LES RECLAMATIONS
et LA CONTESTATION DE LA FACTURATION
I - LES RECLAMATIONS
Extrait de "La faute, la panne et l’insatisfaction".
Une socio-histoire de l’organisation du travail de traitement des
réclamations dans les services du téléphone.
De Benoit Giry 2014
La faute, la panne et l’insatisfaction.
Une socio-histoire de l’organisation du travail de traitement des
réclamations dans les services du téléphone
L’article revient d’abord sur la genèse et le développement
du travail de traitement, construit dans les années 1920, à
une époque où le téléphone, en « crise
», est dépeint comme une « honte nationale ».
Il fait silence sur la longue période d’« errance
» qui court des années 1930 aux années 1970, mais
montre comment le problème des réclamations se pose à
nouveau au cœur de la décennie du « rattrapage téléphonique
» (1974-1985), lors d’une transformation organisationnelle
ayant pour but le développement du réseau. L’article
s’arrête enfin sur les années 1990, au cours desquelles
l’organisation change de statut juridique, requalifie son activité
et voit son marché se libéraliser. À chacune de
ces époques, la signification de la réclamation évolue
; par suite, chacune de ces évolutions donne lieu à une
combinaison différente d’un petit nombre de tâches
élémentaires dans la mise en forme gestionnaire du travail
de traitement.
1. Les tables de réclamations du réseau téléphonique
de Paris et le service central des réclamations (1922-1935)
Au début des années 1920, des « tables de
réclamations » sont installées dans les bureaux
centraux du réseau téléphonique de Paris. Ces meubles
téléphoniques, qui se distinguent des « multiples
» avec les demoiselles
du téléphone, meubles sur lesquels travaillent
les téléphonistes employées
à la commutation, sont
les supports de travail des services dédiés à la
réception des « réclamations » et des «
plaintes » des abonnés. Progressivement, un petit corps
d’opératrices se détache de celui des opératrices
classiques pour venir travailler sur les « tables ».
Un ratio proposé dans un article de 1922 pose qu’une table
de réclamations doit disposer de quatre positions d’opératrices
par « multiple » de 10 000 abonnés. Cette même
année, le réseau téléphonique de Paris compte
environ 120 000 lignes. En partant du principe que ce ratio fut réalisé
en pratique, on peut estimer qu’une cinquantaine de postes étaient
alors consacrés à cette tâche.
- Genèse d’un « service des réclamations
» : une économie de la parole.
La création d’un tel service est d’abord liée
à une volonté des ingénieurs du réseau d’améliorer
la « rapidité du téléphone », c’est-à-dire,
dans un système reposant presque entièrement sur la commutation
manuelle, d’augmenter le rendement des opératrices de commutation.
La réclamation relève, dans l’espace des pratiques
de commutation, de ces « paroles inutiles » qui, échangées
au cours des manœuvres, ralentissent considérablement la
production. Les ingénieurs considèrent qu’elle nuit
à la productivité des demoiselles du téléphone
— de façon directe, lorsque l’une d’elles s’engage
dans une conversation avec un réclamant, et indirecte, lorsque
leur surveillante, occupée à traiter une réclamation,
ne peut plus les surveiller. En 1920, il convient donc d’éloigner
la réclamation des travailleuses.
En la matière, le service des tables répond, dans une
période d’« anarchie téléphonique »
marquée par le mécontentement permanent des abonnés,
« à de réels besoins »: sa mise en fonctionnement
permet de « débarrasser » les téléphonistes
et les surveillantes, particulièrement sollicitées par
les réclamants, « de ces travaux qui souvent les empêchaient
de se consacrer à leur tâche normale ». Ainsi, à
partir de 1922, les consignes sont claires : « dans aucun cas
la téléphoniste du multiple ne doit engager une conversation
avec un abonné réclamant » ; elle doit simplement
« passer l’abonné » au « service des réclamations
». De la même manière, « si un réclamant
demande la surveillante, l’opératrice passe d’office
et sans mot dire la table des réclamations »
L’espace de traitement ouvert par les tables est initialement pensé
à l’aune du même type gestionnaire que l’espace
de commutation. Il n’en est d’ailleurs pas isolé :
il joue pour lui le rôle de déversoir. Soucieux d’«
économiser » l’opératrice des tables autant
que l’opératrice de commutation qu’elle débarrasse,
on y proscrit : « […] tout échange de paroles qui
n’est pas strictement nécessaire à l’exécution
du service [, qui] ralentit non seulement la communication en cours,
mais encore les suivantes, [et qui] expose par suite l’opératrice
à de nouvelles plaintes et finalement accroît sa fatigue
et par répercussion celle de toutes ses collègues »
Ce silence n’est pas uniquement économique. Il a aussi pour
fonction de laisser planer le doute sur le statut du chargé de
traitement afin de le construire comme « autorité ».
C’est la raison pour laquelle, lorsque le réclamant «
demande la surveillante », l’opératrice passe «
d’office et sans mot dire » le service des tables. C’est
également pour cette raison que « la table des réclamations
ne doit pas s’annoncer à l’abonné » mais
répondre « seulement par les mots “j’écoute”
»
La procédure se résume donc à un travail d’enregistrement
où les rares échanges doivent rester productifs : «
[l’opératrice des tables] demande à l’abonné
son numéro d’appel et l’invite à présenter
sa réclamation. Elle note sur son registre (avec l’heure
de la communication, le numéro du groupe de départ et
le numéro d’appel de l’abonné) tous les faits
qui sont portés à sa connaissance ». Cette économie
des échanges discursifs est aussi contrainte par une interdiction
de dévoiler les secrets de fonctionnement du service. Madeleine
Campana, opératrice de 1921 à 1934, illustre ce point
en racontant, dans ses mémoires, qu’un jour de dératisation
où le central de Gutenberg avait dû être partiellement
évacué, elle s’était retrouvée dans
« l’impossibilité de dire à [ses] chers abonnés
qu’en plein xxe siècle, le temple du progrès [avait]
subi une moyenâgeuse invasion de rongeurs ». Ces consignes
eurent pour effet principal de priver les opératrices de ressources
argumentatives dans leur relation à un réclamant qui persistera
à les tenir, à des degrés divers, pour responsables
des dysfonctionnements du téléphone.
Le confinement d’une part des échanges avec la clientèle
contribue à dessiner les contours d’un nouvel objet pour
le gestionnaire. Mais à ce stade, si l’opératrice
des tables est utile, la réclamation ne l’est pas encore.
Sa gestion s’impose comme celle d’une externalité négative,
d’un résidu d’ouvrage indésirable revenant sans
cesse sur le métier. Le seul travail utile est celui de son évacuation.
Cette « négativité » se poursuit jusque sur
le plan comptable, où le service des tables, intrinsèquement
déficitaire, apparaît d’abord comme un mal nécessaire
: il s’agit de contenir une part indésirable des échanges
avec des abonnés du début du siècle élevés
« dans l’horreur du téléphone », en espérant
que les coûts générés par le fonctionnement
des « tables » soit compensé par une hausse de la
productivité des opératrices des « multiples ».
Néanmoins, un premier usage gestionnaire de la réclamation
va progressivement apparaître au cours de cette période.
Pour des raisons techniques et morales, liées à la disqualification
dont sont frappés les contacts avec les abonnés, celui-ci
va d’abord moins se jouer sur une scène externe, celle des
rapports avec le réclamant, que sur une scène interne,
celle de l’organisation, à travers les pratiques d’«
enquête ».
- Le tribunal du service : la réclamation
comme faute.
Comme le remarque un ingénieur du début du siècle,
les tables de réclamations permettent « de pouvoir rechercher
immédiatement, si elles existent, les responsabilités
engagées, les fautes et les erreurs commises » susceptibles
d’être signalées par les réclamations. Il ne
s’agit pas de prendre la réclamation pour argent comptant
mais, au cours d’une procédure de confrontation des éléments
dénoncés par la réclamation aux éléments
produits par l’organisation (cahier d’incident, avis de la
surveillante, etc.), d’éprouver l’hypothèse
d’une « faute de service ». La description de l’activité
emprunte alors au lexique juridique : le service des réclamations
« ouvre une enquête », « instruit les réclamations
», rédige « des procès-verbaux » sur
la base de « pièces probantes ».
L’enjeu de cette enquête est à la
fois marchand et professionnel ; elle fait autorité sur le marché
et dans l’organisation : il s’agit d’effectuer «
la relève des dérangements », de « statuer
en pleine connaissance de cause sur une demande de remboursement ou
de dégrèvement », de « fournir au public les
explications qu’il y a lieu de lui donner » mais aussi «
de préciser la part des responsabilités encourues, d’apprécier
la valeur professionnelle des agents fautifs, d’appliquer des peines
disciplinaires justement proportionnées à la gravité
des fautes commises et le cas échéant de prescrire au
service les mesures dont l’enquête a montré l’utilité
». Réparer, dédommager, expliquer, punir, prescrire
: les différentes tâches élémentaires de
traitement sont ainsi posées dès les années 1920.
Elles désignent autant de relations sociales, entre professionnels
ou entre professionnels et clients, susceptibles d’être produites
dans le cadre du traitement des réclamations.
Néanmoins, à cette époque, les questions de réparation,
d’explication, de prescription et de dédommagement, quoique
présentes, sont assez largement laissées au second plan
au profit du thème de la punition. Derrière la réclamation,
les organisateurs des années 1920 voient moins la panne ou le
préjudice que la faute. Ils développent d’ailleurs
une étiologie de la réclamation centrée sur les
erreurs humaines. Une brochure de 1928 destinée aux receveurs
des postes décline ainsi les différents motifs de réclamation
:
« Ces réclamations concernent le plus souvent un retard
à répondre aux appels, une fausse manœuvre ou une
erreur (coupure intempestive d’une communication, faux numéro,
etc.), une attitude impatiente ou incorrecte de l’opératrice
» (« Réponses aux réclamations. Notice à
l’usage des receveurs », Secrétariat général
des Postes, Télégraphes et Téléphones, Ministère
du commerce et de l’industrie, 1928. Document sans éditeur
visible, écriture manuscrite calligraphiée, pages non
foliotées).
Les fautes peuvent être le fait de l’abonné ou de
l’opératrice, mais aucun motif ne met en cause les instruments,
en dépit des errements techniques du téléphone
de l’entre-deux-guerres.
Cette conception détermine en grande partie l’activation
différentielle des tâches dans les pratiques de traitement.
Le dédommagement par exemple, rarissime parce que rendu très
difficile par un ensemble de dispositions légales, est conditionné
par la preuve d’une « faute de service ». Les formes
que prennent les explications faites au client et les prescriptions
formulées à l’endroit des collectifs de travail sont
aussi dépendantes de la présence ou de l’absence
d’une faute qui fonde la légitimité de la réclamation.
Cette conception semble impliquer, aux yeux des organisateurs, un usage
essentiellement disciplinaire des réclamations. En cas de présomption
de faute, les opératrices des tables saisissent le contrôleur
du bureau central qui, sur la base du dossier, est habilité à
sanctionner l’une de ses subordonnées. Ce mode de traitement
est d’ailleurs largement cohérent avec les principes de
mise au travail promus dans la documentation des années 1920,
visibles en creux dans l’énoncé des qualités
attendues d’une opératrice, de « la crainte du chef
» à « l’orgueil du travail ». La punition,
qui alimente la « crainte » et qui pique « l’orgueil
», est une méthode de plus pour resserrer le contrôle
sur le geste de commutation, horizon de toutes les pratiques d’organisation
d’alors.
La fécondation de la réclamation par les pratiques d’enquête
va prendre de l’importance tout au long des années 1920,
mais c’est au milieu des années 1930 que ces principes gestionnaires
vont connaître une application spectaculaire. Le 12 décembre
1934, Georges Mandel, alors fraîchement nommé ministre
des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT),
crée le Service Central des Réclamations (SCR), rue de
Grenelle, afin de pallier les incapacités des services de réclamations
décentralisés qu’il juge inefficaces parce que «
juges et parties ». Le SCR est indépendant des unités
de production mais rattaché au ministère. Il a pour but
de centraliser le traitement des réclamations écrites24,
mais aussi de produire des enquêtes et des sanctions et d’en
publiciser les résultats. Le SCR constitue, selon les propos
du directeur de cabinet du ministre, Georges Wormser, « une chose
tout à fait nouvelle ». Elle est dirigée par un
inspecteur général des postes, un certain M. Girodet,
que G. Wormser présente comme un « homme extrêmement
énergique, connaissant tout à fond » et qui avait
« pour mission de régler tout dans les quarante-huit heures,
au maximum dans les trois jours ». G. Wormser décrit ainsi
le fonctionnement du service :
« [Girodet] recevait disons 120 ou 125 lettres par jour, il les
triait et en sortait peut-être 15 ou 20 qu’il m’apportait
et que j’étudiais moi-même. Sur ces 15 ou 20, j’en
portais peut-être 2 ou 3 à la connaissance de Mandel. Tout
ceci a fonctionné fort utilement ».
En effet. Au cours de sa première semaine de fonctionnement,
entre le 14 et le 21 décembre 1934, le SCR reçoit 701
réclamations dont 235 incombent au service téléphonique.
La Revue des Téléphones, Télégraphes et
TSF commente :
« Tel a été le nombre de plaintes dont ce service
a été saisi qu’il a fallu immédiatement augmenter
l’effectif des agents qui y avaient été tout d’abord
affectés »
Entre le 1er et le 15 janvier 1935, rapporte L’Express du Midi,
« 1240 plaintes ont été reçues », dont
346 pour le service téléphonique. Ainsi, toutes les semaines,
un rapport d’activité du SCR est transmis à la presse.
On y fait mention du nombre de réclamations reçues, des
services concernés mais aussi des sanctions auxquelles les enquêtes
ont donné lieu. Cette mise en scène de la punition professionnelle,
composante déjà présente dans les courriers de
réponse aux réclamations des receveurs, connaît
ainsi une publicité nationale :
« Un grand nombre de ces réclamations étant justifiées,
M. Mandel a dû prendre 105 sanctions allant jusqu’à
l’exclusion temporaire ».
« Est-il besoin d’ajouter que non seulement il a été
fait droit aux plaintes, malheureusement trop nombreuses encore, qui
ont paru justifiées, mais que des sanctions ont été
prises chaque fois qu’il y a eu lieu » .
À mesure que le SCR se fait connaître, les réclamations
affluent. La première quinzaine d’avril 1935 par exemple,
1699 réclamations sont traitées et donnent lieu à
202 sanctions, allant de la recommandation à l’exclusion
définitive. Le service est néanmoins dissous après
le départ du ministre.
Le SCR de Mandel constitue une expérience limite au service d’intérêts
politiques. Mais il développe sous une forme très aboutie
une logique gestionnaire qui était déjà en gestation
au service des « tables » du réseau de Paris et permet
de l’observer comme sous l’effet d’un miroir grossissant.
La réclamation y est entendue comme une plainte, au sens juridique,
à laquelle il convient de « faire droit » et qui
est susceptible d’entraîner une punition. Elle dénonce
une faute professionnelle potentielle dont il convient de juger le fondement
en ayant préalablement recueilli des informations au cours d’une
enquête. Sous ce régime, la forme adéquate de circulation
de la réclamation est le « procès-verbal ».
Une fois sa réclamation formulée, le réclamant
est largement mis à l’écart de la procédure
qui reste de manière exclusive aux mains des professionnels constitués
en « juges » dirigeant leur action vers leurs subordonnés
constitués en «fautifs » dans le cadre de la procédure
disciplinaire.
2. Les réclamations dans le « rattrapage
téléphonique » (1974-1985)
Les documents couvrant les années 1940, 1950 et 1960 témoignent
d’une certaine atonie en matière d’encadrement du travail
de traitement des réclamations. D’une façon générale,
les trente années qui suivent la Seconde Guerre mondiale ne sont
en rien « glorieuses » pour les services du téléphone.
Elles constituent une période de stagnation. L’automatisation
de la commutation, en marche depuis les années 1920, est lente
et prend du retard. Le nombre d’abonnés se stabilise à
un faible niveau. Les instructions relatives aux réclamations
dans les PTT restent inchangées dans leurs différentes
moutures en termes d’attribution des tâches, quant aux rôles
du receveur des postes en province, de la téléphoniste,
de la surveillante, etc. Ces trente ans sont aussi marqués par
une stagnation technique. Un rapport d’un ingénieur en chef
nous apprend que si « des équipements sans fiches ni jacks
ont été conçus en 1967, leur exploitation présente
une certaine complexité, leurs pupitres [étant] pourvus
d’une soixantaine de touches ». En conséquence, jusqu’à
la moitié des années 1970 au moins, la « réponse
aux réclamations » est toujours « assurée,
dans les anciens centres, par des meubles “manuels” avec fiches
et jacks »
Au cours de la période, l’effort de traitement des réclamations
s’est néanmoins dispersé à mesure que se dispersait
l’organisation du service téléphonique lui-même,
distinguant plus fermement ses activités « urbaines »,
« interurbaines » et « internationales ». À
partir des années 1970, le développement avancé
de la commutation automatique permet de repenser l’organisation
de la production à nouveaux frais, en délaissant ces catégories
héritées de l’ancien mode de commutation.
C’est seulement à cette époque, alors que l’autonomie
des directions des services postaux et des services des télécommunications
s’affirme, que se déploie un important processus de modernisation
et d’extension du réseau, le « rattrapage téléphonique
», qui entraîne de profondes mutations du travail et de
l’organisation. Pour satisfaire aux impératifs productivistes
du « delta LP », le service est réorganisé
selon une distinction entre les métiers « techniques »,
chargés de développer le réseau et d’en assurer
la maintenance, réunis en « centres principaux d’exploitation
», et les métiers « commerciaux » chargés,
au sein « d’agences commerciales », de gérer
le suivi des relations contractuelles avec des abonnés toujours
plus nombreux. Cette partition laisse les réclamations orphelines
et, au cours de l’année 1976, alors que leur nombre s’accroît
sous l’effet de l’augmentation du nombre de lignes, elles
refont parler d’elles.
- Le groupe de travail de la Direction Générale
des Télécommunications (DGT) et « l’expérience
Diderot »
Les archives mentionnent en effet la constitution d’un groupe de
travail fin 1976. Mandaté par Gérard Théry, directeur
général, composé de hauts fonctionnaires issus
du corps des ingénieurs des télécommunications
mis à la tête de l’administration pour organiser le
« rattrapage », il est monté en vue de résoudre
les « problèmes du 13 », le numéro dédié
aux « dérangements » dont les équipes sont
réunies au sein des centres principaux d’exploitation. La
lettre de mission du 3 novembre 1976 n’évoque en réalité
qu’un problème : les réclamations.
Un ingénieur en chef de la DGT, Léon Enkaoua, est donc
sollicité pour formuler, dans le cadre du groupe de travail,
des « propositions concrètes » visant à répondre
aux deux questions suivantes : en partant du principe qu’un «
service unique de réclamation » est nécessaire,
« où doit-il se situer ? » et « de quelles
facilités doivent disposer les tables recevant ces appels ? ».
La réforme des services devra par ailleurs faciliter le «
travail d’adresse » en créant un service des réclamations
unique et visible, compatible avec les objectifs de production du delta
LP et les nouvelles modalités d’organisation — au premier
rang desquelles la distinction entre fonctions techniques et fonctions
commerciales.
L. Enkaoua expose alors les différentes options
envisageables sur la base d’expérimentations faites en régions.
Poitiers propose, par exemple, de mettre à profit des unités
manuelles du « 10 » (manuel interurbain) aux attributions
déclinantes. L’idée consiste à « redonner
de l’activité » à des opératrices dont
les compétences sont promises, avec l’avènement de
la commutation automatique, à l’obsolescence. Les compétences
techniques des opératrices manuelles, leur capacité à
se substituer à l’autocommutateur, seraient alors valorisées.
Mais dans ce modèle, reposant sur une technologie et une organisation
obsolète, les réclamations signalent généralement
une communication mal ou non aboutie qu’il serait possible de compenser
immédiatement par une mise en communication manuelle. Or, l’autocommutateur
n’est, à l’époque, responsable que de 12 % des
dysfonctionnements signalés. La proposition correspond donc à
une conception datée de la réclamation et du traitement
et semble mâtinée d’une attitude méfiante à
l’égard de la commutation automatique. Le groupe l’écarte.
Le modèle retenu sera finalement « l’expérience
Diderot », menée à Paris dans le central du même
nom. Comme à Poitiers, l’expérience répond
positivement à l’impératif de centralisation. Mais
l’approche est légèrement différente : elle
consiste à sacrifier à l’usage de la clientèle
en faisant du « 13 » un service de « réclamations
diverses », selon l’expression du groupe de travail, le service
devenant ainsi un point d’entrée unique. Cette entrée
unique n’annule pas la division technique/commercial : le «
13 » est chargé de distinguer, parmi le tout-venant, les
réclamations techniques (« dérangement »,
« mauvaise audition », « coupure de communication
», etc.), qu’il conserve, des réclamations commerciales
(« taxation jugée excessive »), qu’il transmet
aux agences.
- La réclamation comme «
outil de travail » de signalisation technique : la panne
Ce service des réclamations reprend la même structure hiérarchique
que le service des tables, avec des opératrices et des surveillantes,
mais il dispose d’un nouvel équipement, « œuvre
d’une équipe qui a travaillé avec le concours du
personnel du manuel de Diderot », mis en exploitation en juin
1976. Il est « composé de petits pupitres mobiles d’opératrice,
d’un pupitre de surveillance, d’un panneau de contrôle
de qualité de service et de deux armoires de commande »,
l’ensemble étant « conçu pour un Centre Principal
d’Exploitation pouvant atteindre 100 000 lignes, avec le taux de
réclamations le plus important constaté à Paris
actuellement ». L’équipement pouvant accueillir dix
opératrices et une surveillante, en généralisant
le service au niveau national et en dimensionnant les effectifs en fonction
du nombre de lignes principales visées par le delta LP (soit
vingt millions de lignes), on obtient une projection à 2 000
opératrices chargées des réclamations, et 200 surveillantes.
La signification de la réclamation a changé.
Avec la commutation automatique et le développement du réseau,
les gestionnaires n’y cherchent plus la faute mais la panne. À
l’enquête administrative et disciplinaire s’est substituée
l’enquête technique. Un article paru en 1981 dans une publication
dédiée aux salariés de la DGT évoque en
ces termes le rôle de l’opératrice et l’usage
fait des réclamations :
« Le premier rôle de cette opératrice, c’est,
bien sûr, de prendre en note la réclamation. Mais, également,
d’obtenir le maximum de renseignements sur le dérangement.
D’où toute une batterie de questions du genre : “Le
défaut est-il permanent, intermittent ? Depuis combien de temps
se produit-il ? Se produit-il aux heures chargées ?”, etc.
Ces précisions, qui aideront, ultérieurement, à
cerner le défaut plus rapidement, l’opératrice les
consigne sur un imprimé spécial. Un imprimé à
peu près incompréhensible pour le néophyte, tant
il est bourré de sigles mystérieux. Mais qui signifient
des choses bien précises pour les initiés. […] À
partir du moment où l’opératrice l’annote, la
réclamation, imprécise, devient une signalisation, un
outil de travail .
L’enquête technique est distribuée entre trois acteurs
principaux : les opératrices du « 13 », chargées
du travail d’enregistrement de la réclamation dans un imprimé
nommé « Sext000 » ; les opératrices des «
Essais et Mesures », chargées de procéder à
des tests sur la ligne et sur le matériel de l’abonné
et d’enregistrer le résultat sur le Sext000 ; enfin l’orienteur
qui, sur la base des renseignements inscrits dans le ticket Sext000,
désigne « l’endroit du défaut […] en fonction
de la nature de la réclamation, du résultat des essais
et mesures, du “passé” de la ligne, de sa connaissance
du réseau mais aussi des autres signalisations ».
Ici, la prise en charge de la réclamation n’a de valeur
qu’en tant que premier moment d’un dépannage technique.
Elle devient un « outil de travail » qui doit circuler.
Sa traduction en « ticket Sext000 » permet, en la saisissant
dans une trame graphique rigide, de transformer la réclamation
en information technique, de la mettre en lien avec des informations
antérieures puis de l’intégrer, en tant qu’information
normalisée, dans le « fichier technique des abonnés
» dans lequel, pour reprendre l’expression de la revue Messages,
« les imprimés Sext000 terminent leur carrière ».
À la différence du « procès-verbal »
des années 1920, centré sur les fautes des intervenants
humains de la commutation manuelle, le Sext000 n’envisage que les
défaillances des trois instruments engagés dans la production
de la commutation automatique : « l’autocommutateur »,
« la ligne » et « l’installation ».
« Un exemple : un abonné n’obtient pas la tonalité.
Cela peut venir du poste : un mauvais contact à l’intérieur,
notamment. Cela peut venir de la ligne : un “isolement” (une
discontinuité). Cela peut venir de l’automatique : peut-être
des équipements sont-ils restés connectés à
la ligne »
Ces instruments ne sont jamais défectueux par
eux-mêmes : les lignes aériennes, par exemple, sont soumises
aux « intempéries », aux « plombs de chasse
», aux « camions et machines agricoles » qui les arrachent
; les lignes souterraines, aux « coups de pelleteuse » qui
les sectionnent. L’entreprise, en tant que gestionnaire du réseau,
parce qu’elle externalise la responsabilité des dysfonctionnements,
peut donc se constituer en autorité légitime pour la prise
en charge des réclamations. Au silence du service des tables
s’est substituée l’annonce automatisée : «
Ici le Service des Réclamations, une opératrice va vous
répondre ». La DGT estime en recevoir environ 400 000 par
an dans les années 1980.
L’asservissement des pratiques de traitement aux
nécessités de la gestion du réseau de lignes et
du matériel se retrouve jusque dans les modalités de traitement
des réclamations « commerciales », majoritairement
des « contestations de facture », qui ne peuvent
être légitimes que dans la mesure où elles signalent
un problème technique. Dans les années 1970-1980, il est
possible de se voir rembourser des sommes indues, à condition
que ce caractère « indu » soit confirmé par
une « enquête technique approfondie »
« Essai de la ligne, constatation de dérangement sur les
lignes aériennes ou les câbles qu’empruntent la ligne
de l’abonné, travaux aux répartiteurs, câbles
coupés ou noyés, ouverture d’armoire de répartition,
vérification de la minuterie qui assure la taxation, [...] mise
en observation de la ligne [...] pendant deux semaines »
Les agences commerciales sont donc, elles aussi, soumises à l’emprise
du « fichier technique des abonnés », référence
unique pour l’activité. Mais ce n’est pas le seul facteur
expliquant le succès de cette conception de l’enquête.
Les usages disciplinaires sont, à l’époque,
empêchés par une série de mesures sociales, notamment
celles interdisant l’identification des opératrices par
les abonnés. Le 8 juin 1982, un conseiller technique du ministre
des PTT écrit à la direction du réseau d’Île-de-France
:
« L’attention du Cabinet a été appelée
par un usager sur le comportement des opératrices du Service
des Renseignements téléphoniques. Ces employées
ne seraient pas polies, à la limite de la correction, échangeraient
des conversations entre elles en ayant un demandeur au bout du fil.
De plus, la surveillante de ce service aurait signalé qu’elle
était sans moyen de réprimander les opératrices
en cause et que depuis quelques temps, sous la pression des syndicats,
ces employées n’étaient plus identifiables puisqu’elles
n’ont plus l’obligation de répondre en indiquant leur
numéro. N’y-a-t-il pas quelque chose à faire ? Si
elle est véridique, la réponse de la surveillante me semble
encore plus grave que le comportement des opératrices ».
« Réponse de la direction du réseau IDF au cabinet
du ministre, le 8 septembre 1982 »
Le directeur du réseau Île-de-France ne peut que confirmer
au conseiller les dires de sa subordonnée : « les syndicats
» ont obtenu la suppression des « tables d’écoute
discrètes situées en dehors des salles d’exploitation
». Un contrôleur divisionnaire peut toujours écouter
une opératrice sous certaines conditions (« agent débutant
ou agent dont le travail ne donne pas satisfaction ») mais, lorsqu’il
le fait, « cette dernière est avisée par l’allumage
d’une lampe sur son pupitre ». Il est tout aussi vrai que,
dans les différents services de la DGT, les opératrices
« n’indiquent plus leur numéro de position »
et s’annoncent en disant « Télécom bonjour
». Les incidents décrits par le ministre peuvent donc «
être attribués au fait que, dans une certaine mesure, les
opérateurs se sentent protégés par un certain anonymat
». Le directeur a lui-même diligenté une enquête
et celle-ci montre en effet que « des incidents de même
nature que ceux mentionnés dans [la] lettre [du conseiller technique]
existent bien ». Il le sait car des réclamations de ce
type « sont notées dans chaque Centre sur un cahier d’incidents
». Mais celles-ci n’ont, à cette époque, plus
aucun débouché.
3. Les réclamations à l’épreuve
de l’entreprise et du marché libéralisé (à
partir de 1990)
Au début des années 1990, la DGT devient une entreprise.
Comme un symbole, alors que l’administration n’avait été
conduite que par des X-Télécoms, un diplômé
de l’École Supérieure des Sciences Économiques
et Commerciales est nommé à la tête de l’entreprise
en 1995. À son changement de statut s’ajoute une requalification
de son activité : elle se « révèle »
à elle-même comme une « entreprise de service »
dans une documentation interne où rôde le « spectre
» du marché à venir. Elle participe ainsi d’un
mouvement que d’autres entreprises publiques et administrations
connaissent au même moment et qui les amènera à
se poser la question de leur relation avec leurs usagers, et donnera
lieu à une importante production scientifique sur le thème
de la relation de service .
- Le « nouveau cadre juridique et commercial »
Dans le cas des télécommunications, ces relations
sont fragilisées par la libéralisation du marché
qui entraîne la possibilité pour le client de choisir un
autre opérateur (cette libéralisation sera complète
en 1996), mais elles le sont aussi par la loi du 2 juillet 1990 qui
les place sous le régime du droit commun, porte leurs litiges
devant les juridictions judiciaires (et non plus administratives) et
renverse la charge de la preuve au détriment de l’entreprise,
notamment dans le cadre des contestations de factures. Les relations
avec la clientèle deviennent donc, sous l’effet croisé
des processus de libéralisation du marché et du changement
de statut juridique de la DGT, l’objet d’une attention particulière
: il convient d’éviter les défections et les procès.
En ce sens, la requalification de l’activité de l’entreprise
se pose comme une tentative de redéfinition des objectifs productifs,
ne pouvant plus s’évaluer à l’aune d’une
production matérielle (comme le « delta LP ») mais
d’une contribution de service, relationnelle et largement orientée
par les impératifs commerciaux de captation d’une clientèle
qui n’est plus captive. Dans la documentation, les organisateurs
évoquent ces bouleversements dans une litote : le « nouveau
cadre juridique et commercial ».
Afin de passer l’épreuve de ce nouveau cadre,
chaque produit est confronté à l’étalon de
la « satisfaction du client ». Le concept, importé
des études de marketing et traduit en indicateurs dans l’organisation
à partir de la moitié des années 1980, résume
une promesse de fidélité et de paix de la part du client.
Dans ce régime, le mécontentement devient particulièrement
problématique, a fortiori lorsqu’il n’est pas exprimé
et donne lieu à une défection ou lorsqu’il l’est
devant l’institution judiciaire. Ces changements vont avoir pour
conséquence de recentrer les pratiques de traitement dans la
sphère de la production, voire de les rapprocher de certaines
activités de direction, alors qu’elles étaient jusque-là
maintenues en périphérie sur un plan technique —
en tant qu’activités annexes — et sur un plan comptable
— en tant que « services déficitaires ».
À l’époque, le traitement des réclamations
quitte les services du « 13 » pour être confié
à des « services consommateurs » organisés
en « centres d’appels ». Ces derniers sont construits
au cœur d’une période qui verra la consécration
de cette forme organisationnelle comme lieu privilégié
de production de la « relation-client ». Ils sont hébergés
dans des unités opérationnelles polyvalentes, aux attributions
à la fois techniques et commerciales, créées lors
d’une réforme organisationnelle nommée « EO2
». Une profession émerge : les « conseillers »
et les « chargés de clientèle » remplacent
alors les « opératrices ». Ces nouveaux travailleurs
ont en charge la construction, la gestion et la conservation des relations
commerciales au travers des différentes activités subsumées
sous la parataxe « relation-client » (vente, gestion du
contrat, contentieux, réclamation, etc.).
Les documents définissant les axes de développement
de l’entreprise aménagent tous, à partir de la moitié
des années 1990, une place aux pratiques de traitement et aux
différents usages qui peuvent être faits des réclamations.
S’il ne s’agit d’abord que de se prémunir vis-à-vis
du « nouveau cadre juridique » en produisant des dossiers
de réclamation susceptibles de permettre une « utilisation
directe en cas de recours contentieux », la perspective du marché
engage dès l’année suivante l’entreprise à
envisager « l’exploitation des réclamations »
pour « orienter [les] efforts » nécessaires en matière
de « qualité commerciale ». Dans le même sens,
quelques années plus tard, le plan d’entreprise «
Cap 98 » annonce la systématisation d’une «
analyse des réclamations » afin de développer une
forme de « participation directe des clients à la définition
ou à l’expérimentation [des] offres ».
- La dévaluation des pratiques
d’enquête et la « confiance a priori » : la réclamation
comme insatisfaction
Dans les réclamations des années 1990, les gestionnaires
cherchent moins la faute ou la panne que l’insatisfaction. La réclamation
n’est plus légitimée par un substrat administratif
ou technique mais simplement prise en compte en tant qu’elle exprime
une insatisfaction et donc un risque de défection ou de procès.
Elle est, en ce sens, immédiatement légitime. Elle devient
même désirable, relativement aux autres modalités
de règlement des conflits.
Cette nouvelle signification réagence les composantes pratiques
du traitement. Celles-ci ne se réalisent plus dans le cadre d’enquêtes
administratives ou techniques mais se divisent en pratiques de «
désamorçage » et d’« analyse »
qui mettent au centre les tâches d’explication et de dédommagement
pour l’une, de prescription pour l’autre.
La conception de la réclamation comme insatisfaction pose des
problèmes pratiques jusqu’alors inédits. Prenons
l’exemple du dédommagement : dans les années 1920,
comme dans les années 1970, la facturation était un acte
administratif que le droit protégeait largement. Les réductions,
les remboursements, et a fortiori les versements d’indemnités
étaient rendus difficiles par les dispositions léonines
des contrats d’abonnement. Lorsqu’ils pouvaient avoir lieu,
ils étaient conditionnés par d’importantes enquêtes
techniques.
Mais dans les années 1990, les organisateurs
remarquent qu’une telle intransigeance coûte cher. Selon
un observateur de la direction nationale des services consommateurs
de l’époque, les sommes en jeu dépassent rarement
les 300 francs quand le coût fixe d’une enquête technique
s’élève, selon l’approximation retenue, à
environ 1500 francs : « il semble donc fondé de mettre
en balance ce coût avec la somme sujette à un différend
». L’intransigeance de l’enquête s’avère
également maladroite sur un plan commercial. Une étude
réalisée par la SOFRES pour le compte de l’Agence
de Régulation des Télécommunications relève
que les clients demandent, lorsqu’ils appellent pour une réclamation,
« une attitude plus conciliante et moins soupçonneuse »
de la part de l’opérateur historique ou encore qu’ils
souhaitent que l’entreprise laisse « au client le bénéfice
du doute ».
Tenant compte de ces remarques, l’instruction du 21 janvier 1993
relative à la « Prévention et [au] traitement des
réclamations sur factures » introduit une innovation :
« Il convient de faire confiance au client à priori, d’écouter
et d’accorder du crédit à ses doléances ou
demandes d’explications ». Il ne s’agit plus, ou plus
prioritairement, de chercher à recouper ce que dit le client
avec une source d’information interne ou des éléments
techniques. L’instruction insiste plutôt sur l’importance
de ce qu’elle nomme le « désamorçage »,
la réponse au client :
« Lors de ce contact, il convient de trouver une solution adaptée
à la situation du client et de lui faire une réponse argumentée
tout en l’invitant à y réfléchir. Le client,
s’il n’est pas convaincu, va confirmer sa réclamation.
Aussi, toutes les ambiguïtés sont à lever lors de
cette phase ».
À cette fin, la direction accorde aux chargés
de clientèle des « marges de manœuvre » leur
permettant de dédommager plus facilement le client en procédant
à des remboursements puis, plus tardivement, aux premiers «
gestes commerciaux ». L’asymétrie technique/commercial
s’est d’ailleurs inversée : les conseillers-clientèle
doivent « mettre en enquête » une affaire auprès
d’un agent des services techniques lorsque la réclamation
concerne un « problème technique » ; mais le traitement
se joue sur un plan commercial, par le biais d’un échange
verbal et éventuellement monétaire.
Du coup, les compétences valorisées se déplacent
: elles deviennent moins techniques, plus relationnelles, et portent
particulièrement sur le discours — un discours d’abord
destiné à convaincre, donc à « désamorcer
», et à se mettre en scène comme « autorité
». Un nouvel outillage professionnel se développe. Il est
notamment composé de cahiers de paragraphes types destinés
à construire des argumentaires dans les courriers de réponse.
Ces cahiers donnent aussi des conseils de formulation, suggèrent
des manières différentes de se mettre en scène,
suivant l’autorité que le chargé de clientèle
peut être amené à camper :
« Si je (client) m’adresse nommément au Président
ou à un dirigeant pour manifester mon mécontentement,
je comprendrai qu’interpellé personnellement il me réponde
qu’il est “désolé” ou qu’il “regrette
vivement” ce qui m’est arrivé par la faute de son entreprise
dont il ne manque pas une occasion médiatique d’affirmer
qu’il s’efforce de la conduire vers la perfection. Mais si
je m’adresse à une entité comme le [service consommateur],
dont je ne sais même pas si c’est un service de [l’entreprise],
je serai surpris et sans doute agacé qu’un (ou une) correspondant(e)
dont je ne connais pas le statut me fasse part de regrets ou de compréhension
: un arbitre n’a pas à déplorer l’attitude ou
les défaillances d’une partie, il doit arbitrer »
(Extrait d’une archive du service consommateur, fonds privé).
L’importance du discours se signale aussi par l’organisation
de concours annuels récompensant, au milieu des années
1990, « la meilleure réponse écrite au client qui
réclame », ou par l’existence d’un lexique des
« mots noirs » que l’on proscrit lors des échanges
écrits ou oraux avec la clientèle et dans lequel on trouve
notamment le mot « réclamation ». L’habileté
du conseiller-clientèle réside alors dans sa faconde et
sa « belle plume ». Les organisateurs ne cesseront de s’interroger
sur cette fonction. Les injonctions à l’égard de
la présentation des excuses, par exemple, évolueront :
elles seront d’abord proscrites, au nom de leur implication juridique
— s’excuser reviendrait à reconnaître une faute,
ce qui pourrait être opposé à l’entreprise
lors d’un jugement —, puis encouragées, à partir
de la fin des années 2000, au nom de leur rendement commercial.
- Les pratiques d’analyse
et leur intégration dans un outil de gestion : prescrire
Cette autorité ne se réalise donc plus dans la punition.
Dès la fin des années 1980, les documents évoquent
de moins en moins fréquemment le thème de la « responsabilité
» face aux réclamations et, lorsqu’ils le font, ils
soulignent le caractère collectif de celle-ci. Le contrôle
social se fait plus « incrémental », moins «
héroïque »50. Cet élément est parfois
rendu positivement par un appel à la « solidarité
» professionnelle :
« Le client nous juge solidairement responsables de la qualité
fournie. Soyons solidaires pour le satisfaire ».
Pourtant, dès les années 1990, cette exhortation est déjà
dépassée par de nouvelles méthodes gestionnaires
de contrôle et de mise au travail fondées sur le modèle
des compétences (Zarifian, 2001) et reposant sur l’utilisation
d’indicateurs quantitatifs de contrôle de la production.
Les organisateurs vont d’abord tenter de greffer la réclamation
sur cette nouvelle technologie d’organisation, en la faisant devenir
un « indicateur prégnant ».
Le 15 mars 1993, la direction générale
lance la construction d’ARTIC, application informatique destinée
à permettre « la mise en place de la comptabilité
et de l’exploitation des réclamations dans l’ensemble
des régions ». Le document produit pour l’occasion
par le pôle « valorisation des données clientèle
», hébergé au sein d’un domaine au nom tout
aussi évocateur, le « domaine analyse, remontées
et suites », souligne la double nature des réclamations
:
« Chaque lettre de réclamation reçue par [l’entreprise]
contient d’une part une réclamation qu’il faut traiter
(enquête, réponse), d’autre part une information brute
que [l’entreprise] doit exploiter pour améliorer son service
».
L’extraction de « l’information brute
» implique un travail de traduction puisque la réclamation
« n’est pas exploitable en tant que telle » :
« Pour [qu’elle soit] exploitable, il est nécessaire
de la reformuler pour enlever les effets de style, l’agressivité
et disposer d’une synthèse claire, facilement réutilisable
et relativement normalisée [et de] la codifier pour l’enregistrer
sur la base de données des motifs de réclamation ».
Les chargés de traitement sont donc invités
à « tracer » les réclamations dans le système
d’information. Car, une fois traitée, la réclamation
fournit « des éléments de pilotage à court
terme pour les plaques, les Directions Régionales et la Direction
Commerciale […] ; à moyen et long terme pour la Direction
Commerciale et la Direction Générale, dans l’élaboration
de la stratégie nationale future du groupe ».
La première indication concerne leur nombre.
Au début des années 1990, l’entreprise « estime
recevoir […] entre 100 000 et 500 000 réclamations [par
an] mais n’en connaît pas le nombre exact ». Mais les
organisateurs s’intéressent surtout aux « motifs »
de mécontentement des clients : au moment où la validation
marchande des produits n’est plus garantie par une situation de
monopole, « il devient de plus en plus nécessaire de les
exploiter précisément ». Les réclamations
sont mobilisées pour évaluer la qualité des différents
produits et services, afin de fournir des éléments de
prescription.
La prescription va prendre deux formes dans l’entreprise.
La première est ce que les organisateurs nomment le « cri
du client » . La pratique consiste à présenter au
comité exécutif de l’entreprise une réclamation
jugée particulièrement significative. Elle n’implique
cependant rien quant aux suites à donner à ce «
cri ». Si cette pratique a une vertu d’édification,
elle n’est pas prescriptive au sens strict.
Dans le courant des années 2000, les réclamations
vont donner lieu à un autre usage, fondé sur un exercice
comptable.
Les réclamations tracées sont extraites mensuellement
du système d’information. Ces traçages produits par
les conseillers-clientèle sont l’objet d’une analyse
dite « d’écoute client », destinée à
rattacher chaque réclamation à une « cause racine
». Chaque cause racine désigne en réalité
un « processus », c’est-à-dire un morceau de
l’organisation doté d’une autonomie relative et chargé
de conduire une partie de l’activité — par exemple,
le processus « commande-livraison ». À partir de
la fin des années 2000, les responsables de « l’écoute-client
» vont être autorisés à imputer les coûts
liés au traitement des réclamations — le coût
de la main d’œuvre et du capital ainsi que des dépenses
liées aux dédommagements — dans le bilan comptable
des processus jugés responsables de ces réclamations.
L’analyse des réclamations participe ainsi du « contrôle
de gestion », c’est-à-dire d’un « processus
par lequel les managers influencent d’autres membres de l’organisation
pour mettre en œuvre les stratégies de l’organisation
». Par ce mouvement, les coûts de traitement deviennent
les coûts des réclamations et sont pris en charge par les
processus jugés « fautifs ». Le bilan comptable du
processus de réclamation n’est théoriquement plus
déficitaire : il est à l’équilibre. Par un
retournement singulier, le coût des réclamations, qui signait
autrefois son caractère improductif, appuie de nos jours son
influence dans l’organisation.
4 Conclusion
C’est dans les années 1920 que des pratiques professionnelles
apparaissent autour de la « réclamation » dans les
industries du téléphone. On cherche d’abord à
l’éloigner des travailleurs au nom de son appartenance aux
« paroles inutiles » puis, déplacée dans un
espace dédié à son « traitement »,
la réclamation se met à désigner une part distincte
des échanges entre l’usager et le professionnel qui ne relève
ni des échanges immédiatement utiles à la production
du service téléphonique (annonce du numéro que
l’on souhaite appeler, renseignement sur l’état du
service : « numéro occupé », etc.), ni du
bavardage inutile que dénonçaient les ingénieurs
du début du siècle. La réclamation acquiert progressivement
une certaine légitimité : on lui reconnaît peu à
peu le droit à un traitement et on cherche à intégrer
les activités qui y sont associées dans l’espace
des pratiques professionnelles d’un central téléphonique
fortement épuré par la rationalisation des outils, des
esprits et des corps.
Dès les années 1920, les différentes composantes
des pratiques de traitement — punir, réparer, expliquer,
dédommager, prescrire — sont posées. Elles s’agenceront
de différentes manières suivant ce que les organisateurs
jugeront opportun de voir dans une réclamation : une faute, une
panne, une insatisfaction. Dans une première configuration (1920),
dans laquelle la production du service est presque exclusivement tributaire
du travail des opératrices de commutation, le traitement des
réclamations consiste principalement à travailler une
« faute de service » : enquêter, désigner un
coupable, exécuter une sanction. Dans une deuxième configuration
(1970), mobilisé en appui du déploiement du réseau
de lignes et du développement de la commutation automatique lors
de la décennie du « rattrapage téléphonique
», il constitue le premier moment d’un processus d’assistance
technique. Enfin, dans la troisième configuration (1990), au
cœur d’une période marquée par l’ouverture
du marché et la privatisation progressive de l’entreprise,
il consiste à éviter les procès et les défections
des clients.
Suivant la configuration organisationnelle qu’elles rencontrent,
les réclamations, saisies différemment, peuvent être
à l’origine de séquences de relations variables.
Ces relations disciplinaires, techniques ou autres composent les «
suites » des réclamations. Elles contribuent à faire
la réalité sociologique de l’organisation productive
et marchande qui cherche à lier dans un réseau stable
de relations des travailleurs et des clients.
sommaire
II - LES RECLAMATIONS et CONTESTATIONS
DE FACTURATION
Les contestations et réclamations
à propos de la facturation reviennent périodiquement depuis
que le téléphone automatique comptablise la taxation sur
les compteurs des centraux éléctromécaniques et
que la facturation soit émise à chaque abonné seulement
tous les deux mois.
Depuis 1913 des abonnés sont
raccordés à un central téléphonique automatique,
le comptage des taxes est réalisé automatiquement à
chaque début de conversation (lorsque l'abonné demandé
décroche son téléphone) sur un compteur élécto-mécanique
situé dans les locaux du commutateur téléphonique
automatique de départ. C'est à Nice en 1913 que commence
ce comptage.

Les compteurs du sytème Stowger à Nice . ET compteurs
sur un commutateur Rotary .
À cette époque, le nombre d'abonnés au téléphone
était très réduit. Pour pouvoir facturer chaque
bimestre, un technicien était chargé de photographier
(par groupe de cent) les compteurs du central, afin de transmettre les
clichés aux services de facturation.
Ce système est caractérisé par l'Administration
des PTT comme étant rapide et sûr, en raison d'un double
contrôle comptable par comparaison des photographies avec les
relevés du bimestre précédent. La garantie quasi
totale d'exactitude des chiffres relevés est avancée par
l'Administration des PTT.
ET POURTANT
Souvent à cette époque, bien avant que la facturation
détaillée soit possible de nos jours avec les nouvelles
technologies, étant dans l'incapacité de pouvoir justifier
les réclamations d'abonnés mécontents, les problèmes
remontaient jusqu'aux sénateurs.
Par exemple :
En 1959 ASSEIIBLEE NATIONALE — 2e SEANCE DU 15 OCTOBRE
1959 POSTES ET TELECOMMUNICATIONS
— M . Ribière expose à M le ministre des postes et
télécommunications que beaucoup d'abonnés au téléphone
estiment que le nombre des communications dont le payement leur
est réclamé est abusif . C 'est ainsi que plusieurs
abonnés, absents durant deux mois de vacances, auraient été
contraints de payer, pour les mois considérés, un certain
nombre de communications qu'ils n'ont pu demander . A chaque réclamation,
l'administration répond invariablement que, vérification
faite, le compteur de l'abonné fonctionne normalement et qu'aucun
dégrèvement ne peut être accordé . Il lui
demande s'il ne serait pas possible de mettre à l'étude
un moyen de contrôle qui donne à l'abonné la possibilité
de vérifier lui-même le nombre des communications réclamées,
soit par la pose d'un compteur sur le circuit, au domicile de l'abonné,
si la chose est techniquement réalisable, soit par tout autre
moyen efficace ne pouvant donner lieu ù aucune discussion . (Question
du 3 octobre 1959)
Réponse . — Les réclamaiions formulées par
les abonnés an téléphone concernant le montaut
des taxes qui leur sont réclamées sont relativcment peu
nombreuses . A Paris (où la quasi totalité des taxes dos
communications sont imputées au compteur), pour 300.000 relevés
établis chaque mois, il n'est reçu que 180 réclamations
en moyenne, soit 0,2 p 100 . Cette moyenne est d'ailleurs sensiblement
constante, quelle que soit l'époque de l'année et si des
taxes sont dues pour des périodes de vacances, cela s'explique
par le fait que les dates de départ ou de rentrée de congé
des abonnés coïncident rarement avec celles des relevés
des compteurs . Parmi ces réclamations, la proportion de celles
qui sont fondées est extrêmement faible (à peine
une sur vingt) . En effet, les erreurs, toujours possibles, peuvent
dire de deux ordres : Erreurs humaines d'abord. d'autre part, les compteurs,
à Paris, sont photographiés tous les bimestres ; mais
les indications de la photographie sont. reportées sur le compte
de l'abonné par un agent qui peut faire une erreur de lecture
ou de transcription ; ces erreurs sont toujours retrouvées et
corrigées automatiquement à l'occasion du relevé
suivant . D'autre part, les compteurs sont essayés périodiquement
par l'envoi de mille (exceptionnellement cent) impulsions de contrôle
; le ticket de détaxe qui doit être établi à
cette occasion peut être omis ; l'enquête qui suit une réclamation
permet de corriger cette erreur, car les fiches do détaxe sont
conservées dans les dossiers . Défaut do fonctionnement
du compteur ensuite . Les compteurs sont des appareils mécaniques
qui ne sont dvidemment pas, d'une manière absolu à l'abri
de tout mauvais fonctionnement mais comme test appareil doté
d'uue certaine inertie ils auraient plutôt tendance à ne
pas tourner assez qu'à tourner trop, ce qui est favorable à
l'abonné . Un fonctionnement intempestif du compteur ne peut
résulter que de certains dérangements très particuliers,
extérieurs au compteur lui-méme, provoquant un déréglage
complot du compteur, qui fonctionne alors « en mitrailleuse»
disent tes techniciens des postes, télégraphes . et téléphones,
mais de tels dérangements sont très rares ; ils sont toujours
décelés et entratnent la correction des relevés
. En réalité, les compteurs sont des appareils robustes
et éprouvés . Ils ne sont mis en ser vice qu'après
avoir été longuement essayés ; Ils sont en outre
contrôlés périodiquement et un compteur reconnu
défectueux est immédiatement changé, les cas do
mauvais fonctionnement sont donc tout à lait exceptionnels .
Ainsi, en cas de réclamation, le compte de l'abonné est
vérifié afin d'obtenir l'assurance qu'aucune erreur matérielle
n'a été commise par le service de la comptabilité
(rapprochement du relevé envoyé avec les photographies
de compteur, omission d'une fiche de détaxe à la suite
des essais de compteur, etc .), L'installation et la ligne sont soumis
à des essais . Le service s'assure également que l'abonné
est au courant de la taxation multiple et de la durée des communications
régionales ou interurbaines, établies par des opératrices
mais avec taxation au compteur,ou établies par voie entièrement
automatique, et qu'il ne considère pas comme gratuit le service
de l'heure . Ces vérifications techniques et comptables permettent
en général de convaincre l'abonné de l'exactitude
des relevés qu'il e reçus ou de trouver la cause du désaccord,
auquel cas un dégrèvement est accordé . Lorsque,
malgré les renseignements qui lui sont fournis, l'abonné
persiste dans sa réclamation (à Paris, le nombre des abonnés
réclamant pour
la deuxième fois est de 120 environ par mois, soit seulement
0,04 p 100), Il est procédé à un contrôle
des appels lancés à partir de son poste pendant une période
de dix jours à un mois, selon l'importance de son trafic . Ce
contrôle est effectué à l'aide d'un appareil nommé
machine Girard, qui est branché en dérivation sur
la ligne de l'abonné et qui enregistre sur une bande de papier
tous les chiffres composés au cadran du poste, la date, l'heure
de début et l'heure de fin de chaque communication (celle de
début seulement pour les tentatives de communication n'aboutissant
pas), les Impulsions de taxation envoyées au compteur pour chaque
communication efficace, ainsi que l'heure d'envoi de res impulsions
. Il est à noter que dans tous les cas de contrôles ainsi
exercés, le nombre des impulsions inscrites sur la bande a toujours
correspondu à la différence des index du compteur individuel
à la fin et au début du contrôle, ce quis confirme
. le bon fonctionnement des compteurs.
A l'issue de la période de contrôle, les indications de
la bande ainsi obtenue sont rapprochées de la comptabilité
tenue par l'abonné (tout abonné qui réclame est,
en effet supposé tenir une comptabilité rigoureuse de
ses appels ; pourtant, combien de réclamants n'en tiennent pas
compte! . Il est alors facile de découvrir les omissions ou les
erreurs d'évaluation de taxes commises par l'abonné :
il est très rare que quelques omissions ne soient pas relevées
mais, surtout, la taxe globale des conversations interurbaines est rarement
appréciée à sa juste valeur, par méconnaissance
des règles exactes de taxation à la distance et à
la durée . Evidemment, de tels contrôles ne peuvent être
pratiqués fréquemment, ni pendant de très longues
périodes, car le nombre d'appareils enregistreurs mis à
la disposition de chaque centre téléphonique est nécessairement
réduit en raison
de leur prix élevé . Reconnaissant les inconvénients
que présente pour les abonnés l'imputation au compteur
de la taxe des communications téléphoniques interurbaines,
l'administration comprend très bien leur désir de pouvoir
contr0ter directement et en permanence leur consommation téléphonique,
surtout au moment où, dans toute la France, se multiplient les
liaisons interurbaines automatiques . C'est pourquoi ; dès 1955,
un décret (n° 55-53 du 8 janvier 1955) a autorisé
les abonnés des réseaux où les taxes des communications
interurbaines sont imputées au compteur à faire équiper
leurs lignes téléphoniques de compteurs de taxe installés
près du poste d'abonnement, c'est-à-dire à domicile
. Chaque compteur fonclionne en synchronisme avec, le compteur correspondant
au centre téléphonique et donne à la fois le nombre
d'impulsions enregistrées pour chaque communication (une impulsion
= une taxe de base = 25 francs) et le nombre total d'impulsions : Ces
compteurs peuvent étre installés soit par l'industrie
privée (tompteurs Sodeco), soit par l'administration: Une taxe
de 18.750 francs est jusqu'ici perçue pour l'équipement
du centre téléphonique correspondant en propre au compteur
do taxes installé chez l'abonné, ainsi qu'une redevance
mensuelle d'abonnement de 100 francs. En outre, pour les compteurs fournis
par l'administration, s'y ajoute une taxe mensuelle d'entretien de 600
francs. Le nombre des abonnés, ayant depuis demandé à
bénéficier-de cette possibilité est extrêmement
faible . Aussi, afin de développer l'installation de compteurs
à domicile l'administration vient-elle de prendre la décision
da ramener de 18.750 à 5.000 . francs la taxe perçue pour
l'équipement initial malgré le prix élevé
de cet équipement complexe qui doit permettre de retransmettre
au demicille de l'abonné tes impulsions de comptage émises
au centre téléphonique . C'est d'ailleurs en raison de
ce prix ; élevé que n'ont jusqu'à présent
été prévus pour recevoir des équipements
de ce type que les centres téléphoniques de quelques très
grandes cités (dont évidernment Paris en premier lieu).
Mals tous les nouveaux centres automatiques seront dorénavant
installés avec de tels équipements et les centres déjà
en service seront progressivement équipés . .
De même en 1972 : ASSEIIBLEE NATIONALE
du 23 novembre Extrait à propos de réclamation
de taxation
... Intervention de M. Robert Bruyneel
... S'il est pénible de ne pouvoir obtenir des liaisons téléphoniques,
surtout lorsqu'il s'agit d'appels urgents et importants, il est tout
à fait choquant que des abonnés reliés au téléphone
automatique puissent être taxés pour des communications
souvent nombreuses qu'ils n'ont pas demandées et qui engendrent
des différents regrettables avec votre administration.
A plusieurs reprises, des abonnés m'avaient signalé de
tels incidents qui m'avaient beaucoup étonné. Mais j'ai
été obligé de convenir que leur mécontentement
était fondé lorsque j'ai été moi-même
victime d'une pareille mésaventure qui n'est pas terminée
et que je vous relaterai dans quelques instants.
J'ajoute, pour vous démontrer qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé,
que plusieurs de mes collègues ont connu les mêmes ennuis.
Je vous ai alors écrit le 16 août 1972, puis le 3 octobre
pour vous signaler ces anomalies et surtout pour vous demander de quelle
façon les abonnés pouvaient vérifier les inexactitudes
de leur compteur et par quels moyens ils pouvaient faire admettre par
la direction départementale dont ils dépendent les erreurs
qui avaient été commises.
J'ai même eu recours à la procédure de la question
écrite.
Ma question a paru au Journal officiel le 26 octobre et votre réponse
y a été publiée avec une certaine célérité
le 15 novembre courant. Vous m'avez précisé que «
les compteurs téléphoniques tout comme les compteurs d'eau,
de gaz ou d'électricité, marquent un nombre total d'unités
».
Vous m'avez ensuite dépeint les avantages du compteur qui constitue
un progrès et qui permet une augmentation de l'utilisation du
téléphone. Vous m'avez également indiqué
que les abonnés qui désiraient contrôler leur consommation
pouvaient faire installer un compteur individuel à leurs frais,
bien entendu, ce qui entraîne le paiement de taxes et de redevances.
Et vous terminiez votre réponse par cette phrase : « S'agissant
de la consommation téléphonique jugée anormalement
élevée par un abonné, l'expérience a permis
de montrer à maintes reprises que celle-ci correspond dans les
faits, à une utilisation de la ligne à l'insu du titulaire,
soit par un familier, soit par un tiers ayant accès à
l'appareil. »
Cette réponse ne me donnant pas satisfaction, j'ai estimé
que l'examen de votre budget pouvait me permettre d'évoquer publiquement
cet important problème qui mérite de retenir quelques
instants l'attention du Sénat et la vôtre, monsieur le
ministre.
Je relève d'abord qu'il y a entre les compteurs téléphoniques
et les compteurs d'eau, de gaz et d'électricité une différence
capitale : c'est que ces derniers sont installés au domicile
de l'abonné qui peut, à tout moment, en vérifier
le bon fonctionnement, tandis que le compteur téléphonique
est hors de la portée de l'abonné.
Il est incontestable que le téléphone automatique, lorsqu'il
fonctionne normalement, constitue sur le téléphone manuel
un important progrès, sauf pour l'abonné en ce qui concerne
la facturation. L'envoi de fiches dans le système manuel permet
un contrôle simple et efficace de la consommation téléphonique.
L'envoi d'un relevé bimestriel qui ne comporte qu'un total ne
permet aucune vérification. On est obligé de faire confiance
à la machine avec les inconvénients qui en résultent
lorsque la mécanique se détraque, ce qui n'est malheureusement
pas si rare. J'en ai fait la désastreuse expérience.
Vous m'indiquez ce que je savais déjà, que l'abonné
peut faire installer chez lui, à ses frais, un compteur individuel
qui donne lieu au paiement de taxes et de redevances. C'est une solution
acceptable pour des entreprises de quelque importance qui veulent contrôler
leur consommation téléphonique et surtout réfréner
les communications privées de leur personnel.
Je sais qu'elle a été adoptée par des abonnés
qui ont eu des contestations avec votre administration, mais qui tous
ont une importante consommation téléphonique. Cependant,
ce n'est pas un procédé utilisable par la plupart des
particuliers, surtout par ceux qui comme nous ont besoin d'avoir plusieurs
postes téléphoniques.
M. Gérard Minvielle. Voulez-vous me permettre de vous interrompre,
mon cher collègue ?
M. Robert Bruyneel. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Minvielle, avec l'autorisation
de l'orateur.
M. Gérard Minvielle. Dans le cas où il y aurait une différence
de comptage entre le compteur particulier et le compteur de l'administration,
qui la réglerait ?
M. Robert Bruyneel. L'administration. Du moins, je le suppose ; sinon
il serait inutile de faire installer un compteur individuel pour contrôler
le compteur de l'administration.
M. Gérard Minvielle. Par conséquent, le procédé
est inopérant.
M. Robert Bruyneel. Cette installation n'est pas possible pour la plupart
des particuliers, spécialement pour les abonnés qui ont
une consommation téléphonique peu importante. Beaucoup
de personnes âgées, notamment, possédant de faibles
ressources ont fait installer le téléphone pour ne pas
rester isolées, pour pouvoir appeler leurs fournisseurs et en
cas de nécessité un médecin, un parent ou un ami
et enfin souvent pour rester en liaison avec leur famille. Elles ont
le droit d'exiger une facture exacte sans aggravation de frais de téléphone
déjà très élevés.
De toute façon, lorsqu'in constate un enregistrement anormal
et très important de ses taxes téléphoniques, il
est trop tard pour installer un compteur. Il n'y a pas d'autre ressource
que de soumettre son relevé contesté à la direction
départementale qui tranche arbitrairement.
Quant à la conclusion de votre réponse, monsieur le ministre,
elle n'est pas très convaincante. Vous estimez que l'expérience
a permis de démontrer à maintes reprises qu'une consommation
téléphonique jugée anormalement élevée
provenait de l'utilisation de la ligne à l'insu du titulaire,
soit par un familier, soit par un tiers ayant accès à
l'appareil. Cela peut se produire surtout dans des locaux à usage
professionnel, mais plus difficilement dans une maison privée
ou dans un appartement où ces pratiques, lorsqu'elles ont lieu,
sont vite constatées.
D'ailleurs, avec prudence, vous indiquez que cette démonstration
a été faite à maintes reprises, ce qui permet de
supposer que dans de nombreux cas, la facturation excessive est due
à une défaillance du matériel.
Alors j'en arrive à une question essentielle. L'abonné
qui constate avec certitude un fonctionnement anormal de son compteur
téléphonique n'a-t-il d'autre ressource qu'un recours
gracieux auprès de votre administration ? En cas de rejet, doit-il
considérer comme définitivement confisquées les
sommes indûment payées ou doit-il s'adresser à la
justice ?
Maintenant je vous prie de m'excuser d'être obligé de vous
conter mes propres déboires et mes difficultés avec l'administration
des P. T. T., et les pertes de temps, et peut-être d'argent, qu'ils
m'ont occasionné. Je le fais pour votre édification et
pour celle du Sénat, en souhaitant que cet exemple vous permette
d'améliorer un service dont j'ai de bonnes raisons de me plaindre.
Je suis propriétaire d'une résidence secondaire à
Villefranche-sur-Mer, où j'espère pouvoir terminer paisiblement
ma vie, mais que j'occupe actuellement assez peu : une partie de l'été
— je m'y repose et me consacre aux sports nautiques — et quelques
jours en hiver. Le reste du temps elle est inoccupée et close
et cette circonstance a été déterminante pour l'étude
des caprices de mon compteur téléphonique.
J'ai fait installer le téléphone au début de 1969
après bien des hésitations, car je voulais être
tranquille ; mais les liaisons téléphoniques sont devenues
maintenant indispensables. Jusqu'en 1972, mes relevés n'ont donné
lieu à aucune remarque. J'ajoute que j'avais autorisé
le prélèvement de mes débits sur mon compte de
banque, et je m'en suis repenti amèrement. Le relevé du
26 janvier au 25 mars 1972 m'a paru dépasser nettement ma consommation
réelle, mais il s'agissait d'une somme relativement peu importante
et je n'avais pas d'éléments suffisants d'appréciation.
Je n'ai donc pas fait de réclamation.
Ma maison a été fermée le 12 mars et j'en avais
seul la clef.
Elle n'a été rouverte que le 19 juillet. Or, le relevé
suivant mentionnait 6,90 francs pour la période d'imputation
au compteur du 26 mars au 25 mai. C'était peu, évidemment,
mais c'était encore trop, puisque personne, pendant plus de quatre
mois, n'avait pu décrocher mon téléphone.
Par principe, j'écrivis le 8 juillet à la comptabilité
téléphonique de Marseille en lui faisant part de l'inoccupation
de ma maison pendant cette période et lui demandant à
quoi correspondait cette somme inscrite à mon compteur.
Le 25 juillet, le service des abonnements téléphoniques
de Nice m'écrivit ceci :
« Monsieur,
« Comme suite à votre réclamation du 8 juillet 1972
et pour me permettre de vérifier la consommation de votre ligne
téléphonique, je vous serais très obligé,
dès réception de ma lettre, de bien vouloir prendre note
des communications demandées à partir de votre poste.
« Ce relevé, que je vous prierai de me communiquer ultérieurement,
devra mentionner, outre les numéros d'appel, les dates, heures
et durées des conversations.
« Je vous précise que, sans ce relevé, je ne pourrai
statuer sur le bien-fondé de votre réclamation. »
C'était clair !
Pourtant, le lendemain, je reçus une autre lettre du même
service, datée du 26 juillet et ainsi libellée :
« Monsieur,
« Par lettre en date du 8 juillet 1972, vous contestiez le nombre
des communications enregistrées sur votre compteur pendant le
bimestre C 3/72 (avril-mai).
« J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'un dérangement
ayant affecté votre compteur pendant la période considérée,
un dégrèvement correspondant au nombre de communications
enregistrées pendant la période incriminée, c'est-à-dire
23 taxes de base, soit 6,90 francs, est établi en votre faveur.
»
Toutefois, à titre de précaution, j'ai pris soin de noter
toutes les communications demandées à partir de mon poste,
bien que ce travail me parût extrêmement fastidieux. J'ai
installé auprès du téléphone un bloc-notes
et un chronomètre et noté toutes les communications données
entre le 26 juillet et le 10 septembre, sans en excepter une seule.
Je tiens d'ailleurs la copie de ce relevé à votre disposition,
monsieur le ministre, bien que votre administration l'ait déjà
en sa possession depuis bien longtemps.
J'ai enregistré les dates, les heures, le numéro des abonnés
appelés et la durée des communications demandées.
Il y en eut exactement 69, la plupart courtes et locales, dont deux
pour Paris, une pour le Loiret et une pour les Pyrénées-Atlantiques.
Au mois d'août, je reçus un relevé qui comportait
160,80 francs de taxes au compteur pour la période du 26 mai
au 25 juillet et m'obligea à en conclure que mon compteur «
déraillait » complètement. (Sourires.)
J'écrivis donc la lettre suivante au chef du service des abonnements
:
« J'ai l'honneur d'accuser réception de votre lettre citée
en référence ainsi que du dégrèvement téléphonique
que vous m'avez consenti de 6,90 francs.
« Toutefois, je dois vous informer que le dérangement qui
affecte mon compteur continue. Je viens en effet de recevoir un relevé
(ci-joint) qui compte 160,80 francs de taxes au compteur pour la période
du 26 mai au 25 juillet. Or, je suis arrivé à Villefranche-sur-Mer
le 19 juillet où la villa était inoccupée depuis
le mois de mars et, entre le 19 et le 25 juillet, je n'ai eu que 5 à
6 communications locales.
« Je vous demande donc un nouveau dégrèvement et
surtout la réparation du compteur. »
Je précise que personne, hormis ma femme et moi-même, n'a
eu accès à mon téléphone pendant toute cette
période. La maison est en général fermée
et, si un intrus était venu se servir de mon appareil nous l'aurions
vu.
Vous allez constater que, par la suite, la situation s'est aggravée
considérablement. J'allais parvenir rapidement au domaine de
l'absurdité totale. Je reçus en effet la lettre suivante,
datée du 18 septembre, toujours du chef du service des abonnements
téléphoniques :
« Monsieur,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'après réception
de votre lettre en date du 16 août 1972, afférente à
la ligne téléphonique n° 01 10 16, divers essais techniques
effectués sur votre installation ont montré que vos poste,
ligne et compteur fonctionnaient normalement.
« Aucun dérangement pendant la période incriminée
n'a été décelée, et les communications enregistrées
du 19 juillet au 25 juillet, soit 536 taxes de base, ont de toute évidence
été obtenues à partir de votre poste. Les divergences
que vous constatez peuvent donc provenir d'omissions involontaires de
personnes ayant accès à votre poste.
« Par ailleurs, votre compteur a été mis en observation
sur machine Girard du 28 août au 26 septembre. Au
cours de cette période, 876 taxes de base ont été
enregistrées, ce qui laisse apparaître un très fort
trafic sur la chaîne nationale.
« Je vous informe que la bande de contrôle est à
votre disposition à mon service de la rue Alberti où vous
pourrez la consulter.
« En conséquence, en l'absence d'éléments
nouveaux justifiant une détaxe, aucune anomalie technique n'ayant
été constatée, je ne puis à mon vif regret
vous accorder un dégrèvement. »
Le 20 septembre, j'adressais mon relevé, ainsi qu'on me l'avait
demandé, sans aucune illusion. Le 28 septembre, j'envoyais une
vive protestation, toujours au même service. J'écrivais
notamment que j'avais fait le relevé qu'on m'avait demandé,
bien que ce travail fût particulièrement fastidieux, et
j'ajoutais qu'aucune personne, hormis ma femme et moi-même, n'avait
eu accès à mon poste. J'écrivais également
:
« Quant aux résultats constatés par la machine Girard,
ils sont absolument effarants et n'ont aucun rapport avec la réalité.
J'observe d'abord que la période du 28 août au 26 septembre
pendant laquelle 876 taxes de base auraient été enregistrées
n'était même pas terminée lorsque vous m'avez adressé
votre lettre du 18 septembre, ce qui ôte toute valeur à
ce contrôle. En outre, nous avons quitté la villa le 11
septembre à 5 heures et demie du matin après avoir avisé,
le 8 septembre, la poste de Villefranche de notre départ, ce
qui rend invraisemblables les communications enregistrées pendant
cette période.
« Vous constaterez d'ailleurs par le relevé que je vous
ai adressé et par la comparaison avec mes communications pendant
les mêmes périodes des années précédentes
que je ne viens pas en vacances pour me livrer à un « très
fort trafic sur la chaîne nationale ».
« Administrateur civil de classe exceptionnelle en retraite, parlementaire
depuis vingt-cinq ans, je n'ai pas l'habitude des réclamations
frivoles et, si je comprends vos difficultés, je ne puis admettre
qu'on conteste l'évidence d'erreurs aussi lourdes.
Non seulement je constate que mon compteur est toujours déréglé,
mais, ce qui est plus grave, que vos appareils de contrôle ne
fonctionnent pas mieux.
« Je ne reviendrai pas à Villefranche, ni personne de nia
famille, avant le mois de janvier ; il vous sera donc facile de mettre
ma ligne en observation. Mais, en attendant, je persiste à exiger
le dégrèvement des 536 taxes de base que je ne dois pas
ainsi que celles qui ne concorderaient pas avec le relevé que
je vous ai fourni. »
M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, monsieur
Bruyneel, car vous ne disposez plus que de cinq minutes.
M. Robert Bruyneel. J'ai presque terminé, monsieur le président.
Mais je n'étais pas au bout de mes peines. Le lendemain, je reçus
une nouvelle lettre de ce service. On me disait toujours que la consommation
excessive constatée provenait de l'utilisation de mon poste par
une tierce personne.
C'est un peu comme la fable de La Fontaine :
« — Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
« -- Je n'en ai point. — C'est donc quelqu'un des tiens.
»
On ajoutait que je pouvais vérifier la bande et qu'aucune suite
favorable ne pouvait être donnée à ma demande de
dégrèvement. On précisait même que l'enregistrement
de mes communications accusait un trafic très important sur Paris,
non mentionné dans mon relevé personnel.
Je répondis par lettre du 3 octobre et, le même jour, je
m'adressai au directeur régional, puisqu'il m'était impossible
d'obtenir la moindre compréhension du service départemental.
J'indiquais plus précisément au directeur régional
qu'il n'avait qu'à comparer mes relevés des années
précédentes --- 1969, 1970 et 1971 — lesquels oscillaient
entre 90 et 150 francs, tickets et abonnements compris.
Je reçus alors le coup de massue. Je n'avais pas atteint le sommet
de l'extravagance administrative. Je devais le connaître lorsque
j'ai lu avec une stupéfaction indignée le dernier relevé
de la comptabilité téléphonique de Marseille que
j'ai reçu vers la fin du mois d'octobre dernier. Mon compteur
indiquait la somme de 2.078,10 francs (Rires) , c'est-à-dire
207.000 anciens francs pour 45 jours, puisque nous étions partis
le 11 septembre.
Nous sommes très au-dessus de la cadence déjà vertigineuse
que m'annonçait le service des abonnements téléphoniques
de Nice dans ses lettres des 18 et 27 septembre.
Naturellement, j'ai immédiatement protesté auprès
du directeur régional des télécommunications par
lettre du 2 novembre ; je n'ai même pas reçu le moindre
accusé de réception.
Voilà, trop largement relatées, Tes tristes étapes
des difficultés que peut rencontrer un abonné au téléphone.
J'ai pu constater que non seulement un compteur téléphonique
peut s'emballer jusqu'à la frénésie, mais que l'appareil
Girard même peut se déranger. (Sourires.)
...
sommaire
Les évolutions technologiques
au service des réclamations :
Il faut souligner que les litiges sur les
factures sont la rançon d’un considérable succès
qui a élevé le taux de foyers raccordés au téléphone
de 27 % en 1974 à 90 % en 1984.
Il est loin, le temps où l’on pouvait voir le directeur
adjoint des télécommunications de Clermont-Ferrand arriver
avenue de Ségur avec, dans sa serviette, de succulents fromages
pour convaincre les responsables de l’administration centrale d’octroyer
quelques lignes supplémentaires à l’Auvergne...
En outre, le ministère souligne depuis quelques années
la baisse du taux de contestation des taxes :
2,9 contestations pour 1 000 factures émises en 1983,
3,2 en 1984
3,7 en 1985
2,6 en 1986
1,88 en 1987
Ces chiffres valent ce que valent les statistiques : ils peuvent signifier
meilleure tarification ou résignation des abonnés. Mais
il reste que les rapports entre les télécommunications
et leurs clients connaissent une évolution juridique et technique
accélérée. Cette histoire mérite d’être
brièvement retracée entre les déboires d’hier
et les espoirs qu’il n’est pas illégitime de nourrir.
— Les déboires : surprises et impuissance de l’usager
Les factures téléphoniques n’ont pas bonne
presse. Au dos des bordereaux reçus, tous les deux mois, par
les abonnés figurent quelques explications. Mais elles ne portent
ni sur les tarifs, ni sur les tranches horaires, ni sur d’éventuels
conseils techniques permettant à chacun de comprendre ses dépenses
: sous la rubrique «remarques importantes » figurent la
mention de la «date limite de paiement » et le rappel que
le «titulaire d’un abonnement est le seul responsable vis-à-vis
de l’administration de l’usage qui est fait de l’installation
». Le décor est planté. Il s’agit moins de
faire comprendre que de faire payer. Or une facture lisible sera mieux
admise. Le fisc l’a bien compris qui multiplie les formules «pour
calculer vous-même votre impôt ».
L’abonné, qui ne peut ou ne sait noter régulièrement
ses consommations, devient ainsi un contestataire potentiel qu’une
facture codée va transformer en réclamant à l’administration
puis, parfois, en requérant au juge administratif. A la longue
cohorte de ceux qui se plaignent de l’hétérogénéité
de leurs factures sur une année, du montant de leurs factures
durant l’été où ils sont absents, des possibilités
d’interférences entre lignes, il est invariablement répondu
qu’ils doivent mieux surveiller leur entourage surtout quand ils
sont hors de chez eux. L’incompréhension atteint les sommets
quand l’abonné met sa ligne à disposition de ses
propres clients, qu’il s’agisse d’une entreprise de location
d’appartements à la journée ou au mois à Paris,
d’un hôtel du centre de Rouen ou d’un taxiphone installé
dans le hall d’une clinique privée . Dans de tels cas, l’exploitant
peut être pris entre l’incompréhension du service
public et celle de ses clients qui, bien sûr, ne se plaindront
pas de pouvoir appeler Los Angeles à un tarif sans concurrence
si d’aventure l’installation est temporairement défectueuse.
Dans une telle situation, rien ne sert de brandir les relevés
du compteur interne à l’entreprise ou installé chez
le particulier qui en a fait la demande : l’administration répondrait
par son atout maître : le décret du 8 janvier 1955, aux
termes duquel : «les abonnés sont autorisés à
faire équiper leurs lignes téléphoniques de compteurs
de taxes installés près du poste d’abonnement...
pour la détermination des taxes dues par l’abonné,
le compteur installé au centre téléphonique fait
seul foi ». A la suite des recommandations du médiateur,
les PTT qui ne commercialisent plus directement ces compteurs à
domicile depuis décembre 1986, vont renforcer l’information
des 60 000 personnes disposant de tels compteurs et demander aux industriels
du secteur d’indiquer dans leurs notices la «transparence
juridique » de ces appareils qui ne font pas foi.
Eviter ou réduire les «surprises » de l’abonné,
c’est économiser des litiges et donc améliorer le
service public.
Car il peut arriver que ce service de télécommunication
ait quelques difficultés à communiquer. Quant à
l’abonné, il aura acquis le sentiment de son impuissance.
- En premier lieu, plane sur la discussion entre le service et l’usager,
la menace de la coupure de ligne. Menace parfois disproportionnée
avec le litige qui peut se limiter à quelques centaines de francs.
Mais quelles que soient les conséquences pour l’abonné,
le «calendrier de recouvrement des factures » est organisé
avec une rigueur mathématique: jour J, envoi de la facture, J
+ 23, rappel; J + 30, pénalité de 10 %; J + 35, suspension
de la ligne; J + 40, lettre recommandée avant résiliation;
J + 50, au plus tard, résiliation. Les télécommunications
sont fortes d’un pouvoir de sanction reconnu par l’article
L. 36 du code des PTT : «le service de la correspondance privée
peut être suspendu par le ministre des PTT soit partiellement,
soit totalement, sur l’ensemble du réseau des télécommunications
». Et l’article D 337 ajoute que le service peut à
tout moment mettre fin à un abonnement. La liste des motifs de
résiliation est longue (D. 340 et suivants), mais l’essentiel
est évidemment le non paiement des redevances dans les délais
impartis. Face à des textes aussi formels, le Conseil d’État
n’a pu que suivre l’administration pour admettre la légalité
de résiliations d’abonne¬ ment, même si l’usager
faisait valoir son âge et son état de santé et sans
qu’il soit besoin d’adresser préalablement à
l’abonné un avis de mise en recouvrement. La fermeté
dans l’utilisation de cette arme ultime qu’est la résiliation
n’est pas neuve : une caricature du journal satirique l’«Assiette
au beurre» de 1904 montre, devant une longue rangée de
demoiselles du téléphone bousculées par les appels,
le commis principal interroger son supérieur : «M. le directeur,
ces dames sont débordées et le public réclame ».
Réponse : «Coupez les communications et faites poursuivre
les récalcitrants! »
Rien n’empêcherait d’ouvrir une place plus large au
sursis de paiement éventuellement avec consignation et, dans
des cas justifiés, à l’octroi de délais pour
les situations difficiles.
- En second lieu, l’abonné se heurte au mur de la charge
de la preuve. Sur ce plan, le juge a pu hésiter puisque les tribunaux
administratifs se sont partagés. Le Conseil d’État
a pris en considération l’impossibilité de faire
peser la charge de la preuve exclusivement sur l’une des parties,
l’administration, car il ne saurait être question de créer
à son encontre une sorte de présomption de «défaut
de décompte normal » sur le modèle de la jurisprudence
des travaux publics; en effet, l’usager se trouve en situation
de faiblesse envers le service technique, seul compétent pour
mesurer le service rendu.
Aussi dans ses récentes décisions, le juge administratif
a-t-il tiré parti du caractère inquisitoire de la procédure
contentieuse pour diriger lui-même l’administration de la
preuve. L’usager devra apporter des «présomptions
suffisamment sérieuses » et l’administration produire
documents, fiches de contrôles et résultats des vérifications
techniques. Le juge est alors amené à tenir la balance
entre les indices de l’abonné et ceux de l’administration.
Pour le premier : montant de facture sans commune mesure avec les bimestres
précédents, dérangements et anomalies diverses,
absence du domicile. Pour l’administration : présomptions
comme l’inexpérience du nouvel abonné qui n’avait
pas pris toute la mesure du coût du service, utilisation du poste
par un tiers en l’absence de l’abonné et surtout coïncidence
entre les relevés du compteur et ceux des bandes de contrôle.
Le débat est difficile car aux abonnés honnêtes
et réellement victimes de surfacturation, se mêlent nécessairement
les habitués du «service public à crédit
» : ainsi l’abonné qui refusait de payer parce que
le fonctionnement de son compteur avait été interrompu
alors qu’il ne contestait pas avoir normalement utilisé
sa ligne.
- En troisième lieu, l’impuissance de l’abonné
se renforce par les difficultés d’accès au prétoire.
Dès que la requête porte sur un remboursement de taxe,
le juge considère qu’il est en présence d’un
litige de plein contentieux. Le pourvoi n’est pas dispensé
du ministère d’avocat comme le recours pour excès
de pouvoir. Cette exigence constante, soulève des difficultés
pour les litiges portant sur des sommes peu élevées et
le médiateur mentionne cette question dans ses propositions de
réforme.
- En dernier lieu, il faut souligner — pour mémoire —
que les taxes téléphoniques ont trouvé leur juge.
Est donc épargné aux abonnés le détour par
le tribunal des conflits qui n’était pas rare dans les années
1978. Désormais, le contentieux des usagers du téléphone
constitue un bloc presque complet de compétence administrative,
le juge judiciaire ne conservant que le contentieux de l’exécution
forcée.
Si l’on tentait un bilan de ces discussions administratives et
contentieuses autour des facturations téléphoniques, il
faudrait reconnaître qu’elles n’aboutissent que très
rarement à une modification de la décision initiale du
service. Cette immobilité, constatée tant par le médiateur
que par le juge administratif, peut résulter de la qualité
réelle de la facturation; elle peut aussi, dans certains cas,
avoir pour cause un certain retard de sens «commercial »
du service public. De là peut venir l’espoir. Après
les déboires qu’il a connus, l’usager peut retrouver
un service soucieux de mettre tous ses moyens techniques nouveaux à
la disposition de ses abonnés.
1975 Une enquête réalisée
par l'Association française des utilisateurs du téléphone
et des télécommunications traduit ce mécontentement
des usagers : sur 1190 réponses, 69 % des particuliers et 31
% des entreprises ne sont pas toujours d'accord avec le relevé
bimestriel qu'ils reçoivent.
Même avec les compteurs à domicile, les réclamations
de facturations avec le nombre grandissant des abonnés, augmentaient
de plus en plus.
Avec l'arrivée des centres téléphoniques
électroniques, le principe de relevé des compteurs
était maintenu et était devenu plutôt fiable, les
relevés étaient effectués chaque jour par bande
magnétique et transmis aux centres de facturation pour traitement.
Pour les centres éléctromécaniques encore en
service, la procédure avec photographie des compteurs restait
la même.
Le CFRT Centre de Facturation et de Recouvrement des Télécommunications
est le centre régional où sont préparées
les futures factures.
Calculateur IBM (série 1400
Salle du Centre Régional de Comptabilité de Paris.
Salle des calculateurs et des impressions.
Les factures étaient toujours imprimées chaque bimestre,
mais le centre de facturation n'étaient pas en mesure de produire
un relevé journalier ou une facturation détaillée
comme nous l'avons maintenant.
1970 Arrive la Taxation Électronique Centralisée
pour les commuteurs électromécaniques.
Une maquette de Taxation Électronique Centralisée avait
été mise en service au CNET le 15 juillet 1964.
Une expérimentation en service réel en France avait déjà
été engagée dès 1964 en Région Parisienne
: le Commutateur CP400 en service à Poissy en est alors le premier
équipé à titre expérimental dès sa
mise en service.
Dispositif dans
le Commutateur CP400 à Poissy.
Ainsi progressivement, les nouveaux commutateurs en sont équipés
jusqu'à la généralisation des centraux éléctroniques.
1983 : C'est début de la facturation détaillée
: Le service de Facturation Détaillée (FADET)
est ouvert progressivement à l'exploitation.
Les premiers commutateurs à pouvoir délivrer ce service
en France sont les commutateurs de type Métaconta - 11F. Progressivement,
la Facturation Détaillée, alors payante, sera généralisée
à l'ensemble des commutateurs semi-électroniques et électroniques
temporels. Nota : les quatre derniers chiffres des numéros
de téléphones (MCDU) sont alors systématiquement
occultés (pour la paix des ménages...)
Malgré toutes ces améliorations le nombre de réclamations
sur facture contine à augmenter pour les abonnés ne disposant
pas ou ne nésirant pas la facturation détaillée.
La défaillance technique n'était quasiment plus possible,
depuis le début, il restait le problème de la "triche".
Le processus de facturation bimestrielle en cour pour une majorité
d'abonnés ne pouvait pas justifier les réclamations d'abonnés
de bonne foi qui avaient une consommation et un comportement régulier
puis subissaient des factures incohérentes de bimestre en bimestre.
1985 il y a 9 millions d'abonnés avec la facturation détaillée
et 15 millions fin 1986. Mais il faut attendre par couurier le détail
de la facturation à la fin du bimestre.
1984-86 Arrive l'application informatique GESTAX
Conçue, développée et mise en exploitation par
4 techniciens du Centre Principal d'Exploitation de Fontainebleau,
avec l'aide du CNET qui a fournis le premier mini
ordinateur SM90 sous Unix concu par le Cnet. Cette application connéctée
à un petit boitier éléctronique (l'ARDS automate
de recopie de données), aspire chaque message de taxation issu
des centres téléphoniques éléctroniques
comme les E10, Mt25 ... Ces données étaient stockées
localement sur l'ordinateur pendant 6 mois et analysées chaque
nuit afin de fournir journalièrement aux services commérciaux
les résultats d'analyses de comportement des consommations
téléphoniques de chaque abonné. La dernière
version permettait aussi de produire localement une facturation détaillée
au jour le jour ainsi qu'une facturation détaillée
inversée quand les conversations étaient locales, alors
que la facturatin détaillée de l'époque n'était
disponible qu'en fin de bimestre.
Ce projet parmi les 92 présentés au jury national des
suggestions des télécoms a été retenu et
récompensé de 20 000 fr, en présence du ministre
des PTT J. Dondoux. L'application GESTAX est présentée
en démonstration au SICOB 1986 où elle remporta un vif
succès.
Après le Cpe de Fontainebleau suivent de peu Alençon,
Montargis, Saint-Malo ... Déploiement à partir 1986.
Plus tard GESTAX a été renommée GESCOMPTE.
Le système permet :
- Une gestion aisée des données de taxation à distance,
à partir des bureaux de comptabilité, ou des agences.
En effet, l'on ne dérange plus l'équipe des techniciens
de commutation pour aller faire un relevé manuel dans les Commutateurs
électroniques ou électromécaniques ( Commutateurs
PENTACONTA, CP400 ... certains de ces systèmes les plus anciens
en seront équipés à partir de 1989).
- De pouvoir rapidement vérifier via un terminal distant
(Télétype ou Minitel ) le relevé compteur journalier
en cas de contestation de la part d'un abonné , faisant tomber
le taux de 4 contestations pour 1.000 lignes à inférieur
à 1 pour 1.000, et mettre fin aux mauvaises surprises en
fin de bimestre.
- D'être alerté rapidement en cas de consommation
anormale, qui peut être le synonyme d'une fraude extérieure,
ou d'un abus d'utilisation par un membre d'une famille, d'un employé
... , et d'alerter rapidement l'abonné de ce qui paraît
être une anomalie,
- Avec l'évolution des versions, Gescompte était
en mesure de dresser une facturation détaillée et inversée
pour les communications provenant du centre téléphonique
concerné.
1986 M. François Autain appelle l'attention de M. le ministre
de l'industrie, des P. et T. et du tourisme sur l'incapacité
des services des P.et T. à résoudre le problème
posé par les erreurs intervenant dans la facturation des communications
téléphoniques de certains abonnés. En attendant
la mise en place généralisée de la facturation
détaillée qui devrait faire disparaître ce genre
de litige, il lui demande ce qu'il compte faire pour apurer ce contentieux.
R réponse du ministre des PTT
En attendant, s'il manque aux services lors de l'instruction des
contestations un élément aussi irremplaçable que
le détail des communications demandées par l'abonné
durant la période en cause, ceux-ci ne sont cependant pas totalement
démunis : dans tous les cas, la mise en observation de la ligne
à la suite de la contestation fait souvent apparaître une
mauvaise maîtrise de son trafic par l'abonné, voire une
utilisation de son poste à son insu ; sur un nombre sans cesse
croissant de commutateurs, il est possible d'avoir, à défaut
du détail des communications, une information plus fine que la
consommation globale du bimestre : par exemple le détail des
communications internationales ou vers Télétel ; ou encore
la répartition par jour de la consommation (système
" Gestax "), pouvant mettre en évidence certaines
anomalies temporaires. En tout état de cause, des instructions
ont été adressées aux services pour qu'ils procèdent
avec une vigilance toute particulière aux vérifications
habituellement pratiquées en cas de litige de facturation.
Compte rendu de l'ASSEMBLEE NATIONALE - 3• SEANCE
DU 31 OCTOBR' 1986
M . le présidant. La parole est à
M . Alain Richard.
M . Alain Richard . J'aborderai le problème de la qualité
du service des télécommunications.
La qualité de la transmission des télécommunications
n'est pas douteuse . La diminution substantielle du nombre de dérangements,
soulignée par M. Poniatowski dans son rapport, montre que
des améliorations continuent à se produire et que
la charte de gestion a accompli une bonne partie de sa mission.
En revanche, une difficulté persiste dans les relations commerciales
de l'usager, individuel ou entreprise, avec l'exploitant du service
: il s'agit du problème de la facturation, de sa fiabilité
et des litiges qui leur sont relatifs.
La facturation est discutée, c'est un fait, et elle n'est
pas indiscutable . Quantité d'aléas techniques et
physiques - que tous les « bricoleurs » des télécommunications
citent à l'envi - peuvent affecter le nombre d'impulsions
qui détermine le montant d'unités facturées.
Le risque est mince statistiquement, mais il est impossible à
supprimer et aboutit à des aberrations dans un certain nombre
de cas . J'observe d'ailleurs que, avec une grande constance, le
ministère des P . et T . s'abstient de publier les statistiques
à cet égard . Il n 'existe pas de procédure
de vérification contradictoire ni d'arbitrage des litiges
. L'exploitant du service dit son chiffre et apprécie unilatéralement,
selon une méthode purement administrative, si ce chiffre
mérite d'être révisé ou non . La
facturation détaillée, qui est d'un coût acceptable
mais relativement dissuasif, ne change pas cette situation de dissymétrie
puisqu'elle n'a pas valeur de preuve.
Les préoccupations de service public que vous avez justement
rappelées et le souci d'une contractualisation plus loyale
des rapports avec le client justifient une amélioration de
cette relation et l' introduction d'une véritable possibilité
de conciliation selon un mécanisme souple qui pourrait comporter
une forme d'association de représentants des usagers.
Je ne propose pas de modèle tout fait, mais je pense qu'il
faut sortir d'un certain immobilisme et rompre, je le répète,
le caractère trop dissymétrique des relations entre
l'exploitant et l'usager lorsqu'il y a litige sur le montant de
I facture.
M . le président . La parole est à M . le ministre
M . le ministre chargé des P. et T. Vous avez parfaitetement
raison, monsieur Richard : votre observation est frappée
au coin du bon sens . Ce problème n'a d'ailleurs pas échappé
à la direction générale des télécommunications
. La tendance consiste à considérer de plus en plus
l'usager comme un client, ce qui nous éloigne de l'administré
et tend à prouver que nous sommes de plus en plus une entreprise
et de moins en moins une administration . Certes, le nombre de
500 000 contestations est très important, mais il faut le
rapporter aux quelque 120 millions de factures expédiées
chaque année . 5 contestations pour 1000 : cela reste dans
le domaine du raisonnable.
A ce problème technique, nous pouvons répondre par
la facturation détaillée. Celle-ci coûtait 10
francs par mois jusqu'à présent ; elle coûtera
8 francs par mois désormais. Nous la facturons parce qu'il
s'agit d'un service supplémentaire et que nous avons une
politique de l'abonnement le plus bas possible . Or la facturation
détaillée suppose des équipements que ne possèdent
pas encore tous nos centraux . J'ai pris l'engagement que tous seraient
équipés pour 1989.
La facturation détaillée s'accompagne d'un service
nouveau, actuellement expérimenté en Ille-et-Vilaine,
le service Gestax . C'est un service d'alerte permanente
au bénéfice de l'usager, qui fonctionne à l'initiative
de la D .G .T., c'est-à-dire des centraux téléphoniques
. Nous surveillons la consommation de chaque abonné par rapport
à sa consommation moyenne . Lorsqu'il y a un dérapage
important, nous prévenons l'abonné en lui disant :
« Cela fait quinze jours que vous êtes nettement au-dessus
de la norme . Que se passe-t-il ? » . Ce servie existe d'ailleurs
dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis, où l'on vous
appelle parfois directement en vous demandant : « Etes-vous
d'accord, votre consommation nous parait anormale . »
La facturation détaillée, d'une part, et l'extension
progressive du système Gestax, d'autre part, devraient limiter
le nombre des conflits.
Cela étant, les télécommunications ne sont
pas parfaites et la technique suppose des erreurs. J'ajoute que
les clients ne sont pas non plus toujours parfaits . Soit de bonne
foi, soit par malice, ils ont parfois des comportements qui aboutissent
à des contentieux lourds . Tous les services commerciaux
s'efforcent d'avoir l'attitude la plus ouverte, la plus humaine
possible, et nous essayons de régler les problèmes
au cas par cas.
Je concède que dans les grandes agglomérations, en
particulier dans les zones urbaines de ta région parisienne
. il ne peut y avoir ces liens personnalisés qui se tissent
dans d'autres départements mais, avec 24 millions de lignes
installées, il est à peu prés inévitable
qu'il y ait de temps à autre des comportements insatisfaisants
. Nous sommes très attentifs à ce problème
et la technique permettra de limiter les litiges, mais nous ne pourrons
pas atteindre la perfection . Ce serait sinon la faillite des avocats
et ce serait bien dommage pour cette profession !
... |
Les espoirs : redécouvrir l’abonné
Pour améliorer la satisfaction de l’usager, il faut
agir avant comme pendant le litige.
- Pour prévenir les réclamations, mieux vaut constater,
comme le faisait récemment le chef du groupement de contrôle
de gestion commerciale des télécommunications, que «l’exigence
des abonnés a augmenté ». Les initiatives prises
récemment par le ministère autour de l’idée
de «charte du consommateur » de télécommunications
vont dans le bon sens. Le contrat téléphonique est un
contrat verbal d’adhésion dont les clauses sont peu connues
des clients; il sera donc remis à chaque abonné un document
précisant les droits et obligations, les tarifs, les possibilités
de facturation détaillée, les services annexés,
le calendrier en cas de non paiement et les modalités de réclamation.
On peut encore imaginer de parvenir, pour le téléphone,
à ce que le minitel offre d’ores et déjà :
l’affichage du coût de chaque communication. Même si
le «combiné téléphonique anti-réclamation
» n’est pas encore en service, ne doutons pas que l’évolution
accélérée des techniques de télécommunications
ouvrira, dans les pro¬ chaines années, des voies nouvelles
à la sécurité financière des abonnés.
Encore faut-il que les choix économiques et commerciaux soient
faits à temps, sans perdre de vue qu’un usager «captif
» peut cacher un client exigeant. D’autres services publics
à monopole suivent ce chemin.
- Si la réclamation naît, elle doit être traitée
par des voies rapides, personnalisées et efficaces
— Rapides, car le calendrier du recours doit être aussi «serré
» que celui de la sanction suspension-résiliation.
— Personnalisées, car les lettres-types
informant l’intéressé «que les contrôles
menés aussitôt n’ont révélé aucune
anomalie » auraient plutôt pour effet de multiplier l’ardeur
contentieuse de l’abonné. Ignorant la nature de ces contrôles,
leurs méthodes, leurs dates et leurs résultats, celui-ci
aura le sentiment d’être «débouté, sans
autre forme de procès ». Le ministre des PTT a rappelé
à ses chefs de service, par circulaire du 30 décembre
1986, la nécessité de traiter de façon particulière
chaque dossier de réclamation.
— Efficaces, car le nombre des factures des
PTT justifierait des formes nouvelles de discussion : qu’il s’agisse
d’appel au sein de l’administration elle-même, lorsque
l’agence commerciale locale a dit son dernier mot, ou qu’il
s’agisse d’approfondir des expériences de commissions
indépendantes statuant avant tout contentieux. A cet égard,
il serait probablement dommage que l’administration abandonne trop
rapide¬ ment toute perspective de mise en place de commissions de
conciliation : l’expérience de 1983-1984 à la direction
opérationnelle de Melun n’a pas répondu aux espoirs
des PTT.
D’autres tentatives dont le bilan serait contradictoire, pourraient
donner un résultat différent.
- Reste le domaine sensible de la charge de la
preuve. En cette matière, l’évolution ne viendra
pas tant du juge ou du légiste que de l’ingénieur
et du financier. Les deux «atouts » du service sont «GESTAX
» et «FADET »...
Le premier, l’instrument d’enregistrement
de la consommation quotidienne téléphonique avec mémorisation
sur 6 mois, permet de renseigner les abonnés directement —
et bientôt par minitel — sur le montant de leur facture.
Le système a été testé à Fontainebleau
et Alençon et sera opérationnel en 1988.
Par le second — facturation détaillée
— , plus de 600 000 abonnés reçoivent une facture
qui détaille appel par appel leur consommation. Pour éviter
les situations de vaudeville, seuls les 4 premiers chiffres sont indiqués,
assez pour connaître le coût et la région ou le pays
de l’appel, pas assez pour identifier l’interlocuteur de l’abonné.
Le coût de ce service a baissé (8 F par mois depuis octobre
1986) mais il n’est pas encore utilisé comme il pourrait
l’être. Notons que «FADET » permettra aux techniciens
des télécommunications de rejoindre leurs collègues
de la Poste qui, depuis des lustres, adressent à leurs clients
de comptes postaux, un relevé pour chaque opération.
Si l’on ajoute que les possibilités
techniques permettront d’autres services comme l’identification
de toutes les communications chères ou la photographie hebdomadaire
des compteurs, l’on mesure que la question des preuves va se trouver
posée dans des termes renouvelés dans les prochaines années.
Anticipant cette évolution, le ministère a décidé
une modification de l’article D. 293-1 du code des PTT afin que,
pendant les 6 mois suivant l’émission de la facture, l’administration
tienne à la disposition du client tous éléments
justificatifs de cette facture.
Compte tenu de ces évolutions, il serait possible d’envisager
pour la facturation et les redevances téléphoniques, Yaggiorna-mento
que le fisc, à la suite du rapport de la commission Aicardi en
1986, vient de connaître. Les articles 81 -VI de la loi de finances
du 30 décembre 1986 et 10 de la loi n° 87-502 du 8 juillet
1987 ont su renverser la charge de la preuve qui pesait, dans un assez
grand nombre de cas, sur le contribuable.
Les télécommunications sauront prendre leur part de cette
amélioration des relations avec cet abonné qui hésite
entre la résignation de l’usager et la méfiance du
client. Le Médiateur vient de proposer une réforme tendant
à mettre la preuve du bien fondé des factures téléphoniques
à la charge de l’administration.
1991 : Fin de la
Taxation mémorisée sur les compteurs mécaniques.
En cours depuis 1988 sur l'ensemble des commutateurs électroniques,
les commutateurs électromécaniques de type crossbar voient
eux aussi en fin 1991 la mémorisation de la taxation de chaque
abonné être informatisée via l'application de Gescompte.
Désormais, la traditionnelle photographie des compteurs
électromécaniques individuels d'abonnés installés
au Centre Téléphonique appartient au passé, et
permet statistiquement une division par 10 des réclamations sur
la facturation.
Dèjà en 1990 La facturation détaillée
est accessible, sans changement du numéro d'appel, à tous
les abonnés reliés sur centraux électroniques,
soit 22 millions sur 28. Pour les autres, encore reliés sur centraux
électromécaniques, l'accès au service est néanmoins
possible à condition qu'ils consentent à une modification
de leur numéro d'appel.(rapport du Sénat)
Sommaire
2024 La demande ponctuelle d'un relevé
des consommations est gratuite. Elle vous permet d'obtenir notamment
le contenu détaillé de vos communications et de vos "autres
usages" d'une de vos factures émises sur les douze derniers
mois.
Vous avez la possibilité de personnaliser le niveau de détail
de vos factures, en activant ou désactivant le paramètre
"facture détaillée" depuis votre Espace client
ou via l'application de l'opérateur. Cela vous permet d'avoir
un réel aperçu de vos consommations émises avec
votre mobile, votre ligne fixe ou votre Livebox.
Avec la facturation détaillée disponible sur les centres
de facturation, la généralisations des centres éléctroniques,
la gratuité du service facturation détaillée pour
la plupart des offres des opérateurs, le déploiement de
la téléphonie mobile répondant aux mêmes
enjeux, puis l'arrivée de la Viso (téléphonie sur
internet), les réclamations sur la consommation téléphonie
a pratiquement disparue.
Aujourd'hui :
Si vous estimez que votre facture téléphonique est trop
élevée, vous avez la possibilité d'en contester
le montant.
Attention : même si vous souhaitez contester le montant d'une
facture, il faut dans un premier temps payer la facture.
Pour contester le montant de votre facture téléphonique,
vous avez la possibilité de demander à votre fournisseur
de réexaminer la facture.
Vous avez ensuite la possibilité de faire une lettre de contestation
pour réclamer un remboursement.
Si la situation reste inchangée, vous avez la possibilité
de contester la facture auprès du juge compétent.
On vous conseille de contacter le service client de votre
fournisseur téléphonique, pour trouver avec lui une solution.
Vous devez alors lui expliquer la situation : signalez-lui l'anomalie
dans votre facture et demandez-lui de la réexaminer.
Bon à savoir: vous avez le droit de demander à votre fournisseur
téléphonique une facturation détaillée. Cette
facturation pourra potentiellement vous permettre de détecter le
problème par vous-même.
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