythologies suscitées par les nouvelles technologies, ont été suffisamment puissants pour s'insérer dans le référentiel global en fonction des interpréta¬ tions du lien social qu'ils supposent.

III. Méthodologie


La dynamique interne de la DGT
Il est impossible de comprendre le plan câble si l'on ne prend pas en compte l'évolution, depuis le début des années soixante-dix, du secteur contrôlé par la DGT, et par là même, la transformation du discours de celle-ci.
La DGT doit en effet faire face à une crise sectorielle provoquée par la baisse d'activités résultant de la conclusion du programme téléphone lancé dans les années soixante-dix. Elle est aussi amenée à relever un nouveau défi technique : l'émergence dans le domaine industriel des techniques optiques et électroniques sur lesquelles elle travaille depuis plus de dix ans. L'emploi et toute l'activité économique du secteur se trouvent ainsi doublement mis en cause.
Ces constatations nous conduisent à une première hypothèse : la dynamique interne de la DGT a progressivement remis en cause son propre référentiel sectoriel.
Cette hypothèse peut expliquer, a contrario, la relative passivité de TDF. Isolée par la force du monopole, animée par une faible croissance, insérée dans une logique de la programmation qu'ignore la DGT et surtout gérée comme une administration, Télédiffusion de France n'avait pas la vitalité nécessaire pour répondre aux enjeux que recouvrent les nouvelles technologies d'information et de communication.
A l'opposé, la DGT, à partir d'un groupe restreint d'ingénieurs concepteurs du CNET et sous l'impulsion de sa direction, a su concrétiser ce changement et formuler une nouvelle stratégie sectorielle qui s'est peu à peu imposée. Ainsi, on trouve aujourd'hui la plupart de ces acteurs, autrefois marginaux, à la tête des principaux nœuds décisionnels du plan câble. Il conviendra donc de suivre attentivement la formation de ce groupe et l'évolution de son discours, en se demandant s'ils sont politisés, ouverts à d'autres courants d'analyse, ou s'ils sont, tout simplement, à la recherche d'une nouvelle légitimité professionnelle.

L'impact ambigu de l'alternance politique
Il semble que la gauche, lorsqu'elle accède au pouvoir, n'a pas de programme politique très explicite concernant les nouveaux moyens de communication. On ne peut donc lui attribuer la paternité du plan câble. Il apparaît néanmoins que le gouvernement a favorisé cette décision par une action spécifique.
Face à ce paradoxe, notre hypothèse est que la nouvelle situation politique créée en 1981 a facilité l'avènement du groupe de prospective du CNET.
Si cette supposition s'avère exacte, il reste encore à déterminer à quoi est due cette brusque promotion.
Est-elle purement fortuite et circonstantielle et ne peut-elle être attribuée qu'aux habituelles mutations dont la haute fonction publique est l'objet à l'occasion des changements de majorité ? Ou bien, comme cela est plus probable, correspond-elle à une volonté politique présente de façon plus ou moins isolée au sein du gouvernement ? On peut même se demander s'il n'y a pas eu dès juin 1981 une véritable stratégie ministérielle, élaborée soit par le ministère des PTT, soit par celui de la Culture, plus ou moins en marge de la politique gouvernementale et de la nouvelle idéologie partisane au pouvoir. Dans un tel cas, on reviendrait à notre hypothèse sur les groupes d'intellectuels précurseurs et novateurs : peut-on repérer des groupes ayant accès simultanément à l'entreprise publique et aux cercles gouvernementaux, jouant ainsi un rôle médiateur ? Cette question nous amène d'ailleurs à notre dernière hypothèse de base. Le discours sur la sortie de crise par la communication

Il semble bien, en effet, que le plan Mexandeau adopté par le conseil des ministres du 3 novembre 1982 soit point par point le programme élaboré par la DGT. Seule la volonté présidentielle, qui ne doit en aucun cas être négligée dans l'ensemble de cette politique publique, en particulier avec l'influence de ses conseillers, a modifié ce plan pour souligner les problèmes de contenu posés par la faiblesse des industries de programme. Il n'en demeure pas moins étonnant, que le gouvernement ait ainsi légitimé politiquement le discours sectoriel de la DGT plus ou moins relayé par le ministère des PTT.
Doit-on conclure que les responsables gouvernementaux n'avaient aucune analyse proprement politique à opposer à la logique industrielle et techni¬ cienne de la direction des télécommunications ? Trois éléments devraient nuancer cette conclusion.
Tout d'abord, la DGT semble avoir su habiller habilement ses intérêts sectoriels avec des arguments plus globaux répondant aux problèmes posés par le bouleversement du domaine de la communication. D'autre part, le ministère de la Culture a apparemment formulé une véritable réflexion politique qui se serait à peu près accordée, dans un premier temps, aux grandes lignes du plan proposé. Enfin, facteur vraisemblablement déterminant, la DGT et le gouvernement semblent avoir eu un référentiel commun : la croyance, aujourd'hui de plus en plus répandue, dans la résolution de la crise par le moyen des nouvelles technologies.

IV. L'approche de la grande organisation publique : Fonction de l'élite dirigeante de réserve

La plupart de nos interlocuteurs ont affirmé que le plan câble résultait d'une véritable OPA menée par la DGT (dont la direction avait été renouvelée à l'occasion de l'alternance gouvernementale) tant sur le ministère des PTT que sur le domaine nouveau des technologies nouvelles de communication.
L'analyse plus précise du processus de formulation des politiques montre le rôle crucial d'un petit groupe de promoteurs qui prend en effet les leviers de commande du CNET et de la DGT après mai 1981. Encore faudrait-il se méfier des comparaisons anthropomorphiques qui tendent à prêter à des organisations aussi complexes une sorte de volonté homogène que traduisent les formulations «la DGT a imposé le plan câble », «elle avait la volonté, etc. ». En réalité, il n'est pas possible d'identifier totalement la DGT au groupe qui assure pendant un temps le gouvernement politique de ce grand service industriel.
Ce groupe peut d'abord se définir par touches successives.
• Les chercheurs et ingénieurs qui ont mené les recherches sur la fibre optique — dont les qualités supposées légitiment ce grand pari industriel — n'ont pas été associés de près à cette décision. Autrement dit, la promotion du plan câble n'est pas le simple prolongement d'une logique technique se développant de façon autonome.
• Le groupe de promoteurs recrute ses acteurs principaux parmi les membres de l'élite dirigeante de l'organisation qui ont été mis sur la touche par ceux qui assuraient dans la période précédente le gouvernement de l'entreprise. En effet, la politique précédente avait été marquée par l'ébranlement de la suprématie exercée par le CNET sur l'organisation des télécommunications. Les cadres de production avaient été renforcés ; la politique d'innovation technique devenait l'apanage de nouvelles directions (DAII, DACT) dont le souci était d'échapper à la préoccupation maniaque de sophistication technique imputée au CNET(1). Le traumatisme ainsi infligé au CNET trouvera son expression dans la remise en cause par certains de ses cadres de la politique télématique engagée (Minitel, annuaire électronique). Ces changements induiront pour une fraction de l'élite une mise à l'écart qu'ils mettront à profit pour élaborer dans le cadre de commissions et travaux prospectifs des stratégies infléchissant la politique précédente (2).
Du point de vue de l'analyse des politiques, il est donc important d'abandonner une image monolithique de la grande entreprise publique. Celle-ci est traversée par des conflits d'intérêts qui sont médiatisés par divers groupes rivaux au sein de l'élite dirigeante. Encore faudrait-il circonscrire précisément ceux qui ont accès au débat stratégique dans l'entreprise. A ce niveau, les thèses de Bauer et Cohen (3) sur le pouvoir industriel pourraient être utiles pour préciser l'analyse. L'hypothèse que nous voudrions vérifier serait qu'il ne suffit d'être un cadre même de rang élevé pour y participer. Il y aurait ainsi une rupture entre la technostructure et le gouvernement de l'entreprise. Le fait de la grande organisation serait de maintenir en place, aux côtés de l'équipe exerçant effectivement la direction, des équipes alternatives, mises en réserve au cas où la conjoncture se modifierait. De même que les corps d'inspecteurs de l'État, les grands corps, les services d'études ministériels font fonction de réservoir pour la fraction de l'élite dirigeante qui ne goûte pas au délice des cabinets et des postes à nomination discrétionnaire, de même la grande organisation publique saurait se constituer ces propres réservoirs qui permettraient à l'élite dirigeante en disgrâce de survivre en préparant sa revanche loin des tâches plus routinières dévolues à la technostructure.

(1) Cf. J. M. Charon et E. Cherki, Vélizy ou les premiers pas de la télématique grand public , ministère de l'Industrie, Centre de Prospective et d'Évolution, Paris, 1984, p. 13 et suivantes.
(2) Cf A. Giraud, J. L. Missika et D. Wolton, Les réseaux pensants, Paris, Masson, 1978 ; A. Glowinski, Télécommunications objectif 2000, Paris, Dunod, 1981.
(3) M. Bauer et E. Cohen, Qui gouverne les groupes industriels ?, Seuil, Paris, 1981.

L'entreprise publique comme acteur politique
Cette organisation aura une autonomie d'autant plus grande vis-à-vis des politiques gouvernementales que l'arbitrage entre les factions dirigeantes et les factions de réserve pourra se réaliser au sein même de l'organisation. Tel n'est pas le cas dans la décision qui nous occupe. En effet, chacune des factions rivales a tenté de consolider son pouvoir tissant des liens privilégiés avec le pouvoir politique : le directeur précédent de la DGT avait pu consolider sa position dans le système administratif en s' assurant des relations directes avec l'Élysée. Les équipes rivales avaient elles-mêmes tissé des liens plus étroits avec les partis de l'union de la gauche. Elles ont pu ainsi passer très rapidement aux postes de commande à l'occasion de l'alternance.
Les implications de ces relations entre politiques et élites restent cependant à définir. Il serait sûrement exagéré de voir dans les décisions prises depuis 1981 la simple traduction d'un projet politique global conçu à l'intérieur des partis. Certes, on peut retrouver dans les textes du PS d'avant 1981 des éléments annonçant la politique actuelle (1). Mais il ne semble pas que ceux-ci aient fait l'objet d'un débat substantiel dans aucun des partis qui conquièrent le pouvoir après mai 1981. Ces textes tendent plutôt à donner une légitimité partisane à des perspectives construites et mises au point par une fraction de l'élite dirigeante de la grande organisation. Certes, le succès de l'utopie technique avancée par les promoteurs de la politique du câble doit être imputé également au fait qu'il est en harmonie avec un certain nombre des valeurs des normes que la nouvelle coalition au pouvoir veut promouvoir : l'extension du service public, la défense de l'industrie nationale, la décentralisation. Mais il n'y a pas construction au sein même des partis d'une hégémonie définissant en termes nouveaux l'articulation entre les activités et les intérêts multiples qui s'affrontent sur le terrain de la communication. Le parti est plus une chambre d'échos pour des techniciens-sympathisants qu'acteur construisant une aggregation nouvelle des intérêts autour d'une image globale de l'avenir du pays.

(1) Parti socialiste, bureau exécutif, Orientations générales pour une politique industrielle de F électronique, de rinformatique et des télécommunications, Paris, 11 février 1981.

V. La construction du référentiel sectoriel

Ce qui distingue la technostructure de l'élite dirigeante, c'est la capacité de cette dernière de construire une image de l'évolution future de l'organisation qui soit compatible avec les contraintes extérieures, et avec les principaux intérêts qui s'affrontent en son sein.
Dans le cas du câble, on pourrait montrer comment cette politique prétend concilier :
• Le maintien du plan des charges des industries liées à la DGT par un nouveau programme qui prendrait le relais du téléphone ;
• La recherche d'une compétitivité industrielle externe accrue par l'emploi d'un produit nouveau (fibre optique) ;
• L'affirmation de la position monopolitistique de la DGT sur les réseaux de communication : le modèle du RNIS ;
• La réaffirmation de la place éminente du CNET dans la politique d'innovation.
L'efficacité de cette représentation sectorielle résulte aussi de rencontre avec certaines des préoccupations centrales du politique : emploi, industries nationales, compétitivité, société d'information, réactivation du lien social par l'interactivité.

Cependant, la DGT ne maîtrise directement qu'une partie des éléments permettant de faire la transaction de la logique sectorielle à la stratégie globale :
• Dans le domaine des canaux de communication, elle se trouve en compétition avec TDF qui contrôle les réseaux hertziens et entend plutôt favoriser le satellite, complété éventuellement par un réseau de câble coaxial. Pour contrer cette éventualité, elle est conduite à mettre en valeur les possibilités d'interacti¬ vité de la fibre optique et donc de chercher des appuis auprès de ceux qui entendent promouvoir de nouveaux modèles d'information et de communication ;
• L'alliance entre les ingénieurs et les «saltimbanques », entre les poseurs de tuyaux et les experts qui imaginent d'autres types de services et de programmes devient donc un élément stratégique de la décision.

VI. La recherche d'alliés, la marginalisation des adversaires

De fait, une fois éliminés les verrous juridiques qui s'opposaient à la mise en place de nouveaux moyens de communication (loi sur la communication audiovisuelle), la décision de câblage semble avoir résulté de l'alliance — parfois malaisée — du groupe des promoteurs issus de la DGT, bien relayé au niveau du cabinet du ministre des PTT avec une partie de l'élite dirigeante du ministère de la Culture.
Parmi ceux-ci, un bon nombre avaient eux aussi été mis en réserve de la vie active, notamment dans les services de prospective de l'INA, où ils s'étaient essayés à expérimenter d'autres modalités de la communication audiovisuelle que la télévision hertzienne. Si les difficultés de la programmation locale et de la participation — expérimentées avec les premières tentatives de télédistribution — leur apparaissaient substantielles, ils n'en étaient pas moins convaincus de la nécessité de préserver au maximum les possibilités de développement des industries françaises de programmes et de continuer à explorer les possibilités de développer des services interactifs. C'était par ce biais de la promotion des industries culturelles qu'il était enfin possible de sortir le ministre de la Culture de son statut marginal de tuteur des beaux-arts : pour sortir de la crise, «l'impératif culturel » devenait le complément nécessaire de «l'impératif industriel » (1).

(1) Commissariat général du Plan, L'impératif culturel, rapport du groupe long terme «culture », préparation du IXe Plan, Documentation française, Paris, 1983, 140 p.

De ce point de vue, l'alliance avec les ingénieurs du câble paraissait une stratégie fructueuse. Elle se résumait dans cette formule lapidaire : « 1 F pour les tuyaux, 1 F pour les programmes ». Il s'agissait de faire en sorte que le vaste plan d'investissement physique prévu par la DGT soit complété par un effort du même ordre dans le domaine des industries de programmes.

Le plan câble paraissait plus riche de promesses que la solution alternative proposée par TDF qui consistait à faire fond sur le développement des satellites avec diffusion hertzienne ou par câble coaxial et sans préoccupation de programme national. Le satellite en effet pouvait se présenter comme un «gigantesque arrosoir » à partir duquel l'industrie mondiale des programmes pourrait couvrir de ses produits standardisés l'ensemble du territoire français. La possibilité de relancer par son entremise une industrie nationale des programmes serait donc beaucoup plus limitée qu'une extension progressive du câblage qui garantirait le développement d'une programmation locale conséquente. L'alliance des ingénieurs et des saltimbanques se forge donc autour de l'idée d'une stratégie associant les collectivités locales à l'expérience et favorisant l'essor d'une production nationale et locale de programmes. C'est en effet la coalition des forces issues des ministres de la Culture, du Plan et des PTT qui va emporter la décision du plan câble en novembre 1982 après une série de groupes de travail et de réunions interministérielles.

Durant cette phase, la principale opposition à ce projet est venue de TDF. Pour les ingénieurs de TDF, le plan câble représentait une menace mortelle pour leur autonomie.
Le plan câble réveillait en effet une vieille querelle ; depuis plusieurs décennies TDF avait conquis son autonomie technique en aménageant par ses soins les réseaux hertziens utilisés par la radio et la télévision publique. Cela était perçu comme une conquête majeure par les ingénieurs de TDF et comme une anomalie agaçante par la DGT. Or le plan câble en fibre optique devrait permettre à terme d'intégrer en un seul système l'ensemble des réseaux de communication et par là même rendre caduque l'autonomie de TDF.
A l'inverse le satellite relayé éventuellement par un réseau de télédistribution en câble coaxial permettait de consolider l'indépendance de cet organisme. On s'explique donc que la phase précédant l'adoption du plan câble fut l'occasion d'un affrontement très rude entre la DGT et TDF.

Cependant l'affrontement de ces deux institutions tourne rapidement à l'avantage de la DGT. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution : tout d'abord l'équation politique de TDF n'était pas favorable. Le président de son conseil d'administration avait été nommé par l'ancienne majorité et ne disposait pas d'une influence puissante sur les sphères politiques. D'autre part, les sociétés de programmes de l'ex-ORTF qui siègent dans son conseil d'administration avaient plutôt tendance à freiner tout projet de télédistribu¬ tion qui aurait inévitablement entamé leur monopole. Enfin, le secrétariat d'État à la Communication, ne semble pas avoir disposé de l'expertise et de l'influence lui permettant de jouer un rôle d'arbitre dans la décision.
La configuration de la scène politique où se joue le programme étudié présente un certain nombre de caractéristiques que nous pouvons maintenant présenter.
On peut d'abord la caractériser par l'absence d'un certain nombre d'acteurs dont on aurait pu raisonnablement envisager la participation active.

Ainsi on aurait pu penser que les chercheurs du CNET qui ont le plus contribué aux travaux sur la fibre optique seraient associés à des choix qui reposent largement sur les capacités actuelles ou futures de ce matériau nouveau; jusqu'à nouvel ordre, nous n'avons pas trouvé trace de leurs implication directe active dans la préparation du plan câble.
De même il peut sembler paradoxal qu'un pari industriel de cette ampleur ait pu être effectué sans consultation intensive et suivie des entreprises qui devront par la suite le prendre en charge. Il est prématuré de tirer actuellement des conclusions définitives de cette première impression. Si cette hypothèse se confirme nous nous trouverions ici devant un modèle original de politique industrielle impulsée et conçue par l'élite dirigeante d'un grand service public.
Enfin, les collectivités locales sur lesquelles reposera en fin de compte la tâche de gérer le système n'ont pas été aucunement consultées ni associées à la décision.
Ainsi certains des acteurs dont la conduite sera déterminante pour la mise en œuvre de ces politiques n'ont pas été associés de façon substantielle à sa formulation. Tout se passe comme si un petit groupe de promoteurs avait tenté d'obtenir un engagement irréversible de l'État avant d'ouvrir le jeu à d'autres partenaires. Mais cette opération de commando pourrait bien se solder par une victoire à la Pyrrhus. On peut se demander si ce grand monopole qu'est la DGT saura faire preuve de la capacité de souplesse et de négociation pour réussir dans un domaine où la concurrence reste vive.

VII. Les limites de la stratégie du coup parti

Si l'on situe cette décision par rapport à d'autres décisions lancées récemment dans le même domaine, on a l'impression que la communication ne s'est pas encore constituée comme un secteur de la politique gouvernementale. Il s'agirait plutôt d'une jungle. Ce qui fait en effet une politique sectorielle constituée, ce serait la domination par un centre intellectuel et politique d'un champ nettement délimité d'activités. Dans le cas qui nous occupe c'est l'absence d'un centre s'appuyant sur une représentation cohérente du secteur qui est frappante. Chacune des grandes organisations publiques ou privées présentes dans le domaine essaye de faire évoluer à son avantage les possibilités nouvelles offertes par les techniques modernes de communication. Chacune semble être parvenue à obtenir un accord de principe des gouvernements qui ont lancé simultanément satellite, câble, télévision à péage, télévisions privées, etc. Les arbitrages différés au niveau de la formulation se réalisent maintenant silencieusement, par ajustements successifs au niveau de la mise en œuvre. Mais à cette étape, pas plus qu'aux précédentes, on n'a l'impression de se trouver en face d'une politique des communications appuyée sur une stratégie à long terme, mise en place par une élite cohérente, capable de définir les arbitrages nécessaires.

Les grandes entreprises politiques sont suffisamment puissantes pour faire prévaloir leurs vues dans la formulation des politiques gouvernementales les concernant. Il en résulte une superposition de politiques gouvernementales dont la coordination paraît problématique en l'absence d'un centre exerçant une véritable hégémonie sur ce secteur en voie de constitution.

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Entre la création de France Télécom et sa privatisation, seize années se sont écoulées.

France Télécom, créé en 1988 à partir de la Direction Générale des Télécommunications qui dépendait de l’administration des PTT, devient un établissement public à gestion autonome en 1991, puis une société anonyme en 1996.
La même année, Deutsche Telekom, issue des PTT allemands, est privatisée.
Dans les pays concernés par ces évolutions des agences de régulation sont créées pour permettre à de nouvelles entreprises d’apparaître et d’introduire une véritable concurrence sur les nouveaux marchés comme le mobile ou encore Internet.

Le processus a donc été long, mais ce fut, pour les gouvernements successifs, le prix à payer pour que la transformation se fasse sans heurts majeurs, sans mouvements sociaux importants. Ainsi, c'est en 1988 que l'opérateur est fondé, remplaçant l'ancienne Direction générale des télécommunications (DGT). Trois ans plus tard, France Télécom obtient son autonomie de gestion. Et, en 1996, l'opérateur voit son statut transformé en société anonyme afin de préparer l'ouverture à la concurrence des télécommunications et une introduction en Bourse. Celle-ci aura lieu, en grandes pompes à Paris, dès octobre 1997.
Mais il faudra attendre septembre 2004 _ et la fin des déboires liés aux 100 milliards d'euros d'acquisitions de l'année 2000 _ pour que l'Etat baisse sa participation au capital en dessous de la barre des 50 %. Au prix de l'inscription dans la loi du statut des fonctionnaires de France Télécom, afin d'apaiser les inquiétudes des salariés. Aujourd'hui, l'Etat ne détient plus que 27,4 % du capital de France Télécom, et près de 70 % des salariés bénéficient toujours du statut de fonctionnaire.

En comparaison, les transformations vécues par EDF et Gaz de France apparaissent plus brutales. En l'espace de cinq ans, les deux entreprises et leurs salariés auront eu à absorber la libéralisation de leurs marchés, un changement de statut, la réforme de leur régime de retraite, l'ouverture de leur capital et même, pour GDF, une privatisation préfigurant son rapprochement avec Suez. Cette profonde mutation, l'électricien et le gazier l'ont finalement assez bien digérée.

Cette évolution essentielle pour l'avenir de France Télécom doit tenir compte de la situation tout à fait particulière qui résulte de l'histoire exceptionnelle de cette entreprise. Au terme des évolutions qui viennent d'être rappelées, le groupe emploie en effet 240 000 personnes, dont 106 000 sont des fonctionnaires, lesquels sont pour la grande majorité en position d'activité dans l'entreprise et constituent plus de 86 % des effectifs de la maison mère France Télécom SA.
A cet égard, la situation de France Télécom est sans équivalent, puisque aucune société n'emploie en France des fonctionnaires en si grand nombre, ni dans une telle proportion. Cette situation est transitoire, puisque la loi du 2 juillet 1990 ne permet plus à France Télécom de recruter de fonctionnaires depuis le 1 er janvier 2002. Mais elle restera longtemps exceptionnelle, puisque un quart des agents fonctionnaires devraient encore être présents dans l'entreprise à la fin de l'année 2018, et que les derniers ne devraient pas la quitter avant 2035. La situation de France Télécom a donc vocation à être évaluée au 1 er janvier 2019, en vue, le cas échéant, d'adapter les conditions d'emploi des fonctionnaires de France Télécom à la situation de l'entreprise et aux exigences d'une bonne gestion des corps auxquels ceux-ci appartiennent.
Une société cotée, à l'implantation mondiale, dans un environnement totalement concurrentiel, aujourd'hui attributaire par la loi de missions de service public et employant plus de 100 000 fonctionnaires dont les derniers ne devraient pas la quitter avant 2035 : telle est la situation tout à fait particulière de France Télécom, qui appelle une solution nécessairement exceptionnelle.
Il convient également de tirer les conséquences de la crise financière que, comme la plupart des grands opérateurs de télécommunications, France Télécom a traversée au cours des années 2000 à 2002, et dont l'obligation d'une détention majoritaire par l'État du capital de France Télécom a été un des facteurs.
Plus généralement, l'approfondissement de la concurrence et les évolutions technologiques et stratégiques à venir dans le secteur européen des télécommunications impliquent que France Télécom soit placée dans un cadre juridique aussi proche que possible de celui de ses concurrents.

Ce sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement souhaita mettre fin à l'obligation de détention majoritaire publique du capital de France Télécom, qui est l'un des derniers opérateurs de télécommunications européen à appartenir au secteur public.

Pour l'ensemble de ces évolutions nécessaires, le Gouvernement s'est fixé deux principes essentiels.
- Le premier, c'est de garantir la continuité du service public des télécommunications qui est rendu aux Français. Les modifications qu'il est proposé d'apporter au code des postes et télécommunications et à la loi du 2 juillet 1990 relative au service public de la poste et des télécommunications, en application de la législation communautaire, garantissent que l'ensemble des missions de service public qui sont aujourd'hui attribuées par la loi à France Télécom seront maintenues ; seul leur mode d'attribution, par le recours à un mécanisme transparent et ouvert, sera modifié.
- Le second principe que s'est fixé le Gouvernement est d'assurer la plus grande continuité dans le statut des personnels qui resteront fonctionnaires de l'entreprise. Les agents fonctionnaires qui le souhaiteront se verront proposer par l'entreprise un contrat de travail de droit privé sur la base d'un emploi et d'une rémunération au moins équivalents aux leurs ; tous ceux qui ne feront pas usage de cette faculté conserveront leur statut de fonctionnaire, ainsi que l'ensemble des garanties fondamentales, des droits et des obligations qui y sont attachés. Les dispositions principales du statut de la fonction publique leur demeureront, comme aujourd'hui, applicables.

Dans le respect de ces deux principes, le projet de loi contient un certain nombre de dispositions qui permettront d'harmoniser les relations de France Télécom avec ses agents fonctionnaires et contractuels, et qui sont de nature à renforcer la cohésion des personnels de l'entreprise et à placer France Télécom dans une situation plus proche de celle des autres opérateurs de télécommunication.
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