LES RECLAMATIONS et LA CONTESTATION DE LA FACTURATION


I - LES RECLAMATIONS

Extrait de "La faute, la panne et l’insatisfaction". Une socio-histoire de l’organisation du travail de traitement des réclamations dans les services du téléphone.
De Benoit Giry 2014

La faute, la panne et l’insatisfaction. Une socio-histoire de l’organisation du travail de traitement des réclamations dans les services du téléphone
L’article revient d’abord sur la genèse et le développement du travail de traitement, construit dans les années 1920, à une époque où le téléphone, en « crise », est dépeint comme une « honte nationale ». Il fait silence sur la longue période d’« errance » qui court des années 1930 aux années 1970, mais montre comment le problème des réclamations se pose à nouveau au cœur de la décennie du « rattrapage téléphonique » (1974-1985), lors d’une transformation organisationnelle ayant pour but le développement du réseau. L’article s’arrête enfin sur les années 1990, au cours desquelles l’organisation change de statut juridique, requalifie son activité et voit son marché se libéraliser. À chacune de ces époques, la signification de la réclamation évolue ; par suite, chacune de ces évolutions donne lieu à une combinaison différente d’un petit nombre de tâches élémentaires dans la mise en forme gestionnaire du travail de traitement.


1. Les tables de réclamations du réseau téléphonique de Paris et le service central des réclamations (1922-1935)
Au début des années 1920, des « tables de réclamations » sont installées dans les bureaux centraux du réseau téléphonique de Paris. Ces meubles téléphoniques, qui se distinguent des « multiples » avec les demoiselles du téléphone, meubles sur lesquels travaillent les téléphonistes employées à la commutation, sont les supports de travail des services dédiés à la réception des « réclamations » et des « plaintes » des abonnés. Progressivement, un petit corps d’opératrices se détache de celui des opératrices classiques pour venir travailler sur les « tables ».
Un ratio proposé dans un article de 1922 pose qu’une table de réclamations doit disposer de quatre positions d’opératrices par « multiple » de 10 000 abonnés. Cette même année, le réseau téléphonique de Paris compte environ 120 000 lignes. En partant du principe que ce ratio fut réalisé en pratique, on peut estimer qu’une cinquantaine de postes étaient alors consacrés à cette tâche.

- Genèse d’un « service des réclamations » : une économie de la parole.
La création d’un tel service est d’abord liée à une volonté des ingénieurs du réseau d’améliorer la « rapidité du téléphone », c’est-à-dire, dans un système reposant presque entièrement sur la commutation manuelle, d’augmenter le rendement des opératrices de commutation. La réclamation relève, dans l’espace des pratiques de commutation, de ces « paroles inutiles » qui, échangées au cours des manœuvres, ralentissent considérablement la production. Les ingénieurs considèrent qu’elle nuit à la productivité des demoiselles du téléphone — de façon directe, lorsque l’une d’elles s’engage dans une conversation avec un réclamant, et indirecte, lorsque leur surveillante, occupée à traiter une réclamation, ne peut plus les surveiller. En 1920, il convient donc d’éloigner la réclamation des travailleuses.
En la matière, le service des tables répond, dans une période d’« anarchie téléphonique » marquée par le mécontentement permanent des abonnés, « à de réels besoins »: sa mise en fonctionnement permet de « débarrasser » les téléphonistes et les surveillantes, particulièrement sollicitées par les réclamants, « de ces travaux qui souvent les empêchaient de se consacrer à leur tâche normale ». Ainsi, à partir de 1922, les consignes sont claires : « dans aucun cas la téléphoniste du multiple ne doit engager une conversation avec un abonné réclamant » ; elle doit simplement « passer l’abonné » au « service des réclamations ». De la même manière, « si un réclamant demande la surveillante, l’opératrice passe d’office et sans mot dire la table des réclamations »
L’espace de traitement ouvert par les tables est initialement pensé à l’aune du même type gestionnaire que l’espace de commutation. Il n’en est d’ailleurs pas isolé : il joue pour lui le rôle de déversoir. Soucieux d’« économiser » l’opératrice des tables autant que l’opératrice de commutation qu’elle débarrasse, on y proscrit : « […] tout échange de paroles qui n’est pas strictement nécessaire à l’exécution du service [, qui] ralentit non seulement la communication en cours, mais encore les suivantes, [et qui] expose par suite l’opératrice à de nouvelles plaintes et finalement accroît sa fatigue et par répercussion celle de toutes ses collègues »
Ce silence n’est pas uniquement économique. Il a aussi pour fonction de laisser planer le doute sur le statut du chargé de traitement afin de le construire comme « autorité ». C’est la raison pour laquelle, lorsque le réclamant « demande la surveillante », l’opératrice passe « d’office et sans mot dire » le service des tables. C’est également pour cette raison que « la table des réclamations ne doit pas s’annoncer à l’abonné » mais répondre « seulement par les mots “j’écoute” »
La procédure se résume donc à un travail d’enregistrement où les rares échanges doivent rester productifs : « [l’opératrice des tables] demande à l’abonné son numéro d’appel et l’invite à présenter sa réclamation. Elle note sur son registre (avec l’heure de la communication, le numéro du groupe de départ et le numéro d’appel de l’abonné) tous les faits qui sont portés à sa connaissance ». Cette économie des échanges discursifs est aussi contrainte par une interdiction de dévoiler les secrets de fonctionnement du service. Madeleine Campana, opératrice de 1921 à 1934, illustre ce point en racontant, dans ses mémoires, qu’un jour de dératisation où le central de Gutenberg avait dû être partiellement évacué, elle s’était retrouvée dans « l’impossibilité de dire à [ses] chers abonnés qu’en plein xxe siècle, le temple du progrès [avait] subi une moyenâgeuse invasion de rongeurs ». Ces consignes eurent pour effet principal de priver les opératrices de ressources argumentatives dans leur relation à un réclamant qui persistera à les tenir, à des degrés divers, pour responsables des dysfonctionnements du téléphone.
Le confinement d’une part des échanges avec la clientèle contribue à dessiner les contours d’un nouvel objet pour le gestionnaire. Mais à ce stade, si l’opératrice des tables est utile, la réclamation ne l’est pas encore. Sa gestion s’impose comme celle d’une externalité négative, d’un résidu d’ouvrage indésirable revenant sans cesse sur le métier. Le seul travail utile est celui de son évacuation. Cette « négativité » se poursuit jusque sur le plan comptable, où le service des tables, intrinsèquement déficitaire, apparaît d’abord comme un mal nécessaire : il s’agit de contenir une part indésirable des échanges avec des abonnés du début du siècle élevés « dans l’horreur du téléphone », en espérant que les coûts générés par le fonctionnement des « tables » soit compensé par une hausse de la productivité des opératrices des « multiples ». Néanmoins, un premier usage gestionnaire de la réclamation va progressivement apparaître au cours de cette période. Pour des raisons techniques et morales, liées à la disqualification dont sont frappés les contacts avec les abonnés, celui-ci va d’abord moins se jouer sur une scène externe, celle des rapports avec le réclamant, que sur une scène interne, celle de l’organisation, à travers les pratiques d’« enquête ».

- Le tribunal du service : la réclamation comme faute.
Comme le remarque un ingénieur du début du siècle, les tables de réclamations permettent « de pouvoir rechercher immédiatement, si elles existent, les responsabilités engagées, les fautes et les erreurs commises » susceptibles d’être signalées par les réclamations. Il ne s’agit pas de prendre la réclamation pour argent comptant mais, au cours d’une procédure de confrontation des éléments dénoncés par la réclamation aux éléments produits par l’organisation (cahier d’incident, avis de la surveillante, etc.), d’éprouver l’hypothèse d’une « faute de service ». La description de l’activité emprunte alors au lexique juridique : le service des réclamations « ouvre une enquête », « instruit les réclamations », rédige « des procès-verbaux » sur la base de « pièces probantes ».

L’enjeu de cette enquête est à la fois marchand et professionnel ; elle fait autorité sur le marché et dans l’organisation : il s’agit d’effectuer « la relève des dérangements », de « statuer en pleine connaissance de cause sur une demande de remboursement ou de dégrèvement », de « fournir au public les explications qu’il y a lieu de lui donner » mais aussi « de préciser la part des responsabilités encourues, d’apprécier la valeur professionnelle des agents fautifs, d’appliquer des peines disciplinaires justement proportionnées à la gravité des fautes commises et le cas échéant de prescrire au service les mesures dont l’enquête a montré l’utilité ». Réparer, dédommager, expliquer, punir, prescrire : les différentes tâches élémentaires de traitement sont ainsi posées dès les années 1920. Elles désignent autant de relations sociales, entre professionnels ou entre professionnels et clients, susceptibles d’être produites dans le cadre du traitement des réclamations.
Néanmoins, à cette époque, les questions de réparation, d’explication, de prescription et de dédommagement, quoique présentes, sont assez largement laissées au second plan au profit du thème de la punition. Derrière la réclamation, les organisateurs des années 1920 voient moins la panne ou le préjudice que la faute. Ils développent d’ailleurs une étiologie de la réclamation centrée sur les erreurs humaines. Une brochure de 1928 destinée aux receveurs des postes décline ainsi les différents motifs de réclamation :
« Ces réclamations concernent le plus souvent un retard à répondre aux appels, une fausse manœuvre ou une erreur (coupure intempestive d’une communication, faux numéro, etc.), une attitude impatiente ou incorrecte de l’opératrice » (« Réponses aux réclamations. Notice à l’usage des receveurs », Secrétariat général des Postes, Télégraphes et Téléphones, Ministère du commerce et de l’industrie, 1928. Document sans éditeur visible, écriture manuscrite calligraphiée, pages non foliotées).
Les fautes peuvent être le fait de l’abonné ou de l’opératrice, mais aucun motif ne met en cause les instruments, en dépit des errements techniques du téléphone de l’entre-deux-guerres.
Cette conception détermine en grande partie l’activation différentielle des tâches dans les pratiques de traitement. Le dédommagement par exemple, rarissime parce que rendu très difficile par un ensemble de dispositions légales, est conditionné par la preuve d’une « faute de service ». Les formes que prennent les explications faites au client et les prescriptions formulées à l’endroit des collectifs de travail sont aussi dépendantes de la présence ou de l’absence d’une faute qui fonde la légitimité de la réclamation.
Cette conception semble impliquer, aux yeux des organisateurs, un usage essentiellement disciplinaire des réclamations. En cas de présomption de faute, les opératrices des tables saisissent le contrôleur du bureau central qui, sur la base du dossier, est habilité à sanctionner l’une de ses subordonnées. Ce mode de traitement est d’ailleurs largement cohérent avec les principes de mise au travail promus dans la documentation des années 1920, visibles en creux dans l’énoncé des qualités attendues d’une opératrice, de « la crainte du chef » à « l’orgueil du travail ». La punition, qui alimente la « crainte » et qui pique « l’orgueil », est une méthode de plus pour resserrer le contrôle sur le geste de commutation, horizon de toutes les pratiques d’organisation d’alors.
La fécondation de la réclamation par les pratiques d’enquête va prendre de l’importance tout au long des années 1920, mais c’est au milieu des années 1930 que ces principes gestionnaires vont connaître une application spectaculaire. Le 12 décembre 1934, Georges Mandel, alors fraîchement nommé ministre des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT), crée le Service Central des Réclamations (SCR), rue de Grenelle, afin de pallier les incapacités des services de réclamations décentralisés qu’il juge inefficaces parce que « juges et parties ». Le SCR est indépendant des unités de production mais rattaché au ministère. Il a pour but de centraliser le traitement des réclamations écrites24, mais aussi de produire des enquêtes et des sanctions et d’en publiciser les résultats. Le SCR constitue, selon les propos du directeur de cabinet du ministre, Georges Wormser, « une chose tout à fait nouvelle ». Elle est dirigée par un inspecteur général des postes, un certain M. Girodet, que G. Wormser présente comme un « homme extrêmement énergique, connaissant tout à fond » et qui avait « pour mission de régler tout dans les quarante-huit heures, au maximum dans les trois jours ». G. Wormser décrit ainsi le fonctionnement du service :
« [Girodet] recevait disons 120 ou 125 lettres par jour, il les triait et en sortait peut-être 15 ou 20 qu’il m’apportait et que j’étudiais moi-même. Sur ces 15 ou 20, j’en portais peut-être 2 ou 3 à la connaissance de Mandel. Tout ceci a fonctionné fort utilement ».
En effet. Au cours de sa première semaine de fonctionnement, entre le 14 et le 21 décembre 1934, le SCR reçoit 701 réclamations dont 235 incombent au service téléphonique. La Revue des Téléphones, Télégraphes et TSF commente :
« Tel a été le nombre de plaintes dont ce service a été saisi qu’il a fallu immédiatement augmenter l’effectif des agents qui y avaient été tout d’abord affectés »
Entre le 1er et le 15 janvier 1935, rapporte L’Express du Midi, « 1240 plaintes ont été reçues », dont 346 pour le service téléphonique. Ainsi, toutes les semaines, un rapport d’activité du SCR est transmis à la presse. On y fait mention du nombre de réclamations reçues, des services concernés mais aussi des sanctions auxquelles les enquêtes ont donné lieu. Cette mise en scène de la punition professionnelle, composante déjà présente dans les courriers de réponse aux réclamations des receveurs, connaît ainsi une publicité nationale :
« Un grand nombre de ces réclamations étant justifiées, M. Mandel a dû prendre 105 sanctions allant jusqu’à l’exclusion temporaire ».
« Est-il besoin d’ajouter que non seulement il a été fait droit aux plaintes, malheureusement trop nombreuses encore, qui ont paru justifiées, mais que des sanctions ont été prises chaque fois qu’il y a eu lieu » .
À mesure que le SCR se fait connaître, les réclamations affluent. La première quinzaine d’avril 1935 par exemple, 1699 réclamations sont traitées et donnent lieu à 202 sanctions, allant de la recommandation à l’exclusion définitive. Le service est néanmoins dissous après le départ du ministre.
Le SCR de Mandel constitue une expérience limite au service d’intérêts politiques. Mais il développe sous une forme très aboutie une logique gestionnaire qui était déjà en gestation au service des « tables » du réseau de Paris et permet de l’observer comme sous l’effet d’un miroir grossissant. La réclamation y est entendue comme une plainte, au sens juridique, à laquelle il convient de « faire droit » et qui est susceptible d’entraîner une punition. Elle dénonce une faute professionnelle potentielle dont il convient de juger le fondement en ayant préalablement recueilli des informations au cours d’une enquête. Sous ce régime, la forme adéquate de circulation de la réclamation est le « procès-verbal ». Une fois sa réclamation formulée, le réclamant est largement mis à l’écart de la procédure qui reste de manière exclusive aux mains des professionnels constitués en « juges » dirigeant leur action vers leurs subordonnés constitués en «fautifs » dans le cadre de la procédure disciplinaire.

2. Les réclamations dans le « rattrapage téléphonique » (1974-1985)
Les documents couvrant les années 1940, 1950 et 1960 témoignent d’une certaine atonie en matière d’encadrement du travail de traitement des réclamations. D’une façon générale, les trente années qui suivent la Seconde Guerre mondiale ne sont en rien « glorieuses » pour les services du téléphone. Elles constituent une période de stagnation. L’automatisation de la commutation, en marche depuis les années 1920, est lente et prend du retard. Le nombre d’abonnés se stabilise à un faible niveau. Les instructions relatives aux réclamations dans les PTT restent inchangées dans leurs différentes moutures en termes d’attribution des tâches, quant aux rôles du receveur des postes en province, de la téléphoniste, de la surveillante, etc. Ces trente ans sont aussi marqués par une stagnation technique. Un rapport d’un ingénieur en chef nous apprend que si « des équipements sans fiches ni jacks ont été conçus en 1967, leur exploitation présente une certaine complexité, leurs pupitres [étant] pourvus d’une soixantaine de touches ». En conséquence, jusqu’à la moitié des années 1970 au moins, la « réponse aux réclamations » est toujours « assurée, dans les anciens centres, par des meubles “manuels” avec fiches et jacks »
Au cours de la période, l’effort de traitement des réclamations s’est néanmoins dispersé à mesure que se dispersait l’organisation du service téléphonique lui-même, distinguant plus fermement ses activités « urbaines », « interurbaines » et « internationales ». À partir des années 1970, le développement avancé de la commutation automatique permet de repenser l’organisation de la production à nouveaux frais, en délaissant ces catégories héritées de l’ancien mode de commutation.
C’est seulement à cette époque, alors que l’autonomie des directions des services postaux et des services des télécommunications s’affirme, que se déploie un important processus de modernisation et d’extension du réseau, le « rattrapage téléphonique », qui entraîne de profondes mutations du travail et de l’organisation. Pour satisfaire aux impératifs productivistes du « delta LP », le service est réorganisé selon une distinction entre les métiers « techniques », chargés de développer le réseau et d’en assurer la maintenance, réunis en « centres principaux d’exploitation », et les métiers « commerciaux » chargés, au sein « d’agences commerciales », de gérer le suivi des relations contractuelles avec des abonnés toujours plus nombreux. Cette partition laisse les réclamations orphelines et, au cours de l’année 1976, alors que leur nombre s’accroît sous l’effet de l’augmentation du nombre de lignes, elles refont parler d’elles.

- Le groupe de travail de la Direction Générale des Télécommunications (DGT) et « l’expérience Diderot »
Les archives mentionnent en effet la constitution d’un groupe de travail fin 1976. Mandaté par Gérard Théry, directeur général, composé de hauts fonctionnaires issus du corps des ingénieurs des télécommunications mis à la tête de l’administration pour organiser le « rattrapage », il est monté en vue de résoudre les « problèmes du 13 », le numéro dédié aux « dérangements » dont les équipes sont réunies au sein des centres principaux d’exploitation. La lettre de mission du 3 novembre 1976 n’évoque en réalité qu’un problème : les réclamations.
Un ingénieur en chef de la DGT, Léon Enkaoua, est donc sollicité pour formuler, dans le cadre du groupe de travail, des « propositions concrètes » visant à répondre aux deux questions suivantes : en partant du principe qu’un « service unique de réclamation » est nécessaire, « où doit-il se situer ? » et « de quelles facilités doivent disposer les tables recevant ces appels ? ». La réforme des services devra par ailleurs faciliter le « travail d’adresse » en créant un service des réclamations unique et visible, compatible avec les objectifs de production du delta LP et les nouvelles modalités d’organisation — au premier rang desquelles la distinction entre fonctions techniques et fonctions commerciales.

L. Enkaoua expose alors les différentes options envisageables sur la base d’expérimentations faites en régions. Poitiers propose, par exemple, de mettre à profit des unités manuelles du « 10 » (manuel interurbain) aux attributions déclinantes. L’idée consiste à « redonner de l’activité » à des opératrices dont les compétences sont promises, avec l’avènement de la commutation automatique, à l’obsolescence. Les compétences techniques des opératrices manuelles, leur capacité à se substituer à l’autocommutateur, seraient alors valorisées. Mais dans ce modèle, reposant sur une technologie et une organisation obsolète, les réclamations signalent généralement une communication mal ou non aboutie qu’il serait possible de compenser immédiatement par une mise en communication manuelle. Or, l’autocommutateur n’est, à l’époque, responsable que de 12 % des dysfonctionnements signalés. La proposition correspond donc à une conception datée de la réclamation et du traitement et semble mâtinée d’une attitude méfiante à l’égard de la commutation automatique. Le groupe l’écarte.

Le modèle retenu sera finalement « l’expérience Diderot », menée à Paris dans le central du même nom. Comme à Poitiers, l’expérience répond positivement à l’impératif de centralisation. Mais l’approche est légèrement différente : elle consiste à sacrifier à l’usage de la clientèle en faisant du « 13 » un service de « réclamations diverses », selon l’expression du groupe de travail, le service devenant ainsi un point d’entrée unique. Cette entrée unique n’annule pas la division technique/commercial : le « 13 » est chargé de distinguer, parmi le tout-venant, les réclamations techniques (« dérangement », « mauvaise audition », « coupure de communication », etc.), qu’il conserve, des réclamations commerciales (« taxation jugée excessive »), qu’il transmet aux agences.

- La réclamation comme « outil de travail » de signalisation technique : la panne
Ce service des réclamations reprend la même structure hiérarchique que le service des tables, avec des opératrices et des surveillantes, mais il dispose d’un nouvel équipement, « œuvre d’une équipe qui a travaillé avec le concours du personnel du manuel de Diderot », mis en exploitation en juin 1976. Il est « composé de petits pupitres mobiles d’opératrice, d’un pupitre de surveillance, d’un panneau de contrôle de qualité de service et de deux armoires de commande », l’ensemble étant « conçu pour un Centre Principal d’Exploitation pouvant atteindre 100 000 lignes, avec le taux de réclamations le plus important constaté à Paris actuellement ». L’équipement pouvant accueillir dix opératrices et une surveillante, en généralisant le service au niveau national et en dimensionnant les effectifs en fonction du nombre de lignes principales visées par le delta LP (soit vingt millions de lignes), on obtient une projection à 2 000 opératrices chargées des réclamations, et 200 surveillantes.

La signification de la réclamation a changé. Avec la commutation automatique et le développement du réseau, les gestionnaires n’y cherchent plus la faute mais la panne. À l’enquête administrative et disciplinaire s’est substituée l’enquête technique. Un article paru en 1981 dans une publication dédiée aux salariés de la DGT évoque en ces termes le rôle de l’opératrice et l’usage fait des réclamations :
« Le premier rôle de cette opératrice, c’est, bien sûr, de prendre en note la réclamation. Mais, également, d’obtenir le maximum de renseignements sur le dérangement. D’où toute une batterie de questions du genre : “Le défaut est-il permanent, intermittent ? Depuis combien de temps se produit-il ? Se produit-il aux heures chargées ?”, etc. Ces précisions, qui aideront, ultérieurement, à cerner le défaut plus rapidement, l’opératrice les consigne sur un imprimé spécial. Un imprimé à peu près incompréhensible pour le néophyte, tant il est bourré de sigles mystérieux. Mais qui signifient des choses bien précises pour les initiés. […] À partir du moment où l’opératrice l’annote, la réclamation, imprécise, devient une signalisation, un outil de travail .

L’enquête technique est distribuée entre trois acteurs principaux : les opératrices du « 13 », chargées du travail d’enregistrement de la réclamation dans un imprimé nommé « Sext000 » ; les opératrices des « Essais et Mesures », chargées de procéder à des tests sur la ligne et sur le matériel de l’abonné et d’enregistrer le résultat sur le Sext000 ; enfin l’orienteur qui, sur la base des renseignements inscrits dans le ticket Sext000, désigne « l’endroit du défaut […] en fonction de la nature de la réclamation, du résultat des essais et mesures, du “passé” de la ligne, de sa connaissance du réseau mais aussi des autres signalisations ».
Ici, la prise en charge de la réclamation n’a de valeur qu’en tant que premier moment d’un dépannage technique. Elle devient un « outil de travail » qui doit circuler. Sa traduction en « ticket Sext000 » permet, en la saisissant dans une trame graphique rigide, de transformer la réclamation en information technique, de la mettre en lien avec des informations antérieures puis de l’intégrer, en tant qu’information normalisée, dans le « fichier technique des abonnés » dans lequel, pour reprendre l’expression de la revue Messages, « les imprimés Sext000 terminent leur carrière ».
À la différence du « procès-verbal » des années 1920, centré sur les fautes des intervenants humains de la commutation manuelle, le Sext000 n’envisage que les défaillances des trois instruments engagés dans la production de la commutation automatique : « l’autocommutateur », « la ligne » et « l’installation ».
« Un exemple : un abonné n’obtient pas la tonalité. Cela peut venir du poste : un mauvais contact à l’intérieur, notamment. Cela peut venir de la ligne : un “isolement” (une discontinuité). Cela peut venir de l’automatique : peut-être des équipements sont-ils restés connectés à la ligne »

Ces instruments ne sont jamais défectueux par eux-mêmes : les lignes aériennes, par exemple, sont soumises aux « intempéries », aux « plombs de chasse », aux « camions et machines agricoles » qui les arrachent ; les lignes souterraines, aux « coups de pelleteuse » qui les sectionnent. L’entreprise, en tant que gestionnaire du réseau, parce qu’elle externalise la responsabilité des dysfonctionnements, peut donc se constituer en autorité légitime pour la prise en charge des réclamations. Au silence du service des tables s’est substituée l’annonce automatisée : « Ici le Service des Réclamations, une opératrice va vous répondre ». La DGT estime en recevoir environ 400 000 par an dans les années 1980.

L’asservissement des pratiques de traitement aux nécessités de la gestion du réseau de lignes et du matériel se retrouve jusque dans les modalités de traitement des réclamations « commerciales », majoritairement des « contestations de facture », qui ne peuvent être légitimes que dans la mesure où elles signalent un problème technique. Dans les années 1970-1980, il est possible de se voir rembourser des sommes indues, à condition que ce caractère « indu » soit confirmé par une « enquête technique approfondie »
« Essai de la ligne, constatation de dérangement sur les lignes aériennes ou les câbles qu’empruntent la ligne de l’abonné, travaux aux répartiteurs, câbles coupés ou noyés, ouverture d’armoire de répartition, vérification de la minuterie qui assure la taxation, [...] mise en observation de la ligne [...] pendant deux semaines »
Les agences commerciales sont donc, elles aussi, soumises à l’emprise du « fichier technique des abonnés », référence unique pour l’activité. Mais ce n’est pas le seul facteur expliquant le succès de cette conception de l’enquête.

Les usages disciplinaires sont, à l’époque, empêchés par une série de mesures sociales, notamment celles interdisant l’identification des opératrices par les abonnés. Le 8 juin 1982, un conseiller technique du ministre des PTT écrit à la direction du réseau d’Île-de-France :
« L’attention du Cabinet a été appelée par un usager sur le comportement des opératrices du Service des Renseignements téléphoniques. Ces employées ne seraient pas polies, à la limite de la correction, échangeraient des conversations entre elles en ayant un demandeur au bout du fil. De plus, la surveillante de ce service aurait signalé qu’elle était sans moyen de réprimander les opératrices en cause et que depuis quelques temps, sous la pression des syndicats, ces employées n’étaient plus identifiables puisqu’elles n’ont plus l’obligation de répondre en indiquant leur numéro. N’y-a-t-il pas quelque chose à faire ? Si elle est véridique, la réponse de la surveillante me semble encore plus grave que le comportement des opératrices ».
« Réponse de la direction du réseau IDF au cabinet du ministre, le 8 septembre 1982 »
Le directeur du réseau Île-de-France ne peut que confirmer au conseiller les dires de sa subordonnée : « les syndicats » ont obtenu la suppression des « tables d’écoute discrètes situées en dehors des salles d’exploitation ». Un contrôleur divisionnaire peut toujours écouter une opératrice sous certaines conditions (« agent débutant ou agent dont le travail ne donne pas satisfaction ») mais, lorsqu’il le fait, « cette dernière est avisée par l’allumage d’une lampe sur son pupitre ». Il est tout aussi vrai que, dans les différents services de la DGT, les opératrices « n’indiquent plus leur numéro de position » et s’annoncent en disant « Télécom bonjour ». Les incidents décrits par le ministre peuvent donc « être attribués au fait que, dans une certaine mesure, les opérateurs se sentent protégés par un certain anonymat ». Le directeur a lui-même diligenté une enquête et celle-ci montre en effet que « des incidents de même nature que ceux mentionnés dans [la] lettre [du conseiller technique] existent bien ». Il le sait car des réclamations de ce type « sont notées dans chaque Centre sur un cahier d’incidents ». Mais celles-ci n’ont, à cette époque, plus aucun débouché.

3. Les réclamations à l’épreuve de l’entreprise et du marché libéralisé (à partir de 1990)
Au début des années 1990, la DGT devient une entreprise. Comme un symbole, alors que l’administration n’avait été conduite que par des X-Télécoms, un diplômé de l’École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales est nommé à la tête de l’entreprise en 1995. À son changement de statut s’ajoute une requalification de son activité : elle se « révèle » à elle-même comme une « entreprise de service » dans une documentation interne où rôde le « spectre » du marché à venir. Elle participe ainsi d’un mouvement que d’autres entreprises publiques et administrations connaissent au même moment et qui les amènera à se poser la question de leur relation avec leurs usagers, et donnera lieu à une importante production scientifique sur le thème de la relation de service .

- Le « nouveau cadre juridique et commercial »
Dans le cas des télécommunications, ces relations sont fragilisées par la libéralisation du marché qui entraîne la possibilité pour le client de choisir un autre opérateur (cette libéralisation sera complète en 1996), mais elles le sont aussi par la loi du 2 juillet 1990 qui les place sous le régime du droit commun, porte leurs litiges devant les juridictions judiciaires (et non plus administratives) et renverse la charge de la preuve au détriment de l’entreprise, notamment dans le cadre des contestations de factures. Les relations avec la clientèle deviennent donc, sous l’effet croisé des processus de libéralisation du marché et du changement de statut juridique de la DGT, l’objet d’une attention particulière : il convient d’éviter les défections et les procès. En ce sens, la requalification de l’activité de l’entreprise se pose comme une tentative de redéfinition des objectifs productifs, ne pouvant plus s’évaluer à l’aune d’une production matérielle (comme le « delta LP ») mais d’une contribution de service, relationnelle et largement orientée par les impératifs commerciaux de captation d’une clientèle qui n’est plus captive. Dans la documentation, les organisateurs évoquent ces bouleversements dans une litote : le « nouveau cadre juridique et commercial ».

Afin de passer l’épreuve de ce nouveau cadre, chaque produit est confronté à l’étalon de la « satisfaction du client ». Le concept, importé des études de marketing et traduit en indicateurs dans l’organisation à partir de la moitié des années 1980, résume une promesse de fidélité et de paix de la part du client. Dans ce régime, le mécontentement devient particulièrement problématique, a fortiori lorsqu’il n’est pas exprimé et donne lieu à une défection ou lorsqu’il l’est devant l’institution judiciaire. Ces changements vont avoir pour conséquence de recentrer les pratiques de traitement dans la sphère de la production, voire de les rapprocher de certaines activités de direction, alors qu’elles étaient jusque-là maintenues en périphérie sur un plan technique — en tant qu’activités annexes — et sur un plan comptable — en tant que « services déficitaires ».

À l’époque, le traitement des réclamations quitte les services du « 13 » pour être confié à des « services consommateurs » organisés en « centres d’appels ». Ces derniers sont construits au cœur d’une période qui verra la consécration de cette forme organisationnelle comme lieu privilégié de production de la « relation-client ». Ils sont hébergés dans des unités opérationnelles polyvalentes, aux attributions à la fois techniques et commerciales, créées lors d’une réforme organisationnelle nommée « EO2 ». Une profession émerge : les « conseillers » et les « chargés de clientèle » remplacent alors les « opératrices ». Ces nouveaux travailleurs ont en charge la construction, la gestion et la conservation des relations commerciales au travers des différentes activités subsumées sous la parataxe « relation-client » (vente, gestion du contrat, contentieux, réclamation, etc.).

Les documents définissant les axes de développement de l’entreprise aménagent tous, à partir de la moitié des années 1990, une place aux pratiques de traitement et aux différents usages qui peuvent être faits des réclamations. S’il ne s’agit d’abord que de se prémunir vis-à-vis du « nouveau cadre juridique » en produisant des dossiers de réclamation susceptibles de permettre une « utilisation directe en cas de recours contentieux », la perspective du marché engage dès l’année suivante l’entreprise à envisager « l’exploitation des réclamations » pour « orienter [les] efforts » nécessaires en matière de « qualité commerciale ». Dans le même sens, quelques années plus tard, le plan d’entreprise « Cap 98 » annonce la systématisation d’une « analyse des réclamations » afin de développer une forme de « participation directe des clients à la définition ou à l’expérimentation [des] offres ».

- La dévaluation des pratiques d’enquête et la « confiance a priori » : la réclamation comme insatisfaction
Dans les réclamations des années 1990, les gestionnaires cherchent moins la faute ou la panne que l’insatisfaction. La réclamation n’est plus légitimée par un substrat administratif ou technique mais simplement prise en compte en tant qu’elle exprime une insatisfaction et donc un risque de défection ou de procès. Elle est, en ce sens, immédiatement légitime. Elle devient même désirable, relativement aux autres modalités de règlement des conflits.
Cette nouvelle signification réagence les composantes pratiques du traitement. Celles-ci ne se réalisent plus dans le cadre d’enquêtes administratives ou techniques mais se divisent en pratiques de « désamorçage » et d’« analyse » qui mettent au centre les tâches d’explication et de dédommagement pour l’une, de prescription pour l’autre.
La conception de la réclamation comme insatisfaction pose des problèmes pratiques jusqu’alors inédits. Prenons l’exemple du dédommagement : dans les années 1920, comme dans les années 1970, la facturation était un acte administratif que le droit protégeait largement. Les réductions, les remboursements, et a fortiori les versements d’indemnités étaient rendus difficiles par les dispositions léonines des contrats d’abonnement. Lorsqu’ils pouvaient avoir lieu, ils étaient conditionnés par d’importantes enquêtes techniques.

Mais dans les années 1990, les organisateurs remarquent qu’une telle intransigeance coûte cher. Selon un observateur de la direction nationale des services consommateurs de l’époque, les sommes en jeu dépassent rarement les 300 francs quand le coût fixe d’une enquête technique s’élève, selon l’approximation retenue, à environ 1500 francs : « il semble donc fondé de mettre en balance ce coût avec la somme sujette à un différend ». L’intransigeance de l’enquête s’avère également maladroite sur un plan commercial. Une étude réalisée par la SOFRES pour le compte de l’Agence de Régulation des Télécommunications relève que les clients demandent, lorsqu’ils appellent pour une réclamation, « une attitude plus conciliante et moins soupçonneuse » de la part de l’opérateur historique ou encore qu’ils souhaitent que l’entreprise laisse « au client le bénéfice du doute ».
Tenant compte de ces remarques, l’instruction du 21 janvier 1993 relative à la « Prévention et [au] traitement des réclamations sur factures » introduit une innovation : « Il convient de faire confiance au client à priori, d’écouter et d’accorder du crédit à ses doléances ou demandes d’explications ». Il ne s’agit plus, ou plus prioritairement, de chercher à recouper ce que dit le client avec une source d’information interne ou des éléments techniques. L’instruction insiste plutôt sur l’importance de ce qu’elle nomme le « désamorçage », la réponse au client :
« Lors de ce contact, il convient de trouver une solution adaptée à la situation du client et de lui faire une réponse argumentée tout en l’invitant à y réfléchir. Le client, s’il n’est pas convaincu, va confirmer sa réclamation. Aussi, toutes les ambiguïtés sont à lever lors de cette phase ».

À cette fin, la direction accorde aux chargés de clientèle des « marges de manœuvre » leur permettant de dédommager plus facilement le client en procédant à des remboursements puis, plus tardivement, aux premiers « gestes commerciaux ». L’asymétrie technique/commercial s’est d’ailleurs inversée : les conseillers-clientèle doivent « mettre en enquête » une affaire auprès d’un agent des services techniques lorsque la réclamation concerne un « problème technique » ; mais le traitement se joue sur un plan commercial, par le biais d’un échange verbal et éventuellement monétaire.
Du coup, les compétences valorisées se déplacent : elles deviennent moins techniques, plus relationnelles, et portent particulièrement sur le discours — un discours d’abord destiné à convaincre, donc à « désamorcer », et à se mettre en scène comme « autorité ». Un nouvel outillage professionnel se développe. Il est notamment composé de cahiers de paragraphes types destinés à construire des argumentaires dans les courriers de réponse. Ces cahiers donnent aussi des conseils de formulation, suggèrent des manières différentes de se mettre en scène, suivant l’autorité que le chargé de clientèle peut être amené à camper :
« Si je (client) m’adresse nommément au Président ou à un dirigeant pour manifester mon mécontentement, je comprendrai qu’interpellé personnellement il me réponde qu’il est “désolé” ou qu’il “regrette vivement” ce qui m’est arrivé par la faute de son entreprise dont il ne manque pas une occasion médiatique d’affirmer qu’il s’efforce de la conduire vers la perfection. Mais si je m’adresse à une entité comme le [service consommateur], dont je ne sais même pas si c’est un service de [l’entreprise], je serai surpris et sans doute agacé qu’un (ou une) correspondant(e) dont je ne connais pas le statut me fasse part de regrets ou de compréhension : un arbitre n’a pas à déplorer l’attitude ou les défaillances d’une partie, il doit arbitrer » (Extrait d’une archive du service consommateur, fonds privé).

L’importance du discours se signale aussi par l’organisation de concours annuels récompensant, au milieu des années 1990, « la meilleure réponse écrite au client qui réclame », ou par l’existence d’un lexique des « mots noirs » que l’on proscrit lors des échanges écrits ou oraux avec la clientèle et dans lequel on trouve notamment le mot « réclamation ». L’habileté du conseiller-clientèle réside alors dans sa faconde et sa « belle plume ». Les organisateurs ne cesseront de s’interroger sur cette fonction. Les injonctions à l’égard de la présentation des excuses, par exemple, évolueront : elles seront d’abord proscrites, au nom de leur implication juridique — s’excuser reviendrait à reconnaître une faute, ce qui pourrait être opposé à l’entreprise lors d’un jugement —, puis encouragées, à partir de la fin des années 2000, au nom de leur rendement commercial.

- Les pratiques d’analyse et leur intégration dans un outil de gestion : prescrire
Cette autorité ne se réalise donc plus dans la punition. Dès la fin des années 1980, les documents évoquent de moins en moins fréquemment le thème de la « responsabilité » face aux réclamations et, lorsqu’ils le font, ils soulignent le caractère collectif de celle-ci. Le contrôle social se fait plus « incrémental », moins « héroïque »50. Cet élément est parfois rendu positivement par un appel à la « solidarité » professionnelle :
« Le client nous juge solidairement responsables de la qualité fournie. Soyons solidaires pour le satisfaire ».
Pourtant, dès les années 1990, cette exhortation est déjà dépassée par de nouvelles méthodes gestionnaires de contrôle et de mise au travail fondées sur le modèle des compétences (Zarifian, 2001) et reposant sur l’utilisation d’indicateurs quantitatifs de contrôle de la production. Les organisateurs vont d’abord tenter de greffer la réclamation sur cette nouvelle technologie d’organisation, en la faisant devenir un « indicateur prégnant ».

Le 15 mars 1993, la direction générale lance la construction d’ARTIC, application informatique destinée à permettre « la mise en place de la comptabilité et de l’exploitation des réclamations dans l’ensemble des régions ». Le document produit pour l’occasion par le pôle « valorisation des données clientèle », hébergé au sein d’un domaine au nom tout aussi évocateur, le « domaine analyse, remontées et suites », souligne la double nature des réclamations :
« Chaque lettre de réclamation reçue par [l’entreprise] contient d’une part une réclamation qu’il faut traiter (enquête, réponse), d’autre part une information brute que [l’entreprise] doit exploiter pour améliorer son service ».

L’extraction de « l’information brute » implique un travail de traduction puisque la réclamation « n’est pas exploitable en tant que telle » :
« Pour [qu’elle soit] exploitable, il est nécessaire de la reformuler pour enlever les effets de style, l’agressivité et disposer d’une synthèse claire, facilement réutilisable et relativement normalisée [et de] la codifier pour l’enregistrer sur la base de données des motifs de réclamation ».

Les chargés de traitement sont donc invités à « tracer » les réclamations dans le système d’information. Car, une fois traitée, la réclamation fournit « des éléments de pilotage à court terme pour les plaques, les Directions Régionales et la Direction Commerciale […] ; à moyen et long terme pour la Direction Commerciale et la Direction Générale, dans l’élaboration de la stratégie nationale future du groupe ».

La première indication concerne leur nombre. Au début des années 1990, l’entreprise « estime recevoir […] entre 100 000 et 500 000 réclamations [par an] mais n’en connaît pas le nombre exact ». Mais les organisateurs s’intéressent surtout aux « motifs » de mécontentement des clients : au moment où la validation marchande des produits n’est plus garantie par une situation de monopole, « il devient de plus en plus nécessaire de les exploiter précisément ». Les réclamations sont mobilisées pour évaluer la qualité des différents produits et services, afin de fournir des éléments de prescription.

La prescription va prendre deux formes dans l’entreprise. La première est ce que les organisateurs nomment le « cri du client » . La pratique consiste à présenter au comité exécutif de l’entreprise une réclamation jugée particulièrement significative. Elle n’implique cependant rien quant aux suites à donner à ce « cri ». Si cette pratique a une vertu d’édification, elle n’est pas prescriptive au sens strict.

Dans le courant des années 2000, les réclamations vont donner lieu à un autre usage, fondé sur un exercice comptable.
Les réclamations tracées sont extraites mensuellement du système d’information. Ces traçages produits par les conseillers-clientèle sont l’objet d’une analyse dite « d’écoute client », destinée à rattacher chaque réclamation à une « cause racine ». Chaque cause racine désigne en réalité un « processus », c’est-à-dire un morceau de l’organisation doté d’une autonomie relative et chargé de conduire une partie de l’activité — par exemple, le processus « commande-livraison ». À partir de la fin des années 2000, les responsables de « l’écoute-client » vont être autorisés à imputer les coûts liés au traitement des réclamations — le coût de la main d’œuvre et du capital ainsi que des dépenses liées aux dédommagements — dans le bilan comptable des processus jugés responsables de ces réclamations. L’analyse des réclamations participe ainsi du « contrôle de gestion », c’est-à-dire d’un « processus par lequel les managers influencent d’autres membres de l’organisation pour mettre en œuvre les stratégies de l’organisation ». Par ce mouvement, les coûts de traitement deviennent les coûts des réclamations et sont pris en charge par les processus jugés « fautifs ». Le bilan comptable du processus de réclamation n’est théoriquement plus déficitaire : il est à l’équilibre. Par un retournement singulier, le coût des réclamations, qui signait autrefois son caractère improductif, appuie de nos jours son influence dans l’organisation.

4 Conclusion
C’est dans les années 1920 que des pratiques professionnelles apparaissent autour de la « réclamation » dans les industries du téléphone. On cherche d’abord à l’éloigner des travailleurs au nom de son appartenance aux « paroles inutiles » puis, déplacée dans un espace dédié à son « traitement », la réclamation se met à désigner une part distincte des échanges entre l’usager et le professionnel qui ne relève ni des échanges immédiatement utiles à la production du service téléphonique (annonce du numéro que l’on souhaite appeler, renseignement sur l’état du service : « numéro occupé », etc.), ni du bavardage inutile que dénonçaient les ingénieurs du début du siècle. La réclamation acquiert progressivement une certaine légitimité : on lui reconnaît peu à peu le droit à un traitement et on cherche à intégrer les activités qui y sont associées dans l’espace des pratiques professionnelles d’un central téléphonique fortement épuré par la rationalisation des outils, des esprits et des corps.
Dès les années 1920, les différentes composantes des pratiques de traitement — punir, réparer, expliquer, dédommager, prescrire — sont posées. Elles s’agenceront de différentes manières suivant ce que les organisateurs jugeront opportun de voir dans une réclamation : une faute, une panne, une insatisfaction. Dans une première configuration (1920), dans laquelle la production du service est presque exclusivement tributaire du travail des opératrices de commutation, le traitement des réclamations consiste principalement à travailler une « faute de service » : enquêter, désigner un coupable, exécuter une sanction. Dans une deuxième configuration (1970), mobilisé en appui du déploiement du réseau de lignes et du développement de la commutation automatique lors de la décennie du « rattrapage téléphonique », il constitue le premier moment d’un processus d’assistance technique. Enfin, dans la troisième configuration (1990), au cœur d’une période marquée par l’ouverture du marché et la privatisation progressive de l’entreprise, il consiste à éviter les procès et les défections des clients.
Suivant la configuration organisationnelle qu’elles rencontrent, les réclamations, saisies différemment, peuvent être à l’origine de séquences de relations variables. Ces relations disciplinaires, techniques ou autres composent les « suites » des réclamations. Elles contribuent à faire la réalité sociologique de l’organisation productive et marchande qui cherche à lier dans un réseau stable de relations des travailleurs et des clients.

sommaire

II - LES RECLAMATIONS et CONTESTATIONS DE FACTURATION

Les contestations et réclamations à propos de la facturation reviennent périodiquement depuis que le téléphone automatique comptablise la taxation sur les compteurs des centraux éléctromécaniques et que la facturation soit émise à chaque abonné seulement tous les deux mois.

Depuis 1913 des abonnés sont raccordés à un central téléphonique automatique, le comptage des taxes est réalisé automatiquement à chaque début de conversation (lorsque l'abonné demandé décroche son téléphone) sur un compteur élécto-mécanique situé dans les locaux du commutateur téléphonique automatique de départ. C'est à Nice en 1913 que commence ce comptage.

Les compteurs du sytème Stowger à Nice
. ET compteurs sur un commutateur Rotary .

À cette époque, le nombre d'abonnés au téléphone était très réduit. Pour pouvoir facturer chaque bimestre, un technicien était chargé de photographier (par groupe de cent) les compteurs du central, afin de transmettre les clichés aux services de facturation.
Ce système est caractérisé par l'Administration des PTT comme étant rapide et sûr, en raison d'un double contrôle comptable par comparaison des photographies avec les relevés du bimestre précédent. La garantie quasi totale d'exactitude des chiffres relevés est avancée par l'Administration des PTT.
ET POURTANT

Souvent à cette époque, bien avant que la facturation détaillée soit possible de nos jours avec les nouvelles technologies, étant dans l'incapacité de pouvoir justifier les réclamations d'abonnés mécontents, les problèmes remontaient jusqu'aux sénateurs.
Par exemple :
En 1959 ASSEIIBLEE NATIONALE — 2e SEANCE DU 15 OCTOBRE 1959 POSTES ET TELECOMMUNICATIONS
— M . Ribière expose à M le ministre des postes et télécommunications que beaucoup d'abonnés au téléphone estiment que le nombre des communications dont le payement leur est réclamé est abusif . C 'est ainsi que plusieurs abonnés, absents durant deux mois de vacances, auraient été contraints de payer, pour les mois considérés, un certain nombre de communications qu'ils n'ont pu demander . A chaque réclamation, l'administration répond invariablement que, vérification faite, le compteur de l'abonné fonctionne normalement et qu'aucun dégrèvement ne peut être accordé . Il lui demande s'il ne serait pas possible de mettre à l'étude un moyen de contrôle qui donne à l'abonné la possibilité de vérifier lui-même le nombre des communications réclamées, soit par la pose d'un compteur sur le circuit, au domicile de l'abonné, si la chose est techniquement réalisable, soit par tout autre moyen efficace ne pouvant donner lieu ù aucune discussion . (Question du 3 octobre 1959)
Réponse . — Les réclamaiions formulées par les abonnés an téléphone concernant le montaut des taxes qui leur sont réclamées sont relativcment peu nombreuses . A Paris (où la quasi totalité des taxes dos communications sont imputées au compteur), pour 300.000 relevés établis chaque mois, il n'est reçu que 180 réclamations en moyenne, soit 0,2 p 100 . Cette moyenne est d'ailleurs sensiblement constante, quelle que soit l'époque de l'année et si des taxes sont dues pour des périodes de vacances, cela s'explique par le fait que les dates de départ ou de rentrée de congé des abonnés coïncident rarement avec celles des relevés des compteurs . Parmi ces réclamations, la proportion de celles qui sont fondées est extrêmement faible (à peine une sur vingt) . En effet, les erreurs, toujours possibles, peuvent dire de deux ordres : Erreurs humaines d'abord. d'autre part, les compteurs, à Paris, sont photographiés tous les bimestres ; mais les indications de la photographie sont. reportées sur le compte de l'abonné par un agent qui peut faire une erreur de lecture ou de transcription ; ces erreurs sont toujours retrouvées et corrigées automatiquement à l'occasion du relevé suivant . D'autre part, les compteurs sont essayés périodiquement par l'envoi de mille (exceptionnellement cent) impulsions de contrôle ; le ticket de détaxe qui doit être établi à cette occasion peut être omis ; l'enquête qui suit une réclamation permet de corriger cette erreur, car les fiches do détaxe sont conservées dans les dossiers . Défaut do fonctionnement du compteur ensuite . Les compteurs sont des appareils mécaniques qui ne sont dvidemment pas, d'une manière absolu à l'abri de tout mauvais fonctionnement mais comme test appareil doté d'uue certaine inertie ils auraient plutôt tendance à ne pas tourner assez qu'à tourner trop, ce qui est favorable à l'abonné . Un fonctionnement intempestif du compteur ne peut résulter que de certains dérangements très particuliers, extérieurs au compteur lui-méme, provoquant un déréglage complot du compteur, qui fonctionne alors « en mitrailleuse» disent tes techniciens des postes, télégraphes . et téléphones, mais de tels dérangements sont très rares ; ils sont toujours décelés et entratnent la correction des relevés . En réalité, les compteurs sont des appareils robustes et éprouvés . Ils ne sont mis en ser vice qu'après avoir été longuement essayés ; Ils sont en outre contrôlés périodiquement et un compteur reconnu défectueux est immédiatement changé, les cas do mauvais fonctionnement sont donc tout à lait exceptionnels . Ainsi, en cas de réclamation, le compte de l'abonné est vérifié afin d'obtenir l'assurance qu'aucune erreur matérielle n'a été commise par le service de la comptabilité (rapprochement du relevé envoyé avec les photographies de compteur, omission d'une fiche de détaxe à la suite des essais de compteur, etc .), L'installation et la ligne sont soumis à des essais . Le service s'assure également que l'abonné est au courant de la taxation multiple et de la durée des communications régionales ou interurbaines, établies par des opératrices mais avec taxation au compteur,ou établies par voie entièrement automatique, et qu'il ne considère pas comme gratuit le service de l'heure . Ces vérifications techniques et comptables permettent en général de convaincre l'abonné de l'exactitude des relevés qu'il e reçus ou de trouver la cause du désaccord, auquel cas un dégrèvement est accordé . Lorsque, malgré les renseignements qui lui sont fournis, l'abonné persiste dans sa réclamation (à Paris, le nombre des abonnés réclamant pour
la deuxième fois est de 120 environ par mois, soit seulement 0,04 p 100), Il est procédé à un contrôle des appels lancés à partir de son poste pendant une période de dix jours à un mois, selon l'importance de son trafic . Ce contrôle est effectué à l'aide d'un appareil nommé machine Girard, qui est branché en dérivation sur la ligne de l'abonné et qui enregistre sur une bande de papier tous les chiffres composés au cadran du poste, la date, l'heure de début et l'heure de fin de chaque communication (celle de début seulement pour les tentatives de communication n'aboutissant pas), les Impulsions de taxation envoyées au compteur pour chaque communication efficace, ainsi que l'heure d'envoi de res impulsions . Il est à noter que dans tous les cas de contrôles ainsi exercés, le nombre des impulsions inscrites sur la bande a toujours correspondu à la différence des index du compteur individuel à la fin et au début du contrôle, ce quis confirme . le bon fonctionnement des compteurs.
A l'issue de la période de contrôle, les indications de la bande ainsi obtenue sont rapprochées de la comptabilité tenue par l'abonné (tout abonné qui réclame est, en effet supposé tenir une comptabilité rigoureuse de ses appels ; pourtant, combien de réclamants n'en tiennent pas compte! . Il est alors facile de découvrir les omissions ou les erreurs d'évaluation de taxes commises par l'abonné : il est très rare que quelques omissions ne soient pas relevées mais, surtout, la taxe globale des conversations interurbaines est rarement appréciée à sa juste valeur, par méconnaissance des règles exactes de taxation à la distance et à la durée . Evidemment, de tels contrôles ne peuvent être pratiqués fréquemment, ni pendant de très longues périodes, car le nombre d'appareils enregistreurs mis à la disposition de chaque centre téléphonique est nécessairement réduit en raison
de leur prix élevé . Reconnaissant les inconvénients que présente pour les abonnés l'imputation au compteur de la taxe des communications téléphoniques interurbaines, l'administration comprend très bien leur désir de pouvoir contr0ter directement et en permanence leur consommation téléphonique, surtout au moment où, dans toute la France, se multiplient les liaisons interurbaines automatiques . C'est pourquoi ; dès 1955, un décret (n° 55-53 du 8 janvier 1955) a autorisé les abonnés des réseaux où les taxes des communications interurbaines sont imputées au compteur à faire équiper leurs lignes téléphoniques de compteurs de taxe installés près du poste d'abonnement, c'est-à-dire à domicile . Chaque compteur fonclionne en synchronisme avec, le compteur correspondant au centre téléphonique et donne à la fois le nombre d'impulsions enregistrées pour chaque communication (une impulsion = une taxe de base = 25 francs) et le nombre total d'impulsions : Ces compteurs peuvent étre installés soit par l'industrie privée (tompteurs Sodeco), soit par l'administration: Une taxe de 18.750 francs est jusqu'ici perçue pour l'équipement du centre téléphonique correspondant en propre au compteur do taxes installé chez l'abonné, ainsi qu'une redevance mensuelle d'abonnement de 100 francs. En outre, pour les compteurs fournis par l'administration, s'y ajoute une taxe mensuelle d'entretien de 600 francs. Le nombre des abonnés, ayant depuis demandé à bénéficier-de cette possibilité est extrêmement faible . Aussi, afin de développer l'installation de compteurs à domicile l'administration vient-elle de prendre la décision da ramener de 18.750 à 5.000 . francs la taxe perçue pour l'équipement initial malgré le prix élevé de cet équipement complexe qui doit permettre de retransmettre au demicille de l'abonné tes impulsions de comptage émises au centre téléphonique . C'est d'ailleurs en raison de ce prix ; élevé que n'ont jusqu'à présent été prévus pour recevoir des équipements de ce type que les centres téléphoniques de quelques très grandes cités (dont évidernment Paris en premier lieu). Mals tous les nouveaux centres automatiques seront dorénavant installés avec de tels équipements et les centres déjà en service seront progressivement équipés . .

De même en 1972 : ASSEIIBLEE NATIONALE du 23 novembre Extrait à propos de réclamation de taxation
... Intervention de M. Robert Bruyneel
... S'il est pénible de ne pouvoir obtenir des liaisons téléphoniques, surtout lorsqu'il s'agit d'appels urgents et importants, il est tout à fait choquant que des abonnés reliés au téléphone automatique puissent être taxés pour des communications souvent nombreuses qu'ils n'ont pas demandées et qui engendrent des différents regrettables avec votre administration.
A plusieurs reprises, des abonnés m'avaient signalé de tels incidents qui m'avaient beaucoup étonné. Mais j'ai été obligé de convenir que leur mécontentement était fondé lorsque j'ai été moi-même victime d'une pareille mésaventure qui n'est pas terminée et que je vous relaterai dans quelques instants.
J'ajoute, pour vous démontrer qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé, que plusieurs de mes collègues ont connu les mêmes ennuis. Je vous ai alors écrit le 16 août 1972, puis le 3 octobre pour vous signaler ces anomalies et surtout pour vous demander de quelle façon les abonnés pouvaient vérifier les inexactitudes de leur compteur et par quels moyens ils pouvaient faire admettre par la direction départementale dont ils dépendent les erreurs qui avaient été commises.
J'ai même eu recours à la procédure de la question écrite.
Ma question a paru au Journal officiel le 26 octobre et votre réponse y a été publiée avec une certaine célérité le 15 novembre courant. Vous m'avez précisé que « les compteurs téléphoniques tout comme les compteurs d'eau, de gaz ou d'électricité, marquent un nombre total d'unités ».
Vous m'avez ensuite dépeint les avantages du compteur qui constitue un progrès et qui permet une augmentation de l'utilisation du téléphone. Vous m'avez également indiqué que les abonnés qui désiraient contrôler leur consommation pouvaient faire installer un compteur individuel à leurs frais, bien entendu, ce qui entraîne le paiement de taxes et de redevances. Et vous terminiez votre réponse par cette phrase : « S'agissant de la consommation téléphonique jugée anormalement élevée par un abonné, l'expérience a permis de montrer à maintes reprises que celle-ci correspond dans les faits, à une utilisation de la ligne à l'insu du titulaire, soit par un familier, soit par un tiers ayant accès à l'appareil. »
Cette réponse ne me donnant pas satisfaction, j'ai estimé que l'examen de votre budget pouvait me permettre d'évoquer publiquement cet important problème qui mérite de retenir quelques instants l'attention du Sénat et la vôtre, monsieur le ministre.
Je relève d'abord qu'il y a entre les compteurs téléphoniques et les compteurs d'eau, de gaz et d'électricité une différence capitale : c'est que ces derniers sont installés au domicile de l'abonné qui peut, à tout moment, en vérifier le bon fonctionnement, tandis que le compteur téléphonique est hors de la portée de l'abonné.
Il est incontestable que le téléphone automatique, lorsqu'il fonctionne normalement, constitue sur le téléphone manuel un important progrès, sauf pour l'abonné en ce qui concerne la facturation. L'envoi de fiches dans le système manuel permet un contrôle simple et efficace de la consommation téléphonique.
L'envoi d'un relevé bimestriel qui ne comporte qu'un total ne permet aucune vérification. On est obligé de faire confiance à la machine avec les inconvénients qui en résultent lorsque la mécanique se détraque, ce qui n'est malheureusement pas si rare. J'en ai fait la désastreuse expérience.
Vous m'indiquez ce que je savais déjà, que l'abonné peut faire installer chez lui, à ses frais, un compteur individuel qui donne lieu au paiement de taxes et de redevances. C'est une solution acceptable pour des entreprises de quelque importance qui veulent contrôler leur consommation téléphonique et surtout réfréner les communications privées de leur personnel.
Je sais qu'elle a été adoptée par des abonnés qui ont eu des contestations avec votre administration, mais qui tous ont une importante consommation téléphonique. Cependant, ce n'est pas un procédé utilisable par la plupart des particuliers, surtout par ceux qui comme nous ont besoin d'avoir plusieurs postes téléphoniques.
M. Gérard Minvielle. Voulez-vous me permettre de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Robert Bruyneel. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Minvielle, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Gérard Minvielle. Dans le cas où il y aurait une différence de comptage entre le compteur particulier et le compteur de l'administration, qui la réglerait ?
M. Robert Bruyneel. L'administration. Du moins, je le suppose ; sinon il serait inutile de faire installer un compteur individuel pour contrôler le compteur de l'administration.
M. Gérard Minvielle. Par conséquent, le procédé est inopérant.
M. Robert Bruyneel. Cette installation n'est pas possible pour la plupart des particuliers, spécialement pour les abonnés qui ont une consommation téléphonique peu importante. Beaucoup de personnes âgées, notamment, possédant de faibles ressources ont fait installer le téléphone pour ne pas rester isolées, pour pouvoir appeler leurs fournisseurs et en cas de nécessité un médecin, un parent ou un ami et enfin souvent pour rester en liaison avec leur famille. Elles ont le droit d'exiger une facture exacte sans aggravation de frais de téléphone déjà très élevés.
De toute façon, lorsqu'in constate un enregistrement anormal et très important de ses taxes téléphoniques, il est trop tard pour installer un compteur. Il n'y a pas d'autre ressource que de soumettre son relevé contesté à la direction départementale qui tranche arbitrairement.
Quant à la conclusion de votre réponse, monsieur le ministre, elle n'est pas très convaincante. Vous estimez que l'expérience a permis de démontrer à maintes reprises qu'une consommation téléphonique jugée anormalement élevée provenait de l'utilisation de la ligne à l'insu du titulaire, soit par un familier, soit par un tiers ayant accès à l'appareil. Cela peut se produire surtout dans des locaux à usage professionnel, mais plus difficilement dans une maison privée ou dans un appartement où ces pratiques, lorsqu'elles ont lieu, sont vite constatées.
D'ailleurs, avec prudence, vous indiquez que cette démonstration a été faite à maintes reprises, ce qui permet de supposer que dans de nombreux cas, la facturation excessive est due à une défaillance du matériel.
Alors j'en arrive à une question essentielle. L'abonné qui constate avec certitude un fonctionnement anormal de son compteur téléphonique n'a-t-il d'autre ressource qu'un recours gracieux auprès de votre administration ? En cas de rejet, doit-il considérer comme définitivement confisquées les sommes indûment payées ou doit-il s'adresser à la justice ?
Maintenant je vous prie de m'excuser d'être obligé de vous conter mes propres déboires et mes difficultés avec l'administration des P. T. T., et les pertes de temps, et peut-être d'argent, qu'ils m'ont occasionné. Je le fais pour votre édification et pour celle du Sénat, en souhaitant que cet exemple vous permette d'améliorer un service dont j'ai de bonnes raisons de me plaindre.
Je suis propriétaire d'une résidence secondaire à Villefranche-sur-Mer, où j'espère pouvoir terminer paisiblement ma vie, mais que j'occupe actuellement assez peu : une partie de l'été — je m'y repose et me consacre aux sports nautiques — et quelques jours en hiver. Le reste du temps elle est inoccupée et close et cette circonstance a été déterminante pour l'étude des caprices de mon compteur téléphonique.
J'ai fait installer le téléphone au début de 1969 après bien des hésitations, car je voulais être tranquille ; mais les liaisons téléphoniques sont devenues maintenant indispensables. Jusqu'en 1972, mes relevés n'ont donné lieu à aucune remarque. J'ajoute que j'avais autorisé le prélèvement de mes débits sur mon compte de banque, et je m'en suis repenti amèrement. Le relevé du 26 janvier au 25 mars 1972 m'a paru dépasser nettement ma consommation réelle, mais il s'agissait d'une somme relativement peu importante et je n'avais pas d'éléments suffisants d'appréciation. Je n'ai donc pas fait de réclamation.
Ma maison a été fermée le 12 mars et j'en avais seul la clef.
Elle n'a été rouverte que le 19 juillet. Or, le relevé suivant mentionnait 6,90 francs pour la période d'imputation au compteur du 26 mars au 25 mai. C'était peu, évidemment, mais c'était encore trop, puisque personne, pendant plus de quatre mois, n'avait pu décrocher mon téléphone.
Par principe, j'écrivis le 8 juillet à la comptabilité téléphonique de Marseille en lui faisant part de l'inoccupation de ma maison pendant cette période et lui demandant à quoi correspondait cette somme inscrite à mon compteur.
Le 25 juillet, le service des abonnements téléphoniques de Nice m'écrivit ceci :
« Monsieur,
« Comme suite à votre réclamation du 8 juillet 1972 et pour me permettre de vérifier la consommation de votre ligne téléphonique, je vous serais très obligé, dès réception de ma lettre, de bien vouloir prendre note des communications demandées à partir de votre poste.
« Ce relevé, que je vous prierai de me communiquer ultérieurement, devra mentionner, outre les numéros d'appel, les dates, heures et durées des conversations.
« Je vous précise que, sans ce relevé, je ne pourrai statuer sur le bien-fondé de votre réclamation. » C'était clair !
Pourtant, le lendemain, je reçus une autre lettre du même service, datée du 26 juillet et ainsi libellée :
« Monsieur,
« Par lettre en date du 8 juillet 1972, vous contestiez le nombre des communications enregistrées sur votre compteur pendant le bimestre C 3/72 (avril-mai).
« J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'un dérangement ayant affecté votre compteur pendant la période considérée, un dégrèvement correspondant au nombre de communications enregistrées pendant la période incriminée, c'est-à-dire 23 taxes de base, soit 6,90 francs, est établi en votre faveur. »
Toutefois, à titre de précaution, j'ai pris soin de noter toutes les communications demandées à partir de mon poste, bien que ce travail me parût extrêmement fastidieux. J'ai installé auprès du téléphone un bloc-notes et un chronomètre et noté toutes les communications données entre le 26 juillet et le 10 septembre, sans en excepter une seule. Je tiens d'ailleurs la copie de ce relevé à votre disposition, monsieur le ministre, bien que votre administration l'ait déjà en sa possession depuis bien longtemps.
J'ai enregistré les dates, les heures, le numéro des abonnés appelés et la durée des communications demandées. Il y en eut exactement 69, la plupart courtes et locales, dont deux pour Paris, une pour le Loiret et une pour les Pyrénées-Atlantiques.
Au mois d'août, je reçus un relevé qui comportait 160,80 francs de taxes au compteur pour la période du 26 mai au 25 juillet et m'obligea à en conclure que mon compteur « déraillait » complètement. (Sourires.)
J'écrivis donc la lettre suivante au chef du service des abonnements :
« J'ai l'honneur d'accuser réception de votre lettre citée en référence ainsi que du dégrèvement téléphonique que vous m'avez consenti de 6,90 francs.
« Toutefois, je dois vous informer que le dérangement qui affecte mon compteur continue. Je viens en effet de recevoir un relevé (ci-joint) qui compte 160,80 francs de taxes au compteur pour la période du 26 mai au 25 juillet. Or, je suis arrivé à Villefranche-sur-Mer le 19 juillet où la villa était inoccupée depuis le mois de mars et, entre le 19 et le 25 juillet, je n'ai eu que 5 à 6 communications locales.
« Je vous demande donc un nouveau dégrèvement et surtout la réparation du compteur. »
Je précise que personne, hormis ma femme et moi-même, n'a eu accès à mon téléphone pendant toute cette période. La maison est en général fermée et, si un intrus était venu se servir de mon appareil nous l'aurions vu.
Vous allez constater que, par la suite, la situation s'est aggravée considérablement. J'allais parvenir rapidement au domaine de l'absurdité totale. Je reçus en effet la lettre suivante, datée du 18 septembre, toujours du chef du service des abonnements téléphoniques :
« Monsieur,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'après réception de votre lettre en date du 16 août 1972, afférente à la ligne téléphonique n° 01 10 16, divers essais techniques effectués sur votre installation ont montré que vos poste, ligne et compteur fonctionnaient normalement.
« Aucun dérangement pendant la période incriminée n'a été décelée, et les communications enregistrées du 19 juillet au 25 juillet, soit 536 taxes de base, ont de toute évidence été obtenues à partir de votre poste. Les divergences que vous constatez peuvent donc provenir d'omissions involontaires de personnes ayant accès à votre poste.
« Par ailleurs, votre compteur a été mis en observation sur machine Girard du 28 août au 26 septembre. Au cours de cette période, 876 taxes de base ont été enregistrées, ce qui laisse apparaître un très fort trafic sur la chaîne nationale.
« Je vous informe que la bande de contrôle est à votre disposition à mon service de la rue Alberti où vous pourrez la consulter.
« En conséquence, en l'absence d'éléments nouveaux justifiant une détaxe, aucune anomalie technique n'ayant été constatée, je ne puis à mon vif regret vous accorder un dégrèvement. »
Le 20 septembre, j'adressais mon relevé, ainsi qu'on me l'avait demandé, sans aucune illusion. Le 28 septembre, j'envoyais une vive protestation, toujours au même service. J'écrivais notamment que j'avais fait le relevé qu'on m'avait demandé, bien que ce travail fût particulièrement fastidieux, et j'ajoutais qu'aucune personne, hormis ma femme et moi-même, n'avait eu accès à mon poste. J'écrivais également :
« Quant aux résultats constatés par la machine Girard, ils sont absolument effarants et n'ont aucun rapport avec la réalité.
J'observe d'abord que la période du 28 août au 26 septembre pendant laquelle 876 taxes de base auraient été enregistrées n'était même pas terminée lorsque vous m'avez adressé votre lettre du 18 septembre, ce qui ôte toute valeur à ce contrôle. En outre, nous avons quitté la villa le 11 septembre à 5 heures et demie du matin après avoir avisé, le 8 septembre, la poste de Villefranche de notre départ, ce qui rend invraisemblables les communications enregistrées pendant cette période.
« Vous constaterez d'ailleurs par le relevé que je vous ai adressé et par la comparaison avec mes communications pendant les mêmes périodes des années précédentes que je ne viens pas en vacances pour me livrer à un « très fort trafic sur la chaîne nationale ».
« Administrateur civil de classe exceptionnelle en retraite, parlementaire depuis vingt-cinq ans, je n'ai pas l'habitude des réclamations frivoles et, si je comprends vos difficultés, je ne puis admettre qu'on conteste l'évidence d'erreurs aussi lourdes.
Non seulement je constate que mon compteur est toujours déréglé, mais, ce qui est plus grave, que vos appareils de contrôle ne fonctionnent pas mieux.
« Je ne reviendrai pas à Villefranche, ni personne de nia famille, avant le mois de janvier ; il vous sera donc facile de mettre ma ligne en observation. Mais, en attendant, je persiste à exiger le dégrèvement des 536 taxes de base que je ne dois pas ainsi que celles qui ne concorderaient pas avec le relevé que je vous ai fourni. »
M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, monsieur Bruyneel, car vous ne disposez plus que de cinq minutes.
M. Robert Bruyneel. J'ai presque terminé, monsieur le président.
Mais je n'étais pas au bout de mes peines. Le lendemain, je reçus une nouvelle lettre de ce service. On me disait toujours que la consommation excessive constatée provenait de l'utilisation de mon poste par une tierce personne.
C'est un peu comme la fable de La Fontaine :
« — Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
« -- Je n'en ai point. — C'est donc quelqu'un des tiens. »
On ajoutait que je pouvais vérifier la bande et qu'aucune suite favorable ne pouvait être donnée à ma demande de dégrèvement. On précisait même que l'enregistrement de mes communications accusait un trafic très important sur Paris, non mentionné dans mon relevé personnel.
Je répondis par lettre du 3 octobre et, le même jour, je m'adressai au directeur régional, puisqu'il m'était impossible d'obtenir la moindre compréhension du service départemental.
J'indiquais plus précisément au directeur régional qu'il n'avait qu'à comparer mes relevés des années précédentes --- 1969, 1970 et 1971 — lesquels oscillaient entre 90 et 150 francs, tickets et abonnements compris.
Je reçus alors le coup de massue. Je n'avais pas atteint le sommet de l'extravagance administrative. Je devais le connaître lorsque j'ai lu avec une stupéfaction indignée le dernier relevé de la comptabilité téléphonique de Marseille que j'ai reçu vers la fin du mois d'octobre dernier. Mon compteur indiquait la somme de 2.078,10 francs (Rires) , c'est-à-dire 207.000 anciens francs pour 45 jours, puisque nous étions partis le 11 septembre.
Nous sommes très au-dessus de la cadence déjà vertigineuse que m'annonçait le service des abonnements téléphoniques de Nice dans ses lettres des 18 et 27 septembre.
Naturellement, j'ai immédiatement protesté auprès du directeur régional des télécommunications par lettre du 2 novembre ; je n'ai même pas reçu le moindre accusé de réception.
Voilà, trop largement relatées, Tes tristes étapes des difficultés que peut rencontrer un abonné au téléphone. J'ai pu constater que non seulement un compteur téléphonique peut s'emballer jusqu'à la frénésie, mais que l'appareil Girard même peut se déranger. (Sourires.)
...
sommaire

Les évolutions technologiques au service des réclamations :

Il faut souligner que les litiges sur les factures sont la rançon d’un considérable succès qui a élevé le taux de foyers raccordés au téléphone de 27 % en 1974 à 90 % en 1984.
Il est loin, le temps où l’on pouvait voir le directeur adjoint des télécommunications de Clermont-Ferrand arriver avenue de Ségur avec, dans sa serviette, de succulents fromages pour convaincre les responsables de l’administration centrale d’octroyer quelques lignes supplémentaires à l’Auvergne...
En outre, le ministère souligne depuis quelques années la baisse du taux de contestation des taxes :
2,9 contestations pour 1 000 factures émises en 1983,
3,2 en 1984
3,7 en 1985
2,6 en 1986
1,88 en 1987
Ces chiffres valent ce que valent les statistiques : ils peuvent signifier meilleure tarification ou résignation des abonnés. Mais il reste que les rapports entre les télécommunications et leurs clients connaissent une évolution juridique et technique accélérée. Cette histoire mérite d’être brièvement retracée entre les déboires d’hier et les espoirs qu’il n’est pas illégitime de nourrir.

— Les déboires : surprises et impuissance de l’usager
Les factures téléphoniques n’ont pas bonne presse. Au dos des bordereaux reçus, tous les deux mois, par les abonnés figurent quelques explications. Mais elles ne portent ni sur les tarifs, ni sur les tranches horaires, ni sur d’éventuels conseils techniques permettant à chacun de comprendre ses dépenses : sous la rubrique «remarques importantes » figurent la mention de la «date limite de paiement » et le rappel que le «titulaire d’un abonnement est le seul responsable vis-à-vis de l’administration de l’usage qui est fait de l’installation ». Le décor est planté. Il s’agit moins de faire comprendre que de faire payer. Or une facture lisible sera mieux admise. Le fisc l’a bien compris qui multiplie les formules «pour calculer vous-même votre impôt ».
L’abonné, qui ne peut ou ne sait noter régulièrement ses consommations, devient ainsi un contestataire potentiel qu’une facture codée va transformer en réclamant à l’administration puis, parfois, en requérant au juge administratif. A la longue cohorte de ceux qui se plaignent de l’hétérogénéité de leurs factures sur une année, du montant de leurs factures durant l’été où ils sont absents, des possibilités d’interférences entre lignes, il est invariablement répondu qu’ils doivent mieux surveiller leur entourage surtout quand ils sont hors de chez eux. L’incompréhension atteint les sommets quand l’abonné met sa ligne à disposition de ses propres clients, qu’il s’agisse d’une entreprise de location d’appartements à la journée ou au mois à Paris, d’un hôtel du centre de Rouen ou d’un taxiphone installé dans le hall d’une clinique privée . Dans de tels cas, l’exploitant peut être pris entre l’incompréhension du service public et celle de ses clients qui, bien sûr, ne se plaindront pas de pouvoir appeler Los Angeles à un tarif sans concurrence si d’aventure l’installation est temporairement défectueuse.
Dans une telle situation, rien ne sert de brandir les relevés du compteur interne à l’entreprise ou installé chez le particulier qui en a fait la demande : l’administration répondrait par son atout maître : le décret du 8 janvier 1955, aux termes duquel : «les abonnés sont autorisés à faire équiper leurs lignes téléphoniques de compteurs de taxes installés près du poste d’abonnement... pour la détermination des taxes dues par l’abonné, le compteur installé au centre téléphonique fait seul foi ». A la suite des recommandations du médiateur, les PTT qui ne commercialisent plus directement ces compteurs à domicile depuis décembre 1986, vont renforcer l’information des 60 000 personnes disposant de tels compteurs et demander aux industriels du secteur d’indiquer dans leurs notices la «transparence juridique » de ces appareils qui ne font pas foi.
Eviter ou réduire les «surprises » de l’abonné, c’est économiser des litiges et donc améliorer le service public.
Car il peut arriver que ce service de télécommunication ait quelques difficultés à communiquer. Quant à l’abonné, il aura acquis le sentiment de son impuissance.
- En premier lieu, plane sur la discussion entre le service et l’usager, la menace de la coupure de ligne. Menace parfois disproportionnée avec le litige qui peut se limiter à quelques centaines de francs. Mais quelles que soient les conséquences pour l’abonné, le «calendrier de recouvrement des factures » est organisé avec une rigueur mathématique: jour J, envoi de la facture, J + 23, rappel; J + 30, pénalité de 10 %; J + 35, suspension de la ligne; J + 40, lettre recommandée avant résiliation; J + 50, au plus tard, résiliation. Les télécommunications sont fortes d’un pouvoir de sanction reconnu par l’article L. 36 du code des PTT : «le service de la correspondance privée peut être suspendu par le ministre des PTT soit partiellement, soit totalement, sur l’ensemble du réseau des télécommunications ». Et l’article D 337 ajoute que le service peut à tout moment mettre fin à un abonnement. La liste des motifs de résiliation est longue (D. 340 et suivants), mais l’essentiel est évidemment le non paiement des redevances dans les délais impartis. Face à des textes aussi formels, le Conseil d’État n’a pu que suivre l’administration pour admettre la légalité de résiliations d’abonne¬ ment, même si l’usager faisait valoir son âge et son état de santé et sans qu’il soit besoin d’adresser préalablement à l’abonné un avis de mise en recouvrement. La fermeté dans l’utilisation de cette arme ultime qu’est la résiliation n’est pas neuve : une caricature du journal satirique l’«Assiette au beurre» de 1904 montre, devant une longue rangée de demoiselles du téléphone bousculées par les appels, le commis principal interroger son supérieur : «M. le directeur, ces dames sont débordées et le public réclame ». Réponse : «Coupez les communications et faites poursuivre les récalcitrants! »
Rien n’empêcherait d’ouvrir une place plus large au sursis de paiement éventuellement avec consignation et, dans des cas justifiés, à l’octroi de délais pour les situations difficiles.
- En second lieu, l’abonné se heurte au mur de la charge de la preuve. Sur ce plan, le juge a pu hésiter puisque les tribunaux administratifs se sont partagés. Le Conseil d’État a pris en considération l’impossibilité de faire peser la charge de la preuve exclusivement sur l’une des parties, l’administration, car il ne saurait être question de créer à son encontre une sorte de présomption de «défaut de décompte normal » sur le modèle de la jurisprudence des travaux publics; en effet, l’usager se trouve en situation de faiblesse envers le service technique, seul compétent pour mesurer le service rendu.
Aussi dans ses récentes décisions, le juge administratif a-t-il tiré parti du caractère inquisitoire de la procédure contentieuse pour diriger lui-même l’administration de la preuve. L’usager devra apporter des «présomptions suffisamment sérieuses » et l’administration produire documents, fiches de contrôles et résultats des vérifications techniques. Le juge est alors amené à tenir la balance entre les indices de l’abonné et ceux de l’administration. Pour le premier : montant de facture sans commune mesure avec les bimestres précédents, dérangements et anomalies diverses, absence du domicile. Pour l’administration : présomptions comme l’inexpérience du nouvel abonné qui n’avait pas pris toute la mesure du coût du service, utilisation du poste par un tiers en l’absence de l’abonné et surtout coïncidence entre les relevés du compteur et ceux des bandes de contrôle.
Le débat est difficile car aux abonnés honnêtes et réellement victimes de surfacturation, se mêlent nécessairement les habitués du «service public à crédit » : ainsi l’abonné qui refusait de payer parce que le fonctionnement de son compteur avait été interrompu alors qu’il ne contestait pas avoir normalement utilisé sa ligne.
- En troisième lieu, l’impuissance de l’abonné se renforce par les difficultés d’accès au prétoire. Dès que la requête porte sur un remboursement de taxe, le juge considère qu’il est en présence d’un litige de plein contentieux. Le pourvoi n’est pas dispensé du ministère d’avocat comme le recours pour excès de pouvoir. Cette exigence constante, soulève des difficultés pour les litiges portant sur des sommes peu élevées et le médiateur mentionne cette question dans ses propositions de réforme.
- En dernier lieu, il faut souligner — pour mémoire — que les taxes téléphoniques ont trouvé leur juge. Est donc épargné aux abonnés le détour par le tribunal des conflits qui n’était pas rare dans les années 1978. Désormais, le contentieux des usagers du téléphone constitue un bloc presque complet de compétence administrative, le juge judiciaire ne conservant que le contentieux de l’exécution forcée.
Si l’on tentait un bilan de ces discussions administratives et contentieuses autour des facturations téléphoniques, il faudrait reconnaître qu’elles n’aboutissent que très rarement à une modification de la décision initiale du service. Cette immobilité, constatée tant par le médiateur que par le juge administratif, peut résulter de la qualité réelle de la facturation; elle peut aussi, dans certains cas, avoir pour cause un certain retard de sens «commercial » du service public. De là peut venir l’espoir. Après les déboires qu’il a connus, l’usager peut retrouver un service soucieux de mettre tous ses moyens techniques nouveaux à la disposition de ses abonnés.

1975 Une enquête réalisée par l'Association française des utilisateurs du téléphone et des télécommunications traduit ce mécontentement des usagers : sur 1190 réponses, 69 % des particuliers et 31 % des entreprises ne sont pas toujours d'accord avec le relevé bimestriel qu'ils reçoivent.
Même avec les compteurs à domicile, les réclamations de facturations avec le nombre grandissant des abonnés, augmentaient de plus en plus.

Avec l'arrivée des centres téléphoniques électroniques, le principe de relevé des compteurs était maintenu et était devenu plutôt fiable, les relevés étaient effectués chaque jour par bande magnétique et transmis aux centres de facturation pour traitement.
Pour les centres éléctromécaniques encore en service, la procédure avec photographie des compteurs restait la même.
Le CFRT Centre de Facturation et de Recouvrement des Télécommunications est le centre régional où sont préparées les futures factures.
Calculateur IBM (série 1400
Salle du Centre Régional de Comptabilité de Paris. Salle des calculateurs et des impressions.

Les factures étaient toujours imprimées chaque bimestre, mais le centre de facturation n'étaient pas en mesure de produire un relevé journalier ou une facturation détaillée comme nous l'avons maintenant.

1970 Arrive la Taxation Électronique Centralisée pour les commuteurs électromécaniques.
Une maquette de Taxation Électronique Centralisée avait été mise en service au CNET le 15 juillet 1964.
Une expérimentation en service réel en France avait déjà été engagée dès 1964 en Région Parisienne : le Commutateur CP400 en service à Poissy en est alors le premier équipé à titre expérimental dès sa mise en service.
Dispositif dans le Commutateur CP400 à Poissy.
Ainsi progressivement, les nouveaux commutateurs en sont équipés jusqu'à la généralisation des centraux éléctroniques.

1983 : C'est début de la facturation détaillée : Le service de Facturation Détaillée (FADET) est ouvert progressivement à l'exploitation.
Les premiers commutateurs à pouvoir délivrer ce service en France sont les commutateurs de type Métaconta - 11F. Progressivement, la Facturation Détaillée, alors payante, sera généralisée à l'ensemble des commutateurs semi-électroniques et électroniques temporels. Nota : les quatre derniers chiffres des numéros de téléphones (MCDU) sont alors systématiquement occultés (pour la paix des ménages...)

Malgré toutes ces améliorations le nombre de réclamations sur facture contine à augmenter pour les abonnés ne disposant pas ou ne nésirant pas la facturation détaillée. La défaillance technique n'était quasiment plus possible, depuis le début, il restait le problème de la "triche".
Le processus de facturation bimestrielle en cour pour une majorité d'abonnés ne pouvait pas justifier les réclamations d'abonnés de bonne foi qui avaient une consommation et un comportement régulier puis subissaient des factures incohérentes de bimestre en bimestre.
1985 il y a 9 millions d'abonnés avec la facturation détaillée et 15 millions fin 1986. Mais il faut attendre par couurier le détail de la facturation à la fin du bimestre.

1984-86 Arrive l'application informatique GESTAX
Conçue, développée et mise en exploitation par 4 techniciens du Centre Principal d'Exploitation de Fontainebleau, avec l'aide du CNET qui a fournis le premier mini ordinateur SM90 sous Unix concu par le Cnet. Cette application connéctée à un petit boitier éléctronique (l'ARDS automate de recopie de données), aspire chaque message de taxation issu des centres téléphoniques éléctroniques comme les E10, Mt25 ... Ces données étaient stockées localement sur l'ordinateur pendant 6 mois et analysées chaque nuit afin de fournir journalièrement aux services commérciaux les résultats d'analyses de comportement des consommations téléphoniques de chaque abonné. La dernière version permettait aussi de produire localement une facturation détaillée au jour le jour ainsi qu'une facturation détaillée inversée quand les conversations étaient locales, alors que la facturatin détaillée de l'époque n'était disponible qu'en fin de bimestre.

Ce projet parmi les 92 présentés au jury national des suggestions des télécoms a été retenu et récompensé de 20 000 fr, en présence du ministre des PTT J. Dondoux. L'application GESTAX est présentée en démonstration au SICOB 1986 où elle remporta un vif succès.
Après le Cpe de Fontainebleau suivent de peu Alençon, Montargis, Saint-Malo ... Déploiement à partir 1986. Plus tard GESTAX a été renommée GESCOMPTE.
Le système permet :
- Une gestion aisée des données de taxation à distance, à partir des bureaux de comptabilité, ou des agences.
En effet, l'on ne dérange plus l'équipe des techniciens de commutation pour aller faire un relevé manuel dans les Commutateurs électroniques ou électromécaniques ( Commutateurs PENTACONTA, CP400 ... certains de ces systèmes les plus anciens en seront équipés à partir de 1989).
- De pouvoir rapidement vérifier via un terminal distant (Télétype ou Minitel ) le relevé compteur journalier en cas de contestation de la part d'un abonné , faisant tomber le taux de 4 contestations pour 1.000 lignes à inférieur à 1 pour 1.000, et mettre fin aux mauvaises surprises en fin de bimestre.
- D'être alerté rapidement en cas de consommation anormale, qui peut être le synonyme d'une fraude extérieure, ou d'un abus d'utilisation par un membre d'une famille, d'un employé ... , et d'alerter rapidement l'abonné de ce qui paraît être une anomalie,
- Avec l'évolution des versions, Gescompte était en mesure de dresser une facturation détaillée et inversée pour les communications provenant du centre téléphonique concerné.

1986 M. François Autain appelle l'attention de M. le ministre de l'industrie, des P. et T. et du tourisme sur l'incapacité des services des P.et T. à résoudre le problème posé par les erreurs intervenant dans la facturation des communications téléphoniques de certains abonnés. En attendant la mise en place généralisée de la facturation détaillée qui devrait faire disparaître ce genre de litige, il lui demande ce qu'il compte faire pour apurer ce contentieux.
R réponse du ministre des PTT
En attendant, s'il manque aux services lors de l'instruction des contestations un élément aussi irremplaçable que le détail des communications demandées par l'abonné durant la période en cause, ceux-ci ne sont cependant pas totalement démunis : dans tous les cas, la mise en observation de la ligne à la suite de la contestation fait souvent apparaître une mauvaise maîtrise de son trafic par l'abonné, voire une utilisation de son poste à son insu ; sur un nombre sans cesse croissant de commutateurs, il est possible d'avoir, à défaut du détail des communications, une information plus fine que la consommation globale du bimestre : par exemple le détail des communications internationales ou vers Télétel ; ou encore la répartition par jour de la consommation (système " Gestax "), pouvant mettre en évidence certaines anomalies temporaires. En tout état de cause, des instructions ont été adressées aux services pour qu'ils procèdent avec une vigilance toute particulière aux vérifications habituellement pratiquées en cas de litige de facturation.

Compte rendu de l'ASSEMBLEE NATIONALE - 3• SEANCE DU 31 OCTOBR' 1986

M . le présidant. La parole est à M . Alain Richard.
M . Alain Richard . J'aborderai le problème de la qualité du service des télécommunications.
La qualité de la transmission des télécommunications n'est pas douteuse . La diminution substantielle du nombre de dérangements, soulignée par M. Poniatowski dans son rapport, montre que des améliorations continuent à se produire et que la charte de gestion a accompli une bonne partie de sa mission.
En revanche, une difficulté persiste dans les relations commerciales de l'usager, individuel ou entreprise, avec l'exploitant du service : il s'agit du problème de la facturation, de sa fiabilité et des litiges qui leur sont relatifs.
La facturation est discutée, c'est un fait, et elle n'est pas indiscutable . Quantité d'aléas techniques et physiques - que tous les « bricoleurs » des télécommunications citent à l'envi - peuvent affecter le nombre d'impulsions qui détermine le montant d'unités facturées.
Le risque est mince statistiquement, mais il est impossible à supprimer et aboutit à des aberrations dans un certain nombre de cas . J'observe d'ailleurs que, avec une grande constance, le ministère des P . et T . s'abstient de publier les statistiques à cet égard . Il n 'existe pas de procédure de vérification contradictoire ni d'arbitrage des litiges . L'exploitant du service dit son chiffre et apprécie unilatéralement, selon une méthode purement administrative, si ce chiffre mérite d'être révisé ou non . La facturation détaillée, qui est d'un coût acceptable mais relativement dissuasif, ne change pas cette situation de dissymétrie puisqu'elle n'a pas valeur de preuve.
Les préoccupations de service public que vous avez justement rappelées et le souci d'une contractualisation plus loyale des rapports avec le client justifient une amélioration de cette relation et l' introduction d'une véritable possibilité de conciliation selon un mécanisme souple qui pourrait comporter une forme d'association de représentants des usagers.
Je ne propose pas de modèle tout fait, mais je pense qu'il faut sortir d'un certain immobilisme et rompre, je le répète, le caractère trop dissymétrique des relations entre l'exploitant et l'usager lorsqu'il y a litige sur le montant de I facture.
M . le président . La parole est à M . le ministre
M . le ministre chargé des P. et T. Vous avez parfaitetement raison, monsieur Richard : votre observation est frappée au coin du bon sens . Ce problème n'a d'ailleurs pas échappé à la direction générale des télécommunications . La tendance consiste à considérer de plus en plus l'usager comme un client, ce qui nous éloigne de l'administré et tend à prouver que nous sommes de plus en plus une entreprise et de moins en moins une administration . Certes, le nombre de
500 000 contestations est très important, mais il faut le rapporter aux quelque 120 millions de factures expédiées chaque année . 5 contestations pour 1000 : cela reste dans le domaine du raisonnable.
A ce problème technique, nous pouvons répondre par la facturation détaillée. Celle-ci coûtait 10 francs par mois jusqu'à présent ; elle coûtera 8 francs par mois désormais. Nous la facturons parce qu'il s'agit d'un service supplémentaire et que nous avons une politique de l'abonnement le plus bas possible . Or la facturation détaillée suppose des équipements que ne possèdent pas encore tous nos centraux . J'ai pris l'engagement que tous seraient équipés pour 1989.
La facturation détaillée s'accompagne d'un service nouveau, actuellement expérimenté en Ille-et-Vilaine, le service Gestax . C'est un service d'alerte permanente au bénéfice de l'usager, qui fonctionne à l'initiative de la D .G .T., c'est-à-dire des centraux téléphoniques . Nous surveillons la consommation de chaque abonné par rapport à sa consommation moyenne . Lorsqu'il y a un dérapage important, nous prévenons l'abonné en lui disant : « Cela fait quinze jours que vous êtes nettement au-dessus de la norme . Que se passe-t-il ? » . Ce servie existe d'ailleurs dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis, où l'on vous appelle parfois directement en vous demandant : « Etes-vous d'accord, votre consommation nous parait anormale . »
La facturation détaillée, d'une part, et l'extension progressive du système Gestax, d'autre part, devraient limiter le nombre des conflits.
Cela étant, les télécommunications ne sont pas parfaites et la technique suppose des erreurs. J'ajoute que les clients ne sont pas non plus toujours parfaits . Soit de bonne foi, soit par malice, ils ont parfois des comportements qui aboutissent à des contentieux lourds . Tous les services commerciaux s'efforcent d'avoir l'attitude la plus ouverte, la plus humaine possible, et nous essayons de régler les problèmes au cas par cas.
Je concède que dans les grandes agglomérations, en particulier dans les zones urbaines de ta région parisienne . il ne peut y avoir ces liens personnalisés qui se tissent dans d'autres départements mais, avec 24 millions de lignes installées, il est à peu prés inévitable qu'il y ait de temps à autre des comportements insatisfaisants . Nous sommes très attentifs à ce problème et la technique permettra de limiter les litiges, mais nous ne pourrons pas atteindre la perfection . Ce serait sinon la faillite des avocats et ce serait bien dommage pour cette profession !
...

Les espoirs : redécouvrir l’abonné
Pour améliorer la satisfaction de l’usager, il faut agir avant comme pendant le litige.
- Pour prévenir les réclamations, mieux vaut constater, comme le faisait récemment le chef du groupement de contrôle de gestion commerciale des télécommunications, que «l’exigence des abonnés a augmenté ». Les initiatives prises récemment par le ministère autour de l’idée de «charte du consommateur » de télécommunications vont dans le bon sens. Le contrat téléphonique est un contrat verbal d’adhésion dont les clauses sont peu connues des clients; il sera donc remis à chaque abonné un document précisant les droits et obligations, les tarifs, les possibilités de facturation détaillée, les services annexés, le calendrier en cas de non paiement et les modalités de réclamation.
On peut encore imaginer de parvenir, pour le téléphone, à ce que le minitel offre d’ores et déjà : l’affichage du coût de chaque communication. Même si le «combiné téléphonique anti-réclamation » n’est pas encore en service, ne doutons pas que l’évolution accélérée des techniques de télécommunications ouvrira, dans les pro¬ chaines années, des voies nouvelles à la sécurité financière des abonnés. Encore faut-il que les choix économiques et commerciaux soient faits à temps, sans perdre de vue qu’un usager «captif » peut cacher un client exigeant. D’autres services publics à monopole suivent ce chemin.
- Si la réclamation naît, elle doit être traitée par des voies rapides, personnalisées et efficaces
— Rapides, car le calendrier du recours doit être aussi «serré » que celui de la sanction suspension-résiliation.
— Personnalisées, car les lettres-types informant l’intéressé «que les contrôles menés aussitôt n’ont révélé aucune anomalie » auraient plutôt pour effet de multiplier l’ardeur contentieuse de l’abonné. Ignorant la nature de ces contrôles, leurs méthodes, leurs dates et leurs résultats, celui-ci aura le sentiment d’être «débouté, sans autre forme de procès ». Le ministre des PTT a rappelé à ses chefs de service, par circulaire du 30 décembre 1986, la nécessité de traiter de façon particulière chaque dossier de réclamation.
— Efficaces, car le nombre des factures des PTT justifierait des formes nouvelles de discussion : qu’il s’agisse d’appel au sein de l’administration elle-même, lorsque l’agence commerciale locale a dit son dernier mot, ou qu’il s’agisse d’approfondir des expériences de commissions indépendantes statuant avant tout contentieux. A cet égard, il serait probablement dommage que l’administration abandonne trop rapide¬ ment toute perspective de mise en place de commissions de conciliation : l’expérience de 1983-1984 à la direction opérationnelle de Melun n’a pas répondu aux espoirs des PTT.
D’autres tentatives dont le bilan serait contradictoire, pourraient donner un résultat différent.
-
Reste le domaine sensible de la charge de la preuve. En cette matière, l’évolution ne viendra pas tant du juge ou du légiste que de l’ingénieur et du financier. Les deux «atouts » du service sont «GESTAX » et «FADET »...
Le premier, l’instrument d’enregistrement de la consommation quotidienne téléphonique avec mémorisation sur 6 mois, permet de renseigner les abonnés directement — et bientôt par minitel — sur le montant de leur facture. Le système a été testé à Fontainebleau et Alençon et sera opérationnel en 1988.
Par le second — facturation détaillée — , plus de 600 000 abonnés reçoivent une facture qui détaille appel par appel leur consommation. Pour éviter les situations de vaudeville, seuls les 4 premiers chiffres sont indiqués, assez pour connaître le coût et la région ou le pays de l’appel, pas assez pour identifier l’interlocuteur de l’abonné. Le coût de ce service a baissé (8 F par mois depuis octobre 1986) mais il n’est pas encore utilisé comme il pourrait l’être. Notons que «FADET » permettra aux techniciens des télécommunications de rejoindre leurs collègues de la Poste qui, depuis des lustres, adressent à leurs clients de comptes postaux, un relevé pour chaque opération.
Si l’on ajoute que les possibilités techniques permettront d’autres services comme l’identification de toutes les communications chères ou la photographie hebdomadaire des compteurs, l’on mesure que la question des preuves va se trouver posée dans des termes renouvelés dans les prochaines années.
Anticipant cette évolution, le ministère a décidé une modification de l’article D. 293-1 du code des PTT afin que, pendant les 6 mois suivant l’émission de la facture, l’administration tienne à la disposition du client tous éléments justificatifs de cette facture.
Compte tenu de ces évolutions, il serait possible d’envisager pour la facturation et les redevances téléphoniques, Yaggiorna-mento que le fisc, à la suite du rapport de la commission Aicardi en 1986, vient de connaître. Les articles 81 -VI de la loi de finances du 30 décembre 1986 et 10 de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 ont su renverser la charge de la preuve qui pesait, dans un assez grand nombre de cas, sur le contribuable.
Les télécommunications sauront prendre leur part de cette amélioration des relations avec cet abonné qui hésite entre la résignation de l’usager et la méfiance du client. Le Médiateur vient de proposer une réforme tendant à mettre la preuve du bien fondé des factures téléphoniques à la charge de l’administration.

1991 : Fin de la Taxation mémorisée sur les compteurs mécaniques. En cours depuis 1988 sur l'ensemble des commutateurs électroniques, les commutateurs électromécaniques de type crossbar voient eux aussi en fin 1991 la mémorisation de la taxation de chaque abonné être informatisée via l'application de Gescompte.

Désormais, la traditionnelle photographie des compteurs électromécaniques individuels d'abonnés installés au Centre Téléphonique appartient au passé, et permet statistiquement une division par 10 des réclamations sur la facturation.

Dèjà en 1990 La facturation détaillée est accessible, sans changement du numéro d'appel, à tous les abonnés reliés sur centraux électroniques, soit 22 millions sur 28. Pour les autres, encore reliés sur centraux électromécaniques, l'accès au service est néanmoins possible à condition qu'ils consentent à une modification de leur numéro d'appel.(rapport du Sénat)

Sommaire

2024 La demande ponctuelle d'un relevé des consommations est gratuite. Elle vous permet d'obtenir notamment le contenu détaillé de vos communications et de vos "autres usages" d'une de vos factures émises sur les douze derniers mois.
Vous avez la possibilité de personnaliser le niveau de détail de vos factures, en activant ou désactivant le paramètre "facture détaillée" depuis votre Espace client ou via l'application de l'opérateur. Cela vous permet d'avoir un réel aperçu de vos consommations émises avec votre mobile, votre ligne fixe ou votre Livebox.


Avec la facturation détaillée disponible sur les centres de facturation, la généralisations des centres éléctroniques, la gratuité du service facturation détaillée pour la plupart des offres des opérateurs, le déploiement de la téléphonie mobile répondant aux mêmes enjeux, puis l'arrivée de la Viso (téléphonie sur internet), les réclamations sur la consommation téléphonie a pratiquement disparue.

Aujourd'hui :
Si vous estimez que votre facture téléphonique est trop élevée, vous avez la possibilité d'en contester le montant.
Attention : même si vous souhaitez contester le montant d'une facture, il faut dans un premier temps payer la facture.
Pour contester le montant de votre facture téléphonique, vous avez la possibilité de demander à votre fournisseur de réexaminer la facture.
Vous avez ensuite la possibilité de faire une lettre de contestation pour réclamer un remboursement.
Si la situation reste inchangée, vous avez la possibilité de contester la facture auprès du juge compétent.

On vous conseille de contacter le service client de votre fournisseur téléphonique, pour trouver avec lui une solution.
Vous devez alors lui expliquer la situation : signalez-lui l'anomalie dans votre facture et demandez-lui de la réexaminer.
Bon à savoir: vous avez le droit de demander à votre fournisseur téléphonique une facturation détaillée. Cette facturation pourra potentiellement vous permettre de détecter le problème par vous-même.

Sommaire