Les sociétés de téléphonie Françaises
1877-1985.
Restructurations des groupes français de l'électronique
de 1974 à 1981.
1877
La Société Anonyme des Téléphones Bell
Cest la première société de téléphonie
créée en France par Cornélius Roosevelt au mois
de décembre 1877. Son siège social est situé
au 1, rue de la Bourse, à Paris. Cornélius Roosevelt né
à New York est le cousin du futur président des Etats-Unis,
il est prié par son père, un riche banquier, de sexiler
pour son comportement « excentrique » ! Il choisit Paris
où il vit grâce à une généreuse rente
versée par sa famille.
Il sintéresse au téléphone dès son
arrivée à Paris et achète, auprès dAlexander
Graham Bell, le droit exclusif de construire et dexploiter le
hand telephone en France. Il en confie la fabrication à la Maison
Breguet.
1878 La Société du Téléphone
Edison est fondée le 5 décembre à linitiative
de Théodore Puskas représentant des intérêts
de Thomas Edison en Europe. Cest la deuxième société
de téléphonie créée en France.
A lâge de 21 ans Puskas immigre en Angleterre puis aux Etats-Unis
où il sympathise avec Thomas Edison. En février 1878,
il introduit le phonographe en Europe puis décide de sinstaller
à Paris. Après lexposition universelle de 1878,
il se rapproche de Josuah Franklin Bailey qui représente les
intérêts dElisha Gray. Les deux hommes sassocient
avec Georges Alexis Godillot qui leur amène le capital nécessaire
pour créer la nouvelle société. En contrepartie,
ce dernier impose un de ses jeunes ingénieurs, Louis Alfred Berthon,
pour le poste de directeur technique. La société A. Berthon
et Compagnie, dite Société du Téléphone
Edison, a pour objet « lexploitation des brevets français
apportés à la Société pour les téléphones
parlants et leurs accessoires ».
La société obtient le 8 septembre 1879 lautorisation
dexploiter un réseau téléphonique à
Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Nantes et Lille, mais, dans un premier
temps, elle choisit de concentrer ses efforts sur Paris. Le siège
social est situé au 45, rue de lOpéra, à
Paris. La compagnie installe chez ses abonnés le téléphone
à pupitre imaginé par George Phelps : les récepteurs
sont des Phelps, le microphone à charbon est celui dEdison.
Les téléphonistes du bureau central sont équipés
du premier combiné introduit en France par lAméricain
Brown. Au mois de mars 1880, 24 abonnés sont raccordés
et 150 ont signé une promesse dabonnement.
1879 La Société
Française de Correspondance Téléphonique
est fondée à Paris, au mois de septembre, par Léon
Soulerin. Dès 1877, il sintéresse au téléphone
et devient le vice-président de la Chicago Telephonic Exchange.
Il rejoint alors la France et obtient une concession pour exploiter
le téléphone dans la ville de Paris le 23 juillet 1879.
La Société Française de Correspondance Téléphonique,
dont le siège social sétablit au 7, avenue de lOpéra,
a pour but « Létablissement de lignes téléphoniques
servant à mettre en rapport entre elles les personnes habitant
Paris avec le reste du département de la Seine et de la Seine-et-Oise
». Le système exploité par Léon Soulerin
est le récepteur de Bell et le transmetteur microphonique de
Francis Blake, un Américain qui vient de faire breveter son système
et de le vendre à la Bell Telephone Company. Grâce à
une communication habile et une redevance dabonnement nettement
moins chère que ses deux concurrents, la société
dispose de 120 souscripteurs à la fin de 1879. Mais Léon
Soulerin ne réussit pas à installer un bureau central
capable de relier ses futurs abonnés . La Société
Anonyme des Téléphones Bell est présente à
lexposition universelle de 1878, là où Cornélius
Roosevelt rencontre Frederic Allen Gower et que les deux hommes décident
de travailler ensemble pour fonder la Compagnie
du Téléphone Gower à lété
1879.
1880 la Compagnie des
téléphones est constituée avec un capital
de 5 millions de francs pour exploiter les brevets d'Edison,
de Gray et de Breguet. Le Conseil d'administration est présidé
par le riche banquier Amédée Jametel (frère du
sénateur) et constitué de la Banque franco-égyptienne,
Après un désaccord entre ses fondateurs, la Société
du Téléphone Edison est dissoute et se transforme en Société
Française des Téléphones, système Edison
et autres, le 27 mars 1880. Elle est fondée à partir de
lancienne Société du Téléphone Edison
.
Au mois doctobre 1880, 240 abonnés sont raccordés
et 330 sont en attente de construction ; le bureau central est situé
au 45, avenue de lOpéra, et deux bureaux auxiliaires fonctionnent.
La société installe chez ses clients lappareil à
pupitre Edison-Phelps mais reçoit de nombreuses plaintes du fait
du fonctionnement très délicat du microphone Edison qui
demande de fréquents déplacements chez les clients pour
le remettre en état.
1880 Un projet de fusion de la Société
Française des Téléphones avec
la Compagnie des Téléphones est signé le
16 août, officialisée par les assemblées générales
extraordinaires des 7 et 30 octobre 1880. 1881, la compagnie
devient la Société générale
des téléphones (SGT).
La SGT exploite le réseau téléphonique de
villes françaises jusqu'à la nationalisation de son réseau
téléphonique le 16 juillet 1889.
Elle se concentre alors sur la fabrication industrielle d'équipements
téléphoniques.
Elle possède la quasi-totalité des brevets déposés
en France dans les domaines de la téléphonie. Pour son
réseau de Paris, elle choisit dans un premier temps le système
Edison et abandonne le système Gower. Pour ses réseaux
de province, elle conserve le transmetteur Crossley.
A partir de 1881, la société travaille avec Clément
Ader qui lui donne lexclusivité de son microphone à
charbon extrêmement simple et fiable, inspiré des travaux
de John Crossley et une nouvelle gamme dappareils téléphoniques.
En 1884, Alfred berthon, ingénieur en chef de la société,
propose un nouveau microphone à grenaille de charbon largement
inspiré dun brevet de Golubitski, racheté par la
Société Générale. En associant un récepteur
Ader, il crée le premier combiné téléphonique
français. En remerciement de ses services, il est nommé
directeur de la société en 1889.
En 1884, la société bénéficie dun
renouvellement de la concession accordée par le ministre des
Postes et Télégraphes pour exploiter les réseaux
téléphoniques urbains, mais la concurrence devient rude
car le service des Lignes Télégraphiques de lÉtat
se met à construire également des réseaux téléphoniques
urbains et des liaisons interurbaines .
1882 Thomson-Houston Electric Company
est fondée sur la base de la fusion de la société
American Electric Company d'Elihu Thomson et des intérêts
d'Edwin J. Houston ... Voir la page Thomson-Houston
1884
la Compagnie générale de constructions
téléphoniques participe à l'installation
des premiers centraux publics, en réalisant notamment ceux de
Bordeaux et de Lyon. LA CGCT n'a pas seulement été
l'une des plus anciennes Sociétés de l'Industrie Téléphonique
Française, on lui doit aussi d'avoir apporté dans cette
trancbe des créations d'une grande valeur technique : Strowger,
R6 ... Voir
la page CGCT
1885, alors que se développe en France les réseaux
télégraphique et téléphonique, la société
Grammont deviendra la Société
des Téléphones Grammont ...
Arrivera:
la SAGEM et la Société
Anonyme des Télécommunications (SAT)
... Voir la page Grammont
1889, le téléphone est nationalisé
et lÉtat rachète à la Société
Générale lensemble de ses réseaux.
Elle se recentre alors sur la construction dappareils téléphoniques
et de câbles. Elle se transforme.
1889
LMT est
crée par G. Aboilard pour exploiter les brevets de AT&T
: Voir la page LMT
Décembtre 1893 la Société
Industrielle des Téléphones (SIT) est
créée suite à la fusion des usines de câbles
et caoutchouc Menier et de la Société Générale
des Téléphones. Son capital est de 18 millions de francs
et son siège social est situé au 25, rue du 4 septembre,
à Paris. Elle possède la quasi-totalité des brevets
en matière de téléphonie : Gower, Edison, Blake,
Crossley, Ader
La SIT fabrique à Bezons des câbles électriques
et des chaussures en caoutchouc, à Levallois-Perret de lappareillage
électrique, à Calais des câbles sous-marins, à
Paris du caoutchouc manufacturé sous toutes ses formes, de lébonite,
des appareils télégraphiques, des téléphones,
des sonneries et du matériel déclairage électrique.
Le nouveau directeur technique de la rue des Entrepreneurs à
Paris, spécialisée en téléphonie, est Gérard
Bailleux. Celui-ci met rapidement au point un nouveau transmetteur à
grenaille à base de parcelles danthracite concassées.
Il équipe bientôt une nouvelle gamme de téléphones
de luxe : « Le transmetteur vertical porte une embouchure permettant
de parler à voix basse, même à grande distance,
et les récepteurs sont munis dune poignée évitant
la fatigue dans les conversations un peu longues ».
1896
, lAssociation des ouvriers en instruments
de précision (AOIP) est une coopérative
ouvrière de production française ... Voir
la page AOIP
1911
La filiale française d'Ericsson, la Société
Française des Téléphones Ericsson (STFE),
est créée et l'année suivante, l'usine de la société
sur 7000 m². est achevée à Colombes, en banlieue
parisienne ... Voir
la page STFE
1919,
Aaron Weil, provenant du commerce des cuirs et des peaux où il
a fait fortune, rachète TELIC
cette société qui devient Le
téléphone privé, et se lance dans la
production.L'entreprise est en pleine croissance, et prend le nom de
TELIC
Téléphonie Industrielle et Commerciale,
fusionnant la vente et la production...
Voir
la page TELIC
1920
LTT était une société française
fondée Quatre actionnaires fondateurs se partagent, à
parts égales, le capital social de 10 millions de francs.
- la Compagnie Française pour lexploitation des procédés
Thomson Houston
- la Compagnie Générale des Câbles de Lyon
- les Tréfileries et Laminoirs du Havre
- la société LMT Le Matériel Téléphonique
filiale de la holding américaine ITT.
... Voir
la page LTT
1928 est créée la Société
Alsacienne de Construction Atomique, de Télécommunications
et dElectronique spécialisée dans la conception
et la fabrication déquipements de télécommunications
: ALCATEL.
1936 la SIT disparaît, rachetée par la Compagnie
Générale dÉlectricité
(CGE) .
1946 la CGE crée la Compagnie
Industrielle des Téléphones (CIT) qui
va négocier, Plan Marshall oblige, avec laméricain
AT&T les licences et brevets pour les télécommunications.
1959, une entreprise partenaire des PTT, la SO.CO.TEL
: Société mixte pour le développement de la Commutation
dans le domaine des Télécommunications... Voir
la page SOCOTEL
1970, suite au 5ème Plan, la Compagnie
générale d'électricité (CGE)
absorbe Alcatel et la fusionne avec CIT pour former CIT ALCATEL.
1985 CIT ALCATEL absorbe Thomson Télécommunications
et devient Alcatel.
Elle reçoit aussi les apports de la division commutation publique
de Thomson CSF Téléphone et de la branche équipements
de transmission de LTT.
sommaire
1974-1981 Restructurations
des groupes français de l'électronique.
Jocelyne BARREAU Jean LE NAY. Groupe d'Etudes sur les Systèmes
Industriels (Université de Rennes I)
Quelques mois après la nationalisation des grands
groupes de l'électronique alors que le gouvernement issu des
élections du 10 mai 1981, définit une politique de filière
dans cette branche, une analyse systématique des stratégies
menées par les grandes entreprises françaises de l'électronique
pourrait permettre d'éclaircir le débat, en présentant
un bilan et en dégageant des perspectives.
Cet article s'inscrit dans cette optique. Il vise
à analyser la stratégie mise en uvre par les quatre
grands groupes français de l'électronique : Thomson
- Brandt - la CGE. - Saint Gobain et Matra,
à partir des opérations de restructuration effectuées
de 1974 à 1981.
Les restructurations constituent en effet un puissant révélateur
de la stratégie mise en uvre : elles expriment les alliances
nouées, l'évolution de la place dans la DIT, l'ampleur
des diversifications, et, tout particulièrement dans l'électronique,
le poids des interventions de l'Etat.
Nous verrons que la logique des restructurations a été
très variable d'un groupe à l'autre, que l'ensemble industriel
qui en découle en 1981 est disparate, en position difficile dans
des activités jugées décisives pour l'avenir, orienté
vers des alliances nord-américaines, technologiquement dépendant
(informatique, composants...). La stratégie mise en uvre
correspond globalement à une politique de créneaux et
non de filière.
Quels enseignements peut-on tirer de ce bilan ? Un plan
cohérent et offensif doit rapidement voir le jour, qui suppose
une volonté politique, des moyens économiques et une redéfinition
du rôle et des partenaires de chacune des quatre grandes entreprises
concernées.
Dans un premier point nous caractériserons
les stratégies de restructuration fort distinctes, mises en uvre
par chaque groupe.
Nous verrons ensuite que ces stratégies
s'expliquent essentiellement par la place des groupes dans la Division
Internationale du Travail d'une part et par l'intervention des pouvoirs
publics d'autre part.
Nous conclurons sur les perspectives ouvertes
par les nationalisations.
I. - Opérations de restructuration et stratégies mises
en oeuvre par les grands groupes français de l'électronique
Caractérisons brièvement les stratégies
des quatre groupes.
1.1. La stratégie de CGE (1)
Certains observateurs accusent la CGE de « préférer
la finance à l'industrie » (2). Les préoccupations
financières ne sont certes pas absentes de la stratégie
du groupe CGE ; cependant un examen attentif de son comportement nous
conduit à affirmer qu'il mène une stratégie industrielle
caractérisée par la volonté de renforcer ses positions
dans ses principaux secteurs d'implantation, de s'assurer une forte
part des marchés prometteurs (télématique et bureautique,
énergies nouvelles et économies d'énergie), de
réduire le poids des marchés publics dans le chiffre d'affaires
global, de préserver son indépendance technologique
1.1.1. Renforcement des positions acquises dans les secteurs traditionnels
d'implantation.
Pour renforcer ses positions dans les secteurs traditionnels d'implantation
(câbles, commutation téléphonique, énergie...),
le groupe CGE a procédé à des opérations
de concentration horizontale (les Câbles de Lyon absorbent les
Laminoirs Trefileries de Lens en 1979 ; CIT Alcatel acquiert la majorité
de l'activité « commutation publique » de l'AOIP
en 1979), et à des opérations de diversification géographique
(CIT Alcatel prend le contrôle de la société américaine
de commutation électronique privée, RCPC, en 1974 puis
crée la filiale américaine TSS dans le domaine de la commutation
publique en 1979 ; les Câbles de Lyon prennent le contrôle
de la société grecque Chandris Câbles en 1980,...).
1.1.2. Pénétration dans les
branches d'avenir
Le « Plan pluriannuel de promotion
et de développement 1979-1983 » élaboré par
le groupe CGE prévoit de lui assurer une forte part des marchés
d'avenir, « économies d'énergie et énergies
nouvelles » (avec un chiffre d'affaires de 2,5 milliards de francs
prévu pour 1985), « télématique et bureautique
» (avec un chiffre d'affaires de 12 milliards de francs prévu
pour 1983). Le groupe CGE prévoit d'occuper 4 % du marché
mondial dans le secteur bureautique et télématique en
1983. Ce chiffre reflète mal les ambitions de la CGE qui compte
réaliser de bien meilleures performances sur quelques créneaux
: traitement du courrier, commutation-messagerie, service informatique,
exploitation des banques de données. Dès maintenant, GSI,
filiale spécialisée dans le service informatique, occupe
le premier rang en France et en Europe grâce à de nombreuses
opérations de restructuration : prises de contrôle de Fidutec
et de la société allemande Datei en 1974, de STAD en 1975,
de la société britannique CRC et de la société
américaine Transcomm en 1977, de Natel en 1978, de la société
espagnole Sevesco et de la société belge Interdata Benelux
en 1979, de la société britannique Jaserve en 1981. De
même, la filiale Société des Machines Havas, spécialisée
dans les machines à affranchir, occupe actuellement le deuxième
rang mondial après l'absorption de la société américaine
Friden Mailing Equipement en 1979 et de la société britannique
Roneo Vickers en 1980.
(1) Le groupe CGE réalisait en 1974 un chiffre
d'affaires de 15 905 millions de francs avec un effectif de 132 000
et en 1980 un chiffre d'affaires de 45 782 millions avec un effectif
de 179 000. Le chiffre d'affaires étranger représente
en 1980, 30,8 % du chiffres d'affaires total (contre 26,8 en 1974).
Le secteur « télécommunications » et informatique
intervient pour 18, 2 % dans le chiffre d'affaires total en 1980 (les
« télécommunications » intervenaient pour
19 % dans le chiffre d'affaires total en 1974).
(2) Le Nouvel Economiste, 3.12.79, page
62.
1.1.3. Tentative de désengagement vis-à-vis
des marchés publics
Les dirigeants de la CGE expriment clairement
leur volonté de diminuer leur dépendance à l'égard
des marchés publics en juin 1976 (discours d'Ambroise Roux, rapport
d'activité 1975). Ceci implique une diversification sectorielle
(ainsi le développement du secteur télématique
et bureautique correspond effectivement au souci de pénétrer
sur un marché en pleine expansion mais, également, au
souci de restreindre la part de la clientèle PTT dans le chiffre
d'affaires de CIT Alcatel) et une diversification de la clientèle.
Le groupe CGE va fournir un effort important pour développer
ses ventes à l'étranger (marchés nord-américain
et européen) et auprès de la clientèle privée
française.
La CGE tente d'investir le marché nord-américain
aussi bien dans ses secteurs d'implantation traditionnels (opérations
RCPC et TSS en commutation) que dans ses nouveaux secteurs d'implantation
: en 1979, absorption de la société américaine
Friden Mailing Equipment spécialisée dans les machines
à affranchir ; en 1980, création d'Alta Technology par
la filiale CGA du groupe pour adapter les terminaux de paiement CGA
au marché américain et les commercialiser, signature d'un
accord entre Telic et la société américaine Source
Telecomputing, pour la commercialisation du terminal annuaire développé
par Telic. Par ailleurs, l'absorption de la société britannique
Roneo Vickers doit fournir à la CGE un bon réseau pour
la commercialisation des produits du secteur télématique
et bureautique puisque Roneo Vickers possède un fichier de 500
000 clients surtout localisés en Europe du Nord (3).
Pour développer ses ventes auprès
de la clientèle privée française, CGE améliore
les services rendus à la clientèle et développe
son réseau commercial. L'exemple du secteur téléphonie
privée est, à cet égard, révélateur
: en 1974, création de deux filiales, Electrobail spécialisée
dans les opérations de leasing, SLET société de
location d'équipements téléphoniques privés
; en 1976, création de GST, générale de services
téléphoniques, à la suite de la prise de contrôle
de trois sociétés d'installation téléphonique,
accroissement significatif de la taille de GST à la suite de
nouvelles opérations de prise de contrôle en 1978 ; en
1979, création de « la téléphonie industrielle
et commerciale », société chargée de commercialiser
les produits de Telic et de CIT Alcatel. Dans un autre domaine, les
biens grand public, la prise de la participation de 34 % au capital
de Locatel en 1979 fournit au groupe CGE un réseau de 1 000 points
de vente.
(3) Le Nouvel Economiste, 22.9.1980.
1.1.4. Le souci de préserver une indépendance
technologique
Le groupe CGE a constamment manifesté
le souci de préserver son indépendance technologique.
Certaines opérations d'intégration trouvent leur justification
dans cet objectif : en 1977, CIT Alcatel absorbe la division commutation
de Cil HB pour s'assurer la maîtrise du calculateur spécialisé
développé pour les centraux électroniques de grande
capacité et qui en constitue le composant essentiel, en 1980
CIT Alcatel acquiert la société américaine Semi
Process Inc, spécialisée dans certaines technologies de
circuits intégrés adaptées aux télécommunications.
Lors de tout accord avec des groupes étrangers
et en particulier lors de la création de filiales communes, CGE
apporte sa technologie et tente de garder la maîtrise des centres
de décision (accords croisés conclus par exemple en 1977
par Havas Satas Adress, Adressograph-Multigraph et Roneo Vickers).
Quand le groupe CGE doit se procurer une technologie
absolument nouvelle, il achète une licence puis développe
des produits originaux sur cette base. Ainsi, en 1971, le département
Transac de la CGE achète à la société américaine
Incoterm une licence pour la fabrication d'un distributeur automatique
de billets. En 1975, grâce à un effort très important
en recherche et développement (il atteint 1 5 °/o du chiffre
d'affaires en 1980 contre une moyenne de 8 % dans l'ensemble de la branche),
Transac est en mesure de céder à Incoterm la licence d'un
guichet automatique très performant (4).
(4) Electronique Actualités áu 17 octobre 1975.
1.2. La stratégie de Matra (5)
Tout comme CGE, Matra mène une politique
active de diversification pour réduire la part du secteur militaire
dans son chiffre d'affaire global ; Matra pénètre sur
des marchés en pleine expansion et mutation technologique, tout
en essayant de préserver le caractère « entreprise
de matière grise » de la société mère
du groupe. Matra, cependant n'est pas un groupe aussi puisssant que
CGE. Encore fortement dépendant des marchés militaires
(45 % de son chiffre d'affaires en 1980), Matra ne peut déployer
sa stratégie sans tenir compte des pressions exercées
par les pouvoirs publics français.
1.2.1. Pénétration sur des marchés
en pleine expansion et mutation technologique
Matra a choisi de pénétrer
sur des marchés en pleine expansion et mutation technologique
: télématique et communications, systèmes informatiques,
conception assistée par ordinateurs,... Au cours de l'année
1978, Matra répond à de nombreux appels d'offre des PTT
et mène l'étude et la réalisation de prototypes
au sein de sa division « communications » (250 personnes
en 1979, dont 40 % d'ingénieurs et cadres). En 1979, Matra se
dote des moyens industriels nécessaires aux fabrications de série
: prise de participation majoritaire au capital de la société
Peritel, première société européenne de
la péritéléphonie en mai 1979, prise de contrôle
de trois sociétés du groupe Depaepe (principales sociétés
françaises dans la fabrication de postes téléphoniques
et d'intercoms) en juillet 1979.
Matra ne se contente pas de fournir le «
matériel » de communication (terminaux videotex, télécopieurs,
satellites de communication,...) son ambition est de bâtir un
vrai groupe de communication (6) en fournissant également les
« services » (radio, presse écrite, films, éventuellement
programmes de télévision,...) Ainsi s'expliquent la participation
de Matra dans Europe 1. (portée à 16 % en novembre 1980)
et la prise de participation au capital de la librairie Aristide Quillet,
éditrice du quotidien, « les Dernières Nouvelles
d'Alsace », en avril 1980, puis la prise de participation au capital
de la librairie Hachette, premier groupe français de presse et
de l'édition en décembre 1980.
Dans le domaine des systèmes informatiques,
Matra Informatique (filiale commune créée en 1977 par
Matra et le groupe américain TRW pour le développement
et la commercialisation de systèmes informatiques pour la saisie
et le traitement des données) annonce en mai 1980 son entrée
dans la bureautique, le traitement de texte et la recherche documentaire,
le courrier électronique, la gestion des télex. Matra
Informatique prévoit de réaliser un chiffre d'affaires
de 400 millions de francs en 1983. Enfin, Matra qui pénètre
dans le secteur de la conception assistée par ordinateur en prenant
le contrôle de la firme Datavision en 1980, prévoit un
chiffre d'affaires de 200 millions de francs dans ce secteur en 1985.
1.2.2. Volonté de garder à la société
mère son caractère d'« entreprise de matière
grise ».
La volonté de pénétrer sur
des marchés en pleine expansion impose au groupe Matra de passer
à la fabrication en grande série (les télécopieurs
grande diffusion, terminaux videotex,... seront des biens grand public).
Or, Matra veut rester une « entreprise de matière grise
». La société mère du groupe (qui emploie
1 281 ingénieurs et cadres et 1 418 techniciens sur un effectif
total de 5 496 personnes en 1978) se réserve la conception et
la réalisation des prototypes. Les productions en série
sont confiées aux sociétés récemment absorbées
par le groupe : Peritel, Depaepe, Solex, Jaeger,... De plus, le groupe
Matra cherche à préserver son indépendance technologique.
Les accords signés avec le groupe américain Harris prévoient
que leur filiale commune MHS conçoive des circuits intégrés
originaux adaptés au marché français.
Dans ses tractations avec la firme américaine
Intel, Matra refuse d'être simplement une unité de production
sous-traitante. Il est trop tôt pour dire si oui ou non Matra
a obtenu le respect de ces conditions de départ. Enfin, en août
1980, Matra prouve sa capacité à pénétrer
dans un secteur nouveau, sur la base de recherches menées dans
les laboratoires français, en créant Euromask société
spécialisée dans la fabrication d'équipements de
photolithographie nécessaires à la production de circuits
intégrés.
(5) La société mère Matra réalisait
en 1974 un C.A. de 845 millions de F avec un effectif de 4 175 personnes
et en 1980, un C.A. de 2,903 milliards de F avec 5 105 personnes. Le
groupe Matra constitué à partir de 1979 a réalisé
en 1980 un C.A. de 5 599 millions de F, l'ensemble des sociétés
contrôlées par le groupe réprésente en 1980
plus de 50 000 employés. Il ne fournit pas de chiffres consolidés
sur son C.A. à l'étranger ; signalons seulement que la
société mère a réalisé en 1979 54,5
°/o de C.A. à l'exportation dans le domaine militaire. Alors
qu'en 1974, le secteur électronique était insignifiant
dans l'ensemble de l'activité, il représente en 1979 19
% du C.A. global (communications et télématique, composants,
informatique, électronique automobile).
(6) Propos de Y. SABOURET, vice président de Matra,
Le Monde du 7 novembre 1980.
1.2.3. Nécessité de tenir compte
des pressions exercées par les pouvoirs publics.
Bien qu'il soit difficile de connaître
la nature des négociations menées entre pouvoirs publics
et groupes, beaucoup d'indices suggèrent que certaines opérations
de restructuration menées par Matra s'expliquent par la nécessité
de tenir compte des orientations suggérées ou imposées
par les pouvoirs publics et n 'étaient pas réellement
souhaitées par Matra.
Dans le rapport d'activité 1977 du groupe,
J.L. Largar dère déclarait : « les filiales présentes
et futures sont, seront choisies dans les seuls domaines où Matra
possède déjà une connaissance technique et industrielle
de premier plan,... ». Les opérations de restructuration
menées dans le secteur télématique- communications
entrent dans ce cadre. Mais comment expliquer la participation de Matra
au plan composants (annoncée en septembre 1978) et le recours
à la technologie américaine que ce plan impliquait ? Il
semble que Matra ait été sollicité par les pouvoirs
publics (7) et ait accepté car cela ne contrariait pas sa stratégie
de pénétration dans des secteurs en pleine expansion et
mutation technologique. En février 1979, la filiale commune à
Matra et au groupe américain Harris Semi Conductor, MHS, est
créée pour la production de circuits intégrés
de type CMOS. Un an plus tard, Matra signe un nouvel accord avec Harris
prévoyant l'extension de leur coopération au domaine des
circuits bipolaires. Enfin, en avril 1981, une filiale commune unit
Matra au groupe américain Intel. Cette opération permettra
à Matra de maîtriser la technologie N.MOS et de figurer
parmi les grands groupes en circuits intégrés, toutes
technologies confondues mais, menée hors plan composants, elle
place les pouvoirs publics devant le fait accompli. Contrairement à
ce que prévoyait le plan composants, les différents pôles
français sont désormais en situation de concurrence (concurrence
MHS - Eurotechnique en particulier pour la production de circuits intégrés
N.MOS).
La pénétration de Matra dans la
branche électronique automobile est probablement une conséquence
de sa participation au plan composants. En effet, il semble que la rentabilité
de MHS passe par la fabrication de circuits intégrés standards
(8). Matra a, sans doute, jugé bon de s'assurer un débouché
pour les circuits intégrés de MHS en prenant en mai 1979
une participation de 25,5 % au capital de Jaeger et en s 'associant
avec VDO Shinoling, groupe allemand actionnaire de Jaeger également,
(VDO et Jaeger contrôlent 25 % du marché mondial de la
carburation automobile), puis en prenant le contrôle du groupe
Solex, premier groupe mondial de la carburation automobile, en octobre
1979. L'électronique automobile est en effet une branche d'avenir
et les recherches menées actuellement (contrôle permanent
du véhicule, diagnostic embarqué, carburation commandée
par microprocesseurs,...) font de Jaeger et de Solex d'importants acheteurs
potentiels de circuits intégrés. Dès le début
de l'année 1980, MHS crée pour fabriquer des circuits
intégrés destinés aux télécommunications
et aux applications militaires et spatiales, annonce un élargissement
des accords conclus avec Harris à la fabrication de circuits
intégrés bipolaires et à l'étude de circuits
pour l'automobile.
Notons enfin que les prises de participation de
Matra dans la branche horlogerie (accords VDO/Matra en 1978 et prise
de contrôle de Jaz en 1979) ne semblent absolument pas compatibles
avec la stratégie du groupe et semble avoir été
imposées. En effet, MHS n'a jamais eu l'intention de produire
des composants pour l'horlogerie et Matra a dû, au début
de 1981, conclure un accord avec un groupe japonais pour approvisionner
sa branche horlogerie (fortement déficitaire) en composants et
produits finis.
(7) C'est ce que déclare J.L. LAGARDÈRE à la
presse. Cf. Electronique Actualités 13.10.1978.
(8) Electronique Actualités. 13
octobre 1978.
1.3. La stratégie de Thomson - Brandt (9)
L'étude de la période 1974-1981 montre
le rôle joué par les pouvoirs publics dans les restructurations
du groupe dans l'électronique professionnelle (Thomson CSF).
Dans la branche « grand public » les restructurations opérées
ne correspondent guère à une stratégie industrielle
offensive. Enfin, l'internationalisation de la production reste faible.
1.3.1. Des liens privilégiés
avec les pouvoirs publics pour l'électronique professionnelle
En 1974, Thomson CSF (et plus globalement
le groupe Thomson Brandt) réalisait l'essentiel de ses profits
sur des marchés « institutionnels », publics ou para-
publics (armement, détection, radiocommunication, transmission,
diffusion, équipement médical (10)... Il s'agit là
de marchés protégés, de « souveraineté
» où le niveau technique et les relations politiques comptent
plus que les prix. Les relations avec l'Etat sont donc essentielles.
Celui-ci fournit les marchés intérieurs et extérieurs,
ces derniers dépendant de la politique étrangère
et de la « clientèle » internationale de la France
(11). C'est ainsi que Thomson CSF exporte principalement ses matériels
dans les pays du Tiers Monde (pays du Moyen Orient, Afrique) et dans
les pays de l'Est.
Les marchés publics garantissent aussi
une importante aide publique au niveau de la Recherche-Développement
: en 1971, 53 % des dépenses de recherche- développement
étaient financés par les pouvoirs publics (12).
Les restructurations opérées par
Thomson CSF entre 1974 et 1981 vont consolider ce rôle des liens
avec l'Etat. Thomson CSF entretient, il est vrai, d'excellentes relations
avec les hommes politiques qui s'installent au pouvoir en 1974. Thomson
CSF va devenir l'instrument privilégié de la politique
industrielle de l'Etat dans l'électronique. Il bénéficiera
ainsi de marchés, de subventions, de prêts :
dans la téléphonie :
Thomson est choisi en 1976 (13) par la DGT pour
être l'instrument de la francisation et du développement
industriel (en particulier par l'exportation) de la branche. Le groupe
reprend en 1976 et 1977 les filiales françaises de ITT (LMT)
et d'Ericsson (SFTE) qui assuraient jusqu'alors 60 % des ventes en France.
En 1979, l'acquisition du secteur commutation de messages de la CGCT
(ITT) et en 1980 l'absorption de l'usine de Morlaix d'AOIP complètent
l'opération. Thomson pourra bénéficier de la formidable
croissance d'un marché intérieur très sous-équipé
(14). Parti de rien en 1976, le groupe acquiert ainsi plus de 40 % du
marché intérieur de la commutation publique.
dans l'informatique :
Après l'échec de la « solution
européenne » Unidata en 1975, Thomson CSF constituera le
pôle de regroupement de la mini-informatique française
et, plus généralement, de toute l'activité de la
Cil qui n'est pas reprise par la Cil HB. Cette opération se fait
à l'initiative et avec une aide importante des pouvoirs publics
: ceux-ci verseront 130 millions de F.F. pour assurer la reconversion
de l'usine de Toulouse (qui fabriquait, en particulier, des gros ordinateurs)
de la Cil, 55 millions de subventions et 65 millions de F.F. d'aides
remboursables pour développer la mini-informatique. C'est ainsi
que naît la SEMS en 1976 (15) et le holding Cogis puis, après
que la CGE eut cédé ses parts et dans le cadre d'une nouvelle
organisation, Thomson CSF Informatique, en 1980. En 1976, Thomson CSF
regroupe ainsi 45 °7o du parc français de mini-ordinateurs.
dans les composants :
Thomson CSF constituera le principal bénéficiaire
du plan composants signé en 1978. Il recevra plus de la moitié
des 600 millions de francs français prévus initialement
dans le Plan. Celui-ci reprend les solutions élaborées
à partir de 1976 par le groupe : l'activité circuits MOS
s'articulera autour de Efcis (filiale du CEA) et de Motorola (16).
dans les fibres optiques :
La filiale commune LMT-Saint Gobain - Corning
Glass (1981) devrait constituer le pôle de regroupement des activités
industrielles françaises dans ce domaine d'avenir, après
les choix de la DGT, et bénéficier d'aides et de marchés
importants (câblage de Biarritz).
(9) Ce groupe réalisait en 1974 un chiffre
d'affaires de 12,4 milliards de francs avec un effectif de 96 000 personnes
et en 1980, un chiffre d'affaires de 36,5 milliards de francs avec un
effectif de 128 400 personnes. Le C.A. étranger représente
en 1980, 45,5 % du chiffre d'affaires total du groupe (contre 34 °7o
en 1974) dont 70 °/o représentent les exportations des sociétés
françaises. La branche électronique intervient pour 60
% dans le chiffre d'affaires global 1980 contre 50 % en 1974.
(10) La CGR n'a été intégrée
à Thomson CSF qu'en 1980, à la suite de difficultés
répétées.
(11) Cf. les déclarations de N. Segard dans le Nouvel Economiste
n°174 du 12.3.1979.
(12) La baisse progressive de cet apport (23 % en 1979) a entraîné
des réactions vives et répétées des dirigeants
du groupe.
(13) Le groupe préparait son entrée dans la branche depuis
1974.
(14) On prévoyait de passer de 7,15 millions de lignes de 1975
à 20 millions en 1980.
(15) Elle regroupe les activités de la mini informatique de la
Cil et de la Télémécanique Electrique.
(16) Thomson CSF a pris 35 °7o du capital de Efcis et passé
un accord avec Motorola dès 1976. Le groupe acquiert 50 % de
Efcis en 1976 et 65 % en novembre 1980. L'Etat s'engage à verser
220 millions de FF à ce pôle de 1978 à 1982.
1.3.2. Le refus d'une stratégie industrielle
pour les biens « grand public ».
Thomson va réaliser d'importantes
restructurations dans ce domaine entre 1974 et 1981 : création
(à partir d'une usine General Electric) de Thomson Española
en 1974, de E.S.E: à Singapour en 1975 ; reprise de Nordmende
(RFA) en 1977 ; de Rohren A. G. (RFA) en 1979, de Saba (RFA) et de Videon
S.A. (France) en 1980.
Ces opérations concernent essentiellement
la télévision couleur (TVC), tubes (près de la
moitié du coût total) et récepteurs, où Thomson
est déjà présent depuis 1971 avec Videocolor (où
RCA détient 49 °/o des actions).
Thomson va ainsi prendre la deuxième place,
derrière Philips, en Europe et la septième dans le monde
dans la vente des récepteurs (1 650 000 en 1980) et la 6ème
place mondiale dans la vente des tubes TVC (2 500 000 environ en 1980).
Ceci ne signifie cependant pas que Thomson a adopté
une stratégie industrielle. En effet,
les investissements industriels sont faibles
tout comme la recherche- développement(2 °7o du chiffre d'affaires
en 1980) ;
1 700 emplois et deux usines sur cinq furent
supprimés chez Nordmende ; l'usine de Videon (950 personnes fin
1980) a été fermée en 1981 : Thomson supprime des
pans entiers des entreprises qu'il absorbe.
Videocolor est absent du marché
des tubes petit format, marché en pleine expansion (40 °/o
de la demande en Europe en 1980). Thomson (et Philips) préfère
en effet acheter ces tubes aux entreprises japonaises et les commercialiser
sous ses marques. 47 °/o des tubes vendus en Europe en 1980 étaient
japonais, dont la quasi-totalité des tubes petit format, marché
le plus porteur.
Thomson achète une partie de ses
tubes grand format PIL aux Etats-Unis, auprès de RCA.
Ces éléments montrent que Thomson
ne va pas jusqu'au bout d'une stratégie industrielle. Les prises
de contrôle effectuées peuvent par contre s'interpréter
comme des opérations visant les réseaux commerciaux, les
marques, les parts de marché, beaucoup plus que les moyens industriels.
Les réseaux seront remplis par des éléments d'origines
diverses : petits tubes japonais, grands tubes RCA, tubes fabriqués
par l'E.S.E. à Singapour et, bien sûr, tubes des usines
européennes de Videocolor, tous « habillés »
par les marques Thomson. Cette politique est très cohérente
avec celle pratiquée pour le reste de la branche grand public
: dans le domaine audio, Thomson vend sous ses marques des produits
d'origines variées : importation, assemblages, fabrication sous
licence de produits d'Extrême Orient pour l'essentiel. Dans le
domaine des magnétoscopes, Thomson est commerçant ou licencié
: commercialisation des appareils VHS de JVC (groupe Matsushita) depuis
1978 ; production sous licence en 1979 ; accord avec JVC, Thorn Emi
et AEG.T en mai 1981, concernant magnétoscopes, vidéodisques,
caméras vidéo et chaînes haute fidélité
(17).
Ces marchés sont globalement très porteurs
( + 30 à 50 % par an) et Thomson disposait depuis plusieurs années
de bons produits. Il devra pourtant, étant donné le refus
de s'engager dans une production industrielle originale, se contenter
de se placer sur les marchés « professionnels » et,
pour le reste, il apposera ses marques sur des produits importés
ou fabriqués sous licence.
La répugnance du groupe à mener
une politique offensive dans les produits grand public correspond bien
à une tradition qui tend à s'appuyer sur des marchés
institutionnels protégés, avec des produits à haute
technologie. La demande de biens « grand public » est d'une
nature bien différente : très concurrentielle, non protégée,
parfois imprévisible. S'y consacrer implique des risques non
négligeables.
La stratégie industrielle du groupe s'appuie
essentiellement sur le pôle électronique professionnelle.
C'est une stratégie « haut de gamme » (les progrès
réalisés dans l'électronique militaire s'appliquant
progressivement aux autres branches, qui sont dépendantes et
entraînées par l'élément moteur). Les entreprises
japonaises ont préféré s'appuyer sur les marchés
grand public reconquis souvent avec des techniques étrangères,
et ont pu ensuite remonter la filière vers l'amont jusqu'aux
composants. La conception « élitiste » de Thomson
est-elle toujours de mise ?
Cette question mérite d'être posée
à un moment où les vastes marchés de la télématique
et de la bureautique se développent. Thomson est présent
dans toutes les branches de l'électronique. Cette grande originalité
pourrait être un atout, mais ne débouche guère en
aval sur des produits grand public susceptibles de mettre en uvre
les effets de synergie que l'on pourrait attendre. Les dirigeants du
groupe ne croient pas à la télématique grand public.
Ils déclarent viser le créneau professionnel (tout comme
pour les vidéodisques et les télécopieurs), les
« communications d'affaires ». On retrouve, là encore,
le refus du groupe de s'engager sur des marchés grand public,
alors qu'il possède, par exemple, tous les éléments
de la filière télématique eè bureautique.
1.3.3. Une production qui demeure faiblement internationalisée.
Le groupe réalise depuis longtemps
une part importante de son chiffre d'affaires sur des marchés
étrangers (le pourcentage varie de 35 % en 1976 à 45,5
% en 1980 et concerne essentiellement les pays du Tiers Monde). Cependant,
ces ventes sont réalisées surtout à travers des
exportations à partir de la France. La production directe à
l'étranger reste structurellement faible : 6,4 °/o du chiffre
d'affaires en 1976, 7,8 % en 1978. Le pourcentage fait un saut à
partir de 1979 (10,7 %) et atteint 13,8 °/o en 1980, à la
suite de la consolidation des acquisitions allemandes dans le domaine
de la TVC. Malgré cela, le groupe reste essentiellement à
base française. Il n'a réalisé qu'une délocalisation
« classique » à Singapour, ses autres acquisitons
ayant surtout pour effet de récupérer des réseaux
commerciaux et des parts de marché. Pourtant, Thomson a, depuis
plusieurs années, l'intention de s'établir de manière
significative aux Etats-Unis. En effet, c'est aux Etats-Unis que les
marchés des nouveaux produits sont les plus prometteurs (télématique,
bureautique) et c'est là que se définiront les futurs
« standards » pour ces produits. Le problème sembla
réglé en avril 1981 , lorsqu'un accord fut conclu avec
Continental Telephone (600 millions de $ de chiffre d'affaires en 1980,
4ème exploitant de télécommunications aux Etats-Unis).
Thomson se déclara prêt à investir un milliard de
F.F. aux Etats-Unis pendant les cinq années à venir. L'accord
avec Continental Telephone portait sur la téléphonie privée
et la télématique.
Pourtant l'accord fut rompu en septembre 1981
: coût trop élevé de l'opération ? Conséquence
de la nationalisation de Thomson Brandt ? Il reste que Thomson n'est
toujours pas directement présent aux Etats Unis dans les marchés
porteurs et qu'il doit passer par des intermédiaires (Xerox,
3 M) pour vendre ses télécopieurs et vidéodisques
professionnels, ou exporter directement (vidédotex vendus à
GTE).
Au total, les restructurations du groupe de 1974
à 1981 mettent en évidence la puissance des liens avec
les pouvoirs publics, le rôle central des marchés institutionnels
(ces deux caractères étant évidemment liés),
le refus de s'engager dans des activités « grand public
» autrement qu'avec une logique avant tout commerciale, et le
faible niveau d'internationalisation de la production. Thomson reste
centré sur l'électronique professionnelle. Dans les autres
domaines, il apparaît attentiste, à la remorque de la politique
industrielle et sans stratégie industrielle cohérente
et dynamique. Les difficultés rencontrées actuellement
(18) et la nationalisation du groupe pourraient être l'occasion
de la mise en uvre d'une politique plus ambitieuse.
(17) Chaque entreprise devait se spécialiser
dans un des produits et réaliser la fabrication pour les partenaires
européens. Ceux-ci diffuseraient ces produits sous leurs propres
marques. L'accord du nouveau gouvernement français était
nécessaire à la mise en place de cette vaste Il a finalement
été refusé.
(18) La CGR a connu des difficultés persistantes ces dernières
années qui ont conduit à son absorption par Thomson CSF
en 1980. L'entrée dans la téléphonie a coûté
cher (SFT Ericsson) puis a conduit à des difficultés techniques
et à des retards dans la mise au point de la gamme complète
des centraux « temporels ». La SEMS perd des parts de marché,
dégage des pertes et doit conclure des alliances avec des entreprises
nord américaines dont elle devrait distribuer les produits (oct.
81). Videocolor dégage des pertes en 80. Sur le plan social,
les restructurations ont entraîné des licenciements importants.
Les mêmes effets apparaissent avec l'adoption accélérée
du « temporel » et l'alignement des techniques de production
de tubes et récepteurs de TVC sur les normes japonaises.
1.4. La stratégie de Saint Gobain (19)
Les dirigeants de Saint Gobain, considérant et
constatant que les « industries du groupe ne sont pas porteuses
», étudièrent les modalités d'un redéploiement
de grande envergure dès 1975. En effet, la crise affecte le verre
plat (essentiellement lié à l'évolution de la construction
et de l'automobile). Le département canalisation connaît
de graves difficultés en 1977-78, tout comme la branche papier-carton
dès 1975. Les restructurations réalisées vont donc
viser (20) :
à renforcer les positions du groupe dans
ses activités traditionnelles : en 1976, SGPM prend la majorité
du capital (50,6 °7o) de Certain Teed Corp aux Etats-Unis (matériaux
de construction, fibre de verre, canalisation ; chiffre d'affaires de
868 millions de $ en 1980), société dans laquelle il était
présent de façon minoritaire depuis 1967 ; en 1974, acquisition
de 12,05 °/o du capital de La Rochette Cenpa, principal concurrent
de la Cellulose du Pin ; en 1980, acquisition de Lafarge Emballage,...
à se débarrasser d'activités
en perte de vitesse : sidérurgie, (ventes des participations
dans Dilling et Sacilor en 1975, vente de Davum en 1979) ; produits
réfractaires (en 1980) ;
à pénétrer dans une
activité totalement nouvelle, l'électronique et à
y mettre en uvre une stratégie industrielle ambitieuse
et cohérente.
(19) Le groupe réalisait en 74 un CA de 20,9 milliards de
F. avec un effectif de 147 592 (sociétés intégrées
comprises), en 80, un CA de 43,5 milliards de F. effectif : 163 492.
Le CA étranger en 1980 est égal à 45,67 % du CA
global contre 48,6 % en 1974 dont 77,1 % réalisés par
la vente des filiales à l'étranger. En 74, S. G. n'avait
aucune activité dans l'électronique, en 80 l'électronique
(branche informatique) représente 9 % du chiffre d'affaires global.
(20) Si l'on met à part les prises
de participation (exemple acquisition de 4,38 % de Rhône Poulenc
en 75 portée à 10,6 °/o en 79) liées à
l'appartenance de S. G. au groupe financier de Suez et échappant
à une logique industrielle.
1.4.1. La diversification dans l'électronique
: nécessité et hasard
Le redéploiement du groupe est
étudié à partir de 1975 pour prévenir le
déclin des activités traditionnelles. Il s'agit d'acquérir
des entreprises :
garantissant un taux de croissance élevé
(activité sur des marchés « porteurs »
permettant d'accéder sans délai
à une part significative du marché mondial
de grande taille.
Une liste des « métiers d'avenir
» est élaborée : nucléaire (négociations
avec KWU), la chime fine (« les places sont prises »), la
biochimie (activité « naissante »), les énergies
nouvelles (« pas de perspectives bouleversantes ») et l'électronique.
Des contacts sont pris, des moyens sont dégagés. La vente
de Phénix, en 1978, rapporte 225 millions de francs français.
La même année, une augmentation du capital de 566 millions
de F.F. est réalisée. Des immeubles sont vendus. Globalement,
de 1974 à 4978, SGPM aurait procédé à des
cessions d'actifs de l'ordre de 2,3 milliards de F.F.
Fin 1977 déjà, le groupe disposait
au bilan d'une trésorerie importante (de l'ordre du milliard
de F.F.) qui lui permettait d'envisager des acquisitions significatives.
Cependant, aucune acquisition n'est réalisée tant que
des menaces de nationalisation du groupe subsistent. La défaite
de la gauche en mars 1978 puis l'adoption du plan composants fourniront
à Saint Gobain l'occasion de pénétrer dans la branche
électronique.
SGPM (51 °/o) créé Eurotechniquej
avec National Semi Conductor (49 %). NSC apporte sa technologie et SG
90 millions de francs français de fonds propres. L'Etat apporte
une subvention de 100 millions de FF (1978-1982) ; des organismes publics
accorderont des prêts participatifs à taux réduit
pour atteindre les 420 millions de F.F. d'investissements indispensables
pendant la première période de cinq ans. L'entreprise
devait commencer sa production en 1981.
Cette diversification au plein sens du terme est
très ambitieuse. Saint Gobain veut devenir « un des grands
mondiaux » de l'électronique, selon M. Roger Fau- roux,
son nouveau P.D. G. ; les opérations réalisées
en 1979-80 vont dans ce sens.
1.4.2. Une stratégie industrielle cohérente
dans la filière électronique
Saint Gobain pénètre la
branche informatique en prenant une participation (20 % en 1979) puis
le contrôle (51 % en 1980) des Machines Bull qui regroupent 53
°/o de Cil HB. La première partie de l'opération,
l'achat des titres à la CGE, coûtera 255 millions à
Saint Gobain.
Le dernier étage (21) de l'opération
consistera dans l'entrée dans le capital d'Olivetti, annoncée
en avril 1980 et réalisée progressivement. L'acquisition
de 30 % des titres aurait coûté près d'un milliard
de francs à SGPM. Le groupe aurait bénéficié
pour cette opération d'un prêt de 200 millions de francs
français du Crédit National.
Au total, les opérations réalisées
en 1979, 1980, 1981 auraient représenté un investissement
de 1,6 milliard de francs français. Le financement en aurait
été assuré de la façon suivante :
- trésorerie de groupe 50 %
- empeunt (22) 25 %
- banques et inxestisseurs qui se sont joints au groupe 25%
Au moment de l'entrée du groupe dans le
capital des Machines Bull, Saint Gobain prévoyait pour 1982,
un chiffre d'affaires de 40 milliards de FF, dont 25 % dans l'informatique.
Un an plus tard, après l'opération Olivetti, on rapporte
(23) que M. Fauroux souhaiterait qu'en 1985 l'électronique représente
40 % des activités du groupe... « Créer un ensemble
européen de dimension internationale dans le secteur de l'informatique
et de la bureautique », tel est le projet industriel du groupe
exposé dans le rapport d'activité publié en juin
1981.
Le projet de Saint Gobain est très cohérent,
car il cherche à développer des effets de synergie entre
ses diverses acquisitions.
Eurotechnique trouvera ses débouchés
auprès des grands utilisateurs de circuits que sont Olivetti
et Cil HB. On sait que l'approvisionnement en composants constitue un
important goulot d'étranglement pour les utilisateurs et marque
leur dépendance par rapport aux fournisseurs.
Par ailleurs, Cil HB et Olivetti apparaissent
complémentaires à bien des égards : ces deux entreprises
apportent les éléments nécessaires pour prendre
une des toutes premières places dans la bureautique. La répartition
des tâches entre Cil HB et Olivetti verrait Cil HB se recentrer
sur les gros et moyens systèmes et fournir à Olivetti
les éléments constitutifs des systèmes intégrés
d'information et de traitement de textes : mini et micro ordinateurs,
logiciels, mémoires (disques), essentiellement. Le pôle
bureautique du groupe s'appuierait donc sur les positions de marché
d'Olivetti (machines à écrire, en particulier) et sur
son réseau commercial (renforcé en 1981 par la prise de
contrôle de la société suisse Hermes Precisa).
La stratégie mise en uvre par SGPM pour assurer son développement
n'est donc pas purement financière : les fonds disponibles n'ont
pas été utilisés dans l'achat de participations
disparates, mais ont servi de base à une stratégie industrielle
cohérente dans un domaine nouveau : l'électronique. Ceci
conduit cependant à une certaine dépendance.
(21) Durant l'été 1981, Logabax est
entré dans le groupe S. G., en renforçant le pôle
miniinformatique. SG cherche actuellement à compléter
ses acquisitions dans le domaine de la commutation privée.
(22) Selon le rapport d'activité
pour 1980 Guin 1981).
(23) Le Monde du 19.04.1980.
1.4.3. Un redéploiement dépendant
Le groupe a décidé de se
rééquilibrer autour d'une activité entièrement
nouvelle pour lui (24) et à fort contenu technologique et commercial
qui manquait à SGPM. Par ailleurs, la taille du groupe impliquait
des opérations d'envergure afin de remodeler sensiblement l'équilibre
des activités.
C'est ce qui explique la nature particulière
du redéploiement de SGPM : le groupe est allié,
dans Eurotechnique à National Semi
Conductor (51/49 %)
dans la Cil HB à Honeywell, lequel
détient 47 % de l'entreprise franco- américaine
Enfin, SGPM détiendrait actuellement 38
% des droits de vote dans Olivetti.
Il est clair que les partenaires de SGPM sont
suffisamment puissants dans ces alliances pour intervenir avec force
dans les choix industriels des filiales communes. Leur poids est encore
accru par leur position de détenteurs de la technique, du savoir-faire,
des réseaux commerciaux, dont dépend le succès
du redéploiement de SGPM.
Ainsi le sort d'Eurotechnique dépend-il
de National Semi Conductor, qui est maître de la technique et
des conditions de sa transmission. SGPM ne maîtrise ni les équipements
nécessaires à la fabrication des circuits (importés
massivement des Etats Unis), ni les techniques en amont de la fabrication.
SGPM ne peut guère peser sur NSC, n'ayant pas réussi à
négocier lors de l'accord une prise de participation dans le
capital de son partenaire. Eurotechnique est condamné, pendant
une période indéterminée, à être «
une seconde source » par rapport aux réalisations de NSC
aux Etats Unis : le rythme de la transmission technologique sera dicté
par NSC.
De même, le fonctionnement et la structure
de Cil HB font-ils la part belle au partenaire américain. Les
flux commerciaux entre les deux sociétés montrent le déséquilibre
qui s'est installé depuis la signature de l'accord (25). La gamme
de Cil HB dépend largement d'Honeywell. La dépendance
technologique et industrielle de la Cil HB est telle que la «
francisation » de l'entreprise apparaît actuellement difficile.
Enfin les 38 % de droit de vote que détient SGPM qu sein d'Olivetti
à côté de Mr de Benedetti et des actionnaires traditionnels
tardent à se produire dans des projets communs et dans une politique
intégrée, cohérente par rapport au reste du groupe.(26)
Fin 1981, SGPM a donc réalisé une percée significative
dans l"élecronique., il reste à harmoniser les acquisitions
et à s'inposer face à des partenaires puissants. SGPM
dispose des moyens d'y parvenir. Sa forte internationalisation (27)
sa présence industrielle non négligeale aux ETATS-unis
(28), sa faible dépendance vis à vis des pouvoirs public,
de leurs marchés et de leurs aides (29) constituent des atouts
appréciables.
(24) Même si « Quartz et Silice »
travaillait déjà sur les fibres optiques.
(25) En 1980 Honeywell a exporté
pour 457 millions FF de matériel à Cil HB et a importé
pour 217 millions de FF de sa filiale. Cil HB réaliserait 60
% de son chiffre d'affaires avec des matériels conçus
et développés par Honeywell.
(26) Le départ de M. JP BRULE de Cil HB est un des aspects
des conflits qui peuvent surgir dans la mise en uvre d'une stratégie
de groupe cohérente.
(27) 46 % des ventes en 1980 ont été
effectuées par des filiales étrangères.
(28) 9 % des ventes en 1980.
(29) Notons cependant la participation au plan composants, les liens
avec les PTT pour les fibres optiques.
II. - Stratégies des groupes français
et des groupes mondiaux de l'électronique et interventions des
pouvoirs publics français
2.1. Stratégies des groupes français et des groupes
mondiaux de l'électronique
Considérons les stratégies
des groupes mondiaux de l'électronique avant de montrer comment
les stratégies des groupes français répondent aux
contraintes imposées par leurs grands concurrents mondiaux.
2.1.1. Les stratégies des groupes
mondiaux de l'électronique :
Si l'on doit caractériser le comportement
des grands groupes mondiaux de l'électronique, deux éléments
nous apparaissent primordiaux : affrontements sur le marché mondial
et concurrence par l'introduction de produits nouveaux, de plus en plus
sophistiqués, d'où l'importance des programmes de recherche
et développement, la rapidité du rythme des innovations
techniques et les variations fréquentes de prix.
Affrontements sur le marché mondial
Les affrontements entre groupes sont devenus particulièrement
durs dans deux domaines : les télécommunications et les
composants.
Jusqu'au milieu des années soixante, le
marché des télécommunications traditionnelles,
c'est-à-dire commutation et transmission téléphoniques,
présentait une structure relativement simple et stable. Le marché
intérieur américain était le monopole d'ATT, les
marchés européens présentaient toute la gamme des
structures possibles : monopole de la firme nationale Siemens en RFA,
partage du marché entre un groupe français CGE et des
groupes étrangers ITT, SFTE en France...
Enfin, le reste du marché mondial était
partagé entre trois grandes entreprises multinationales : ITT
(EU), Siemens (RFA) et Ericsson (Suède).
A partir de 1975, la situation se modifie radicalement,
les marchés nationaux occidentaux se saturent, sauf en France,
et les groupes à implantations nationales se tournent vers l'exportation.
La mutation technologique que constitue le passage de la commutation
électromécanique à la commutation électronique
permet à des groupes tels que CGE ou les groupes japonais Nippon
Electric et Nec d'entrer en concurrence avec les grandes firmes multinationales
; enfin, certains pays en voie de développement deviennent des
clients potentiels.
Sur le marché mondial des composants (évalué
à 10 milliards de dollars en 1980) s'affrontent à l'heure
actuelle firmes américaines et japonaises. Aux Etats Unis, sur
certains créneaux (mémoires), les firmes japonaises se
sont octroyées 46 °7o du marché (le Nouvel Economiste
du 13.10.1980, page 84). Sur le marché européen, qui représente
25 °7o du marché mondial, les firmes japonaises et américaines
créent de multiples filiales. Les firmes américaines Intel,
National Semi Conductor, Motorola ont accentué leur présence
en Europe en créant des filiales communes avec des groupes français
dans le cadre du plan « composants ».
concurrence par le biais des innovations
technologiques
C'est tout à fait en amont de la branche
électronique, dans le domaine des composants, que la course à
l'innovation est absolument exceptionnelle.
Cette stratégie est le fait des leaders
de la branche : Intel en particulier, qui, grâce à une
avance technologique variant de 6 mois à un an dans le domaine
des microprocesseurs, occupe la *prernière place sur le marché
américain (Electronique Actualités du 27.02.1981). Intel
cependant est talonnée par les Japonais dans certains domaines
(30).
Cette course à l'innovation entraîne
des chutes de prix très importantes car dès qu'un concurrent
a lancé un produit plus performant, le produit précédemment
présent sur le marché est obsolescent et il faut abaisser
fortement son prix pour continuer à le commercialiser (31).
Ce rythme exceptionnellement rapide d'innovation
se répercute dans toutes les branches situées en aval.
Les dirigeants de Peritel, société de péritéléphonie,
sont très préoccupés par les contraintes que leur
impose le rythme rapide des innovations dans la branche des composants
(32).
(30) Par exemple, la maîtrise de la production
préindustrielle de circuits à motifs de l'ordre de 2 /¿m.
Electronique Actualités du 27.02. 1981 .
(31) Ainsi, en juin 1981, Inmos annonce
une baisse de 60 % sur le prix de ses RAM statiques 16 K IMS 1400 (Electronique
Actualités, 19.06.1981, page 17). On pourrait multiplier les
exemples de ce type.
(32) L'Expansion, juin 1978, page 123.
2.1.2. L'adaptation des stratégies des
grands groupes français de l'électronique aux «
défis » mondiaux.
Les grands groupes français participent à
cette course à l'innovation (soit avec l'aide des centres publics
de recherche, soit en concluant des accords technologiques avec des
groupes étrangers) et à l'affrontement sur le marché
mondial.
L'aide des centres publics de recherche a été
décisive dans le domaine des télécommunications.
Elle a bénéficié à CIT Alcatel (groupe CGE)
dans le domaine de la téléphonie, avec la mise au point
du central électronique temporel E 10 ; à Thomson, Matra
et la CGE dans la télématique (élaboration des
terminaux vidéotex, des télécopieurs professionnels
et grand public.) ; aux quatre grands groupes dans la bureautique.
La conclusion d'accords technologiques avec des
groupes étrangers est diversement conçue selon les groupes.
Nous avons vu que la CGE restait soucieuse de
préserver son indépendance technologique. Elle s'efforce
de conserver la maîtrise décisionnelle et apparaît
en mesure d'adopter rapidement et efficacement les technologies acquises
à l'étranger.
De même, le groupe Matra, semble avoir les
moyens de préserver son indépendance dans les accords
qu'il passe avec l'étranger (Etats Unis) pour pénétrer
des domaines technologiquement nouveaux pour lui : c'est ce que suggèrent
les accords passés avec Harris et Intel dans les composants.
Leurs capacités et leur dynamismes technologiques
permettent à ces groupes d'absorber et d'adapter rapidement des
techniques nouvelles et d'établir, avec leurs fournisseurs, des
relations de réciprocité.
Thomson passe également des accords technologiques
dans des domaines nouveaux comme la téléphonie (il a tout
d'abord passé un accord avec Northern Electric pour pouvoir répondre
aux appels d'offre de la DGT, avant de reprendre les filiales d'ITT
et d'Ericsson en France), les composants (accords avec Motorola, qui
débouchera sur la création d'une filiale commune dans
le cadre du Plan Composants), les fibres optiques (accord avec Corning
Glass en 1981).
Son autonomie semble grande pour le reste de l'électronique
professionnelle, en dépit des problèmes et retards enregistrés
en électronique médicale.
Par contre, dans la branche « grand public
», Thomson Brandt recourt à des techniques américaines
ou japonaises pour une part importante de ses activités : tubes
« PIL » développés par RCA dans le cadre de
l'accord Videocolor ; fabrication sous licence des magnétoscopes
de Matsushita.
Enfin, Saint Gobain, nouveau venu dans l'électronique,
est dans une situation de dépendance technologique vis-à-vis
de ses partenaires NSC (composants), Honeywell (grande informatique),
Olivetti (bureautique).
L'avance et le dynamisme technologique constituent évidement
un élément décisif dans la conquête du marché
mondial. Il semble bien qu'il y ait une corrélation positive
entre le dynamisme technologique des groupes et leur propension à
se multinationaliser.
Ainsi, CGE et Matra mettent-ils à profit
leurs positions technologiques pour tenter d'investir le marché
américain sur certains créneaux : c'est le cas pour la
CGE avec son central temporal E 10. La filiale nord-américaine
TSS a pour objectif de produire et commercialiser une version adaptée
au marché américain ; de même, dans le domaine de
la télématique (videotex...), Matra a les mêmes
intentions dans la péritéléphonie et la télématique.
Au total, les groupes français se placent par
rapport au défi technologique en utilisant, bien sûr, leur
propre recherche-développement, en adaptant les produits de la
recherche publique et en passant des accords avec des fournisseurs essentiellement
nord-américains. Cela ne va pas sans de forts risques de dépendance
pour certains (Saint Gobain qui n'a pas le choix ; Thomson pour les
biens grand public).
Les filiales communes constituent le moyen obligé
de transfert de technologie dans le domaine des composants et des fibres
optiques. Les entreprises nord- américaines obtiennent en général
49 % des actions en contrepartie de la transmission technologique.
2.2. Stratégies des groupes français et interventions
des pouvoirs publics (33)
Les pouvoirs publics français ont,
pendant la période qui nous occupe, porté un intérêt
tout particulier à la branche électronique, branche stratégique,
à bien des égards, pour les économies développées.
La toile de fonds des interventions de l'Etat
est constituée par l'objectif de structures affirmé dans
le Vème Plan et rappelé dans le Vlème : constituer
dans chaque secteur un ou plusieurs groupes de taille suffisante pour
affronter la concurrence sur le marché mondial. Le contexte de
crise qui marque l'élaboration du Vllème Plan élève
au rang d'objectif principal le rétablissement de l'équilibre
extérieur.
Au-delà des affirmations des plans, l'essentiel des actions entreprises
dans l'électronique, par les pouvoirs publics, a été
l'uvre de la Direction Générale des Télécommunications
(DGT).
L'action de la DGT est basée sur l'analyse
suivante : les télécommunications et leurs nouvelles applications
(télématique, bureautique,...) constituant un créneau
non encore investi par un grand groupe mondial de l'électronique,
c'est l'occasion pour les groupes français de conquérir
une place de choix dans la division internationale du travail.
La DGT est par ailleurs une administration puissante,
disposant de moyens financiers importants et dirigée, au début
de la période qui nous intéresse, par une équipe
nouvelle et dynamique. Enfin, le caractère public des marchés
confère à la DGT des occasions d'intervention : agrément
des matériels, puis procédures conduisant à des
marchés expérimentaux puis à des marchés
publics de taille réelle.
La DGT utilisera tous ces moyens pour intervenir,
non seulement dans le domaine des télécommunications mais
aussi en amont (composants) et en aval (nouvelles applications : visiophones,
télécopieurs, postes téléphoniques à
clavier, terminaux vidéotex...).
La DGT, pour mettre sa politique en uvre,
a agi à tous les stades du processus de production : recherche
(création d'une nouvelle antenne du CNET à Grenoble, spécialisée
en microélectronique) ; développement (prototypes élaborés
dans les laboratoires publics ou sous traités aux laboratoires
privés) ; production et commercialisation de pré-séries
puis de grandes séries (création de la filiale Intelmatique
pour promouvoir les produits de la télématique française
à l'étranger, discussion des normes avec les groupes étrangers
afin de préserver les chances de l'industrie française).
Le contenu de la politique de la DGT s'inspire
des préoccupations mises en avant par les plans : concentrer
les moyens, développer les exportations. Ainsi, la DGT organise-t-elle
l'entrée de Thomson dans la commutation publique en 1976, à
travers la prise de contrôle de LMT (ITT) et de la SFTE (Ericsson).
En 1980, après le démantèlement de l'AOIP, Thomson
assure 40 97b de la production française, à égalité
avec la CGE et, contrairement aux « accords de Yalta » conclus
entre les deux groupes en 1969. Les pouvoirs publics espéraient
ainsi équiper la France, particulièrement sous développée
en ce domaine, abaisser les prix et constituer une base technique et
commerciale pour conquérir une partie du marché mondial
en technique « temporelle ».
De même, le plan composants dans sa formulation
de 1978 visait-il à concentrer les moyens de l'industrie française
et à équilibrer les échanges extérieurs
: Secimos devait regrouper les principaux utilisateurs français
de circuits intégrés de pointe Mos et assurer la production
des circuits en association avec l'entreprise américaine Intel
qui apporterait sa technologie.
La DGT va tenter d'impulser chez les grands groupes
de l'électronique une politique dynamique en matière de
produits nouveaux situés à la croisée des différentes
branches de l'électronique, télématique, bureautique,
terminaux vidéotex (expérience de Velizy, annuaire électronique),
télécopieurs, visiophones... De même, dans le domaine
des transmissions, la DGT française a-t-elle participé
à la création d'une unité de production française
pour la fabrication de fibres optiques : une filiale commune à
Saint Gobain, Thomson et Corning Glass (E.U.) fournira les fibres optiques
nécessaires au câblage de 2 000 foyers à Biarritz
en 1983.
Ces actions visent toutes à utiliser des techniques
de pointe sur les marchés publics français, de façon
à maîtriser la technique, à en abaisser les coûts
et les prix, et, dans un deuxième temps, à conquérir
des marchés à l'extérieur.
Cependant, l'action de la DGT et, plus généralement,
celle de l'ensemble des pouvoirs publics français, n'est pas
pour autant marquée par la cohérence et l'efficacité.
Elle doit, plus fondamentalement, faire face à des problèmes
qu'elle n'a pas les moyens de résoudre :
il apparaît difficile de constituer
un ou deux groupes français compétitifs dans chaque branche
: en 1978, la CGE se situe au 9ème rang mondial dans les télécommunications
avec un chiffre d'affaires qui représente moins de 10 °/o
de celui de Western Electric.
la recherche d'une certaine concurrence
au niveau national (cf. CGE et Thomson dans la commutation publique)
constituerait plutôt un handicap à l'exportation, en dispersant
les moyens et les efforts face à une offre très concentrée.
Telinter, qui devait être l'instrument de la coopération
des deux groupes à l'exportation n'y jouera aucun rôle
actif...
les « objectifs à moyen terme
d'indépendance et dynamisme (34) » que les pouvoirs publics
assignaient à l'industrie électronique française
pourront-ils être atteints dans des branches trop longtemps délaissées
par les entrepreneurs privés ? Ainsi, le plan composants est-il
totalement dépendant de la technologie américaine. L'industrie
française pourra-t-elle dépasser le stade de la sous trai-
tance dans ce domaine-clef ? De même la technologie américaine
est-elle indispensable dans les fibres optiques. L'action des pouvoirs
publics semble, dans ces domaines, avant tout soucieuse de faire face
aux contraintes à court terme d'équilibre de la balance
commerciale.
les pressions des groupes industriels constituent
souvent des obstacles à la mise sur pied d'actions cohérentes
d'envergure. Les hésitations et les revirements qui ont marqué
les Plans calcul en portent la marque : à la solution «
européenne » a succédé la « solution
américaine », dont le chef de file français fut
tout d'abord la CGE, puis Saint Gobain. Il en fut de même pour
le Plan composants : les groupes français refusent de participer
à la création de Secimos. De tractation en tractation,
les pouvoirs publics seront amenés à subventionner trois
et non plus deux pôles : Efcis (Thomson, CEA, Motorola), Eurotechnique
(Saint Gobain, NSC), MHS (Matra, Harris). Ces trois pôles ne devaient
pas entrer en concurrence jusqu'à ce que Matra remette en cause
le schéma, au printemps 1981, en annonçant un accord avec
Intel (circuits N MOS, tout comme Eurotechnique). Ce quatrième
pôle recevra cependant une aide des pouvoirs publics...
La restructuration de la branche électronique
a, par ailleurs, été marquée par les relations
privilégiées du groupe Thomson avec le personnel politique
qui arrive au pouvoir en 1974. La place de Thomson dans la commutation
publique, les composants, la mini-informatique s'explique largement
par ces relations qui ont, par contre, nui à la CGE.
(33) Notre propos ne vise pas à présenter une analyse
systématique de la politique industrielle dans l'électronique
mais à en rappeler les grandes orientations et les principales
actions, dans la mesure où elles ont eu des incidences importantes
pour les groupes qui nous occupent.
(34) M. D'ORN ANO, ministre de l'Industrie
et de la Recherche lors du colloque sur le redéploiement industriel
en mai 1975. Etudes industrielles n°6. La Documentation Française.
1975.
Il faudrait enfin pouvoir faire état des contradictions
au sein même des pouvoirs publics qui reflètent les pressions
des groupes privés, les oppositions politiques, le rôle
des grands corps de l'Etat : l'opposition entre le ministère
de l'Industrie et la DGT en est un des aspects les plus connus.
Tous ces éléments ont influencé
considérablement les restructurations que nous avons mentionnées.
Ils ont abouti au renforcement du rôle et de la place de Thomson
dans l'électronique professionnelle militaire, la mini-informatique
et à sa pénétration dans la téléphonie
et les fibres optiques. Ils ont permis à Matra, Saint Gobain
et Thomson de pénétrer dans de bonnes conditions dans
des domaines d'avenir, les composants.
La CGE a renforcé ses positions dans la
commutation, malgré l'entrée de Thomson CSF dans la branche
; elle a bénéficié ainsi que Matra et Thomson,
de l'aide des pouvoirs publics dans la sous branche télématique.
Il reste que des pans entiers de l'électronique
n'ont pas bénéficié de l'action de l'Etat et ont
été laissés à l'initiative des groupes :
l'électronique grand public en est l'exemple le plus frappant.
Conclusion
Les perspectives ouvertes par les nationalisations
Les restructurations opérées
entre 1974 et 1981 ont été fortement marquées par
l'influence des pouvoirs publics, en particulier de la DGT. Cette influence
a dû, cependant, nous l'avons souligné, tenir compte des
intérêts et pressions bien souvent contradictoires, des
réticences et des hésitations des groupes privés
concernés.
Les nationalisations réalisées en
février 1982 changent sensiblement les données du problème.
Elles donnent aux pouvoirs publics les moyens de définir et de
mieux maîtriser une politique industrielle dans l'électronique.
Pour cela un certain nombre de choix seront nécessaires. Au préalable,
un effort de cohérence devra être réalisé.
1. Assurer la cohérence de l'ensemble nationalisé
Nous avons souligné combien l'histoire
récente de l'électronique française a été
rythmée par des conflits entre décideurs privés,
en particulier entre Thomson et la CGE. Ces conflits ne se posaient
pas tant sur le terrain concurrentiel classique qu'au niveau du partage
des multiples aides (à la recherche, au développement
industriel,...) et des importants marchés publics protégés,
tant en France que dans les « territoires sous influence ».
De nombreuses décisions de politique industrielle
ont été en conséquence retardées, prises
au coup par coup, au terme d'hésitations coûteuses, reflets
de luttes d'influence et d'incapacité à choisir.
Les Plans calcul illustrent parfaitement cette
démarche. L'action de la DGT dans le téléphone,
responsable de la promotion de Thomson dans cette activité, comporte
les mêmes ambiguïtés. En appuyant Thomson, la DGT
freina l'exploitation par Cit Alcatel de son avance technologique dans
le domaine des centraux temporels. Cela fut dommageable, globalement
pour l'industrie française, d'autant plus
que le système Thomson, hérité des laboratoires
de LMT, s'avéra moins fiable et d'une mise au point longue et
délicate. L'industrie française avait elle les moyens
de soutenir deux techniques de commutation publique concurrentes ? Il
aurait sans doute été plus réaliste et plus efficace
d'appuyer et de promouvoir la technique de Cit Alcatel, bien que l'introduction
de la concurrence ait stimulé les deux producteurs et abouti
à des baisses de prix sensibles, après des années
marquées par le règne du « cartel des téléphonistes
».
Enfin, le Plan composants constitue un autre exemple
de ces hésitations, retards et incohérences, comme nous
l'avons souligné précédemment.
La nationalisation des quatre groupes devrait
permettre de promouvoir une optique différente, dominée
par l'exercice des complémentarités, de collaborations,
de répartition des tâches. Cette mise en commun des ressources
de l'Etat et des entreprises nationalisées devrait assurer une
meilleure efficacité des moyens importants dont disposent les
pouvoirs publics pour impulser une politique industrielle cohérente.
Par ailleurs, les nationalisations devraient permettre
de définir l'action des entreprises de l'électronique
par rapport à des objectifs dépassant la logique purement
micro-économique des firmes privées, sans perdre de vue
la compétitivité qu'implique le choix d'une économie
ouverte. La politique industrielle devrait ainsi viser à s'assurer
la maîtrise par la collectivité des technologies du futur
dans un domaine-clef dont dépendent l'organisation du travail,
l'emploi, la culture,..., aussi bien que les échanges extérieurs
et la croissance. Les objectifs énoncés par le gouvernement
en matière de reconquête du marché intérieur
et de développement des exportations devraient trouver, dans
la branche électronique, un terrain d'application immédiate
et décisive.
La cohérence nécessaire pour atteindre
les objectifs nouveaux implique bien sûr de nouvelles restructurations.
Toutefois, la concentration nécessaire des moyens pour chaque
sous branche dans un seul groupe peut comporter des dangers : la confrontation
de divers offreurs dans les marchés d'études proposés
par la DGT s'est révélée positive et stimulante
au niveau des prix et des techniques. Il ne faut donc pas laisser se
développer des comportements de monopole, exploitant une rente
sur des marchés protégés. La nécessité
de l'exportation, le choix d'une économie ouverte, le caractère
mondial de la concurrence devraient permettre d'éviter cet écueil.
Une autre question difficile peut conduire à
un certain immobilisme : les nationalisations pourront-elles mettre
fin aux luttes d'influence entre les dirigeants des grands groupes ?
La résistance passive, le poids de l'histoire et des habitudes,
le jeu des relations et des solidarités peuvent constituer de
puissants obstacles à la mise en uvre d'une nouvelle politique.
2. Appliquer dans l'électronique les grandes orientations
de la politique industrielle suppose que l'on effectue des choix,
que l'on réponde essentiellement à deux questions :
a. quelle place dans la filière électronique ?
Il est en effet essentiel de se déterminer
par rapport à ce problème central : la politique industrielle
française peut elle choisir d'être présente à
tous les niveaux de cette filière stratégique
qu'est l'électronique ? Ou bien, doit-on choisir quelques créneaux
? Peut-on être présent industriellement dans une économie
ouverte dans les biens grand public, la grande informatique, les composants,
la bureautique, l'électronique médicale... ? Si la réponse
est positive, mettra-t-on tout d'abord l'accent sur l'aval de la filière
(grand public), pour remonter ensuite vers l'amont (c'est la stratégie
japonaise) ou privilégiera-t-on l'amont (électronique
de pointe, professionnelle), celui-ci nourrissant peu à peu l'aval
de ses innovations (stratégie affichée par Thomson Brandt)
? La couverture de l'ensemble de la filière peut aussi être
favorisée par une politique d'alliances, cet aspect devenant
alors central.
b. quels partenaires ?
Les entreprises nationalisées avaient noué
des contacts avec des firmes américaines, pour l'essentiel. Le
Plan composants en est un des exemples les plus spectaculaires. Or,
les principales décisions intervenues depuis mai 1981 vont dans
le sens d'une remise en cause de ces alliances. Est-ce à dire
que l'on va désormais étudier les conditions d'une collaboration
avec des partenaires européens, ce que les groupes français
ont généralement refusé jusqu'ici ? Il semble bien
qu'une politique ambitieuse ne puisse faire l'économie d'une
telle démarche. Il faudra vaincre des habitudes, trouver les
meilleures complémentarités, et rester cependant, d'une
façon ou d'une autre, présent sur le marché nord
américain où sont définis les standards, expérimentées
les innovations et où se situeront les deux tiers du marché
mondial pour la bureautique et la télématique en 1985.
Des réponses claires doivent être apportées à
ces questions dans un délai raisonnable. Seules des alliances
avec des partenaires de la Communauté Européenne peuvent
permettre d'assurer une présence industrielle concurrentielle
à tous les niveaux de la filière, les autres alliances
possibles (Etats Unis, Japon) entraînant des dépendances
trop fortes.
Il convient donc de faire des propositions aux partenaires
potentiels, ou de répondre à leurs avances (celles de
Philips, par exemple, qui propose à Thomson un accord européen
pour les biens grand public).
Plus d'un an après le changement politique,
le changement industriel n'est guère amorcé dans l'industrie
électronique. Le rapport Farnoux préconise bien la mise
en uvre d'une politique de filière et des alliances européennes.
Mais aucun progrès concret n'a été réalisé
: concernant le redécoupage des activités entre les quatre
groupes, constituera-t-on un seul pôle téléphonie,
malgré les dangers soulignés par M. Théry ? Regroupera-t-on
l'informatique, grande, moyenne et petite ? Se lancera-t-on résolument
dans la télématique, malgré les réticences
du marché intérieur ? Aura-ton une politique industrielle
européenne dans la branche grand-public ? (35).
La persistance de la crise ne remettra-t-elle pas en cause, par ailleurs,
l'allocation des moyens nécessaires à la mise en uvre
d'une véritable politique industrielle
de filière ? Les graves difficultés de Cil HB, de la CGR,
de la téléphonie et de l'informatique chez Thomson requièrent
déjà des sommes importantes. Elles placent aussi les décideurs
face à des choix décisifs et rapides. Il ne faudrait pas
oublier, au moment de ces choix, que pour beaucoup l'électronique
peut constituer un atout susceptible d'accélérer la sortie
de crise...
Enfin, plus généralement, le changement
voudrait que la stratégie mise en uvre et les choix industriels
opérés ne soient pas l'affaire des seuls dirigeants des
entreprises nationalisées, mais qu'un débat réel
soit engagé avec les planificateurs, les syndicats et les usagers.
Toutes les dimensions du problème seraient ainsi abordées,
concernant une activité-clef pour l'avenir (36).
(35) La fin des contacts entre A. E.G. T. et Thomson,
le rachat de Dual par l'entreprise française, dans le cadre d'une
stratégie purement commerciale, marquent plus la continuité
que le changement...
(36) Nous remercions le GRESP (Groupe de Recherche sur l'Economie
des Systèmes Productifs, Rennes I), dont l'aide financière
a permis la réalisation de cette étude.
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