1930 Comme nous venons de le voir la stratégie fixée par l'administration Rotary, R6 , Strowger, est enfin en marche.
Pour le téléphone automatique rural rien n'est encore bien défini, la demande s'accroit, le retard pèse.

L'heure est venue pour les politiques de débattre devant le Sénat pour faire le point, exposer la situation .... Le débat parlementaire du 3 juillet 1930 ci dessous, présidé par Paul Doumer est très interessant pour bien analyser la situation, de notre France et des autres pays en matière de déploiement du téléphone, des doutes, des choix, des décisions ...
(C'est long mais intéressant )

DISCUSSION DE L'INTERPELLATION DE M. JEAN PHILIP SUR LA REORGANISATION DU TELEPHONE FRANÇAIS

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de l'interpellation de M.Jean Philip sur le monopole de fait que l'administration a concédé à un trust améticain dans la réorganisation du téléphone français.

J'ai à donner connaissance au Sénat du décret suivant:
Le Présidènt de la République française, sur la proposition du ministre des postes, télégraphes et téléphones,
Vu l'article 6, paragraphe 2, de la loi constitutionnelle du. 16 juillet 1875 sur les rapports des. pouvoirs publics qui dispose que les ministres peuvent se faire assister devant les deux Chambres par des, commissaires désignés pour la discussion d'un projet de loi déterminé,
Décrète :
Art. 1er. — M. Quenot, conseiller d'Etat en service extraordinaire, directeur du service central est désigné, en qualité de commissaire du Gouvernement, pour assister le ministre des postes, télégraphes et téléphones au Sénat, dans la discussion ; de l'interpellation sur le monopole de fait que l'administration a concédé à un trust américain dans la réorganisation du téléphone français.
Art. 2. — Le ministre des postes, télégraphes et téléphones est chargé de l'exécution du présent décret
Fait à Paris, le 10 juin, 1930 « GASTON DOUMERGUE
Par le Président de la République : Le ministre des postes, télégraphes et téléphones, « MALLARMÉ. »

La parole est à. M. Philip pour développer son interpellation.
M. Jean Philip, Messieurs, mon premier mot sera pour remercier M. le ministre des postes d'avoir bien voulu accepter de répondre à l'interpellation que je vais avoir l'honneur de développer, aussi brièvement que possible, devant vous. Il montre par tlà, à n'en pas douter, son désir que toute la. vérité soit dite sur le monopole de fait qui, à mon sens, a été concédé à une firme américaine pour la réfection du réseau: téléphonique français.Son désir est exactement le mien. Voilà, plusieurs années que je m'occupe et que je me préoccupe de la réorganisation de la téléphonie. Je me crois, par conséquent, en droit de défendre, à cette tribune, la thèse que j'a'i toujours soutenue.
Il y a quatre ans, j'avais demandé que les prestations en nature fussent utilisées; pour amorcer le programme des grands travaux. D'ailleurs en vain. Depuis, je reconnais que la question a changé d'aspect, puisque le plan Dawes a été remplacé par le plan Young et que des positions fâcheuses ont été prises.
M. Joseph Caillaux. Hélas!
M. Jean Philip, Cependant, cette question reste de la première importance. Aujourd'hui donc, monsieur le ministre, je m'adresse à vous, non pas que vous soyez, je me plais à le reconnaître, personnellement responsable — vous n'étiez pas à cette époque au ministère des postes du fait que je vais signaler, mais parce que vous êtes le chef de l'administration que je vais mettre en cause.
Ai-je besoin de le dire, j'élèverai le débat au-dessus de toutes les questions de personne; de tous les partis pris passionnés ? (Très bien.! très bien!) Je n'attaque pas des hommes, mais un système.
C'est pourquoi .vous me permettrez de passer sous silence les assertions calomnieuses dont un de nos collègues de la chambre, M. Jouffrault, et moi-même avons été l'objet de la part d'un certain nombre d'agents techniques, dissimulés d'ailleurs tirés prudemment derrière un anonymat collectif. Je me contente de souhaiter que ces agents vaillent mieux comme techniciens que comme polémistes (sourires), sans quoi, je serais fort en, souci pour la réorganisation. du téléphone: français.
Un de vos. prédécesseurs, monsieur le ministre, me disait, dans le tête à tête de son cabinet, qu'il n'était pas l'homme d'une firme. J'en étais naturellement bien convaincu!. Vous ne l'êtes pas non. plus, je ne le suis pas davantage. (Très bien! très bien!)
C'est pourquoi je suis certain qu'après des explications courtoises, si des divergences d'appréciation restent entre nous, nous pourrons, du moins, nous rapprocher sur le terrain solide de l'intérêt général, dans la seule et même préoccupar tion du bien publi.. (Très bien! et applaudissements.)
Où en est la France au point de vue du téléphone ?
Sans entrer dans le détail des comparaisons et des faits, on peut dire, sans crainte de se tromper, qu'elle est largement distancée par beaucoup de grandes et par un certain nombre de petites nations. On. nous a promis, un peu imprudemment je crois, l'âge d'or téléphonique pour 1931. ( Très bien!) En attendant, c'est l'âge de fer; d'aucuns, certainement mal intentionnés, disent même « de la ferraille ». (Sourires.)
L'étranger qui vient en France s'étonne de notre formidable retard; les usagers s'exaspèrent et j'ai dans mon dossier la lettre de l'un d'eux qui traduisait son sentiment sous une forme, très expressive, quoique excessive, et m'écrivait: « C'est infect ! » Quant à l'a. presse, elle ne tarit pas en critiques et en sarcasmes, et je songe à. cette caricature d'un grand journal parisien qui représentait un abonné moribond, penché pour la dernière fois sur son, téléphone et tout joyeux tout de son même parce qu'on lui donnait enfin in extremis la communication qu'il attendait depuis des années. (Très bien! et rires.)
Sur ce retard, qui nous est si préjudidahle voici quelques chiffres qui, bien que déjà anciens, sont néanmoins instructifs, car si nous avons fait des progrès, les autres nations en ont fait aussi: les proportions restent à peu près les mêmes.
A la fin de 1921, on comptait en France : 1 poste pour 100 habitants, alors qu'on en comptait 3 en Suisse et en Allemagne, 4 en Norvège, 5 en Suède et au Danemark et 10 aux Etats-Unis. Une seule ville chez nous était équipée en automatique: Nice.
Les nations étrangères ont conservé leur formidable. avance : en Amérique, on compte 160 communications en moyenne par habitant contre 12 en France. En Angleterre, il y a. des cabines téléphoniques publiques dans toutes les rues. A Stockliolm, la ville du monde où le téléphone fonctionne le mieux et qui compte 31 ipostes par 100 habitants, on a une communication en deux ou trois secondes ; une attente de dix secondes est considérée comme anormale. (Très bien!)
Le téléphone est partout, il sert à tout et à tous, à la maîtresse de maison pour ses achats, à la ménagère pour son marché, à l'écolier pour ses études, à l'ouvrier et à l'homme de la rue, au marin qui débarque et dont le bateau est tout de suite branché sur le réseau téléphonique. En Allemagne, l'automatique fonctionne dans 192 grands bureaux avec un million de lignes et dans 298 petite bureaux ou bureaux locaux, avec 57.000 lignes.
Pourquoi sommes-nous si loin du compte ? L'explication est simple tous les pays que j'ai cites et dans beaucoup d'autres, le téléphoné est fait pour l'abonné, tandis que chez nous les services d'exploitation sont étroitement et injustement subordonnés aux services technique, c'est l'abonné qui est encore à la merci du téléphone. (Très bien ! très bien)
En face de cette carence française, l'inertie de l'administration et disons le aussi, du Parlement devenait un véritablescandale. Il fallut réagir. D'au en 1922 la première amorce du programme de grande travaux qui envisageait la réfection totale de l'outillage economique fraçais dans une période de dix années avec une dépense de 2 milliards. Dès le 30 Juin 1923, le Parlement votait le crédit de 1 milliard dans ce but.
Une fois le programme d'ensemnle arrrêté, les crédits votés, par qui et omment allaient être faits, ces travaux ?
Messieurs, l'administration des postes ne voulut à aucun prix — c'est de l'histoire ancienne, mais je crois que qu'il est bon de le rappeler très brièvement --- des prestations en nature. Première et grave erreur à mon sens, dont nous portons encore tout le poids !
Le plan Dawes, vous le savez mettait à notre. disposition des fournitures considérables. L'Allemagne qui était une spécialiste du téléphone, eût donc pu efficacement collaborer à notre équipement.
C'est ce que de1 nombreux parlementaires ont demandé à plusieurs reprise, le 20 avril1928, je le demandais à cette tribune. Deux jours après, M. Candace er M Paul Laffont, aujourd'hui notre collégue, intervenaient à leur tour à la chambre, Mr Laffont plus particulièrement qualifié comme ancien sous-secrétaire d'état des postes, télégraphes et téléphone disait notamment ceci :
Quand, en 1923, je me suis rendu compte que l'industrie n'avait ni le matériel, ni le personnel nécessaire pour effécuter les travaux, nous pensé alors aux prestations en nature.Nous avons établi un programme de travaux à faire effetuer par l'Allemagne au titre des prestations.Ils s'elevait à 100 miilions de Marks Or. L'Allemagne était au point de vue technique en situation de l'executer, elle a des maisons de constrnction puissement outillées.
M. Paul Laffont citait, entre autre la maison Siemens qui a équipé en automatique à peu près toute l'Allemagne.
M. André Fallières, sous secretaire d'état aux finances et M, le rapporteur géneral de la Chambre des députés, abondaient dans le même sens.
Or que fit on ? Rien, absolument Rien. Les prestations furent écartees malgré l'avis favorable du comité technique luimême.
Les techniciens intervinrent pour épiloguer, biaiser, tergiverser, décourager les constructeurs allemands qu se présentaient dans leurs bureaux. Ils invoqiaient les intérêts des industriels français qui n'étaient en aucune façon menacés et à cause de la défense nationale, nullement compromise du fait qu'on aurait pu se servir d'appareils telephoniques d'origine allemande comme comme on se servait comme on se sert encore de de bateux allemands, de poteaux allemands, de wagons allemands, de charbon allemand (Très bien! très bien!) de
Et même lorsque, en désespoire de cause et parce qu'on ne savait coment déployer le reliquat formidable que nous donnaient les prestations, on mis 2 milliards à titre gratuit à la disposition des divers ministères, notre administration des postes s'arrangea pour ne faire une demande que lorsque tous les crédits étaient épuisés.
Je me trompe. Il y eut cependant , il y aeut quelque chose de fait par l'administration des téléphones au titre des réparations en nature, ce fut le câble de Paris-Bordeaux et 20 000 postes 1924. Ces postes : si je puis dire, un contres ens de l'administration puisqu'ils auraient tout auusi bien hien être fabriqués par les Producteurs français qui étaient outillés à cet effet.
Mr Louis
Tissier. Très bien!
M. Jean Philip, Quant au câble Paris-Bordeaux il fnt commandé en Allemagne, mais les matières premières furent prises et payées à l'Angleterre. L'administration preferait acheter très cher à nos administration à nos créaanciers ce qu'elle aurait pu obtenir à meilleurs comptes de nos débiteurs. (Très bien! très bien)
Mr Louis
Tissier. c'est vrai !
M. Jean Philip, On n'a donc pas utilisé les prestations en nature pour l'équipement des centraux téléphoniques. On a recourir à l'emprunt; de sorte que, pendant une trentaine d'années, nous payerons nous et nos enfants, des intétêts que les appareils seront depuis longtemps usés. (Très bien! très bien!)
A vrai dire cette attitude de l'admimstration des postes m'a toujours paru extraordinaire et je la considérerais comme même inexplicable s, à i ce moment, nous ne voyons déjà surgir l'homme, l'homme dont j'ai maintenant à vous pailer. Cet homme est le colonel Behn.
C'est messieurs une bien curieuse figure ce colonel Behn, colonel comme tout le monde l'est en Amérique, mais colonel d'affaires. (Sourires.)
M Hervey. Ce n'est pas un général ?
M. Jean Philip, Comment le petit plantiers de cocotiers de Porto-Rico auquel, à cause de son n humeur onctueuse et de leurs manières affables, ses intimes avaient donnés le surnom ai mable d'Eliacin, est il devenu l'homme qui est en train de prendre d'assaut toutes les firmes téléphoniques et télégraphiques du monde ? Ce serait trop long à dire. Il suffit de savoir en définitive l'œuvre nous intéresse beaucoup plus que l'homme - que depuis 1920 il préside aux destinées extrêmement florissante de l' International Téléphone and Télégraphe Corporation en abrégé I. T. T. Et voici, pour nous édifier sur ce qu'est l'I. T. T. un extrait du discours que, par une curieuse coinidene, prononçait le 8 avril 1930, à la chambre des lords, l'honorable lord Charendon, qu'animaient des préoccupations semblables, à celles que J'apporte, à cette tribune.
Voici ce que disait lord Clarendon en commentant un livre Anglias intitulé, l'Amérique conquiert l'Angleterre ; je m'excuse de la citation qui est un peu longue (Lisez, lisez) mais elle est je crois de nature à vous intéresser.
M Jenouvrier
. C'est aussi triste qu'intéressant.
M. Jean Philip Voici la citation : Téléphone and Télégraphe Corporation a débuté en 1920 c'est à dire il y a dix ans. Elle a été organisée par deux frères MM Behn. Elle a débuté avec un capital initial de 6 millions de dollars et ses bénéfices bruts annuels ont atteint en 1928 la somme de 81.900.000 dollars.
L'I. T. T. a conquis la plus grande partie de l'Amérique latine, elle a envahi l'Europe et s'étend maintenant de plus en plus dans toutes les directions. En 1920, cette entreprise a commencé par acheter les réseaux téléphoniques de Cuba et de PortoRico. Traversant l'Atlantique, l'I. T. T. rachète ensuite, en 1924, au gouvernement espagnol, 80 pour 100 des réseaux téléphoniques de ce pays, et réorganise tous ces réseaux. Elle poursuit ses acquisitions en 1925, en rachetant la Western Electric et l'Ameican and Telegraph, qui apparteinaient autrefois à l'International Western Electric. Elle réorganise cette dernière compagnie et lui installe des usines à Londres, Anvers, Vienne, Paris, Madrid, la Haye, Budapest, Milan, Tokio, Shanghaï et autres grandes villes à l'étranger.
Les Teleiphone-Holdiings du Trust Européen, après avoir acquis les intérêts de la compagnie française Thomson-Houston, obtinrent les marchés ipour la réorganisation des réseaux téléphoniques de Paris et d'autres villes.
En ce qui concerne l'activité de l'I.T.T. en Amérique même, il est à remarquer qu'en 1927, elle avait acquis tous les réseaux américains (30.000 kilomètres de lignes de terre et sous-marines de T. S. F.) qui relient les Etats-Unis à l'Amérique centrale et à l'Amérique du Sud. Cette acquisition fut suivie de celle des lignes téléphoniques au Chili, au Brésil méridional, Montevideo et dans certaines régions de l'Uruguay et du Mexique, ainsi que d'une concession de T. S. F. au Pérou.
Le trust continua ensuite à s'agrandir en absorbant, en 1928, le système Mackav, y compris les réseaux télégraphiques des Etats-Unis, les câbles du Pacifique et de l'Atlantique (27.000 kilomètres) et des stations de T. S. F. De toutes ces affaires, il résulta que les bénéfices bruis de l' I. T. T. atteignirent 118 p. 100 en 1928. Après avoir racheté le système Mackay et les systèmes de câbles de toute l'Amérique, l'I.T. T. obtient, en 1929, le monopole de câbles au Vénézuela, détenu précédemment par des Français. D'autres acquisitions réalisées récemment par cette entreprise comprennent des concessions radio-téléphoniques et télégraphiques dans le Nicaragua, l'Equateur, le Pérou et la Colombie. On prétend que l'L I.T. T. contrôle à l'heure actuelle environ deux tiers des 1.500.000 téléphones de l'Amérique du Sud.
Et j'ajoute à cette énumération, déjà pourtant bien longue que 1'1. T. T. est en train de racheter presque toutes les gràndes firmes téléphoniques allemandes.
Messieurs, je m'excuse, encore une fois, de cette citation fastidieuse (Non! non!), mais elle montre bien le développement de ces trusts monstrueux qui, comme de véritables tornades venues d'oiftre-Atlantique, balayent et renversent tout sur leur passage. (Très bien! très bien! et applaudissements.) J'ai eu sous les yeux un planisphère indiquant les 97.000 kilomètres de câbles sous-marins, les 600.000 kilomètres de lignes téléphoniques et télégraphiques, les innombrables postes de radio que possède l'I. T. T. Ils tiennent le globe tout entier dans le réseau inextricable de leurs mailles. Demain, quand la radiodiffusion française sera entre les mains du colonel Behn — et, si on n'y met bon ordre, soyez sûrs qu'elle sera à lui — le colonel Behn, d'un mot, d'un geste, pourra à son gré distribuer ou arrêter la diffusion de la pensée humaine à travers le monde. (Très bien! très bien! et applaudissements.)
Voilà à quel homme, à quelle société a été donné en 1920 le réseau téléphonique parisien.
M. Hervey. C'est tout de même extraordinaire.
M. Jean Philip. Il faut dire que, depuis quelques années, les financiers étrangers rôdaient autour de nos monopoles. Vous vous souvenez qu'ils avaient convoité le monopole des tabacs; inutilement. Ils se rabattirent ensuite sur les téléphones.
Première tentative en 1922. Elle fut repoussée grâce précisément à l'énergie et à la clairvoyance de notre ami et collègue M.Paul Laffont.
Deuxième attaque, deux ans plus tard, et menée cette fois par le groupe Behn.
C'était alors M. Pierre Robert, encore un de nos collègues et de nos amis, qui était sous-secrétaire d'Etat des postes.
M. Pierre Robert, à son tour, écartait résolument toute ingérence étrangère et, dans une lettre écrite le 8 novembre 1924 au ministre des finances, pesait les principes suivant-lesquels la fourniture de l'automatique de Paris devait être réalisée.
1° Concours technique pour le choix d'un système. Ici, il ne pouvait, en effet, y avoir qu'un seul système pour équiper Paris.
2° Commandes réparties entre les divers fournisseurs afin que, en échange de la fourniture des 40.000 premières lignes, soit 80 millions de francs, le constructeur choisi abandonnât à l'Etat ses brevets et ses licences et que la concurrence pût librement s'exercer.
M. Pierre Robert comptait bien que la concurrence, d'après le principe très sage qu'il avait adopté, dût librement jouer.
Et d'autres y comptaient avec lui. Il n'en fut lien et je vais dire pourquoi.
Le concours annoncé eut lieu, si je ne me trompe, vers la fin de 1926. Cinq concurrents s'étaient présentés. Trois projets furent retenus: le projet de l'Ericsson, société suédoise, le projet du Matériel téléphonique; qui déjià, d'accord avec la Manufacturing Bell, d'Anvers, fabriquait du rotary pour le compte de la firme américaine, puisqu'il avait été complètement racheté par I. T. T.; enfin le projet. de la Thomson-Houston qui, elle, n'avait encore été rachetée qu'à moitié, et qui fabriquait le système strowger.
Tels étaient les trois projets en présence.
Celui d'Ericsson fut écarté à cause de son prix, supérieur de 12 pour 100. La différence entre le rotary et le strowger n'était que de 3:p. 100. Il semble bien que, si des offres eûssent été demandées d'une façon plus précise, cette différence eût disparu. Il semble qu'il eût été très souhaitable, à ce moment-là, que Je Strowger fût choisi. Car il était fabriqué par trois maisons françaises, la société Thomson-Houston qui était encore à moitié française, la société industrielle des téléphones, et la société Grammont. De plus, il y avait aussi une maison allemande, la Siemens. qiui fabriquait du strowger, et qui aurait pu concourir au titre des prestations en nature. En face, au contraire, il n'y avait que le Matériel téléphonique pour fabriquer du rotary.
C'est alors que se produisit un coup de théâtre savamment et habilement préparé. La société Thomson-Houston, avec le reste d'indépendance dont elle jouissait encore, gênait beaucoup le colonel Behn avec son strowger.
Le colonel voulait que Paris fût équipé en rotary. Il acheta donc la Thomson Houston. Dès lors plus de concurrent.
C'est un fait que l'administration des postes reconnaît clle-niême. lorsqu'elle avoue qu'à partir de ce moment-là toute .concurrence fut supprimée.
Il fallut donc s'incliner et prendre le rotary du colonel Behn. Et ici, messieurs, je vous demande la permission de citer quelques lignes du rapport de M. Joufïrault, dont j'ai prononcé le nom tout à l'heure.
M. Joufïrault est le député qui, en 1926, fut chargé par la commission des marchés de rapporter cette question de la réorganisation téléphonique. Ce rapport est tout. à fait remarquable. Ceux d'entre vous qui voudront connaître le détail et même les dessous, car il y a des dessous, de la question, doivent le lire. Voici ces lignes :
A l'époque à laquelle a été préparé le cahier des charges applicable au concours de l'automatique de Paris, les intérêts du Trésor paraissaient suffisamment sauvegardés contre l'éventualité dè prétentions excessives du constructeur, déclaré adjudicataire, par l'existence d'une concurrence effective entre les cinq maisons conviées au concours. Ces maisons constituaient des firmes absolument distinctes et, dans une large mesure, rivales les unes des autres.
Cette situation de fait, jointe à l'obligation, pour le constructeur adjudicataire, de faire abandon gratuit et total de ses droits de brevets (art. 3 du cahier des charges) et de communiquer à ses concurrents toute la documentation susceptible de leur permettre d'assurer la fabrication et le montage du matériel adopté (art. 9), était de nature à donner toutes garanties à l'adnunistration à cet égard.
Un fait nouveau est venu modifier, à ce point de vue, l'état de chose existant: le constructeur français actuellement le mieux outillé pour la fabrication du matériel automatique, la compagnie Thomson Houston, a cédé ses usines de téléphonie à 1' International téléphone and telegrarh .corporation, puissante compagnie américaine, dont la société le Matériel téléphonique est la filiale française. Les deux principales maisons françaises construisant le matériel automatique se trouvent, de ce fait, constituer deux filiales d'une seule et même firme étrangère, et toute concurrence se trouve abolie entre elles.
Voilà, messieurs, la confirmation de ce que je vous disais tout à l'heure.
Ainsi donc, l'administration des postes fût obligée de s'incliner, elle le fit peut être un peu trop rapidement; elle aurait, sans doute, pu se débattre et protester; mais, enfin, elle accepta le rotary.
Lequel vaut le mieux de ces deux systèmes, du rotary ou les organes qui transmettent le mouvement sont en état de rotation continue — d'où le nom de rotary — ou du système strowger, autrement dit « pas à pas », dans lequel l'appareil par des déclenchements successifs s'en va rapidement à la recherche de l'abonné ?
Je n'ai pas la prétention de vous le dtire. Je ne veux pas, je ne pourrais pas, d'ailieurs, entrer dans des considérations techniques puisque je ne suis pas technicien.
Mais j'estime que, dans le pays de Descartes, le sens commun est une chose assez solide pour qu'on y puisse étayer une suffisante et saine appréciation des choses. (Applaudissements.) J'admire les techniciens, et je les redoute. Ils ont toujours la science, c'est entendu ; ils ont presque toujours la conscience, mais d'être des techniciens, ne les empêche pas d'être dès hommes, des hommes avec des préjugés, des hommes qui ne sont pas infaillibles, des hommes qui portent volontiers des œillères, qui sont parfois d'un insupportable orgueil, des hommes qui, lorsqu'ils se trompent vont jusqu'au bout de leur erreur avec une logique implacable, des hommes enfin qui s'enferment parfois dans la technicité comme dans une forteresse où personne ne peut venir les déloger. Car il y a pour certains techniciens le maquis de la technicité, comme il y a pour certains hommes d'affaires le maquis de la procédure. (Sourires et applaudissements.) Ce sont donc des techniciens qui ont accepté le rotary. Je ne doute pas, encore une fois, de leur compétence. Je me permettrai cependant de faire cette simple réflexion, c'est que les comités techniques sont composés pour la plus grande partie d'ingénieurs de l'administration des postes, tous solidaires les uns des autres, et de fonctionnaires des postes, télégraphes et téléphones plus ou moins sous la dépendance des premiers.
Dans ces conditions, on peut, sans être malveillant, supposer que les membres de ces comités, quelles que soient leur honorabilité personnelle, ne jouissent sans doute pas d'une liberté et d'une indépendance entière dans leurs décisions et leur choix. (Très bien! très bien!) Et je ne dirai pas non plus qu'ils ont choisi le rotary uniquement parce que c'est l'I. T. T. qui le présentait, Si c'était vrai, ce serait vraiment trop grave.
Mais alors, où je proteste énergiquement, même quand ce sont des techniciens qui m'apportent des affirmations, c'est lorsqu'on prétend, pour expliquer et justifier le choix qu'on a fait, qu'on a pris le rotary parce qu'il est le système le meilleur et le meilleur marché.
Dire le rotary le système le meilleur ? Est-ce bien sûr ? Personne n'en sait rien, les techniciens pas plus que les autres. Si le rotary a ses admirateurs, il a aussi ses détracteurs. Et je me reporte à l'opinion prudente qu'un technicien, et qui même fait partie de l'administration des postes, exprimait dans les annales des postes, télégraphes et téléphones en mai 1928.
Voici ce qu'écrivait M. Raynaud-Bonin, ingénieur en chef des postes :
Des quatre systèmes en présence, tous étrangers, le panel qui fonctionne en Amérique. — car remarquez-le, messieurs, l'Amérique ne se sert pas du rotary, qu'elle a passé à la France — .le strowger, modifié par Siemens en Allemagne. l'Ericsson et le rotary, et qui sont tous conçus avec une ingéniosité merveilleuse et présentent une grande perfection, l'avenir seul nous dira quel fut le meilleur. »
Vraiment je reste inquiet devant cette parole dubitative. D'autre part, je retiens la. déclaration d'un autre technicien, modeste celui-là, et que je ne nommerai pas pour ne pas le compromettre, qui n'a sans doute pas la science des grands chefs, mais voit fonctionner de près le système, et qui m'affirmait qu'on ne peut plus nier les nomhreuses et graves défectuosités du rotary.
Enfin je rapproche cette déclaration d'une parole singulièrement grave que l'administration a contestée, et qui me fut dite à moi-même et devant témoin par un technicien étranger, tout à fait désintéressé d'ailleurs dans la question : Dans dix ans le rotary sera à mettre dans un musée. (Mouveînents divers.) Messieurs, c'est là une parole extrêmement grave. Je ne souhaite certes pas que cette prophétie se réalise; mais enfin, si par malheur elle se réalisait, qu'elle ne serait pas la responsabilité de ceux qui auraient dépensé des centaines et des centaines de millions pour un système compliqué;: si compliqué que des mécaniciens au terme de quarante ans ne peuvent en apprendre le maniement ? .(Très bien - très bien !)
M. Hervey. Il en sera peut-etre de meme pour les autres systèmes, dans 10 ans.
M. Jean Philip. C'est possible, que collègue, mais je ne puis parler du rotary.
Quant à l'autre argument qu'on invoque en disant que le rotary est le meilleur marché, je dis que celuI-là non plus n'est pas exact. Oui, au moment du marché initial, - je l'ai dit tout à l'heure - le rotary était le système le meilleur marché. Il était meilleur marché de 3 p. 100. Mais dès que la convention a a été conclue, lorsque l'I.T.T a tenu entre ses mains le marché qu'elle convoitait, elle a tout de suite montré des exigences telles que l'admistration des postes a été obligée de consentlr des avenants successifs qui se sont chiffrés par dizaines et dizaines de millions, si bien qu'en définitive on a paye, on paye en ce moment le rotary un tier de plus que le prix primitivement prevu (bien ! très bien!)
Et, de plus, ces tâtonnements ont occasionné des retards considérables- De la des plaintes dont la chambre de commerce de Paris s'est plusieurs fois fait l'écho.
Donc, dire que le Rotary est le système le meilleur, ce n'est pas sur; le système e meilleur, ce n'est pas sur. Dès lors, ceux qui vantent le Rotary devraient bien baisser le ton et se montrer plus prudents. On doit s'attendre à des surprises désagréahles. Les difficultés je crois ont déjà ommencés et si j'en juge par l'embouteillage presque permanent par l'avalanche des faux numéros, par cette course éperdue et quotidienne des mécaniciens affolés à travers les centraux, rechercher la cause de ,dérègements sans nombre, si j'en juge enfin par le mécontentement du public, qui est patent, et même par le mécontentement de ertains de nos collègues qui, m'a-t-oln affirmé ayant chez eux l'automatique, sont obligés de venir téléphoner au Sénat, je suis en droit de dire que ces difficultés ne près de prendre, fin. q j
Messieurs, j'arrête là ces critiques que je crois fondées, mais qui n'étaient aps inutiles. C'est donc entendu, Paris sera équipé en automatique. Le « Matériel Téléphonique » a reçu jusqu'en avril 1930 des commmandes se montant à 275 millions pour les onze centraux mis en chantier, sur les vingt-deux prévus, et pour quatre centre' de transit. Il aura ensuite la seconde tranche c'est-à-dire à peu près tout.
Je dois ici, messieurs, faire une observation loyale. Je la ferai d'autant plus volontier qu'elle semble aller contre la thèse que je défends ici, et que certainement tout à l'heure M. le ministre me l'oposera. Il est très vrai que l'adminitration des postes, après avoir passé cette commande formidable de 276 millions au matériel téléphonique, c'est-à-dire a l'I.T.T a donné deux commutateurs à deux maisons parisiennes. Et l'on me dit vous voyez bien ! votre thèse est infirmée la concurrence joue.
Oui, théoriquement, juriquement la concurrence peut jouer. Et vous me rendrez ce témoignage que je n'ai jamais parlé que du monopole de fait, et non du monopole de droit. Mais industriellement, pratiquement, la concurrence ne jouera pas . La preuve ? C'est que les deux maisons qui fabriquent du Rotary le font payer exactement le même prix que le matériel téléphonique.peut-on parler de conurence lorsqu'il n' y a pas de différence entre les prix ?
Par conséquent venir affirmer que la concurence peut parfaitement s'exercer, c'est je crois jouer sur les mots. En fait,étant donné les difficultés considérables que rencontrent des maisons qui ne sont pas soutenues par des capitaux puissants pour s'outiller en vue d'une fabrication nouvelle et les dépenses non moins considérables qu'entraînent cet outillage et son amortissement, on peut affirmer que les quatre cinquièmes de la commande, de l'énorme commande d'un demi-milliard environ pour le réseau téléphonique de Paris irons à 1 a firme américaine. Le reste, ce sont les miettes qu'on laisse dédaigneusement tomber de la table du festin. (Très bien ! très bien et applaudissements.)
Si ce n'est pas la un véritable monopole, il me parait, n'est-ce pas votre avis ? que c'est quelque chose qui lui ressemble beaucoup. (Très bien! très bien!) C'était d'ailleurs l'opinion générale. Et du moment ou fut passée la convention de 1925 ce fut un véritable tolle dans la presse sauf bien entendu là où avaient les pu porter arguments singulièrement convaiquants du colonel Behn. Je ne cite que les titres de certains articles parce qu'ils mettent en cause des personnes dont je ne veux pas parler ici le scandale des téléphones, le cambriolage des téléphones par une firme américaine, etc. Par contre je lirai la conclusion d'un article paru dans un journal qui n'est suspect à personne, Le Temps
Voici ce qu'écrivait Le Temps, à la date du 24 septembre 1926 :
Ainsi le réseu téléphonique de Paris serait entre les mains de la succursale en Frane d'une grande maison américaine.
Il est vrai qu'une nouvelle adjudication de l'administration des postes, télégraphes et Téléphones, pourrait intervenir plus tard, après l'établissement des 140.000 lignes déjà prévues,mais étant donné les difficultés techniques et financières que représentent pour une usine tout changement introduit dans sa fabrication, on peut affirmer (ce que l'on disais tout à l'heure) qu'en réalité une concurrence efficace avec les américains serait illusoire. 0n se trouve donc en présence d'une entreprise américaine de grande envergure et dont l'enjeu ne serait rien moins que l'indépendane du service téléphonique de Paris et de la France.
C'est ce qu'avait parfaitement compris notre collégue Mr Pierre Robert dans un de sezs rapports si documentés à la commission des travaux publics de la Chambre, c'est enfin la conclusion à laquelle arrivait aussi Mr Jouffrault, député des Deux-Sèvres, remarquable rapport dont je vous ai déjà parlé et dont je citerai quelques lignes :
L'administration prétend que la société Le matériel téléphonique ne possède pas de monopole de fourniture des appareils automatiques destinés à la transformation du réseau de Paris, et qu'elle reste libre de commander des appareils automatique de ce type aux autres constructeurs français. Sans doute la société Le matériel téléphonique ne possède pas un monopole total. Mais les différents constructeurs compteront pour bien peu en comparaison de la société Le matériel téléphonique , et en fait cette dernière société installera la reque totalité des autocommutateurs Parsiens.
Et plus loin pourrait on supposer que l'administration puisse alors ne pas subir les exigences des Américains ?
Et plus loin : Nous avons des raisons de craindre que la transformation du réseau téléphonique de Paris soit en définitive bien onéreuse pour le Trésor et nous exprimons le regret que le contrat n'ait pas contenu des dispositions susceptibles de sauvegarder efficacement l'Etat contre les conséquences d'une absence de concurrence industrielle effective.
Et voici sa conclusion : « La fourniture et l'installation des appareils automatiques destinés au réseau téléphonique de Paris constituent pour l'International Telegraph and Téléphone Corporation le franchissement d'une étape dans une voie qui peut la conduire à l'accaparement du réseau de la capitale d'abord et du réseau de d'Etat ensuite. »
En terminant, M. Joufïrault demandait une enquête. Il est regrettable que cette enquête n'ait pas eu lieu. Ne pourra-t-elle ne devra-t-elle pas être un jour reprise ?
En tout cas, je constate que, de l'avis de tous les parlementaires qui se sont occupés de la question, l'attitude de l'administration — c'est le moins qu'on puisse dire — prête à de très sérieuses critiques et je ne vois vraiment, avec M, Joufïrault, aucune raison de la féliciter ni de nous féliciter du marché imprudent qu'elle a conclu, en 192fi, avec la firme américaine. (Très bien! très bien!) Du moins, le réseau de Paris une fois à l'I. T. T., un espoir restait encore. La iprovince n'avait encore été donnée à personne. Il semblait que l'uniformisation n'y eût absolument aucune raison d'être, chaque secteur provincial pouvant être considéré raisonnablement comme un tout. Par conséquent, on pouvait appeler les diverses maisons, exciter leur émulation, provoquer des initiatives fécondes. Ou n'avait pas voulu du Strowgor pour Paris, mais l'administration n'avait-elle pas, dès 1926, expressément reconnu que le système Strowger pouvait sans inconvénient être adopté par des réseaux de province ?
Lui et d'autres d'ailleurs. Car si le Strowger-Siemens était fabriqué en France par une maison d'ailleurs française, avec des ouvriers et des ingénieurs français, il y a aussi chez nous d'autres constructeurs, moyens ou petits, qu'il eût été intéressant d'encourager et d'aider afin de féconder leur activité et tenir leur ingéniosité toujours en éveil. Vous le savez, messieurs, aussi bien que moi, la France n'est-elle pas par excellence le pays de l'invention que d'autres exploitent ? {Près bien! très bien! et applaudissements.)
Mais voici que brusquement après apparaît un nouveau système, au nom mystérieux comme une formule algébrique, le R6. D'où vient le R6 ? Nous connaissons son père légal, le très honorable ingénieur qui a déposé la demande de brevet ; mais on chuchote qu'à côté de ce père légal il pourrait y en avoir d'autres, comme cela arrive parfois dans la vie. (Sourires.) Je n'en sais rien. Ce qui m'importe surtout, c'est de constater que, comme par hasard, c'est la seconde filiale de la société américaine, la société Thomson-IIouston, qui fabrique le R6.
Ce R6 a été essayé à la fin de 1927 dans un tout petit district de la Sarre, à Neunkircher, puis à Troyes, en janvier 1928.
C'est donc de deux à trois mois, faite sur des autocommutateurs de faible capacité, que l'administration va s'enflammer et déclarer que le R6 est le téléphone national, et décider d'en généraliser l'emploi.
Et voici comment et, avec quelle hâte singulière, se passent les choses. Le 17 janvier 1928 on met au concours les deux autocommutateurs d'Epinal et de Nîmes. Un certain nombre de constructeurs sont appelés à participer au concours, mais déjà; messieurs, il faut remarquer ceci, la Thomson-Houslon est en conversation avec l'adminislratoin des postes pour une commande de 45 millions de fournitures d'automatiques. Dans ces conditions, il est évident qu'elle pourra faire des prix singulièrement diminués par rapport aux autres constructeurs, non moins évident que l'adjudication sera pour elle. C'est bien en effet ce qui s'est passé. La Thomson-IIouston, était sûre de son affaire, puisqu'elle s'appuyait déjà sur des promesses substantielles, tandis que ses malheureux concurrents ne pouvaient au mieux aller, envisager qu'une fourniture de 8 millions au plus.
Voilà donc la première phase de l'opération. C'est en somme l'histoire du Rotary qui se répète.
Et voici la deuxième: le R6, ayant été reconnu le système le meilleur marché, on fait un pas de plus. Et techniquement on le déclare le meilleur. Puis, pour ne pas faire courir à la firme américaine les aléas de nouvelles adjudications, qui eussent pu amener peut-être quelques surprises, l'on arrête toutes les commandes.
Le Parlement, messieurs, avait voté des crédits importants. Tous les usagers, avec une impatience que vous concevez, attendaient l'automatique, mais qu'importe !
On attendit, parce que tel était le bon plaisir de l'administration. On attendit quinze mois. Seulement quelqu'un qui ne perdait rien pour attendre, je vous prie de le croire, c'était l'I. T. T. (Exclamations) car, pendant ce temps, l'administration des postes passait avec elle des marchés de gré à gré pour une somme de 46 millions et lui donnait l'équipement automatique de Saint-Quentin, Roanne, Saint-Etienne, la Rochelle, Reims et Brest.
L'I. T. T. est un joueur à la veine insolente et qui gagne à tous les coups. (Très bien! très bien! — (Rives et applaudissements.)
Un sénateur à gauche. Cela paraît excessif.
M. Jean Philip, Pourtant c'est vrai.
Ce n'est pas tout. En novembre 1929.l'administration ouvre un concours pour la fourniture d'autocommutateurs à cinq chiffres du groupe Lille-Roubaix — ça, c'est de l'histoire actuelle —. Deux concurrents sont en présence : la Thomson-Houslon avec le R6 et la compagnie générale de téléphonie et de télégraphie avec le Strowger. L'administration a déclaré que les deux systèmes étaient parfaitement acceptables. On soumissionne ; le Strowger fait un rabais de plusieurs millions. Cependant, comme on ne peut plus invoquer alors, en faveur du R6, la question du bon marché et la supériorité de fabrication, on invoque la. raison de sentirnent.
On alerte les chambres de commerce. On leur fait dire: « Comment! vous allez mettre à Lille, dix ans après la guerre, des appareils d'origine allemande ;! C'e:t impossible, on ne peut accepter cela ! »
Dans ces conditions, bien que cet appareil soit fabriqué par une maison parfaitement française, c'est invraisemblablement , une fois de plus, en dépit d'une adjudication pour la forme, la Thomson Houston qui l'emportera.
Entre temps, les commandes, qui étaient suspendues depuis quinze mois, sont reprises, la convention une fois signée.
L'administration décide qu'il y aura jusqu'à fin 1930, 50 millions de commandes à passer à la Thomson-Houston, ce qui, avec les 16 millions dont j'ai parlé tout à l'heure, fait le chiffre déjà respectable de 66 millions. « Les autres maisons concurrentes, ajoute-t-elle, ne pouvant fabriquer du R6 avant un an. »
Vous entendez bien. L'administration reconnaît elle-même que les autres maisons concurrentes — et vous voyez comment, dans ces conditions, la concurrence peut jouer ! — ne pourront fabriquer du R6 avant un an !
Peut-on plus naïvement, ou plus audacieusement étaler la volonté arrêtée de gorger de commandes une société qui appartient au groupe américain ?
D'ailleurs, les preuves abondent de cette volonté bien arrêtée. Je n'en cite qu'une pour ne pas fatiguer l'attention du Sénat. (Parlez! parlez!)
En Algérie, où l'administration téléphonique s'inspire étroitement des errements de l'administration métropolitaine, on met au concours les centraux téléphoniques à équiper en R6, alors que, de l'avis même de l'administration, seule la Thomson-Houston pourra répondre à l'appel. Alors, que signifie cette apparence hypocrite de consultation générale ?
Par conséquent, on est en droit d'affirmer que, malgré tout, l'accaparement continue, que ni en France ni en Algérie il n'y aura place dans l'équipement des réseaux provinciaux pour d'autres que la Thomson-Houston, pas même pour quelques malheureux sous-traitants, découragés déjà par avance, et incapables de regagner de vitesse le trust auquel vont toutes les faveurs administratives. (Très bien! très bien! et applaudissements.) Vraiment le colonel Behn a manœuvré supérieurement les deux branches de ses formidables tenailles. L'une tient Paris avec le Matériel Téléphonique, qui fabrique du Rotary; l'autre se referme solidement, comme un étau, sur la province que son antre filiale, la Thomson-Houston, va équiper en R6, c'est-à-dire en un système dont je me garderai de dire qu'il est mauvais, dont je dirai simplement qu'on l'a choisi sans le comparer à d'autres, probablement aussi bons, certainement pas plus chers et offrant certains avantages techniques qu'une mission envoyée à l'étranger par M. Germain-Martin a reconnus un an après.
Nous avions pu croire, au début, que l'administration avait été obligée de s'incliner, par suite des circonstances, et qu'elle s'était trompée. Errare humanum est. Mais ici elle persévère, ce qui est infiniment pire. Le réseau de province après le réseau de Paris, si on n'y met bon ordre et très vite, passera donc, à son tour, aux mains du colonel Behn. (Très bien! très bien! et applaudissenlents.) Je m'excuse de ce trop long exposé. Je vais en avoir fini. Je vous demande simplement encore la permission de dire quelques mots sur un sujet qui intéressera certainement le Sénat. (Parlez! parlez!) Il reste, en effet, à réaliser l'automatique rural. (Très bien! très bien!) Ce n'est pas à des hommes avertis comme vous, et qui vivent en contact permanent, quotidien, avec l'agriculture française, que je montrerai les bienfaits immenses que peut, que doit apporter l'automatique rural danu nos campagnes. Nous sommes nombreux à estimer qu'il représente un des meilleurs remèdes contre la désertion des campagnes. En mettant l'agriculteur à portée de la petite ville ou du village voisins, du fournisseur, et par conséquent, de l'artisan, de l'ouvrier, du vétérinaire, du médecin, dont il peut avoir un urgent besoin, il fera cesser cette sensation terrible d'isolément qui pèse sur lui, le déprime et, à certaines heures, l'angoisse. (Très bien! très bien! et applaudissements. )
Il y a longtemps, messieurs, qu'on se préoccupait de l'automatique rural et je dois rendre ici un particulier hommage à notre éminent ami M. Charles Dumont, qui s'en occupait déjà avant la guerre et avait prononcé à plusieurs reprises d'éloquents ploidoyers en faveur d'un système qu'il avait vu fonctionner à l'étranger. Après tous les autres, naturellement, car nous arrivons toujours bons derniers, nous nous sommes enfin décidés à commencer des essais. Et savez-vous à quelle époque ? En 1923.
Or, nous sommes en 1930, et les essais durent encore. Messieurs, voici des chiffres, d'abord ceux des crédits votés par le Parlement pour l'automatique rural : En 1923, 400.000 fr. ; en 1924, 400.000 fr. : en 1927, 400.000. fr.; en 1928, 1.500.000 fr.; en 1929, 5 millions; en 1930, 35 millions.
Ce sont, me semble-t-il, des chiffres substantiels.
M. Hervey. Les derniers seulement.
M. Jean Philip. Et voici ce qu'a fait l'administration des postes, télégraphes et téléphones : en 1923 et 1924, les quelques essais dans la banlieue de Rouen et du Havre, et sur quatre petits postes de 50 abonnés chacun, à Oissel, Sainte-Adresse, Sanvic et Bihorel. On emploie là des automatiques identiques à ceux des réseaux urbains. Ils sont d'un entretien difficile à la campagne, trop cliers et ne répondent pas aux ibesoins ruraux.
Alors, l'administration — et pour une fois je la loue — ne poursuit ipas dans cette voie. Elle se retourne d'un autre côté.
En 1927, elle dresse un programme d'exploitation qu'elle soumet aux constructeurs. Un seul l'étudie et réalise dans la région de Versailles des installations qui fonctionnement parfaitement.
En 1928, l'administration n'est pas encore satisfaite et arrête un nouveau programme d'exploitation. Ce programme comprend le semi-automatique, c'est-à dire le bureau à service permanent, où c'est simplement l'opérateur qui se sert de l'automatique pour mettre en communication les abonnés.
Messieurs, je ne discute pas la valeur de ce système, il a ses avantages et ses inconvénients. Il est d'un côté bon marché, mais de l'autre, il tend à faire du neuf avec du vieux.
Mais enfin, je reconnais, et l'administration reconnaît que ce système fonctionne parfaitement. Un premier secteur a été, dès mars, mis en service dans la région de Bonnières, où il donne toute satisfaction.
Un autre fonctionne dans la région d'Orléans-Patay, depuis le début de 1930. Alors qu'attend-on ? Qu'attend-on pour installer un certain nombre de ces bureaux ruraux ? Qu'attend-on pour clore la période des essais qui, tout de même, ne peut pas durer indéfiniment, car je ne pense pas que l'administration ait à sa disposition l'éternité, comme l'Eglise (Sourires.)
Est-ce qu'on attendrait par hazard que les usines du groupe Behn, après avoir digéré leurs formidables commandes de Paris et de la province, pussent lui pusse mettre sur pied un troisième système qui lui aussi surgirait d'une façon inattendue et avec lequel on équiperait en automatique toute la France ? Je n'en sais rien, aprés tout, ce n'est pas impossible.
Ce que je sais, c'est que nos campagnes s'impatientent. Lors de la dernlère discussion du budget à la Chambre, un dépué M. Adam, traduisait en ces termes leur inquiétude : « La période des essais doit prendre fin, aucune raison valable, ne pouvant être invoquée pour priver plus longtemps les campagnes du bénéfice de la teléphonie automatique. Je crois, en effet, monsieur le ministre que la période des essais doit prendre fin, il faut donc passer aux actes.
Nous savons que vous êtes, ou que vous voulrz être unréalisateur. Vous avez là une excellente occasion de le montrer. (Très bien ! très bien!)
Messieurs, je vais enfin trminer et je m'excuse une fois encore d'être vraiement trop long (Parlez! parlez!). Ce n'est pas moi qui le suis, c'est le sujet mais, auparavant, je vous demande la permission d'ouvrir une courte mais instructive parenthèse qui, d'ailleurs n'est pas une digression.
J'ai fait il y a quelques mois sur un conseils de notre ami M. Charles Dumont, le voyage de Suisse pour aler voir de près le fonctionnement de l'automatique. Et j'ai rapporté de ce voyage des renseignements précieux. Tous les ministres des postes, si j'ai un conseil à Ieur donner, devraient bien faire ce voyage.
Qu'y ai-je vu ? Tout d'abord, le système de la concurrence largement, intelligement, ouvertement pratiquée. ( très bien! et applaudissements) Ah ! nos voisins ne sont comme nous,j l'unification à tout prix. C'est porquoi Genève est équipée en Rotary. tandis que Lausanne et Berne le sont en Siemens. C'est que les techniciens suisses ne s'enferment pas comme les nôtres leur tour d'ivoire. Ils n'ont pas pour le sens pratique — car ils sonc avant tout des marchands, d'ailleurs fort intéllignet de téléphone — le dédain superbe desnôtres. Ils comprennent l'interêt et le profit qlu'il y a à comparer ainsi, de canton à canton, les divers tvpes. Ceux qui travaillent avec le Rotary,comme ceux qui travaillent avec le Siemens, nous ont déclaré que c'est à cette concurence à elle seule, qu'ils doivent des améliorations constantes de matériel et aussi atez le — et ceci est imiportant des diminutions constantes de prix. (Très bien, très bien !)
Et c'est en Suisse messieurs pour le dire en passant que j'ai pu constater la différence essencielle qu'il y a entre le système pas-à-pas et le système Rotary, différence qui est nettement à l'avantage du premier, le Rotary étant, de l'avis même de ceux qui l'emploient, plus bruyant, plus compliqué, nécessitant une surveillance grande et sujet à des déréglements infiniements plus nombreux. Or, c'est ce système pas à pas qui fonctionne à Lausanne, et dans des conditions absolument remarquables — et je cite les paroles d'un tehniccien — « la conception technique s'est assouplie aux besoins d'une exploitation rationnelle grâce à laquelle il a été possible d'étendre à un rayon de 50 mètres la zone rurale groupée en un même secteur comlètement automatique tout en maintenat un système de tarification sur la distance et sur la durée des communications.
En effet, que voyons-nous à Lausanne ? D'abord un bureau central qui dessert plus de 8000 abonnés, et au travail, pouryant intense, se faIt dans des conditions de propreté de commodité et je serais même tenté de dire de silence, qui sont étonnantes . Puis dans chaque village ou bureau ; de petites centrales rurales, instalées avec la une simple chambre qui voisine une simple chambre qui voisine ave la mairie ou l'école, qu'un survzillant visite seulement chaque quinzaine et ou la besogne e se fait pour ainsi dire toute seule sans accroc et avec une régularité admirable.
Enfin,toutes les maisons, toutes les fermes, car le téléphone est partout, sont reliés avec les petits centraux ruraux et avec le burau central de Lausanne. Aussi, d'un bout à l'autre du canton de Vaud, de nuit et jour les communications s'obtiennent instantanement. Et l'on ne paye que la communication obtenue. ,
Certes cette installation e a coute cher. Mais c'est une installation qui a rapporté.
Nos amis suisses entre autres qualités, ont le sens des dépenses productives.
En 1928, par exemple l'exploitation du téléphone à Lauisanne a rapporté 13 millions de francs suisse soit 65 millions de nos francs
Beni serait le jour — mais il est encore bien loin - où notre administration des postes, au Jleu des déficits constants qu'elle nous apporte, encaisserait de tels bénéfices pour son budget (Sourires et applaudissements).
Eh bien! Ce type de Lausanne, si admirablement adopté pour des centraux à popolation relativement dense, pourquoi ne l'essayerions pas nous aussi à côté du semi automatique qui fonctionne dans nos campagnes ? Nous avons en France un certain nombre de régions qui correspondraient parfaitement à ce type. Je citerai entre autres, la région normande, or je note que dernièrement,le secteur Trouville Deauville vient d'être donné à la maison Thomson. Je citerai la région girondine, la côte basque, les centres industriels, les stations thermales, la région méditérranéenne, etc .
Cet essai, Monsieur le ministre, votre prédécesseur immédiat M- Germain-Martin, l'avait déidé. Il était résolu à créer deux secteurs types, Lausanne. Qu'est-il advenu de ce projet ? Vos services l'on il étudié ou ensseveli dans leurs cartons ?
Il est vrai que les bureaux ne sont pas pressés : Car ils restent tandis que les ministres passent. Ils ont à leur disposition une remarquable force d'inertie. Il doit y avaoir un moyen de les pousser, et au besoins de contraindre (Très bien Très bien) nous permettrons de compter sur vous pour cela .
Vous contribuerez ainsi à doter notre pays d'un outillage téléphonique perfectionné. Il y a lâ véritablement de quoi, Monsieur le ministre un homme qui; comme vous, ne veut pas être à la remorque (Très bien!), à la remorque des bureaux (Rires et applaudissemenls.)
Messieurs, l'ai terminé. Je résume et conclus.
A mon sens l'administration s'est engagée dans une voie dangereuse en mettant aux mains du trust formidable dont j'ai parlé le réseau de Paris d'abord, le réseau de province ensuite. Car croyez le bien messieurs, — et je vais avnt de finir, citer encore qulques chiffres — ce n'est pas par pure philanthropie que le colonel Behn aspire à être le grand maître de la téléphonie française. Il y a longtemps que nous sommes fixés sur la philanthropie américaine. (Très bien! très bien!)
M. Jenouvrier. Oui ! oui ! Ne développez pas!
M. Jean Philip. Je ne développe pas, en effet, car je suis certain d'être compris à demi-mot.
Nous avons des exemples. En Espagne, où lè monopole est, dans une proportion de 80 p. 100, dans les mains du colonel Behn, l'abonnement au téléphone à Madrid est de 375 pesetas par an. Cet abonnement n'est que de 180 pesetas à Santander et de 156 à Saint-Sébastien, les seuls réseaux dé la péninsule qui soient encore indépendants.
En France, si nous prenons le prix de revient des installations du Rotary, nous constatons que la ligne d'abonnés pour Paris, qui était de 1.900 fr. au marché initial, est maintenant de 2.850 fr., soit 1/3 en plus sur le prix primitif. Et 1/3 en plus, cela fait un nombre respectable de millions ! Or, tandis que le colonel Behn nous fait payer 3.000 fr. à Paris, savez-voue combien on paie à Rome et en Hollande pour la ligne ? 1.000 fr.
C'est que là le Rotary a la concurrence de Siemens, dont, chez nous, on l'a soigneusement débarrassé. Dès lors tout s'explique. Et ces chiffres, vraiment suggestifs, nous donnent un avant-goût du sort qui nous attend un jour ou l'autre. (Très bien! très bien!)
Pour briser le monopole, il n'y a qu'un moyen: la concurrence. (Très bien! très bien 1) Le Rotary est organisé pour Paris: c'est entendu: il faut en faire son deuil; mais, heureusement, l'unification de la province n'est pas encore chose accomplie.
Il faut l'arrêter. Vous nous avez dit ceci, monsieur Je ministre, lors de la discussion du budget des postes au Sénat : « Nous ne sommes liés (au R6) que dans une certaine mesure. Nous avons promis à la compagnie qui nous a donné ce système un contrat de 45 millions, à l'issue duquel elle nous livrera ses brevets. Nous avons intérêt à entrer en possession de ces brevets, c'est-à-dire à atteindre ce chiffre de 45 millions. »
Nous l'avons vu, ils sont déjà dépassés.
Mais cela ne veut nullement dire que, pour les programmes qui pourront être présentés, je me considère, quant à moi, obligé de prendre le R6.
Tant mieux, monsieur le ministre ! Tant mieux! En disant cela, vous nous avez mis du baume sur nos plaies. (Sourires.) Nous vous demandons grâce pour la province. Délivrez-là, délivrez-nous de l'impérialisme américain. (Très bien! très bien.— Applaudissements.) Il y a d'autres appareils que le R6, je l'ai dit tout à l'heure et je le répète à dessein.
Il y a aussi d'autres constructeurs. Certains d'entre eux sont peut-être moins pourvus de capitaux, mais ils sont aussi riches en science et en ingéniosité que les autres. (Très bien! très bien!) Alors, pourquoi ne pas faire pour eux les sacrifices d'argent et d'outillage que certainement d'autres pays n'hésiteraient pas à faire s'ils les avaient comme nationaux ?
Pourquoi ne pas leur passer des commandes suffisantes pour qu'ils puissent étendre leur champ d'action et faire leurs preuves ?
Nous courrions peut-être quelques risques mais il vaut mieux cela. que de passer sous la meule formidable des grands trusts. (Très bien! très bien! et vifs applaulissements.)
Plue l'émulation sera grande, mieux cela ira pour tous, pour les constructeurs et aussi pour les usagers. Car c'est, en définitive, l'usager qui devrait bénéficier de ce système de la concurrence. C'est de lui qu'on devrait s'occuper le plus et c'est de lui qu'on ne parle jamais. Eh bien! je parle pour lui ! L'usager a besoin du téléphone à la ville comme à la campagne. Il en sait. les avantages, il en connaît les bienfaits. Il veut bien payer, mais à condition d'être bien servi. (Très bien! très bien!) Bien servi, il l'est dans les autres pays, il ne l'est pas encore chez nous.
Il le sera, non par le monopole qui paralyse toutes les initiatives, mais par la concurrence qui permet toutes les réalisations, toutes les améliorations, tous les progrès. (Applaudisscments.) C'est donc, messieurs, dans l'intérêt du public que je réclame cette politique nouvelle du téléphone dont j'ai essayé d'esquisser les grandes lignes devant vous. (Très bien! très bien. —Applaudisscments.) J'ai terminé, messieurs. Je crois avoir parlé beaucoup trop longtemps, (Protestations sur de nombreux bancs.) mais dans le sens de l'intérêt public, en toute indépendance et en toute sincérité. (Très bien! très bien!)
Le Sénat dira si j'ai eu raison ou si j'ai eu tort. En tout cas, je le remercie de la bienveillance qu'il a bien voulu me témoigner et qui m'a permis de faire très modestement, comme je m'efforce toujours à le faire, ce à quoi je tiens par-desus tout : à savoir, exercer mon droit et remplir mon devoir de parlementaire français. (1res bien! et applaudissements.)
— L'orateur, en regagnant sa place, reçoit les félicitations de ses collègues.)
M. le président. La parole est à M. Farjon.
M. Farjon. Messieurs, je crois utile d'apporter au Sénat quelques indications sur le sujet évoque par notre collègue M.Philip. Je ne dirai que peu de choses sur les questions posées à M. le ministre des postes, désirant lui permettre de présenter un exposé complet des raisons qui ont guidé l'administration dans ses décisions.
Mais je sais trop bien, messieurs, par l'expérience que j'en ai, depuis que j'ai l'honneur de rapporter devant vous le budget annexe des postes, télégraphes et téléphones, avec quelle compétence et quelle conscience l'administration des téléphones étudie les difficiles problèmes qui se posent à elle pour la rénovation de nos réseaux et leur adaptation aux progrès réalisés, pour ne pas être certain que ces décisions ont été prises judicieusement et dans le plus haut souci de sauvegarder l'intérêt général et l'intérêt national.
Prenons, d'ailleurs, rapidement, les objections qui ont été formulées:
1ère objection : on a critiqué le choix du système Rotary considéré comme de valeur médiocre et que nous aurions pris alors que les autres nations n'en voulaient pas.
Ce n'est pas exact: le système Rotary a été adopté par de nombreux pays et beaucoup de grandes villes d'Europe en sonl dotées; je vous citerai Bruxelles, Anvers, la Haye, Copenhague, Oslo, Budapest, Bucarest, Constantinople, bien d'autres en Europe et à l'intérieur.
M. Hervey. Et Genève!
M. Farjon. Le matériel Siemens qu'on lui oppose n'est pas plus favorisé en dehors de 1'Allemagne tout au moins la où il a une situation prépondérante grâce à l'appui de la Reichspost ; on a souvent présenté la Suisse comme beaucoup mieux équipée que nous; c'est possible; or, quelle est la répartition des deux systèmes en Suisse; voici, messieurs, les chiffres officiels, à la fin de mai 1930 donnés par la direction fédérale de Berne: Rotarv (Genève, Bitle, Zurich, etc.). Capacité totale de raccordement : 60.800 lignes. nombre effectif de raccordements, 47.765 lignes. Siemens : Berne, Lausanne, Bienne, etc... Capacité totale de raccordemen t: 21.510 [lignes; nombre effectif de raccordements, 17.528 lignes.
Extensions en cours d'execution ou commandées :
Rotary, 23.390 (dont 10.170 lignes de réseaux ruraux de Zuricle).
Siemens, 4.780 (dont 280 lignes de réseaux ruraux de Lausanne).
Ainsi, notre voisine, si en avance pour son outillage public, possède une grande majorité de lignes du système Rotary, et le choix de l'administration française est donc corroboré par celui de nombreuses autres administrations.
2ème objection : On a regretté que le système des prestations en nature n'ait pas joué pour l'équipement de l'automatique en France par des livraisons de l'industrie allemande, qui auraient permis d'accélérer à bon compte cet équipement ; la situation, messieurs, est bien ditrérente : l'industrie allemande aurait pu livrer du ; matériel d'autocommutateurs et de postes, mais il aurait fallu toujours étudier son adaptation à nos installations, construire les centraux, raccorder les lignes, éduquer notre personnel technique et tout cela exige, de toute manière, beaucoup de temps ; et puis les dépenses incombant au budget annexe n'en auraient pas été diminué , puisque les prestations en nature qui ont été fournies aux postes, télégraphes et téléphones (câble Paris-Bordeaux. par exemple) ont été payées par cette administration aux finances, en vertu ; du crédit inscrit à ce budget en 1926, et il est .impossible — vous le savez, nous, l'avons déjà dît à maintes reprises — d'accroître plus vite ses dépenses de première installation, car l'équilibre financier du budget annexe est tout juste assuré, et il faut attendre que les progrès réalisés chaque année, apportant des ressources nouvelles, permettent de gager de nouveaux emprunts.
Mr
Chartes Dumont, rapporteur général de la commission des finances. Cependant, nous avions, par la loi de finances, ouvert un crédit de 1.290 millions de prestations, que l'état n'avait pas à rembourser, qui était une contribution gratuite à l'ensemdu budget. Or, j'ai eu l'occasion, comme rapporteur général de la commission des finances, d'attirer l'attention du Sénat sur ce fait que le ministère des postes et des télégraphes n'avait pas part aux prestations.
Une querelle scholastique s'était, en effet, élevée sur le point de savoir si l'on devait prendre l'administration des postes comme une administration ordinaire, étant donné que son budget était un budget annexe. Et le Sénat, par son attitude ferme, a, donné au Gouvernement l'indication qu'il considérait que c'était là, en quelque sorte, une chinoiserie, et qu'il s'agissait d'un «service public qui.avait droit, comme les autres, aux prestations; par conséquents l'administration des postes aurait dû avoir part à ce crédit de 1.200 millions ; c'est le procès qu'a fait M. Philip.
Je suis tout à fait de son sentiment : systématiquement, on s'est arrangé pour arriver en retard, de façon à ne rien demander aux prestations.
M.Farjon. Vous savez que je me suis associé à vous pour demander l'utilisation des prestations gratuites. Je dis simplement que, jusqu'ici, nous ne les avons pas ohtenues, Un autre aspect de la question a été indiqué par M. Philip, sur lequel il faut tout de même insister.
Le matériel fourni par prestations aurait dû, obligatoirement, venir d'Allemagne, au lieu d'être fabriqué en France, et il y a là un problème très grave: pouvons nous, pour un service public de cette importance capitale, être tributaire en quoi que ce soit d'un matériel que nous ne pourrions trouver en France, et qui devrait venir entièrement de l'étranger ?
Le conseil de la défense nationale, consulté, en 1926, par le ministre de la guerre d'alors, a donné un avis nettement défavorable, c'est bien compréhensible.
Si donc le matériel doit être fabriqué en France, il ne peut être livré au titre des prestations, et où est J'avantage ? Ou livraison par prestations, mais alors le matériel considéré comme indispensable pour la sécurité nationale ne peut provenir que de l'étranger, et ceci est bien redoutable; ou bien ce matériel est construit en France par des entreprises françaises ou étrangères, mais alors, plus de possibilité d'utitiser les prestations en nature, sauf sous la forme d'utilisation de brevets. Et pour arriver à un équipement rapide, il faut concevoir l'installation et la mise au point de grandes usines à production renforcée, ce qui ne peut se faire qu'avec le temps.
Troisième objection. Enfin, messieurs, on a évoqué le danger d'un monopole de fabrication de ce matériel de téléphonie automatique entre les mains du groupe américain, créateur du système Rotary, et possesseur, par l'achat de la société des téléphonés Thomson-Houston, du système R.-6, monopole de fabrication, entrainant ultérieurement un monopole d'entretien, et qui sait ? le monopole même de l'exploration.
Supposons, bien que je n'y croie guère, que cette éventualité nous menace. Comment éviter ce danger ?
Je ne vois qu'un moyen : c'est de constituer une industrie française vigoureuse, bien outillée, capable d'assurer nos besoins, et mettant notre administration, par le jeu de la concurrence, à l'abri de prétentions excessives d'un fournisseur obligatoire. Est-ce possible, et dans quelles conditions ?
Pour le dire, je suis amené à donner au Sénat quelques détails sur la situation de l'industrie téléphonique dans le monde et en France.
Nous devons reconnaître qu'en cette matière, les industries américaine et allemande, en particulier, ont pris une grosse avance et qu'il a fallu compter avec cette situation : la production américaine est groupée dans plusieurs grands trusts, parmi lesquels nous citerons seulement ceux qui ont porté leur action à l'extérieur : en premier lieu l'International Standard Electric Corporation, créateur du rotary, souvent dénommée aussi groupe Behn, du nom de son très actif animateur; citons aussi l'Automatic Electric Cy, créateur du Strowger et en liaison avec la manufacture anglaise de Liverpool.
En Allemagne, Siemens, grâce je le répéte à son étroite collaboration duservice officiel de la Reichspost à une situation considérable. A cote, de lui les fabricants secondaires, pour défendre leur place, ont lié partie avec l'international Standard (groupe Behn) auquel ,s'est rataché aussi, pour les diverses fabrication de courant à basse tension, l'Allgement Elektrizitaet Gesellscliaît (ou A E G ) bien que, par ailleurs, pour le matériel à haute tension, des accords se soient fait entre les groupes Siemens et A E G et les trusts américains spéialisés dans ce matériel.
Il semble que, dans ce, ces années antérieures, ces deux puissantes organisations puissantes par les moyens financiers qui se chiffrent par milliards et par, les moyens techniques, n'aient vécu sans rivalité, mais depuis deux ans une lutte s'est instituée entre elles; l'action américaine en Allemagne répond a l'action allemande à l'eextérieur; il est bien ceratin que les efforts faits par la faits par la maison Siemans pour s'introduire sur le marché Français et y disputer la place à l'International Standard est un des épisodes de cette période d'hostilités. Celle-ci durera t'elle ou s'apaisera-t-elle et n'assisteront nous pas, quelque jour, à une reconciliation par un partage d'influences ? C'est une synthèse qu'on ne saurait exclure.
M. Jenouvrier. N'en doutez Pas.
M. Farjon. Un dehors de ces deux grands organismes et des entreprises anglaises de fabrication du Stronger, il faut citer aussi, la société suédoise Ericsson que allons aussi retrouver dans lle tableau des affaires françaises. Car celles ci dont on ne parle guère, existent cependant et leur rôle peut et doit être considérable lorsque la question de l'automatique, étudiée déjà depuis la guerre, s'est posée il y a quelques années, l'industrie téléphonique française était encore embryonnaire production ; et peu outillée pour une production importante et rapide du matériel très délicat des grands centraux automatiques, en fait les sociétés qui participèrent au concours, étaient toutes, en totalité ou en grande partie, entre des mains étrange, américaincs ou suédoises. Certes, ces sociétés appuyées par des moyens portants et fortes de leur acquis terchniques, pouvaient mettre sur pied les usines que .nécessitaient ce travail pour ce conformer à l'horaire prévu -— et en fait c'est ce qui s'est produit, Encore fallait-il que leur personnel fût français ou presque totalité, du haut en bas de l'échelle, pour des raisons faciles à comprendre, mais même ainsi la crainte; signalée plus haut, de la naissance d'un monopole de fait n'était pas écartée
Comment, pour s'en pçéser, arriver à créer ou réserver, à côté de de ces affaires à contrôle extérieur, si ami de notre pays, qu'il fût effectivement, des affaires purement françaises, aussi bien outillées, capables de compléter la production des usines américaines . sinon mêne de la suppléer ?
Ce fut, messieurs, je tielns à le dire,la préoccupation de l'administration et Monsieur le ministre l'exposera, sans doute toute à l'heure, en rappelant les raisons qui l'ont guidé dans les décisions prise au cours de ces dernières années, je n'insisterai pas là-dessus et je passe tout de suite à la situation telle qu'elle est présente aujourd'hui.
Le syndicat des industries téléphoniques et télégraphiques qui réunis les maisons travaillant en France pour les téléphones compte 21 adhérents, mais là-dessus neuf seulement fabriquent le matériel des centraux téléphoniques; ou se disposent à le fabriquer, les autres se cantonnent dans la fabrication des postes d'abonnés ou des accéssoires.
Neuf maisons comprennent les deux deux grandes usines sous contrôle américain, Le Matériel téléphonique et la Thomson puis la Compagnie générale de télégraphie et de téléphonie représentant du matériel Siemens françaises . Voyons comment elles se sont réparti le travail, rappelons qu'il s'agit d'équiper :
1 - Les grands Postes parisiens;
2 - Les postes moyens pour villes de province;
3 - les postes de l'automatique rural.
Dans les Premiers, vous le savez, le système Rotary a été adopté et j'ai dit en débutant pour quelles raisons ce choix paraissait justifié
L'installation de l'aglomération parisienne est en cours et il ne serait être question de revenir sur cette décision sous peine de perdre un temps considérable et d'apporter le plus grand trouble à l'exploitation (les meubles manuels usés doivent être remplacés à bref delais et si les installations automatiques n'étaient pas, promptement mises en service, Il faudrait les remplacer par de nouveaux manuels, dépense entierement inutile).
En dehors du Matériel Téléphonique createur du système les sociétés Grammont (française) et Ericsson anciennement suédoise,mais dont le contrôle a été pris depuis par la Compagnie générale d'électriité, qui a racheté au groupe suédois un paquet d'actions donnant la majorité) ,fabriquént ce matériel.
Dans les villes de province des installations ont été mises en route: Rotary, Strowger, et depuis deux ans un nouveau système appelé R6, que l'on a paru paru déprecier à certains moments alors que, au contraire plus simple, moins couteux sûr que ses concurrents. Et j'ajoutrai messieurs, ce qui est généralement ignoré, que ce système par un français, M. Barnay, ingénieur des arts et métiers, qui céda ses brevets à la compagnie Thomson-Houston en 1924, alors que celle-ci était encore à capital français en majorité, et c'est dans ses ateliers, par des Français, que le système fut mis au point. Quand la part française de cette societé fut achetée par l'International Suandard en 1926, celle-ci touva dans les dossiers le système très original qui fut proposé à l'administration essayé d'abord dans la Sarre, à Neunkirchen ensuite mis en service a Troyes, puis Nimes et Epinal, et bientôt à Saint Quentin n et qui a donné les meilleurs Résultats. Pour une fois, messieurs, qu'un système d'invention et de mise au point est entré hrillamment en pratique, ne le renions pas ! Nous serions entierement satisfait si ces succès venaient réccompenser de capitaux français assez osés pour s'être lancé hardiment dans cette voie au lieu du capital américian qui aurai bénéficié.Tout au moins verrons nous ce qui a fait par l'administration pour la fabrication du R6 comme du Rotary pour favoriser la création et le développement d'induries purement nàtionales. Ce matériel R6 est fabriqué par la Thomson (capital américain), mais la petite société industriclIe des téléphones, la société Grammont et l'association des ouvriers en instruments de précision, ces trois dernières françaises, sont en train de s'outiller pour le produire également.
Quant à l'automatique rural, un concours a été ouvert depuis un an et plusieurs sociétés sont sur les rangs pour présenter leur matériel: trois fonctionnent déjà, l'une, à Mantes-Bonnières, la compagnie générale des téléphones et des télégraphes, avec du matériel allemand Siemens, une autre, la Thomson, à Orléans, avec un système étudié par elle, avec ses techniciens français, une autre, entièrement française celle-là, la Société nouvelle de constructions téléphoniques, à Coulommiers, avec des formules qui lui sont propres; trois autres sociétés, françaises aussi: Grammont, à Melun; la Société industrielle des téléphones, à Meaux, et la société Plazolle (matériel Chauveau), à Creil, installent leurs postes dans les régions qui leur ont été concédées, enfin le matériel téléphonique (pour Montereau), et Ericsson (pour Etampes), ont présenté en dernier leurs solutions. Des commandes ont été passées déjà à la Compagnie générale (matériel Siemens) et d'autres constructeurs en raison de la bonne qualité de leurs systèmes, devront, lorsque les résultats définitifs du concours seront certains, recevoir aussi leur part des installations à réaliser.

Ainsi, messieurs, vous le voyez par ce court exposé, si nous entendons surtout parler de monopole américain ou de concurrence allemande, il y a autre chose que ces grands trusts: à côté des grandes entreprises du capital américain, le Matériel Téléphonique (au capital de 250 millions) et la Thomson (capital 60 millions), toutes deux filiales de l'International Standard, et des représentants de Siemens (Compagnie générale de téléphonie et télégraphie), il y a une industrie française non négligeable et que nous avons, à mon sens, le devoir de soutenir énergiquement, tant pour le développement de notre économie nationale que pour garantir pleinement l'indépendance de notre administration; les six firmes que nous avons ainsi rencontrées dans ce tour d'horizon sont: Ericson (capital i8 millions, majorité française, entre les mains de la Compagnie française, d'électricité), Grammont (capital générale d-électricité), Grammont (capital 18 millions, entièrement française), Industrielle des téléphones (capital 54 millions, entièrement française), Association des ouvriers en instruments de précision, coopérative ouvrière de production à capital variable, Société nouvelle de constructions téléphoniques (capital 3 millions), Plazolle, et je ne compte pas les autres maisons qui ne s'occupent pas, du moins jusqu'ici, des postes centraux. Toute cette industrie s'est depuis quatre ans, créée et outillée pour pouvoir répondre, par ses propres moyens, aux demandes de l'administration qui n'a cessé de soutenir ses efforts et de la diriger dans cette voie. Comment a-t-elle procédé ? En insérant dans ses contrats avec les possesseurs des systèmes choisis (Matériel Téléphonique pour la Rotary, et Thomson pour le R. 6.) l'obligation de lui abandonner en toute propriété les brevets correspondant à ces systèmes, l'administration s'est réservé le droit de passer commande, pour les mêmes prix que ceux des sociétés américaines, d'un certain nombre de postes aux usines qu'elle choisirait ainsi et c'est pour la passation de marchés en Rotary (20.000 lignes Danton et Odéon) à Grammont, et 20.000 lignes (Anjou et Opéra) à Ericsson et en R.- 6 (marchés d'essais à la Société industrielle, à l'Association des ouvriers et à Grammont).
Elle a ainsi permis à ces constructeurs de s'équiiper pour ces fabrications; mieux encore, elle a inséré dans ses contrats l'obligation pour le Matériel Téléphonique et pour la Thomson de donner à ces usi", nés, qui s'étaient ainsi proposées, tous les documents et renseignements nécessaires pour leur permettre de mettre leurs fabrications en marche; et, de fait, Grammont est en train de livrer les postes Rotary qui lui ont été commandés et Ericsson se prépare à livrer les siens, et tous deux se, sont montés pour une production plus ac" tive, telle que l'administration puisse passer à ces deux maisons françaises tout au moins le tiers de ses commandes. De même les maisons que j'ai citées s'outillent pour fabriquer le modèle R. 6, concurremment avec la Thomson et seront prochainement en mesure de compléter la production de celle-ci.
Quant aux usines sous contrôle amércain, la grande usine du Matériel téléphonie que à Boulogne-sur-Seine, avec ses 950 ingénieurs, directeurs et employés et ses 4.000 ouvriers, et l'usine de la. Thomson Houston avec ses 600 ingénieurs, dessinateurs et employés et ses 2.250 ouvriers, je; rappelle que la quasi-totalité du personnel y compris les cadres subalterne, et supérieurs, est française et qu'ainsi la fabrication de tout ce matériel, indispensable demain à nos communications intérieures et extérieures, est faite en entier par un perisonnel national, qui, en tout état de cause, serait capable de faire marcher les usines, sans aucune interruption.
Ainsi, tant par ce personnel travaillant pour le compte d'un capital étranger que par ses usines purement françaises, nous avons l'assurance que nos installations seront faites, qu'elles pourront par la suite être entretenues et complétées et que même une industrie exportatrice a pu déjà s'organiser, pour le meilleur bénéfice de notre balance commerciale.
Je pense, messieurs, que ce résultat est de nature à vous frapper et qu'on peut tout de même, rendre justice à r administration qui l'a préparé. Est-ce à dire que tout soit parfait et que nous n'ayons rien à désirer ? Non, sans doute, et nous l'avons bien compris; je l'ai déjà dit: je regrette que ce ne soit que pour partie des capitaux français qui puissent récolter plus tard le bénéfice de l'effort ainsi fait, quand les années de préparation auront ouvert l'ère des bénéfices légitimes. Et je suis bien forcé de regretter que les offres de participation du capital français à l'affaire du Matériel Téléphonique faites aux banques françaises par, le groupe américain qui devait offrir, ert vertu de son contrat, la moitié des augmentations du capital aux souscriptions françaises, après la constitution du capital initial de 5 millions n'aient pas été suivies, je n'en fais pas critique, messieurs car l'affaire n'a, en fait, donné nul bénéfice et il faut tout de même reconnaître, avec équité, que c'est cette mise de fonds de l'International Standard, engagée avec confiance par ses dirigeants, ainsi que l'apport fort loyal de tous leurs moyens techniques, qui a permis de faire démarrer la grande œuvre de rénovation de notre installation téléphonique (qui était tout de même le résultat cherché) et, par répercussion, le renouveau d'une industrie française téléphonique.
Mais je souhaite, malgré tout, que dans ce grand organisme si admirablement monté, les initiatives françaises ne restent pas étrangères pas plus que dans la Thomson et que la collaboration franco-américaine. qui s'est si heureusement réalisée dans le domaine technique se développé aussi, ultérieurement, sur le terrain financier.
Il me reste maintenant, messieurs, à examiner quel rôle peut jouer l'autre grand trust mondial, Siemens, dans cette réorganisation de nos installations téléphoniques et de notre industrie de production de leur matériel. Je vous ai dit, tout à l'heure, quelle importance avait cette organisation puissamment étayée sur l'administration postale du Reich, et dotée de moyens matériels et techniques très importants.
J'ai dit que la question des grands centraux parisiens, dont l'équipement en Rotary est déjà très avancé, ne pouvait plus se poser. En fait, l'effort de Siemens se porte vers les installations des villes de (province et vers l'automatique rural; pour suivre ces affaires, une affaire Siemens France à faible capital a été créée et d'autre part la Compagnie générale des télégraphes et des téléphones, jusqu'ici de minime importance — son effectif n'est que de 300 à 400 personnes alors qu'Ericsson et Grammont en ont 1.500 environ, l'Industrielle près de 1.000 et l'Association des ouvriers plus de 600 — a lié partie avec le grand trust allemand. Mais il faut voir sous quelle forme pourrait s'ouvrir une collaboration avec ce dernier : ou bien le matériel fabriqué en Allemagne sera importé en France et les correspondants de Siemens ou ses ingénieurs délégués n'auront qu'à en assu- rer l'étude, le montage et l'adaptation; dans ce cas, et c'est, je crois bien , l'hypothèse dans laquelle s'est placé M. Phihip, ces livraisons pourraient être faites au compte des prestations en nature — que le budget annexe aurait à payer, d'ailleurs, au même titre que des livraisons faites en France --- et les installations de Siemens en France n'auraient pas besoin de recevoir de grands développements.
Mais j'ai appelé votre attention tout particulièrement sur un risque qui pour ma ipart m'apparaît grave: n'ayant pas, chez nous, le moyen de fabriquer les outillages de ces postes, nous serions à la merci, pour le moindre remplacement, d'un envoi venu d'Allemagne et si, pour une raison quelconque, cet envoi n'arrive pas, nos communications peuvent se trouver interrompues.
Qui peut désir courir ce risque ? D'autre ipart, le sentiment exprimé par le comité de la défense nationale en 1926 reste toujours aussi fort. Je suis persuadé que le gouvernement non plus ne saurait admettre cette procédure.
Reste alors, messieurs, la possibilité pour Siemens de tenter l'opération faite il y a quelques années par le groupe américain : l'International Standard: créer en France, de toutes pièces, une grande usine avec, comme l'usine de Boulogne — ce doit être toujours une condition formelle — un personnel presque uniquement français, du dernier manœuvre aux chefs de services, capable de conduire cette fabrication même si les liens se trouvaient un jour rompus avec la maison mère.
Mais il m'apparaît que cette solution soulève une grave critique: que deviendront, contre les grandes organisations américaine d'un côté, et allemantle de l'autre, nos malheureuses maisons françaises qui ont eu tant de mal à naître et à commencer de vivre ? Allons-nous leur créer, de nos mains, une redoutable concurrence complémentaire ?
Et si quelque jour un accord se fait pardessus leur tête entre les deux grands trusts, leur existence ne sera-t-elle pas menacée ? Ou bien — ce n'est peut-être ipas une pure hypothèse - l'un ou l'autre n'achétera-t-il pas ces concurrents en voie de croissance ? Siemens, par exemple, au lieu de créer une nouvelle usine, ne serat-il pas tenté d'absorber quelque affaire française déjà suffisamment développée, et ne verrons-nous pas se rééditer ce qui s'est passé pour Thomson il y a quatre ans?
Certes, un pavs qui ne possède pas d'industrie nationale et. ne peut songer à en créer une — c'est le cas de la Suisse, par exemple — peut organiser sur son territoire la concurrence des trusts rivaux, qui lui permet de défendre ses prix et d'obtenir le maximum de perfectionnement jusqu'au jour, du moins, où un accord mettant fin à cette concurrence viendra le livrer sans défense effective à un monopole de fait; et même cette situation de concurrence n'est pas sans ennuis, si j'en crois certains échos du dehors.
Mais, messieurs, lorsqu'un grand pays comme la France offre de larges débouchés à une production locale, n'est-il pas à la fois conforme à l'intérêt national, et d'une sage prévoyance pour toutes les éventualités à venir, de garder soigneusement une industrie nationale, tout en empruntant à la technique étrangère tout ce qu'elle peut nous donner pour compléter le propre travail de nos ingénieurs et de nos praticiens ? Et dans la circonstance présente, pour ne pas ralentir l'essor des affaires françaises qui commencent à peine à partir, pour leur éviter des tentations dangereuses d'abandon entre des mains étrangères, et par là pour sauvegarder le mieux possible l'indépendance de a notre action en cette matière des téléphones, je conclurai que, si rien ne s'oppose à utiliser dans une mesure restreinte les moyens offerts par la maison Siemens, je considère qu'il est nécessaire que son intervention reste limitée. (Très bien! très bien !)
En matière de centraux urbains, nous ne pouvons évidemment savoir quels seront les progrès de demain; et si un système nettement supérieur aux précédents apparaissait, il faudrait l'intégrer dans l'organisation existante. Mais actuellement notre R. 6 français semble excellent; c'est pour le fabriquer que nos usines françaises — en dehors même de la Thomson — se sont outillées et leurs représentants que j'ai vus au moment, du vote du budget m'ont exprimé le désir très précis que ne leur soit pas demandé le sacrifice de créer à grands frais un nouvel outillage pour d'autres systèmes, ce qui risquerait de les arrêter net, pour laisser libre champ à une nouvelle création étrangère. Ne serait-ce pas lamentable ?
Pour suivre les perfectionnements, l'administration pourrait avoir le désir d'équiper telle ou telle ville en matériel Siemens — ou en tout autre d'ailleurs également — pour l'étudier et le connaître, mais ce ne pourrait être là qu'un exemple isolé, à moins qu'il ne s'agisse naturellement d'une révolution dans la technique. Si l'on devait aller au delà, multiplier les types de postes sur tout le territoire, cause île désordre dans l'exploitation, outre la dépense des multiples stocks de remplacement, ou abandonner sans raison technique probante le matériel R. 6, conçu et fabriqué en France au bénéfice du matériel étranger, ce serait couper les promesses de développement d'une industrie nationale autonome sans avoir plus de garantie contre un monopole de fait, au contraire.
Je signale encore à ce sujet, parce que j'en ai été saisi, qu'une protestation très vive avait été faite par la chambre de commerce de Lille contre un projet éventuel de choisir pour une telle expérience le centre Lille-Roubaix-Tourçoing.
M. Charles Dumont. La Chambre de commerce de Roubaix a un avis favorable.
M. Farjon. Le Sénat devine que je veuille insister, les suscéptibilités compréhensibles de nos cornpatriotes du Nord qui avaient conservé un penible souvenir dans des études faites avant guerre dans usines par des ingénieurs allemands qu'ils ont retrouvé plus tard, bien fâcheusement.
Il est certain que l'idéal tionnement facile pour un fonctionnement des services tehniques des téléphones - ingénieurs, sous-ingénieurs, agents techniques, mécanicien, serait de n'avoir qu'un système dans le pays. Ne devons-nous pas nous placer sous le signe de la rationelisation ? un changements de résidence de ce personnel spécialisé n'entraineraient pas pour ma part des modifications de materiel, l'obligation d'un nouvel apprentissage. Mais si cet échantillonage était très réduit la gène derait moindre et il peut y avoir utilité pour que nos techniciens puissent pratiquer effectivement dans quelqes installations existantes les divers systèmes pour se tenir au courant des progrès
En ce qui concerne l'automatique, peut on ne peut encore se prononc; les systèmes purement français qui sont présentés au concours paraissent tout aussi interessants que les systèmes allemands, américain; le système Siemens expérimenté à Mantes-Bonnières parait au point mais il ne faudrait pas, en voulant conserver sa place, décourager les efforts de nos propres constructeurs largement travaillé le problème et consentis de grands sacrifices, et dont les solutions ne paraissent nullement inféreieures, pourquoi faudrait-il les sacrifier ?
Je vous demande, monsieur le ministre de faire vos choix en tenant compte , paralllement de la qualité du service que l'on peut attendre des matériels présenté, du coût éventuel et de la facilité des installations à effectuer, afin de réaliser au plus tôt possible et le plus largement possible les liaisons rurales indispensables aux villages et à nos hameaux, mais réserver la plus grande place à notre consience française et facilitez autant que vous pourrez, son développement (Très bien ! très bien!)
Messieurs, j'en ai fini; je m'excuse d'avoir retenu si longtemps l'attention, bienveillante de la haute Assemblée ou il m'a paru que je devais devait lui présenter un tableau aussi objectif que possible des conditions générales du problème évoqué devant elle aujourd'hui, et je souhaite que mes observations puisse l'aider à se faire une opinion bien raisonnée.
Pour me résumer, je conclurai :
1° L'administration, dans des conditions très difficiles, a selon moi, tiré le meilleur parti des éléments en présene des choix des matériels, fait d'accord entre les techniciens et les praticiens a été conscieusement fait; là rénovation de notre outillage téléphonique a pu se poursuivre à peu près à la cadence prévue malgré l'obligation de créer presque tout matériel et personnel, en peu de temps.
2° Si nous devons nous trouver ---- dans la collaboration efficace et loyale des groupes américaines un moyen de réaliser cette œuvre, je garde pourtant le regret que le capital français soit resté absent de cette organisation des grandes affaires de construction téléphonique et je souhaite que dans l'avenir reprennent dans ces affaires, une part importante.
3° Je salue le développement des industries téléphoniques de caractère purement français dans l'espoir qu'il s'accentuera notablement, je félicite, l'administration des efforts faits par elle pour faciliter leurs tâches
4° Je n'ai pas d'objection de principe contre l'utilisation complémentaire d'une collaboration limitée avec le trust Siemens, en l'utilisant patriculièrement dans une partie de nos automatiques ruraux, mais sous la condition qu'elle ne viendra pas rogner la part déjà trop exiguë de nos affaires françaises.
Et j'ai toute confiance dans la haute équité , et la grande sagesse de M. le ministre des postes lpour accorder ces divers voeux et les faire concorder harmonieusement en vue de l'achèvement de notre programme, de rénovation de nos communiations téléphoniques, spécialement dans nos campagnes auxquelles nous avons le devoir de donrer le maximum de bien être de commodité. (Très bien-! très - Applaualssements.)
Mr Charles Dumont. Je demande la parole
Mr le Président, la paroles est a MCharles I
Mr Charles Dumont.. Messieurs, honorable Mr Farjon a exprimé ses préférencessous l'unité de système. Je demande, à cet égard à notre collègue, la permission, de faire les plus expresses réserves,
Voila bien des années que, comme président du conseil général du Jura, j'ai eut à transmettre ces vœux pour l'installation de l'automatique rural. Nous présentons même ce vœux avec un peu d'impatience, mon chér collégue, parce que nous sommes voisin du canton de Vaud, et que, et que fier de nos compatriotes de la haute montagne, ont franchi l,a frontière, ils se trouvent chez des voisins, des amis, qui peuvent par dessus cinq bureaux. fermés, du Nord au Sud de l'Est à l'Ouest du canton de Vaud à toute heure de jour et de nuit parler dans des conditions de perfection qui font de l'automatique de Lausanne un organe tout à fait remarquable, et que vont visiter des ingénieurs du monde entier.
Ce qui m'a paru regrettable, lors de ces visites que jeu l'occasion de faire comme voisin, ou comme client des médecins de la ville, c'est d'apprendre que à peu près le seul Français qui visitât l'automatique urbain et l'automatique rural. J'en ai conclu que les ingénieurs français manquaient vraiment de curiosités. Les ingénieurs italiens, amériains, anglais, japonais étaient là. Seuls, les nôtres n'y étaient pas. Je m'étais permis d'inviter Mr Germain-Martin à venir à Lausanne, il n:est pas venu, mais il a envoyé une mission et je l'en remercie. J'ai suggéré à mon collègue M. Jean Philip, dont je connaissais les préoccupations, d'aller causer avec les directeurs de l'exploitation quiétaient très fiers. Il y a de quoi car dans ce système il y a 0,06 p. 100 de dérangements. Âprès des frais d'investissements considérables , les frais d'entretien ont été réduits à une proportion infime dans chaque village, l'instituteur, le gendarme par vanité, par joie d'avoir un système qu'ils considèrent comme parfait; ne veulent pas se faire payer les frais contrôle, il y a, dans ce canton de Vaud,dont vous connaissez ll'admirable esprit civique, une émulation très intéressante, et j'ai d'autant été plus frappé de voir que les ingénieurs français ne venaient pas.
Nous désirons avoir l'automatique, je ne dirai pas l'automatique de Lausanne, car je me ferais reprendre avec beaucoup de vérité et de justice par M. le ministïe et ses directeurs techniques. Il y a deux types nécessaires d'automatique, l'automatique des régions denses et l'automatique des régions éparpillées.
Pour l'automatique des régions éparpillées, nous avons en France un grand avantage que personne autre ne possède.
Grâce à un régime d'avances que nous avons défendu pendant vingt ans contre l'administration, que nous avons maintenu contre elle, nous avons 23.000 communes reliées aux centres par des lignes.
M. Mallarmé, ministre des postes, têlégraphes et téléphones. 30.000 communes.
M. Charles Dunmont. Ces lignes sont là; Elles vont permettre la création de l'automatique rural avec beaucoup de facilité surtout si les services veulent s'inspirer de vues que j'ai honte de rappeler, car je les ai écrites dans mon rapport sur le budget des poster et télégraphes de 1910 et 191L Sur les party-lignes, c'est-à-dire les lignes communes, il y a une organisation parfaitement mise au point et qui permet sur une ligne qui va dans un ou plusieurs hameaux d'avoir cinq ou six abonnés et de diminuer d'une façon considérable les frais de conversation.
Nous avons cela près de nous, et vous nous dites d'attendre. Attendre quoi ?
Des essais ? Ils sont faits et il il n'y a pas une très grande différence entre la température du Jura et celle du canton de:vaud. Quand les systèmes fonctionnent, je fais quelquefois une prière mentale, c'est que les polytechniciens sachent copier. (Sourires.) Je vais beaucoup en Suisse et quand je vois la manière dont fonctionnent les chemins de fer fédéraux, je me demande pourquoi, pendant des années, on va étudier le moyen de compliquer et d'alourdir certains chemins de fer français pour les faire fonctionner d'une autre manière.
Quand je vois quelque chose qui fonctionne bien dans le canton de Vaud, je me demande pourquoi, dans une région sensiblement semblable et de pareille densité, on ne l'applique pas.
Je suis allé dans des villes de province allemandes, et j'y ai vu fonctionner le Siemens qui permet, il faut lereconnaître, une chose qu'on ne peut obtenir avec le rotary. Si nous voulions entrer dans des détails de technicité nous en aurions pour trop longtemps. Mais il a là quelque chose d'intéressant au sujet des postes d'immeubles, qui sont pour la ville, quelque chose comme la party-iligne pour la campagne.
I ls ne peuvent pas fonctionner avec des complications infinies. En fait, ils ne fonctionnent pas avec le système enregistreur mais ils vont merveilleusement avec le pas-à-pas. Il y a entre tous ces systèmes à faire un choix et ce choix ne peut être fait qu'en les mettant en concurrence.
Ce contre quoi je lutte depuis deux ans, c'est contre la manie de systématisation de l'administration française. Les ingénieurs ont tout intérêt à mettre en concurrence deux, trois ou quatre systèmes. La France est grande, et l'on peut avoir un système dans une région et un autre dans une autre région. Cette méthode ne peut que faire la joie des ingénieurs. Quant à nos mécaniciens, ils seraient fort heureux d'avoir cette concurrence et cette diversité de systèmes. Il v a une petite spécialisation sur le strowger, sur le rotary. Mais quand on nous parle d'unification alors qu(avant la guerre il y à Nice un strowger, c'est-à-dire un système pas à pas qui prépare infiniment mieux au Siemens que le rotary, je crois que l'on commet une erreur. L'usager et le budget sont ceux à qui il faut d'abord songer. Or, l'usager est impatient. Quand il sait qu'il y a des systèmes, au point, des systèmes en.essai depuis dix huit mois, il demande qu'on passe des commandes. Vous avez dit des choses très justes: sur la nécessité de concilier les systèmes allemand et américain. Permettez-moi d'ajouter que si donner de l'argent à ses créanciers est bien, en donner à ses débiteurs n'est pas mauvais non plus. C'est peut-être quelquefois mieux et c est en tout cas plus facile au point de vue des transferts.
Puis, nous sommes à un moment où il ne faut pas pousser la chambre de commerce de Lille à insister sur des vœux qui ne sont pas ceux de la. chambre de commerce de Roubaix et qui peuvent permettre certaines suspicions. Je n'aime pas ce genre de patriotisme; il est trop facile à suggérer.
Prenons, par conséquent, l'intérêt de l'usager qui attend impatiemment, qui desire avoir un système qu'il connaît ou qu'il a vu fonctionner. Mais aussi, créons la concurrence entre les constructeurs, c'est là un point très important.
J'avais demandé certains renseigneme:nts à M. le ministre qui ne m'a pas répondu N'ayant pas ses moyens de vérification ! c'est donc sous bénéfice d'inventaire que je vais, messieurs, vous fournir certainzs indications. J'avais dit à M' le ministre ! qu'après la série d'avenants que le rotary a passés à Paris, le prix de la ligne s'établit aux environs de 2.850 fr, A combien s'élévera-t-elle en Italie où l'on a mis en concurrence, comme en; Suisse, le rotary et le siemens ? Aux deux sociétés, les Italiens disent : Battez-vous et faites-nous le meilleur prix. Toute la Riviera depuis San-Remo jusqu'à Gênes est équipée en Siemens. La. ligne coûte seulement 1.000 fr. Bataille également en Hollande, car les Hollandais, comme les Suisses et les. Italiens, ont établi la concurrence. A Eindhoven, les appareils américains font 103,50, les Siemens 101; à Gouda, 107,50 et 105; à Lenfrarden, 99 et 97.
Ces chiffres prouvent que, dans les pays où la concurrence a joué, le prix est moitié moindre que chez nous. Il y aurait donc intérêt pour nous aussi à faire jouer cette concurrence. Il faut pour cela que les ingénieurs se débarrassent dé cette idée d'uniformité en matière de téléphone. Il y a actullernent deux grands, systèmes en opposition: le système « pasà, pas » et celui par « entraînement mecanique » qui commencent à ne plus être au nombre des secrets de technique. Seuls les détails de perfectionnement de ces systèmes peuvent encore constituer un secret; ils requièrent d'ailleurs des hommes connaissant merveilleusement la matière. Mais les mécaniciens et les ingénieurs passent, en gros, avec une grande facilité de l'un à l'autre de ces systèmes. Je uis contre le système unique, je suis pour la concurrence car je suis un élève des Suisses. J'ai commencé mes études sur les questions postales, en 1910 et 1911, en passant deux mois en Suisse. J'ai toujours suivi nos voisins en cette matière, car ce sont des maîtres, et je vous assure que la fierté qu'on éprouve à Lausanne pour le système téléphonique est parfaitement justifiée.
Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour concilier les intérêts difIérents de nos constructeurs en bataille, en concurrence nécessaire, et ceux des usagers qui demandent impatiemment a avoir leur réseau le plus vite et le plus tôt possible.
Pour le R6 nous avons voté des crédits, mais depuis cinq ou six ans ces crédits sont tombés en annulation ou ont été reportés. On n'a rien fait pendant des années parce qu'indéniablement on a voulu qu il y ait un système — français je veux bien, quant à son invention — construit par Thomson moyennant l'abandon des brevets dont vous avez parlé. En fait, on a échoué et l'on n'est pas arrivé à la mise au point.
Pendant ce temps, le public attendait. C'est l'ensemble de toutes ces attentes et de toutes ces impatiences qui crée un sen timent d'irritation lorsqu'on-sait qu'ij y a d'autres systèmes qui fonctionnent à merveille. Ce que je demande à M. le ministre, et je lui fais confiance ainsi qu'à ses collaborateurs, c'est de ne pas entre.dans les questions techniques.
Je me rappelle qu'étant ministre des postes, les Américains me disaient « Surtout, monsieur le ministre, n'entrez pas dans les questions techniques, dites-nous ce que vous voulez, à quel prix, dans quel délai et regardez ensuite les frais d'entretien et la manière dont le service marche. Prononcez vous sur les questions d'exploitation, mais ne cherchez pas a examiner les systèmes en eux-mêmes, au point de vue technique. » C'est la sagesse même..Je demande qu'on examine les systèmes de cette façon.
Quant aux usines et à la manière dont elles sont alimentées en commandes, il faut bien reconnaître qu'elles en sont gorgées et n'y suffisent pas. Je pourrais citer les projets qui sont en retard de quatre ou cinq mois. Notre industrie française est engorgée. Il y a donc de la place pour tout le monde dans cette grande œuvre de rénovation téléphonique où la. France est en train\de s'équiper. Faisons la place à tout le monde, que chacun ait le système qu'il préfère, mais ne nous laissons pas engager dans l'uniformisation. J'en demande pardon au Sénat et à M. Farjon: si j'ai pris la parole, c'est parce que j'ai trouvé en lui l'ancien élève de l'école polytechnique, cet amour exclusif de l'unifornité qui est la seule chose que je reproche au fond à l'administration française. Je lui reproche d'avoir cherché l'unité, d'avoir cherché le système type, de chercher encore pendant des mois avec l'espoir d'en trouver un, alors que, dans bien des cas, nous avons des systèmes qui marchent, qui peuvent être immédiatement introduits si on le désire, qui fonctionnent bien, qui ne sont pas trop coûteux et rendent des services aux usagers.
C'est tout le sens de l'intervention que j'ai faite. Je m'excuse auprès du Sénat de l'avoir faite aussi longue. (Applaudissemenls sur un grand nombre de bancs.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des postes.
M. le ministre des postes. Monsieur le président, je suis à la disposition du Sénat. Cependant, je me demande si, à cette heure, il me sera possible de donner au Sénat toutes les explications que je lui dois.
M. le président. Dans ces conditions, le Sénat voudra sans doute renvoyer à la prochaine séance la suite de la discussion de l'interpellation. (Assentiment.)
Il n'y a pas d'opposition ?.
Il en est ainsi décidé.

 

Au 1" janvier 1935, le nombre des réseaux automatiques ruraux déjà en service dans les régions de Paris, Rouen et Rennes principalement, s'élevait à 2.086 et le nombre des abonnés ruraux à 21.064.

En 1935, par le décret du 19 juillet 1935 (BO PTT 1935 n°23 page 509) relatif à l'établissement du téléphone automatique-rural et le décret complémentaire du 30 octobre 1935 (BO PTT 1935 n°33 page 808), le système téléphonique dit " système automatique-rural", plus 'automatique' dans le nom que dans la réalité, est adopté en France, il se fera avec du matériel R6
Préféré au système automatique ROTARY 7D au coût jugé trop élevé (celui-ci sera en revanche déployé massivement dans les campagnes de Grande-Bretagne et de Suisse), le système automatique-rural permet cependant de commencer le désenclavement de plusieurs départements ruraux laissés pour compte depuis les débuts du téléphone.
Le téléphone automatique rural du type R. 6 doit être installé dans les 40 départements suivants :
1° Départements à équiper en entier :
Ain. Allier. Ardèche. Ariège. Aude. Arrondissement de Belfort. Cher. Côte-d'Or. Drôme. Haute-Garonne. Indre. Loiret.
Lot. Lot-et-Garonne. Morbihan. Nièvre. Nord. Hautes-Pyrénées. Deux-Sèvres. Tarn.Var. Vienne. Haute-Vienne. Yonne.

2° Départements à équiper partiellement : Aisne. Alpes-Maritimes. Aveyron. Charente. Creuse. Landes. Loire. Lozère.
Maine-et-Loire. Marne. Meuse. Moselle. Haut-Rhin. Savoie. Seine-et-Oise. Tarn-et-Garonne.
Ces installations se répartissent en 276 groupes et portent sur 7.054 autocommutateurs ruraux, qui desservent 55.888 abonnés et 9.302 cabines.

L'histoire nous dira que le plan du système automatique-rural adopté pour la France (décret 1935) a en fait accru le retard d'automatisation du réseau téléphonique français dans sa globalité, par rapport au reste de l'Europe qui n'a pas retenu cette demi solution à coût réduit.
Le système automatique-rural a même par la suite, dans les années soixante, retardé l'automatisation totale des provinces.
Par exemple, en 1968, est mis en service un centre automatique-rural à Corté, dans le département de Corse...
À la décharge de M. le Ministre des PTT Georges Mandel qui fit en 1935 ce qu'il put avec les moyens du bord, la IIIème République déjà bien ébranlée dans ses fondations profondes était déjà très-essoufflée et noyée dans les scandales à répétitions qui n'allaient pas tarder à l'emporter dans le tourbillon impitoyable que l'Histoire réserve toujours aux plus faibles, aux imprévoyants et aux inconséquents.
Sauf rares exceptions notables comme Mr Mandel, la classe politique, était plus préoccupée par sa survie politicienne à court terme que par la modernisation du réseau téléphonique de télécommunications du pays, et encore moins par le réseau de communications routier français pour ainsi dire moyenâgeux..