Les sociétés de téléphonie Françaises 1877-1985.
Restructurations des groupes français de l'électronique de 1974 à 1981.

1877 La Société Anonyme des Téléphones Bell
C’est la première société de téléphonie créée en France par Cornélius Roosevelt au mois de décembre 1877. Son siège social est situé au 1, rue de la Bourse, à Paris. Cornélius Roosevelt né à New York est le cousin du futur président des Etats-Unis, il est prié par son père, un riche banquier, de s’exiler pour son comportement « excentrique » ! Il choisit Paris où il vit grâce à une généreuse rente versée par sa famille.
Il s’intéresse au téléphone dès son arrivée à Paris et achète, auprès d’Alexander Graham Bell, le droit exclusif de construire et d’exploiter le hand telephone en France. Il en confie la fabrication à la Maison Breguet.

1878 La Société du Téléphone Edison est fondée le 5 décembre à l’initiative de Théodore Puskas représentant des intérêts de Thomas Edison en Europe. C’est la deuxième société de téléphonie créée en France.
A l’âge de 21 ans Puskas immigre en Angleterre puis aux Etats-Unis où il sympathise avec Thomas Edison. En février 1878, il introduit le phonographe en Europe puis décide de s’installer à Paris. Après l’exposition universelle de 1878, il se rapproche de Josuah Franklin Bailey qui représente les intérêts d’Elisha Gray. Les deux hommes s’associent avec Georges Alexis Godillot qui leur amène le capital nécessaire pour créer la nouvelle société. En contrepartie, ce dernier impose un de ses jeunes ingénieurs, Louis Alfred Berthon, pour le poste de directeur technique. La société A. Berthon et Compagnie, dite Société du Téléphone Edison, a pour objet « l’exploitation des brevets français apportés à la Société pour les téléphones parlants et leurs accessoires ».
La société obtient le 8 septembre 1879 l’autorisation d’exploiter un réseau téléphonique à Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Nantes et Lille, mais, dans un premier temps, elle choisit de concentrer ses efforts sur Paris. Le siège social est situé au 45, rue de l’Opéra, à Paris. La compagnie installe chez ses abonnés le téléphone à pupitre imaginé par George Phelps : les récepteurs sont des Phelps, le microphone à charbon est celui d’Edison. Les téléphonistes du bureau central sont équipés du premier combiné introduit en France par l’Américain Brown. Au mois de mars 1880, 24 abonnés sont raccordés et 150 ont signé une promesse d’abonnement.

1879 La Société Française de Correspondance Téléphonique est fondée à Paris, au mois de septembre, par Léon Soulerin. Dès 1877, il s’intéresse au téléphone et devient le vice-président de la Chicago Telephonic Exchange. Il rejoint alors la France et obtient une concession pour exploiter le téléphone dans la ville de Paris le 23 juillet 1879.
La Société Française de Correspondance Téléphonique, dont le siège social s’établit au 7, avenue de l’Opéra, a pour but « L’établissement de lignes téléphoniques servant à mettre en rapport entre elles les personnes habitant Paris avec le reste du département de la Seine et de la Seine-et-Oise ». Le système exploité par Léon Soulerin est le récepteur de Bell et le transmetteur microphonique de Francis Blake, un Américain qui vient de faire breveter son système et de le vendre à la Bell Telephone Company. Grâce à une communication habile et une redevance d’abonnement nettement moins chère que ses deux concurrents, la société dispose de 120 souscripteurs à la fin de 1879. Mais Léon Soulerin ne réussit pas à installer un bureau central capable de relier ses futurs abonnés . La Société Anonyme des Téléphones Bell est présente à l’exposition universelle de 1878, là où Cornélius Roosevelt rencontre Frederic Allen Gower et que les deux hommes décident de travailler ensemble pour fonder la Compagnie du Téléphone Gower à l’été 1879.

1880 la Compagnie des téléphones est constituée avec un capital de 5 millions de francs pour exploiter les brevets d'Edison, de Gray et de Breguet. Le Conseil d'administration est présidé par le riche banquier Amédée Jametel (frère du sénateur) et constitué de la Banque franco-égyptienne, Après un désaccord entre ses fondateurs, la Société du Téléphone Edison est dissoute et se transforme en Société Française des Téléphones, système Edison et autres, le 27 mars 1880. Elle est fondée à partir de l’ancienne Société du Téléphone Edison .
Au mois d’octobre 1880, 240 abonnés sont raccordés et 330 sont en attente de construction ; le bureau central est situé au 45, avenue de l’Opéra, et deux bureaux auxiliaires fonctionnent.
La société installe chez ses clients l’appareil à pupitre Edison-Phelps mais reçoit de nombreuses plaintes du fait du fonctionnement très délicat du microphone Edison qui demande de fréquents déplacements chez les clients pour le remettre en état.

1880 Un projet de fusion de la Société Française des Téléphones avec la Compagnie des Téléphones est signé le 16 août, officialisée par les assemblées générales extraordinaires des 7 et 30 octobre 1880. 1881, la compagnie devient la Société générale des téléphones (SGT).
La SGT exploite le réseau téléphonique de villes françaises jusqu'à la nationalisation de son réseau téléphonique le 16 juillet 1889.
Elle se concentre alors sur la fabrication industrielle d'équipements téléphoniques.
Elle possède la quasi-totalité des brevets déposés en France dans les domaines de la téléphonie. Pour son réseau de Paris, elle choisit dans un premier temps le système Edison et abandonne le système Gower. Pour ses réseaux de province, elle conserve le transmetteur Crossley.
A partir de 1881, la société travaille avec Clément Ader qui lui donne l’exclusivité de son microphone à charbon extrêmement simple et fiable, inspiré des travaux de John Crossley et une nouvelle gamme d’appareils téléphoniques.
En 1884, Alfred berthon, ingénieur en chef de la société, propose un nouveau microphone à grenaille de charbon largement inspiré d’un brevet de Golubitski, racheté par la Société Générale. En associant un récepteur Ader, il crée le premier combiné téléphonique français. En remerciement de ses services, il est nommé directeur de la société en 1889.
En 1884, la société bénéficie d’un renouvellement de la concession accordée par le ministre des Postes et Télégraphes pour exploiter les réseaux téléphoniques urbains, mais la concurrence devient rude car le service des Lignes Télégraphiques de l’État se met à construire également des réseaux téléphoniques urbains et des liaisons interurbaines .

1882 Thomson-Houston Electric Company est fondée sur la base de la fusion de la société American Electric Company d'Elihu Thomson et des intérêts d'Edwin J. Houston ... Voir la page Thomson-Houston

1884 la Compagnie générale de constructions téléphoniques participe à l'installation des premiers centraux publics, en réalisant notamment ceux de Bordeaux et de Lyon. LA CGCT n'a pas seulement été l'une des plus anciennes Sociétés de l'Industrie Téléphonique Française, on lui doit aussi d'avoir apporté dans cette trancbe des créations d'une grande valeur technique : Strowger, R6 ... Voir la page CGCT

1885, alors que se développe en France les réseaux télégraphique et téléphonique, la société Grammont deviendra la Société des Téléphones Grammont ... Arrivera: la SAGEM et la Société Anonyme des Télécommunications (SAT) ... Voir la page Grammont

1889, le téléphone est nationalisé et l’État rachète à la Société Générale l’ensemble de ses réseaux. Elle se recentre alors sur la construction d’appareils téléphoniques et de câbles. Elle se transforme.

1889 LMT est crée par G. Aboilard pour exploiter les brevets de AT&T : Voir la page LMT

Décembtre 1893 la Société Industrielle des Téléphones (SIT) est créée suite à la fusion des usines de câbles et caoutchouc Menier et de la Société Générale des Téléphones. Son capital est de 18 millions de francs et son siège social est situé au 25, rue du 4 septembre, à Paris. Elle possède la quasi-totalité des brevets en matière de téléphonie : Gower, Edison, Blake, Crossley, Ader…
La SIT fabrique à Bezons des câbles électriques et des chaussures en caoutchouc, à Levallois-Perret de l’appareillage électrique, à Calais des câbles sous-marins, à Paris du caoutchouc manufacturé sous toutes ses formes, de l’ébonite, des appareils télégraphiques, des téléphones, des sonneries et du matériel d’éclairage électrique.
Le nouveau directeur technique de la rue des Entrepreneurs à Paris, spécialisée en téléphonie, est Gérard Bailleux. Celui-ci met rapidement au point un nouveau transmetteur à grenaille à base de parcelles d’anthracite concassées. Il équipe bientôt une nouvelle gamme de téléphones de luxe : « Le transmetteur vertical porte une embouchure permettant de parler à voix basse, même à grande distance, et les récepteurs sont munis d’une poignée évitant la fatigue dans les conversations un peu longues ».

1896 , l’Association des ouvriers en instruments de précision (AOIP) est une coopérative ouvrière de production française ... Voir la page AOIP

1911 La filiale française d'Ericsson, la Société Française des Téléphones Ericsson (STFE), est créée et l'année suivante, l'usine de la société sur 7000 m². est achevée à Colombes, en banlieue parisienne ... Voir la page STFE

1919, Aaron Weil, provenant du commerce des cuirs et des peaux où il a fait fortune, rachète TELIC cette société qui devient Le téléphone privé, et se lance dans la production.L'entreprise est en pleine croissance, et prend le nom de TELIC Téléphonie Industrielle et Commerciale, fusionnant la vente et la production... Voir la page TELIC

1920 LTT était une société française fondée Quatre actionnaires fondateurs se partagent, à parts égales, le capital social de 10 millions de francs.
- la Compagnie Française pour l’exploitation des procédés Thomson – Houston
- la Compagnie Générale des Câbles de Lyon
- les Tréfileries et Laminoirs du Havre
- la société LMT Le Matériel Téléphonique filiale de la holding américaine ITT.
...
Voir la page LTT

1928 est créée la Société Alsacienne de Construction Atomique, de Télécommunications et d’Electronique spécialisée dans la conception et la fabrication d’équipements de télécommunications : ALCATEL.

1936 la SIT disparaît, rachetée par la Compagnie Générale d’Électricité (CGE) .

1946 la CGE crée la Compagnie Industrielle des Téléphones (CIT) qui va négocier, Plan Marshall oblige, avec l’américain AT&T les licences et brevets pour les télécommunications.

1959, une entreprise partenaire des PTT, la SO.CO.TEL : Société mixte pour le développement de la Commutation dans le domaine des Télécommunications... Voir la page SOCOTEL

1970, suite au 5ème Plan, la Compagnie générale d'électricité (CGE) absorbe Alcatel et la fusionne avec CIT pour former CIT ALCATEL.

1985 CIT ALCATEL absorbe Thomson Télécommunications et devient Alcatel.
Elle reçoit aussi les apports de la division commutation publique de Thomson CSF Téléphone et de la branche équipements de transmission de LTT.

sommaire

1974-1981 Restructurations des groupes français de l'électronique.

Jocelyne BARREAU Jean LE NAY. Groupe d'Etudes sur les Systèmes Industriels (Université de Rennes I)

Quelques mois après la nationalisation des grands groupes de l'électronique alors que le gouvernement issu des élections du 10 mai 1981, définit une politique de filière dans cette branche, une analyse systématique des stratégies menées par les grandes entreprises françaises de l'électronique pourrait permettre d'éclaircir le débat, en présentant un bilan et en dégageant des perspectives.
Cet article s'inscrit dans cette optique. Il vise à analyser la stratégie mise en œuvre par les quatre grands groupes français de l'électronique : Thomson - Brandt - la CGE. - Saint Gobain et Matra, à partir des opérations de restructuration effectuées de 1974 à 1981.

Les restructurations constituent en effet un puissant révélateur de la stratégie mise en œuvre : elles expriment les alliances nouées, l'évolution de la place dans la DIT, l'ampleur des diversifications, et, tout particulièrement dans l'électronique, le poids des interventions de l'Etat.
Nous verrons que la logique des restructurations a été très variable d'un groupe à l'autre, que l'ensemble industriel qui en découle en 1981 est disparate, en position difficile dans des activités jugées décisives pour l'avenir, orienté vers des alliances nord-américaines, technologiquement dépendant (informatique, composants...). La stratégie mise en œuvre correspond globalement à une politique de créneaux et non de filière.

Quels enseignements peut-on tirer de ce bilan ? Un plan cohérent et offensif doit rapidement voir le jour, qui suppose une volonté politique, des moyens économiques et une redéfinition du rôle et des partenaires de chacune des quatre grandes entreprises concernées.
Dans un premier point nous caractériserons les stratégies de restructuration fort distinctes, mises en œuvre par chaque groupe.
Nous verrons ensuite que ces stratégies s'expliquent essentiellement par la place des groupes dans la Division Internationale du Travail d'une part et par l'intervention des pouvoirs publics d'autre part.
Nous conclurons sur les perspectives ouvertes par les nationalisations.

I. - Opérations de restructuration et stratégies mises en oeuvre par les grands groupes français de l'électronique

Caractérisons brièvement les stratégies des quatre groupes.
1.1. La stratégie de CGE (1)
Certains observateurs accusent la CGE de « préférer la finance à l'industrie » (2). Les préoccupations financières ne sont certes pas absentes de la stratégie du groupe CGE ; cependant un examen attentif de son comportement nous conduit à affirmer qu'il mène une stratégie industrielle caractérisée par la volonté de renforcer ses positions dans ses principaux secteurs d'implantation, de s'assurer une forte part des marchés prometteurs (télématique et bureautique, énergies nouvelles et économies d'énergie), de réduire le poids des marchés publics dans le chiffre d'affaires global, de préserver son indépendance technologique
1.1.1. Renforcement des positions acquises dans les secteurs traditionnels d'implantation.
Pour renforcer ses positions dans les secteurs traditionnels d'implantation (câbles, commutation téléphonique, énergie...), le groupe CGE a procédé à des opérations de concentration horizontale (les Câbles de Lyon absorbent les Laminoirs Trefileries de Lens en 1979 ; CIT Alcatel acquiert la majorité de l'activité « commutation publique » de l'AOIP en 1979), et à des opérations de diversification géographique (CIT Alcatel prend le contrôle de la société américaine de commutation électronique privée, RCPC, en 1974 puis crée la filiale américaine TSS dans le domaine de la commutation publique en 1979 ; les Câbles de Lyon prennent le contrôle de la société grecque Chandris Câbles en 1980,...).
1.1.2. Pénétration dans les branches d'avenir
Le « Plan pluriannuel de promotion et de développement 1979-1983 » élaboré par le groupe CGE prévoit de lui assurer une forte part des marchés d'avenir, « économies d'énergie et énergies nouvelles » (avec un chiffre d'affaires de 2,5 milliards de francs prévu pour 1985), « télématique et bureautique » (avec un chiffre d'affaires de 12 milliards de francs prévu pour 1983). Le groupe CGE prévoit d'occuper 4 % du marché mondial dans le secteur bureautique et télématique en 1983. Ce chiffre reflète mal les ambitions de la CGE qui compte réaliser de bien meilleures performances sur quelques créneaux : traitement du courrier, commutation-messagerie, service informatique, exploitation des banques de données. Dès maintenant, GSI, filiale spécialisée dans le service informatique, occupe le premier rang en France et en Europe grâce à de nombreuses opérations de restructuration : prises de contrôle de Fidutec et de la société allemande Datei en 1974, de STAD en 1975, de la société britannique CRC et de la société américaine Transcomm en 1977, de Natel en 1978, de la société espagnole Sevesco et de la société belge Interdata Benelux en 1979, de la société britannique Jaserve en 1981. De même, la filiale Société des Machines Havas, spécialisée dans les machines à affranchir, occupe actuellement le deuxième rang mondial après l'absorption de la société américaine Friden Mailing Equipement en 1979 et de la société britannique Roneo Vickers en 1980.

(1) Le groupe CGE réalisait en 1974 un chiffre d'affaires de 15 905 millions de francs avec un effectif de 132 000 et en 1980 un chiffre d'affaires de 45 782 millions avec un effectif de 179 000. Le chiffre d'affaires étranger représente en 1980, 30,8 % du chiffres d'affaires total (contre 26,8 en 1974). Le secteur « télécommunications » et informatique intervient pour 18, 2 % dans le chiffre d'affaires total en 1980 (les « télécommunications » intervenaient pour 19 % dans le chiffre d'affaires total en 1974).
(2) Le Nouvel Economiste, 3.12.79, page 62.

1.1.3. Tentative de désengagement vis-à-vis des marchés publics
Les dirigeants de la CGE expriment clairement leur volonté de diminuer leur dépendance à l'égard des marchés publics en juin 1976 (discours d'Ambroise Roux, rapport d'activité 1975). Ceci implique une diversification sectorielle (ainsi le développement du secteur télématique et bureautique correspond effectivement au souci de pénétrer sur un marché en pleine expansion mais, également, au souci de restreindre la part de la clientèle PTT dans le chiffre d'affaires de CIT Alcatel) et une diversification de la clientèle. Le groupe CGE va fournir un effort important pour développer ses ventes à l'étranger (marchés nord-américain et européen) et auprès de la clientèle privée française.
La CGE tente d'investir le marché nord-américain aussi bien dans ses secteurs d'implantation traditionnels (opérations RCPC et TSS en commutation) que dans ses nouveaux secteurs d'implantation : en 1979, absorption de la société américaine Friden Mailing Equipment spécialisée dans les machines à affranchir ; en 1980, création d'Alta Technology par la filiale CGA du groupe pour adapter les terminaux de paiement CGA au marché américain et les commercialiser, signature d'un accord entre Telic et la société américaine Source Telecomputing, pour la commercialisation du terminal annuaire développé par Telic. Par ailleurs, l'absorption de la société britannique Roneo Vickers doit fournir à la CGE un bon réseau pour la commercialisation des produits du secteur télématique et bureautique puisque Roneo Vickers possède un fichier de 500 000 clients surtout localisés en Europe du Nord (3).
Pour développer ses ventes auprès de la clientèle privée française, CGE améliore les services rendus à la clientèle et développe son réseau commercial. L'exemple du secteur téléphonie privée est, à cet égard, révélateur : en 1974, création de deux filiales, Electrobail spécialisée dans les opérations de leasing, SLET société de location d'équipements téléphoniques privés ; en 1976, création de GST, générale de services téléphoniques, à la suite de la prise de contrôle de trois sociétés d'installation téléphonique, accroissement significatif de la taille de GST à la suite de nouvelles opérations de prise de contrôle en 1978 ; en 1979, création de « la téléphonie industrielle et commerciale », société chargée de commercialiser les produits de Telic et de CIT Alcatel. Dans un autre domaine, les biens grand public, la prise de la participation de 34 % au capital de Locatel en 1979 fournit au groupe CGE un réseau de 1 000 points de vente.

(3) Le Nouvel Economiste, 22.9.1980.

1.1.4. Le souci de préserver une indépendance technologique
Le groupe CGE a constamment manifesté le souci de préserver son indépendance technologique. Certaines opérations d'intégration trouvent leur justification dans cet objectif : en 1977, CIT Alcatel absorbe la division commutation de Cil HB pour s'assurer la maîtrise du calculateur spécialisé développé pour les centraux électroniques de grande capacité et qui en constitue le composant essentiel, en 1980 CIT Alcatel acquiert la société américaine Semi Process Inc, spécialisée dans certaines technologies de circuits intégrés adaptées aux télécommunications.
Lors de tout accord avec des groupes étrangers et en particulier lors de la création de filiales communes, CGE apporte sa technologie et tente de garder la maîtrise des centres de décision (accords croisés conclus par exemple en 1977 par Havas Satas Adress, Adressograph-Multigraph et Roneo Vickers).
Quand le groupe CGE doit se procurer une technologie absolument nouvelle, il achète une licence puis développe des produits originaux sur cette base. Ainsi, en 1971, le département Transac de la CGE achète à la société américaine Incoterm une licence pour la fabrication d'un distributeur automatique de billets. En 1975, grâce à un effort très important en recherche et développement (il atteint 1 5 °/o du chiffre d'affaires en 1980 contre une moyenne de 8 % dans l'ensemble de la branche), Transac est en mesure de céder à Incoterm la licence d'un guichet automatique très performant (4).
(4) Electronique Actualités áu 17 octobre 1975.

1.2. La stratégie de Matra (5)

Tout comme CGE, Matra mène une politique active de diversification pour réduire la part du secteur militaire dans son chiffre d'affaire global ; Matra pénètre sur des marchés en pleine expansion et mutation technologique, tout en essayant de préserver le caractère « entreprise de matière grise » de la société mère du groupe. Matra, cependant n'est pas un groupe aussi puisssant que CGE. Encore fortement dépendant des marchés militaires (45 % de son chiffre d'affaires en 1980), Matra ne peut déployer sa stratégie sans tenir compte des pressions exercées par les pouvoirs publics français.

1.2.1. Pénétration sur des marchés en pleine expansion et mutation technologique
Matra a choisi de pénétrer sur des marchés en pleine expansion et mutation technologique : télématique et communications, systèmes informatiques, conception assistée par ordinateurs,... Au cours de l'année 1978, Matra répond à de nombreux appels d'offre des PTT et mène l'étude et la réalisation de prototypes au sein de sa division « communications » (250 personnes en 1979, dont 40 % d'ingénieurs et cadres). En 1979, Matra se dote des moyens industriels nécessaires aux fabrications de série : prise de participation majoritaire au capital de la société Peritel, première société européenne de la péritéléphonie en mai 1979, prise de contrôle de trois sociétés du groupe Depaepe (principales sociétés françaises dans la fabrication de postes téléphoniques et d'intercoms) en juillet 1979.
Matra ne se contente pas de fournir le « matériel » de communication (terminaux videotex, télécopieurs, satellites de communication,...) son ambition est de bâtir un vrai groupe de communication (6) en fournissant également les « services » (radio, presse écrite, films, éventuellement programmes de télévision,...) Ainsi s'expliquent la participation de Matra dans Europe 1. (portée à 16 % en novembre 1980) et la prise de participation au capital de la librairie Aristide Quillet, éditrice du quotidien, « les Dernières Nouvelles d'Alsace », en avril 1980, puis la prise de participation au capital de la librairie Hachette, premier groupe français de presse et de l'édition en décembre 1980.
Dans le domaine des systèmes informatiques, Matra Informatique (filiale commune créée en 1977 par Matra et le groupe américain TRW pour le développement et la commercialisation de systèmes informatiques pour la saisie et le traitement des données) annonce en mai 1980 son entrée dans la bureautique, le traitement de texte et la recherche documentaire, le courrier électronique, la gestion des télex. Matra Informatique prévoit de réaliser un chiffre d'affaires de 400 millions de francs en 1983. Enfin, Matra qui pénètre dans le secteur de la conception assistée par ordinateur en prenant le contrôle de la firme Datavision en 1980, prévoit un chiffre d'affaires de 200 millions de francs dans ce secteur en 1985.

1.2.2. Volonté de garder à la société mère son caractère d'« entreprise de matière grise ».
La volonté de pénétrer sur des marchés en pleine expansion impose au groupe Matra de passer à la fabrication en grande série (les télécopieurs grande diffusion, terminaux videotex,... seront des biens grand public). Or, Matra veut rester une « entreprise de matière grise ». La société mère du groupe (qui emploie 1 281 ingénieurs et cadres et 1 418 techniciens sur un effectif total de 5 496 personnes en 1978) se réserve la conception et la réalisation des prototypes. Les productions en série sont confiées aux sociétés récemment absorbées par le groupe : Peritel, Depaepe, Solex, Jaeger,... De plus, le groupe Matra cherche à préserver son indépendance technologique. Les accords signés avec le groupe américain Harris prévoient que leur filiale commune MHS conçoive des circuits intégrés originaux adaptés au marché français.
Dans ses tractations avec la firme américaine Intel, Matra refuse d'être simplement une unité de production sous-traitante. Il est trop tôt pour dire si oui ou non Matra a obtenu le respect de ces conditions de départ. Enfin, en août 1980, Matra prouve sa capacité à pénétrer dans un secteur nouveau, sur la base de recherches menées dans les laboratoires français, en créant Euromask société spécialisée dans la fabrication d'équipements de photolithographie nécessaires à la production de circuits intégrés.

(5) La société mère Matra réalisait en 1974 un C.A. de 845 millions de F avec un effectif de 4 175 personnes et en 1980, un C.A. de 2,903 milliards de F avec 5 105 personnes. Le groupe Matra constitué à partir de 1979 a réalisé en 1980 un C.A. de 5 599 millions de F, l'ensemble des sociétés contrôlées par le groupe réprésente en 1980 plus de 50 000 employés. Il ne fournit pas de chiffres consolidés sur son C.A. à l'étranger ; signalons seulement que la société mère a réalisé en 1979 54,5 °/o de C.A. à l'exportation dans le domaine militaire. Alors qu'en 1974, le secteur électronique était insignifiant dans l'ensemble de l'activité, il représente en 1979 19 % du C.A. global (communications et télématique, composants, informatique, électronique automobile).
(6) Propos de Y. SABOURET, vice président de Matra, Le Monde du 7 novembre 1980.

1.2.3. Nécessité de tenir compte des pressions exercées par les pouvoirs publics.
Bien qu'il soit difficile de connaître la nature des négociations menées entre pouvoirs publics et groupes, beaucoup d'indices suggèrent que certaines opérations de restructuration menées par Matra s'expliquent par la nécessité de tenir compte des orientations suggérées ou imposées par les pouvoirs publics et n 'étaient pas réellement souhaitées par Matra.
Dans le rapport d'activité 1977 du groupe, J.L. Largar dère déclarait : « les filiales présentes et futures sont, seront choisies dans les seuls domaines où Matra possède déjà une connaissance technique et industrielle de premier plan,... ». Les opérations de restructuration menées dans le secteur télématique- communications entrent dans ce cadre. Mais comment expliquer la participation de Matra au plan composants (annoncée en septembre 1978) et le recours à la technologie américaine que ce plan impliquait ? Il semble que Matra ait été sollicité par les pouvoirs publics (7) et ait accepté car cela ne contrariait pas sa stratégie de pénétration dans des secteurs en pleine expansion et mutation technologique. En février 1979, la filiale commune à Matra et au groupe américain Harris Semi Conductor, MHS, est créée pour la production de circuits intégrés de type CMOS. Un an plus tard, Matra signe un nouvel accord avec Harris prévoyant l'extension de leur coopération au domaine des circuits bipolaires. Enfin, en avril 1981, une filiale commune unit Matra au groupe américain Intel. Cette opération permettra à Matra de maîtriser la technologie N.MOS et de figurer parmi les grands groupes en circuits intégrés, toutes technologies confondues mais, menée hors plan composants, elle place les pouvoirs publics devant le fait accompli. Contrairement à ce que prévoyait le plan composants, les différents pôles français sont désormais en situation de concurrence (concurrence MHS - Eurotechnique en particulier pour la production de circuits intégrés N.MOS).
La pénétration de Matra dans la branche électronique automobile est probablement une conséquence de sa participation au plan composants. En effet, il semble que la rentabilité de MHS passe par la fabrication de circuits intégrés standards (8). Matra a, sans doute, jugé bon de s'assurer un débouché pour les circuits intégrés de MHS en prenant en mai 1979 une participation de 25,5 % au capital de Jaeger et en s 'associant avec VDO Shinoling, groupe allemand actionnaire de Jaeger également, (VDO et Jaeger contrôlent 25 % du marché mondial de la carburation automobile), puis en prenant le contrôle du groupe Solex, premier groupe mondial de la carburation automobile, en octobre 1979. L'électronique automobile est en effet une branche d'avenir et les recherches menées actuellement (contrôle permanent du véhicule, diagnostic embarqué, carburation commandée par microprocesseurs,...) font de Jaeger et de Solex d'importants acheteurs potentiels de circuits intégrés. Dès le début de l'année 1980, MHS crée pour fabriquer des circuits intégrés destinés aux télécommunications et aux applications militaires et spatiales, annonce un élargissement des accords conclus avec Harris à la fabrication de circuits intégrés bipolaires et à l'étude de circuits pour l'automobile.
Notons enfin que les prises de participation de Matra dans la branche horlogerie (accords VDO/Matra en 1978 et prise de contrôle de Jaz en 1979) ne semblent absolument pas compatibles avec la stratégie du groupe et semble avoir été imposées. En effet, MHS n'a jamais eu l'intention de produire des composants pour l'horlogerie et Matra a dû, au début de 1981, conclure un accord avec un groupe japonais pour approvisionner sa branche horlogerie (fortement déficitaire) en composants et produits finis.

(7) C'est ce que déclare J.L. LAGARDÈRE à la presse. Cf. Electronique Actualités 13.10.1978.
(8) Electronique Actualités. 13 octobre 1978.

1.3. La stratégie de Thomson - Brandt (9)

L'étude de la période 1974-1981 montre le rôle joué par les pouvoirs publics dans les restructurations du groupe dans l'électronique professionnelle (Thomson CSF). Dans la branche « grand public » les restructurations opérées ne correspondent guère à une stratégie industrielle offensive. Enfin, l'internationalisation de la production reste faible.
1.3.1. Des liens privilégiés avec les pouvoirs publics pour l'électronique professionnelle
En 1974, Thomson CSF (et plus globalement le groupe Thomson Brandt) réalisait l'essentiel de ses profits sur des marchés « institutionnels », publics ou para- publics (armement, détection, radiocommunication, transmission, diffusion, équipement médical (10)... Il s'agit là de marchés protégés, de « souveraineté » où le niveau technique et les relations politiques comptent plus que les prix. Les relations avec l'Etat sont donc essentielles. Celui-ci fournit les marchés intérieurs et extérieurs, ces derniers dépendant de la politique étrangère et de la « clientèle » internationale de la France (11). C'est ainsi que Thomson CSF exporte principalement ses matériels dans les pays du Tiers Monde (pays du Moyen Orient, Afrique) et dans les pays de l'Est.
Les marchés publics garantissent aussi une importante aide publique au niveau de la Recherche-Développement : en 1971, 53 % des dépenses de recherche- développement étaient financés par les pouvoirs publics (12).
Les restructurations opérées par Thomson CSF entre 1974 et 1981 vont consolider ce rôle des liens avec l'Etat. Thomson CSF entretient, il est vrai, d'excellentes relations avec les hommes politiques qui s'installent au pouvoir en 1974. Thomson CSF va devenir l'instrument privilégié de la politique industrielle de l'Etat dans l'électronique. Il bénéficiera ainsi de marchés, de subventions, de prêts :
• dans la téléphonie :
Thomson est choisi en 1976 (13) par la DGT pour être l'instrument de la francisation et du développement industriel (en particulier par l'exportation) de la branche. Le groupe reprend en 1976 et 1977 les filiales françaises de ITT (LMT) et d'Ericsson (SFTE) qui assuraient jusqu'alors 60 % des ventes en France. En 1979, l'acquisition du secteur commutation de messages de la CGCT (ITT) et en 1980 l'absorption de l'usine de Morlaix d'AOIP complètent l'opération. Thomson pourra bénéficier de la formidable croissance d'un marché intérieur très sous-équipé (14). Parti de rien en 1976, le groupe acquiert ainsi plus de 40 % du marché intérieur de la commutation publique.
• dans l'informatique :
Après l'échec de la « solution européenne » Unidata en 1975, Thomson CSF constituera le pôle de regroupement de la mini-informatique française et, plus généralement, de toute l'activité de la Cil qui n'est pas reprise par la Cil HB. Cette opération se fait à l'initiative et avec une aide importante des pouvoirs publics : ceux-ci verseront 130 millions de F.F. pour assurer la reconversion de l'usine de Toulouse (qui fabriquait, en particulier, des gros ordinateurs) de la Cil, 55 millions de subventions et 65 millions de F.F. d'aides remboursables pour développer la mini-informatique. C'est ainsi que naît la SEMS en 1976 (15) et le holding Cogis puis, après que la CGE eut cédé ses parts et dans le cadre d'une nouvelle organisation, Thomson CSF Informatique, en 1980. En 1976, Thomson CSF regroupe ainsi 45 °7o du parc français de mini-ordinateurs.
• dans les composants :
Thomson CSF constituera le principal bénéficiaire du plan composants signé en 1978. Il recevra plus de la moitié des 600 millions de francs français prévus initialement dans le Plan. Celui-ci reprend les solutions élaborées à partir de 1976 par le groupe : l'activité circuits MOS s'articulera autour de Efcis (filiale du CEA) et de Motorola (16).
• dans les fibres optiques :
La filiale commune LMT-Saint Gobain - Corning Glass (1981) devrait constituer le pôle de regroupement des activités industrielles françaises dans ce domaine d'avenir, après les choix de la DGT, et bénéficier d'aides et de marchés importants (câblage de Biarritz).

(9) Ce groupe réalisait en 1974 un chiffre d'affaires de 12,4 milliards de francs avec un effectif de 96 000 personnes et en 1980, un chiffre d'affaires de 36,5 milliards de francs avec un effectif de 128 400 personnes. Le C.A. étranger représente en 1980, 45,5 % du chiffre d'affaires total du groupe (contre 34 °7o en 1974) dont 70 °/o représentent les exportations des sociétés françaises. La branche électronique intervient pour 60 % dans le chiffre d'affaires global 1980 contre 50 % en 1974.
(10) La CGR n'a été intégrée à Thomson CSF qu'en 1980, à la suite de difficultés répétées.
(11) Cf. les déclarations de N. Segard dans le Nouvel Economiste n°174 du 12.3.1979.
(12) La baisse progressive de cet apport (23 % en 1979) a entraîné des réactions vives et répétées des dirigeants du groupe.
(13) Le groupe préparait son entrée dans la branche depuis 1974.
(14) On prévoyait de passer de 7,15 millions de lignes de 1975 à 20 millions en 1980.
(15) Elle regroupe les activités de la mini informatique de la Cil et de la Télémécanique Electrique.
(16) Thomson CSF a pris 35 °7o du capital de Efcis et passé un accord avec Motorola dès 1976. Le groupe acquiert 50 % de Efcis en 1976 et 65 % en novembre 1980. L'Etat s'engage à verser 220 millions de FF à ce pôle de 1978 à 1982.

1.3.2. Le refus d'une stratégie industrielle pour les biens « grand public ».
Thomson va réaliser d'importantes restructurations dans ce domaine entre 1974 et 1981 : création (à partir d'une usine General Electric) de Thomson Española en 1974, de E.S.E: à Singapour en 1975 ; reprise de Nordmende (RFA) en 1977 ; de Rohren A. G. (RFA) en 1979, de Saba (RFA) et de Videon S.A. (France) en 1980.
Ces opérations concernent essentiellement la télévision couleur (TVC), tubes (près de la moitié du coût total) et récepteurs, où Thomson est déjà présent depuis 1971 avec Videocolor (où RCA détient 49 °/o des actions).
Thomson va ainsi prendre la deuxième place, derrière Philips, en Europe et la septième dans le monde dans la vente des récepteurs (1 650 000 en 1980) et la 6ème place mondiale dans la vente des tubes TVC (2 500 000 environ en 1980).
Ceci ne signifie cependant pas que Thomson a adopté une stratégie industrielle. En effet,
— les investissements industriels sont faibles tout comme la recherche- développement(2 °7o du chiffre d'affaires en 1980) ;
— 1 700 emplois et deux usines sur cinq furent supprimés chez Nordmende ; l'usine de Videon (950 personnes fin 1980) a été fermée en 1981 : Thomson supprime des pans entiers des entreprises qu'il absorbe.
— Videocolor est absent du marché des tubes petit format, marché en pleine expansion (40 °/o de la demande en Europe en 1980). Thomson (et Philips) préfère en effet acheter ces tubes aux entreprises japonaises et les commercialiser sous ses marques. 47 °/o des tubes vendus en Europe en 1980 étaient japonais, dont la quasi-totalité des tubes petit format, marché le plus porteur.
— Thomson achète une partie de ses tubes grand format PIL aux Etats-Unis, auprès de RCA.
Ces éléments montrent que Thomson ne va pas jusqu'au bout d'une stratégie industrielle. Les prises de contrôle effectuées peuvent par contre s'interpréter comme des opérations visant les réseaux commerciaux, les marques, les parts de marché, beaucoup plus que les moyens industriels. Les réseaux seront remplis par des éléments d'origines diverses : petits tubes japonais, grands tubes RCA, tubes fabriqués par l'E.S.E. à Singapour et, bien sûr, tubes des usines européennes de Videocolor, tous « habillés » par les marques Thomson. Cette politique est très cohérente avec celle pratiquée pour le reste de la branche grand public : dans le domaine audio, Thomson vend sous ses marques des produits d'origines variées : importation, assemblages, fabrication sous licence de produits d'Extrême Orient pour l'essentiel. Dans le domaine des magnétoscopes, Thomson est commerçant ou licencié : commercialisation des appareils VHS de JVC (groupe Matsushita) depuis 1978 ; production sous licence en 1979 ; accord avec JVC, Thorn Emi et AEG.T en mai 1981, concernant magnétoscopes, vidéodisques, caméras vidéo et chaînes haute fidélité (17).

Ces marchés sont globalement très porteurs ( + 30 à 50 % par an) et Thomson disposait depuis plusieurs années de bons produits. Il devra pourtant, étant donné le refus de s'engager dans une production industrielle originale, se contenter de se placer sur les marchés « professionnels » et, pour le reste, il apposera ses marques sur des produits importés ou fabriqués sous licence.
La répugnance du groupe à mener une politique offensive dans les produits grand public correspond bien à une tradition qui tend à s'appuyer sur des marchés institutionnels protégés, avec des produits à haute technologie. La demande de biens « grand public » est d'une nature bien différente : très concurrentielle, non protégée, parfois imprévisible. S'y consacrer implique des risques non négligeables.
La stratégie industrielle du groupe s'appuie essentiellement sur le pôle électronique professionnelle. C'est une stratégie « haut de gamme » (les progrès réalisés dans l'électronique militaire s'appliquant progressivement aux autres branches, qui sont dépendantes et entraînées par l'élément moteur). Les entreprises japonaises ont préféré s'appuyer sur les marchés grand public reconquis souvent avec des techniques étrangères, et ont pu ensuite remonter la filière vers l'amont jusqu'aux composants. La conception « élitiste » de Thomson est-elle toujours de mise ?

Cette question mérite d'être posée à un moment où les vastes marchés de la télématique et de la bureautique se développent. Thomson est présent dans toutes les branches de l'électronique. Cette grande originalité pourrait être un atout, mais ne débouche guère en aval sur des produits grand public susceptibles de mettre en œuvre les effets de synergie que l'on pourrait attendre. Les dirigeants du groupe ne croient pas à la télématique grand public. Ils déclarent viser le créneau professionnel (tout comme pour les vidéodisques et les télécopieurs), les « communications d'affaires ». On retrouve, là encore, le refus du groupe de s'engager sur des marchés grand public, alors qu'il possède, par exemple, tous les éléments de la filière télématique eè bureautique.

1.3.3. Une production qui demeure faiblement internationalisée.
Le groupe réalise depuis longtemps une part importante de son chiffre d'affaires sur des marchés étrangers (le pourcentage varie de 35 % en 1976 à 45,5 % en 1980 et concerne essentiellement les pays du Tiers Monde). Cependant, ces ventes sont réalisées surtout à travers des exportations à partir de la France. La production directe à l'étranger reste structurellement faible : 6,4 °/o du chiffre d'affaires en 1976, 7,8 % en 1978. Le pourcentage fait un saut à partir de 1979 (10,7 %) et atteint 13,8 °/o en 1980, à la suite de la consolidation des acquisitions allemandes dans le domaine de la TVC. Malgré cela, le groupe reste essentiellement à base française. Il n'a réalisé qu'une délocalisation « classique » à Singapour, ses autres acquisitons ayant surtout pour effet de récupérer des réseaux commerciaux et des parts de marché. Pourtant, Thomson a, depuis plusieurs années, l'intention de s'établir de manière significative aux Etats-Unis. En effet, c'est aux Etats-Unis que les marchés des nouveaux produits sont les plus prometteurs (télématique, bureautique) et c'est là que se définiront les futurs « standards » pour ces produits. Le problème sembla réglé en avril 1981 , lorsqu'un accord fut conclu avec Continental Telephone (600 millions de $ de chiffre d'affaires en 1980, 4ème exploitant de télécommunications aux Etats-Unis). Thomson se déclara prêt à investir un milliard de F.F. aux Etats-Unis pendant les cinq années à venir. L'accord avec Continental Telephone portait sur la téléphonie privée et la télématique.
Pourtant l'accord fut rompu en septembre 1981 : coût trop élevé de l'opération ? Conséquence de la nationalisation de Thomson Brandt ? Il reste que Thomson n'est toujours pas directement présent aux Etats Unis dans les marchés porteurs et qu'il doit passer par des intermédiaires (Xerox, 3 M) pour vendre ses télécopieurs et vidéodisques professionnels, ou exporter directement (vidédotex vendus à GTE).
Au total, les restructurations du groupe de 1974 à 1981 mettent en évidence la puissance des liens avec les pouvoirs publics, le rôle central des marchés institutionnels (ces deux caractères étant évidemment liés), le refus de s'engager dans des activités « grand public » autrement qu'avec une logique avant tout commerciale, et le faible niveau d'internationalisation de la production. Thomson reste centré sur l'électronique professionnelle. Dans les autres domaines, il apparaît attentiste, à la remorque de la politique industrielle et sans stratégie industrielle cohérente et dynamique. Les difficultés rencontrées actuellement (18) et la nationalisation du groupe pourraient être l'occasion de la mise en œuvre d'une politique plus ambitieuse.

(17) Chaque entreprise devait se spécialiser dans un des produits et réaliser la fabrication pour les partenaires européens. Ceux-ci diffuseraient ces produits sous leurs propres marques. L'accord du nouveau gouvernement français était nécessaire à la mise en place de cette vaste Il a finalement été refusé.
(18) La CGR a connu des difficultés persistantes ces dernières années qui ont conduit à son absorption par Thomson CSF en 1980. L'entrée dans la téléphonie a coûté cher (SFT Ericsson) puis a conduit à des difficultés techniques et à des retards dans la mise au point de la gamme complète des centraux « temporels ». La SEMS perd des parts de marché, dégage des pertes et doit conclure des alliances avec des entreprises nord américaines dont elle devrait distribuer les produits (oct. 81). Videocolor dégage des pertes en 80. Sur le plan social, les restructurations ont entraîné des licenciements importants. Les mêmes effets apparaissent avec l'adoption accélérée du « temporel » et l'alignement des techniques de production de tubes et récepteurs de TVC sur les normes japonaises.


1.4. La stratégie de Saint Gobain (19)

Les dirigeants de Saint Gobain, considérant et constatant que les « industries du groupe ne sont pas porteuses », étudièrent les modalités d'un redéploiement de grande envergure dès 1975. En effet, la crise affecte le verre plat (essentiellement lié à l'évolution de la construction et de l'automobile). Le département canalisation connaît de graves difficultés en 1977-78, tout comme la branche papier-carton dès 1975. Les restructurations réalisées vont donc viser (20) :
— à renforcer les positions du groupe dans ses activités traditionnelles : en 1976, SGPM prend la majorité du capital (50,6 °7o) de Certain Teed Corp aux Etats-Unis (matériaux de construction, fibre de verre, canalisation ; chiffre d'affaires de 868 millions de $ en 1980), société dans laquelle il était présent de façon minoritaire depuis 1967 ; en 1974, acquisition de 12,05 °/o du capital de La Rochette Cenpa, principal concurrent de la Cellulose du Pin ; en 1980, acquisition de Lafarge Emballage,...
— à se débarrasser d'activités en perte de vitesse : sidérurgie, (ventes des participations dans Dilling et Sacilor en 1975, vente de Davum en 1979) ; produits réfractaires (en 1980) ;
— à pénétrer dans une activité totalement nouvelle, l'électronique et à y mettre en œuvre une stratégie industrielle ambitieuse et cohérente.

(19) Le groupe réalisait en 74 un CA de 20,9 milliards de F. avec un effectif de 147 592 (sociétés intégrées comprises), en 80, un CA de 43,5 milliards de F. effectif : 163 492. Le CA étranger en 1980 est égal à 45,67 % du CA global contre 48,6 % en 1974 dont 77,1 % réalisés par la vente des filiales à l'étranger. En 74, S. G. n'avait aucune activité dans l'électronique, en 80 l'électronique (branche informatique) représente 9 % du chiffre d'affaires global.
(20) Si l'on met à part les prises de participation (exemple acquisition de 4,38 % de Rhône Poulenc en 75 portée à 10,6 °/o en 79) liées à l'appartenance de S. G. au groupe financier de Suez et échappant à une logique industrielle.

1.4.1. La diversification dans l'électronique : nécessité et hasard
Le redéploiement du groupe est étudié à partir de 1975 pour prévenir le déclin des activités traditionnelles. Il s'agit d'acquérir des entreprises :
— garantissant un taux de croissance élevé (activité sur des marchés « porteurs »
— permettant d'accéder sans délai à une part significative du marché mondial
— de grande taille.
Une liste des « métiers d'avenir » est élaborée : nucléaire (négociations avec KWU), la chime fine (« les places sont prises »), la biochimie (activité « naissante »), les énergies nouvelles (« pas de perspectives bouleversantes ») et l'électronique. Des contacts sont pris, des moyens sont dégagés. La vente de Phénix, en 1978, rapporte 225 millions de francs français. La même année, une augmentation du capital de 566 millions de F.F. est réalisée. Des immeubles sont vendus. Globalement, de 1974 à 4978, SGPM aurait procédé à des cessions d'actifs de l'ordre de 2,3 milliards de F.F.
Fin 1977 déjà, le groupe disposait au bilan d'une trésorerie importante (de l'ordre du milliard de F.F.) qui lui permettait d'envisager des acquisitions significatives. Cependant, aucune acquisition n'est réalisée tant que des menaces de nationalisation du groupe subsistent. La défaite de la gauche en mars 1978 puis l'adoption du plan composants fourniront à Saint Gobain l'occasion de pénétrer dans la branche électronique.
SGPM (51 °/o) créé Eurotechniquej avec National Semi Conductor (49 %). NSC apporte sa technologie et SG 90 millions de francs français de fonds propres. L'Etat apporte une subvention de 100 millions de FF (1978-1982) ; des organismes publics accorderont des prêts participatifs à taux réduit pour atteindre les 420 millions de F.F. d'investissements indispensables pendant la première période de cinq ans. L'entreprise devait commencer sa production en 1981.
Cette diversification au plein sens du terme est très ambitieuse. Saint Gobain veut devenir « un des grands mondiaux » de l'électronique, selon M. Roger Fau- roux, son nouveau P.D. G. ; les opérations réalisées en 1979-80 vont dans ce sens.

1.4.2. Une stratégie industrielle cohérente dans la filière électronique
Saint Gobain pénètre la branche informatique en prenant une participation (20 % en 1979) puis le contrôle (51 % en 1980) des Machines Bull qui regroupent 53 °/o de Cil HB. La première partie de l'opération, l'achat des titres à la CGE, coûtera 255 millions à Saint Gobain.
Le dernier étage (21) de l'opération consistera dans l'entrée dans le capital d'Olivetti, annoncée en avril 1980 et réalisée progressivement. L'acquisition de 30 % des titres aurait coûté près d'un milliard de francs à SGPM. Le groupe aurait bénéficié pour cette opération d'un prêt de 200 millions de francs français du Crédit National.
Au total, les opérations réalisées en 1979, 1980, 1981 auraient représenté un investissement de 1,6 milliard de francs français. Le financement en aurait été assuré de la façon suivante :
- trésorerie de groupe 50 %
- empeunt (22) 25 %
- banques et inxestisseurs qui se sont joints au groupe 25%
Au moment de l'entrée du groupe dans le capital des Machines Bull, Saint Gobain prévoyait pour 1982, un chiffre d'affaires de 40 milliards de FF, dont 25 % dans l'informatique. Un an plus tard, après l'opération Olivetti, on rapporte (23) que M. Fauroux souhaiterait qu'en 1985 l'électronique représente 40 % des activités du groupe... « Créer un ensemble européen de dimension internationale dans le secteur de l'informatique et de la bureautique », tel est le projet industriel du groupe exposé dans le rapport d'activité publié en juin 1981.
Le projet de Saint Gobain est très cohérent, car il cherche à développer des effets de synergie entre ses diverses acquisitions.
Eurotechnique trouvera ses débouchés auprès des grands utilisateurs de circuits que sont Olivetti et Cil HB. On sait que l'approvisionnement en composants constitue un important goulot d'étranglement pour les utilisateurs et marque leur dépendance par rapport aux fournisseurs.
Par ailleurs, Cil HB et Olivetti apparaissent complémentaires à bien des égards : ces deux entreprises apportent les éléments nécessaires pour prendre une des toutes premières places dans la bureautique. La répartition des tâches entre Cil HB et Olivetti verrait Cil HB se recentrer sur les gros et moyens systèmes et fournir à Olivetti les éléments constitutifs des systèmes intégrés d'information et de traitement de textes : mini et micro ordinateurs, logiciels, mémoires (disques), essentiellement. Le pôle bureautique du groupe s'appuierait donc sur les positions de marché d'Olivetti (machines à écrire, en particulier) et sur son réseau commercial (renforcé en 1981 par la prise de contrôle de la société suisse Hermes Precisa).
La stratégie mise en œuvre par SGPM pour assurer son développement n'est donc pas purement financière : les fonds disponibles n'ont pas été utilisés dans l'achat de participations disparates, mais ont servi de base à une stratégie industrielle cohérente dans un domaine nouveau : l'électronique. Ceci conduit cependant à une certaine dépendance.

(21) Durant l'été 1981, Logabax est entré dans le groupe S. G., en renforçant le pôle miniinformatique. SG cherche actuellement à compléter ses acquisitions dans le domaine de la commutation privée.
(22) Selon le rapport d'activité pour 1980 Guin 1981).
(23) Le Monde du 19.04.1980.

1.4.3. Un redéploiement dépendant
Le groupe a décidé de se rééquilibrer autour d'une activité entièrement nouvelle pour lui (24) et à fort contenu technologique et commercial qui manquait à SGPM. Par ailleurs, la taille du groupe impliquait des opérations d'envergure afin de remodeler sensiblement l'équilibre des activités.
C'est ce qui explique la nature particulière du redéploiement de SGPM : le groupe est allié,
— dans Eurotechnique à National Semi Conductor (51/49 %)
— dans la Cil HB à Honeywell, lequel détient 47 % de l'entreprise franco- américaine
Enfin, SGPM détiendrait actuellement 38 % des droits de vote dans Olivetti.
Il est clair que les partenaires de SGPM sont suffisamment puissants dans ces alliances pour intervenir avec force dans les choix industriels des filiales communes. Leur poids est encore accru par leur position de détenteurs de la technique, du savoir-faire, des réseaux commerciaux, dont dépend le succès du redéploiement de SGPM.
Ainsi le sort d'Eurotechnique dépend-il de National Semi Conductor, qui est maître de la technique et des conditions de sa transmission. SGPM ne maîtrise ni les équipements nécessaires à la fabrication des circuits (importés massivement des Etats Unis), ni les techniques en amont de la fabrication. SGPM ne peut guère peser sur NSC, n'ayant pas réussi à négocier lors de l'accord une prise de participation dans le capital de son partenaire. Eurotechnique est condamné, pendant une période indéterminée, à être « une seconde source » par rapport aux réalisations de NSC aux Etats Unis : le rythme de la transmission technologique sera dicté par NSC.
De même, le fonctionnement et la structure de Cil HB font-ils la part belle au partenaire américain. Les flux commerciaux entre les deux sociétés montrent le déséquilibre qui s'est installé depuis la signature de l'accord (25). La gamme de Cil HB dépend largement d'Honeywell. La dépendance technologique et industrielle de la Cil HB est telle que la « francisation » de l'entreprise apparaît actuellement difficile.
Enfin les 38 % de droit de vote que détient SGPM qu sein d'Olivetti à côté de Mr de Benedetti et des actionnaires traditionnels tardent à se produire dans des projets communs et dans une politique intégrée, cohérente par rapport au reste du groupe.(26)
Fin 1981, SGPM a donc réalisé une percée significative dans l"élecronique., il reste à harmoniser les acquisitions et à s'inposer face à des partenaires puissants. SGPM dispose des moyens d'y parvenir. Sa forte internationalisation (27) sa présence industrielle non négligeale aux ETATS-unis (28), sa faible dépendance vis à vis des pouvoirs public, de leurs marchés et de leurs aides (29) constituent des atouts appréciables.

(24) Même si « Quartz et Silice » travaillait déjà sur les fibres optiques.
(25) En 1980 Honeywell a exporté pour 457 millions FF de matériel à Cil HB et a importé pour 217 millions de FF de sa filiale. Cil HB réaliserait 60 % de son chiffre d'affaires avec des matériels conçus et développés par Honeywell.
(26) Le départ de M. JP BRULE de Cil HB est un des aspects des conflits qui peuvent surgir dans la mise en œuvre d'une stratégie de groupe cohérente.
(27) 46 % des ventes en 1980 ont été effectuées par des filiales étrangères.
(28) 9 % des ventes en 1980.
(29) Notons cependant la participation au plan composants, les liens avec les PTT pour les fibres optiques.

II. - Stratégies des groupes français et des groupes mondiaux de l'électronique et interventions des pouvoirs publics français

2.1. Stratégies des groupes français et des groupes mondiaux de l'électronique
Considérons les stratégies des groupes mondiaux de l'électronique avant de montrer comment les stratégies des groupes français répondent aux contraintes imposées par leurs grands concurrents mondiaux.
2.1.1. Les stratégies des groupes mondiaux de l'électronique :
Si l'on doit caractériser le comportement des grands groupes mondiaux de l'électronique, deux éléments nous apparaissent primordiaux : affrontements sur le marché mondial et concurrence par l'introduction de produits nouveaux, de plus en plus sophistiqués, d'où l'importance des programmes de recherche et développement, la rapidité du rythme des innovations techniques et les variations fréquentes de prix.

— Affrontements sur le marché mondial
Les affrontements entre groupes sont devenus particulièrement durs dans deux domaines : les télécommunications et les composants.
Jusqu'au milieu des années soixante, le marché des télécommunications traditionnelles, c'est-à-dire commutation et transmission téléphoniques, présentait une structure relativement simple et stable. Le marché intérieur américain était le monopole d'ATT, les marchés européens présentaient toute la gamme des structures possibles : monopole de la firme nationale Siemens en RFA, partage du marché entre un groupe français CGE et des groupes étrangers ITT, SFTE en France...
Enfin, le reste du marché mondial était partagé entre trois grandes entreprises multinationales : ITT (EU), Siemens (RFA) et Ericsson (Suède).
A partir de 1975, la situation se modifie radicalement, les marchés nationaux occidentaux se saturent, sauf en France, et les groupes à implantations nationales se tournent vers l'exportation. La mutation technologique que constitue le passage de la commutation électromécanique à la commutation électronique permet à des groupes tels que CGE ou les groupes japonais Nippon Electric et Nec d'entrer en concurrence avec les grandes firmes multinationales ; enfin, certains pays en voie de développement deviennent des clients potentiels.
Sur le marché mondial des composants (évalué à 10 milliards de dollars en 1980) s'affrontent à l'heure actuelle firmes américaines et japonaises. Aux Etats Unis, sur certains créneaux (mémoires), les firmes japonaises se sont octroyées 46 °7o du marché (le Nouvel Economiste du 13.10.1980, page 84). Sur le marché européen, qui représente 25 °7o du marché mondial, les firmes japonaises et américaines créent de multiples filiales. Les firmes américaines Intel, National Semi Conductor, Motorola ont accentué leur présence en Europe en créant des filiales communes avec des groupes français dans le cadre du plan « composants ».

— concurrence par le biais des innovations technologiques
C'est tout à fait en amont de la branche électronique, dans le domaine des composants, que la course à l'innovation est absolument exceptionnelle.
Cette stratégie est le fait des leaders de la branche : Intel en particulier, qui, grâce à une avance technologique variant de 6 mois à un an dans le domaine des microprocesseurs, occupe la *prernière place sur le marché américain (Electronique Actualités du 27.02.1981). Intel cependant est talonnée par les Japonais dans certains domaines (30).
Cette course à l'innovation entraîne des chutes de prix très importantes car dès qu'un concurrent a lancé un produit plus performant, le produit précédemment présent sur le marché est obsolescent et il faut abaisser fortement son prix pour continuer à le commercialiser (31).
Ce rythme exceptionnellement rapide d'innovation se répercute dans toutes les branches situées en aval. Les dirigeants de Peritel, société de péritéléphonie, sont très préoccupés par les contraintes que leur impose le rythme rapide des innovations dans la branche des composants (32).

(30) Par exemple, la maîtrise de la production préindustrielle de circuits à motifs de l'ordre de 2 /¿m. Electronique Actualités du 27.02. 1981 .
(31) Ainsi, en juin 1981, Inmos annonce une baisse de 60 % sur le prix de ses RAM statiques 16 K IMS 1400 (Electronique Actualités, 19.06.1981, page 17). On pourrait multiplier les exemples de ce type.
(32) L'Expansion, juin 1978, page 123.

2.1.2. L'adaptation des stratégies des grands groupes français de l'électronique aux « défis » mondiaux.

Les grands groupes français participent à cette course à l'innovation (soit avec l'aide des centres publics de recherche, soit en concluant des accords technologiques avec des groupes étrangers) et à l'affrontement sur le marché mondial.
L'aide des centres publics de recherche a été décisive dans le domaine des télécommunications. Elle a bénéficié à CIT Alcatel (groupe CGE) dans le domaine de la téléphonie, avec la mise au point du central électronique temporel E 10 ; à Thomson, Matra et la CGE dans la télématique (élaboration des terminaux vidéotex, des télécopieurs professionnels et grand public.) ; aux quatre grands groupes dans la bureautique.
La conclusion d'accords technologiques avec des groupes étrangers est diversement conçue selon les groupes.
Nous avons vu que la CGE restait soucieuse de préserver son indépendance technologique. Elle s'efforce de conserver la maîtrise décisionnelle et apparaît en mesure d'adopter rapidement et efficacement les technologies acquises à l'étranger.
De même, le groupe Matra, semble avoir les moyens de préserver son indépendance dans les accords qu'il passe avec l'étranger (Etats Unis) pour pénétrer des domaines technologiquement nouveaux pour lui : c'est ce que suggèrent les accords passés avec Harris et Intel dans les composants.
Leurs capacités et leur dynamismes technologiques permettent à ces groupes d'absorber et d'adapter rapidement des techniques nouvelles et d'établir, avec leurs fournisseurs, des relations de réciprocité.
Thomson passe également des accords technologiques dans des domaines nouveaux comme la téléphonie (il a tout d'abord passé un accord avec Northern Electric pour pouvoir répondre aux appels d'offre de la DGT, avant de reprendre les filiales d'ITT et d'Ericsson en France), les composants (accords avec Motorola, qui débouchera sur la création d'une filiale commune dans le cadre du Plan Composants), les fibres optiques (accord avec Corning Glass en 1981).
Son autonomie semble grande pour le reste de l'électronique professionnelle, en dépit des problèmes et retards enregistrés en électronique médicale.
Par contre, dans la branche « grand public », Thomson Brandt recourt à des techniques américaines ou japonaises pour une part importante de ses activités : tubes « PIL » développés par RCA dans le cadre de l'accord Videocolor ; fabrication sous licence des magnétoscopes de Matsushita.
Enfin, Saint Gobain, nouveau venu dans l'électronique, est dans une situation de dépendance technologique vis-à-vis de ses partenaires NSC (composants), Honeywell (grande informatique), Olivetti (bureautique).

L'avance et le dynamisme technologique constituent évidement un élément décisif dans la conquête du marché mondial. Il semble bien qu'il y ait une corrélation positive entre le dynamisme technologique des groupes et leur propension à se multinationaliser.
Ainsi, CGE et Matra mettent-ils à profit leurs positions technologiques pour tenter d'investir le marché américain sur certains créneaux : c'est le cas pour la CGE avec son central temporal E 10. La filiale nord-américaine TSS a pour objectif de produire et commercialiser une version adaptée au marché américain ; de même, dans le domaine de la télématique (videotex...), Matra a les mêmes intentions dans la péritéléphonie et la télématique.

Au total, les groupes français se placent par rapport au défi technologique en utilisant, bien sûr, leur propre recherche-développement, en adaptant les produits de la recherche publique et en passant des accords avec des fournisseurs essentiellement nord-américains. Cela ne va pas sans de forts risques de dépendance pour certains (Saint Gobain qui n'a pas le choix ; Thomson pour les biens grand public).
Les filiales communes constituent le moyen obligé de transfert de technologie dans le domaine des composants et des fibres optiques. Les entreprises nord- américaines obtiennent en général 49 % des actions en contrepartie de la transmission technologique.

2.2. Stratégies des groupes français et interventions des pouvoirs publics (33)
Les pouvoirs publics français ont, pendant la période qui nous occupe, porté un intérêt tout particulier à la branche électronique, branche stratégique, à bien des égards, pour les économies développées.
La toile de fonds des interventions de l'Etat est constituée par l'objectif de structures affirmé dans le Vème Plan et rappelé dans le Vlème : constituer dans chaque secteur un ou plusieurs groupes de taille suffisante pour affronter la concurrence sur le marché mondial. Le contexte de crise qui marque l'élaboration du Vllème Plan élève au rang d'objectif principal le rétablissement de l'équilibre extérieur.

Au-delà des affirmations des plans, l'essentiel des actions entreprises dans l'électronique, par les pouvoirs publics, a été l'œuvre de la Direction Générale des Télécommunications (DGT).
L'action de la DGT est basée sur l'analyse suivante : les télécommunications et leurs nouvelles applications (télématique, bureautique,...) constituant un créneau non encore investi par un grand groupe mondial de l'électronique, c'est l'occasion pour les groupes français de conquérir une place de choix dans la division internationale du travail.
La DGT est par ailleurs une administration puissante, disposant de moyens financiers importants et dirigée, au début de la période qui nous intéresse, par une équipe nouvelle et dynamique. Enfin, le caractère public des marchés confère à la DGT des occasions d'intervention : agrément des matériels, puis procédures conduisant à des marchés expérimentaux puis à des marchés publics de taille réelle.
La DGT utilisera tous ces moyens pour intervenir, non seulement dans le domaine des télécommunications mais aussi en amont (composants) et en aval (nouvelles applications : visiophones, télécopieurs, postes téléphoniques à clavier, terminaux vidéotex...).
La DGT, pour mettre sa politique en œuvre, a agi à tous les stades du processus de production : recherche (création d'une nouvelle antenne du CNET à Grenoble, spécialisée en microélectronique) ; développement (prototypes élaborés dans les laboratoires publics ou sous traités aux laboratoires privés) ; production et commercialisation de pré-séries puis de grandes séries (création de la filiale Intelmatique pour promouvoir les produits de la télématique française à l'étranger, discussion des normes avec les groupes étrangers afin de préserver les chances de l'industrie française).
Le contenu de la politique de la DGT s'inspire des préoccupations mises en avant par les plans : concentrer les moyens, développer les exportations. Ainsi, la DGT organise-t-elle l'entrée de Thomson dans la commutation publique en 1976, à travers la prise de contrôle de LMT (ITT) et de la SFTE (Ericsson). En 1980, après le démantèlement de l'AOIP, Thomson assure 40 97b de la production française, à égalité avec la CGE et, contrairement aux « accords de Yalta » conclus entre les deux groupes en 1969. Les pouvoirs publics espéraient ainsi équiper la France, particulièrement sous développée en ce domaine, abaisser les prix et constituer une base technique et commerciale pour conquérir une partie du marché mondial en technique « temporelle ».
De même, le plan composants dans sa formulation de 1978 visait-il à concentrer les moyens de l'industrie française et à équilibrer les échanges extérieurs : Secimos devait regrouper les principaux utilisateurs français de circuits intégrés de pointe Mos et assurer la production des circuits en association avec l'entreprise américaine Intel qui apporterait sa technologie.
La DGT va tenter d'impulser chez les grands groupes de l'électronique une politique dynamique en matière de produits nouveaux situés à la croisée des différentes branches de l'électronique, télématique, bureautique, terminaux vidéotex (expérience de Velizy, annuaire électronique), télécopieurs, visiophones... De même, dans le domaine des transmissions, la DGT française a-t-elle participé à la création d'une unité de production française pour la fabrication de fibres optiques : une filiale commune à Saint Gobain, Thomson et Corning Glass (E.U.) fournira les fibres optiques nécessaires au câblage de 2 000 foyers à Biarritz en 1983.
Ces actions visent toutes à utiliser des techniques de pointe sur les marchés publics français, de façon à maîtriser la technique, à en abaisser les coûts et les prix, et, dans un deuxième temps, à conquérir des marchés à l'extérieur.
Cependant, l'action de la DGT et, plus généralement, celle de l'ensemble des pouvoirs publics français, n'est pas pour autant marquée par la cohérence et l'efficacité. Elle doit, plus fondamentalement, faire face à des problèmes qu'elle n'a pas les moyens de résoudre :
• il apparaît difficile de constituer un ou deux groupes français compétitifs dans chaque branche : en 1978, la CGE se situe au 9ème rang mondial dans les télécommunications avec un chiffre d'affaires qui représente moins de 10 °/o de celui de Western Electric.
• la recherche d'une certaine concurrence au niveau national (cf. CGE et Thomson dans la commutation publique) constituerait plutôt un handicap à l'exportation, en dispersant les moyens et les efforts face à une offre très concentrée. Telinter, qui devait être l'instrument de la coopération des deux groupes à l'exportation n'y jouera aucun rôle actif...
• les « objectifs à moyen terme d'indépendance et dynamisme (34) » que les pouvoirs publics assignaient à l'industrie électronique française pourront-ils être atteints dans des branches trop longtemps délaissées par les entrepreneurs privés ? Ainsi, le plan composants est-il totalement dépendant de la technologie américaine. L'industrie française pourra-t-elle dépasser le stade de la sous trai- tance dans ce domaine-clef ? De même la technologie américaine est-elle indispensable dans les fibres optiques. L'action des pouvoirs publics semble, dans ces domaines, avant tout soucieuse de faire face aux contraintes à court terme d'équilibre de la balance commerciale.
• les pressions des groupes industriels constituent souvent des obstacles à la mise sur pied d'actions cohérentes d'envergure. Les hésitations et les revirements qui ont marqué les Plans calcul en portent la marque : à la solution « européenne » a succédé la « solution américaine », dont le chef de file français fut tout d'abord la CGE, puis Saint Gobain. Il en fut de même pour le Plan composants : les groupes français refusent de participer à la création de Secimos. De tractation en tractation, les pouvoirs publics seront amenés à subventionner trois et non plus deux pôles : Efcis (Thomson, CEA, Motorola), Eurotechnique (Saint Gobain, NSC), MHS (Matra, Harris). Ces trois pôles ne devaient pas entrer en concurrence jusqu'à ce que Matra remette en cause le schéma, au printemps 1981, en annonçant un accord avec Intel (circuits N MOS, tout comme Eurotechnique). Ce quatrième pôle recevra cependant une aide des pouvoirs publics...

La restructuration de la branche électronique a, par ailleurs, été marquée par les relations privilégiées du groupe Thomson avec le personnel politique qui arrive au pouvoir en 1974. La place de Thomson dans la commutation publique, les composants, la mini-informatique s'explique largement par ces relations qui ont, par contre, nui à la CGE.

(33) Notre propos ne vise pas à présenter une analyse systématique de la politique industrielle dans l'électronique mais à en rappeler les grandes orientations et les principales actions, dans la mesure où elles ont eu des incidences importantes pour les groupes qui nous occupent.
(34) M. D'ORN ANO, ministre de l'Industrie et de la Recherche lors du colloque sur le redéploiement industriel en mai 1975. Etudes industrielles n°6. La Documentation Française. 1975.

Il faudrait enfin pouvoir faire état des contradictions au sein même des pouvoirs publics qui reflètent les pressions des groupes privés, les oppositions politiques, le rôle des grands corps de l'Etat : l'opposition entre le ministère de l'Industrie et la DGT en est un des aspects les plus connus.
Tous ces éléments ont influencé considérablement les restructurations que nous avons mentionnées. Ils ont abouti au renforcement du rôle et de la place de Thomson dans l'électronique professionnelle militaire, la mini-informatique et à sa pénétration dans la téléphonie et les fibres optiques. Ils ont permis à Matra, Saint Gobain et Thomson de pénétrer dans de bonnes conditions dans des domaines d'avenir, les composants.
La CGE a renforcé ses positions dans la commutation, malgré l'entrée de Thomson CSF dans la branche ; elle a bénéficié ainsi que Matra et Thomson, de l'aide des pouvoirs publics dans la sous branche télématique.
Il reste que des pans entiers de l'électronique n'ont pas bénéficié de l'action de l'Etat et ont été laissés à l'initiative des groupes : l'électronique grand public en est l'exemple le plus frappant.

Conclusion

Les perspectives ouvertes par les nationalisations
Les restructurations opérées entre 1974 et 1981 ont été fortement marquées par l'influence des pouvoirs publics, en particulier de la DGT. Cette influence a dû, cependant, nous l'avons souligné, tenir compte des intérêts et pressions bien souvent contradictoires, des réticences et des hésitations des groupes privés concernés.
Les nationalisations réalisées en février 1982 changent sensiblement les données du problème. Elles donnent aux pouvoirs publics les moyens de définir et de mieux maîtriser une politique industrielle dans l'électronique. Pour cela un certain nombre de choix seront nécessaires. Au préalable, un effort de cohérence devra être réalisé.

1. Assurer la cohérence de l'ensemble nationalisé
Nous avons souligné combien l'histoire récente de l'électronique française a été rythmée par des conflits entre décideurs privés, en particulier entre Thomson et la CGE. Ces conflits ne se posaient pas tant sur le terrain concurrentiel classique qu'au niveau du partage des multiples aides (à la recherche, au développement industriel,...) et des importants marchés publics protégés, tant en France que dans les « territoires sous influence ».
De nombreuses décisions de politique industrielle ont été en conséquence retardées, prises au coup par coup, au terme d'hésitations coûteuses, reflets de luttes d'influence et d'incapacité à choisir.
Les Plans calcul illustrent parfaitement cette démarche. L'action de la DGT dans le téléphone, responsable de la promotion de Thomson dans cette activité, comporte les mêmes ambiguïtés. En appuyant Thomson, la DGT freina l'exploitation par Cit Alcatel de son avance technologique dans le domaine des centraux temporels. Cela fut dommageable, globalement pour l'industrie française, d'autant plus que le système Thomson, hérité des laboratoires de LMT, s'avéra moins fiable et d'une mise au point longue et délicate. L'industrie française avait elle les moyens de soutenir deux techniques de commutation publique concurrentes ? Il aurait sans doute été plus réaliste et plus efficace d'appuyer et de promouvoir la technique de Cit Alcatel, bien que l'introduction de la concurrence ait stimulé les deux producteurs et abouti à des baisses de prix sensibles, après des années marquées par le règne du « cartel des téléphonistes ».

Enfin, le Plan composants constitue un autre exemple de ces hésitations, retards et incohérences, comme nous l'avons souligné précédemment.
La nationalisation des quatre groupes devrait permettre de promouvoir une optique différente, dominée par l'exercice des complémentarités, de collaborations, de répartition des tâches. Cette mise en commun des ressources de l'Etat et des entreprises nationalisées devrait assurer une meilleure efficacité des moyens importants dont disposent les pouvoirs publics pour impulser une politique industrielle cohérente.

Par ailleurs, les nationalisations devraient permettre de définir l'action des entreprises de l'électronique par rapport à des objectifs dépassant la logique purement micro-économique des firmes privées, sans perdre de vue la compétitivité qu'implique le choix d'une économie ouverte. La politique industrielle devrait ainsi viser à s'assurer la maîtrise par la collectivité des technologies du futur dans un domaine-clef dont dépendent l'organisation du travail, l'emploi, la culture,..., aussi bien que les échanges extérieurs et la croissance. Les objectifs énoncés par le gouvernement en matière de reconquête du marché intérieur et de développement des exportations devraient trouver, dans la branche électronique, un terrain d'application immédiate et décisive.

La cohérence nécessaire pour atteindre les objectifs nouveaux implique bien sûr de nouvelles restructurations. Toutefois, la concentration nécessaire des moyens pour chaque sous branche dans un seul groupe peut comporter des dangers : la confrontation de divers offreurs dans les marchés d'études proposés par la DGT s'est révélée positive et stimulante au niveau des prix et des techniques. Il ne faut donc pas laisser se développer des comportements de monopole, exploitant une rente sur des marchés protégés. La nécessité de l'exportation, le choix d'une économie ouverte, le caractère mondial de la concurrence devraient permettre d'éviter cet écueil.

Une autre question difficile peut conduire à un certain immobilisme : les nationalisations pourront-elles mettre fin aux luttes d'influence entre les dirigeants des grands groupes ? La résistance passive, le poids de l'histoire et des habitudes, le jeu des relations et des solidarités peuvent constituer de puissants obstacles à la mise en œuvre d'une nouvelle politique.

2. Appliquer dans l'électronique les grandes orientations de la politique industrielle suppose que l'on effectue des choix, que l'on réponde essentiellement à deux questions :

a. quelle place dans la filière électronique ?
Il est en effet essentiel de se déterminer par rapport à ce problème central : la politique industrielle française peut elle choisir d'être présente à tous les niveaux de cette filière stratégique qu'est l'électronique ? Ou bien, doit-on choisir quelques créneaux ? Peut-on être présent industriellement dans une économie ouverte dans les biens grand public, la grande informatique, les composants, la bureautique, l'électronique médicale... ? Si la réponse est positive, mettra-t-on tout d'abord l'accent sur l'aval de la filière (grand public), pour remonter ensuite vers l'amont (c'est la stratégie japonaise) ou privilégiera-t-on l'amont (électronique de pointe, professionnelle), celui-ci nourrissant peu à peu l'aval de ses innovations (stratégie affichée par Thomson Brandt) ? La couverture de l'ensemble de la filière peut aussi être favorisée par une politique d'alliances, cet aspect devenant alors central.

b. quels partenaires ?
Les entreprises nationalisées avaient noué des contacts avec des firmes américaines, pour l'essentiel. Le Plan composants en est un des exemples les plus spectaculaires. Or, les principales décisions intervenues depuis mai 1981 vont dans le sens d'une remise en cause de ces alliances. Est-ce à dire que l'on va désormais étudier les conditions d'une collaboration avec des partenaires européens, ce que les groupes français ont généralement refusé jusqu'ici ? Il semble bien qu'une politique ambitieuse ne puisse faire l'économie d'une telle démarche. Il faudra vaincre des habitudes, trouver les meilleures complémentarités, et rester cependant, d'une façon ou d'une autre, présent sur le marché nord américain où sont définis les standards, expérimentées les innovations et où se situeront les deux tiers du marché mondial pour la bureautique et la télématique en 1985. Des réponses claires doivent être apportées à ces questions dans un délai raisonnable. Seules des alliances avec des partenaires de la Communauté Européenne peuvent permettre d'assurer une présence industrielle concurrentielle à tous les niveaux de la filière, les autres alliances possibles (Etats Unis, Japon) entraînant des dépendances trop fortes.

Il convient donc de faire des propositions aux partenaires potentiels, ou de répondre à leurs avances (celles de Philips, par exemple, qui propose à Thomson un accord européen pour les biens grand public).
Plus d'un an après le changement politique, le changement industriel n'est guère amorcé dans l'industrie électronique. Le rapport Farnoux préconise bien la mise en œuvre d'une politique de filière et des alliances européennes. Mais aucun progrès concret n'a été réalisé : concernant le redécoupage des activités entre les quatre groupes, constituera-t-on un seul pôle téléphonie, malgré les dangers soulignés par M. Théry ? Regroupera-t-on l'informatique, grande, moyenne et petite ? Se lancera-t-on résolument dans la télématique, malgré les réticences du marché intérieur ? Aura-ton une politique industrielle européenne dans la branche grand-public ? (35).
La persistance de la crise ne remettra-t-elle pas en cause, par ailleurs, l'allocation des moyens nécessaires à la mise en œuvre d'une vérita
ble politique industrielle de filière ? Les graves difficultés de Cil HB, de la CGR, de la téléphonie et de l'informatique chez Thomson requièrent déjà des sommes importantes. Elles placent aussi les décideurs face à des choix décisifs et rapides. Il ne faudrait pas oublier, au moment de ces choix, que pour beaucoup l'électronique peut constituer un atout susceptible d'accélérer la sortie de crise...

Enfin, plus généralement, le changement voudrait que la stratégie mise en œuvre et les choix industriels opérés ne soient pas l'affaire des seuls dirigeants des entreprises nationalisées, mais qu'un débat réel soit engagé avec les planificateurs, les syndicats et les usagers. Toutes les dimensions du problème seraient ainsi abordées, concernant une activité-clef pour l'avenir (36).

(35) La fin des contacts entre A. E.G. T. et Thomson, le rachat de Dual par l'entreprise française, dans le cadre d'une stratégie purement commerciale, marquent plus la continuité que le changement...
(36) Nous remercions le GRESP (Groupe de Recherche sur l'Economie des Systèmes Productifs, Rennes I), dont l'aide financière a permis la réalisation de cette étude.

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