International Telephone and Telegraph Corporation


ITT Inc. anciennement ITT Corporation est une société de fabrication américaine basée à Stamford, dans le Connecticut . La société produit des composants spécialisés pour les marchés de l'aérospatiale, des transports, de l'énergie et de l'industrie. Les trois activités d'ITT comprennent les processus industriels, les technologies de mouvement et les technologies de connexion et de contrôle.

L'entreprise a été fondée en 1920 sous le nom d' International Telephone & Telegraph .
Entre 1960 et 1977, sous la direction du PDG Harold Geneen, ITT a acquis plus de 350 entreprises et possédait un portefeuille comprenant des entreprises bien connues telles que les hôtels Sheraton, Avis Rent-a-Car, Hartford Insurance et Continental Baking, le fabricant de Wonder Bread. Au cours de cette période, ITT est passée d'une entreprise de taille moyenne avec un chiffre d'affaires de 760 millions de dollars à une société mondiale avec un chiffre d'affaires de 17 milliards de dollars.
Harold Geneen

Filiale allemande d'ITT : SE Lorentz
Filiale française d'ITT : ITT-LMT

Après les années de conglomérat, ITT a commencé à se restructurer par le biais de cessions et d'acquisitions stratégiques pour organiser l'entreprise en segments plus faciles à gérer. Cette restructuration a culminé en 1995 lorsque ITT s'est scindée en trois sociétés distinctes et indépendantes : ITT Corporation, qui se concentrait sur les activités hôtelières et de jeux ; ITT Hartford, qui est devenue une société d'assurance autonome ; et ITT Industries, qui a commencé comme un regroupement d'entreprises manufacturières.
Une décennie plus tard, ITT Corporation a été rachetée, ITT Hartford a changé de nom et ITT Industries a poursuivi sa transformation. ITT Industries, qui a repris son nom en ITT Corporation en 2006, a joué un rôle important sur plusieurs marchés vitaux, notamment le traitement de l'eau et la gestion des fluides, la défense et la sécurité mondiales, et le contrôle des mouvements et des flux.

Tout au long de chaque chapitre de son histoire, ITT a été connue pour avoir poursuivi des stratégies de transformation visant à créer de la valeur pour les actionnaires. En 2011, un nouveau chapitre a commencé lorsque ITT Corporation s'est scindée en trois sociétés indépendantes cotées en bourse, se séparant de ses activités liées à l'eau et à la défense. Après cinq années de succès, ITT s'est réorganisée en 2016 pour créer une toute nouvelle société mère, ITT Inc., un fabricant mondial multi-industriel de composants critiques de haute technicité et de solutions technologiques personnalisées pour un large éventail de marchés du transport, de l'industrie et de l'énergie.

En 2024, la nouvelle ITT a atteint plusieurs étapes clés : trois milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel et le seuil de capitalisation boursière de 10 milliards de dollars. La croissance et la différenciation de l'entreprise sont soutenues par une combinaison de plusieurs facteurs : l'exécution, la qualité du leadership et un bilan sans dette.
En plus de la croissance organique de l'entreprise, la croissance inorganique par le biais d'acquisitions a été un élément principal de l'histoire de la nouvelle ITT. Ces ajouts ont permis à l'entreprise d'élargir son portefeuille de produits sur les principaux marchés finaux qu'elle dessert : le transport, les flux (pour les industries industrielles, chimiques, énergétiques et minières) et l'aérospatiale et la défense. Parmi les acquisitions récentes de produits de haute technicité figurent Habonim (un fournisseur israélien de vannes et d'actionneurs), Micro-Mode (un fabricant californien de connecteurs spécialisés pour les applications spatiales et de défense) et Svanehøj (un fournisseur danois de pompes cryogéniques et liquides critiques personnalisées). En intégrant ces acquisitions dans le cadre opérationnel « Sécurité, Qualité, Livraison et Coût » de l'entreprise, ITT a connu une croissance durable et s'est consolidée en tant que leader mondial de la fabrication industrielle.
Grâce à l'accent continu d'ITT sur l'innovation, l'excellence opérationnelle et un service client irréprochable dans toutes ses marques, ITT est bien placée pour continuer à créer de la valeur pour ses clients, ses actionnaires et ses employés, aujourd'hui et à l'avenir.


sommaire

C'est en 1899 que Sosthenes Behn et son frère Hernand fondent le "New York International Telephone and Telegraph Corporation" et en 1920 qu'ils fondèrent International Telephone & Telegraph (ITT).
La famille de Behn était d'origine allemande et a émigré au Venezuela, où son père Guillermo Behn est né en 1840, s'installant en 1868 à St. Thomas, dans les îles Vierges danoises de l'époque. les Caraïbes.
Sosthenes Behn Hernand Behn
Hernand (Hernando) Enrique Behn est né à St. Thomas, le 19 février 1880 et décdédé le 07 ocrobre 1933, Saint-Jean-de-Luz, France. Sosthenes Behn est né le 30 janvier 1882 à St. Thomas et décédé le 6 juin 1957 à New York.
Après avoir étudié en Corse et à Paris, Sosthenes Behn débute sa carrière en 1901 dans une banque de New York .

Débuts et premières acquisitions
Cinq ans plus tard, Sosthenes et son frère Hernand reprennent l'entreprise sucrière de leur beau-père à Porto Rico et, alors qu'ils vivent sur cette île, achètent la Puerto Rican Telephone Company ; ils acquièrent plus tard la Cuban Telephone Company en 1914, ainsi que la Cuban-American Telephone and Telegraph Company et une moitié de participation dans la Cuban Telephone Company.
Les activités commerciales des frères sont interrompues par la Première Guerre mondiale ; Behn sert dans le United States Army Signal Corps.
En 1920, les Behn et un troisième associé fondèrent ITT , dans laquelle ils incorporèrent leurs avoirs portoricains et cubains. Ils obtinrent plus tard des concessions téléphoniques pour l'Espagne et la Roumanie.
Son nom ITT est inspiré de l'American Telephone and Telegraph Company (AT&T). Ils espéraient profiter d'un marché industriel qui existait à peine en dehors des États-Unis . En 1920, les États-Unis comptaient 64 téléphones pour 1 000 habitants, tandis que l'Allemagne comptait 9 téléphones pour 1 000 habitants, la Grande-Bretagne 5 pour 1 000 et la France 3 pour 1 000.
À cette époque, trois entreprises, Siemens, Ericsson et AT&T, dominaient ce qu'il restait du marché mondial.

Ayant pris le contrôle d'une société de téléphones à Porto-Rico, les frères Behn qui avaient démontré un savoir-faire dans la gestion des réseaux téléphoniques réitérèrent leur coup dans les Caraïbes, à Cuba. Ils gagnèrent la confiance de la National City Bank, et les dons de négociateurs de Sosthenes Behn lui permirent de prendre pied en Europe et de décrocher la reprise du réseau téléphonique espagnol.
La première expansion majeure d'ITT eut lieu en 1923, lorsqu'elle consolida les opérateurs du marché des télécommunications en Espagne dans ce qui devint plus tard Telefónica .
De 1922 à 1925, ITT acheta un certain nombre de compagnies de téléphone européennes.
ITT était confrontée au problème de ne pas disposer de sa propre usine d'équipements téléphoniques, ce qui était indispensable si elle ne voulait pas avoir ses concurrents comme fournisseurs.
En 1925 Sosthène jette son dévolu sur l'International Western Electric Co.Inc, IWEC au Royaume-Uni, une filiale de l'American Telephone and Telegraph (AT&T), la BTM établie à Anvers en Belgique, avec des usines dans différents pays et l'un des plus importants fabricants d'équipements de télécommunications en Europe. AT&T subissait des pressions de la part du gouvernement américain pour qu'il vende une partie de ses activités et cesse d'être un monopole. Cette décision a fait d'ITT un fabricant majeur de télécommunications dans 11 pays.
La Bell Telephone Manufacturing Company (BTM) d'Anvers, fabriquait des équipements de commutation à système rotatif (Rotary)
Soshenes a conclu un accord avec AT&T qui a effectivement établi une division du secteur des télécommunications ; AT&T ne serait pas compétitif à l'étranger et ITT s'était engagé à ne pas établir d'usines aux États-Uni.
1930 Le nom de l'International Western-Electric Co a été changé en International Standard Electric Corporation IWEC, créant rapidement des centres de recherche à Paris et à Londres.
En tant que président dans les années 1920, Hernand fit passer les actifs de l'entreprise de 38 à 535 millions de dollars, créant un réseau mondial de câbles et de systèmes téléphoniques locaux dans plus de trente pays.

1930 En France, la stratégie fixée par l'administration Rotary, R6 , Strowger, est enfin en marche. Consultez le débat parlementaire du 3 juillet 1930 présidé par Paul Doumer analysant la situation, de la France et des autres pays en matière de déploiement du téléphone, des doutes, des choix, des décisions ...

sommaire

La multinationale ITT de 1926 à 1939

Dès sa création, ITT a donc été plus qu'aucune autre firme, une « multinationale » puisque le groupe n'avait jamais été réellement implanté aux États-Unis alors qu'il y avait son siège social. Limité à l'exploitation téléphonique avant 1925, avec le rachat d'IWEC, le groupe étendit ses activités à la fabrication d'équipements.

L'exploitation des réseaux téléphoniques nécessitant l'achat de centraux téléphoniques onéreux, ITT voulut disposer de sa propre technologie et saisit l'opportunité du démantèlement du géant American Telegraph and Telephon (AT&T), en vertu de la législation américaine antitrust qui contraignit ATT à se défaire de sa branche européenne Western Electric, laquelle, rebaptisée par ITT International Standard Electric (ISE), comprenait notamment la britannique Standard Telephon & Cables (STC), la française Le Matériel Téléphonique (LMT) et la belge Bell Telephon Manufacturing Co (BTM).
Des laboratoires de haut niveau furent créés à Paris et à Londres. Devenu indépendant technologiquement, ITT poursuivit son expansion dans le secteur de l'exploitation des réseaux dans la plupart des pays d'Amérique Latine et en Europe. Les dernières acquisitions furent réalisées en Allemagne avec la prise de contrôle de Ferdinand Schuchardt en 1929 et de Lorenz.

- Une partie du développement d'ITT se réalisa en Europe.
** En Espagne, à côté de la CTNE, une société industrielle, Standard Elétrica S.A. créée au sein d'ITT, comptait plus de 1 800 employés en 1928.
Les sociétés européennes rachetées à ATT utilisaient pour la plupart des anciens brevets de Western electric, ce qui mettait ITT sous la dépendance d'ATT. Pour se dégager de cette dépendance, des activités de recherches furent développées dans les pays où ITT était implanté, c'est-à-dire en Europe : en 1926, LMT remporta un important appel d'offres de l'administration française des PTT et réussit à placer des systèmes de commutation de type Rotary, héritées de la Western electric. En contrepartie, ITT s'était engagé à créer un laboratoire de recherches et d'études, les LLMT dont les effectifs atteignaient 700 personnes en 1930. Maurice Deloraine fut nommé directeur de ce laboratoire qui apporta à ITT une position dans la recherche de pointe dans le domaine des télécommunications: Hyperfréquences que l'on appelait encore ondes ultra-courtes, téléphonie multiplex, modulation d'impulsion codée. À la demande des administrations françaises, les LLMT s'engagèrent également dans des recherches conduisant à des applications militaires: radiogoniométrie à lecture instantanée, et, à partir de 1938, radar.
La filiale anglaise STC fut investie dans un projet ambitieux de câble téléphonique sous-marin par le biais de son laboratoire, Standard Telecommunication Laboratories (STL). À la suite de la crise de 1929, ce laboratoire britannique de 420 personnes fut dissous en 1939.
** En 1929 et 1930, ITT s'implanta en Allemagne avec l'acquisition de Ferdinand Schuchardt, Standard Elektrizitäts-Gesellschaft (SEG), liée à AEG, et C. Lorenz AG, ancienne filiale de Philips. Lorenz apportait au groupe ITT une position de pointe dans le domaine du radioguidage et atterrissage sans visibilité. Le système Lorenz installé à l'Aéroport de Berlin-Tempelhof fut installé en 1934 en divers points du monde.
- L'autre partie du développement d'ITT fut réalisée en Amérique latine.
ITT commença par prendre le contrôle, en 1926, d'une société américaine All America Cables, qui exploitait des lignes télégraphiques aux États-Unis et en Amérique latine. Dans les deux années qui suivirent, ITT fit l'acquisition d'une demi-douzaine de compagnies de téléphone en Amérique du Sud : Uruguay, Chili, Brésil, et finalement Argentine. Dans ce dernier pays ITT prit s'empara d'abord d'une petite société, la Compania Telephonica avant d'acheter en 1929 à des investisseurs britanniques la concession de la United River Plate Telephone.
- Aux États-Unis,
ITT prit le contrôle en 1928 de la société Mackay, fabricant d'équipements de communications et propriétaire des sociétés Postal Telegraph et Commercial Cable qui possédait sept câbles télégraphiques sous-marins reliant les États-Unis à l'Europe et un câble traversant le Pacifique. ITT avait réalisé l'opération au travers de la Postal Telegraph & Cable Corporation, créée pour l'occasion. Avec l'aide des banques Morgan & Co et National City Bank, la Postal Telegraph émit 52,3 millions de dollars d'obligations qui furent échangées contre des actions privilégiées.

L'expansion d'ITT qui semblait devoir se poursuivre au travers d'un accord avec RCA fut stoppée par la Grande Dépression qui éclata aux États-Unis en octobre 1929. La croissance d'ITT s'était réalisée au prix d'un fort endettement. Les acquisitions allemandes de 1929 et 1930 (notamment Schuchardt, SEG, Lorenz, mentionnées ci-dessus) seront les dernières opérations de la phase d'expansion.
Cependant, en 1932, la situation était devenue catastrophique. La dette à long terme du groupe atteignait alors 188 millions de dollars. La cote de l'action ITT avait atteint un niveau record la veille du Krach de 1929. En moins d'un an, elle fut divisée par 8. Le versement des dividendes fut suspendu. Il n'était plus possible d'offrir des actions ITT pour acquérir de nouvelles entreprises. La situation d'ITT fut aggravée par la chute de l'empire du financier Suédois Ivar Kreuger avec lequel Sosthenes Behn était en pourparlers pour le rachat d'Ericsson.

Curieusement, la législation antitrust états-unienne avait débouché sur une sorte de Yalta entre AT&T qui restait confinée au marché intérieur et ITT qui avait les atouts pour conquérir le marché mondial mais ne se risquait pas à une guerre avec ATT sur le marché intérieur.
ITT possédait une seule société états-unienne d'une certaine importance, Postal Telegraph, déclarée en faillite en 1935, mais dont les nombreuses filiales ne disparaitront pas, nous serons en particulier amenés à reparler de l'une d'entre elle, la Federal Telegraph Company.

En 1932, Hernand commença à souffrir de graves problèmes de santé, partant pour Paris pour se faire soigner et se retirant plus tard dans sa résidence d'été à Saint Jean de Luz, où il mourra.
En 1933, après la mort de son frère, Sosthenes prend le contrôle exclusif d'International Telephone and Telegraph, la société qu'il a cofondée avec son frère, Hernand . Sosthenes mis au point une formule financière grâce à laquelle ITT a pu surmonter les lourdes pertes de la Grande Dépression. Lorsque Sosthenes pris sa retraite, ITT employait, par le biais de 100 filiales dans le monde, plus de 40 000 personnes et réalisait un chiffre d'affaires annuel de plus de 500 millions de dollars.

A partir de 1931, ITT souffrit de la Grande dépression, mais la situation se redressa à partir de 1934 où son chiffre d'affaires consolidé avoisinait les 79 millions de dollars, soit 4500 MF (En France, dans le secteur de la radioélectricité, une société de 2500 personnes comme la SFR réalisait un chiffre d'affaires de 100 MF). De ce vaste empire, seul le siège social était basé aux États-Unis, à New-York, mais en fait, l'état-major d'ITT suivait son patron installé dans les meilleurs hôtels de Londres, Madrid ou en été, de Saint-Jean-de-Luz

Bien que petite, la société Behn était bien placée pour être compétitive sur le marché international en pleine croissance. Elle exploitait la South Puerto Rico Telephone Company depuis 1905 et la Cuban Telephone Company depuis 1916. Dans les deux cas, elle fit preuve d'ingéniosité et de compétence pour transformer des sociétés inefficaces en des sociétés bien gérées et rentables, avec de bons états de service.
La mission de Sosthenes Behn au sein de la Force expéditionnaire américaine pendant la Première Guerre mondiale (où il obtint le grade de lieutenant-colonel) mit en œuvre sa vision d'un système téléphonique international. Behn avait l'intention de mettre en place ce système international par l'intermédiaire de l'ITT, que lui et son frère Hernand créèrent en 1920 comme société holding pour leurs sociétés existantes et pour celles qu'ils allaient acquérir.

En 1936, ITT sortait d'une passe difficile.
Le chiffre d'affaires et les bénéfices repartirent à la hausse. Le principal dommage de la crise ayant été la mise en faillite de la Postal Telegraph. Le quart des bénéfices provenait de la filiale espagnole CTNE. Sosthenes Behn suivait donc avec attention les évènements qui se déroulaient en Espagne. Avec la victoire en 1936 Frente popular de Manuel Azaña le nouveau ministre demanda la révision de la concession de la CTNE. Sosthenes Behn se rendit à Madrid aux débuts de la guerre civile espagnole. Catholique fervent et anticommuniste, il était proche de Franco. Et, avec le concours de l'ambassadeur des États-Unis, il obtint des loyalistes républicains la protection des installations de la CTNE. ITT joua donc un double-jeu pendant le conflit espagnol.

sommaire

Le prélude espagnol

Dans le système international ITT, les activités industrielles et la recherche étaient d'abord là pour permettre aux sociétés d'exploitation de réaliser du profit sans que celui-ci ne soit obéré par des commandes passées à des équipementiers concurrents. En 1936, lorsque le Frente popular remporta les élections en Espagne, la CNTE représentait près du tiers des lignes téléphoniques exploitées par ITT dans le monde et rapportait le quart de l'ensemble des bénéfices que percevait la maison mère.
En Espagne, comme dans tout nouveau pays où il s'implantait, Behn avait eu soin de peupler le conseil d'administration des filiales ITT de personnalités proches du pouvoir ou du roi Alphonse_XIII. Depuis 1924, de l'eau avait coulé sous les ponts, les difficultés économiques firent tomber Primo de Rivera en janvier 1930 et le roi s'éclipsa peu après. En 1931 un éphémère premier ministre Manuel Azaña y Diaz tenta de renégocier la concession de la CNTE. Le même Azaña fut élu président en mai 1936 par une coalition de gauche, et le gouvernement de Santiago Quiroga exigea la révision de la concession de la CNTE. Il s'agissait d'une violation évidente de l'accord de 1924 qui prévoyait une concession de vingt ans. Comme les actionnaires d'ITT étaient citoyens des États-Unis, ITT demanda l'intervention de l'ambassadeur Bowers et les autorités espagnoles oublièrent leurs projets car il aurait été malvenu pour le nouveau gouvernement de se mettre à dos les États-Unis au moment où l'armée complotait contre le régime. La sédition devint ouverte le 17 juillet lorsque le Maroc espagnol bascula du côté de Franco. Le capitaliste et catholique Behn qui ne cachait pas en privé ses sympathies pour les insurgés, arriva à Madrid pour remplacer le directeur d'ITT en Espagne qui venait de décéder. Behn s'installa au dernier étage de la CNTE alors que des milices syndicales occupaient les étages inférieurs. Dans le même temps, les ouvriers reconvertissait les usines ITT de Barcelone dans l'industrie de guerre et décrétaient unilatéralement une augmentation de salaires. Dans ces circonstances troubles, Behn suivit scrupuleusement les recommandations du département d'État américain, et l'état-major d'ITT renonça au projet de rester à Madrid lorsque les franquistes s'approchaient de la capitale de peut que cette attitude ne soit interprétée par les ouvriers de Barcelone comme une prise de parti en faveur des fascistes. Lorsque l'ambassade américaine quitta Madrid pour Barcelone, l'état-major d'ITT suivit le mouvement et installa le siège social de la CNTE à Barcelone. Les relations entre la CNTE et le gouvernement républicain se rafraichirent sérieusement en mai 1937 lorsque le président de la compagnie espagnole, Gumersindo Rico, qui était à Burgos avec les franquistes, annonça que les dividendes seraient désormais versés uniquement « dans les territoires libérés par la glorieuse armée espagnole ».
Ces sympathies prononcées pour les franquistes n'entrainèrent pas un traitement de faveur de la part des nationalistes vis-à-vis de la CNTE et d'ITT. Dés novembre 1936, les insurgés avaient commencé à exercer des pressions pour qu'ITT cesse sa coopération avec les Républicains. Au cours des deux années suivantes, les concurrents allemands d'ITT essayèrent de mettre à profit l'influence des nazis auprès de Franco pour sortir la firme américaine du téléphone espagnol et lorsque Franco prit Madrid en avril 1939, il commença par bloquer les vélléités d'ITT de reprendre l'exploitation téléphonique en Espagne pour favoriser ses alliés allemands. Encore une fois il fallut l'intervention du Département d'État américain pour faire entendre raison à Franco qui, à l'instar d'Azaña trois ans plus tôt, ne voulait pas se mettre les Américains à dos. La concession d'ITT alla jusqu'à son terme et ce ne fut qu'en 1945 que le gouvernement espagnol, toujours franquiste reprit à son compte l'exploitation du téléphone dans le cadre d'un accord qui comprenait le versement d'une indemnisation correcte à ITT.

sommaire

ITT dans l'Allemagne nazie

Il est classique de présenter la Guerre d'Espagne comme le prélude du conflit mondial. Pour ITT, ce fut aussi une épreuve du feu où il s'avéra qu'en situation de guerre, même régionale, l'internationalisme n'était plus de mise et que la multinationale devait ressortir son passeport si elle prétendait bénéficier de la protection des États-Unis. Ce point a été très correctement démontré par l'historien spécialiste de politique étrangère Douglas Little. Indépendamment des relations de la multinationale avec le Département d'État , le cas espagnol montre la vulnérabilité du modèle ITT face aux tentations de n'importe quel gouvernement pour se réapproprier l'exploitation du réseau téléphonique, service pouvant être considéré comme relevant naturellement des attributions de l'État.


Telle n'était pas la situation en Allemagne où les actifs ITT relevaient de l'activité industrielle. Il s'agissait de trois sociétés acquises entre 1929 et 1931, Ferdinand Schuchardt, Standardt Elektrizitäts-Gesellschaft (SEG), liée à AEG, et C. Lorenz AG, une ancienne filiale de Philips. Ferdinand Schuchardt fut ensuite chapeauté par la SEG. Il s'agissait alors pour ITT de compléter sa présence en Europe par une implantation dans le pays qui en constituait le plus grand marché et dont le niveau scientifique et technique était de loin le plus avancé en dépit des difficultés économiques rencontrées par la République de Weimar et de son instabilité politique. En plus de son propre marché, l'Allemagne était la voie d'entrée naturelle à toute l'Europe de l'Est, notamment en ce qui concernait les équipements téléphoniques. Les acquisitions d'ITT en Allemagne se situent dans un contexte plus général d'investissements américains depuis le début des années 1920. D'après l'historien britannique Adam Tooze, en 1939, l'ensemble des investissements directs américains dans les entreprises allemandes se situaient autour de 450 millions de dollars. En tête venaient la Standard Oil et General Motors à chacune desquelles on pouvait imputer près de 60 millions de dollars. Après ces deux champions, trois groupes américains avaient investi environ 20 millions de dollars: Woolworth, Singer et ITT. Tous ces investisseurs vécurent une période difficile au cours de la Grande dépression des années 1930. ITT, en particulier vit son chiffre d'affaires chuter de plus de 30%. Dans ces conditions, la reprise économique de l'Allemagne qui suivit l'avènement d'Hitler au pouvoir en 1933 était encourageante et le rigoureux contrôle des devises qui interdisait tout rapatriement de dividendes n'était qu'une péripétie, certes gênante, car la trésorerie d'ITT n'était guère florissante, mais acceptable, en regard des milliards de dollars, également bloqués, que l'Allemagne devait encore à ses créanciers étrangers, même après l'annulation des réparations de guerre. En 1934, les filiales allemandes représentaient 4% de la totalité des actifs d'ITT, moins que dans bien d'autres pays, Grande-Bretagne, Mexique, Chili, Espagne ou Argentine, mais dans la région du monde qui connaissait la plus forte croissance. Pour diriger cette partie allemande d'ITT, Behn, fidèle à son habitude, avait placé des personnalités proches du pouvoir: le baron Kurt von Schroeder qui avait été au sein de la communauté financière, l'un des premiers partisans d'Hitler, et le docteur Gerhardt Westrick, représentant officiel en Allemagne des sociétés américaines Texas Company et General Electric.
Schroeder et Westrick travaillaient en collaboration avec le banquier New-Yorkais Henry Mann. A partir de l'accession au pouvoir d'Hitler, en 1933, ces deux hommes, Schroeder et Westrick ont véritablement géré SEG et Lorenz, sans doute au mieux des intérêts d'ITT, mais dans le cadre de l'économie dirigée du Troisième Reich. Schroeder et Westrick sont particulièrement représentatifs des responsables économiques, mi-fonctionnaires du régime, mi-entrepreneurs, qui s'épanouissent dans l'atmosphère du Troisième Reich.
En Allemagne, Sosthenes Behn entretint de bonnes relations avec Hitler devenu Chancelier en 1933.
Le 3 août 1933, Adolf Hitler reçoit Sosthenes Behn (alors PDG d'ITT) et son représentant allemand, Henry Mann, lors de l'une de ses premières rencontres avec des hommes d'affaires américains .

Alors que pour ITT, l'investissement en Allemagne était à long terme, ses vaches à lait restait l'exploitation des réseaux téléphoniques en Espagne et en Amérique latine, c'est-à-dire essentiellement le Mexique, le Chili et surtout l'Argentine où il n'était pas toujours très bien vu d'être Yankee et où le rapprochement avec l'Allemagne prenait des dimensions économiques autant qu'idéologiques. Nous avons vu Behn prendre carrément la barre du navire en Espagne pour affronter la tempête. En Allemagne, il suivit de plus loin les affaires et laissa Westrick et Schroeder mener la barque. De toutes façons, les nazis ne lui laissaient guère le choix, que ce soit à propos des des marchés qui devenaient de plus en plus militaires, ou que ce soit à propos du réinvestissement des bénéfices qui ne pouvaient pas quitter l'Allemagne. Je serai d'ailleurs bien en mal d'aller plus en détail car il ne reste aucune trace de rapports d'activité de SEG ou de Lorenz au cours des années 1930. Selon Robert Sobel, on croit que ces deux sociétés ont continué à produire de l'équipement téléphonique, télégraphique et radiophonique tout en acceptant un nombre toujours plus grand de commandes provenant de l'Armée. Sur le plan technique, un des points forts de Lorenz tournait autour du radioguidage et de l'atterrissage sans visibilité, problèmes qui concernaient aussi bien le marché de l'aviation civile que celui de l'aviation militaire. Le système Lorenz inauguré en 1934 à l'Aéroport de Berlin-Tempelhof fut installé en divers points du monde. A la fin de l'année 1936, 35 aéroports en étaient équipés. Lorenz recevait de grosses commandes de la Luftwaffe. En 1938, cette filiale investit ses bénéfices en prenant une participation de 25% dans Focke-Wulf Flugzeugbau, une société qui fabriquait des avions de ligne, mais qui elle aussi était de plus en plus impliquée dans le secteur militaire. Lorenz investit également une partie de ses bénéfices dans la compagnie Huth qui fabriquait des équipements radiophoniques et électriques.

À partir de 1937, il fut impossible à ITT de rapatrier des dividendes des filiales allemandes. Cette restriction arrivait à un moment où ITT avait particulièrement besoin de liquidités. Jusqu'en 1939, Sosthenes Behn ne crut jamais que la guerre était inéluctable. Tous les cadres supérieurs des filiales allemandes et autrichiennes d'origine juive furent congédiés en application de la réglementation nazie. ITT fut l'un des derniers groupes industriels à appliquer cette mesure. Les filiales d'ITT reçurent d'importantes commandes d'armement de l'ensemble des puissances européennes. L'ISE qui chapeautait les filiales françaises et britanniques put ainsi verser 3,6 millions de dollars de dividendes. Faute de pouvoir verser des dividendes, les filiales allemandes réinvestissaient sur place leurs bénéfices.
En mars 1938, de plus en plus de décisions étaient prises par les directeurs de Berlin sans consultation préalable de la maison-mère.
En 1938, Lorenz acquit ainsi le quart des actions de la Focke-Wulf Flugzeugbau, une société cliente de Lorenz qui fabriquait jusqu'alors des avions civils et qui devint de plus en plus engagée dans le secteur militaire.

Après l'Anschluss, la gestion de la filiale autrichienne Czeija-Nissl fut transférée ipso facto à Berlin et l'une des premières décisions fut d'éliminer de la direction autrichienne et du conseil d'administration toutes les personnalités non-aryennes, ainsi que le prescrivait la loi. La démission du président du conseil Franck Nissl, n'empêcha pas les nouvelles autorités autrichiennes de faire prendre en charge la totalité de la société par un « Bureau de transfert des propriétés », sous prétexte que la société avait été anciennement dans les mains de citoyens américains. Westrick et Henry Mann s'en ouvrirent après des autorités Berlinoises, le secrétaire d'État Keppler et le ministre des affaires étrangères von Ribbentrop qui donnèrent l'assurance que les intérêts américains ne seraient pas lésés. Cet incident servit de prétexte à Behn pour rencontrer Hitler. Henry Mann organisa et participa à la rencontre, à la chancellerie. De passage à Paris, Behn évoqua cette rencontre à son collaborateur français Maurice Deloraine qui rapporta la conversation en 1972:
« Behn, qui ne parlait pas allemand, nous dit à Paris qu'il avait trouvé Hitler mieux habillé et plus élégant qu'il n'aurait pensé: il fut très satisfait de l'entrevue. Il avait compris que l'avenir d'ITT n'était pas compromis, mais que le problème de transfert de fonds à l'étranger n'était pas résolu. »
Lorsqu'en décembre 1941, l'Allemagne déclara la guerre aux Etats-Unis, toutes les filiales de sociétés états-uniennes, considérés comme biens ennemis, furent mises sous séquestre avec nomination d'un administrateur provisoire qui fut peut-être le même que celui de LMT, une société ad hoc Europaïsche Elektro Standard. Ce nouveau statut ne changea pas grand chose, car les directeurs demeurèrent inchangés, et il y avait longtemps que l'ensemble de l'industrie allemande recevait directement ses directives du ministère du Plan (Vierjahresplan) de Göring. Qu'elles soient d'origine nationales ou filiales de groupes étrangères, les grandes entreprises industrielles s'intégraient parfaitement bien à l'économie de guerre de l'Allemagne nazie.

Dans son livre Wall Street and the Rise of Hitler , Antony C. Sutton affirme que des filiales d'ITT ont effectué des paiements en espèces au chef SS Heinrich Himmler . ITT, par l'intermédiaire de sa filiale C. Lorenz AG , possédait 25 % de Focke-Wulf , l'avionneur allemand, constructeur de certains des avions de chasse les plus performants de la Luftwaffe . Dans les années 1960, ITT Corporation a obtenu 27 millions de dollars en compensation pour les dommages infligés à sa part de l'usine Focke-Wulf par les bombardements alliés pendant la Seconde Guerre mondiale .
En outre, le livre de Sutton révèle qu'ITT possédait des actions de Signalbau AG, Dr. Erich F. Huth (Signalbau Huth), qui produisait pour la Wehrmacht allemande des équipements radar et des émetteurs-récepteurs à Berlin , Hanovre (plus tard usine Telefunken ) et dans d'autres endroits. Pendant que les avions ITT-Focke-Wulf bombardaient les navires alliés et que les lignes ITT transmettaient des informations aux sous-marins allemands, les radiogoniomètres ITT sauvaient d'autres navires des torpilles. Les paiements à Himmler ont été notés dans un rapport d'enquête bancaire de 1946 par le Bureau du gouvernement militaire des États-Unis.
Les usines Focke-Wulf fabriqueront pendant la guerre des chasseurs de nuit pour la Luftwaffe, (les Focke-Wulf Fw 190)28. En 1967, en réparation des dommages de guerre causée par l'US Air Force, ITT sera indemnisée de 5M$ au titre des parts détenues dans Focke-Wulf29. À ce propos, le journaliste britannique Anthony Sampson écrit : « Et maintenant, ITT se présente comme l'innocente victime de la Seconde Guerre mondiale, et a été grassement récompensée pour ses pertes. En 1967, près de trente ans après les évènements, ITT s'est débrouillé pour obtenir du gouvernement américain 27 millions de dollars à titre de compensation pour les dommages subies par les usines Focke-Wulf, au prétexte qu'il s'agissait d'une propriété américaine bombardée par les alliés.
ITT devint le principal actionnaire de Focke-Wulf Flugzeugbau GmbH avec 29 %, et le resta pendant toute la durée de la guerre. Cela était dû au fait que la part de Kaffee HAG était tombée à 27 % après le décès en mai du directeur de Kaffee HAG, le Dr Ludwig Roselius . Les documents de l'OMGUS révèlent que le rôle du conglomérat HAG n'a pas pu être déterminé pendant la Seconde Guerre mondiale.

sommaire

1926-1939 Le point sur ITT en France

L'implantation d'ITT en France remonte aux années 1925-1926 et s'articule autour de trois évènements: Le rachat de Western Electric, l'appel d'offres des PTT pour le central téléphonique Carnot, et le rachat de la Compagnie des Téléphones Thomson-Houston. Pour enlever l'appel d'offres des PTT remporté en 1926, LMT avait été amené à s'engager à créer des laboratoires.
Maurice Deloraine qui marqua de son empreinte l'histoire de LMT fut nommé à moins de trente ans directeur des LLMT, les laboratoires que LMT installa au 46 avenue de Breteuil conformément à ses promesses. Deloraine était l'un des plus jeunes anciens de la « Bande à Ferrié » qui entourait le Général Gustave Ferrié pendant la Première Guerre mondiale, à l'époque où la radio française était à un niveau d'excellence mondiale. Ferrié avait encouragé son jeune collaborateur à tenter l'aventure américaine et c'est ainsi qu'après être passé par les États-Unis et la filiale britannique de Western Electric, Deloraine se retrouvait dans le groupe ITT. Les LLMT, dont les effectifs avaient atteint 700 personnes en 1930, furent le lieu à partir duquel LMT entreprit une politique de diversification. et étendit ses activités à un certain nombre d'activités civiles et à la radiogoniométrie dont les études étaient effectuées sous la direction d'Henri Busignies, recruté par Deloraine en 1928. Dans le domaine de la téléphonie, les LLMT avaient également une excellente position dans le domaine naissant des hyperfréquences dont la maitrise était nécessaire pour aborder les faisceaux hertziens.
A l'approche de la guerre, les LLMT reçurent de la Défense nationale un certain nombre de commandes concernant des appareils de bord pour avions et divers matériel de guerre. En 1938, la Marine passa une commande pour fabriquer un radar de veille lointaine à impulsions. A la même
époque, la SFR développait sur fonds propres un radar à ondes centimétriques. La Section d'études et de matériel de transmissions des armées (SEMT) dirigée par le commandant Labat et censée concevoir le matériel militaire ne comptait alors qu'une trentaine d'ingénieurs et faisait donc largement appel à la sous-traitance, souvent des petites sociétés, plus réactives que les grosses, et surtout, moins arrogantes. En France, il n'y avait dans le domaine de la téléphonie et de la radioélectricité que deux sociétés assez importantes et ambitieuses pour s'être dotées de laboratoires de recherches de bon niveau: la SFR et LMT, mais curieusement, la SEMT entretenait une relation plus étroite avec LMT qu'avec la SFR dont le directeur technique était le « colonel » Brenot, ancien adjoint de Ferrié. Sans doute Labat, véritable successeur de Ferrié, avait-t-il plus d'atomes crochus avec Deloraine qui était de la même génération que lui qu'avec les dirigeants de la SFR, mais les liens étroits entre les LLMT et les administrations tenaient aussi aux origines de la création des laboratoires de l'avenue de Breteuil: une demande des administrations françaises.
En même temps qu'un certain nombre d'équipes installées dans le monde scientifiquement développé, les ingénieurs Gloess et Busignies inventèrent le radar moderne, doté d'un écran cathodique pour visualiser les cibles. Ils inventèrent également certains procédés sophistiqués comme le MTI (Moving Target Indicator) pour éliminer les échos produits par des objets fixes.
Installé en février 1940 sur l'île de Port-Cros, près de Toulon, le radar mis au point par LMT fut utilisé entre la déclaration de guerre de l'Italie, le 10 juin 1940 et la demande d'armistice du 17 juin. Il prouva son efficacité en permettant de déjouer une attaque d'avions italiens sur la base de
Toulon.

sommaire

1940 ITT en France

Les filiales d'ITT en France ont participé à l'effort de guerre français sur le front économique comme le firent pour l'Allemagne les filiales allemandes. Ceci ne fut pas la conséquence d'une quelconque stratégie d'ITT de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de manger à tous les râteliers, mais découle plus simplement de la capacité des puissances belligérantes à mobiliser sur leur sol les ressources industrielles et techniques.
Pendant la drôle de guerre, LMT avait consacré tous ses efforts à la Défense Nationale. La société fabriqua toutes sortes de matériel, bouchons de grenade, têtes spéciales de fusée, postes émetteurs-récepteurs, altimètres etc... Forts de 5 400 personnes en 1930, les deux établissements subirent les effets de la récession mondiale, et les effectifs n'étaient plus que de 2 700 au moment de la déclaration de guerre. La participation à la bataille de l'armement les fit grimper à 4 300 le 31 mai 1940.
Par bien des aspects, LMT occupe donc une place très voisine de celle de la SFR, mais sa qualité de filiale d'un groupe anglo-saxon va incurver quelque peu sa trajectoire. Les ingénieurs des sociétés ITT d'Angleterre, n'ayant pas été réquisitionnés en Angleterre pour participer à des projets militaires, Deloraine en fit venir une demi-douzaine pendant la drôle de guerre, pour travailler avenue de Breteuil. Auparavant, les laboratoires de Paris et de Londres, soumis aux règles de sécurité respectivement françaises et britanniques, travaillaient de façons complètement cloisonnée en ce qui concernait les recherches militaires. Lors d'une visite à Paris, Robert Watson-Watt, le responsable des développements radar anglais avait expliqué à Deloraine que la question des radars n'était pas traitée en France avec la sécurité nécessaire et que des échanges techniques sur ce sujet était absolument exclus. En mars 1940, il semble que la situation ait évolué, des savants anglais se rendirent en France, et Deloraine fut invité à aller voir leurs installations. A peu près à la même époque, Maurice Ponte, le responsable des projets radars de la SFR avait un mal fou à obtenir un visa et dût finalement mettre en avant la nationalité, britannique, de son épouse pour aller présenter son magnétron à son homologue de la GEC à Wembley. Un mois avant la visite de Ponte à Wembley, c'est Deloraine avait transmis aux Anglais toutes les publications françaises concernant le radar, y compris celles émanant de la SFR, et il fut surpris d'entendre de la part des Anglais que cette documentation pourtant déjà publiée devait désormais être classifiée.
Comme les autres industries parisiennes, LMT avait préparé un plan de repli au sud de la Loire, dans une usine désaffectée à Bois-Laribière, près de Limoges. Par chance, le lieu de repli prévu était situé dans la future zone « non occupée ». La migration vers le Sud fut déclenchée le 12 juin, en pleine débâcle. Le général Jullien qui supervisait les transmissions réussit, depuis Bordeaux où il avait suivi le gouvernement, à conserver le contact avec les repliés de LMT pour annoncer que l'amirauté britannique avait réservé sur un chalutier des places non seulement pour les ingénieurs britanniques, mais aussi pour du personnel français. Le général Jullien avertit ses interlocuteurs civils que s'ils accompagnaient leurs collègues britanniques sur le chalutier, ils pourraient être considérés comme déserteurs en temps de guerre. Le principal problème résidait surtout dans le fait que les ingénieurs étaient alors séparés de leurs familles et ils ne voulaient pas s'embarquer dans ces conditions.
Il advint que le commandant Labat se trouva également à Bois-Laribière à ce moment où toutes les raisons étaient réunies pour plonger les Français dans le désarroi le plus profond. Pour passer cette crise morale, les ingénieurs de LMT avaient été invités à élaborer de nouveaux projets d'études dans des hangars sur des tables à tréteaux, et de son côté, le commandant Labat préparait le redéploiement du savoir-faire français dans la zone dite libre:
« ... il fut décidé avec le Commandant Labat qu'une grande partie du personnel du Laboratoire LMT resterait en zone non occupée et que leur programme serait choisi pour conserver un maximum de moyens et de connaissances techniques pour des jours meilleurs. J.M.Archange fut
chargé de la direction de ce laboratoire.. ».
De fait, parmi tous les laboratoires implantées à Lyon pendant la période de l'Occupation, LMT fut le premier, et la filiale d'ITT parvint ainsi maintenir ses relations privilégiées avec Labat et les nouvelles administrations françaises, en particulier le CCTI (Comité de coordination des communications impériales), organisme créé en partie pour poursuivre les activités de recherches militaires du SEMT. En 1943, sur un total de 39 millions de francs que distribue le CCTI pour des marchés d'études, LMT en rafle, alors que la SFR n'en obtient que six. Cette place privilégiée s'explique en partie par le fait que LMT est-il spécialisé dans le téléphone, ce qui lui donne les meilleures chances d'obtenir la plus grosse part des 10 MF réservées aux PTT.

sommaire

1940-1945 ITT aux États-Unis

Revenons à Deloraine qui remonte à Paris. Les Allemands arrivés le 15 juin dans la capitale s'étaient inquiétés de trouver l'usine de Boulogne presque entièrement vide comme toutes les usines de la région parisienne.
Le conflit mondial qui avait éclaté en septembre 1939 et que n'avait pas voulu voir venir Behn signifiait pour ce dernier la faillite de son concept de système international. La période 1940-1945 sera pour ITT une phase de recentrage sur le territoire des États-Unis, un recentrage qui est explicitement prévu dans le plan quinquennal publié en 1940, où il est beaucoup question d'activités manufacturières aux États-Unis et bien peu du développement des compagnies de téléphone. En fait, ITT ne détenait en Amérique du Nord qu'un ensemble disparate de sociétés qui avaient échoué dans son portefeuille au gré des manœuvres boursières menées dans les années 1920. La Federal Telegraph Company était l'une de ces petites sociétés, investie dans la production d'équipement de radiotélégraphie qui avait reçu des commandes militaires à la fin de l'année 1939. Behn articulera sa nouvelle stratégie nationale sur cette petite société de Newark, bien gérée et rentable. Jusqu'en 1939, il n'avait pourtant jamais jugé utile de franchir la Hudson River et de visiter les usines de cette obscure filiale. En 1940, Behn prit lui-même en main la restructuration de la Federal, créa une société jumelle, la Federal Telephon & Radio Laboratories, qui acquit un certain nombre de terrains pour construire de nouvelles usines, et
notamment, au sud de Long Island le terrain de Great River où fut construit le premier laboratoire d'ITT sur le sol américain.
Dans son fameux appel, le général de Gaulle avait invité « les ingénieurs et ouvriers spécialistes des industries d'armement » à venir le rejoindre, mais il ne recueilli aucun écho dans cette catégorie de population. Nous avons vu que les ingénieurs de LMT n'avaient pas voulu accompagner leurs collègues britanniques rapatriés, car ils ne voulaient pas partir sans leurs familles. Il est vrai que, réaliste, de Gaulle avait adressé son appel à ceux « qui se trouvaient en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver ». Pour diriger le laboratoire qu'il envisageait de créer, Behn fit transmettre en septembre un appel à Deloraine par l'intermédiaire du consulat des États-Unis à Paris. ITT représentait sans doute pour son directeur technique une sorte de seconde patrie, il accueillit favorablement cet appel et retourna d'abord à Lyon pour consulter Labat, lequel donna sa bénédiction pour un départ vers un pays ami. Le général Jullien, toujours en poste à Vichy, fut également prévenu, mais ne put donner une autorisation de sortie officielle. L'équipe qui quitta illégalement la zone occupée d'abord, puis la zone Libre comprenait en plus de Deloraine, Busignies, choisi pour ses connaissances en radiogoniométrie, Labin pour le radar et Chevigny pour les tubes hyperfréquences. Avec les familles, cela faisait treize personnes. Ils emportaient avec eux les plans de tous les matériels militaires qui pouvaient intéresser les Américains. Le gros de l'équipe débarqua à New-York le 31 décembre au soir après avoir transité par Marseille; Alger, Casablanca, Tanger et Lisbonne.
C'est donc avec les débris de son empire international que Behn ensemença les terres du New-Jersey qu'il avait acquises pour devenir une puissance industrielle et scientifique états-unienne.
Busignies ne devait jamais regagner les laboratoires de l'avenue de Breteuil. Il termina sa carrière aux États-Unis, prenant même la nationalité américaine en 1960. En 1955, il fut nommé président des laboratoires ITT.
Behn présenta Deloraine et Busignies aux représentants de l'Armée et de la Marine, mais ceux-ci étaient très méfiants vis-à-vis de Behn à cause de ses attaches supposées avec l'Allemagne, et ce ne fut qu'après que l'expert de la US Navy Maxwell K.Goldstein eut reconnu la grande valeur de
l'appareil conçu par Busignies que les Français reçurent des autorisations de travailler avec les laboratoires de la Navy. Kathleen Williams explique
qu'une restriction beaucoup plus sévère qu'aux autres sociétés américaines fut appliquée à ITT dans l'octroi des habilitations Défense, en raison de son caractère multinational. D'autres sociétés américaines dont le caractère multinational était également avéré obtenaient des habilitations qui étaient refusées à ITT. Parmi les raisons invoquées, il y avait cette forte implications d'ingénieurs étrangers - c'est-à-dire français - dans les nouveaux laboratoires d'ITT, et le fait que plus que toute autre société, ITT continuait d'entretenir des relations avec ses filiales étrangères situées dans les pays neutres, notamment en Amérique Latine. Dans les premiers mois de 1942 le même Goldstein mena des essais comparatifs entre le modèle britannique FH3 et le DAQ d'ITT. Il sélectionna le DAQ qui fut construit en 4000 exemplaires pour équiper les bâtiments d'escorte.
Sur les bateaux où ils étaient embarqués, ces radiogoniomètres étaient couramment appelés « Huff-Duff », comme HF/DF, raccourci pour High Frequency Direction Finder. Pour comprendre l'intérêt de ce Huff-Duff, il faut avoir à l'esprit que la bataille de l'Atlantique est avant tout un jeu de cache-cache où les U-Boote allemands sont tour à tour chasseurs et gibier.
La radiogoniométrie est aussi vieille que la radio elle-même: Comme à la réception, l'intensité du signal dépend de l'orientation de l'antenne, on a là un moyen de connaître la direction de l'émission.
Les sous-marins en mission doivent communiquer à leur base quelques informations, notamment leur position et cette communication peut les faire repérer. En 1938, il s'avéra que les Allemands avaient doté leurs sous-marins d'un système qui permettait de comprimer leurs messages dans le temps. Ceci impliquait d'enregistrer les messages sur papier, comme on le faisait depuis longtemps pour les télégrammes et, à la réception, les messages étaient enregistrés sur support magnétique. Les messages qui duraient moins d'une seconde étaient indétectables avec les radiogoniomètres classiques. La solution proposée par Busignies était un condensé de toutes les sophistications que pouvait proposer à cette époque l'électronique que l'on appelait alors radioélectricité: à l'optimisation de l'antenne était adjointe une technique de comparaison de phase mettant en jeu la rotation de l'antenne à 20 tours par seconde en synchronisme avec avec la rotation du déflecteur autour du col d'un tube cathodique. A partir de la fin 1942, la bataille de l'Atlantique commença à tourner au profit des Alliés. le repérage des sous-marins devint le souci constant de l'Amiral Dönitz qui, pendant toute la durée de la guerre, n'a jamais soupçonné que l'on put localiser l'émission de signaux d'une fraction de seconde. Aux côtés du radar centimétrique, le Huff-Duff avait joué une large part dans l'anéantissement des U-Boote ennemis. La US Navy ne révéla l'existence des Huff- Duff d'ITT qu'en 1946.
Labin n'eut pas l'occasion de faire bénéficier les Alliés de ses talents de radariste. Peu après leur arrivée sur le sol américain, les ingénieurs français furent convoqués pour une réunion technique sur le radar mais l'échange fut très bref. Le colonel avec lequel ils avaient rendez-vous leur demanda
d'emblée « Vous êtes français n'est-ce pas ? je refuserais de parler radar avec Jésus-Christ lui-même. »
A Long Island, le laboratoire de Great River dirigé par les quatre Français, compte rapidement deux cents personnes, ingénieurs et dessinateurs. Des prototypes sont fabriqués dans les premiers mois de 1941. Lorsque les commandes deviennent plus importantes, la Federal Telegraph ne peut
plus suivre, il faut faire appel à des sous-traitants qui n'appartiennent pas à ITT . La radiogoniométrie est le fond de commerce principal de Great River, mais ITT reçoit également des commandes de systèmes d'atterrissage sans visibilité dérivés du matériel que Lorenz avait développé et introduit aux États-Unis en 1937. Labin qui n'a pas le droit de travailler sur les radars dirige une étude d'un matériel de brouillage des communications entre blindés. Si les Français sont sont privés de tout contact avec les développement radars menés au Radiation Lab de Boston, on confie quand même au groupe de Busignies le développement d'un équipement de contre-mesure radar. Pour relativiser ce qui peut paraître comme une sorte d'ostracisme vis-à-vis des Français, il faut signaler que les mesures de sécurité américaines pouvaient tout autant concerner des citoyens américains. Ainsi, Behn, n'a pas l'habilitation pour pénétrer dans les labos de Great River, ce qui ne l'empêche pas de mettre tout son son poids au service de l'effort de guerre de son pays: Lorsque Busignies se plaint de ne pas pouvoir se procurer le câble coaxial dont il a besoin, Behn décide de créer une usine pour fabriquer le câble.

sommaire

En Roumanie, Behn sauve les meubles

Pour opérer sa politique de recentrage vers les États-Unis, ITT bénéficia d'une certaine marge de manœuvre grâce à un désengagement réussi in extremis en Roumanie. La Societatea Anonima Romana de Telefoane (SART), entrée dans le giron d'ITT en 1930, n'était peut-être pas le plus beau
fleuron de l'empire de Behn, mais avec un parc de 100 000 abonnés en 1940, elle versait quand même quelque 150 000 $ à la maison mère ce qui était toujours mieux que les filiales allemandes, certainement plus étoffées mais qui, depuis belle lurette, ne versaient plus un pfennig à l'extérieur du Reich. Cependant, à partir de 1939 et plus encore de juin 1940, la Roumanie glissait inéluctablement vers le camp allemand, ce qui se traduisit en septembre 1940 par la mise à l'écart du roi Carol et l'arrivée au pouvoir de Ion Antonescu qui prit officiellement parti pour l'Allemagne nazie. Tout semblait en place pour que les avoirs d'ITT soient gelés pour une période indéterminée, mais les États-Unis réagirent les premiers après le basculement de la Roumanie dans le camp de l'Axe et gelèrent les avoirs roumains aux États-Unis. Il ne reste aucune trace ni de négociations entre ITT et le Département d'État ni de négociations avec la Roumanie, mais tout laisse à croire qu'à ce moment-là, rien ne pouvait être négocié en Roumanie sans l'accord de Berlin, ce qui veut dire que Behn aura sans doute mandaté Westrick et Schroeder pour user de leurs relations et faire aller les choses dans le bon sens. A la fin de 1940, des représentants du gouvernement roumain ont rencontré les directeurs d'ITT et conclu un accord selon lequel ITT vendait au gouvernement roumain ses parts dans la SART pour la somme de 13,8 millions de dollars qui devait être payée
avec les actifs saisis aux États-Unis. Selon l'historien des entreprises Richard Sobel, ITT fut la seule des entreprises américaines qui réussit à vendre ainsi ses actifs roumains à la veille de l'entrée des forces allemandes en Roumanie.
Cette rentrée inespérée d'argent frais fit ainsi baisser la dette annuelle d'ITT de 600 000 $, ce qui limitait les dégâts d'une guerre qui n'était encore qu'européenne. Les Allemands ne versaient plus de dividendes depuis longtemps. La France occupée n'en verserait pas non plus, et la Grande-Bretagne, également en guerre, observait désormais les mêmes règles que l'Allemagne vis-à-vis des fuites de capitaux. En fin de compte, les dividendes européens chutèrent de 3 millions de dollars entre 1939 et 1940 et ITT accusa une perte de 1,8 million de dollars.
ITT chercha à réaliser en Espagne le même type d'opération, c'est-à-dire vendre la CNTE. Le gouvernement espagnol n'était pas intéressé par le rachat, mais un groupe d'hommes d'affaires allemands qui se firent représenter par Westrick présentèrent une offre de 63 millions de dollars, ce qui aurait définitivement assaini la situation financière du groupe américain, mais le département d'État s'opposa à cette transaction qui semblait aller à l'encontre des intérêts des États-Unis.
Pour se sortir d'affaires, Behn dût négocier avec l'Export-Import Bank pour reporter de 1940 à 1948 l'échéance de certaines créances,. Il dut aussi demander à la même banque une ligne de crédit exceptionnelle de 1,5 millions de dollars, de quoi assurer son fonds de roulement dans les premiers
mois de 1941.

sommaire

La Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale qui éclata en septembre 1939 et l'entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941 semblait devoir toucher ITT plus qu'aucune autre société américaine, tant le groupe s'était développé en dehors des États-Unis. L'impossibilité de rapatrier les dividendes qui avait prévalu pour les filiales allemandes depuis 1937 avait évidemment étendu aux filiales françaises, belges, néerlandaises et danoises, sous domination allemande, mais aussi pour les filiales britanniques, espagnoles, hongroises et roumaines, dont les pays étaient concernés de près ou de loin par le conflit mondial. Behn réussit néanmoins à maintenir l'affaire à flot par une série de mesures: Une série d'obligations de dix ans détenues par l'Export-Import Bank arrivaient à terme à la fin de 1940. Les paiements purent être reportés en 1948. L'Export-Import Bank accorda même à ITT un crédit exceptionnel de 1,5 million de dollars, immédiatement utilisé comme fonds de roulement au début de 1941. À la même époque, le coup de maitre de Behn fut de réussir à se défaire de l'actif à haut risque que représentait la compagnie de téléphone Societa Anonima Romana de Telefoane (SART) dans la Roumanie d'Antonescu qui venait de basculer clairement dans le camp de l'Axe. ITT vendit la SART au gouvernement roumain pour 13,8 millions de dollars, payés par des actifs roumains qui avaient été saisis aux États-Unis.
L'avènement de la guerre précipita le recentrage d'ITT sur une activité industrielle aux États-Unis. Il s'agissait en 1940 de produire des équipements militaires . Le développement de l'activité industrielle fut organisé à partir de la Federal Telegraph Company, une filiale du groupe Mackay acquise en 1928 et qui produisait en petite quantité des équipements de radiotélégraphie à Newark dans le New Jersey. Une nouvelle filiale, la Federal Telephon & Radio Laboratories, fut créée à proximité de l'usine de la Federal Telegraph. ITT acheta de nombreux terrains dans le New Jersey pour construire des usines et un terrain à Great River, sur la rive Sud de Long Island, près de New York pour créer le premier laboratoire d'ITT basé aux États-Unis. La Federal Telegraph qui n'était qu'une toute petite usine en 1940 réalisa 91 millions de dollars de chiffre d'affaires en 1944 pour 3,6 millions de dollars de bénéfices.
Le laboratoire de Great River fut dirigé par l'équipe française de Maurice Deloraine et Henri Busignies, des scientifiques de haut niveau. Ils furent installés avec leurs équipes dans des hôtels de Manhattan et se rendaient dans leurs laboratoires situés dans l'immeuble d'ITT au 67 Broad street.
De ce laboratoire fut notamment issu le Huff-Duff, qui servit à détecter les sous-marins allemands lors de la bataille de l'Atlantique et qui était issu des travaux de Busignies aux LLMT de Paris34. Busignies devait devenir le président des ITT Laboratories.

La SEG, Lorenz et les autres filiales allemandes produisaient une grande quantité de matériel militaire comme des systèmes de radioguidage. Dans la France occupée par l'Allemagne, la filiale LMT, comme les autres entreprises françaises du secteur fut placée sous la tutelle d'une Patenfirma allemande. En l'occurrence, ce fut Lorenz (en) qui joua ce rôle, et comme les autres entreprises françaises du secteur, LMT dut finir par accepter les commandes de Lorenz et produisit donc massivement pour l'armement allemand. Les effectifs s'accrurent de 2 700 à 4 700, de septembre 1939 à juin 1943, date à laquelle le pourcentage de la production pour l'Allemagne atteignit 66 %.

Pendant le conflit, les communications étaient coupées entre les pays en guerre. Avant l'entrée en guerre des États-Unis, Behn effectua une dernière visite en Allemagne au milieu de l'année 1940. Il se vit alors refuser l'entrée de plusieurs usines, propriétés d'ITT et dut se contenter d'une visite guidée des établissements de Berlin. Mais il restait des pays neutres qui pouvaient poursuivre leurs relations avec les belligérants des deux bords. Le représentant de la filiale européenne, l'ISE, en Suisse, Edouard Hofer était en contact à la fois avec Behn et avec les responsables d'ITT en Allemagne Westrick et von Schroeder. Le département d'État américain était informé des communications entre New York et Zürich, mais ne savait pas grand-chose sur les tractations entre Zürich et l'Allemagne.

ITT dans la France occupée
La défection de quatre ingénieurs talentueux n'empêcha évidemment ni l'usine de Boulogne ni les laboratoires de l'avenue de Breteuil de poursuivre leurs activités en France. Le directeur général de LMT était Jean Roussel, un homme de 46 ans qui justifia à la Libération son choix de rester en poste par le fait qu'il valait mieux garder à la société une direction française et qu'ainsi « soit assuré par un français la défense des employés ». Il fallait également, d'après Roussel, continuer à fournir les administrations françaises.
Le fait que LMT soit aux mains d'un actionnariat états-unien ne modifia qu'à la marge le comportement des Allemands vis-à-vis de la société. Les États-Unis n'étaient pas encore engagés dans la guerre lors de l'arrivée des Allemands à Paris, mais de toutes façons, les Allemands n'entendaient pas plus spolier les actionnaires de LMT qu'ils n'avaient spolié ceux de la SFR ou ceux de Lorenz en Allemagne. Ils exigeaient simplement d'être servis en tant que clients. L'irruption allemande dans LMT se déroula néanmoins de façon légèrement moins brutale que dans les sociétés purement françaises et la prise de contact fut légèrement différée. Le 9 juillet 1940, les services de transmissions bloquaient les stocks de l'usine de Billancourt. Deux officiers allemands, le capitaine Wurtzler et le capitaine Schaer furent chargés des relations avec LMT. Dans le courant du mois de
juillet, le capitaine Wurtzler ordonna de procéder à la réfection des installations radio-goniométriques de l'aéroport du Bourget qui avaient été fournies par LMT, et le 2 août 1940, il demanda le catalogue des fabrications de LMT. Le 2 septembre 1940, LMT reçut de la part de la Luftwaffe une demande de renseignements. C'est également en septembre que la société cousine Lorenz fut nommée Patenfirma de LMT. Un représentant de Lorenz, Riessner s'installa dans un bureau des Champs-Élysées. Lorsqu'une autre société allemande, la SAF passa une commande de disques redresseurs, LMT en référa au ministère de la Production industrielle par le truchement du syndicat de la construction électrique, et le ministère donna son accord pour les commandes respectives de Lorenz et de la SAF le 5 novembre 1940.
La tutelle de Lorenz impliquera qu'au cours des années LMT fabriquera de plus en plus de matériel conçu par sa cousine allemande. Une convention fut signée en ce sens en juillet 1941.
Lorenz poussa également sa cousine française sous tutelle à créer une nouvelle usine de tubes rue Duroc à Paris, dans un immeuble appartenant au Bon Marché. En octobre 1943 cependant, les différentes moutures du projet étaient encore en discussion. Après l'entrée en guerre des États-Unis, LMT fut considéré comme un bien ennemi, les autorités d'occupation, en l'occurrence la MBF, nomma le 13 mai 1942 comme administrateur provisoire une société créée pour l'occasion, la Europaïsche Elektro Standard, qui n'eut pas plus d'importance que les précédents administrateurs de LMT: Lorentz et les services de la MBF continuèrent à encadrer les activités de la filiale française.
On se retrouve donc dans un schéma très proche de celui de la SFR qui est, dans le même domaine technique, la seule société comparable en taille et en potentiel technique, mais dont l'actionnariat est purement français. LMT tenta de se soustraire aux commandes de Lorenz en prétextant qu'il devait honorer des commandes françaises. LMT produisant avant la guerre du matériel essentiellement civil recevait en effet un certain nombre de commandes de la part des PTT, mais en février 1941, le représentant de la Rüstung-Inspektion, section Air, rappela à LMT qu'il était sous tutelle et qu'il ne pouvait par conséquent pas prendre de commandes sans autorisation et en avril, le ministère de l'Air allemand réitéra l'injonction d'exécuter les dernières commandes sous le contrôle de Lorenz. Ces ordres furent confirmés par le ministère de l'Air allemand en avril et en mai 1941. En fin de compte, LMT accepta les commandes allemandes, ses effectifs et son chiffre d'affaires atteignirent un niveau supérieur à celui de l'année record 1930, jamais égalée . Comme dans le cas de la SFR, le fait de travailler pour le compte de clients sérieux et honnêtes se traduisit par des exercices bénéficiaires tout au long de la période. Il s'agit de bénéfices raisonnables auxquelles il faut d'ailleurs attacher une importance relative en l'absence d'information comptables concernant les diverses provisions couramment pratiquées en temps de guerre et susceptible de changer le résultat du simple au triple. Le résultat le plus remarquable est celui de l'exercice 1944 où il reste positif, ce qui est une exception dans le paysage des entreprises françaises .
Comme pour la SFR, le fait de faire des affaires avec un client sérieux et fidèle permit de financer des études n'ayant aucun rapport avec le matériel fourni aux Allemands. Avec les ingénieurs vedettes André Clavier et Vladimir Altowski, LMT poursuivit ses études dans le domaine des hyperfréquences, technologie née après 1935, qui ouvre la voie au radar, mais aussi aux faisceaux hertziens, prometteurs pour les télécommunications. Il ne semble pas qu'aucun ingénieur ITT n'ait été approché personnellement pour collaborer à des projets stratégiques pour le Reich.Pour assurer ces performances financières, les effectifs qui avaient fondu après la débâcle de juin 1940, dépassèrent en 1942 leur niveau de mai 1940.
Dans le chiffre d'affaires, la part des commandes allemandes se trouve légèrement en-deçà de ce qu'elle a été dans le cas de la SFR. Le décalage dans le temps évoqué ci-dessus se traduit par un pourcentage de seulement 3,1% pour l'exercice 1940, alors qu'il est plus du double (8,5%) pour la
SFR. Le pourcentage des commandes allemandes s'accrut ensuite régulièrement: 32,4%, 52,2%, 66,2% pour les années respectives 1941, 1942, 1943.
Concernant les différents dispositifs de relève et de travail forcé en Allemagne, LMT paya un plus lourd tribut que la SFR. Pour un effectif global comparable, le nombre des requis pour le travail en Allemagne fut à peu près le double, et il s'étendit beaucoup plus que pour la SFR aux catégories non strictement ouvrières. Plus de 700 personnes au total, dont 15 ingénieurs. Faut-il y voir la simple conséquence d'un reliquat d'activités civiles plus important pour LMT que pour SFR, ou bien une moindre protection accordée par Lorenz avec qui les relations auraient été moins amicales que celles de la SFR avec Telefunken ? Ou bien une stratégie différente de la part de Lorenz qui aurait caressé le rêve d'intégrer le différentes sociétés ITT à son avantage ?
À la Libération, lorsqu'elle fut amenée à rendre des comptes sur sa collaboration avec l'occupant, la société mit évidemment en avant qu'elle n'avait accepté que sous la contrainte les commandes allemandes et qu'elle avait tenu autant que possible à l'écart des affaires le « commissaire-administrateur » de Lorenz. Comme la SFR, LMT déclara avoir facilité la mutation de son personnel israélite dans l'établissement de Lyon, mais LMT évoqua aussi des aides pour passer à l'étranger, comme elle évoqua la fourniture de moyens matériels aux volontaires qui voulaient gagner la France Libre. L'ouverture aux diverses organisations de résistance des moyens de reproduction et de microfilms fut également mise en avant.

sommaire

L'intégration des recherches
Maurice Deloraine qui reçut les confidences de Sosthenes Behn après sa visite à Hitler en 1938 avait le titre de « Directeur technique pour l'Europe ». Parallèlement, il conservait sa responsabilité de directeur du laboratoire français de l'avenue de Breteuil. Si le principe de l'« Internatinal System » cher à Sosthenes Behn était de laisser à chaque filiale nationale une large autonomie, au fur et à mesure de l'expansion du groupe, on ne pouvait oublier l'intérêt de faire des économies d'échelle et de mutualiser certaines dépenses et notamment celles de la recherche. Le directeur technique pour l'Europe était en fait le directeur technique pour l'ensemble du groupe, car toutes les ressources en matière de recherches et développement étaient concentrées en Europe. Il avait un rôle de coordinateur qui tentait à la fois de rendre certains arbitrages, par exemple pour
choisir le site le plus opportun pour mener telle ou telle recherche et qui s'efforçait de faire circuler l'information et mettant sur pied une série de comités techniques travaillant chacun sur une thématique particulière. Il était normalement amené à visiter régulièrement les différents labos, et notamment les allemands.
« Ma dernière visite à Berlin eut lieu en 1938, écrit Deloraine, on vint me chercher à la gare comme d'habitude, mais on me prévint que toutes les conversations devaient se tenir à l'hôtel, que je n'avais plus le droit d'entrer dans les usines. L'après-midi, on me permit de regarder l'extérieur des nouvelles usines de la fenêtre d'une voiture. je savais que ce devait être ma dernière visite en Allemagne. »

Deloraine ajoute que lors du même voyage, il visita sans problème les locaux de la société de Télévision Fernseh. Ce sont les même que l'on verra monter à Paris les studio de Cognacq-Jay et diffuser les premières émissions de Télévision à partir de la Tour Eiffel.
L'ambiance était donc un peu tendue entre les différentes filiales européennes, et, à défaut de faire collaborer des ingénieurs qui sont des deux côtés tenus par le secret militaire, pour maintenir un bon esprit de corps au sein de la multinationale, Behn eut l'idée d'organiser à New-York une réunion de directeurs qui devaient tous loger avec leurs épouses dans le même hôtel. Ce fut un fiasco. « Les Allemands restèrent ensemble, écrit Deloraine, ils échangèrent à peine quelques mots... On pouvait noter, en rentrant d'une randonnée en voiture, que dans chaque voiture, les passagers étaient tous soit français, soit belges ou anglais ou allemands. »

Après l'effondrement de l'Allemagne nazie, ITT récupéra l'ensemble de ses filiales de l'Europe de l'Ouest, et certains journalistes reprochèrent à ITT de favoriser le redressement de l'Allemagne. On accusa aussi ITT comme d'autres groupes industriels américains d'avoir mené un jeu trouble pendant le conflit mondial. ITT se défendit en mettant en avant que les contacts pris en Suisse étaient connus des autorités militaires. Ces accusations refirent surface dans les années 1970, après qu'ITT a été mis en cause à propos du coup d'État au Chili. Anthony Sampson résuma les accusations portées contre ITT ainsi : « Si les Nazis avaient gagné, ITT en Allemagne serait apparue comme irréprochablement nazi; comme ils perdirent, ITT s'en sortit irréprochablement américain. »

Les trois lettres du sigle I.T.T. de l’« International Telephone and Telegraph Corporation » ont sans doute plus fait pour sensibiliser l’opinion mondiale aux actions et aux abus des sociétés multinationales que des kilos d’articles ou des années de discours.
Le Chili et le Watergate figurent bien sûr en tête du « palmarès » d’I.T.T. Viennent ensuite les contacts avec les nazis pendant la deuxième guerre mondiale, diverses interventions dans les affaires de pays étrangers, et, sur le plan intérieur américain, de multiples transactions louches impliquant les plus hautes personnalités de l’Etat.
Pour faire bonne mesure, I.T.T. a déjà son biographe, le journaliste britannique Anthony Sampson. Non pas un biographe comme les aiment les grandes sociétés qui, relations publiques aidant, confondent volontiers information et hagiographie, mais un chroniqueur attentif dont l’ouvrage ITT, l’Etat souverain a déchaîné la fureur de l’état-major de la firme qui a mobilisé tous ses experts pour tenter – vainement d’ailleurs – de lui apporter un démenti crédible.
Les controverses que suscite I.T.T. sont à la mesure de son succès commercial et en constituent peut-être la rançon. La croissance de la société a en effet été particulièrement spectaculaire depuis sa fondation en 1920 par Sosthènes Behn, jusqu’à sa mise en accusation récente.
Flibustier des temps modernes, Behn, pressentant très tôt l’avenir des télécommunications et constatant que le marché des Etats-Unis était déjà occupé par A.T.T., entreprit de ceinturer le reste du monde occidental et américain de ses réseaux.
Pour profiter du crédit dont jouissait déjà "A.T.T"., Behn changea simplement le "A" pour un "I" lorsqu’il lui fallut donner un nom à sa société : la confusion était délibérément créée et elle a subsisté jusqu’à nos jours.
Parti de Porto-Rico, Behn s’implanta à Cuba puis dans l’ensemble du sous-continent : Argentine, Chili, Pérou, Uruguay, Colombie, Brésil, Equateur. Il franchit l’Atlantique, prit pied en Espagne, puis en Allemagne, France, Grande-Bretagne, (...)

sommaire
Maurice Deloraine et Sosthenes Behn en 1946

ITT dans les pays neutres

L'histoire d'un groupe multinational au cours d'un conflit pose la question du droit de propriété pendant la guerre. Il y a deux mille ans, l'avocat Cicéron a donné la réponse sous forme d'un adage célèbre : « Inter arma enim silent leges » que l'on peut traduire par « En temps de guerre, les lois
deviennent muettes ». Autrement dit, lorsque la force des armes s'impose, l'actionnaire peut bien conserver la nue propriété d'une entreprise, il n'en n'a plus la jouissance. La puissance belligérante impose l'arbitraire de sa loi dans les territoires qu'il contrôle et dispose par conséquent des
entreprises comme il l'entend.
Dans les différentes filiales de l'ITT, la logique multinationale qui présidait en temps de paix fait alors place à une logique nationale. L'État s'impose comme client, détermine les investissements,fixe le niveau des bénéfices, des salaires, du temps de travail. En Allemagne nazie comme aux États-Unis, le propriétaire n'a d'autre choix que de faire tourner son entreprise et de la mettre à disposition de son pays. Et avec le retour à la paix reviennent les beaux jours pour les avocats dans les multiples contentieux que fait naitre la résurgence du droit de propriété.
Hibernation du quartier général de la multinationale pendant le conflit mondial ? Les choses nesont pas si simples, tous les pays ne sont pas belligérants et l'ITT est particulièrement bien implantédans certains pays neutres, la Suisse bien sûr, mais aussi l'Espagne et l'ensemble des pays d'Amérique latine. Dans ces pays neutres les armes n'ont pas fait taire la loi, les règles du commerce international continuent à s'appliquer, c'est-à-dire que les filiales continuent à verser dividendes et redevances à la maison mère.
Le Mexique et à un moindre degré le Brésil coopérèrent avec les États-Unis pour entraver les missions des agents de l'Axe, mais à l'opposé, le Chili et l'Argentine leur laissèrent toute liberté d'action pendant toute la durée du conflit. Le Mexique déclara la guerre aux puissances de l'Axe enmai 1942 et le Brésil en août 1942 alors que l'Argentine attendit le mois de mars 1945. Quant auChili, il attendit encore un peu et ne déclara la guerre qu'au Japon. Pour de multiples raisons, importance de la communauté allemande dans les rangs de l'immigration, rivalité traditionnelle avec la Grande-Bretagne, nombre d'Argentins ne cachaient pas leurs sympathies pour l'Allemagne nazie.
En Argentine, ITT détenait une importante société de téléphone, la United River Plate Company, à qui l'État avait concédé le service des communications, comme pour la CNTE en Espagne et une société de télécommunications par câble, la All-America Cables Office. Autrement dit, lorsque les agents allemands voulaient communiquer à Berlin des informations sur les navires qui quittaient le Rio de la Plata afin de désigner des cibles pour les U-Boote, ils font appel aux services de filiales de l'ITT, dont les directeurs sont encore dans une relation de subordination vis-à-vis de Sosthenes Behn. Les services américains se satisfont du statu quo, ce qui leur permet au moins d'écouter les communications entre l'Argentine et Berlin alors qu'une rupture entre ITT et le gouvernement argentin se traduirait par une nationalisation de la River Plate.
Behn se rendit à Zurich à une date, juin 1941, où les États-Unis n'étaient pas encore entrés en guerre. C'est donc le citoyen d'un pays neutre qui va dans un autre pays neutre pour y rencontrer le directeur de la filiale helvétique G. Édouard Hofer. Behn n'ira plus en Europe avant la fin du conflit
mondial, mais restera en contact avec Hofer, lequel Hofer était en contact avec Westrick, Schroeder et les autres directeurs ITT de l'Europe allemande. Les espions des deux camps grouillaient dans les pays neutres, les services de contre-espionnage américains surveillaient les déplacement de Behn, alors que les services de renseignement l'utilisaient comme informateur pour tenter de savoir ce qui se passait dans les filiales allemandes d'ITT.
D'une façon générale, Behn se garda bien de prendre des décisions importantes sans l'aval de son gouvernement. L'Espagne qui avait besoin des États-Unis pour son approvisionnement en pétrole, accepta en échange de rester neutre. Le Département d'État veilla constamment à ce que les intérêts des citoyens américains et en particulier les 66 000 actionnaires d'ITT ne soient pas lésés. En échange, ITT tint le Département d'État régulièrement informé sur la situation en Espagne. En 1941, la Standard Electrica de Madrid avait avisé LMT du mauvais état de fonctionnement du réseau téléphonique de Madrid géré par la CNTE. La société madrilène demandait à LMT de lui envoyer des pièces détachées. Sosthènes Behn écrivit au Secrétaire d'État afin de demander l'autorisation pour la CNTE d'acheter des équipements auprès de LMT et des filiales allemandes d'ITT. Ces équipements, soulignait Behn, n'étaient pas disponibles aux États-Unis ou dans les pays neutres.
A Paris, le directeur général de LMT, Roussel, demanda l'accord du Secrétariat de la Production industrielle du gouvernement de Vichy, qui ne vit pas d'inconvénient de principe à cette affaire, mais demanda que le règlement ne se fit point en pesetas, mais en minerai de plomb, matière première nécessaire aux besoins français. Pour traiter cette affaire, Roussel se rendit en Espagne sans en informer les autorités allemandes. Pour contourner les règles qui encadraient la sortie de la zone occupée vers l'étranger, il avait d'abord obtenu un ausweiss inter-zone, et s'était ensuite fait domicilier à Lyon chez son collègue Archange pour obtenir un passeport pour l'Espagne. A Madrid, Roussel rencontra les représentants de la Standard Electrica pour négocier l'opération, mais il eut l'imprudence de téléphoner à un ami américain, sans doute le représentant d'ITT à Madrid, Caldwell, et cette conversation fut interceptée et transmise aux Allemands.
Lorsque les trois premiers wagons de blende passèrent la frontière, en avril 1942, ils furent interceptés par les services allemands et dirigés vers l'Allemagne; Roussel ne fut plus autorisé à se rendre en zone libre et le représentant à Berlin de LMT fut interrogé sur les relations franco- espagnoles. En fait, les relations de LMT avec les sociétés cousines de l'ISEC (International Standard Electric Corporation), la branche européenne de l'ITT, restèrent parfaitement encadrées non seulement par Lorenz, mais aussi par la branche compétente de la MBF, la Rüstung-Inspektion représentée par le capitaine Wurtzler. Ceci valait tout autant pour les sociétés basées dans l'Europe sous domination allemande que dans les pays neutres. LMT fut ainsi amenée à collaborer avec la société belge Bell, mais aussi avec la société suisse Standard Telephon qui devait elle-même en référer à l'ISEC, c'est-à-dire à Édouard Hofer qui dépendait directement de Behn. La lettre envoyée par la Standard Telephon à LMT le 21 septembre 1942 témoigne des relations un peu scabreuses au sein de ce qui reste du groupe transnational ITT:
« ... Nous avons reçu de la ISE (International Standard Electric) la permission de fabriquer le permalloy en Suisse et au vu des difficultés qui se présentent pour obtenir le permalloy de S.T.C. ou des autres firmes et vu aussi les difficultés dans l'exportation des matières premières.
D'accord avec Monsieur Archange, il a été décidé de déléguer Monsieur Van Mierlo en Suisse, afin de surveiller la fabrication qui doit se baser sur l'information à obtenir de LMT, respectivement LTT (Information qui a été fournie par I.S.E. à LTT)
Il s'agit donc des informations à obtenir directement de ceux qui fabriquent les alliages.
...Il est dans nos plans de combiner les efforts de l'École Polytechnique de Zürich avec les nôtres (études pour la fabrication d'alliages remplaçant le permalloy) afin de maintenir la position que le Groupe Standard avait en ce domaine avant les hostilités ... »
Résumons: L'ISE suisse et son directeur Hofer communique à la fois avec les filiales ITT du monde allemand et la maison mère ITT basée aux USA, mais les échanges sont étroitement surveillées par les États belligérants, que ce soit du côté allemand ou du côté américain. Ce qui est valable pour la Suisse l'est tout autant pour l'Argentine ou l'Espagne, avec des contraintes géographiques différentes.

sommaire

Sampson et la légende noire d'ITT

Après le débarquement en Normandie, Sosthènes Behn enfila un uniforme avec les galons de colonel qu'il avait acquis au cours de la Première guerre mondiale et atterrit à Rennes vers le milieu du mois d'août. Le 24 août au soir, l'avant-garde de la 2eme DB commandée par le capitaine Dronne arrivait à Notre-dame. Le 25 au matin, c'était le gros de la division Leclerc qui gagnait Paris depuis Forges-les-Bains. A 16h15, conduit dans une jeep par son fils William, Behn se pointait aux laboratoires de l'avenue de Breteuil en tenue de combat et mal rasé. Quelques jours plus tard, c'était au tour de Deloraine, lui aussi porteur d'un uniforme américain, de regagner Paris et de mettre les compétences de LMT au service des besoins des Alliés. Quelques mois plus tard, la guerre contre l'Allemagne était terminée, la force des armes cédait le pas au droit international et l'empire multinational sortait non sans mal de son hibernation. En Allemagne, la plupart des usines de Lorenz étaient situées dans la région de Berlin et avaient été durement bombardées. L'armée soviétique avait fait main basse sur le peu de machines encore en état pour les expédier à l'Est. Les employés d'ITT remirent tant bien que mal quelques usines en route et s'orientèrent vers la fabrication de nouveaux produits civils: poêles à frire, cuisinières, couteaux à pain. En France, comme dans tous les secteurs industriels qui avaient beaucoup produit pour l'Allemagne, les dirigeants de LMT, en fait essentiellement Roussel fit l'objet d'une instruction pour « Intelligence avec l'ennemi » qui se termina assez vite par un non-lieu. En Allemagne, le nazi Kurt von Schröder qui supervisait avec Westrick les filiales ITT dans l'Europe allemande, mais qui brassait aussi beaucoup d'autres affaires dut répondre de ses actes devant le tribunal de Nuremberg.
Il écopa de trois mois de prison. Aux États-Unis, ITT fut d'abord accusé par certains journalistes, d'appuyer inopportunément la résurrection industrielle de l'Allemagne. De fil en aiguille, certains se demandèrent également si ITT, comme d'autres groupes industriels, n'avait pas maintenu au delà de l'acceptable des relations avec l'ennemi. Richard Sobel rappelle qu'à la fin de la Première guerre mondiale, le Congrès avait mené une enquête afin de déterminer si les hommes d'affaires américains avaient exercé des pressions sur le président Wilson pour qu'il déclare la guerre en
Allemagne, dans le seul but d'accroitre leurs revenus, mais que dans les années qui suivirent la fin de la Seconde guerre, on accusait les hommes d'affaires américains d'avoir aidé l'ennemi et d'avoir retiré des bénéfices de leurs investissements dans l'industrie allemande Les diverses négociations concernant les indemnisations pour dommages de guerre se poursuivirent bien au-delà des années quarante. En 1967, ITT obtint du gouvernement américain 27 millions de dollars au titre de ses dommages subis par ses usines en Allemagne. Une telle somme n'était pas seulement symbolique, elle représentait à l'époque 1% du chiffre d'affaires de la multinationale.

Beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts depuis la fin de la guerre. Après le décès de Behn en 1957, le nouvel homme fort du groupe était Harold Geneen, et sous sa direction, ITT s'était progressivement éloigné de son métier de base, la téléphonie, pour s'engager dans une multitude d'activités, devenant ainsi le plus gros conglomérat du monde. Cette croissance avait attiré des enquêtes de la part des administrations américaines et en particulier de la commission de contrôle anti-trust. En fait, il y avait débat pour savoir comment la législation anti-trust s'appliquait aux
conglomérats, et dans ce débat, la ligne de clivage suivait à peu près celle qui séparait les Démocrates des Républicains. Dans ce contexte, à partir de 1972, ITT se trouva au centre d'un certain nombre de scandales, d'abord pour avoir financé illégalement la convention républicaine de San Diego, et ensuite pour avoir financé au Chili la campagne présidentielle d'Alessandri en 1970.
Sur ces entrefaites, sortit au début de 1973, un livre de l'essayiste britannique Anthony Sampson, The Sovereign State of ITT , véritable réquisitoire contre la multinationale40. Publiant en avant-première des bonnes feuilles du livre, le New-York Magazine résumait ainsi l'article « Les nombreux scandales dans lesquels ITT a été impliqué au cours des dernières années ont fait du sigle même de cette firme un véritable épouvantail avec lequel on peut faire peur aux enfants ». Ce livre, traduit en plusieurs langues, devint un best-seller mondial et l'image d'ITT ne s'en remit jamais.
Trente pages sont consacrées à la Seconde guerre mondiale. Assez bien documentées, je n'en tiens pas moins ce réquisitoire comme un condensé de mauvaise foi, où la partialité et l'omission ne sont jamais très loin du pur mensonge. Quarante ans après sa parution, la version développée par
Sampson est souvent reproduite par toutes sortes d'auteurs dont certains croient sans doute de bonne foi ce qui a été écrit en 1973 et répété tant de fois depuis. Je vais essayer résumer ici la version Sampson:
« Sosthenes Behn était proche des nazis auxquels il a apporté son soutien de la même façon qu'il a soutenu toutes les dictatures, notamment l'Argentine, elle-même favorable à l'Axe. Mais comme il veillait aux intérêts de son groupe, lorsqu'il a vu que la victoire basculait du côté des Alliés, il s'est rangé du côté des vainqueurs. En fait, il a travaillé pour les deux camps, et on ne peux dire à quel camp ITT a été le plus utile. Au centre de la duplicité d'ITT, il y a la société Focke-Wulf dans lequel la filiale d'ITT Lorenz a pris une participation de 28% et qui fabriquait des bombardiers ? ... si bien que personne ou presque parmi les gens qui travaillent pour ITT ne sait aujourd'hui qu'elle fut liée à la firme Focke-Wulf qui fabriquait des bombardiers, ou qu'elle collabora avec les SS d'Hitler. »
Concernant l'aspect réquisitoire, Richard Sobel a bien montré que de toutes les compte-rendus d'écoutes téléphoniques entre ITT et les filiales des pays neutres, Sampson n'avait retenu que certains extraits pour en faire des pièces à charges, délaissant l'ensemble qui montrait qu'au contraire, ITT n'avait rien entrepris vis-à-vis des pays neutres sans en avoir informé le Département d'État et que dans les cas de divergence, le groupe téléphonique avait toujours fini par s'aligner sur les recommandations gouvernementales. Concernant la mauvaise foi, il y a la présentation de l'affaire Focke-Wulf où l'auteur, en prenant pour argent comptant une déclaration de Schroeder au tribunal de Nuremberg, sous-entend constamment que l'ITT aurait pu rapatrier les bénéfices de Lorenz au lieu de les investir en Allemagne, alors que depuis au moins 1935, il était rigoureusement impossible pour n'importe quelle société étrangère de rapatrier des fonds. La mauvaise foi est également flagrante lorsque Sampson, qui cite pourtant Deloraine lorsqu'il fait dire à Behn qu'Hitler était habillé élégamment, présente les quatre ingénieurs Français comme « réfugiés à New-York », alors que selon Deloraine, c'est l'insistance de Behn qui l'a amené à quitter la zone occupée avec les meilleurs spécialistes, en emportant les plans des matériels les plus sensibles. Il s'agit tout simplement de mensonge lorsqu'on lit à la page 38 de la version française que l'ITT continua à communiquer de nouveaux brevets à ses filiales allemandes alors qu'il est clair pour tous ceux qui se sont intéressés à la Bataille de l'Atlantique que les Allemands n'ont jamais eu connaissance des travaux de Busignies et qu'ils croyaient jusqu'à la fin de la guerre qu'il était impossible de détecter les messages ultra-rapides de leurs U-Boote.
En plus de la partialité et de la quasi-falsification, la pertinence même de l'analyse de Sampson est sujette à caution: Selon Sampson, un groupe industriel aurait un libre arbitre et pourrait se ranger dans un camp ou dans l'autre, selon ses préférences ou selon les préférences de leur patron. Aucun État belligérant n'a jamais attendu qu'un conseil d'administration représentant des dizaines de milliers d'actionnaires se range librement à ses côtés. Le principe de réquisition en temps de guerre s'est appliqué aussi bien en Allemagne qu'en France, en Angleterre. ITT avait acquis des positions en Allemagne avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir et c'est Hitler qui a bloqué les différents actifs d'ITT pour les mettre au service de son effort de guerre, comme c'est le gouvernement français qui a passé des commandes militaires à LMT sans lui laisser vraiment le choix de refuser.
Parmi ceux qui se sont alignés sur la version Sampson, on peut citer Anthony Sutton, un historien et économiste anglo-américain, qui n'a guère de crédit dans le milieu universitaire dont il est pourtant issu, mais dont l'ouvrage est en ligne, à la fois en version anglaise et en version française.
On peut également citer Éric Laurent, ancien journaliste au Figaro et essayiste spécialisé dans les scandales et les révélations et légitimé par son statut de journaliste à France Culture. Et puis, il y a tous les blogs qui reproduisent des passages plus ou moins développés de la prose de Sampson.
On aura bien compris que si la version Sampson est si répandue, c'est qu'elle doit plaire. Mais on peut d'abord se demander pourquoi l'auteur a produit un tel récit en 1973. Il est tentant de faire le rapprochement avec la très célèbre France de Vichy de Paxton publiée en France la même année. S'interrogeant en 1990 sur son parcours, Paxton écrivit en 1990 :
« Quand je relis aujourd'hui certains jugements prononcés par moi à l'époque (comme ceux des pages 62-63 et 288), je concède qu'ils sont bien trop totalisants et parfois féroces. Ils étaient influencés, je le reconnais, par ma répulsion devant la guerre menée au Vietnam par mon propre
pays. Mais à mes yeux, il et toujours légitime de dire que le régime de Vichy aura été de bout en bout souillé par son péché originel de juin 1940... »
Sans doute Sampson, britannique, était-il moins taraudé par la Guerre du Vietnam, mais, proche de Mandela - il avait couvert comme journaliste le procès de Rivonia - et avec le cas de la Rodhésie, la question de l'Apartheid était un peu l'équivalent dans le Commonwealth britannique de ce qu'était le Vietnam pour les États-Unis. Dans le monde occidental vainqueur de l'Allemagne nazie en 1944, il subsistait une bête immonde qui sommeillait depuis l'époque du fascisme. Le monstre ITT qui collabore avec la CIA pour sauvegarder ses intérêts au Chili avait nécessairement navigué en eaux troubles pendant la Seconde Guerre mondiale. Combattre sans concession la bête, c'est aussi trouver des boucs émissaires, la France de Vichy pour Paxton et ITT pour Sampson. Le rapprochement a des limites, Paxton et Sampson ne sont pas à mettre sur le même plan, le premier est un « vrai » historien du monde académique, ce que n'est pas le second, mais il se dégage de la lecture de Paxton l'idée que l'on pourrait charger sans restriction un Vichy dont on ne saurait admettre qu'il ait pu être sous une forme quelconque bénéfique pour la France, de la même façon qu'il se dégage de la lecture de Sampson l'idée qu'un groupe multinational comme ITT génétiquement mauvais doit être forcément coupable de méfaits tout au long de son existence.
Les multinationales, ces monstres froids, tentaculaires, apparaissent comme les boucs émissaires tout désignés pour expliquer les malheurs du monde, surtout lorsque la machine s'enraye et que les progrès économiques ne sont plus au rendez-vous. Au début du XXe siècle, Ida Tarbel fut la
pionnière du genre avec son ouvrage, certes engagé contre la Standard Oil mais admirablement documenté et merveilleusement illustré, dont la lecture est maintenant accessible sur internet.
D'après Sobel, avant la publication de l'ITT de Sampson en 1973, aucune publication ne peut se comparer à cette histoire de Standard Oil. Au début du XXIe siècle, Monsanto a pris la place d'ITT pour devenir le grand méchant parmi les méchants, mais auparavant, on a vu un certain nombre de grandes entreprises faire l'objet de révélations scandaleuses touchant à leur histoire pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour en rester au cas d'ITT, le film d'Henri Verneuil, Mille milliards de dollars, sorti sur les écrans en 1982 s'est nourri de la légende noire d'ITT produite par Sampson. Il n'est pas question de discuter de la pertinence historique d'une œuvre de fiction, mais l'existence-même de tels films montre que le groupe multinational est a-priori un bon candidat pour le rôle du méchant.
Au tournant du siècle, une abondante littérature traitera outre-atlantique de l'implication des entreprises américaines dans l'économie du Troisième Reich. Parmi les motivations ayant poussé des auteurs à s'intéresser à l'histoire des entreprises américaines pendant la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement à leur implication dans les rouages de l'Holocaust, il y a la législation concernant les indemnités à verser aux survivants de l'Holocaust, une perspective de marché particulièrement juteux pour les lawyers du pays où les juges sont les rois49. Ewin Black s'est rendu célèbre par son étude sur l'utilisation des cartes perforées d'IBM dans la mise en place de la Shoah. On aurait tort de ne voir dans ces travaux et dans l'intérêt qu'ils suscitent qu'une affaire d'Holcaust Industry, pour reprendre les termes de Finkelstein. Il y a une volonté plus générale d'opérer une lecture de la Seconde Guerre mondiale sur un mode expiatoire, où la pratique derepentance consiste vite à battre sa coulpe sur la poitrine des autres et à accrocher des casseroles à la queue de ses adversaires ou présumés tels. IBM, attaqué pour sa participation à l'Holocaust est aussi
mis en cause pour sa participation à l'internement des Nippo-américains.
A l'opposé des boutiquiers de l' Holcaust Industry, beaucoup d'épigones de Sampson, Sutton et Black se revendiquent de l'antisionnisme et peuvent être classés « Gauche radicale », comme les Belges Michel Collon ou Jacques Pauwels. Lorsque sur le site du premier, le second évoque le cas de la firme automobile allemande Opel, filiale de General Motors, c'est pour évoquer une collusion beaucoup plus large que le cas de General Motors entre les États-Unis et le nazisme, une sorte d'invariance du capitalisme américain qui après avoir fricoté avec Hitler, ferme aujourd'hui des
usines en Europe.
Les deux géants de l'industrie automobile, Ford et General Motors sont souvent mis en avant lorsqu'il s'agit d'évoquer les Corporates américaines. En France, le cas Renault semblait entendu, le dossier ayant été traité dés septembre 1944: Louis Renault, promptement incarcéré, décéda en
octobre 1944, et, comme on sait, les usines Renault furent nationalisées. Lorsque les héritiers Renault, par la plume du mari d'une héritière, voulurent revoir à la baisse les turpitudes collaboratrices de leur ancêtre, Annie Lacroix-Riz monta au créneau pour expliquer qu'à l'instar du Sosthenes Behn de Sampson, Louis Renault avait toujours eu des sympathies nazies avant et pendant la guerre. L'historienne était sortie d'un relatif anonymat en mettant en cause le groupe Ugine, qui aurait été impliqué dans la Shoah par des fabrications de gaz Zyklon-B, de la même façon que Black avait suggéré qu'IBM l'était avec la technologie des cartes perforées. A partir des années 1990, Lacroix-Riz s'est intéressée à l'histoire des Banques et des industriels sous l'Occupation, procédant, comme Sampson, sur le mode du réquisitoire. Des kilomètres linéaires d'archives concernant les entreprises françaises, elles n'en retient que les éléments à charge pour en venir logiquement à la conclusion que le patronat français a désiré la victoire de l'Allemagne nazie. Tenue à l'écart par ses collègues du monde académique, Lacroix-Riz reste en vogue dans certains milieux altermondialistes et garde les faveurs du Monde Diplomatique et de l'Humanité.

sommaire

Acquisitions d'après-guerre

En 1951, ITT achète la société de télévision de Philo Farnsworth pour pénétrer ce marché. À l'époque, Farnsworth développe également le réacteur à fusion Fusor , qui est financé par ITT jusqu'en 1967. Également en 1951, ITT achète une participation majoritaire dans la Kellogg Switchboard & Supply Company (fondée en 1897 en tant que pionnière des standards téléphoniques « divisés en multiples » ) et achète les actions restantes l'année suivante. ITT change le nom de la société en ITT Kellogg. Après la fusion de Federal Telephone and Radio Corporation avec ITT Kellogg et la combinaison des opérations de fabrication, le nom change à nouveau pour devenir ITT Telecommunications , pour finalement revenir à ITT Kellogg .
L'une des principales filiales de cette société était l' American Cable and Radio Corporation , qui exploitait les câbles transatlantiques de la Commercial Cable Company , entre autres entreprises. Elle a acheté le fabricant de chauffage et de climatisation John J. Nesbitt Inc., basé à Philadelphie. En 1968, la société a acheté le constructeur de maisons Levitt & Sons de Levittown pour un montant estimé à 90 millions de dollars.
En 1972, le groupe KONI, fabricant d'amortisseurs, a été ajouté à la liste des acquisitions d'ITT.
Télécommunications internationales

Sortie du conflit mondial et effacement de Sosthenes Behn
La fin de la guerre permit à ITT de trouver les liquidités dont elle avait besoin pour confirmer son recentrage vers les activités industrielles.
En 1945, la CTNE fut vendue au gouvernement espagnol. L'opération rapporta 33 millions de dollars en espèces et 50 millions en obligations à 4%. En 1946, la United River Plate est vendue au gouvernement argentin pour 94 M$. ITT fut ainsi en mesure de réduire de 20 M$ sa dette à long terme qui était alors de 74 M$, mais l'essentiel fut consacré à la construction d'usines dans une optique de diversification vers les domaines de la radio et de la télévision.
Très vite après la fin de la guerre survint un conflit entre certains actionnaires et Sosthenes Behn qui ne détient plus qu'une infime quantité d'actions. Depuis 1932, à cause de la mauvaise santé de la société et du marasme ambiant, les actionnaires ne pouvaient fournir des capitaux. Il fallait donc se satisfaire des revenus en espèces, des dépôts bancaires, et, éventuellement de la bonne volonté des gouvernements. Aucun dividende n'était d'ailleurs versé aux actionnaires depuis 1932 et ITT n'avait pas l'intention d'en verser à brève échéance. Cette situation provoqua une fronde des actionnaires. Trois financiers de New York, Clendenin J. Ryan, Robert R. Young et Robert McKinney détenaient à eux trois 10 % des actions exigèrent d'être représentés au conseil d'administration, en même temps que, trois directeurs d'ITT quittaient l'entreprise: Page, Deloraine et Mark Sunstrom. Behn réussit quand même à bloquer le versement de dividendes jusqu'en 1951.

Behn était alors âgé de 65 ans et sa succession était nécessairement à l'ordre du jour. Pour lui succéder, il recruta un dirigeant d'AT&T, William Harrison au poste de directeur des opérations, Behn gardant le poste de président. En fait, les deux hommes, de tempérament très différents ne s'entendirent pas très bien, mais Harrison resta en place jusqu'à son décès en 1956. Le général Edmond Leavey qui le remplaçait prit également le titre de président, Behn, n'étant plus que directeur honoraire jusqu'à sa mort, un an plus tard, en 1957.
En 1951, le chiffre d'affaires d'ITT était de 255 M$, dont 35 % provenait des États-Unis. quatre ans plus tard, ce pourcentage n'avait pas changé alors que le chiffre d'affaires global avait progressé de 76 %, mais les bénéfices, qui tournaient autour de 10 M$ sur la période 1951-1955 ne provenaient que très faiblement (8 %) des États-Unis.

L'avènement de Harold Geneen (1959-1962)
Le mandat de Leavey prenait fin en juin 1959. Pour trouver un nouveau président, le conseil d'administration mit sur pied un comité de sélection formé de Hugh Knowlton (banque Kuhn, Loeb & Co), de Richard Perkins (National City Bank), George Brown administrateur représentant un groupe pétrolier de Houston et Robert McKinney. Leur choix tomba sur Harold Geneen, vice-président de Raytheon âgé de 49 ans. Depuis sa prise de fonction à Raytheon en 1956, il avait complètement restructuré la société et fait progresser chiffre d'affaires et bénéfice de façon spectaculaire. Le 20 mai 1959, Wall Street accusa l'annonce du transfert de Geneen par une baisse du cours de Raytheon de 10 %. Geneen plaça à la tête d'ITT des anciens de son équipe de Raytheon parmi lesquels David Margolis et William Marx qui allait devenir son second.

Pendant les trois premières années de sa prise de fonction, Geneen engagea très peu de nouvelles acquisitions. Depuis le siège du groupe à New York, son équipe mit en place le système de contrôle financier le plus complexe et le plus rigoureux que le monde ait jamais connu. Tous les projets furent passés au peigne fin et les moins rentables furent abandonnés. Une réduction d'effectifs fut menée à la Federal Electric. Busignies devint vice-président : les différentes filiales d'ITT devaient mettre en commun leurs recherches. Les laboratoires d'ITT avaient connu un certain succès dans le développement des transistors, l'entreprise ne s'engagea pas dans la production de transistors, des accords d'échanges de brevets furent passés avec Texas Instruments. Rencontrant pour la première fois Deloraine à Paris, Geneen le toisa et lui dit: « Ah ! c'est vous, Deloraine, celui qui dépense tout son argent en recherche et développement ! ». Geneen décida que les filiales européennes devaient s'américaniser. Non seulement l'anglais fut institué seule langue officielle de l'ISE, mais les cadres durent prendre l'habitude de s'appeler par leur prénom. Jusqu'en 1961, Geneen voulait recentrer l'activité du groupe sur les États-Unis, mais en 1962, malgré sa profonde méfiance vis-à-vis de l'Europe, vit dans le Marché commun et l'Europe, un espace à forte croissance et il mit en chantier de 22 nouvelles usines.

De 1959 à 1962, Geneen avait donc maintenu ITT sur le même périmètre d'activités. En 1962, le chiffre d'affaires du groupe dépassa le milliard de dollars. Depuis 1959, il avait augmenté de 30 %, la même progression qu'entre 1956 et 1959, mais alors qu'au cours de cette dernière période, les bénéfices avaient stagné, pendant les trois premières années du règne de Geneen, ils avaient augmenté au même rythme que le chiffre d'affaires, et cela, en dépit de la nationalisation de la Cuban Telephon par Fidel Castro.

sommaire

Les filiales internationales de fabrication de télécommunications comprenaient :
Standard Telephones and Cables au Royaume-Uni et en Australie, Indosat en Indonésie, Standard Elektrik Lorenz (aujourd'hui une partie de Nokia Allemagne) et Intermetall [ de ] Gesellschaft für Metallurgie und Elektronik mbH (acquise auprès de Clevite en 1965 ; aujourd'hui TDK-Micronas) en Allemagne, BTM en Belgique et CGCT et LMT en France. Ces sociétés fabriquaient des équipements selon les conceptions d'ITT, notamment le commutateur crossbar Pentaconta (années 1960) et les centraux Metaconta D, L et 10c Stored Program Control (années 1970 ), principalement destinés à la vente à leurs administrations téléphoniques nationales respectives. Ces équipements étaient également produits sous licence à Poznan (Pologne), en Yougoslavie et ailleurs.
Alec Reeves , employé d'ITT en France dans les années 1930, a développé des innovations en matière de modulation par impulsions et codage (PCM), sur lesquelles se sont basées les futures communications vocales numériques. Charles K. Kao , travaillant chez STC au Royaume-Uni, a été le pionnier de l'utilisation de la fibre optique à partir de 1966, ce qui lui a valu le prix Nobel de physique en 2009 .
ITT était le plus grand propriétaire de la société LM Ericsson en Suède, mais l'a vendue en 1960.

La diversification

À partir de 1962
, Geneen se lance dans une politique de diversification massive.
Il expliquera plus tard qu'il se sentait mal à l'aise dans le secteur technologique dont le développement accéléré rendait les marchés très instables.
À l'inverse, avec des administrateurs dynamiques, les conglomérats étaient le meilleur moyen de faire face à l'avenir.
La diversification des activités allait de pair avec un juste équilibre entre les différentes zones économiques. Pour mener à bien cette diversification, il fallait procéder à des acquisitions pour lesquelles ITT collabora avec la banque d'affaires Lazard Frères.
Les premières opérations de diversifications restaient dans le domaine industriel : automatisme, pompes industrielles, climatisation.
En août 1964, pour 40 M$, ITT prenait le contrôle d'Aetna Finances et prenait ainsi pied dans le domaine de l'assurance aux États-Unis. Aetna fusionna avec trois autres acquisitions dans le même secteur pour former ITT Financial Services qui allait devenir le pivot de la diversification.[réf. nécessaire] L'objectif que Geneen s'était fixé de doubler le chiffre d'affaires en cinq ans était atteint. Bien sûr, il avait fallu procéder à des augmentations de capital, mais le bénéfice par action avait augmenté de 64 %. Malgré de bons résultats, ITT ne faisait pas partie des stars de Wall-Street dont les actions avaient doublé de valeur: IBM, Texas Instruments, Raytheon.
En 1965, ITT prit le contrôle d'Avis, et à sa suite d'autres sociétés de location de véhicules. Les dirigeants d'Avis ne tardèrent pas à démissionner, ne supportant pas la masse de reporting que l'on leur demandait de faire, et l'un d'entre eux, Townsend publia un livre où il donnait le conseil suivant : « Si vous avez une bonne entreprise, ne la vendez pas à un conglomérat. Cela m'est arrivé et j'ai fini par démissionner. »
En 1963, ITT prend le contrôle de la société Cannon Inc. industriel spécialisé dans la connectique radio, audio et électronique parmi laquelle on note les connecteurs DBM-25P, XLR, D-Sub ou encore APD, équipant des appareils professionnels et notamment dans le secteur militaire et même l'aerospatiale. La filliale est renommée « ITT Cannon » au début des années 2000.
En 1964, la Compagnie Générale de Métrologie, entreprise française connue sous le nom de Métrix, est affiliée à ITT. L'entreprise est intégrée à la division instrumentation pour développer des multimètres analogiques et numériques.
En 1965, Geneen hésita à diversifier l'entreprise . Il ouvrit des négociations avec la société American Broadcasting Company (ABC) qui possédait le troisième plus grand réseau des États-Unis et la plus grande chaine de cinémas du pays. Il y avait une proximité évidente entre les télécommunications et la télévision, et d'ailleurs, l'idée d'une fusion entre ITT et ABC remontait à l'époque de Sosthenes Behn, en 1951. Mais il existe aux États-Unis une Loi anti-trust qui interdit la fusion de deux activités du même secteur lorsque celle-ci aboutit à une situation de monopole. Au sein du département de la Justice des États-Unis il existe une commission de contrôle anti-trust chargée de contrôler cette loi. ITT n'était pas le seul conglomérat à se développer dans les années 1960, et il n'était pas évident que les dispositions antitrust puissent s'appliquer aux conglomérats. Le projet de fusion entre ITT et ABC fut précisément le terrain où partisans et adversaires des conglomérats s'affrontèrent. ITT commença à devenir la bête noire des adversaires de la fusion parmi lesquels on comptait le chef de la division antitrust Donald F. Turner et la figure de proue des droits du consommateur Ralph Nader. Ces derniers finirent par l'emporter et le 1er janvier 1968, ITT et ABC annoncèrent qu'elles abandonnaient leur projet de fusion.
L'échec de la fusion avec ABC signifia pour ITT l'abandon de toute ambition dans le domaine de la télévision.
En moins d'un an, ITT liquida toutes ses positions dans le domaine de la télédiffusion. ce fut le cas de Cablevision, dont ITT se débarrassa et qui sera un acteur important de la télévision payante à la fin des années 1970.
Simultanément, la politique de diversification reprit de plus belle. Le chiffre d'affaires de l'ensemble des nouvelles acquisitions de l'année 1968 est supérieur au chiffre d'affaires d'ITT en 1962. Parmi les principales acquisitions, la boulangerie industrielle Continental Baking, le verrier Pennsylvania Glass Sand, la société de construction immobilière Levitt & Sons, la chaine d'hôtels Sheraton, la Société foncière Rayonnier. Felix Rohatyn, associé de Lazard Frères et administrateur d'ITT avait joué un rôle de premier plan dans la série de fusions-acquisitions de 1968.
Ce fut également lui qui fut avec Geneen l'artisan de la plus grosse opération jamais réalisée par ITT, celle de la compagnie d'assurances Hartford Life Insurance. Cette prise de contrôle de plus d'un milliard de dollars était à l'époque la plus importante jamais réalisée par une firme américaine. Les négociations avaient démarré au début de 1969 et l'affaire fut conclue à la fin de 1970. Le juge fédéral Richard McLaren annonça alors qu'il allait contester cette fusion.
Le projet de fusion ITT-ABC et la façon dont il avait été bloqué par l'administration américaine avait provoqué de façon durable une ligne de clivage entre partisans et adversaires du conglomérat qui coïncidait approximativement avec le clivage entre républicains et démocrates. Les démocrates, libéraux, se méfiaient des trusts au nom de la libre concurrence, et, par opposition, les républicains les soutenaient parce qu'ils étaient un élément de la puissance des États-Unis. Le juge McLaren avait pourtant été nommé à la division antitrust par Nixon, président des États-Unis depuis 1969.

Dans ces mêmes années :
- Expropriation brésilienne en 1962
En février 1962, pendant la présidence de João Goulart , le gouverneur de l'État de Rio Grande do Sul, Leonel Brizola, décide d'exproprier une filiale brésilienne d'ITT, la Companhia Telefônica Nacional. Au cours des années suivantes de la présidence de Goulart, l'expropriation est l'un des problèmes politiques brésiliens les plus débattus. La décision du gouverneur de l'État d'exproprier la société n'a jamais été soutenue par le président brésilien de l'époque et a eu de graves conséquences sur les relations entre le Brésil et les États-Unis . Certains historiens affirment même que l'expropriation a été l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral des États-Unis a soutenu le coup d'État brésilien de 1964.
Convention nationale républicaine de 1972.
L'ITT a été impliquée dans un scandale lié à la Convention nationale républicaine de 1972. En mai 1971, le président de l'ITT, Geneen, a promis 400 000 $ pour soutenir une proposition visant à organiser la convention à San Diego ; seuls 100 000 $ de cette contribution ont été divulgués publiquement. Le Comité national républicain a choisi San Diego comme site en juillet 1971.
Cependant, le 29 février 1972, le chroniqueur Jack Anderson a révélé une note interne de Dita Beard, lobbyiste d'ITT, adressée au vice-président d'ITT, Bill Merriam, datée du 25 juin 1971. La note semblait établir un lien entre la contribution d'ITT à la convention et le règlement favorable d'un procès de la division antitrust du ministère de la Justice des États-Unis . Le scandale qui en a résulté, notamment une enquête du Sénat et la menace d'accusations criminelles, a poussé ITT à retirer son soutien à la convention de San Diego. Cela, combiné à un manque d'espace hôtelier et à des problèmes avec le lieu proposé, a conduit le RNC à déplacer la convention à Miami.] Le procureur spécial Leon Jaworski a enquêté sur l'affaire mais a finalement conclu qu'il n'y avait aucune preuve de conduite criminelle de la part d'ITT.
Les conseillers de Nixon, comme John Dean et Jeb Stuart Magruder, ont affirmé que l' effraction du Watergate avait été motivée par les soupçons du Comité pour la réélection du président selon lesquels le Comité national démocrate concluait des accords similaires pour financer sa convention de 1972. Cette théorie est corroborée par des conversations et des échanges entre le président Richard Nixon et son chef de cabinet HR Haldeman avant et après l'effraction, ainsi que par le témoignage d' E. Howard Hunt . Cependant, cette théorie a également été contestée par d'autres personnes impliquées dans l'effraction, comme G. Gordon Liddy .

1972 : ITT au centre des scandales
ITT sut trouver sans mal des alliés au sein de l'administration Nixon pour qu'un compromis fut trouvé avec McLaren au milieu de l'année 1971: la fusion avec Harford était entérinée, mais ITT acceptait de se défaire d'un certain nombre d'autres acquisitions comme Avis ou Levitt & Sons.
Le 29 février 1972, l'éditorialiste Jack Anderson publiait un article où il donnait le contenu d'un courrier d'une lobbyiste au service d'ITT, Dita Beard : ce courrier de juin 1971 mettait en évidence des relations de proximité entre ITT et des proches de Nixon, et l'attente d'un retour d'ascenseur après l'aide financière de 400 000 dollars apportée par ITT pour la tenue de la convention républicaine de San Diego. L'article d'Anderson reçut un écho considérable dans la presse américaine. La commission de la Justice du Sénat se saisit de l'affaire, le sénateur démocrate Edward Kennedy s'engagea à fond dans l'affaire, mais le Sénat était encore fortement dominé par les Républicains.
En mars 1974, un autre article d'Anderson braqua les projecteurs sur ITT, accusé d'avoir participé à l'éviction, voire à l'assassinat de Salvador Allende au Chili, en 1973 ). Le 23 avril suivant, la revue New York publiait un long article du journaliste britannique Anthony Sampson dans lequel Harold Geneen était dépeint comme un personnage sans foi ni loi, échappant totalement à l'autorité du gouvernement « Les nombreux scandales dans lesquels ITT a été impliqué au cours des dernières années ont fait du sigle même de cette firme un véritable épouvantail avec lequel on peut faire peur aux enfants. » Quelques mois plus tard fut publié le livre de Sampson The Sovereign State of ITT qui devint un best-seller mondial. Robert Sobel note qu'après qu'Allende soit renversé par le coup d'État du 11 septembre 1973, la conviction resta dans beaucoup de milieux qu'ITT était à l'origine du coup d'état qui avait permis à la junte de Pinochet de prendre le pouvoir.

Implication dans le coup d'État de Pinochet au Chili en 1973
En 1970, ITT possédait 70 % de la CTC (la compagnie de téléphone chilienne, aujourd'hui Movistar Chile) et finançait El Mercurio , un journal chilien de droite . ITT avait également investi quelque 200 millions de dollars au Chili . Sous la direction de Geneen, ITT a versé 350 000 dollars à l' adversaire d' Allende , Jorge Alessandri . Lorsque Allende a remporté l'élection présidentielle, ITT a offert à la CIA 1 million de dollars pour vaincre Allende , mais l'offre a été rejetée. Des documents déclassifiés publiés par la CIA en 2000 révèlent que la société a aidé financièrement les opposants au gouvernement de Salvador Allende à préparer un coup d'État militaire . Le 28 septembre 1973, un bâtiment d'ITT à New York a été bombardé par le Weather Underground pour son implication dans le coup d'État.
Selon certains rapports officiels, l'entreprise porte une lourde responsabilité dans les événements dramatiques survenus au Chili dans les années 1970, ainsi que dans d'autres pays d'Amérique latine, notamment l'opération Condor. La déclassification des archives de la CIA permet de publier des preuves jugées comme accablantes. On note le rapport Hinchley dans le dossier global de déclassification précisant entre autres détails, certaines des méthodes ITT :
« Au début de 1970, un homme d'affaires issu d'International Telephone and Telegraph (ITT) contactait un officier de la CIA aux États-Unis et poussait le gouvernement américain à apporter une aide financière aux opposants d'Allende. La CIA lui donna le nom d'un individu susceptible de faire passer les fonds à Alessandri. Quelques mois plus tard un autre représentant d'ITT tâtait le terrain auprès de la CIA à Washington pour savoir si la Centrale accepterait des fonds de sa compagnie et les transférerait au profit de la campagne de Alessandri. On lui répondit que la CIA ne pouvait ni recevoir ni transférer des fonds à Alessandri pour le compte d'une entreprise privée. La CIA précisait que, bien que très inquiète d'une éventuelle victoire d'Allende, le gouvernement américain ne soutenait aucun candidat en particulier. Toutefois, il se trouve que quelques mois plus tôt, la Centrale avait donné à ce même homme d'affaires des conseils sur la manière de faire passer les fonds de ITT en toute sécurité, pour le candidat Alessandri. Après l'élection d'Allende et avant son intronisation, la CIA, selon la directive du 40, en accord avec l'ambassade américaine de Santiago, s'efforça de mener à bien un programme de faillite économique6».
Anthony Sampson a été le premier à révéler certains faits sur la responsabilité d'ITT, qui ont été ensuite confirmés par l'historienne Marie-Noëlle Sarget ou l'écrivain Armando Uribe. Le film Mille milliards de dollars d'Henri Verneuil (1982) s'inspire de l'histoire de la firme qui apparaît sous les traits de la société GTI.

Post-Geneen : Hamilton et Araskog
ITT reste l'une des plus grandes entreprises diversifiées du monde sous la direction de l'actuel président du conseil d'administration Rand V. Araskog, mais elle est sur le point de supprimer son activité la plus importante, à savoir les télécommunications.
En mars 1977, Lyman C. Hamilton est nommé PDG et Geneen devient président du conseil d'administration. En juin 1979, alors que Hamilton est en Asie, Geneen prend connaissance des projets de Hamilton de céder les activités européennes de biens de consommation d'ITT et fait pression sur ses collègues membres du conseil d'administration pour qu'ils le licencient. En juillet 1979, Rand Araskog devient PDG. Peu de temps après, Araskog insiste pour que le conseil d'administration destitue Geneen de son poste de président, bien que Geneen reste au conseil d'administration pendant quatre ans de plus.

Au cours des deux décennies suivantes, Araskog a démantelé une grande partie d'ITT, vendant la plupart de ses participations.

À partir de 1977, ITT a entrepris de développer un nouveau central téléphonique numérique ambitieux , le Système 1240 (plus tard Système 12) ,qui aurait coûté 1 milliard de dollars américains. Selon Fortune en 1985, Araskog a orienté les efforts de l'entreprise vers une poursuite incessante du développement et de la promotion du Système 12, tout en canalisant les bénéfices des entreprises réussies pour répondre aux demandes voraces du Système 12. Le Système 12 était destiné à fonctionner sur tous les marchés et dans tous les modes, des commutateurs locaux aux longue distance. La conception a été réalisée au Advanced Technology Center ( Stamford, Connecticut puis Shelton, Connecticut ). La fabrication était assurée par les filiales d'ITT, comme BTM en Belgique , où le premier système de production fut installé à Brecht en Belgique, en août 1982. Les ventes initiales, notamment en Europe et au Mexique, furent fortes, mais l'intégration du nouveau système prit plus de temps que prévu, entraînant de nouvelles pertes. Contre l'avis du siège social, ITT Telecommunications ( ITT Kellogg ) à Raleigh, en Caroline du Nord, entreprit la conversion sur le marché américain, et bien que les ventes aient été annoncées en 1984 et 1985, la tentative échoua finalement, début 1986.

ITT a cédé ses entreprises mondiales de produits de télécommunications, telles qu'ITT Kellogg , à Alcatel Alsthom , une filiale de la Compagnie Générale d'Electricité (CGE), ce qui a donné naissance à Alcatel NV (Pays-Bas) en 1986. Cette transaction a positionné Alcatel NV comme la deuxième plus grande entreprise de télécommunications au monde à cette époque. Initialement, ITT conservait une participation de 37 %, mais en mars 1992, elle a procédé à la vente de ses 30 % restants, cessant ainsi effectivement sa participation dans l'industrie de la téléphonie.
En 2006, Alcatel Alsthom SA a acquis avec Lucent pour former Alcatel-Lucent .
ITT Educational Services, Inc. (ESI) a été scindé par une introduction en bourse en 1994, avec ITT comme actionnaire à 83 % (en septembre 2016, ESI a annoncé son intention de fermer l'ensemble de ses 130 instituts techniques dans 38 États parce que leurs étudiants n'étaient plus éligibles à l'aide fédérale). ITT a fusionné sa division longue distance avec Metromedia Long Distance en mars 1989, créant ainsi Metromedia-ITT. Metromedia-ITT sera finalement racheté par Long Distance Discount Services, Inc. (LDDS) en 1993. LDDS changera plus tard son nom en WorldCom en 1995.

Rappel des activités de production et de recherche dans les Télécommunications
En dehors des États-Unis, certaines filiales conservaient une activité importante dans la production et la recherche en télécommunications:
Standard Telephones and Cables (STC) en Grande-Bretagne et en Australie, Standard Elektrik Lorenz (SEL) en Allemagne, Bell Telephone Manufacturing Company (BTM) en Belgique, la CGCT et LMT en France.
Ces sociétés fabriquaient et adaptaient des équipements de conception ITT, notamment dans les années 1960 les commutateurs crossbar Pentaconta et dans les années 1970 les commutateurs Metaconta D, L et 10c. Ces commutateurs étaient aussi produits sous licence à Poznan, en Pologne ainsi qu'en Yougoslavie.
Ces filiales pouvaient avoir des activités de recherches brillantes dans des laboratoires comme le Laboratoire central de Télécommunications (LCT), nouveau nom des LLMT en France, ou le Standard Telecommunication Laboratories (STL) en Grande-Bretagne.
Alec Reeves
qui avait mené des recherches avant- guerre sur la Modulation d'impulsion codée à Paris, aux LLMT, monta une équipe après-guerre à STL, où Charles Kao et George Hockham menèrent des travaux pionniers sur la fibre optique, ce qui leur valut le prix Nobel de physique en 2010.

Rupture en 1995, avec Araskog toujours à la barre, ITT s'est scindée en trois sociétés publiques distinctes :
ITT Corp. – En 1997, ITT Corp. a finalisé une fusion avec Starwood , qui souhaitait acquérir Sheraton Hotels and Resorts . Starwood a vendu ITT World Directories à VNU . ITT s'est complètement désinvestie d'ITT/ESI en 1999, mais a continué à concéder sous licence le nom ITT Technical Institute à ESI jusqu'à sa disparition en 2016. Également en 1999, ITT Corp. a abandonné le nom ITT au profit de Starwood .
ITT Hartford – Aujourd’hui, ITT Hartford est toujours une compagnie d’assurance majeure, bien qu’elle ait complètement abandonné le mot ITT de son nom. La société est désormais connue sous le nom de The Hartford Financial Services Group, Inc.
ITT Industries – ITT a opéré sous ce nom jusqu'en 2006 et est une entreprise majeure de fabrication et de sous-traitance de défense .
Le 1er juillet 2006, ITT Industries a changé de nom pour devenir ITT Corporation à la suite du vote de ses actionnaires du 9 mai 2006.

L'éclatement
« En 1995, la compagnie mère, ITT Corporation, se divise en trois compagnies distinctes : ITT Corporation, ITT Hartford et ITT Industries. Sous la tutelle de cette dernière on retrouve ITT Fluid Technology Corporation, ITT Automotive et ITT Defense & Electronics. ».
ITT a été condamné en 2007, pour trafic d'armes, à une amende de 100 millions de dollars pour des exportations à destination de la Chine, de Singapour et du Royaume-Uni.
En 2011, le groupe se scinde en trois entités cotées séparément au New York Stock Exchange. La première gardant le nom d'ITT Corporation regroupe les activités de réseau (ferroviaires, aériens), la seconde Exelis regroupant les activités de défense et enfin Xylem regroupant les activités de gestion de l'eau. En février 2015, Harris acquiert Exelis pour 4,75 milliards de dollars.


sommaire

Quelques tranches d'histoire :

L'ancienne colonie Espagnole CUBA, La platerforme de lancement et le terrain d'essai de L'ITT

Au début du XXe siècle, un service téléphonique local était assuré, exploité par des entreprises indépendantes, tant à La Havane que dans diverses villes de l'intérieur de Cuba.
Lors de la deuxième intervention nord-américaine, qui dura de 1906 jusqu'à la fin janvier 1909, il était prévu d'établir un système téléphonique unifié pour toute l'île, sûrement sous la direction d'une compagnie américaine. en vigueur une loi qui a accordé à cette société une autorisation pour une durée indéterminée d'exploiter l'activité téléphonique dans le pays, y compris le service téléphonique dans la capitale et le service longue distance que Cuban Telephone devait créer.
Cela n'a pas tardé à devenir un véritable monopole, car les entreprises locales établies ne pouvaient pas résister à la concurrence et ont dû faire faillite d'une manière ou d'une autre.
La Cuban Telephone Company s'installe à New York jusqu'à ce qu'en avril 1916, un important achat des titres de la société, effectué par des Cubains, détermine le transfert de son domicile à La Havane.
Quelques jours auparavant, un journal havanais avait rapporté que la capitale disposait de 5 téléphones. pour 100 habitants, un indice qui, bien qu'étant la moitié de celui de New York, triplait celui de Madrid et dépassait même celui de Londres, Paris, Vienne, Petrograd ou celui de n'importe quelle ville d'Amérique latine. Et il a ajouté que sur 10 téléphones installés en Amérique latine et aux Antilles, un correspondait à Cuba.
Mais la situation réelle de la téléphonie dans le pays était loin d'être aussi brillante que le suggéraient les statistiques. Malgré le fait que le revenu brut de Cuban Telephone avait atteint 1,2 million de dollars en 1915, aucun dividende n'a été versé aux actionnaires cette année-là et la valeur des actions a chuté sur les bourses de La Havane et de Londres.
C'était le résultat d'une mauvaise administration qui n'avait pas hésité à emprunter l'entreprise dans des conditions très défavorables afin de maintenir coûte que coûte le versement de juteux dividendes aux actionnaires. Devant l'impossibilité de lever des capitaux supplémentaires dans ces circonstances, la National City Bank de New York, qui avait initialement soutenu l'entreprise, a fait pression sur sa direction pour s'assurer la collaboration des frères Sosthenes et Hernand Behn, qui jouissaient d'un grand prestige pour leurs succès en tant que directeurs de la Porto Rico Telephone Company.
En octobre 1916, le conseil d'administration de la compagnie téléphonique cubaine élit Sosthenes Behn comme président du conseil d'administration de la société, en remplacement de William M. Talbott, et comme vice-président, José Marimón, qui présidait à l'époque la Banque espagnole de l'île. de Cuba. Hernand Behn a été chargé de la gestion quotidienne de l'entreprise.
La première tâche entreprise les frères Behn vis-à-vis de Cuban Telephone a été de restructurer sa dette et, en même temps, de prendre les mesures organisationnelles nécessaires pour accroître son efficacité économique et améliorer le service.
En conséquence, en 1917, le revenu net est passé à 1,7 million de dollars, les dividendes ordinaires ont triplé par rapport à 1913 et les arriérés sur les actions privilégiées ont été payés. L'entreprise a pu compter pour la première fois sur une importante réserve de liquidités.
Peu de temps après avoir repris l'entreprise, Sosthenes Behn entame des négociations aux États-Unis qui, quatre ans et demi plus tard, aboutiront à la création d'une liaison téléphonique entre ce pays et Cuba.
D'un point de vue strictement technique, le problème résidait dans le fait que l'établissement de la liaison impliquait de poser sous la mer, jusqu'à environ 1 800 mètres de profondeur, des câbles téléphoniques d'une longueur totale d'environ 190 kilomètres, ce qui nécessitait une conception spéciale et innovante dans environ 95% de son extension, car à cette époque les câbles des lignes téléphoniques sous-marines les plus longues qui existaient étaient beaucoup plus courtes (moins de 80 kilomètres de long) et n'étaient pas submergées aussi profondément.

Curieusement, les frères Behn n'ont pas été les premiers à proposer formellement au gouvernement cubain l'établissement d'un service téléphonique public entre Cuba et les États-Unis par des câbles sous-marins. La première à le faire fut une certaine Intercontinental Telephone & Telegraph Company, dont le président, l'Italien Giuseppe Musso, prétendit en 1916 avoir « résolu [...] triomphalement et avec précision l'ardu problème de la téléphonie et Télégraphie rapide, à n'importe quelle distance [...] sans avoir besoin de fusées à induction [bobines de charge], ou de lignes spéciales ». Il n'a pas précisé comment il avait réalisé cette prétendue prouesse technique, ni n'a hésité à inviter les Cubains à investir leur capital dans l'Intercontinental, afin que dans un avenir pas trop lointain ils puissent - comme il l'a dit - « mépriser l'envie de ceux qui préfèrent douter plutôt qu'avoir la foi." .
Il est à supposer que le président cubain García Menocal n'était pas parmi ces derniers, puisqu'en juillet 1916, il accorda à l'Intercontinental une concession (mais pas un monopole) pour établir, dans un délai de deux ans, un service téléphonique comme celui annoncé, un terme qui a ensuite été prolongé jusqu'au 31 décembre 1922.
Mais les efforts qui ont finalement abouti à des résultats tangibles sont ceux initiés par Sosthenes Behn pour le compte de la Compagnie cubaine des téléphones. À cette fin, il rencontre Nathan Kingsbury, premier vice-président de la puissante American Telephone and Telegraph Company (AT&T).
En principe, ils ont convenu de s'associer sur un pied d'égalité, pour mener à bien le projet, en commençant par la fabrication et la pose du câble, une tâche dont la planification devait commencer en 1917 et être réalisée en 1918 pour procéder immédiatement à l'exploitation commerciale. du nouveau service.
Le fait qu'un tel accord ait été conclu doit être considéré comme un succès de la remarquable capacité de négociation de Sosthenes Behn, si l'on tient compte du fait qu'à cette époque, son soutien économique était essentiellement réduit aux actifs de Cuban Telephone, alors qu'AT&T était une puissante société de portefeuille qui contrôlait la plupart des activités téléphoniques aux États-Unis, en particulier dans les grandes villes.

L'exécution de l'accord a cependant dû être reportée lorsque les États-Unis en tant que belligérant pendant la Première Guerre mondiale, le 6 avril 1917, Sosthenes Behn rejoignit le Corps des transmissions de l'armée peu de temps après, et dans cet état, il resta en Europe jusqu'en 1919. Le frère Hernand, bien qu'incorporé aux États-Unis de la Réserve navale, continua à gérer la compagnie de téléphone de Cuba et de Porto Rico.
De retour à la vie civile, Sosthène revient reprendre le fil de ses anciennes entreprises avec la ferme conviction que les années d'après-guerre vont être propices non seulement à matérialiser le projet de liaison téléphonique par câble sous-marin, interrompu en 1917, mais d'utiliser ledit lien comme premier lien dans un système de communication beaucoup plus ambitieux dominé par lui et son frère.
Ce que le colonel ne pouvait pas imaginer, c'est qu'il s'appelait lui-même, même s'il avait terminé la guerre avec le grade de lieutenant-colonel, c'est qu'en ce qui concerne le projet de liaison téléphonique Cuba-États-Unis, il allait trouver un concurrent inattendu.

En effet, moins de deux semaines après la signature de l'armistice (18 novembre 1918), Giuseppe Musso, l'homme qui -comme nous l'avons déjà vu- avait obtenu la concession présidentielle cubaine en 1916 pour entamer une liaison similaire, arriva à La Havane et aussitôt a déclaré que les travaux commenceraient bientôt.
Cela agaça Sosthène qui, pour clarifier la situation, s'adressa officiellement mi-décembre au département d'État américain, en sa qualité de président de Cuban Telephone, pour être informé des concessions qui lui avaient été faites aux États-Unis. à l'entreprise organisée et annoncée en grande pompe par le prétendu inventeur italien, Cuban Telephone étant intéressé à entreprendre une entreprise similaire.
Nous ne connaissons pas la réponse, mais elle n'est pas difficile à deviner, car il arriva qu'en avril 1919, un journal de La Havane qualifiait de fraude toute l'affaire de la vente d'actions la même année, de l'Intercontinental téléphone cubain et le American Telephone and Telegraph, étaient formellement associés, à parts égales, dans l' AT&T : l'American Telephone and Telegraph Company, une société dont l'objectif principal déclaré était d'établir un système de transmission entre Cuba et les États-Unis qui permettrait l'interconnexion du long -lignes téléphoniques à distance des deux pays.
Le 1er novembre 1919, l'ambassadeur des États-Unis à Cuba informa son gouvernement qu'après deux mois et demi de négociations, AT&T et Cuban Telephone étaient parvenus à un accord définitif pour établir une liaison téléphonique sous-marine entre La Havane et Key West, ce qui était prévu pour commencer à fonctionner en février 1920, au coût de 750 000 $.

Comme on l'a déjà dit, les câbles sous-marins destinés à transmettre les signaux téléphoniques entre La Havane et Key Bone différaient considérablement de leurs congénères qui fonctionnaient à l'époque dans d'autres parties du monde, en ce sens qu'ils devaient rester immergés à des profondeurs beaucoup plus grandes et être beaucoup plus long. Cette dernière circonstance augmentait considérablement l'atténuation et la distorsion des signaux téléphoniques transmis électriquement, tandis que la conception mécanique des câbles devait tenir compte à la fois des conditions spécifiques des fonds marins et des fortes pressions auxquelles ils seraient soumis dans les profondeurs de la mer.
L'expérience accumulée jusqu'ici dans la pose de câbles téléphoniques sous-marins laissant à désirer, il fut décidé de réaliser une étude préliminaire du dossier, tâche qui fut confiée aux ingénieurs de recherche d'AT&T, Carson et Gilbert. Ses résultats publiés en 1921 ont conduit à la recommandation que les câbles coaxiaux d'une conception spéciale capable de réduire l'impédance de "retour de mer" (eau de mer, fils d'armure, etc.) des conceptions traditionnelles et d'élargir considérablement la bande passante de transmission.
Après avoir effectué diverses mesures électriques, il a été décidé d'utiliser pour les grandes profondeurs, un câble composé essentiellement de :
- a) un conducteur central (constitué d'un fil de cuivre recouvert d'un ruban du même métal) autour duquel un fin fil de fer doux était enroulé en hélice serrée,
- b) une épaisse couche isolante de gutta-percha d'épaisseur constante autour de l'enroulement conducteur central, et
- c) un "conducteur de retour", constitué d'une gaine en ruban de cuivre recouvrant le matériau isolant.
Ainsi, un câble à atténuation réduite et à bande passante suffisante a été obtenu pour transmettre simultanément une voie téléphonique et au moins deux circuits télégraphiques duplex.
Sur la base de la conception électrique proposée par les ingénieurs d'AT&T, la British Construction and Maintenance Company, Ltd. s'est vu confier la conception générale des câbles et leur fabrication, sous la supervision de William Slingo, un spécialiste britannique bien connu, que Cuban Telephone Company a embauché comme ingénieur conseil. Il supervisa également la mise en place des trois câbles tendus entre La Havane et Key West3, travaux qui ne durent que deux semaines et furent reçus comme achevés de manière satisfaisante le 25 février 1921, après que les mesures effectuées à la fin de Key Bone eurent confirmé que le les câbles immergés répondaient aux spécifications électriques préétablies.
Des trois câbles, le plus court mesurait 185,8 km de long, tandis que les longueurs des câbles à l'est et à l'ouest de celui-ci étaient respectivement de 194,6 km et 193,4 km.
Compte tenu de la demande estimée de trafic téléphonique, du côté américain, un seul des câbles susmentionnés était directement connecté au réseau téléphonique local, tandis que les deux autres étaient utilisés pour établir des connexions téléphoniques et télégraphiques directes avec New York et Jacksonville. Chaque câble accueillait trois voies bidirectionnelles : une voie téléphonique et deux voies télégraphiques duplex (une en courant continu et une sur une porteuse 3/3,8 kHz).

Lorsque le service téléphonique entre Cuba et les États-Unis a été inauguré, il y avait près de 25 200 téléphones installés à La Havane, mais le service interurbain ne faisait que commencer à l'intérieur du territoire cubain.
Ce service s'est considérablement amélioré avec l'installation de répéteurs téléphoniques dans des points stratégiques du réseau national (Saint-Domingue, Ciego de Ávila et Victoria de las Tunas) à partir de 1921, ce qui a facilité la tâche des administrateurs des sucreries et autres abonnés de l'intérieur. du pays, communication téléphonique avec les États-Unis.
A la fin de 1922, le nombre d'abonnés de Cuba atteignait plus de 40 300.

Création de l'ITT
Lorsque la National City Bank a suggéré aux dirigeants de la Compagnie de téléphone cubaine que les Behn reprennent la direction de leur entreprise afin de la sauver d'un désastre économique, elle avait à l'esprit la réputation de gestionnaires compétents, efficaces et bien connectés que Sosthenes et Hernand avaient gagné dans la gestion des affaires téléphoniques à Porto Rico. Le résultat de son travail ultérieur à Cuba à la tête de la compagnie de téléphone n'a fait que confirmer cette confiance.
Nous avons déjà vu qu'Hernand était chargé de l'administration quotidienne du Téléphone Cubain, fonction pour laquelle il était extraordinairement bien équipé. Mais Sosthène a plutôt brillé lorsqu'il s'est agi de relations publiques habiles et d'élaboration de stratégies commerciales audacieuses et de grande envergure.
Des années plus tard, alors que les Behn avaient déjà construit l'impressionnante société transnationale à laquelle nous ferons bientôt référence, le magazine Fortune a caractérisé les personnalités très différentes et en même temps complémentaires des deux frères :
... personne n'est plus charmant ou plus raffiné que Sosthenes Behn. Il en est de même d'un jour à l'autre et d'une année à l'autre. Peu importe la volatilité du sang latino en lui, le visage qu'il présente au monde est toujours serein, agréable, sûr de lui [... C'est] une figure éblouissante, un grand aventurier industriel dont la lumière est trop forte pour lui à voir peut se cacher même sous votre grande modestie. Mais il n'est que la moitié des frères Behn. C'est certainement la moitié la plus fascinante, la plus séduisante, mais toujours seulement la moitié. [...] Si Sosthène est plus audacieux, Hernand est plus intuitivement prudent.

Comme nous l'avons déjà vu, l'un des premiers succès transcendantaux des frères Behn a été d'avoir réussi à s'associer sur un pied d'égalité avec le puissant américain AT&T, pour installer et exploiter la première liaison téléphonique par câble sous-marin entre Cuba et les États-Unis, malgré le fait que tout le soutien financier dont ils disposaient pour cela était réduit aux actifs de la Compagnie cubaine des téléphones.
Nous avons également vu que la réalisation de ce projet a dû être reportée lorsque les États-Unis sont entrés dans la Première Guerre mondiale. Ajoutons maintenant que lors de l'accomplissement de son service militaire en France, Sosthène Behn avait eu connaissance des conversations que, peu avant la fin des hostilités et en présence de responsables gouvernementaux américains, des représentants des compagnies de téléphone européennes avaient eues avec des représentants de les banques américaines, afin de négocier leur soutien à la future reconstruction du service téléphonique en Europe. Il n'a donc pas été difficile pour l'astucieux Behn de se rendre compte à la fois de l'intérêt stratégique que les États-Unis avaient découvert dans les télécommunications, et des grandes perspectives qu'allait offrir le marché européen de la téléphonie d'après-guerre, en plus des excellentes possibilités qu'avait perçues le marché latino-américain auparavant.

Depuis le début de l'année 1919, Sosthenes tente d'obtenir un soutien financier à New York pour créer une société indépendante, dont le but serait de contrôler et de gérer bon nombre d'entreprises de télécommunications, mais il n'y parvient pas. Sans se laisser décourager par cet échec, le colonel revient dans la mêlée avec une autre proposition qui paraît beaucoup plus modeste et certainement moins risquée d'un point de vue financier : la création d'une société de holding, destinée à prendre en charge les activités de promotion et de gestion des télécommunications publiques. sociétés de services dans différents pays, et de telle sorte que son patrimoine se composait essentiellement de titres des sociétés de services contrôlées, d'un bureau à New York et de quelques meubles.

Dans le prospectus du 19 juillet 1920, préparé par les Behn, un objectif relativement limité était proposé : acheter avec des actions de la nouvelle société les actions des compagnies de téléphone cubaines (qui comprenaient 50 % des actions de la Cuban American Telephone and Telegraph Co.) et Porto Rico, et administrent les deux, ainsi que "toutes autres compagnies de téléphone et de télégraphe souhaitables dans les pays d'Amérique latine".
Le nom de la nouvelle société serait International Telephone and Telegraph Corporation (ITT).
Bien qu'étonnamment similaire à celui du puissant AT&T, il reflétait très bien l'intention réelle des Behn d'utiliser la nouvelle société pour organiser sous leur direction et contrôler un système de télécommunications véritablement international.
La démarche a porté ses fruits et au bout d'un an et demi, environ 90% des actionnaires avaient vendu leurs parts dans Cuban Telephone et Porto Rico Telephone en échange d'actions dans la toute nouvelle ITT, qui en venait ainsi à contrôler les deux premières sociétés. et de partager avec AT&T les bénéfices obtenus par les cubano-américains de l'exploitation des câbles entre La Havane et Key West, auxquels il a ajouté en 1922 la propriété de la Radio Corporation de Cuba, qui à partir de 1929 a obtenu une concession de 50 ans du gouvernement cubain pour exploiter un service de communication radio à l'étranger.

Le succès retentissant obtenu à la tête de l'activité téléphonique à Cuba et à Porto Rico n'a été que la première pierre posée par les frères Behn pour la construction d'une image attrayante de dynamisme, d'efficacité et de connexion avec la technologie la plus avancée, qui leur permettrait pour consolider leur crédit avec Cuba, commercialiser et concrétiser les ambitieux plans d'expansion de leurs activités de télécommunications vers l'Amérique latine depuis les Caraïbes, où ils avaient déjà conquis deux positions importantes .

Lorsqu'ils ne contrôlaient que Porto Rico Telephone, Sosthenes et Hernand Behn avaient pensé à la possibilité d'interconnecter les îles de Porto Rico et de Saint-Domingue, cette dernière et la pointe orientale de Cuba, et enfin, la ville de La Havane et la Floride, dans un tel manière à maintenir la continuité du circuit Porto Rico-États-Unis avec la concurrence des grands réseaux terrestres entre la République dominicaine et Haïti, et entre l'extrémité orientale de Cuba et La Havane.
De cette manière, les frères aspiraient à développer le juteux commerce qu'ils imaginaient représenter l'exploitation d'un lien entre la possession américaine de Porto Rico et sa métropole. Bien qu'à cette époque, il ne leur était pas possible de réaliser un plan aussi ambitieux, lorsque le contrôle du téléphone cubain est passé entre leurs mains, ils ont eu la possibilité de réaliser la partie la plus importante sur le plan économique, à savoir la liaison téléphonique Cuba-États-Unis .
Comme on l'a déjà vu, l'entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale obligea à reporter à 1921 la construction du câble téléphonique sous-marin Cuba-États-Unis. On a également vu que Sosthenes Behn, conscient des grandes perspectives qu'offrirait le marché européen de la téléphonie d'après-guerre et de l'intérêt stratégique que les États-Unis portaient aux télécommunications, avait créé l'International Telephone and Telegraph Corporation un an plus tôt à New York ( ITT).

En harmonie avec la projection internationale de la nouvelle entreprise, les Behn ont concentré leurs efforts sur la création d'une image d'entreprise qui l'accréditerait publiquement, quelle que soit sa faiblesse économique évidente à l'époque. Ce n'était pas difficile, puisque le puissant AT&T était également intéressé à améliorer son image, notamment auprès du public américain. A cet effet, un grand show politico-technologique fut rapidement organisé pour l'inauguration officielle du service téléphonique entre Cuba et les Etats-Unis, le 11 avril 1921.
Du côté cubain, la cérémonie d'inauguration a eu lieu à La Havane, au siège du téléphone cubain situé à La Havane, rue Águila.
Là, une salle avec des écouteurs a été aménagée pour 400 convives, afin qu'ils puissent écouter les conversations téléphoniques qui allaient avoir lieu. À 4 heures de l'après-midi, une habanera populaire (chant) a commencé à être entendue dans les écouteurs, qui à ce moment précis était chantée à Jacksonville, suivie d'autres numéros musicaux de la même ville de Floride.
Vers 16 h 30, Hernand Behn, alors président de la Compagnie cubaine des téléphones et également président de la Compagnie cubano-américaine des téléphones et télégraphes, a pris le micro et a déclaré, entre autres :
C'est une source de fierté pour nous à Cuba [...] d'avoir été les premiers à introduire à grande échelle le système automatique [...] qui est aujourd'hui adopté et installé, convaincu de ses avantages, par les villes de New York, Philadelphie, Chicago et d'autres centres téléphoniques aux États-Unis [...] et maintenant seront ceux qui établiront le plus grand service téléphonique sous-marin unissant Cuba à treize millions de téléphones en service aux États-Unis, première étape pour atteindre la connexion téléphonique de tout le continent américain.
Le président de Cuban Telephone a terminé ses propos en annonçant qu'il contacterait immédiatement le colonel John J. Carty, vice-président d'AT&T, pour établir, selon ce qu'il a dit, ... une communication entre La Havane et San Francisco, Californie, et de là jusqu'à l'île de Santa Catalina dans l'océan Pacifique, ce dernier tronçon par téléphone sans fil, avec les vingt-trois stations sur ladite ligne répondant à l'appel de La Havane à San Francisco répond à l'appel.
Cette communication représente une distance de 5 700 miles, soit la plus longue connexion [téléphonique] établie à ce jour dans le monde entier.
(Liaison téléphonique de 8 800 km établie entre La Havane et Avalon le 11 avril 1921, par câbles sous-marins, lignes terrestres et liaison radio).
Tout s'est déroulé comme annoncé (sauf que la longueur totale du circuit était en réalité de 5 470 milles, soit environ 8 800 kilomètres), et l'événement est entré dans l'histoire des télécommunications comme la plus longue liaison téléphonique au monde jusque-là établie par liaison radiotéléphonique, aérienne. et lignes souterraines (8 563 kilomètres à à travers les États-Unis, avec 25 répéteurs téléphoniques), et câble sous-marin.
Une fois les contacts susmentionnés établis, une activité de niveau politique supérieur a eu lieu, consistant en une conversation téléphonique protocolaire entre le président cubain Mario García Menocal, qui se trouvait dans son bureau au palais présidentiel, et le président américain Caricature faisant allusion à l'état ruineux de l'économie nationale, publié à Cuba à l'époque de l'inauguration du service téléphonique avec les États-Unis. Warren G. Harding, s'était rendu dans les bureaux de l'Union panaméricaine à Washington, D.C. à cette fin, plus tard, l'ancien président cubain, José Miguel Gómez, qui visitait la même ville à l'époque, a communiqué par téléphone avec sa femme, qui était à Cuba.
Dans son discours inaugural, Hernand Behn avait annoncé que la liaison téléphonique Cuba-États-Unis serait... petite par rapport au grand projet que chérit la Compagnie cubaine des téléphones, avec le soutien de l'International Telephone and Telegraph Corporation, qui n'est autre que de faire de notre pays la base ou le centre de communication qui unira l'Amérique du Nord avec celles du Centre et du Sud (ou, parlant par téléphone, le conseil principal de ces pays ).
Cette allusion au rôle qui devait être réservé à "notre pays" avec le "soutien" de l'ITT, cachait à peine les ambitions d'expansion à grande échelle de la société récemment créée des frères Behn, qui à l'époque était insignifiante : raison de plus pour qu'ils profitent de toute opportunité qui leur permettrait de populariser l'image de la nouvelle entreprise, en l'associant à un grand projet d'envergure internationale.

Trois jours après l'inauguration spectaculaire du service téléphonique Cuba-États-Unis, l'inauguration officielle du service Cuba-Canada a eu lieu avec une conversation téléphonique via La Havane - Jacksonville - New York-Montréal - Ottawa entre le président cubain et le premier ministre canadien Arthur Meighen. Mais la campagne publicitaire devait continuer.

Ainsi, en mars 1922, une liaison téléphonique fut établie entre La Havane et Boston, qui s'étendait de cette ville sur la côte atlantique des États-Unis jusqu'à San Francisco sur la côte pacifique, dans le but de démontrer l'utilisation de haut-parleurs à la place d'écouteurs. Selon une note parue dans l'International Telephone Magazine, publié par l'ITT, cette démonstration ... avait l'intérêt d'être la première fois que ce nouvel appareil [le haut-parleur] était [utilisé] pour la transmission et la réception [...] La Havane a entendu Boston et Boston a entendu La Havane, et San Francisco a également participé avec de brèves phrases complétant ainsi un circuit d'environ 6 000 milles.
De ce qui suit, il apparaîtra que cette démonstration s'inscrivait dans la préparation d'une mise en scène publicitaire encore plus importante, où la communication par ondes radio devait jouer un rôle prépondérant.
...

Entre 1924 et 1930, l'ITT est devenue une puissante société transnationale, au sein de laquelle l'importance économique relative de la Compagnie de téléphone cubaine a été considérablement diminuée.
Cependant, au cours de la même période, les Behn ont maintenu leur intérêt pour cette entreprise insulaire, peut-être parce que, bénéficiant d'une absence totale de contrôle gouvernemental, elle continuait à rapporter de bons dividendes et pouvait être utilisée comme vitrine d'une bonne gouvernance d'entreprise. Voici ce qu'en disait le magazine Fortune en 1930 :
... Hernand a tranquillement pris en charge le véritable premier-né [d'ITT] et en a fait l'unité téléphonique la plus réussie de toutes.[...] Les réalisations des Behn à Cuba ont beaucoup à voir avec l'enthousiasme de l'un des premiers de l'entreprise sponsors.

A La Havane vers 1924, il devint évident pour les frères Behn que le bâtiment de la rue Águila occupé par le siège de la Compagnie cubaine du téléphone, bâtiment du siège du téléphone cubain, inauguré en septembre 1927 n'était pas à la hauteur des plans de grande envergure qui avaient été dessinés, ils a décidé de le remplacer par un grand bâtiment moderne qui dominait le panorama de La Havane et a attiré l'attention du monde entier.
Le nouveau bâtiment, situé à l'angle des rues Águila et Dragones (joint à l'ancien, qui est resté auxiliaire), a été inauguré en septembre 1927.
Sa hauteur de 62 mètres au-dessus du trottoir en faisait le plus haut du pays, avec la particularité qu'il a été conçu pour que son environnement soit "pendant longtemps espagnol dans ses principaux aspects", pour lequel, selon ses concepteurs, les architectes Luis et Leonardo Morales,... le style plateresque a été choisi tel qu'il se trouve à Salamanque, c'est-à-dire : l'apogée de l'art architectural de la mère patrie [... La] conception [du plafond à caissons du hall] est dans le plus pur style de l'époque qui marque la reconquête...
L'histoire de la Compagnie était représentée sur le haut de la grande porte d'entrée de l'édifice, puisque, à supposer que le coquillage symbolise "le pèlerin qui se rend dans des régions inconnues", deux coquillages avaient été sculptés, l'un grand et l'autre petit. , selon l'architecte Leonardo Morales, étaient, respectivement, la représentation de... l'International Telephone and Telegraph Corporation et la Cuban Telephone Company, soutenus par deux chérubins robustes qui [représentaient] l'esprit jeune de deux peuples forts : le Cubain et le l'Américain
Il aurait sûrement été plus juste de supposer que lesdits chérubins représentaient les frères Behn. En tout cas, il ne fait guère de doute que le nouveau bâtiment avait été conçu dans le feu de l'euphorie des frères pour avoir pris le contrôle de l'activité téléphonique en Espagne, comme nous le verrons ci-dessous.

En 1922, une fois le paiement du service de la dette et les dépenses de Cuban Telephone et de Porto Rico Telephone déduits du revenu brut respectif, ces sociétés ont contribué à elles seules un bénéfice net d'environ 500 000 $ à ITT, un montant qui s'est élevé à plus de 800 000 $ en 1923, grâce, en grande partie, à la gestion efficace d'Hernand Behn à la tête de l'administration de ces sociétés. Sosthenes a dû utiliser le prestige commercial acquis dans les deux cas pour se lancer immédiatement dans l'aventure de l'expansion mondiale rapide d'ITT, avec le soutien de la National City Bank de New York, qui était intéressée à accroître ses propres activités en Amérique latine et L'Europe .

sommaire

La colonie Espagnole, la platerforme de lancement de L'ITT en Europe

Semblable aux premiers conquistadors espagnols il y a quatre siècles, mais voyageant en sens inverse, Sosthenes Behn quitte sa base cubaine en 1923, traverse l'Atlantique et, en matière de téléphonie, gagne l'Espagne pour ITT et les grands financiers américains.
L'Espagne devint, à partir de ce moment, le tremplin pour la création de l'empire mondial des télécommunications ITT, de la même manière que Cuba avait été le point de départ d'Hernán Cortés pour la conquête du Mexique.

Déjeuner offert par le colonel Sosthenes Behn et M. Hernand Behn, respectivement président du conseil d'administration et président de l'International Telephone & Telegraph Corp. en l'honneur des dirigeants de la Compagnie nationale d'Espagne.

A cette époque, le service téléphonique espagnol, qui se distinguait par son retard technologique et son inefficacité, comptait à peine un téléphone pour 240 habitants (90 000 téléphones au total) et 15 000 km de lignes interurbaines de mauvaise qualité et dans un état lamentable, c'est pourquoi, en 1923, les derniers gouvernements parlementaires espagnols de l'époque ont commencé à explorer la possibilité de transférer à des entreprises privées étrangères, puissantes et expérimentées, l'exploitation du système téléphonique appartenant à l'État, auquel appartenaient les systèmes à long terme. de Madrid et de Barcelone.
Conscients de la situation, au début de 1923, les Behn se dépêchèrent de se rendre à Madrid en compagnie de leurs plus proches collaborateurs à Cuba et à Porto Rico. Là, ils ont dû faire face à plusieurs concurrents, parmi lesquels le suédois Ericsson et les allemands Siemens et Halske, qui étaient des fabricants réputés d'équipements téléphoniques, bien qu'avec une expérience pratiquement nulle dans l'administration des services publics.
Quant aux Behn ? selon les mots de Maurice Deloraine, ancienne directrice technique générale d'ITT, ces... n'avaient vraiment rien de précis à proposer. Ils n'avaient ni usine, ni un nombre suffisant d'ingénieurs et de techniciens, ni une situation financière de base. Comme atouts, ils avaient leur confiance en eux, leur réputation, leur compréhension de l'Espagne et des Espagnols, et parce qu'il était américain, ils étaient considérés comme très riches aux yeux du peuple.
À Madrid, les frères ont mené une campagne de relations . Habiles relations publiques et une capacité de négociation agile, qui a bénéficié de la précieuse collaboration d'informateurs influents et de propagandistes du ministère en charge des communications. Tout cela, ajouté au soutien qu'ils ont obtenu de la National City Bank et à la pression opportune exercée par la représentation diplomatique américaine, a sans aucun doute eu un impact considérable sur la décision que le dictateur Miguel Primo de Rivera a finalement prise, avec l'approbation du roi Alfonso XIII, de confier à l'ITT l'installation et l'exploitation ultérieure du futur système téléphonique du Pays .
Etant donné que l'accord exigeait qu'une partie importante des composants et équipements nécessaires aux nouvelles installations soient fabriqués en Espagne et qu'à l'époque ITT ne disposait pas de ses propres possibilités de fabrication, Sosthenes Behn n'a pas tardé à entamer des négociations avec divers fabricants.

En conséquence, en septembre 1925, l'ITT acquit, à des conditions extrêmement avantageuses, la propriété de l'International Western Electric Company, une filiale européenne d'AT&T qui avait sa principale usine à Anvers (Belgique) et deux grandes filiales : Standard Telephones and Cables Ltd. en Grande-Bretagne et Le Matériel Téléphonique en France, et même une petite succursale (Teléfonos Bell, S.A.) avec un masse salariale d'environ 250 employés, établie à Barcelone depuis 1922.
Le 26 août 1924, le gouvernement de Primo de Rivera accorda à la Compagnie nationale de téléphone d'Espagne - que les Behn avaient auparavant organisé, avec la participation d'un groupe de puissants banquiers espagnols, une concession d'au moins 20 ans, pour reprendre ce qui devait être à terme le système téléphonique du pays. Selon les termes de la concession, bien que l'État devait recevoir une partie des bénéfices, il a été accepté
Il a été jugé raisonnable que les bénéfices de la nouvelle compagnie de téléphone s'élèvent à 8 % de la valeur des investissements.
A cette époque, l'Espagne était en guerre avec les Rifains, bien décidés à secouer le joug colonial, et les Behn proposèrent d'aider la couronne en leur offrant la possibilité de communiquer par téléphone avec la zone d'opérations
Le 1er décembre, la communication téléphonique promise a été établie en utilisant les câbles télégraphiques sous-marins gouvernementaux existants entre l'Espagne et le Maroc, et trente jours plus tard, un nouveau câble a été posé entre Algésiras et Ceuta.
Ces réalisations spectaculaires ont non seulement contribué à consolider la position d'ITT en Espagne, mais ont été le premier exemple d'engagement offert par la société en Europe.
Mais cela ne signifie pas que les possibilités commerciales immédiates sont oubliées, puisqu'en 1925 l'ITT annonce qu'elle envisage d'établir prochainement ... un service public général qui unira le Maroc à toute l'Europe.
En ce sens, les câbles téléphoniques sous-marins fourniront un service similaire à celui des câbles qui relient actuellement le système de l'International Telephone and Telegraph Corporation, à Cuba, à celui de Bell Telephone, aux États-Unis.
Une fois de plus, donc, l'exemple de Cuba est mis sur la table.
Mais, tout comme leurs précédentes activités dans la plus grande des Antilles avaient servi à ITT de rampe de lancement pour la conquête de la téléphonie espagnole, les Behn entendaient désormais utiliser l'exemple de leurs succès en Espagne comme tremplin pour sauter par-dessus le téléphonie d'autres lieux européens.

Mais avant de quitter le sujet de l'ITT en Espagne et comme détail intéressant, il convient de noter que le 13 novembre 1928, le service téléphonique entre Cuba et son ancienne métropole a été inauguré.
L'acte a commencé par une conversation entre le président cubain de triste mémoire, Gerardo Machado, et le roi d'Espagne, Alphonse XIII. L'occasion a été saisie pour informer les frères Behn que Machado leur avait décerné la décoration de Commandeurs de l'Ordre de Carlos Manuel de Céspedes, nommé "la première dans l'histoire des villes qui a été [conférée] à l'aide des lignes téléphoniques", selon ce qui a été dit à cette occasion.
Une liaison radiotéléphonique établie peu auparavant entre l'Amérique du Nord et la Grande-Bretagne avait rendu l'événement possible, tout comme en 1921 la liaison téléphonique par câble sous-marin entre Cuba et les États-Unis avait permis la réalisation d'un événement similaire.

sommaire

L'expansion mondiale de l'ITT entre 1924 et 1930

Comme déjà mentionné, en 1925, ITT a acquis l'International Western Electric Company, une filiale d'AT&T. C'était une société de holding qui gérait des filiales qui fabriquaient des équipements de communication en Belgique, en Espagne, en France, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Italie. actionnaire de sociétés chinoises et japonaises et détenait des participations mineures dans d'autres sociétés.
Avec le changement de propriétaire, International Western Electric a été renommé International Standard Electric Corporation.
A cette importante acquisition s'ajoute bientôt la Compagnie des Téléphones Thomson-Houston, avec l'appui de la banque Morgan, qui devient à partir de 1925 le principal bailleur de fonds des opérations d'ITT.
Mais si l'acquisition des usines détenues à l'étranger par AT&T était importante pour AT&T, l'accord conclu entre les deux sociétés à l'époque n'était pas une mince affaire, selon lequel, en échange de l'engagement d'ITT de s'abstenir de construire des usines d'équipement de service téléphonique aux États-Unis États-Unis, AT&T s'abstiendrait de concurrencer ITT à l'étranger.
Ce n'est pas l'endroit approprié pour exposer plus en détail le processus d'expansion d'ITT jusqu'à ce qu'elle devienne la gigantesque entreprise transnationale de télécommunications qu'elle est devenue, mais nous en donnerons une idée ci-dessous résumé du développement mondial de la société au cours de la première décennie de son existence, comme un contexte utile pour évaluer ses activités à Cuba.
Rappelons tout d'abord qu'en 1924 l'ITT, disposant d'une concession accordée pour 50 ans pour exploiter un service téléphonique dans la capitale du Mexique et établir d'autres services longue distance dans ce pays a acquis les installations d'une des entreprises de télécommunications établies dans le District fédéral : Compañía Telefónica y Telegráfica Mexicana, S.A.
Le 1er avril 1927, une importante société qui possède des câbles télégraphiques sous-marins entre divers points sur les côtes de l'Amérique latine et entre celle-ci et les États-Unis, All America Cables, Inc.15 est devenue une filiale d'ITT, qui à cet effet avait le soutien financier de la Morgan Bank et de la National City Bank. Par la suite, ITT a pris le contrôle des services téléphoniques de Montevideo et du Chili et a acquis une compagnie de téléphone brésilienne. Parallèlement, il continue d'augmenter la capacité de ses sociétés européennes de fabrication d'équipements, notamment Standard Telephones and Cables, Thomson-Houston et Le Matériel Téléphonique, et prend des participations dans des usines hongroises, autrichiennes et yougoslaves.
Sept câbles télégraphiques sous-marins tendus à travers l'océan Atlantique entre l'Europe et les États-Unis, et un à travers le Pacifique, reliant les États-Unis à la Chine, au Japon, aux Philippines, à Guam, à Midway et à Hawaï, ont été repris par ITT lorsque, le 18 mai 1928, il acquit le contrôle des sociétés de télécommunications que Clarence Mackay avait organisées des années auparavant pour concurrencer Western Union, en particulier Postal Telegraph et Commercial Cable.
L'opération, également soutenue par la Morgan Bank et la National City Bank, a complété le réseau international de communications filaires d'ITT, qui a pratiquement garanti à cette société le contrôle absolu des communications internationales en Amérique latine, et lui a permis d'établir une tête de pont sur le marché des communications aux États-Unis.
À la fin de 1928, les actifs d'ITT atteignaient plus de 389 millions de dollars et ses bénéfices totaux, 21,2 millions.

Entre 1928 et 1929, ITT a acquis la plus grande compagnie de téléphone d'Amérique latine, la société britannique United River Plate Telephone and Telegraph Corporation, qui contrôlait 75% des 210 000 téléphones alors installés en Argentine.
Auparavant, elle avait acquis une société similaire, bien que beaucoup plus petite, la Compañía Telefónica Argentina. Par la suite, il a fondé Standard Electric Argentina, avec son usine d'assemblage et d'installation d'équipements à Buenos Aires, et l'International Radio Company, dont les équipements sont utilisé pour inaugurer, en 1929, une liaison radiotéléphonique à ondes courtes entre l'Argentine et l'Espagne, qui était à l'époque la plus longue du monde et la première entre l'Amérique du Sud et l'Europe.
Vers 1930, l'ITT contrôlait 55 % des téléphones installés en Amérique du Sud.
Mais avant 1929, il n'y avait pas beaucoup de propriété d'ITT dans le domaine des communications « sans fil » internationales, qui était alors entré en concurrence ouverte avec les câblodistributeurs, au point de les obliger à réduire leurs tarifs. Le 28 mars 1929, la société Behns a acquis RCA Communications, Inc., une filiale de Radio Corporation of America.

Vu dans le Time du 17 juin 1929 : Affaires et finances : les progrès de Behn

Les Behn exploitent déjà des systèmes de communication au Mexique, à Cuba, à Porto Rico, en Espagne, en Argentine, au Chili, au Brésil et en Uruguay. La semaine dernière, ils ont annoncé qu'IT&T avait obtenu les droits d'exploitation de la téléphonie et du télégraphe sans fil au Pérou et en Colombie. Avec cette acquisition, toute la côte ouest de l'Amérique du Sud et la côte est au sud de Sao Paulo, au Brésil, ont vu leur industrie du sans fil entre les mains des États-Unis.
La concession d'IT & T. a été remportée après de longues luttes avec les « intérêts britanniques ». Le principal intérêt britannique est la fusion British Radio-Cable, qui possède le système radio Marconi et le plus grand réseau de câbles au monde.
Mais avec environ 1 000 000 téléphones sud-américains sur 1 500 000 sous contrôle américain, et avec la dernière victoire de Behn au Pérou et en Colombie, il semblerait que les communications sud-américaines voyagent sur les ailes de l'aigle plutôt que sur le rugissement du lion.

En 1930, dix ans après sa fondation, l'International Telephone and Telegraph Corporation était devenue ... d'une société de services téléphoniques sur deux îles semi-tropicales à la plus grande société de services téléphoniques en dehors des États-Unis, la deuxième plus grande société de services télégraphiques en Amérique du Nord, une entreprise de câblodistribution avec un bras qui [concurrence] vigoureusement à travers l'Atlantique, un bras à travers le Pacifique et un troisième [s'étendant] en Amérique du Sud, un participant actif à la mêlée radio et un fabricant [faisant] une entreprise d'environ 70 000 000 $ par an.
Le bénéfice net d'ITT est passé de moins de 2 millions de dollars en 1924 à plus de 100 millions de dollars en 1929, tandis que son actif total est passé d'environ 38 millions de dollars en 1924 à environ 535 millions de dollars en 1930.

sommaire

Cuba, zone de test ITT
Bien qu'à la fin des années 1920 et au début des années 1930, Hernand Behn ait été plus occupé que jamais à assurer le bon fonctionnement des principales sociétés de services de télécommunications ITT en Amérique latine et en Espagne, il a continué à accorder une attention particulière au fonctionnement de la Compagnie cubaine de téléphone, qui à cette époque est devenue "l'unité la plus réussie de toutes", selon l'expression du magazine Fortune.
Compte tenu des perspectives d'augmentation rapide du trafic téléphonique entre Cuba et les États-Unis offertes dans la seconde moitié de la décennie précédente, un quatrième câble sous-marin de 206 kilomètres de long a été posé entre La Havane et Key West en 1930. avec une capacité de 7 téléphones canaux.
Mais vingt ans s'écouleront avant que les nouveaux câbles téléphoniques sous-marins entre La Havane et Key West ne soient mis en service, car ce n'est qu'en 1950 que deux autres seront posés, et ce non seulement en vue de couvrir l'augmentation future du trafic Cuba-États. Unis, comme pour tester, dans des conditions normales de fonctionnement, le comportement d'une nouvelle technologie basée sur l'utilisation de câbles avec répéteurs immergés à grande profondeur.
L'expérience ainsi acquise a été décisive dans la conception finale des premiers câbles téléphoniques transocéaniques, qu'AT&T et la poste britannique, en collaboration, ont posés en 1956 entre Terre-Neuve et l'Écosse. Les nouveaux câbles incorporaient des amplificateurs flexibles, régulièrement espacés, conçus par Bell Laboratories, basés sur des tubes électroniques de longue durée, conçus pour amplifier les signaux dans une seule direction, de sorte que chaque conversation téléphonique nécessitait l'utilisation simultanée des deux câbles. Bien que les longueurs de celles qui ont été posées entre La Havane et Key West soient légèrement différentes (213 et 232 km), chacune comportait 3 répéteurs qui permettaient de transmettre sans difficulté, entre les deux câbles, 23 voies téléphoniques et 24 voies télégraphiques simplex (12 dans un sens et beaucoup d'autres dans le sens opposé).

De manière caractéristique, pendant de nombreuses années, l'ITT a utilisé le territoire cubain comme terrain d'essai pour les nouvelles technologies dans des conditions d'exploitation commerciale, en vue de leur éventuelle généralisation ultérieure.
Sans aucun doute, la société tenait pour acquis que, étant donné la corruption proverbiale des fonctionnaires du gouvernement existant dans le pays avant le triomphe révolutionnaire de 1959, toute altération du service dérivée de l'installation éventuelle dans le pays d'une technologie déficiente n'entraînerait pas de conséquences majeures.
Il est vrai qu'il y avait une dépendance du ministère des Communications de Cuba, la Direction des services publics, qui, selon la loi, devait être chargée de révéler le bon fonctionnement des services téléphoniques, électriques, etc., au profit du population, ainsi que de prendre les mesures pertinentes nécessaires à cet effet. Mais en pratique, cette dépendance n'a jamais rempli sa mission avant 1959, puisque jusqu'alors elle avait fonctionné, en pratique, comme un bureau délégué des grandes entreprises de service public.

Un exemple de nouvelle technologie mise à l'épreuve par l'ITT à Cuba, qui était déficiente et préjudiciable au service téléphonique, était la centrale électronique expérimentale de type "rotatif" avec enregistrement électronique à base de tubes à gaz (à vide), qui a été installée à La Havane après la seconde Guerre mondiale.
Bien que le nouveau système ait bien fonctionné dans des conditions de laboratoire, il a complètement échoué dans les conditions d'exploitation commerciale auxquelles il a été soumis à La Havane.
L'incorporation dudit standard au réseau téléphonique local a nui, pendant de nombreuses années, au bon fonctionnement d'un grand nombre de téléphones de la capitale, sans qu'aucune rectification ou indemnisation ne soit exigée de la part de l'entreprise.
Au lieu de cela, ITT a tiré les conclusions pertinentes du résultat négatif de son expérience et a décidé de ne plus fabriquer de centraux téléphoniques du même type.
Mais l'exemple le plus spectaculaire de l'importance de la plage de test cubaine pour ITT a été le succès obtenu dans le développement essentiellement réalisé par AT&T, mais motivé par une demande de Sosthenes Behn lui-même pour un coûteux système expérimental de communications par diffusion troposphérique, entre Guanabo (Cuba) et Florida City (USA), points éloignés à près de 300 kilomètres l'un de l'autre. Ce système permettait de faire parvenir des signaux ultra-haute fréquence (UHF) stables bien au-delà de l'horizon, de telle sorte qu'il permettait la transmission d'un canal de télévision monochrome, ainsi que de 120 canaux téléphoniques.
Jusqu'à l'entrée en service des satellites de communication et des câbles à fibres optiques, ce système était le seul au monde capable d'établir des canaux de communications commerciales à très haut débit pour couvrir de longues distances sans stations de relais intermédiaires, même par voie maritime. Inutile de dire que cela s'est traduit par un impact commercial significatif sur le marché des télécommunications longue distance.
Le système de transmission troposphérique « au-delà de l'horizon » entre Cuba et les États-Unis est entré en service en 1957 et a fonctionné sans problème.
En conséquence, la voie a été ouverte à l'ITT pour installer le même système entre Porto Rico et la République dominicaine, entre la Sardaigne et Minorque, entre l'Alaska et des endroits éloignés du nord du Canada, et entre l'Europe et l'Afrique, en traversant le détroit de Gibraltar.

sommaire

La fin de l'ITT à Cuba

Après la Seconde Guerre mondiale, la Cuban Telephone a laissé le service téléphonique national se détériorer progressivement jusqu'à des extrêmes intolérables, alléguant qu'il lui serait impossible de disposer du capital nécessaire pour normaliser le service et assurer son expansion jusqu'à ce qu'une augmentation considérable des tarifs soit autorisée.
Mais les gouvernements constitutionnels de l'époque n'ont pas osé mettre en place une telle mesure, étant donné que la création "des dividendes suffisants pour attirer de nouveaux capitaux signifiaient [affronter] un public déjà indigné par la dégénérescence du service."
En représailles, la Cuban Telephone a annulé toutes ses nouvelles constructions à Cuba, principalement sur décision du général William Harrison, ancien président et ingénieur en chef d'AT&T, qui avait remplacé en 1948 Sosthenes Behn à la présidence d'ITT.

À partir de 1953, plus aucun nouveau téléphone n'a été installé dans le pays
Cuba était si précieux pour l'ITT pour tester de nouvelles technologies prometteuses, que Harrison lui-même a consenti à ce qu'une de ses filiales dans le pays, la Radio Corporation of Cuba, continue de travailler conjointement avec AT&T dans l'installation de la communication susmentionnée par transmission troposphérique.
Six mois avant l'inauguration de cette liaison, l'ITT a enfin obtenu l'autorisation de sa très attendue augmentation des tarifs téléphoniques, officialisée par le décret numéro 552 du dictateur Fulgencio Batista, du 13 mars 1957.
La date portait un symbolisme tragique, puisque ce jour-là le palais présidentiel avait été attaqué par un commandement révolutionnaire qui cherchait à exécuter le tyran, une action qui a laissé un bilan sanglant de nombreuses victimes.
Cette même nuit, un éminent avocat et homme politique qui s'était distingué pour sa lutte contre la hausse des tarifs prônée par le téléphone cubain, a été arrêté à son domicile et assassiné de sang-froid par les forces de la tyrannie.
Quelques jours plus tard, une annonce payante parut dans la presse nationale où, sous le titre "Merci, Monsieur le Président" et sous la forme d'une lettre adressée au tyran, le général Edmond Leavey, qui occupait alors le poste de président de l'ITT, a clairement déclaré :
J'ai très rarement rencontré, où que ce soit, une personnalité de la vie publique ayant une compréhension aussi large d'un problème que vous. Vous n'avez jamais perdu de vue l'intérêt de la communauté et vous n'avez cessé de penser à améliorer le niveau de vie des Cubains. comme leur propre objectif. Pour cet idéal et pour votre magnifique conception de ce que signifie un service public, moi, personnellement, et tous les hommes et femmes libres qui collaborent avec moi dans la Compagnie cubaine des téléphones, sommes de tout cœur avec vous. [...] Merci beaucoup, Fulgencio Batista, président de Cuba.

De toute évidence, cette déclaration flagrante en faveur du régime corrompu et sanglant qui était alors au pouvoir à Cuba par la force, visait à garantir le soutien d'une dictature sanglante pour les intérêts de l'ITT, une position similaire, soit dit en passant, à la celle que la même transnationale avait précédemment adoptée en Europe vis-à-vis des régimes nazi et franquiste.
Mais sa publication à l'époque n'a fait qu'accroître la méfiance du public à l'égard des raisons invoquées pour justifier l'augmentation excessive des tarifs téléphoniques qui avait été autorisée.
C'est pourquoi personne ne peut s'étonner que, deux mois à peine après le renversement de la tyrannie de Batista à Cuba, le gouvernement révolutionnaire qui avait pris le pouvoir a ordonné l'annulation de ladite augmentation, ainsi que l'intervention ultérieure de la compagnie téléphonique cubaine, dont le nom a été changé en Empresa Nacional Telefónica "13 de Marzo", lors de sa nationalisation , le 6 août 1960, en collaboration avec d'autres sociétés américaines, en réponse à la suppression du quota de sucre cubain par le gouvernement américain.

sommaire