International Telephone and Telegraph Corporation
ITT Inc. anciennement ITT
Corporation est une société de fabrication
américaine basée à Stamford, dans le Connecticut
. La société produit des composants spécialisés
pour les marchés de l'aérospatiale, des transports, de
l'énergie et de l'industrie. Les trois activités d'ITT
comprennent les processus industriels, les technologies de mouvement
et les technologies de connexion et de contrôle.
L'entreprise a été fondée en 1920 sous le nom d'
International Telephone & Telegraph
.
Entre 1960 et 1977, sous la direction du PDG Harold
Geneen, ITT a acquis plus de 350 entreprises et possédait
un portefeuille comprenant des entreprises bien connues telles que les
hôtels Sheraton, Avis Rent-a-Car, Hartford Insurance et Continental
Baking, le fabricant de Wonder Bread. Au cours de cette période,
ITT est passée d'une entreprise de taille moyenne avec un chiffre
d'affaires de 760 millions de dollars à une société
mondiale avec un chiffre d'affaires de 17 milliards de dollars.
Harold Geneen
Filiale allemande d'ITT : SE Lorentz
Filiale française d'ITT : ITT-LMT
Après les années de conglomérat,
ITT a commencé à se restructurer par le biais de cessions
et d'acquisitions stratégiques pour organiser l'entreprise en
segments plus faciles à gérer. Cette restructuration a
culminé en 1995 lorsque ITT s'est scindée en trois sociétés
distinctes et indépendantes : ITT Corporation, qui se concentrait
sur les activités hôtelières et de jeux ; ITT Hartford,
qui est devenue une société d'assurance autonome ; et
ITT Industries, qui a commencé comme un regroupement d'entreprises
manufacturières.
Une décennie plus tard, ITT Corporation a été rachetée,
ITT Hartford a changé de nom et ITT Industries a poursuivi sa
transformation. ITT Industries, qui a repris son nom en ITT Corporation
en 2006, a joué un rôle important sur plusieurs marchés
vitaux, notamment le traitement de l'eau et la gestion des fluides,
la défense et la sécurité mondiales, et le contrôle
des mouvements et des flux.
Tout au long de chaque chapitre de son histoire, ITT a été
connue pour avoir poursuivi des stratégies de transformation
visant à créer de la valeur pour les actionnaires. En
2011, un nouveau chapitre a commencé lorsque ITT Corporation
s'est scindée en trois sociétés indépendantes
cotées en bourse, se séparant de ses activités
liées à l'eau et à la défense. Après
cinq années de succès, ITT s'est réorganisée
en 2016 pour créer une toute nouvelle société mère,
ITT Inc., un fabricant mondial multi-industriel de composants critiques
de haute technicité et de solutions technologiques personnalisées
pour un large éventail de marchés du transport, de l'industrie
et de l'énergie.
En 2024, la nouvelle ITT a atteint plusieurs étapes clés
: trois milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel et le seuil
de capitalisation boursière de 10 milliards de dollars. La croissance
et la différenciation de l'entreprise sont soutenues par une
combinaison de plusieurs facteurs : l'exécution, la qualité
du leadership et un bilan sans dette.
En plus de la croissance organique de l'entreprise, la croissance inorganique
par le biais d'acquisitions a été un élément
principal de l'histoire de la nouvelle ITT. Ces ajouts ont permis à
l'entreprise d'élargir son portefeuille de produits sur les principaux
marchés finaux qu'elle dessert : le transport, les flux (pour
les industries industrielles, chimiques, énergétiques
et minières) et l'aérospatiale et la défense. Parmi
les acquisitions récentes de produits de haute technicité
figurent Habonim (un fournisseur israélien de vannes et d'actionneurs),
Micro-Mode (un fabricant californien de connecteurs spécialisés
pour les applications spatiales et de défense) et Svanehøj
(un fournisseur danois de pompes cryogéniques et liquides critiques
personnalisées). En intégrant ces acquisitions dans le
cadre opérationnel « Sécurité, Qualité,
Livraison et Coût » de l'entreprise, ITT a connu une croissance
durable et s'est consolidée en tant que leader mondial de la
fabrication industrielle.
Grâce à l'accent continu d'ITT sur l'innovation, l'excellence
opérationnelle et un service client irréprochable dans
toutes ses marques, ITT est bien placée pour continuer à
créer de la valeur pour ses clients, ses actionnaires et ses
employés, aujourd'hui et à l'avenir.
sommaire
C'est en 1899 que Sosthenes Behn et son frère
Hernand fondent le "New York International Telephone and Telegraph
Corporation" et en 1920 qu'ils fondèrent International
Telephone & Telegraph (ITT).
La famille de Behn était d'origine allemande et a émigré
au Venezuela, où son père Guillermo Behn est né
en 1840, s'installant en 1868 à St. Thomas, dans les îles
Vierges danoises de l'époque. les Caraïbes.
Sosthenes Behn
Hernand Behn
Hernand (Hernando) Enrique Behn est né à St. Thomas, le
19 février 1880 et décdédé le 07 ocrobre
1933, Saint-Jean-de-Luz, France. Sosthenes Behn est né le 30
janvier 1882 à St. Thomas et décédé le 6
juin 1957 à New York.
Après avoir étudié en Corse et à Paris,
Sosthenes Behn débute sa carrière en 1901 dans une banque
de New York .
Débuts et premières acquisitions
Cinq ans plus tard, Sosthenes et son frère Hernand reprennent
l'entreprise sucrière de leur beau-père à Porto
Rico et, alors qu'ils vivent sur cette île, achètent la
Puerto Rican Telephone Company ; ils acquièrent plus tard la
Cuban Telephone Company en 1914, ainsi que la Cuban-American
Telephone and Telegraph Company et une moitié de participation
dans la Cuban Telephone Company.
Les activités commerciales des frères sont interrompues
par la Première Guerre mondiale ; Behn sert dans le United States
Army Signal Corps.
En 1920, les Behn et un troisième associé fondèrent
ITT , dans laquelle ils incorporèrent leurs avoirs portoricains
et cubains. Ils obtinrent plus tard des concessions téléphoniques
pour l'Espagne et la Roumanie.
Son nom ITT est inspiré de l'American
Telephone and Telegraph Company (AT&T). Ils espéraient
profiter d'un marché industriel qui existait à peine en
dehors des États-Unis . En 1920, les États-Unis comptaient
64 téléphones pour 1 000 habitants, tandis que l'Allemagne
comptait 9 téléphones pour 1 000 habitants, la Grande-Bretagne
5 pour 1 000 et la France 3 pour 1 000.
À cette époque, trois entreprises, Siemens, Ericsson
et AT&T, dominaient ce qu'il restait du marché mondial.
Ayant pris le contrôle d'une société
de téléphones à Porto-Rico, les frères Behn
qui avaient démontré un savoir-faire dans la gestion des
réseaux téléphoniques réitérèrent
leur coup dans les Caraïbes, à Cuba. Ils gagnèrent
la confiance de la National City Bank, et les dons de négociateurs
de Sosthenes Behn lui permirent de prendre pied en Europe et de décrocher
la reprise du réseau téléphonique espagnol.
La première expansion majeure d'ITT eut
lieu en 1923, lorsqu'elle consolida les opérateurs du
marché des télécommunications en Espagne dans ce
qui devint plus tard Telefónica .
De 1922 à 1925, ITT acheta un certain nombre de compagnies
de téléphone européennes.
ITT était confrontée au problème de ne pas disposer
de sa propre usine d'équipements téléphoniques,
ce qui était indispensable si elle ne voulait pas avoir ses concurrents
comme fournisseurs.
En 1925 Sosthène jette son dévolu sur l'International
Western Electric
Co.Inc, IWEC au Royaume-Uni, une filiale de l'American
Telephone and Telegraph (AT&T), la BTM
établie à Anvers en Belgique, avec des usines dans
différents pays et l'un des plus importants fabricants d'équipements
de télécommunications en Europe. AT&T subissait des
pressions de la part du gouvernement américain pour qu'il vende
une partie de ses activités et cesse d'être un monopole.
Cette décision a fait d'ITT un fabricant majeur de télécommunications
dans 11 pays.
La Bell Telephone Manufacturing Company
(BTM) d'Anvers, fabriquait des équipements de commutation
à système rotatif (Rotary)
Soshenes a conclu un accord avec AT&T qui a effectivement établi
une division du secteur des télécommunications ; AT&T
ne serait pas compétitif à l'étranger et ITT s'était
engagé à ne pas établir d'usines aux États-Uni.
1930 Le nom de l'International Western-Electric Co a été
changé en International Standard Electric Corporation IWEC,
créant rapidement des centres de recherche à Paris
et à Londres.
En tant que président dans les années 1920, Hernand fit
passer les actifs de l'entreprise de 38 à 535 millions de dollars,
créant un réseau mondial de câbles et de systèmes
téléphoniques locaux dans plus de trente pays.
1930 En France, la stratégie fixée
par l'administration Rotary, R6
, Strowger, est enfin en marche. Consultez
le débat parlementaire du 3 juillet
1930 présidé par Paul Doumer analysant la situation,
de la France et des autres pays en matière de déploiement
du téléphone, des doutes, des choix, des décisions
...
sommaire
La multinationale ITT de 1926 à 1939
Dès sa création, ITT a donc été plus
qu'aucune autre firme, une « multinationale » puisque le
groupe n'avait jamais été réellement implanté
aux États-Unis alors qu'il y avait son siège social. Limité
à l'exploitation téléphonique avant 1925, avec
le rachat d'IWEC, le groupe étendit ses activités
à la fabrication d'équipements.
L'exploitation des réseaux téléphoniques
nécessitant l'achat de centraux téléphoniques onéreux,
ITT voulut disposer de sa propre technologie et saisit l'opportunité
du démantèlement du géant American Telegraph and
Telephon (AT&T), en vertu de la législation américaine
antitrust qui contraignit ATT à se défaire de sa branche
européenne Western Electric, laquelle, rebaptisée par
ITT International Standard Electric (ISE), comprenait notamment la britannique
Standard Telephon & Cables (STC), la française Le Matériel
Téléphonique (LMT) et la belge Bell Telephon Manufacturing
Co (BTM).
Des laboratoires de haut niveau furent créés à
Paris et à Londres. Devenu indépendant technologiquement,
ITT poursuivit son expansion dans le secteur de l'exploitation des réseaux
dans la plupart des pays d'Amérique Latine et en Europe. Les
dernières acquisitions furent réalisées en Allemagne
avec la prise de contrôle de Ferdinand Schuchardt en 1929 et de
Lorenz.
- Une partie du développement d'ITT se
réalisa en Europe.
** En Espagne, à côté de la CTNE, une société
industrielle, Standard Elétrica S.A. créée au sein
d'ITT, comptait plus de 1 800 employés en 1928.
Les sociétés européennes rachetées à
ATT utilisaient pour la plupart des anciens brevets de Western electric,
ce qui mettait ITT sous la dépendance d'ATT. Pour se dégager
de cette dépendance, des activités de recherches furent
développées dans les pays où ITT était implanté,
c'est-à-dire en Europe : en 1926, LMT
remporta un important appel d'offres de l'administration française
des PTT et réussit à placer des systèmes de commutation
de type Rotary, héritées de la Western electric. En contrepartie,
ITT s'était engagé à créer un laboratoire
de recherches et d'études, les LLMT dont
les effectifs atteignaient 700 personnes en 1930. Maurice Deloraine
fut nommé directeur de ce laboratoire qui apporta à ITT
une position dans la recherche de pointe dans le domaine des télécommunications:
Hyperfréquences que l'on appelait encore ondes ultra-courtes,
téléphonie multiplex, modulation d'impulsion codée.
À la demande des administrations françaises, les LLMT
s'engagèrent également dans des recherches conduisant
à des applications militaires: radiogoniométrie à
lecture instantanée, et, à partir de 1938, radar.
La filiale anglaise STC fut
investie dans un projet ambitieux de câble téléphonique
sous-marin par le biais de son laboratoire, Standard
Telecommunication Laboratories (STL). À la suite de
la crise de 1929, ce laboratoire britannique de 420 personnes fut dissous
en 1939.
** En 1929 et 1930, ITT s'implanta en Allemagne avec l'acquisition de
Ferdinand Schuchardt, Standard Elektrizitäts-Gesellschaft (SEG),
liée à AEG, et C. Lorenz AG, ancienne filiale de Philips.
Lorenz apportait au groupe ITT une position de pointe dans le domaine
du radioguidage et atterrissage sans visibilité. Le système
Lorenz installé à l'Aéroport de Berlin-Tempelhof
fut installé en 1934 en divers points du monde.
- L'autre partie du développement d'ITT fut réalisée
en Amérique latine.
ITT commença par prendre le contrôle, en 1926, d'une société
américaine All America Cables, qui exploitait des lignes télégraphiques
aux États-Unis et en Amérique latine. Dans les deux années
qui suivirent, ITT fit l'acquisition d'une demi-douzaine de compagnies
de téléphone en Amérique du Sud : Uruguay, Chili,
Brésil, et finalement Argentine. Dans ce dernier pays ITT prit
s'empara d'abord d'une petite société, la Compania Telephonica
avant d'acheter en 1929 à des investisseurs britanniques la concession
de la United River Plate Telephone.
- Aux États-Unis,
ITT prit le contrôle en 1928 de la société Mackay,
fabricant d'équipements de communications et propriétaire
des sociétés Postal Telegraph et Commercial Cable qui
possédait sept câbles télégraphiques sous-marins
reliant les États-Unis à l'Europe et un câble traversant
le Pacifique. ITT avait réalisé l'opération au
travers de la Postal Telegraph & Cable Corporation, créée
pour l'occasion. Avec l'aide des banques Morgan & Co et National
City Bank, la Postal Telegraph émit 52,3 millions de dollars
d'obligations qui furent échangées contre des actions
privilégiées.
L'expansion d'ITT qui semblait devoir se poursuivre
au travers d'un accord avec RCA fut stoppée par la Grande Dépression
qui éclata aux États-Unis en octobre 1929. La croissance
d'ITT s'était réalisée au prix d'un fort endettement.
Les acquisitions allemandes de 1929 et 1930 (notamment Schuchardt, SEG,
Lorenz, mentionnées ci-dessus) seront les dernières opérations
de la phase d'expansion.
Cependant, en 1932, la situation était devenue catastrophique.
La dette à long terme du groupe atteignait alors 188 millions
de dollars. La cote de l'action ITT avait atteint un niveau record la
veille du Krach de 1929. En moins d'un an, elle fut divisée par
8. Le versement des dividendes fut suspendu. Il n'était plus
possible d'offrir des actions ITT pour acquérir de nouvelles
entreprises. La situation d'ITT fut aggravée par la chute de
l'empire du financier Suédois Ivar Kreuger avec lequel Sosthenes
Behn était en pourparlers pour le rachat d'Ericsson.
Curieusement, la législation antitrust états-unienne
avait débouché sur une sorte de Yalta entre AT&T qui
restait confinée au marché intérieur et ITT qui
avait les atouts pour conquérir le marché mondial mais
ne se risquait pas à une guerre avec ATT sur le marché
intérieur.
ITT possédait une seule société états-unienne
d'une certaine importance, Postal Telegraph, déclarée
en faillite en 1935, mais dont les nombreuses filiales ne disparaitront
pas, nous serons en particulier amenés à reparler de l'une
d'entre elle, la Federal Telegraph Company.
En 1932, Hernand commença à souffrir de graves
problèmes de santé, partant pour Paris pour se faire soigner
et se retirant plus tard dans sa résidence d'été
à Saint Jean de Luz, où il mourra.
En 1933, après la mort de son frère, Sosthenes
prend le contrôle exclusif d'International Telephone and Telegraph,
la société qu'il a cofondée avec son frère,
Hernand . Sosthenes mis au point une formule financière grâce
à laquelle ITT a pu surmonter les lourdes pertes de la Grande
Dépression. Lorsque Sosthenes pris sa retraite, ITT employait,
par le biais de 100 filiales dans le monde, plus de 40 000 personnes
et réalisait un chiffre d'affaires annuel de plus de 500 millions
de dollars.
A partir de 1931, ITT souffrit de la Grande dépression,
mais la situation se redressa à partir de 1934 où son
chiffre d'affaires consolidé avoisinait les 79 millions de dollars,
soit 4500 MF (En France, dans le secteur de la radioélectricité,
une société de 2500 personnes comme la SFR réalisait
un chiffre d'affaires de 100 MF). De ce vaste empire, seul le siège
social était basé aux États-Unis, à New-York,
mais en fait, l'état-major d'ITT suivait son patron installé
dans les meilleurs hôtels de Londres, Madrid ou en été,
de Saint-Jean-de-Luz
Bien que petite, la société Behn était bien placée
pour être compétitive sur le marché international
en pleine croissance. Elle exploitait la South Puerto Rico Telephone
Company depuis 1905 et la Cuban Telephone Company depuis 1916. Dans
les deux cas, elle fit preuve d'ingéniosité et de compétence
pour transformer des sociétés inefficaces en des sociétés
bien gérées et rentables, avec de bons états de
service.
La mission de Sosthenes Behn au sein de la Force expéditionnaire
américaine pendant la Première Guerre mondiale (où
il obtint le grade de lieutenant-colonel) mit en uvre sa vision
d'un système téléphonique international. Behn avait
l'intention de mettre en place ce système international par l'intermédiaire
de l'ITT, que lui et son frère Hernand créèrent
en 1920 comme société holding pour leurs sociétés
existantes et pour celles qu'ils allaient acquérir.
En 1936, ITT sortait d'une passe difficile.
Le chiffre d'affaires et les bénéfices repartirent à
la hausse. Le principal dommage de la crise ayant été
la mise en faillite de la Postal Telegraph. Le quart des bénéfices
provenait de la filiale espagnole CTNE. Sosthenes Behn suivait donc
avec attention les évènements qui se déroulaient
en Espagne. Avec la victoire en 1936 Frente popular de Manuel Azaña
le nouveau ministre demanda la révision de la concession de la
CTNE. Sosthenes Behn se rendit à Madrid aux débuts de
la guerre civile espagnole. Catholique fervent et anticommuniste, il
était proche de Franco. Et, avec le concours de l'ambassadeur
des États-Unis, il obtint des loyalistes républicains
la protection des installations de la CTNE. ITT joua donc un double-jeu
pendant le conflit espagnol.
sommaire
Le prélude espagnol
Dans le système international ITT, les activités industrielles
et la recherche étaient d'abord là pour permettre aux
sociétés d'exploitation de réaliser du profit sans
que celui-ci ne soit obéré par des commandes passées
à des équipementiers concurrents. En 1936, lorsque le
Frente popular remporta les élections en Espagne, la CNTE représentait
près du tiers des lignes téléphoniques exploitées
par ITT dans le monde et rapportait le quart de l'ensemble des bénéfices
que percevait la maison mère.
En Espagne, comme dans tout nouveau pays où il s'implantait,
Behn avait eu soin de peupler le conseil d'administration des filiales
ITT de personnalités proches du pouvoir ou du roi Alphonse_XIII.
Depuis 1924, de l'eau avait coulé sous les ponts, les difficultés
économiques firent tomber Primo de Rivera en janvier 1930 et
le roi s'éclipsa peu après. En 1931 un éphémère
premier ministre Manuel Azaña y Diaz tenta de renégocier
la concession de la CNTE. Le même Azaña fut élu
président en mai 1936 par une coalition de gauche, et le gouvernement
de Santiago Quiroga exigea la révision de la concession de la
CNTE. Il s'agissait d'une violation évidente de l'accord de 1924
qui prévoyait une concession de vingt ans. Comme les actionnaires
d'ITT étaient citoyens des États-Unis, ITT demanda l'intervention
de l'ambassadeur Bowers et les autorités espagnoles oublièrent
leurs projets car il aurait été malvenu pour le nouveau
gouvernement de se mettre à dos les États-Unis au moment
où l'armée complotait contre le régime. La sédition
devint ouverte le 17 juillet lorsque le Maroc espagnol bascula du côté
de Franco. Le capitaliste et catholique Behn qui ne cachait pas en privé
ses sympathies pour les insurgés, arriva à Madrid pour
remplacer le directeur d'ITT en Espagne qui venait de décéder.
Behn s'installa au dernier étage de la CNTE alors que des milices
syndicales occupaient les étages inférieurs. Dans le même
temps, les ouvriers reconvertissait les usines ITT de Barcelone dans
l'industrie de guerre et décrétaient unilatéralement
une augmentation de salaires. Dans ces circonstances troubles, Behn
suivit scrupuleusement les recommandations du département d'État
américain, et l'état-major d'ITT renonça au projet
de rester à Madrid lorsque les franquistes s'approchaient de
la capitale de peut que cette attitude ne soit interprétée
par les ouvriers de Barcelone comme une prise de parti en faveur des
fascistes. Lorsque l'ambassade américaine quitta Madrid pour
Barcelone, l'état-major d'ITT suivit le mouvement et installa
le siège social de la CNTE à Barcelone. Les relations
entre la CNTE et le gouvernement républicain se rafraichirent
sérieusement en mai 1937 lorsque le président de la compagnie
espagnole, Gumersindo Rico, qui était à Burgos avec les
franquistes, annonça que les dividendes seraient désormais
versés uniquement « dans les territoires libérés
par la glorieuse armée espagnole ».
Ces sympathies prononcées pour les franquistes n'entrainèrent
pas un traitement de faveur de la part des nationalistes vis-à-vis
de la CNTE et d'ITT. Dés novembre 1936, les insurgés avaient
commencé à exercer des pressions pour qu'ITT cesse sa
coopération avec les Républicains. Au cours des deux années
suivantes, les concurrents allemands d'ITT essayèrent de mettre
à profit l'influence des nazis auprès de Franco pour sortir
la firme américaine du téléphone espagnol et lorsque
Franco prit Madrid en avril 1939, il commença par bloquer les
vélléités d'ITT de reprendre l'exploitation téléphonique
en Espagne pour favoriser ses alliés allemands. Encore une fois
il fallut l'intervention du Département d'État américain
pour faire entendre raison à Franco qui, à l'instar d'Azaña
trois ans plus tôt, ne voulait pas se mettre les Américains
à dos. La concession d'ITT alla jusqu'à son terme et ce
ne fut qu'en 1945 que le gouvernement espagnol, toujours franquiste
reprit à son compte l'exploitation du téléphone
dans le cadre d'un accord qui comprenait le versement d'une indemnisation
correcte à ITT.
sommaire
ITT dans l'Allemagne nazie
Il est classique de présenter la Guerre d'Espagne comme le prélude
du conflit mondial. Pour ITT, ce fut aussi une épreuve du feu
où il s'avéra qu'en situation de guerre, même régionale,
l'internationalisme n'était plus de mise et que la multinationale
devait ressortir son passeport si elle prétendait bénéficier
de la protection des États-Unis. Ce point a été
très correctement démontré par l'historien spécialiste
de politique étrangère Douglas Little. Indépendamment
des relations de la multinationale avec le Département d'État
, le cas espagnol montre la vulnérabilité du modèle
ITT face aux tentations de n'importe quel gouvernement pour se réapproprier
l'exploitation du réseau téléphonique, service
pouvant être considéré comme relevant naturellement
des attributions de l'État.
Telle n'était pas la situation en Allemagne où les actifs
ITT relevaient de l'activité industrielle. Il s'agissait de trois
sociétés acquises entre 1929 et 1931, Ferdinand Schuchardt,
Standardt Elektrizitäts-Gesellschaft (SEG), liée à
AEG, et C. Lorenz AG, une ancienne filiale de Philips. Ferdinand Schuchardt
fut ensuite chapeauté par la SEG. Il s'agissait alors pour ITT
de compléter sa présence en Europe par une implantation
dans le pays qui en constituait le plus grand marché et dont
le niveau scientifique et technique était de loin le plus avancé
en dépit des difficultés économiques rencontrées
par la République de Weimar et de son instabilité politique.
En plus de son propre marché, l'Allemagne était la voie
d'entrée naturelle à toute l'Europe de l'Est, notamment
en ce qui concernait les équipements téléphoniques.
Les acquisitions d'ITT en Allemagne se situent dans un contexte plus
général d'investissements américains depuis le
début des années 1920. D'après l'historien britannique
Adam Tooze, en 1939, l'ensemble des investissements directs américains
dans les entreprises allemandes se situaient autour de 450 millions
de dollars. En tête venaient la Standard Oil et General Motors
à chacune desquelles on pouvait imputer près de 60 millions
de dollars. Après ces deux champions, trois groupes américains
avaient investi environ 20 millions de dollars: Woolworth, Singer et
ITT. Tous ces investisseurs vécurent une période difficile
au cours de la Grande dépression des années 1930. ITT,
en particulier vit son chiffre d'affaires chuter de plus de 30%. Dans
ces conditions, la reprise économique de l'Allemagne qui suivit
l'avènement d'Hitler au pouvoir en 1933 était encourageante
et le rigoureux contrôle des devises qui interdisait tout rapatriement
de dividendes n'était qu'une péripétie, certes
gênante, car la trésorerie d'ITT n'était guère
florissante, mais acceptable, en regard des milliards de dollars, également
bloqués, que l'Allemagne devait encore à ses créanciers
étrangers, même après l'annulation des réparations
de guerre. En 1934, les filiales allemandes représentaient 4%
de la totalité des actifs d'ITT, moins que dans bien d'autres
pays, Grande-Bretagne, Mexique, Chili, Espagne ou Argentine, mais dans
la région du monde qui connaissait la plus forte croissance.
Pour diriger cette partie allemande d'ITT, Behn, fidèle à
son habitude, avait placé des personnalités proches du
pouvoir: le baron Kurt von Schroeder qui avait été au
sein de la communauté financière, l'un des premiers partisans
d'Hitler, et le docteur Gerhardt Westrick, représentant officiel
en Allemagne des sociétés américaines Texas Company
et General Electric.
Schroeder et Westrick travaillaient en collaboration avec le banquier
New-Yorkais Henry Mann. A partir de l'accession au pouvoir d'Hitler,
en 1933, ces deux hommes, Schroeder et Westrick ont véritablement
géré SEG et Lorenz, sans doute au mieux des intérêts
d'ITT, mais dans le cadre de l'économie dirigée du Troisième
Reich. Schroeder et Westrick sont particulièrement représentatifs
des responsables économiques, mi-fonctionnaires du régime,
mi-entrepreneurs, qui s'épanouissent dans l'atmosphère
du Troisième Reich.
En Allemagne, Sosthenes Behn entretint de bonnes relations avec Hitler
devenu Chancelier en 1933.
Le 3 août 1933, Adolf Hitler reçoit Sosthenes Behn
(alors PDG d'ITT) et son représentant allemand, Henry Mann, lors
de l'une de ses premières rencontres avec des hommes d'affaires
américains .
Alors que pour ITT, l'investissement en Allemagne était à
long terme, ses vaches à lait restait l'exploitation des réseaux
téléphoniques en Espagne et en Amérique latine,
c'est-à-dire essentiellement le Mexique, le Chili et surtout
l'Argentine où il n'était pas toujours très bien
vu d'être Yankee et où le rapprochement avec l'Allemagne
prenait des dimensions économiques autant qu'idéologiques.
Nous avons vu Behn prendre carrément la barre du navire en Espagne
pour affronter la tempête. En Allemagne, il suivit de plus loin
les affaires et laissa Westrick et Schroeder mener la barque. De toutes
façons, les nazis ne lui laissaient guère le choix, que
ce soit à propos des des marchés qui devenaient de plus
en plus militaires, ou que ce soit à propos du réinvestissement
des bénéfices qui ne pouvaient pas quitter l'Allemagne.
Je serai d'ailleurs bien en mal d'aller plus en détail car il
ne reste aucune trace de rapports d'activité de SEG ou de Lorenz
au cours des années 1930. Selon Robert Sobel, on croit que ces
deux sociétés ont continué à produire de
l'équipement téléphonique, télégraphique
et radiophonique tout en acceptant un nombre toujours plus grand de
commandes provenant de l'Armée. Sur le plan technique, un des
points forts de Lorenz tournait autour du radioguidage et de l'atterrissage
sans visibilité, problèmes qui concernaient aussi bien
le marché de l'aviation civile que celui de l'aviation militaire.
Le système Lorenz inauguré en 1934 à l'Aéroport
de Berlin-Tempelhof fut installé en divers points du monde. A
la fin de l'année 1936, 35 aéroports en étaient
équipés. Lorenz recevait de grosses commandes de la Luftwaffe.
En 1938, cette filiale investit ses bénéfices en prenant
une participation de 25% dans Focke-Wulf Flugzeugbau, une société
qui fabriquait des avions de ligne, mais qui elle aussi était
de plus en plus impliquée dans le secteur militaire. Lorenz investit
également une partie de ses bénéfices dans la compagnie
Huth qui fabriquait des équipements radiophoniques et électriques.
À partir de 1937, il fut impossible à
ITT de rapatrier des dividendes des filiales allemandes. Cette restriction
arrivait à un moment où ITT avait particulièrement
besoin de liquidités. Jusqu'en 1939, Sosthenes Behn ne crut jamais
que la guerre était inéluctable. Tous les cadres supérieurs
des filiales allemandes et autrichiennes d'origine juive furent congédiés
en application de la réglementation nazie. ITT fut l'un des derniers
groupes industriels à appliquer cette mesure. Les filiales d'ITT
reçurent d'importantes commandes d'armement de l'ensemble des
puissances européennes. L'ISE qui chapeautait les filiales françaises
et britanniques put ainsi verser 3,6 millions de dollars de dividendes.
Faute de pouvoir verser des dividendes, les filiales allemandes réinvestissaient
sur place leurs bénéfices.
En mars 1938, de plus en plus de décisions étaient prises
par les directeurs de Berlin sans consultation préalable de la
maison-mère.
En 1938, Lorenz acquit ainsi le quart des actions de la Focke-Wulf Flugzeugbau,
une société cliente de Lorenz qui fabriquait jusqu'alors
des avions civils et qui devint de plus en plus engagée dans
le secteur militaire.
Après l'Anschluss, la gestion de la filiale autrichienne Czeija-Nissl
fut transférée ipso facto à Berlin et l'une des
premières décisions fut d'éliminer de la direction
autrichienne et du conseil d'administration toutes les personnalités
non-aryennes, ainsi que le prescrivait la loi. La démission du
président du conseil Franck Nissl, n'empêcha pas les nouvelles
autorités autrichiennes de faire prendre en charge la totalité
de la société par un « Bureau de transfert des propriétés
», sous prétexte que la société avait été
anciennement dans les mains de citoyens américains. Westrick
et Henry Mann s'en ouvrirent après des autorités Berlinoises,
le secrétaire d'État Keppler et le ministre des affaires
étrangères von Ribbentrop qui donnèrent l'assurance
que les intérêts américains ne seraient pas lésés.
Cet incident servit de prétexte à Behn pour rencontrer
Hitler. Henry Mann organisa et participa à la rencontre, à
la chancellerie. De passage à Paris, Behn évoqua cette
rencontre à son collaborateur français Maurice Deloraine
qui rapporta la conversation en 1972:
« Behn, qui ne parlait pas allemand, nous dit à Paris qu'il
avait trouvé Hitler mieux habillé et plus élégant
qu'il n'aurait pensé: il fut très satisfait de l'entrevue.
Il avait compris que l'avenir d'ITT n'était pas compromis, mais
que le problème de transfert de fonds à l'étranger
n'était pas résolu. »
Lorsqu'en décembre 1941, l'Allemagne déclara la guerre
aux Etats-Unis, toutes les filiales de sociétés états-uniennes,
considérés comme biens ennemis, furent mises sous séquestre
avec nomination d'un administrateur provisoire qui fut peut-être
le même que celui de LMT, une société ad hoc Europaïsche
Elektro Standard. Ce nouveau statut ne changea pas grand chose, car
les directeurs demeurèrent inchangés, et il y avait longtemps
que l'ensemble de l'industrie allemande recevait directement ses directives
du ministère du Plan (Vierjahresplan) de Göring. Qu'elles
soient d'origine nationales ou filiales de groupes étrangères,
les grandes entreprises industrielles s'intégraient parfaitement
bien à l'économie de guerre de l'Allemagne nazie.
Dans son livre Wall Street and the Rise of Hitler ,
Antony C. Sutton affirme que des filiales d'ITT ont effectué
des paiements en espèces au chef SS Heinrich Himmler . ITT, par
l'intermédiaire de sa filiale C. Lorenz AG , possédait
25 % de Focke-Wulf , l'avionneur allemand, constructeur de certains
des avions de chasse les plus performants de la Luftwaffe . Dans les
années 1960, ITT Corporation a obtenu 27 millions de dollars
en compensation pour les dommages infligés à sa part de
l'usine Focke-Wulf par les bombardements alliés pendant la Seconde
Guerre mondiale .
En outre, le livre de Sutton révèle qu'ITT possédait
des actions de Signalbau AG, Dr. Erich F. Huth (Signalbau Huth), qui
produisait pour la Wehrmacht allemande des équipements radar
et des émetteurs-récepteurs à Berlin , Hanovre
(plus tard usine Telefunken ) et dans d'autres endroits. Pendant que
les avions ITT-Focke-Wulf bombardaient les navires alliés et
que les lignes ITT transmettaient des informations aux sous-marins allemands,
les radiogoniomètres ITT sauvaient d'autres navires des torpilles.
Les paiements à Himmler ont été notés dans
un rapport d'enquête bancaire de 1946 par le Bureau du gouvernement
militaire des États-Unis.
Les usines Focke-Wulf fabriqueront pendant la guerre des chasseurs de
nuit pour la Luftwaffe, (les Focke-Wulf Fw 190)28. En 1967, en réparation
des dommages de guerre causée par l'US Air Force, ITT sera indemnisée
de 5M$ au titre des parts détenues dans Focke-Wulf29. À
ce propos, le journaliste britannique Anthony Sampson écrit :
« Et maintenant, ITT se présente comme l'innocente victime
de la Seconde Guerre mondiale, et a été grassement récompensée
pour ses pertes. En 1967, près de trente ans après les
évènements, ITT s'est débrouillé pour obtenir
du gouvernement américain 27 millions de dollars à titre
de compensation pour les dommages subies par les usines Focke-Wulf,
au prétexte qu'il s'agissait d'une propriété américaine
bombardée par les alliés.
ITT devint le principal actionnaire de Focke-Wulf Flugzeugbau GmbH avec
29 %, et le resta pendant toute la durée de la guerre. Cela était
dû au fait que la part de Kaffee HAG était tombée
à 27 % après le décès en mai du directeur
de Kaffee HAG, le Dr Ludwig Roselius . Les documents de l'OMGUS révèlent
que le rôle du conglomérat HAG n'a pas pu être déterminé
pendant la Seconde Guerre mondiale.
sommaire
1926-1939 Le point sur ITT en France
L'implantation d'ITT en France remonte aux années 1925-1926 et
s'articule autour de trois évènements: Le rachat de Western
Electric, l'appel d'offres des PTT pour le central téléphonique
Carnot, et le rachat de la Compagnie des Téléphones Thomson-Houston.
Pour enlever l'appel d'offres des PTT remporté en 1926, LMT avait
été amené à s'engager à créer
des laboratoires.
Maurice Deloraine qui marqua de son empreinte l'histoire de LMT fut
nommé à moins de trente ans directeur des LLMT, les laboratoires
que LMT installa au 46 avenue de Breteuil conformément à
ses promesses. Deloraine était l'un des plus jeunes anciens de
la « Bande à Ferrié » qui entourait le Général
Gustave Ferrié pendant la Première Guerre mondiale, à
l'époque où la radio française était à
un niveau d'excellence mondiale. Ferrié avait encouragé
son jeune collaborateur à tenter l'aventure américaine
et c'est ainsi qu'après être passé par les États-Unis
et la filiale britannique de Western Electric, Deloraine se retrouvait
dans le groupe ITT. Les LLMT, dont les effectifs avaient atteint 700
personnes en 1930, furent le lieu à partir duquel LMT entreprit
une politique de diversification. et étendit ses activités
à un certain nombre d'activités civiles et à la
radiogoniométrie dont les études étaient effectuées
sous la direction d'Henri Busignies, recruté par Deloraine en
1928. Dans le domaine de la téléphonie, les LLMT avaient
également une excellente position dans le domaine naissant des
hyperfréquences dont la maitrise était nécessaire
pour aborder les faisceaux hertziens.
A l'approche de la guerre, les LLMT reçurent de la Défense
nationale un certain nombre de commandes concernant des appareils de
bord pour avions et divers matériel de guerre. En 1938, la Marine
passa une commande pour fabriquer un radar de veille lointaine à
impulsions. A la même
époque, la SFR développait sur fonds propres un radar
à ondes centimétriques. La Section d'études et
de matériel de transmissions des armées (SEMT) dirigée
par le commandant Labat et censée concevoir le matériel
militaire ne comptait alors qu'une trentaine d'ingénieurs et
faisait donc largement appel à la sous-traitance, souvent des
petites sociétés, plus réactives que les grosses,
et surtout, moins arrogantes. En France, il n'y avait dans le domaine
de la téléphonie et de la radioélectricité
que deux sociétés assez importantes et ambitieuses pour
s'être dotées de laboratoires de recherches de bon niveau:
la SFR et LMT, mais curieusement, la SEMT entretenait une relation plus
étroite avec LMT qu'avec la SFR dont le directeur technique était
le « colonel » Brenot, ancien adjoint de Ferrié.
Sans doute Labat, véritable successeur de Ferrié, avait-t-il
plus d'atomes crochus avec Deloraine qui était de la même
génération que lui qu'avec les dirigeants de la SFR, mais
les liens étroits entre les LLMT et les administrations tenaient
aussi aux origines de la création des laboratoires de l'avenue
de Breteuil: une demande des administrations françaises.
En même temps qu'un certain nombre d'équipes installées
dans le monde scientifiquement développé, les ingénieurs
Gloess et Busignies inventèrent le radar moderne, doté
d'un écran cathodique pour visualiser les cibles. Ils inventèrent
également certains procédés sophistiqués
comme le MTI (Moving Target Indicator) pour éliminer les échos
produits par des objets fixes.
Installé en février 1940 sur l'île de Port-Cros,
près de Toulon, le radar mis au point par LMT fut utilisé
entre la déclaration de guerre de l'Italie, le 10 juin 1940 et
la demande d'armistice du 17 juin. Il prouva son efficacité en
permettant de déjouer une attaque d'avions italiens sur la base
de
Toulon.
sommaire
1940 ITT en France
Les filiales d'ITT en France ont participé à l'effort
de guerre français sur le front économique comme le firent
pour l'Allemagne les filiales allemandes. Ceci ne fut pas la conséquence
d'une quelconque stratégie d'ITT de ne pas mettre tous ses ufs
dans le même panier et de manger à tous les râteliers,
mais découle plus simplement de la capacité des puissances
belligérantes à mobiliser sur leur sol les ressources
industrielles et techniques.
Pendant la drôle de guerre, LMT avait consacré tous ses
efforts à la Défense Nationale. La société
fabriqua toutes sortes de matériel, bouchons de grenade, têtes
spéciales de fusée, postes émetteurs-récepteurs,
altimètres etc... Forts de 5 400 personnes en 1930, les deux
établissements subirent les effets de la récession mondiale,
et les effectifs n'étaient plus que de 2 700 au moment de la
déclaration de guerre. La participation à la bataille
de l'armement les fit grimper à 4 300 le 31 mai 1940.
Par bien des aspects, LMT occupe donc une place très voisine
de celle de la SFR, mais sa qualité de filiale d'un groupe anglo-saxon
va incurver quelque peu sa trajectoire. Les ingénieurs des sociétés
ITT d'Angleterre, n'ayant pas été réquisitionnés
en Angleterre pour participer à des projets militaires, Deloraine
en fit venir une demi-douzaine pendant la drôle de guerre, pour
travailler avenue de Breteuil. Auparavant, les laboratoires de Paris
et de Londres, soumis aux règles de sécurité respectivement
françaises et britanniques, travaillaient de façons complètement
cloisonnée en ce qui concernait les recherches militaires. Lors
d'une visite à Paris, Robert Watson-Watt, le responsable des
développements radar anglais avait expliqué à Deloraine
que la question des radars n'était pas traitée en France
avec la sécurité nécessaire et que des échanges
techniques sur ce sujet était absolument exclus. En mars 1940,
il semble que la situation ait évolué, des savants anglais
se rendirent en France, et Deloraine fut invité à aller
voir leurs installations. A peu près à la même époque,
Maurice Ponte, le responsable des projets radars de la SFR avait un
mal fou à obtenir un visa et dût finalement mettre en avant
la nationalité, britannique, de son épouse pour aller
présenter son magnétron à son homologue de la GEC
à Wembley. Un mois avant la visite de Ponte à Wembley,
c'est Deloraine avait transmis aux Anglais toutes les publications françaises
concernant le radar, y compris celles émanant de la SFR, et il
fut surpris d'entendre de la part des Anglais que cette documentation
pourtant déjà publiée devait désormais être
classifiée.
Comme les autres industries parisiennes, LMT avait préparé
un plan de repli au sud de la Loire, dans une usine désaffectée
à Bois-Laribière, près de Limoges. Par chance,
le lieu de repli prévu était situé dans la future
zone « non occupée ». La migration vers le Sud fut
déclenchée le 12 juin, en pleine débâcle.
Le général Jullien qui supervisait les transmissions réussit,
depuis Bordeaux où il avait suivi le gouvernement, à conserver
le contact avec les repliés de LMT pour annoncer que l'amirauté
britannique avait réservé sur un chalutier des places
non seulement pour les ingénieurs britanniques, mais aussi pour
du personnel français. Le général Jullien avertit
ses interlocuteurs civils que s'ils accompagnaient leurs collègues
britanniques sur le chalutier, ils pourraient être considérés
comme déserteurs en temps de guerre. Le principal problème
résidait surtout dans le fait que les ingénieurs étaient
alors séparés de leurs familles et ils ne voulaient pas
s'embarquer dans ces conditions.
Il advint que le commandant Labat se trouva également à
Bois-Laribière à ce moment où toutes les raisons
étaient réunies pour plonger les Français dans
le désarroi le plus profond. Pour passer cette crise morale,
les ingénieurs de LMT avaient été invités
à élaborer de nouveaux projets d'études dans des
hangars sur des tables à tréteaux, et de son côté,
le commandant Labat préparait le redéploiement du savoir-faire
français dans la zone dite libre:
« ... il fut décidé avec le Commandant Labat qu'une
grande partie du personnel du Laboratoire LMT resterait en zone non
occupée et que leur programme serait choisi pour conserver un
maximum de moyens et de connaissances techniques pour des jours meilleurs.
J.M.Archange fut
chargé de la direction de ce laboratoire.. ».
De fait, parmi tous les laboratoires implantées à Lyon
pendant la période de l'Occupation, LMT fut le premier, et la
filiale d'ITT parvint ainsi maintenir ses relations privilégiées
avec Labat et les nouvelles administrations françaises, en particulier
le CCTI (Comité de coordination des communications impériales),
organisme créé en partie pour poursuivre les activités
de recherches militaires du SEMT. En 1943, sur un total de 39 millions
de francs que distribue le CCTI pour des marchés d'études,
LMT en rafle, alors que la SFR n'en obtient que six. Cette place privilégiée
s'explique en partie par le fait que LMT est-il spécialisé
dans le téléphone, ce qui lui donne les meilleures chances
d'obtenir la plus grosse part des 10 MF réservées aux
PTT.
sommaire
1940-1945 ITT aux États-Unis
Revenons à Deloraine qui remonte à Paris. Les Allemands
arrivés le 15 juin dans la capitale s'étaient inquiétés
de trouver l'usine de Boulogne presque entièrement vide comme
toutes les usines de la région parisienne.
Le conflit mondial qui avait éclaté en septembre 1939
et que n'avait pas voulu voir venir Behn signifiait pour ce dernier
la faillite de son concept de système international. La période
1940-1945 sera pour ITT une phase de recentrage sur le territoire des
États-Unis, un recentrage qui est explicitement prévu
dans le plan quinquennal publié en 1940, où il est beaucoup
question d'activités manufacturières aux États-Unis
et bien peu du développement des compagnies de téléphone.
En fait, ITT ne détenait en Amérique du Nord qu'un ensemble
disparate de sociétés qui avaient échoué
dans son portefeuille au gré des manuvres boursières
menées dans les années 1920. La Federal Telegraph Company
était l'une de ces petites sociétés, investie dans
la production d'équipement de radiotélégraphie
qui avait reçu des commandes militaires à la fin de l'année
1939. Behn articulera sa nouvelle stratégie nationale sur cette
petite société de Newark, bien gérée et
rentable. Jusqu'en 1939, il n'avait pourtant jamais jugé utile
de franchir la Hudson River et de visiter les usines de cette obscure
filiale. En 1940, Behn prit lui-même en main la restructuration
de la Federal, créa une société jumelle, la Federal
Telephon & Radio Laboratories, qui acquit un certain nombre de terrains
pour construire de nouvelles usines, et
notamment, au sud de Long Island le terrain de Great River où
fut construit le premier laboratoire d'ITT sur le sol américain.
Dans son fameux appel, le général de Gaulle avait invité
« les ingénieurs et ouvriers spécialistes des industries
d'armement » à venir le rejoindre, mais il ne recueilli
aucun écho dans cette catégorie de population. Nous avons
vu que les ingénieurs de LMT n'avaient pas voulu accompagner
leurs collègues britanniques rapatriés, car ils ne voulaient
pas partir sans leurs familles. Il est vrai que, réaliste, de
Gaulle avait adressé son appel à ceux « qui se trouvaient
en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver ».
Pour diriger le laboratoire qu'il envisageait de créer, Behn
fit transmettre en septembre un appel à Deloraine par l'intermédiaire
du consulat des États-Unis à Paris. ITT représentait
sans doute pour son directeur technique une sorte de seconde patrie,
il accueillit favorablement cet appel et retourna d'abord à Lyon
pour consulter Labat, lequel donna sa bénédiction pour
un départ vers un pays ami. Le général Jullien,
toujours en poste à Vichy, fut également prévenu,
mais ne put donner une autorisation de sortie officielle. L'équipe
qui quitta illégalement la zone occupée d'abord, puis
la zone Libre comprenait en plus de Deloraine, Busignies, choisi pour
ses connaissances en radiogoniométrie, Labin pour le radar et
Chevigny pour les tubes hyperfréquences. Avec les familles, cela
faisait treize personnes. Ils emportaient avec eux les plans de tous
les matériels militaires qui pouvaient intéresser les
Américains. Le gros de l'équipe débarqua à
New-York le 31 décembre au soir après avoir transité
par Marseille; Alger, Casablanca, Tanger et Lisbonne.
C'est donc avec les débris de son empire international que Behn
ensemença les terres du New-Jersey qu'il avait acquises pour
devenir une puissance industrielle et scientifique états-unienne.
Busignies ne devait jamais regagner les laboratoires de l'avenue de
Breteuil. Il termina sa carrière aux États-Unis, prenant
même la nationalité américaine en 1960. En 1955,
il fut nommé président des laboratoires ITT.
Behn présenta Deloraine et Busignies aux représentants
de l'Armée et de la Marine, mais ceux-ci étaient très
méfiants vis-à-vis de Behn à cause de ses attaches
supposées avec l'Allemagne, et ce ne fut qu'après que
l'expert de la US Navy Maxwell K.Goldstein eut reconnu la grande valeur
de
l'appareil conçu par Busignies que les Français reçurent
des autorisations de travailler avec les laboratoires de la Navy. Kathleen
Williams explique
qu'une restriction beaucoup plus sévère qu'aux autres
sociétés américaines fut appliquée à
ITT dans l'octroi des habilitations Défense, en raison de son
caractère multinational. D'autres sociétés américaines
dont le caractère multinational était également
avéré obtenaient des habilitations qui étaient
refusées à ITT. Parmi les raisons invoquées, il
y avait cette forte implications d'ingénieurs étrangers
- c'est-à-dire français - dans les nouveaux laboratoires
d'ITT, et le fait que plus que toute autre société, ITT
continuait d'entretenir des relations avec ses filiales étrangères
situées dans les pays neutres, notamment en Amérique Latine.
Dans les premiers mois de 1942 le même Goldstein mena des essais
comparatifs entre le modèle britannique FH3 et le DAQ d'ITT.
Il sélectionna le DAQ qui fut construit en 4000 exemplaires pour
équiper les bâtiments d'escorte.
Sur les bateaux où ils étaient embarqués, ces radiogoniomètres
étaient couramment appelés « Huff-Duff »,
comme HF/DF, raccourci pour High Frequency Direction Finder. Pour comprendre
l'intérêt de ce Huff-Duff, il faut avoir à l'esprit
que la bataille de l'Atlantique est avant tout un jeu de cache-cache
où les U-Boote allemands sont tour à tour chasseurs et
gibier.
La radiogoniométrie est aussi vieille que la radio elle-même:
Comme à la réception, l'intensité du signal dépend
de l'orientation de l'antenne, on a là un moyen de connaître
la direction de l'émission.
Les sous-marins en mission doivent communiquer à leur base quelques
informations, notamment leur position et cette communication peut les
faire repérer. En 1938, il s'avéra que les Allemands avaient
doté leurs sous-marins d'un système qui permettait de
comprimer leurs messages dans le temps. Ceci impliquait d'enregistrer
les messages sur papier, comme on le faisait depuis longtemps pour les
télégrammes et, à la réception, les messages
étaient enregistrés sur support magnétique. Les
messages qui duraient moins d'une seconde étaient indétectables
avec les radiogoniomètres classiques. La solution proposée
par Busignies était un condensé de toutes les sophistications
que pouvait proposer à cette époque l'électronique
que l'on appelait alors radioélectricité: à l'optimisation
de l'antenne était adjointe une technique de comparaison de phase
mettant en jeu la rotation de l'antenne à 20 tours par seconde
en synchronisme avec avec la rotation du déflecteur autour du
col d'un tube cathodique. A partir de la fin 1942, la bataille de l'Atlantique
commença à tourner au profit des Alliés. le repérage
des sous-marins devint le souci constant de l'Amiral Dönitz qui,
pendant toute la durée de la guerre, n'a jamais soupçonné
que l'on put localiser l'émission de signaux d'une fraction de
seconde. Aux côtés du radar centimétrique, le Huff-Duff
avait joué une large part dans l'anéantissement des U-Boote
ennemis. La US Navy ne révéla l'existence des Huff- Duff
d'ITT qu'en 1946.
Labin n'eut pas l'occasion de faire bénéficier les Alliés
de ses talents de radariste. Peu après leur arrivée sur
le sol américain, les ingénieurs français furent
convoqués pour une réunion technique sur le radar mais
l'échange fut très bref. Le colonel avec lequel ils avaient
rendez-vous leur demanda
d'emblée « Vous êtes français n'est-ce pas
? je refuserais de parler radar avec Jésus-Christ lui-même.
»
A Long Island, le laboratoire de Great River dirigé par les quatre
Français, compte rapidement deux cents personnes, ingénieurs
et dessinateurs. Des prototypes sont fabriqués dans les premiers
mois de 1941. Lorsque les commandes deviennent plus importantes, la
Federal Telegraph ne peut
plus suivre, il faut faire appel à des sous-traitants qui n'appartiennent
pas à ITT . La radiogoniométrie est le fond de commerce
principal de Great River, mais ITT reçoit également des
commandes de systèmes d'atterrissage sans visibilité dérivés
du matériel que Lorenz avait développé et introduit
aux États-Unis en 1937. Labin qui n'a pas le droit de travailler
sur les radars dirige une étude d'un matériel de brouillage
des communications entre blindés. Si les Français sont
sont privés de tout contact avec les développement radars
menés au Radiation Lab de Boston, on confie quand même
au groupe de Busignies le développement d'un équipement
de contre-mesure radar. Pour relativiser ce qui peut paraître
comme une sorte d'ostracisme vis-à-vis des Français, il
faut signaler que les mesures de sécurité américaines
pouvaient tout autant concerner des citoyens américains. Ainsi,
Behn, n'a pas l'habilitation pour pénétrer dans les labos
de Great River, ce qui ne l'empêche pas de mettre tout son son
poids au service de l'effort de guerre de son pays: Lorsque Busignies
se plaint de ne pas pouvoir se procurer le câble coaxial dont
il a besoin, Behn décide de créer une usine pour fabriquer
le câble.
sommaire
En Roumanie, Behn sauve les meubles
Pour opérer sa politique de recentrage vers les États-Unis,
ITT bénéficia d'une certaine marge de manuvre grâce
à un désengagement réussi in extremis en Roumanie.
La Societatea Anonima Romana de Telefoane (SART), entrée dans
le giron d'ITT en 1930, n'était peut-être pas le plus beau
fleuron de l'empire de Behn, mais avec un parc de 100 000 abonnés
en 1940, elle versait quand même quelque 150 000 $ à la
maison mère ce qui était toujours mieux que les filiales
allemandes, certainement plus étoffées mais qui, depuis
belle lurette, ne versaient plus un pfennig à l'extérieur
du Reich. Cependant, à partir de 1939 et plus encore de juin
1940, la Roumanie glissait inéluctablement vers le camp allemand,
ce qui se traduisit en septembre 1940 par la mise à l'écart
du roi Carol et l'arrivée au pouvoir de Ion Antonescu qui prit
officiellement parti pour l'Allemagne nazie. Tout semblait en place
pour que les avoirs d'ITT soient gelés pour une période
indéterminée, mais les États-Unis réagirent
les premiers après le basculement de la Roumanie dans le camp
de l'Axe et gelèrent les avoirs roumains aux États-Unis.
Il ne reste aucune trace ni de négociations entre ITT et le Département
d'État ni de négociations avec la Roumanie, mais tout
laisse à croire qu'à ce moment-là, rien ne pouvait
être négocié en Roumanie sans l'accord de Berlin,
ce qui veut dire que Behn aura sans doute mandaté Westrick et
Schroeder pour user de leurs relations et faire aller les choses dans
le bon sens. A la fin de 1940, des représentants du gouvernement
roumain ont rencontré les directeurs d'ITT et conclu un accord
selon lequel ITT vendait au gouvernement roumain ses parts dans la SART
pour la somme de 13,8 millions de dollars qui devait être payée
avec les actifs saisis aux États-Unis. Selon l'historien des
entreprises Richard Sobel, ITT fut la seule des entreprises américaines
qui réussit à vendre ainsi ses actifs roumains à
la veille de l'entrée des forces allemandes en Roumanie.
Cette rentrée inespérée d'argent frais fit ainsi
baisser la dette annuelle d'ITT de 600 000 $, ce qui limitait les dégâts
d'une guerre qui n'était encore qu'européenne. Les Allemands
ne versaient plus de dividendes depuis longtemps. La France occupée
n'en verserait pas non plus, et la Grande-Bretagne, également
en guerre, observait désormais les mêmes règles
que l'Allemagne vis-à-vis des fuites de capitaux. En fin de compte,
les dividendes européens chutèrent de 3 millions de dollars
entre 1939 et 1940 et ITT accusa une perte de 1,8 million de dollars.
ITT chercha à réaliser en Espagne le même type d'opération,
c'est-à-dire vendre la CNTE. Le gouvernement espagnol n'était
pas intéressé par le rachat, mais un groupe d'hommes d'affaires
allemands qui se firent représenter par Westrick présentèrent
une offre de 63 millions de dollars, ce qui aurait définitivement
assaini la situation financière du groupe américain, mais
le département d'État s'opposa à cette transaction
qui semblait aller à l'encontre des intérêts des
États-Unis.
Pour se sortir d'affaires, Behn dût négocier avec l'Export-Import
Bank pour reporter de 1940 à 1948 l'échéance de
certaines créances,. Il dut aussi demander à la même
banque une ligne de crédit exceptionnelle de 1,5 millions de
dollars, de quoi assurer son fonds de roulement dans les premiers
mois de 1941.
sommaire
La Seconde Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale qui éclata en septembre 1939 et
l'entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941
semblait devoir toucher ITT plus qu'aucune autre société
américaine, tant le groupe s'était développé
en dehors des États-Unis. L'impossibilité de rapatrier
les dividendes qui avait prévalu pour les filiales allemandes
depuis 1937 avait évidemment étendu aux filiales françaises,
belges, néerlandaises et danoises, sous domination allemande,
mais aussi pour les filiales britanniques, espagnoles, hongroises et
roumaines, dont les pays étaient concernés de près
ou de loin par le conflit mondial. Behn réussit néanmoins
à maintenir l'affaire à flot par une série de mesures:
Une série d'obligations de dix ans détenues par l'Export-Import
Bank arrivaient à terme à la fin de 1940. Les paiements
purent être reportés en 1948. L'Export-Import Bank accorda
même à ITT un crédit exceptionnel de 1,5 million
de dollars, immédiatement utilisé comme fonds de roulement
au début de 1941. À la même époque, le coup
de maitre de Behn fut de réussir à se défaire de
l'actif à haut risque que représentait la compagnie de
téléphone Societa Anonima Romana de Telefoane (SART) dans
la Roumanie d'Antonescu qui venait de basculer clairement dans le camp
de l'Axe. ITT vendit la SART au gouvernement roumain pour 13,8 millions
de dollars, payés par des actifs roumains qui avaient été
saisis aux États-Unis.
L'avènement de la guerre précipita le recentrage d'ITT
sur une activité industrielle aux États-Unis. Il s'agissait
en 1940 de produire des équipements militaires . Le développement
de l'activité industrielle fut organisé à partir
de la Federal Telegraph Company, une filiale du groupe Mackay acquise
en 1928 et qui produisait en petite quantité des équipements
de radiotélégraphie à Newark dans le New Jersey.
Une nouvelle filiale, la Federal Telephon & Radio Laboratories,
fut créée à proximité de l'usine de la Federal
Telegraph. ITT acheta de nombreux terrains dans le New Jersey pour construire
des usines et un terrain à Great River, sur la rive Sud de Long
Island, près de New York pour créer le premier laboratoire
d'ITT basé aux États-Unis. La Federal Telegraph qui n'était
qu'une toute petite usine en 1940 réalisa 91 millions de dollars
de chiffre d'affaires en 1944 pour 3,6 millions de dollars de bénéfices.
Le laboratoire de Great River fut dirigé par l'équipe
française de Maurice Deloraine et Henri Busignies, des scientifiques
de haut niveau. Ils furent installés avec leurs équipes
dans des hôtels de Manhattan et se rendaient dans leurs laboratoires
situés dans l'immeuble d'ITT au 67 Broad street.
De ce laboratoire fut notamment issu le Huff-Duff, qui servit à
détecter les sous-marins allemands lors de la bataille de l'Atlantique
et qui était issu des travaux de Busignies aux LLMT de Paris34.
Busignies devait devenir le président des ITT Laboratories.
La SEG, Lorenz et les autres filiales allemandes produisaient
une grande quantité de matériel militaire comme des systèmes
de radioguidage. Dans la France occupée par l'Allemagne, la filiale
LMT, comme les autres entreprises françaises du secteur fut placée
sous la tutelle d'une Patenfirma allemande. En l'occurrence, ce fut
Lorenz (en) qui joua ce rôle, et comme les autres entreprises
françaises du secteur, LMT dut finir par accepter les commandes
de Lorenz et produisit donc massivement pour l'armement allemand. Les
effectifs s'accrurent de 2 700 à 4 700, de septembre 1939 à
juin 1943, date à laquelle le pourcentage de la production pour
l'Allemagne atteignit 66 %.
Pendant le conflit, les communications étaient
coupées entre les pays en guerre. Avant l'entrée en guerre
des États-Unis, Behn effectua une dernière visite en Allemagne
au milieu de l'année 1940. Il se vit alors refuser l'entrée
de plusieurs usines, propriétés d'ITT et dut se contenter
d'une visite guidée des établissements de Berlin. Mais
il restait des pays neutres qui pouvaient poursuivre leurs relations
avec les belligérants des deux bords. Le représentant
de la filiale européenne, l'ISE, en Suisse, Edouard Hofer était
en contact à la fois avec Behn et avec les responsables d'ITT
en Allemagne Westrick et von Schroeder. Le département d'État
américain était informé des communications entre
New York et Zürich, mais ne savait pas grand-chose sur les tractations
entre Zürich et l'Allemagne.
ITT dans la France occupée
La défection de quatre ingénieurs talentueux n'empêcha
évidemment ni l'usine de Boulogne ni les laboratoires de l'avenue
de Breteuil de poursuivre leurs activités en France. Le directeur
général de LMT était Jean Roussel, un homme de
46 ans qui justifia à la Libération son choix de rester
en poste par le fait qu'il valait mieux garder à la société
une direction française et qu'ainsi « soit assuré
par un français la défense des employés ».
Il fallait également, d'après Roussel, continuer à
fournir les administrations françaises.
Le fait que LMT soit aux mains d'un actionnariat états-unien
ne modifia qu'à la marge le comportement des Allemands vis-à-vis
de la société. Les États-Unis n'étaient
pas encore engagés dans la guerre lors de l'arrivée des
Allemands à Paris, mais de toutes façons, les Allemands
n'entendaient pas plus spolier les actionnaires de LMT qu'ils n'avaient
spolié ceux de la SFR ou ceux de Lorenz en Allemagne. Ils exigeaient
simplement d'être servis en tant que clients. L'irruption allemande
dans LMT se déroula néanmoins de façon légèrement
moins brutale que dans les sociétés purement françaises
et la prise de contact fut légèrement différée.
Le 9 juillet 1940, les services de transmissions bloquaient les stocks
de l'usine de Billancourt. Deux officiers allemands, le capitaine Wurtzler
et le capitaine Schaer furent chargés des relations avec LMT.
Dans le courant du mois de
juillet, le capitaine Wurtzler ordonna de procéder à la
réfection des installations radio-goniométriques de l'aéroport
du Bourget qui avaient été fournies par LMT, et le 2 août
1940, il demanda le catalogue des fabrications de LMT. Le 2 septembre
1940, LMT reçut de la part de la Luftwaffe une demande de renseignements.
C'est également en septembre que la société cousine
Lorenz fut nommée Patenfirma de LMT. Un représentant de
Lorenz, Riessner s'installa dans un bureau des Champs-Élysées.
Lorsqu'une autre société allemande, la SAF passa une commande
de disques redresseurs, LMT en référa au ministère
de la Production industrielle par le truchement du syndicat de la construction
électrique, et le ministère donna son accord pour les
commandes respectives de Lorenz et de la SAF le 5 novembre 1940.
La tutelle de Lorenz impliquera qu'au cours des années LMT fabriquera
de plus en plus de matériel conçu par sa cousine allemande.
Une convention fut signée en ce sens en juillet 1941.
Lorenz poussa également sa cousine française sous tutelle
à créer une nouvelle usine de tubes rue Duroc à
Paris, dans un immeuble appartenant au Bon Marché. En octobre
1943 cependant, les différentes moutures du projet étaient
encore en discussion. Après l'entrée en guerre des États-Unis,
LMT fut considéré comme un bien ennemi, les autorités
d'occupation, en l'occurrence la MBF, nomma le 13 mai 1942 comme administrateur
provisoire une société créée pour l'occasion,
la Europaïsche Elektro Standard, qui n'eut pas plus d'importance
que les précédents administrateurs de LMT: Lorentz et
les services de la MBF continuèrent à encadrer les activités
de la filiale française.
On se retrouve donc dans un schéma très proche de celui
de la SFR qui est, dans le même domaine technique, la seule société
comparable en taille et en potentiel technique, mais dont l'actionnariat
est purement français. LMT tenta de se soustraire aux commandes
de Lorenz en prétextant qu'il devait honorer des commandes françaises.
LMT produisant avant la guerre du matériel essentiellement civil
recevait en effet un certain nombre de commandes de la part des PTT,
mais en février 1941, le représentant de la Rüstung-Inspektion,
section Air, rappela à LMT qu'il était sous tutelle et
qu'il ne pouvait par conséquent pas prendre de commandes sans
autorisation et en avril, le ministère de l'Air allemand réitéra
l'injonction d'exécuter les dernières commandes sous le
contrôle de Lorenz. Ces ordres furent confirmés par le
ministère de l'Air allemand en avril et en mai 1941. En fin de
compte, LMT accepta les commandes allemandes, ses effectifs et son chiffre
d'affaires atteignirent un niveau supérieur à celui de
l'année record 1930, jamais égalée . Comme dans
le cas de la SFR, le fait de travailler pour le compte de clients sérieux
et honnêtes se traduisit par des exercices bénéficiaires
tout au long de la période. Il s'agit de bénéfices
raisonnables auxquelles il faut d'ailleurs attacher une importance relative
en l'absence d'information comptables concernant les diverses provisions
couramment pratiquées en temps de guerre et susceptible de changer
le résultat du simple au triple. Le résultat le plus remarquable
est celui de l'exercice 1944 où il reste positif, ce qui est
une exception dans le paysage des entreprises françaises .
Comme pour la SFR, le fait de faire des affaires
avec un client sérieux et fidèle permit de financer des
études n'ayant aucun rapport avec le matériel fourni aux
Allemands. Avec les ingénieurs vedettes André Clavier
et Vladimir Altowski, LMT poursuivit ses études dans le domaine
des hyperfréquences, technologie née après 1935,
qui ouvre la voie au radar, mais aussi aux faisceaux hertziens, prometteurs
pour les télécommunications. Il ne semble pas qu'aucun
ingénieur ITT n'ait été approché personnellement
pour collaborer à des projets stratégiques pour le Reich.Pour
assurer ces performances financières, les effectifs qui avaient
fondu après la débâcle de juin 1940, dépassèrent
en 1942 leur niveau de mai 1940.
Dans le chiffre d'affaires, la part des commandes allemandes se trouve
légèrement en-deçà de ce qu'elle a été
dans le cas de la SFR. Le décalage dans le temps évoqué
ci-dessus se traduit par un pourcentage de seulement 3,1% pour l'exercice
1940, alors qu'il est plus du double (8,5%) pour la
SFR. Le pourcentage des commandes allemandes s'accrut ensuite régulièrement:
32,4%, 52,2%, 66,2% pour les années respectives 1941, 1942, 1943.
Concernant les différents dispositifs de relève et de
travail forcé en Allemagne, LMT paya un plus lourd tribut que
la SFR. Pour un effectif global comparable, le nombre des requis pour
le travail en Allemagne fut à peu près le double, et il
s'étendit beaucoup plus que pour la SFR aux catégories
non strictement ouvrières. Plus de 700 personnes au total, dont
15 ingénieurs. Faut-il y voir la simple conséquence d'un
reliquat d'activités civiles plus important pour LMT que pour
SFR, ou bien une moindre protection accordée par Lorenz avec
qui les relations auraient été moins amicales que celles
de la SFR avec Telefunken ? Ou bien une stratégie différente
de la part de Lorenz qui aurait caressé le rêve d'intégrer
le différentes sociétés ITT à son avantage
?
À la Libération, lorsqu'elle fut amenée à
rendre des comptes sur sa collaboration avec l'occupant, la société
mit évidemment en avant qu'elle n'avait accepté que sous
la contrainte les commandes allemandes et qu'elle avait tenu autant
que possible à l'écart des affaires le « commissaire-administrateur
» de Lorenz. Comme la SFR, LMT déclara avoir facilité
la mutation de son personnel israélite dans l'établissement
de Lyon, mais LMT évoqua aussi des aides pour passer à
l'étranger, comme elle évoqua la fourniture de moyens
matériels aux volontaires qui voulaient gagner la France Libre.
L'ouverture aux diverses organisations de résistance des moyens
de reproduction et de microfilms fut également mise en avant.
sommaire
L'intégration des recherches
Maurice Deloraine qui reçut les confidences de Sosthenes Behn
après sa visite à Hitler en 1938 avait le titre de «
Directeur technique pour l'Europe ». Parallèlement, il
conservait sa responsabilité de directeur du laboratoire français
de l'avenue de Breteuil. Si le principe de l'« Internatinal System
» cher à Sosthenes Behn était de laisser à
chaque filiale nationale une large autonomie, au fur et à mesure
de l'expansion du groupe, on ne pouvait oublier l'intérêt
de faire des économies d'échelle et de mutualiser certaines
dépenses et notamment celles de la recherche. Le directeur technique
pour l'Europe était en fait le directeur technique pour l'ensemble
du groupe, car toutes les ressources en matière de recherches
et développement étaient concentrées en Europe.
Il avait un rôle de coordinateur qui tentait à la fois
de rendre certains arbitrages, par exemple pour
choisir le site le plus opportun pour mener telle ou telle recherche
et qui s'efforçait de faire circuler l'information et mettant
sur pied une série de comités techniques travaillant chacun
sur une thématique particulière. Il était normalement
amené à visiter régulièrement les différents
labos, et notamment les allemands.
« Ma dernière visite à Berlin eut lieu en 1938,
écrit Deloraine, on vint me chercher à la gare comme d'habitude,
mais on me prévint que toutes les conversations devaient se tenir
à l'hôtel, que je n'avais plus le droit d'entrer dans les
usines. L'après-midi, on me permit de regarder l'extérieur
des nouvelles usines de la fenêtre d'une voiture. je savais que
ce devait être ma dernière visite en Allemagne. »
Deloraine ajoute que lors du même voyage, il visita sans problème
les locaux de la société de Télévision Fernseh.
Ce sont les même que l'on verra monter à Paris les studio
de Cognacq-Jay et diffuser les premières émissions de
Télévision à partir de la Tour Eiffel.
L'ambiance était donc un peu tendue entre les différentes
filiales européennes, et, à défaut de faire collaborer
des ingénieurs qui sont des deux côtés tenus par
le secret militaire, pour maintenir un bon esprit de corps au sein de
la multinationale, Behn eut l'idée d'organiser à New-York
une réunion de directeurs qui devaient tous loger avec leurs
épouses dans le même hôtel. Ce fut un fiasco. «
Les Allemands restèrent ensemble, écrit Deloraine, ils
échangèrent à peine quelques mots... On pouvait
noter, en rentrant d'une randonnée en voiture, que dans chaque
voiture, les passagers étaient tous soit français, soit
belges ou anglais ou allemands. »
Après l'effondrement de l'Allemagne nazie, ITT
récupéra l'ensemble de ses filiales de l'Europe de l'Ouest,
et certains journalistes reprochèrent à ITT de favoriser
le redressement de l'Allemagne. On accusa aussi ITT comme d'autres groupes
industriels américains d'avoir mené un jeu trouble pendant
le conflit mondial. ITT se défendit en mettant en avant que les
contacts pris en Suisse étaient connus des autorités militaires.
Ces accusations refirent surface dans les années 1970, après
qu'ITT a été mis en cause à propos du coup d'État
au Chili. Anthony Sampson résuma les accusations portées
contre ITT ainsi : « Si les Nazis avaient gagné, ITT en
Allemagne serait apparue comme irréprochablement nazi; comme
ils perdirent, ITT s'en sortit irréprochablement américain.
»
Les trois lettres du sigle I.T.T. de l«
International Telephone and Telegraph Corporation » ont sans
doute plus fait pour sensibiliser lopinion mondiale aux actions
et aux abus des sociétés multinationales que des kilos
darticles ou des années de discours.
Le Chili et le Watergate figurent bien sûr en tête du
« palmarès » dI.T.T. Viennent ensuite les
contacts avec les nazis pendant la deuxième guerre mondiale,
diverses interventions dans les affaires de pays étrangers,
et, sur le plan intérieur américain, de multiples
transactions louches impliquant les plus hautes personnalités
de lEtat.
Pour faire bonne mesure, I.T.T. a déjà son biographe,
le journaliste britannique Anthony Sampson. Non pas un biographe
comme les aiment les grandes sociétés qui, relations
publiques aidant, confondent volontiers information et hagiographie,
mais un chroniqueur attentif dont louvrage ITT, lEtat
souverain a déchaîné la fureur de létat-major
de la firme qui a mobilisé tous ses experts pour tenter
vainement dailleurs de lui apporter un démenti
crédible.
Les controverses que suscite I.T.T. sont à la mesure de son
succès commercial et en constituent peut-être la rançon.
La croissance de la société a en effet été
particulièrement spectaculaire depuis sa fondation en 1920
par Sosthènes Behn, jusquà sa mise en accusation
récente.
Flibustier des temps modernes, Behn, pressentant très tôt
lavenir des télécommunications et constatant
que le marché des Etats-Unis était déjà
occupé par A.T.T., entreprit de ceinturer
le reste du monde occidental et américain de ses réseaux.
Pour profiter du crédit dont jouissait déjà
"A.T.T"., Behn changea simplement le "A"
pour un "I" lorsquil lui fallut donner un
nom à sa société : la confusion était
délibérément créée et elle a
subsisté jusquà nos jours.
Parti de Porto-Rico, Behn simplanta à Cuba puis dans
lensemble du sous-continent : Argentine, Chili, Pérou,
Uruguay, Colombie, Brésil, Equateur. Il franchit lAtlantique,
prit pied en Espagne, puis en Allemagne, France, Grande-Bretagne,
(...) |
sommaire
Maurice Deloraine et Sosthenes
Behn en 1946
ITT dans les pays neutres
L'histoire d'un groupe multinational au cours d'un conflit pose la question
du droit de propriété pendant la guerre. Il y a deux mille
ans, l'avocat Cicéron a donné la réponse sous forme
d'un adage célèbre : « Inter arma enim silent leges
» que l'on peut traduire par « En temps de guerre, les lois
deviennent muettes ». Autrement dit, lorsque la force des armes
s'impose, l'actionnaire peut bien conserver la nue propriété
d'une entreprise, il n'en n'a plus la jouissance. La puissance belligérante
impose l'arbitraire de sa loi dans les territoires qu'il contrôle
et dispose par conséquent des
entreprises comme il l'entend.
Dans les différentes filiales de l'ITT, la logique multinationale
qui présidait en temps de paix fait alors place à une
logique nationale. L'État s'impose comme client, détermine
les investissements,fixe le niveau des bénéfices, des
salaires, du temps de travail. En Allemagne nazie comme aux États-Unis,
le propriétaire n'a d'autre choix que de faire tourner son entreprise
et de la mettre à disposition de son pays. Et avec le retour
à la paix reviennent les beaux jours pour les avocats dans les
multiples contentieux que fait naitre la résurgence du droit
de propriété.
Hibernation du quartier général de la multinationale pendant
le conflit mondial ? Les choses nesont pas si simples, tous les pays
ne sont pas belligérants et l'ITT est particulièrement
bien implantédans certains pays neutres, la Suisse bien sûr,
mais aussi l'Espagne et l'ensemble des pays d'Amérique latine.
Dans ces pays neutres les armes n'ont pas fait taire la loi, les règles
du commerce international continuent à s'appliquer, c'est-à-dire
que les filiales continuent à verser dividendes et redevances
à la maison mère.
Le Mexique et à un moindre degré le Brésil coopérèrent
avec les États-Unis pour entraver les missions des agents de
l'Axe, mais à l'opposé, le Chili et l'Argentine leur laissèrent
toute liberté d'action pendant toute la durée du conflit.
Le Mexique déclara la guerre aux puissances de l'Axe enmai 1942
et le Brésil en août 1942 alors que l'Argentine attendit
le mois de mars 1945. Quant auChili, il attendit encore un peu et ne
déclara la guerre qu'au Japon. Pour de multiples raisons, importance
de la communauté allemande dans les rangs de l'immigration, rivalité
traditionnelle avec la Grande-Bretagne, nombre d'Argentins ne cachaient
pas leurs sympathies pour l'Allemagne nazie.
En Argentine, ITT détenait une importante société
de téléphone, la United River Plate Company, à
qui l'État avait concédé le service des communications,
comme pour la CNTE en Espagne et une société de télécommunications
par câble, la All-America Cables Office. Autrement dit, lorsque
les agents allemands voulaient communiquer à Berlin des informations
sur les navires qui quittaient le Rio de la Plata afin de désigner
des cibles pour les U-Boote, ils font appel aux services de filiales
de l'ITT, dont les directeurs sont encore dans une relation de subordination
vis-à-vis de Sosthenes Behn. Les services américains se
satisfont du statu quo, ce qui leur permet au moins d'écouter
les communications entre l'Argentine et Berlin alors qu'une rupture
entre ITT et le gouvernement argentin se traduirait par une nationalisation
de la River Plate.
Behn se rendit à Zurich à une date, juin 1941, où
les États-Unis n'étaient pas encore entrés en guerre.
C'est donc le citoyen d'un pays neutre qui va dans un autre pays neutre
pour y rencontrer le directeur de la filiale helvétique G. Édouard
Hofer. Behn n'ira plus en Europe avant la fin du conflit
mondial, mais restera en contact avec Hofer, lequel Hofer était
en contact avec Westrick, Schroeder et les autres directeurs ITT de
l'Europe allemande. Les espions des deux camps grouillaient dans les
pays neutres, les services de contre-espionnage américains surveillaient
les déplacement de Behn, alors que les services de renseignement
l'utilisaient comme informateur pour tenter de savoir ce qui se passait
dans les filiales allemandes d'ITT.
D'une façon générale, Behn se garda bien de prendre
des décisions importantes sans l'aval de son gouvernement. L'Espagne
qui avait besoin des États-Unis pour son approvisionnement en
pétrole, accepta en échange de rester neutre. Le Département
d'État veilla constamment à ce que les intérêts
des citoyens américains et en particulier les 66 000 actionnaires
d'ITT ne soient pas lésés. En échange, ITT tint
le Département d'État régulièrement informé
sur la situation en Espagne. En 1941, la Standard Electrica de Madrid
avait avisé LMT du mauvais état de fonctionnement du réseau
téléphonique de Madrid géré par la CNTE.
La société madrilène demandait à LMT de
lui envoyer des pièces détachées. Sosthènes
Behn écrivit au Secrétaire d'État afin de demander
l'autorisation pour la CNTE d'acheter des équipements auprès
de LMT et des filiales allemandes d'ITT. Ces équipements, soulignait
Behn, n'étaient pas disponibles aux États-Unis ou dans
les pays neutres.
A Paris, le directeur général de LMT, Roussel, demanda
l'accord du Secrétariat de la Production industrielle du gouvernement
de Vichy, qui ne vit pas d'inconvénient de principe à
cette affaire, mais demanda que le règlement ne se fit point
en pesetas, mais en minerai de plomb, matière première
nécessaire aux besoins français. Pour traiter cette affaire,
Roussel se rendit en Espagne sans en informer les autorités allemandes.
Pour contourner les règles qui encadraient la sortie de la zone
occupée vers l'étranger, il avait d'abord obtenu un ausweiss
inter-zone, et s'était ensuite fait domicilier à Lyon
chez son collègue Archange pour obtenir un passeport pour l'Espagne.
A Madrid, Roussel rencontra les représentants de la Standard
Electrica pour négocier l'opération, mais il eut l'imprudence
de téléphoner à un ami américain, sans doute
le représentant d'ITT à Madrid, Caldwell, et cette conversation
fut interceptée et transmise aux Allemands.
Lorsque les trois premiers wagons de blende passèrent la frontière,
en avril 1942, ils furent interceptés par les services allemands
et dirigés vers l'Allemagne; Roussel ne fut plus autorisé
à se rendre en zone libre et le représentant à
Berlin de LMT fut interrogé sur les relations franco- espagnoles.
En fait, les relations de LMT avec les sociétés cousines
de l'ISEC (International Standard Electric Corporation), la branche
européenne de l'ITT, restèrent parfaitement encadrées
non seulement par Lorenz, mais aussi par la branche compétente
de la MBF, la Rüstung-Inspektion représentée par
le capitaine Wurtzler. Ceci valait tout autant pour les sociétés
basées dans l'Europe sous domination allemande que dans les pays
neutres. LMT fut ainsi amenée à collaborer avec la société
belge Bell, mais aussi avec la société suisse Standard
Telephon qui devait elle-même en référer à
l'ISEC, c'est-à-dire à Édouard Hofer qui dépendait
directement de Behn. La lettre envoyée par la Standard Telephon
à LMT le 21 septembre 1942 témoigne des relations un peu
scabreuses au sein de ce qui reste du groupe transnational ITT:
« ... Nous avons reçu de la ISE (International Standard
Electric) la permission de fabriquer le permalloy en Suisse et au vu
des difficultés qui se présentent pour obtenir le permalloy
de S.T.C. ou des autres firmes et vu aussi les difficultés dans
l'exportation des matières premières.
D'accord avec Monsieur Archange, il a été décidé
de déléguer Monsieur Van Mierlo en Suisse, afin de surveiller
la fabrication qui doit se baser sur l'information à obtenir
de LMT, respectivement LTT (Information qui a été fournie
par I.S.E. à LTT)
Il s'agit donc des informations à obtenir directement de ceux
qui fabriquent les alliages.
...Il est dans nos plans de combiner les efforts de l'École Polytechnique
de Zürich avec les nôtres (études pour la fabrication
d'alliages remplaçant le permalloy) afin de maintenir la position
que le Groupe Standard avait en ce domaine avant les hostilités
... »
Résumons: L'ISE suisse et son directeur Hofer communique
à la fois avec les filiales ITT du monde allemand et la maison
mère ITT basée aux USA, mais les échanges sont
étroitement surveillées par les États belligérants,
que ce soit du côté allemand ou du côté américain.
Ce qui est valable pour la Suisse l'est tout autant pour l'Argentine
ou l'Espagne, avec des contraintes géographiques différentes.
sommaire
Sampson et la légende noire d'ITT
Après le débarquement en Normandie, Sosthènes Behn
enfila un uniforme avec les galons de colonel qu'il avait acquis au
cours de la Première guerre mondiale et atterrit à Rennes
vers le milieu du mois d'août. Le 24 août au soir, l'avant-garde
de la 2eme DB commandée par le capitaine Dronne arrivait à
Notre-dame. Le 25 au matin, c'était le gros de la division Leclerc
qui gagnait Paris depuis Forges-les-Bains. A 16h15, conduit dans une
jeep par son fils William, Behn se pointait aux laboratoires de l'avenue
de Breteuil en tenue de combat et mal rasé. Quelques jours plus
tard, c'était au tour de Deloraine, lui aussi porteur d'un uniforme
américain, de regagner Paris et de mettre les compétences
de LMT au service des besoins des Alliés. Quelques mois plus
tard, la guerre contre l'Allemagne était terminée, la
force des armes cédait le pas au droit international et l'empire
multinational sortait non sans mal de son hibernation. En Allemagne,
la plupart des usines de Lorenz étaient situées dans la
région de Berlin et avaient été durement bombardées.
L'armée soviétique avait fait main basse sur le peu de
machines encore en état pour les expédier à l'Est.
Les employés d'ITT remirent tant bien que mal quelques usines
en route et s'orientèrent vers la fabrication de nouveaux produits
civils: poêles à frire, cuisinières, couteaux à
pain. En France, comme dans tous les secteurs industriels qui avaient
beaucoup produit pour l'Allemagne, les dirigeants de LMT, en fait essentiellement
Roussel fit l'objet d'une instruction pour « Intelligence avec
l'ennemi » qui se termina assez vite par un non-lieu. En Allemagne,
le nazi Kurt von Schröder qui supervisait avec Westrick les filiales
ITT dans l'Europe allemande, mais qui brassait aussi beaucoup d'autres
affaires dut répondre de ses actes devant le tribunal de Nuremberg.
Il écopa de trois mois de prison. Aux États-Unis, ITT
fut d'abord accusé par certains journalistes, d'appuyer inopportunément
la résurrection industrielle de l'Allemagne. De fil en aiguille,
certains se demandèrent également si ITT, comme d'autres
groupes industriels, n'avait pas maintenu au delà de l'acceptable
des relations avec l'ennemi. Richard Sobel rappelle qu'à la fin
de la Première guerre mondiale, le Congrès avait mené
une enquête afin de déterminer si les hommes d'affaires
américains avaient exercé des pressions sur le président
Wilson pour qu'il déclare la guerre en
Allemagne, dans le seul but d'accroitre leurs revenus, mais que dans
les années qui suivirent la fin de la Seconde guerre, on accusait
les hommes d'affaires américains d'avoir aidé l'ennemi
et d'avoir retiré des bénéfices de leurs investissements
dans l'industrie allemande Les diverses négociations concernant
les indemnisations pour dommages de guerre se poursuivirent bien au-delà
des années quarante. En 1967, ITT obtint du gouvernement américain
27 millions de dollars au titre de ses dommages subis par ses usines
en Allemagne. Une telle somme n'était pas seulement symbolique,
elle représentait à l'époque 1% du chiffre d'affaires
de la multinationale.
Beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts depuis la fin de la
guerre. Après le décès de Behn en 1957, le nouvel
homme fort du groupe était Harold Geneen, et sous sa direction,
ITT s'était progressivement éloigné de son métier
de base, la téléphonie, pour s'engager dans une multitude
d'activités, devenant ainsi le plus gros conglomérat du
monde. Cette croissance avait attiré des enquêtes de la
part des administrations américaines et en particulier de la
commission de contrôle anti-trust. En fait, il y avait débat
pour savoir comment la législation anti-trust s'appliquait aux
conglomérats, et dans ce débat, la ligne de clivage suivait
à peu près celle qui séparait les Démocrates
des Républicains. Dans ce contexte, à partir de 1972,
ITT se trouva au centre d'un certain nombre de scandales, d'abord pour
avoir financé illégalement la convention républicaine
de San Diego, et ensuite pour avoir financé au Chili la campagne
présidentielle d'Alessandri en 1970.
Sur ces entrefaites, sortit au début de 1973, un livre de l'essayiste
britannique Anthony Sampson, The Sovereign State of ITT , véritable
réquisitoire contre la multinationale40. Publiant en avant-première
des bonnes feuilles du livre, le New-York Magazine résumait ainsi
l'article « Les nombreux scandales dans lesquels ITT a été
impliqué au cours des dernières années ont fait
du sigle même de cette firme un véritable épouvantail
avec lequel on peut faire peur aux enfants ». Ce livre, traduit
en plusieurs langues, devint un best-seller mondial et l'image d'ITT
ne s'en remit jamais.
Trente pages sont consacrées à la Seconde guerre mondiale.
Assez bien documentées, je n'en tiens pas moins ce réquisitoire
comme un condensé de mauvaise foi, où la partialité
et l'omission ne sont jamais très loin du pur mensonge. Quarante
ans après sa parution, la version développée par
Sampson est souvent reproduite par toutes sortes d'auteurs dont certains
croient sans doute de bonne foi ce qui a été écrit
en 1973 et répété tant de fois depuis. Je vais
essayer résumer ici la version Sampson:
« Sosthenes Behn était proche des nazis auxquels il a apporté
son soutien de la même façon qu'il a soutenu toutes les
dictatures, notamment l'Argentine, elle-même favorable à
l'Axe. Mais comme il veillait aux intérêts de son groupe,
lorsqu'il a vu que la victoire basculait du côté des Alliés,
il s'est rangé du côté des vainqueurs. En fait,
il a travaillé pour les deux camps, et on ne peux dire à
quel camp ITT a été le plus utile. Au centre de la duplicité
d'ITT, il y a la société Focke-Wulf dans lequel la filiale
d'ITT Lorenz a pris une participation de 28% et qui fabriquait des bombardiers
? ... si bien que personne ou presque parmi les gens qui travaillent
pour ITT ne sait aujourd'hui qu'elle fut liée à la firme
Focke-Wulf qui fabriquait des bombardiers, ou qu'elle collabora avec
les SS d'Hitler. »
Concernant l'aspect réquisitoire, Richard Sobel a bien montré
que de toutes les compte-rendus d'écoutes téléphoniques
entre ITT et les filiales des pays neutres, Sampson n'avait retenu que
certains extraits pour en faire des pièces à charges,
délaissant l'ensemble qui montrait qu'au contraire, ITT n'avait
rien entrepris vis-à-vis des pays neutres sans en avoir informé
le Département d'État et que dans les cas de divergence,
le groupe téléphonique avait toujours fini par s'aligner
sur les recommandations gouvernementales. Concernant la mauvaise foi,
il y a la présentation de l'affaire Focke-Wulf où l'auteur,
en prenant pour argent comptant une déclaration de Schroeder
au tribunal de Nuremberg, sous-entend constamment que l'ITT aurait pu
rapatrier les bénéfices de Lorenz au lieu de les investir
en Allemagne, alors que depuis au moins 1935, il était rigoureusement
impossible pour n'importe quelle société étrangère
de rapatrier des fonds. La mauvaise foi est également flagrante
lorsque Sampson, qui cite pourtant Deloraine lorsqu'il fait dire à
Behn qu'Hitler était habillé élégamment,
présente les quatre ingénieurs Français comme «
réfugiés à New-York », alors que selon Deloraine,
c'est l'insistance de Behn qui l'a amené à quitter la
zone occupée avec les meilleurs spécialistes, en emportant
les plans des matériels les plus sensibles. Il s'agit tout simplement
de mensonge lorsqu'on lit à la page 38 de la version française
que l'ITT continua à communiquer de nouveaux brevets à
ses filiales allemandes alors qu'il est clair pour tous ceux qui se
sont intéressés à la Bataille de l'Atlantique que
les Allemands n'ont jamais eu connaissance des travaux de Busignies
et qu'ils croyaient jusqu'à la fin de la guerre qu'il était
impossible de détecter les messages ultra-rapides de leurs U-Boote.
En plus de la partialité et de la quasi-falsification, la pertinence
même de l'analyse de Sampson est sujette à caution: Selon
Sampson, un groupe industriel aurait un libre arbitre et pourrait se
ranger dans un camp ou dans l'autre, selon ses préférences
ou selon les préférences de leur patron. Aucun État
belligérant n'a jamais attendu qu'un conseil d'administration
représentant des dizaines de milliers d'actionnaires se range
librement à ses côtés. Le principe de réquisition
en temps de guerre s'est appliqué aussi bien en Allemagne qu'en
France, en Angleterre. ITT avait acquis des positions en Allemagne avant
l'arrivée d'Hitler au pouvoir et c'est Hitler qui a bloqué
les différents actifs d'ITT pour les mettre au service de son
effort de guerre, comme c'est le gouvernement français qui a
passé des commandes militaires à LMT sans lui laisser
vraiment le choix de refuser.
Parmi ceux qui se sont alignés sur la version Sampson, on peut
citer Anthony Sutton, un historien et économiste anglo-américain,
qui n'a guère de crédit dans le milieu universitaire dont
il est pourtant issu, mais dont l'ouvrage est en ligne, à la
fois en version anglaise et en version française.
On peut également citer Éric Laurent, ancien journaliste
au Figaro et essayiste spécialisé dans les scandales et
les révélations et légitimé par son statut
de journaliste à France Culture. Et puis, il y a tous les blogs
qui reproduisent des passages plus ou moins développés
de la prose de Sampson.
On aura bien compris que si la version Sampson est si répandue,
c'est qu'elle doit plaire. Mais on peut d'abord se demander pourquoi
l'auteur a produit un tel récit en 1973. Il est tentant de faire
le rapprochement avec la très célèbre France de
Vichy de Paxton publiée en France la même année.
S'interrogeant en 1990 sur son parcours, Paxton écrivit en 1990
:
« Quand je relis aujourd'hui certains jugements prononcés
par moi à l'époque (comme ceux des pages 62-63 et 288),
je concède qu'ils sont bien trop totalisants et parfois féroces.
Ils étaient influencés, je le reconnais, par ma répulsion
devant la guerre menée au Vietnam par mon propre
pays. Mais à mes yeux, il et toujours légitime de dire
que le régime de Vichy aura été de bout en bout
souillé par son péché originel de juin 1940...
»
Sans doute Sampson, britannique, était-il moins taraudé
par la Guerre du Vietnam, mais, proche de Mandela - il avait couvert
comme journaliste le procès de Rivonia - et avec le cas de la
Rodhésie, la question de l'Apartheid était un peu l'équivalent
dans le Commonwealth britannique de ce qu'était le Vietnam pour
les États-Unis. Dans le monde occidental vainqueur de l'Allemagne
nazie en 1944, il subsistait une bête immonde qui sommeillait
depuis l'époque du fascisme. Le monstre ITT qui collabore avec
la CIA pour sauvegarder ses intérêts au Chili avait nécessairement
navigué en eaux troubles pendant la Seconde Guerre mondiale.
Combattre sans concession la bête, c'est aussi trouver des boucs
émissaires, la France de Vichy pour Paxton et ITT pour Sampson.
Le rapprochement a des limites, Paxton et Sampson ne sont pas à
mettre sur le même plan, le premier est un « vrai »
historien du monde académique, ce que n'est pas le second, mais
il se dégage de la lecture de Paxton l'idée que l'on pourrait
charger sans restriction un Vichy dont on ne saurait admettre qu'il
ait pu être sous une forme quelconque bénéfique
pour la France, de la même façon qu'il se dégage
de la lecture de Sampson l'idée qu'un groupe multinational comme
ITT génétiquement mauvais doit être forcément
coupable de méfaits tout au long de son existence.
Les multinationales, ces monstres froids, tentaculaires, apparaissent
comme les boucs émissaires tout désignés pour expliquer
les malheurs du monde, surtout lorsque la machine s'enraye et que les
progrès économiques ne sont plus au rendez-vous. Au début
du XXe siècle, Ida Tarbel fut la
pionnière du genre avec son ouvrage, certes engagé contre
la Standard Oil mais admirablement documenté et merveilleusement
illustré, dont la lecture est maintenant accessible sur internet.
D'après Sobel, avant la publication de l'ITT de Sampson en 1973,
aucune publication ne peut se comparer à cette histoire de Standard
Oil. Au début du XXIe siècle, Monsanto a pris la place
d'ITT pour devenir le grand méchant parmi les méchants,
mais auparavant, on a vu un certain nombre de grandes entreprises faire
l'objet de révélations scandaleuses touchant à
leur histoire pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour en rester au
cas d'ITT, le film d'Henri Verneuil, Mille milliards de dollars, sorti
sur les écrans en 1982 s'est nourri de la légende noire
d'ITT produite par Sampson. Il n'est pas question de discuter de la
pertinence historique d'une uvre de fiction, mais l'existence-même
de tels films montre que le groupe multinational est a-priori un bon
candidat pour le rôle du méchant.
Au tournant du siècle, une abondante littérature traitera
outre-atlantique de l'implication des entreprises américaines
dans l'économie du Troisième Reich. Parmi les motivations
ayant poussé des auteurs à s'intéresser à
l'histoire des entreprises américaines pendant la Seconde Guerre
mondiale, et plus particulièrement à leur implication
dans les rouages de l'Holocaust, il y a la législation concernant
les indemnités à verser aux survivants de l'Holocaust,
une perspective de marché particulièrement juteux pour
les lawyers du pays où les juges sont les rois49. Ewin Black
s'est rendu célèbre par son étude sur l'utilisation
des cartes perforées d'IBM dans la mise en place de la Shoah.
On aurait tort de ne voir dans ces travaux et dans l'intérêt
qu'ils suscitent qu'une affaire d'Holcaust Industry, pour reprendre
les termes de Finkelstein. Il y a une volonté plus générale
d'opérer une lecture de la Seconde Guerre mondiale sur un mode
expiatoire, où la pratique derepentance consiste vite à
battre sa coulpe sur la poitrine des autres et à accrocher des
casseroles à la queue de ses adversaires ou présumés
tels. IBM, attaqué pour sa participation à l'Holocaust
est aussi
mis en cause pour sa participation à l'internement des Nippo-américains.
A l'opposé des boutiquiers de l' Holcaust Industry, beaucoup
d'épigones de Sampson, Sutton et Black se revendiquent de l'antisionnisme
et peuvent être classés « Gauche radicale »,
comme les Belges Michel Collon ou Jacques Pauwels. Lorsque sur le site
du premier, le second évoque le cas de la firme automobile allemande
Opel, filiale de General Motors, c'est pour évoquer une collusion
beaucoup plus large que le cas de General Motors entre les États-Unis
et le nazisme, une sorte d'invariance du capitalisme américain
qui après avoir fricoté avec Hitler, ferme aujourd'hui
des
usines en Europe.
Les deux géants de l'industrie automobile, Ford et General Motors
sont souvent mis en avant lorsqu'il s'agit d'évoquer les Corporates
américaines. En France, le cas Renault semblait entendu, le dossier
ayant été traité dés septembre 1944: Louis
Renault, promptement incarcéré, décéda en
octobre 1944, et, comme on sait, les usines Renault furent nationalisées.
Lorsque les héritiers Renault, par la plume du mari d'une héritière,
voulurent revoir à la baisse les turpitudes collaboratrices de
leur ancêtre, Annie Lacroix-Riz monta au créneau pour expliquer
qu'à l'instar du Sosthenes Behn de Sampson, Louis Renault avait
toujours eu des sympathies nazies avant et pendant la guerre. L'historienne
était sortie d'un relatif anonymat en mettant en cause le groupe
Ugine, qui aurait été impliqué dans la Shoah par
des fabrications de gaz Zyklon-B, de la même façon que
Black avait suggéré qu'IBM l'était avec la technologie
des cartes perforées. A partir des années 1990, Lacroix-Riz
s'est intéressée à l'histoire des Banques et des
industriels sous l'Occupation, procédant, comme Sampson, sur
le mode du réquisitoire. Des kilomètres linéaires
d'archives concernant les entreprises françaises, elles n'en
retient que les éléments à charge pour en venir
logiquement à la conclusion que le patronat français a
désiré la victoire de l'Allemagne nazie. Tenue à
l'écart par ses collègues du monde académique,
Lacroix-Riz reste en vogue dans certains milieux altermondialistes et
garde les faveurs du Monde Diplomatique et de l'Humanité.
sommaire
Acquisitions d'après-guerre
En 1951, ITT achète la société de télévision
de Philo Farnsworth pour pénétrer ce marché. À
l'époque, Farnsworth développe également le réacteur
à fusion Fusor , qui est financé par ITT jusqu'en 1967.
Également en 1951, ITT achète une participation majoritaire
dans la Kellogg Switchboard & Supply Company
(fondée en 1897 en tant que pionnière des standards téléphoniques
« divisés en multiples » ) et achète les actions
restantes l'année suivante. ITT change le nom de la société
en ITT Kellogg. Après la fusion de Federal Telephone and Radio
Corporation avec ITT Kellogg et la combinaison des opérations
de fabrication, le nom change à nouveau pour devenir ITT Telecommunications
, pour finalement revenir à ITT Kellogg .
L'une des principales filiales de cette société était
l' American Cable and Radio Corporation , qui exploitait les câbles
transatlantiques de la Commercial Cable Company , entre autres entreprises.
Elle a acheté le fabricant de chauffage et de climatisation John
J. Nesbitt Inc., basé à Philadelphie. En 1968, la société
a acheté le constructeur de maisons Levitt & Sons de Levittown
pour un montant estimé à 90 millions de dollars.
En 1972, le groupe KONI, fabricant d'amortisseurs, a été
ajouté à la liste des acquisitions d'ITT.
Télécommunications internationales
Sortie du conflit mondial et effacement de Sosthenes
Behn
La fin de la guerre permit à ITT de trouver les liquidités
dont elle avait besoin pour confirmer son recentrage vers les activités
industrielles.
En 1945, la CTNE fut vendue au gouvernement espagnol. L'opération
rapporta 33 millions de dollars en espèces et 50 millions en
obligations à 4%. En 1946, la United River Plate est vendue au
gouvernement argentin pour 94 M$. ITT fut ainsi en mesure de réduire
de 20 M$ sa dette à long terme qui était alors de 74 M$,
mais l'essentiel fut consacré à la construction d'usines
dans une optique de diversification vers les domaines de la radio et
de la télévision.
Très vite après la fin de la guerre survint un conflit
entre certains actionnaires et Sosthenes Behn qui ne détient
plus qu'une infime quantité d'actions. Depuis 1932, à
cause de la mauvaise santé de la société et du
marasme ambiant, les actionnaires ne pouvaient fournir des capitaux.
Il fallait donc se satisfaire des revenus en espèces, des dépôts
bancaires, et, éventuellement de la bonne volonté des
gouvernements. Aucun dividende n'était d'ailleurs versé
aux actionnaires depuis 1932 et ITT n'avait pas l'intention d'en verser
à brève échéance. Cette situation provoqua
une fronde des actionnaires. Trois financiers de New York, Clendenin
J. Ryan, Robert R. Young et Robert McKinney détenaient à
eux trois 10 % des actions exigèrent d'être représentés
au conseil d'administration, en même temps que, trois directeurs
d'ITT quittaient l'entreprise: Page, Deloraine et Mark Sunstrom. Behn
réussit quand même à bloquer le versement de dividendes
jusqu'en 1951.
Behn était alors âgé de 65 ans et sa succession
était nécessairement à l'ordre du jour. Pour lui
succéder, il recruta un dirigeant d'AT&T, William Harrison
au poste de directeur des opérations, Behn gardant le poste de
président. En fait, les deux hommes, de tempérament très
différents ne s'entendirent pas très bien, mais Harrison
resta en place jusqu'à son décès en 1956. Le général
Edmond Leavey qui le remplaçait prit également le titre
de président, Behn, n'étant plus que directeur honoraire
jusqu'à sa mort, un an plus tard, en 1957.
En 1951, le chiffre d'affaires d'ITT était de 255 M$, dont 35
% provenait des États-Unis. quatre ans plus tard, ce pourcentage
n'avait pas changé alors que le chiffre d'affaires global avait
progressé de 76 %, mais les bénéfices, qui tournaient
autour de 10 M$ sur la période 1951-1955 ne provenaient que très
faiblement (8 %) des États-Unis.
L'avènement de Harold Geneen (1959-1962)
Le mandat de Leavey prenait fin en juin 1959. Pour trouver un
nouveau président, le conseil d'administration mit sur pied un
comité de sélection formé de Hugh Knowlton (banque
Kuhn, Loeb & Co), de Richard Perkins (National City Bank), George
Brown administrateur représentant un groupe pétrolier
de Houston et Robert McKinney. Leur choix tomba sur Harold Geneen,
vice-président de Raytheon âgé de 49 ans. Depuis
sa prise de fonction à Raytheon en 1956, il avait complètement
restructuré la société et fait progresser chiffre
d'affaires et bénéfice de façon spectaculaire.
Le 20 mai 1959, Wall Street accusa l'annonce du transfert de Geneen
par une baisse du cours de Raytheon de 10 %. Geneen plaça à
la tête d'ITT des anciens de son équipe de Raytheon parmi
lesquels David Margolis et William Marx qui allait devenir son second.
Pendant les trois premières années de
sa prise de fonction, Geneen engagea très peu de nouvelles acquisitions.
Depuis le siège du groupe à New York, son équipe
mit en place le système de contrôle financier le plus complexe
et le plus rigoureux que le monde ait jamais connu. Tous les projets
furent passés au peigne fin et les moins rentables furent abandonnés.
Une réduction d'effectifs fut menée à la Federal
Electric. Busignies devint vice-président : les différentes
filiales d'ITT devaient mettre en commun leurs recherches. Les laboratoires
d'ITT avaient connu un certain succès dans le développement
des transistors, l'entreprise ne s'engagea pas dans la production de
transistors, des accords d'échanges de brevets furent passés
avec Texas Instruments. Rencontrant pour la première fois Deloraine
à Paris, Geneen le toisa et lui dit: « Ah ! c'est vous,
Deloraine, celui qui dépense tout son argent en recherche et
développement ! ». Geneen décida que les filiales
européennes devaient s'américaniser. Non seulement l'anglais
fut institué seule langue officielle de l'ISE, mais les cadres
durent prendre l'habitude de s'appeler par leur prénom. Jusqu'en
1961, Geneen voulait recentrer l'activité du groupe sur les États-Unis,
mais en 1962, malgré sa profonde méfiance vis-à-vis
de l'Europe, vit dans le Marché commun et l'Europe, un espace
à forte croissance et il mit en chantier de 22 nouvelles usines.
De 1959 à 1962, Geneen avait donc maintenu ITT
sur le même périmètre d'activités. En 1962,
le chiffre d'affaires du groupe dépassa le milliard de dollars.
Depuis 1959, il avait augmenté de 30 %, la même progression
qu'entre 1956 et 1959, mais alors qu'au cours de cette dernière
période, les bénéfices avaient stagné, pendant
les trois premières années du règne de Geneen,
ils avaient augmenté au même rythme que le chiffre d'affaires,
et cela, en dépit de la nationalisation de la Cuban Telephon
par Fidel Castro.
sommaire
Les filiales internationales de fabrication de télécommunications
comprenaient :
Standard Telephones and Cables au Royaume-Uni et en Australie, Indosat
en Indonésie, Standard Elektrik Lorenz (aujourd'hui une partie
de Nokia Allemagne) et Intermetall [ de ] Gesellschaft für Metallurgie
und Elektronik mbH (acquise auprès de Clevite en 1965 ; aujourd'hui
TDK-Micronas) en Allemagne, BTM en
Belgique et CGCT et LMT
en France. Ces sociétés fabriquaient des équipements
selon les conceptions d'ITT, notamment le commutateur crossbar
Pentaconta (années 1960) et les centraux Metaconta
D, L et 10c Stored Program Control (années 1970 ), principalement
destinés à la vente à leurs administrations téléphoniques
nationales respectives. Ces équipements étaient également
produits sous licence à Poznan (Pologne), en Yougoslavie et ailleurs.
Alec Reeves , employé d'ITT en France dans les
années 1930, a développé des innovations en matière
de modulation par impulsions et codage (PCM),
sur lesquelles se sont basées les futures communications vocales
numériques. Charles K. Kao , travaillant chez STC au Royaume-Uni,
a été le pionnier de l'utilisation de la fibre optique
à partir de 1966, ce qui lui a valu le prix Nobel de physique
en 2009 .
ITT était le plus grand propriétaire de la société
LM Ericsson en Suède, mais l'a vendue en 1960.
La diversification
À partir de 1962, Geneen se lance dans une politique de diversification
massive.
Il expliquera plus tard qu'il se sentait mal à l'aise dans le
secteur technologique dont le développement accéléré
rendait les marchés très instables.
À l'inverse, avec des administrateurs dynamiques, les conglomérats
étaient le meilleur moyen de faire face à l'avenir.
La diversification des activités allait de pair avec un juste
équilibre entre les différentes zones économiques.
Pour mener à bien cette diversification, il fallait procéder
à des acquisitions pour lesquelles ITT collabora avec la banque
d'affaires Lazard Frères.
Les premières opérations de diversifications restaient
dans le domaine industriel : automatisme, pompes industrielles, climatisation.
En août 1964, pour 40 M$, ITT prenait le contrôle d'Aetna
Finances et prenait ainsi pied dans le domaine de l'assurance aux États-Unis.
Aetna fusionna avec trois autres acquisitions dans le même secteur
pour former ITT Financial Services qui allait devenir le pivot de la
diversification.[réf. nécessaire] L'objectif que Geneen
s'était fixé de doubler le chiffre d'affaires en cinq
ans était atteint. Bien sûr, il avait fallu procéder
à des augmentations de capital, mais le bénéfice
par action avait augmenté de 64 %. Malgré de bons résultats,
ITT ne faisait pas partie des stars de Wall-Street dont les actions
avaient doublé de valeur: IBM, Texas Instruments, Raytheon.
En 1965, ITT prit le contrôle d'Avis, et à sa suite d'autres
sociétés de location de véhicules. Les dirigeants
d'Avis ne tardèrent pas à démissionner, ne supportant
pas la masse de reporting que l'on leur demandait de faire, et l'un
d'entre eux, Townsend publia un livre où il donnait le conseil
suivant : « Si vous avez une bonne entreprise, ne la vendez pas
à un conglomérat. Cela m'est arrivé et j'ai fini
par démissionner. »
En 1963, ITT prend le contrôle de la société Cannon
Inc. industriel spécialisé dans la connectique radio,
audio et électronique parmi laquelle on note les connecteurs
DBM-25P, XLR, D-Sub ou encore APD, équipant des appareils professionnels
et notamment dans le secteur militaire et même l'aerospatiale.
La filliale est renommée « ITT Cannon » au début
des années 2000.
En 1964, la Compagnie Générale de Métrologie, entreprise
française connue sous le nom de Métrix, est affiliée
à ITT. L'entreprise est intégrée à la division
instrumentation pour développer des multimètres analogiques
et numériques.
En 1965, Geneen hésita à diversifier l'entreprise . Il
ouvrit des négociations avec la société American
Broadcasting Company (ABC) qui possédait le troisième
plus grand réseau des États-Unis et la plus grande chaine
de cinémas du pays. Il y avait une proximité évidente
entre les télécommunications et la télévision,
et d'ailleurs, l'idée d'une fusion entre ITT et ABC remontait
à l'époque de Sosthenes Behn, en 1951. Mais il existe
aux États-Unis une Loi anti-trust qui interdit la fusion de deux
activités du même secteur lorsque celle-ci aboutit à
une situation de monopole. Au sein du département de la Justice
des États-Unis il existe une commission de contrôle anti-trust
chargée de contrôler cette loi. ITT n'était pas
le seul conglomérat à se développer dans les années
1960, et il n'était pas évident que les dispositions antitrust
puissent s'appliquer aux conglomérats. Le projet de fusion entre
ITT et ABC fut précisément le terrain où partisans
et adversaires des conglomérats s'affrontèrent. ITT commença
à devenir la bête noire des adversaires de la fusion parmi
lesquels on comptait le chef de la division antitrust Donald F. Turner
et la figure de proue des droits du consommateur Ralph Nader. Ces derniers
finirent par l'emporter et le 1er janvier 1968, ITT et ABC annoncèrent
qu'elles abandonnaient leur projet de fusion.
L'échec de la fusion avec ABC signifia pour ITT l'abandon de
toute ambition dans le domaine de la télévision.
En moins d'un an, ITT liquida toutes ses positions dans le domaine de
la télédiffusion. ce fut le cas de Cablevision, dont ITT
se débarrassa et qui sera un acteur important de la télévision
payante à la fin des années 1970.
Simultanément, la politique de diversification reprit de plus
belle. Le chiffre d'affaires de l'ensemble des nouvelles acquisitions
de l'année 1968 est supérieur au chiffre d'affaires d'ITT
en 1962. Parmi les principales acquisitions, la boulangerie industrielle
Continental Baking, le verrier Pennsylvania Glass Sand, la société
de construction immobilière Levitt & Sons, la chaine d'hôtels
Sheraton, la Société foncière Rayonnier. Felix
Rohatyn, associé de Lazard Frères et administrateur d'ITT
avait joué un rôle de premier plan dans la série
de fusions-acquisitions de 1968.
Ce fut également lui qui fut avec Geneen l'artisan de la plus
grosse opération jamais réalisée par ITT, celle
de la compagnie d'assurances Hartford Life Insurance. Cette prise de
contrôle de plus d'un milliard de dollars était à
l'époque la plus importante jamais réalisée par
une firme américaine. Les négociations avaient démarré
au début de 1969 et l'affaire fut conclue à la fin de
1970. Le juge fédéral Richard McLaren annonça alors
qu'il allait contester cette fusion.
Le projet de fusion ITT-ABC et la façon dont il avait été
bloqué par l'administration américaine avait provoqué
de façon durable une ligne de clivage entre partisans et adversaires
du conglomérat qui coïncidait approximativement avec le
clivage entre républicains et démocrates. Les démocrates,
libéraux, se méfiaient des trusts au nom de la libre concurrence,
et, par opposition, les républicains les soutenaient parce qu'ils
étaient un élément de la puissance des États-Unis.
Le juge McLaren avait pourtant été nommé à
la division antitrust par Nixon, président des États-Unis
depuis 1969.
Dans ces mêmes années :
- Expropriation brésilienne en 1962
En février 1962, pendant la présidence de João
Goulart , le gouverneur de l'État de Rio Grande do Sul, Leonel
Brizola, décide d'exproprier une filiale brésilienne d'ITT,
la Companhia Telefônica Nacional. Au cours des années suivantes
de la présidence de Goulart, l'expropriation est l'un des problèmes
politiques brésiliens les plus débattus. La décision
du gouverneur de l'État d'exproprier la société
n'a jamais été soutenue par le président brésilien
de l'époque et a eu de graves conséquences sur les relations
entre le Brésil et les États-Unis . Certains historiens
affirment même que l'expropriation a été l'une des
raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral des États-Unis
a soutenu le coup d'État brésilien de 1964.
Convention nationale républicaine de 1972.
L'ITT a été impliquée dans un scandale lié
à la Convention nationale républicaine de 1972. En mai
1971, le président de l'ITT, Geneen, a promis 400 000 $ pour
soutenir une proposition visant à organiser la convention à
San Diego ; seuls 100 000 $ de cette contribution ont été
divulgués publiquement. Le Comité national républicain
a choisi San Diego comme site en juillet 1971.
Cependant, le 29 février 1972, le chroniqueur Jack Anderson a
révélé une note interne de Dita Beard, lobbyiste
d'ITT, adressée au vice-président d'ITT, Bill Merriam,
datée du 25 juin 1971. La note semblait établir un lien
entre la contribution d'ITT à la convention et le règlement
favorable d'un procès de la division antitrust du ministère
de la Justice des États-Unis . Le scandale qui en a résulté,
notamment une enquête du Sénat et la menace d'accusations
criminelles, a poussé ITT à retirer son soutien à
la convention de San Diego. Cela, combiné à un manque
d'espace hôtelier et à des problèmes avec le lieu
proposé, a conduit le RNC à déplacer la convention
à Miami.] Le procureur spécial Leon Jaworski a enquêté
sur l'affaire mais a finalement conclu qu'il n'y avait aucune preuve
de conduite criminelle de la part d'ITT.
Les conseillers de Nixon, comme John Dean et Jeb Stuart Magruder, ont
affirmé que l' effraction du Watergate avait été
motivée par les soupçons du Comité pour la réélection
du président selon lesquels le Comité national démocrate
concluait des accords similaires pour financer sa convention de 1972.
Cette théorie est corroborée par des conversations et
des échanges entre le président Richard Nixon et son chef
de cabinet HR Haldeman avant et après l'effraction, ainsi que
par le témoignage d' E. Howard Hunt . Cependant, cette théorie
a également été contestée par d'autres personnes
impliquées dans l'effraction, comme G. Gordon Liddy .
1972 : ITT au centre des scandales
ITT sut trouver sans mal des alliés au sein de l'administration
Nixon pour qu'un compromis fut trouvé avec McLaren au milieu
de l'année 1971: la fusion avec Harford était entérinée,
mais ITT acceptait de se défaire d'un certain nombre d'autres
acquisitions comme Avis ou Levitt & Sons.
Le 29 février 1972, l'éditorialiste Jack Anderson publiait
un article où il donnait le contenu d'un courrier d'une lobbyiste
au service d'ITT, Dita Beard : ce courrier de juin 1971 mettait en évidence
des relations de proximité entre ITT et des proches de Nixon,
et l'attente d'un retour d'ascenseur après l'aide financière
de 400 000 dollars apportée par ITT pour la tenue de la convention
républicaine de San Diego. L'article d'Anderson reçut
un écho considérable dans la presse américaine.
La commission de la Justice du Sénat se saisit de l'affaire,
le sénateur démocrate Edward Kennedy s'engagea à
fond dans l'affaire, mais le Sénat était encore fortement
dominé par les Républicains.
En mars 1974, un autre article d'Anderson braqua les projecteurs sur
ITT, accusé d'avoir participé à l'éviction,
voire à l'assassinat de Salvador Allende au Chili, en 1973 ).
Le 23 avril suivant, la revue New York publiait un long article du journaliste
britannique Anthony Sampson dans lequel Harold Geneen était dépeint
comme un personnage sans foi ni loi, échappant totalement à
l'autorité du gouvernement « Les nombreux scandales dans
lesquels ITT a été impliqué au cours des dernières
années ont fait du sigle même de cette firme un véritable
épouvantail avec lequel on peut faire peur aux enfants. »
Quelques mois plus tard fut publié le livre de Sampson The Sovereign
State of ITT qui devint un best-seller mondial. Robert Sobel note qu'après
qu'Allende soit renversé par le coup d'État du 11 septembre
1973, la conviction resta dans beaucoup de milieux qu'ITT était
à l'origine du coup d'état qui avait permis à la
junte de Pinochet de prendre le pouvoir.
Implication dans le coup d'État de Pinochet
au Chili en 1973
En 1970, ITT possédait 70 % de la CTC (la compagnie de téléphone
chilienne, aujourd'hui Movistar Chile) et finançait El Mercurio
, un journal chilien de droite . ITT avait également investi
quelque 200 millions de dollars au Chili . Sous la direction de Geneen,
ITT a versé 350 000 dollars à l' adversaire d' Allende
, Jorge Alessandri . Lorsque Allende a remporté l'élection
présidentielle, ITT a offert à la CIA 1 million de dollars
pour vaincre Allende , mais l'offre a été rejetée.
Des documents déclassifiés publiés par la CIA en
2000 révèlent que la société a aidé
financièrement les opposants au gouvernement de Salvador Allende
à préparer un coup d'État militaire . Le 28 septembre
1973, un bâtiment d'ITT à New York a été
bombardé par le Weather Underground pour son implication dans
le coup d'État.
Selon certains rapports officiels, l'entreprise porte une lourde responsabilité
dans les événements dramatiques survenus au Chili dans
les années 1970, ainsi que dans d'autres pays d'Amérique
latine, notamment l'opération Condor. La déclassification
des archives de la CIA permet de publier des preuves jugées comme
accablantes. On note le rapport Hinchley dans le dossier global de déclassification
précisant entre autres détails, certaines des méthodes
ITT :
« Au début de 1970, un homme d'affaires issu d'International
Telephone and Telegraph (ITT) contactait un officier de la CIA aux États-Unis
et poussait le gouvernement américain à apporter une aide
financière aux opposants d'Allende. La CIA lui donna le nom d'un
individu susceptible de faire passer les fonds à Alessandri.
Quelques mois plus tard un autre représentant d'ITT tâtait
le terrain auprès de la CIA à Washington pour savoir si
la Centrale accepterait des fonds de sa compagnie et les transférerait
au profit de la campagne de Alessandri. On lui répondit que la
CIA ne pouvait ni recevoir ni transférer des fonds à Alessandri
pour le compte d'une entreprise privée. La CIA précisait
que, bien que très inquiète d'une éventuelle victoire
d'Allende, le gouvernement américain ne soutenait aucun candidat
en particulier. Toutefois, il se trouve que quelques mois plus tôt,
la Centrale avait donné à ce même homme d'affaires
des conseils sur la manière de faire passer les fonds de ITT
en toute sécurité, pour le candidat Alessandri. Après
l'élection d'Allende et avant son intronisation, la CIA, selon
la directive du 40, en accord avec l'ambassade américaine de
Santiago, s'efforça de mener à bien un programme de faillite
économique6».
Anthony Sampson a été le premier à révéler
certains faits sur la responsabilité d'ITT, qui ont été
ensuite confirmés par l'historienne Marie-Noëlle Sarget
ou l'écrivain Armando Uribe. Le film Mille milliards de dollars
d'Henri Verneuil (1982) s'inspire de l'histoire de la firme qui apparaît
sous les traits de la société GTI.
Post-Geneen : Hamilton et Araskog
ITT reste l'une des plus grandes entreprises diversifiées
du monde sous la direction de l'actuel président du conseil d'administration
Rand V. Araskog, mais elle est sur le point de supprimer son activité
la plus importante, à savoir les télécommunications.
En mars 1977, Lyman C. Hamilton est nommé PDG et Geneen devient
président du conseil d'administration. En juin 1979, alors que
Hamilton est en Asie, Geneen prend connaissance des projets de Hamilton
de céder les activités européennes de biens de
consommation d'ITT et fait pression sur ses collègues membres
du conseil d'administration pour qu'ils le licencient. En juillet 1979,
Rand Araskog devient PDG. Peu de temps après, Araskog insiste
pour que le conseil d'administration destitue Geneen de son poste de
président, bien que Geneen reste au conseil d'administration
pendant quatre ans de plus.
Au cours des deux décennies suivantes, Araskog
a démantelé une grande partie d'ITT, vendant la plupart
de ses participations.
À partir de 1977, ITT a entrepris de développer
un nouveau central téléphonique numérique
ambitieux , le Système 1240 (plus tard Système
12) ,qui aurait coûté 1 milliard de dollars américains.
Selon Fortune en 1985, Araskog a orienté les efforts de l'entreprise
vers une poursuite incessante du développement et de la promotion
du Système 12, tout en canalisant les bénéfices
des entreprises réussies pour répondre aux demandes voraces
du Système 12. Le Système 12 était destiné
à fonctionner sur tous les marchés et dans tous les modes,
des commutateurs locaux aux longue distance. La conception a été
réalisée au Advanced Technology Center ( Stamford, Connecticut
puis Shelton, Connecticut ). La fabrication était assurée
par les filiales d'ITT, comme BTM en Belgique , où le premier
système de production fut installé à Brecht en
Belgique, en août 1982. Les ventes initiales, notamment en Europe
et au Mexique, furent fortes, mais l'intégration du nouveau système
prit plus de temps que prévu, entraînant de nouvelles pertes.
Contre l'avis du siège social, ITT Telecommunications ( ITT Kellogg
) à Raleigh, en Caroline du Nord, entreprit la conversion sur
le marché américain, et bien que les ventes aient été
annoncées en 1984 et 1985, la tentative échoua finalement,
début 1986.
ITT a cédé ses entreprises mondiales
de produits de télécommunications, telles qu'ITT Kellogg
, à Alcatel Alsthom , une filiale de la Compagnie Générale
d'Electricité (CGE), ce qui a donné naissance à
Alcatel NV (Pays-Bas) en 1986. Cette transaction a positionné
Alcatel NV comme la deuxième plus grande entreprise de télécommunications
au monde à cette époque. Initialement, ITT conservait
une participation de 37 %, mais en mars 1992, elle a procédé
à la vente de ses 30 % restants, cessant ainsi effectivement
sa participation dans l'industrie de la téléphonie.
En 2006, Alcatel Alsthom SA a acquis avec Lucent pour former Alcatel-Lucent
.
ITT Educational Services, Inc. (ESI) a été scindé
par une introduction en bourse en 1994, avec ITT comme actionnaire à
83 % (en septembre 2016, ESI a annoncé son intention de fermer
l'ensemble de ses 130 instituts techniques dans 38 États parce
que leurs étudiants n'étaient plus éligibles à
l'aide fédérale). ITT a fusionné sa division longue
distance avec Metromedia Long Distance en mars 1989, créant ainsi
Metromedia-ITT. Metromedia-ITT sera finalement racheté par Long
Distance Discount Services, Inc. (LDDS) en 1993. LDDS changera plus
tard son nom en WorldCom en 1995.
Rappel des activités de production et de recherche dans les
Télécommunications
En dehors des États-Unis, certaines filiales conservaient une
activité importante dans la production et la recherche en télécommunications:
Standard Telephones
and Cables (STC) en Grande-Bretagne et en Australie,
Standard Elektrik Lorenz (SEL)
en Allemagne, Bell Telephone Manufacturing Company (BTM)
en Belgique, la CGCT et LMT
en France.
Ces sociétés fabriquaient et adaptaient des équipements
de conception ITT, notamment dans les années 1960 les commutateurs
crossbar Pentaconta et dans les années
1970 les commutateurs Metaconta
D, L et 10c. Ces commutateurs étaient aussi produits sous licence
à Poznan, en Pologne ainsi qu'en Yougoslavie.
Ces filiales pouvaient avoir des activités de recherches brillantes
dans des laboratoires comme le Laboratoire
central de Télécommunications (LCT),
nouveau nom des LLMT en France, ou le Standard
Telecommunication Laboratories (STL) en Grande-Bretagne.
Alec Reeves qui avait mené des recherches avant- guerre sur
la Modulation d'impulsion codée à Paris, aux LLMT, monta
une équipe après-guerre à STL, où Charles
Kao et George Hockham menèrent des travaux pionniers sur la fibre
optique, ce qui leur valut le prix Nobel de physique en 2010.
Rupture en 1995, avec Araskog toujours à la barre, ITT
s'est scindée en trois sociétés publiques distinctes
:
ITT Corp. En 1997, ITT Corp. a finalisé une fusion avec
Starwood , qui souhaitait acquérir Sheraton Hotels and Resorts
. Starwood a vendu ITT World Directories à VNU . ITT s'est complètement
désinvestie d'ITT/ESI en 1999, mais a continué à
concéder sous licence le nom ITT Technical Institute à
ESI jusqu'à sa disparition en 2016. Également en 1999,
ITT Corp. a abandonné le nom ITT au profit de Starwood .
ITT Hartford Aujourdhui, ITT Hartford est toujours une
compagnie dassurance majeure, bien quelle ait complètement
abandonné le mot ITT de son nom. La société est
désormais connue sous le nom de The Hartford Financial Services
Group, Inc.
ITT Industries ITT a opéré sous ce nom jusqu'en
2006 et est une entreprise majeure de fabrication et de sous-traitance
de défense .
Le 1er juillet 2006, ITT Industries a changé de nom pour devenir
ITT Corporation à la suite du vote de ses actionnaires du 9 mai
2006.
L'éclatement
« En 1995, la compagnie mère, ITT Corporation, se divise
en trois compagnies distinctes : ITT Corporation, ITT Hartford et ITT
Industries. Sous la tutelle de cette dernière on retrouve ITT
Fluid Technology Corporation, ITT Automotive et ITT Defense & Electronics.
».
ITT a été condamné en 2007, pour trafic d'armes,
à une amende de 100 millions de dollars pour des exportations
à destination de la Chine, de Singapour et du Royaume-Uni.
En 2011, le groupe se scinde en trois entités cotées séparément
au New York Stock Exchange. La première gardant le nom d'ITT
Corporation regroupe les activités de réseau (ferroviaires,
aériens), la seconde Exelis regroupant les activités de
défense et enfin Xylem regroupant les activités de gestion
de l'eau. En février 2015, Harris acquiert Exelis pour 4,75 milliards
de dollars.
sommaire
Quelques tranches d'histoire :
L'ancienne colonie Espagnole CUBA,
La platerforme de lancement et le terrain d'essai de L'ITT
Au début du XXe siècle, un service
téléphonique local était assuré, exploité
par des entreprises indépendantes, tant à La Havane
que dans diverses villes de l'intérieur de Cuba.
Lors de la deuxième intervention nord-américaine,
qui dura de 1906 jusqu'à la fin janvier 1909, il était
prévu d'établir un système téléphonique
unifié pour toute l'île, sûrement sous la direction
d'une compagnie américaine. en vigueur une loi qui a accordé
à cette société une autorisation pour une
durée indéterminée d'exploiter l'activité
téléphonique dans le pays, y compris le service
téléphonique dans la capitale et le service longue
distance que Cuban Telephone devait créer.
Cela n'a pas tardé à devenir un véritable
monopole, car les entreprises locales établies ne pouvaient
pas résister à la concurrence et ont dû faire
faillite d'une manière ou d'une autre.
La Cuban Telephone Company
s'installe à New York jusqu'à ce qu'en avril
1916, un important achat des titres de la société,
effectué par des Cubains, détermine le transfert
de son domicile à La Havane.
Quelques jours auparavant, un journal havanais avait rapporté
que la capitale disposait de 5 téléphones. pour
100 habitants, un indice qui, bien qu'étant la moitié
de celui de New York, triplait celui de Madrid et dépassait
même celui de Londres, Paris, Vienne, Petrograd ou celui
de n'importe quelle ville d'Amérique latine. Et il a ajouté
que sur 10 téléphones installés en Amérique
latine et aux Antilles, un correspondait à Cuba.
Mais la situation réelle de la téléphonie
dans le pays était loin d'être aussi brillante que
le suggéraient les statistiques. Malgré le fait
que le revenu brut de Cuban Telephone avait atteint 1,2 million
de dollars en 1915, aucun dividende n'a été versé
aux actionnaires cette année-là et la valeur des
actions a chuté sur les bourses de La Havane et de Londres.
C'était le résultat d'une mauvaise administration
qui n'avait pas hésité à emprunter l'entreprise
dans des conditions très défavorables afin de maintenir
coûte que coûte le versement de juteux dividendes
aux actionnaires. Devant l'impossibilité de lever des capitaux
supplémentaires dans ces circonstances, la National City
Bank de New York, qui avait initialement soutenu l'entreprise,
a fait pression sur sa direction pour s'assurer la collaboration
des frères Sosthenes et Hernand Behn, qui jouissaient d'un
grand prestige pour leurs succès en tant que directeurs
de la Porto Rico Telephone Company.
En octobre 1916, le conseil d'administration de la compagnie
téléphonique cubaine élit Sosthenes Behn
comme président du conseil d'administration de la société,
en remplacement de William M. Talbott, et comme vice-président,
José Marimón, qui présidait à l'époque
la Banque espagnole de l'île. de Cuba. Hernand Behn a été
chargé de la gestion quotidienne de l'entreprise.
La première tâche entreprise les frères
Behn vis-à-vis de Cuban Telephone a été
de restructurer sa dette et, en même temps, de prendre les
mesures organisationnelles nécessaires pour accroître
son efficacité économique et améliorer le
service.
En conséquence, en 1917, le revenu net est passé
à 1,7 million de dollars, les dividendes ordinaires ont
triplé par rapport à 1913 et les arriérés
sur les actions privilégiées ont été
payés. L'entreprise a pu compter pour la première
fois sur une importante réserve de liquidités.
Peu de temps après avoir repris l'entreprise, Sosthenes
Behn entame des négociations aux États-Unis qui,
quatre ans et demi plus tard, aboutiront à la création
d'une liaison téléphonique entre ce pays et Cuba.
D'un point de vue strictement technique, le problème résidait
dans le fait que l'établissement de la liaison impliquait
de poser sous la mer, jusqu'à environ 1 800 mètres
de profondeur, des câbles téléphoniques d'une
longueur totale d'environ 190 kilomètres, ce qui nécessitait
une conception spéciale et innovante dans environ 95% de
son extension, car à cette époque les câbles
des lignes téléphoniques sous-marines les plus longues
qui existaient étaient beaucoup plus courtes (moins de
80 kilomètres de long) et n'étaient pas submergées
aussi profondément.
Curieusement, les frères Behn n'ont pas été
les premiers à proposer formellement au gouvernement cubain
l'établissement d'un service téléphonique
public entre Cuba et les États-Unis par des câbles
sous-marins. La première à le faire fut une certaine
Intercontinental Telephone & Telegraph
Company, dont le président, l'Italien Giuseppe
Musso, prétendit en 1916 avoir « résolu [...]
triomphalement et avec précision l'ardu problème
de la téléphonie et Télégraphie rapide,
à n'importe quelle distance [...] sans avoir besoin de
fusées à induction [bobines de charge], ou de lignes
spéciales ». Il n'a pas précisé comment
il avait réalisé cette prétendue prouesse
technique, ni n'a hésité à inviter les Cubains
à investir leur capital dans l'Intercontinental, afin que
dans un avenir pas trop lointain ils puissent - comme il l'a dit
- « mépriser l'envie de ceux qui préfèrent
douter plutôt qu'avoir la foi." .
Il est à supposer que le président cubain García
Menocal n'était pas parmi ces derniers, puisqu'en juillet
1916, il accorda à l'Intercontinental une concession (mais
pas un monopole) pour établir, dans un délai de
deux ans, un service téléphonique comme celui annoncé,
un terme qui a ensuite été prolongé jusqu'au
31 décembre 1922.
Mais les efforts qui ont finalement abouti à des résultats
tangibles sont ceux initiés par Sosthenes Behn pour le
compte de la Compagnie cubaine des téléphones. À
cette fin, il rencontre Nathan Kingsbury, premier vice-président
de la puissante American
Telephone and Telegraph Company (AT&T).
En principe, ils ont convenu de s'associer sur un pied d'égalité,
pour mener à bien le projet, en commençant par la
fabrication et la pose du câble, une tâche dont la
planification devait commencer en 1917 et être réalisée
en 1918 pour procéder immédiatement à l'exploitation
commerciale. du nouveau service.
Le fait qu'un tel accord ait été conclu doit être
considéré comme un succès de la remarquable
capacité de négociation de Sosthenes Behn, si l'on
tient compte du fait qu'à cette époque, son soutien
économique était essentiellement réduit aux
actifs de Cuban Telephone, alors qu'AT&T était une
puissante société de portefeuille qui contrôlait
la plupart des activités téléphoniques aux
États-Unis, en particulier dans les grandes villes.
L'exécution de l'accord a cependant dû être
reportée lorsque les États-Unis en tant que belligérant
pendant la Première Guerre mondiale, le 6 avril 1917, Sosthenes
Behn rejoignit le Corps des transmissions de l'armée peu
de temps après, et dans cet état, il resta en Europe
jusqu'en 1919. Le frère Hernand, bien qu'incorporé
aux États-Unis de la Réserve navale, continua à
gérer la compagnie de téléphone de Cuba et
de Porto Rico.
De retour à la vie civile, Sosthène revient reprendre
le fil de ses anciennes entreprises avec la ferme conviction que
les années d'après-guerre vont être propices
non seulement à matérialiser le projet de liaison
téléphonique par câble sous-marin, interrompu
en 1917, mais d'utiliser ledit lien comme premier lien dans un
système de communication beaucoup plus ambitieux dominé
par lui et son frère.
Ce que le colonel ne pouvait pas imaginer, c'est qu'il s'appelait
lui-même, même s'il avait terminé la guerre
avec le grade de lieutenant-colonel, c'est qu'en ce qui concerne
le projet de liaison téléphonique Cuba-États-Unis,
il allait trouver un concurrent inattendu.
En effet, moins de deux semaines après la signature de
l'armistice (18 novembre 1918), Giuseppe Musso, l'homme qui -comme
nous l'avons déjà vu- avait obtenu la concession
présidentielle cubaine en 1916 pour entamer une liaison
similaire, arriva à La Havane et aussitôt a déclaré
que les travaux commenceraient bientôt.
Cela agaça Sosthène qui, pour clarifier la situation,
s'adressa officiellement mi-décembre au département
d'État américain, en sa qualité de président
de Cuban Telephone, pour être informé des concessions
qui lui avaient été faites aux États-Unis.
à l'entreprise organisée et annoncée en grande
pompe par le prétendu inventeur italien, Cuban Telephone
étant intéressé à entreprendre une
entreprise similaire.
Nous ne connaissons pas la réponse, mais elle n'est pas
difficile à deviner, car il arriva qu'en avril 1919,
un journal de La Havane qualifiait de fraude toute l'affaire de
la vente d'actions la même année, de l'Intercontinental
téléphone cubain et le American
Telephone and Telegraph, étaient formellement
associés, à parts égales, dans l' AT&T
: l'American
Telephone and Telegraph Company, une
société dont l'objectif principal déclaré
était d'établir un système de transmission
entre Cuba et les États-Unis qui permettrait l'interconnexion
du long -lignes téléphoniques à distance
des deux pays.
Le 1er novembre 1919, l'ambassadeur des États-Unis
à Cuba informa son gouvernement qu'après deux mois
et demi de négociations, AT&T
et Cuban Telephone étaient parvenus à un accord
définitif pour établir une liaison téléphonique
sous-marine entre La Havane et Key West, ce qui était prévu
pour commencer à fonctionner en février 1920, au
coût de 750 000 $.
Comme on l'a déjà dit, les câbles sous-marins
destinés à transmettre les signaux téléphoniques
entre La Havane et Key Bone différaient considérablement
de leurs congénères qui fonctionnaient à
l'époque dans d'autres parties du monde, en ce sens qu'ils
devaient rester immergés à des profondeurs beaucoup
plus grandes et être beaucoup plus long. Cette dernière
circonstance augmentait considérablement l'atténuation
et la distorsion des signaux téléphoniques transmis
électriquement, tandis que la conception mécanique
des câbles devait tenir compte à la fois des conditions
spécifiques des fonds marins et des fortes pressions auxquelles
ils seraient soumis dans les profondeurs de la mer.
L'expérience accumulée jusqu'ici dans la pose de
câbles téléphoniques sous-marins laissant
à désirer, il fut décidé de réaliser
une étude préliminaire du dossier, tâche qui
fut confiée aux ingénieurs de recherche d'AT&T,
Carson et Gilbert. Ses résultats publiés en 1921
ont conduit à la recommandation que les câbles coaxiaux
d'une conception spéciale capable de réduire l'impédance
de "retour de mer" (eau de mer, fils d'armure, etc.)
des conceptions traditionnelles et d'élargir considérablement
la bande passante de transmission.
Après avoir effectué diverses mesures électriques,
il a été décidé d'utiliser pour les
grandes profondeurs, un câble composé essentiellement
de :
- a) un conducteur central (constitué d'un fil de cuivre
recouvert d'un ruban du même métal) autour duquel
un fin fil de fer doux était enroulé en hélice
serrée,
- b) une épaisse couche isolante de gutta-percha d'épaisseur
constante autour de l'enroulement conducteur central, et
- c) un "conducteur de retour", constitué d'une
gaine en ruban de cuivre recouvrant le matériau isolant.
Ainsi, un câble à atténuation réduite
et à bande passante suffisante a été obtenu
pour transmettre simultanément une voie téléphonique
et au moins deux circuits télégraphiques duplex.
Sur la base de la conception électrique proposée
par les ingénieurs d'AT&T, la British Construction
and Maintenance Company, Ltd. s'est vu confier la conception générale
des câbles et leur fabrication, sous la supervision de William
Slingo, un spécialiste britannique bien connu, que Cuban
Telephone Company a embauché comme ingénieur conseil.
Il supervisa également la mise en place des trois câbles
tendus entre La Havane et Key West3, travaux qui ne durent que
deux semaines et furent reçus comme achevés de manière
satisfaisante le 25 février 1921, après que les
mesures effectuées à la fin de Key Bone eurent confirmé
que le les câbles immergés répondaient aux
spécifications électriques préétablies.
Des trois câbles, le plus court mesurait 185,8 km de long,
tandis que les longueurs des câbles à l'est et à
l'ouest de celui-ci étaient respectivement de 194,6 km
et 193,4 km.
Compte tenu de la demande estimée de trafic téléphonique,
du côté américain, un seul des câbles
susmentionnés était directement connecté
au réseau téléphonique local, tandis que
les deux autres étaient utilisés pour établir
des connexions téléphoniques et télégraphiques
directes avec New York et Jacksonville. Chaque câble accueillait
trois voies bidirectionnelles : une voie téléphonique
et deux voies télégraphiques duplex (une en courant
continu et une sur une porteuse 3/3,8 kHz).
Lorsque le service téléphonique entre Cuba
et les États-Unis a été inauguré,
il y avait près de 25 200 téléphones installés
à La Havane, mais le service interurbain ne faisait
que commencer à l'intérieur du territoire cubain.
Ce service s'est considérablement amélioré
avec l'installation de répéteurs téléphoniques
dans des points stratégiques du réseau national
(Saint-Domingue, Ciego de Ávila et Victoria de las Tunas)
à partir de 1921, ce qui a facilité la tâche
des administrateurs des sucreries et autres abonnés de
l'intérieur. du pays, communication téléphonique
avec les États-Unis.
A la fin de 1922, le nombre d'abonnés de Cuba atteignait
plus de 40 300.
Création de l'ITT
Lorsque la National City Bank a suggéré aux dirigeants
de la Compagnie de téléphone cubaine que les Behn
reprennent la direction de leur entreprise afin de la sauver d'un
désastre économique, elle avait à l'esprit
la réputation de gestionnaires compétents, efficaces
et bien connectés que Sosthenes et Hernand avaient gagné
dans la gestion des affaires téléphoniques à
Porto Rico. Le résultat de son travail ultérieur
à Cuba à la tête de la compagnie de téléphone
n'a fait que confirmer cette confiance.
Nous avons déjà vu qu'Hernand était chargé
de l'administration quotidienne du Téléphone Cubain,
fonction pour laquelle il était extraordinairement bien
équipé. Mais Sosthène a plutôt brillé
lorsqu'il s'est agi de relations publiques habiles et d'élaboration
de stratégies commerciales audacieuses et de grande envergure.
Des années plus tard, alors que les Behn avaient déjà
construit l'impressionnante société transnationale
à laquelle nous ferons bientôt référence,
le magazine Fortune a caractérisé
les personnalités très différentes et en
même temps complémentaires des deux frères
:
... personne n'est plus charmant ou plus raffiné que
Sosthenes Behn. Il en est de même d'un jour à l'autre
et d'une année à l'autre. Peu importe la volatilité
du sang latino en lui, le visage qu'il présente au monde
est toujours serein, agréable, sûr de lui [... C'est]
une figure éblouissante, un grand aventurier industriel
dont la lumière est trop forte pour lui à voir peut
se cacher même sous votre grande modestie. Mais il n'est
que la moitié des frères Behn. C'est certainement
la moitié la plus fascinante, la plus séduisante,
mais toujours seulement la moitié. [...] Si Sosthène
est plus audacieux, Hernand est plus intuitivement prudent.
Comme nous l'avons déjà vu, l'un des premiers succès
transcendantaux des frères Behn a été d'avoir
réussi à s'associer sur un pied d'égalité
avec le puissant américain AT&T,
pour installer et exploiter la première liaison téléphonique
par câble sous-marin entre Cuba et les États-Unis,
malgré le fait que tout le soutien financier dont ils disposaient
pour cela était réduit aux actifs de la Compagnie
cubaine des téléphones.
Nous avons également vu que la réalisation de ce
projet a dû être reportée lorsque les États-Unis
sont entrés dans la Première Guerre mondiale. Ajoutons
maintenant que lors de l'accomplissement de son service militaire
en France, Sosthène Behn avait eu connaissance des conversations
que, peu avant la fin des hostilités et en présence
de responsables gouvernementaux américains, des représentants
des compagnies de téléphone européennes avaient
eues avec des représentants de les banques américaines,
afin de négocier leur soutien à la future reconstruction
du service téléphonique en Europe. Il n'a donc pas
été difficile pour l'astucieux Behn de se rendre
compte à la fois de l'intérêt stratégique
que les États-Unis avaient découvert dans les télécommunications,
et des grandes perspectives qu'allait offrir le marché
européen de la téléphonie d'après-guerre,
en plus des excellentes possibilités qu'avait perçues
le marché latino-américain auparavant.
Depuis le début de l'année 1919, Sosthenes tente
d'obtenir un soutien financier à New York pour créer
une société indépendante, dont le but serait
de contrôler et de gérer bon nombre d'entreprises
de télécommunications, mais il n'y parvient pas.
Sans se laisser décourager par cet échec, le colonel
revient dans la mêlée avec une autre proposition
qui paraît beaucoup plus modeste et certainement moins risquée
d'un point de vue financier : la création d'une société
de holding, destinée à prendre en charge les activités
de promotion et de gestion des télécommunications
publiques. sociétés de services dans différents
pays, et de telle sorte que son patrimoine se composait essentiellement
de titres des sociétés de services contrôlées,
d'un bureau à New York et de quelques meubles.
Dans le prospectus du 19 juillet 1920, préparé
par les Behn, un objectif relativement limité était
proposé : acheter avec des actions de la nouvelle société
les actions des compagnies de téléphone cubaines
(qui comprenaient 50 % des actions de la Cuban
American Telephone and Telegraph Co.) et Porto Rico,
et administrent les deux, ainsi que "toutes autres compagnies
de téléphone et de télégraphe souhaitables
dans les pays d'Amérique latine".
Le nom de la nouvelle société serait International
Telephone and Telegraph Corporation (ITT).
Bien qu'étonnamment similaire à celui du puissant
AT&T, il reflétait très bien l'intention réelle
des Behn d'utiliser la nouvelle société pour organiser
sous leur direction et contrôler un système de télécommunications
véritablement international.
La démarche a porté ses fruits et au bout d'un an
et demi, environ 90% des actionnaires avaient vendu leurs parts
dans Cuban Telephone et Porto Rico Telephone en échange
d'actions dans la toute nouvelle ITT, qui en venait ainsi à
contrôler les deux premières sociétés.
et de partager avec AT&T les bénéfices obtenus
par les cubano-américains de l'exploitation des câbles
entre La Havane et Key West, auxquels il a ajouté en 1922
la propriété de la Radio Corporation de Cuba, qui
à partir de 1929 a obtenu une concession de 50 ans du gouvernement
cubain pour exploiter un service de communication radio à
l'étranger.
Le succès retentissant obtenu à la tête de
l'activité téléphonique à Cuba et
à Porto Rico n'a été que la première
pierre posée par les frères Behn pour la construction
d'une image attrayante de dynamisme, d'efficacité et de
connexion avec la technologie la plus avancée, qui leur
permettrait pour consolider leur crédit avec Cuba, commercialiser
et concrétiser les ambitieux plans d'expansion de leurs
activités de télécommunications vers l'Amérique
latine depuis les Caraïbes, où ils avaient déjà
conquis deux positions importantes .
Lorsqu'ils ne contrôlaient que Porto Rico Telephone, Sosthenes
et Hernand Behn avaient pensé à la possibilité
d'interconnecter les îles de Porto Rico et de Saint-Domingue,
cette dernière et la pointe orientale de Cuba, et enfin,
la ville de La Havane et la Floride, dans un tel manière
à maintenir la continuité du circuit Porto Rico-États-Unis
avec la concurrence des grands réseaux terrestres entre
la République dominicaine et Haïti, et entre l'extrémité
orientale de Cuba et La Havane.
De cette manière, les frères aspiraient à
développer le juteux commerce qu'ils imaginaient représenter
l'exploitation d'un lien entre la possession américaine
de Porto Rico et sa métropole. Bien qu'à cette époque,
il ne leur était pas possible de réaliser un plan
aussi ambitieux, lorsque le contrôle du téléphone
cubain est passé entre leurs mains, ils ont eu la possibilité
de réaliser la partie la plus importante sur le plan économique,
à savoir la liaison téléphonique Cuba-États-Unis
.
Comme on l'a déjà vu, l'entrée des États-Unis
dans la Première Guerre mondiale obligea à reporter
à 1921 la construction du câble téléphonique
sous-marin Cuba-États-Unis. On a également vu que
Sosthenes Behn, conscient des grandes perspectives qu'offrirait
le marché européen de la téléphonie
d'après-guerre et de l'intérêt stratégique
que les États-Unis portaient aux télécommunications,
avait créé l'International Telephone and Telegraph
Corporation un an plus tôt à New York ( ITT).
En harmonie avec la projection internationale de la nouvelle entreprise,
les Behn ont concentré leurs efforts sur la création
d'une image d'entreprise qui l'accréditerait publiquement,
quelle que soit sa faiblesse économique évidente
à l'époque. Ce n'était pas difficile, puisque
le puissant AT&T était également intéressé
à améliorer son image, notamment auprès du
public américain. A cet effet, un grand show politico-technologique
fut rapidement organisé pour l'inauguration officielle
du service téléphonique entre Cuba et les Etats-Unis,
le 11 avril 1921.
Du côté cubain, la cérémonie d'inauguration
a eu lieu à La Havane, au siège du téléphone
cubain situé à La Havane, rue Águila.
Là, une salle avec des écouteurs a été
aménagée pour 400 convives, afin qu'ils puissent
écouter les conversations téléphoniques qui
allaient avoir lieu. À 4 heures de l'après-midi,
une habanera populaire (chant) a commencé à être
entendue dans les écouteurs, qui à ce moment précis
était chantée à Jacksonville, suivie d'autres
numéros musicaux de la même ville de Floride.
Vers 16 h 30, Hernand Behn, alors président de la Compagnie
cubaine des téléphones et également président
de la Compagnie cubano-américaine des téléphones
et télégraphes, a pris le micro et a déclaré,
entre autres :
C'est une source de fierté pour nous à Cuba [...]
d'avoir été les premiers à introduire à
grande échelle le système automatique [...] qui
est aujourd'hui adopté et installé, convaincu de
ses avantages, par les villes de New York, Philadelphie, Chicago
et d'autres centres téléphoniques aux États-Unis
[...] et maintenant seront ceux qui établiront le plus
grand service téléphonique sous-marin unissant Cuba
à treize millions de téléphones en service
aux États-Unis, première étape pour atteindre
la connexion téléphonique de tout le continent américain.
Le président de Cuban Telephone a terminé ses propos
en annonçant qu'il contacterait immédiatement le
colonel John J. Carty, vice-président d'AT&T, pour
établir, selon ce qu'il a dit, ... une communication entre
La Havane et San Francisco, Californie, et de là jusqu'à
l'île de Santa Catalina dans l'océan Pacifique, ce
dernier tronçon par téléphone sans fil, avec
les vingt-trois stations sur ladite ligne répondant à
l'appel de La Havane à San Francisco répond à
l'appel.
Cette communication représente une distance de 5 700 miles,
soit la plus longue connexion [téléphonique] établie
à ce jour dans le monde entier.
(Liaison téléphonique de 8 800 km établie
entre La Havane et Avalon le 11 avril 1921, par câbles sous-marins,
lignes terrestres et liaison radio).
Tout s'est déroulé comme annoncé (sauf que
la longueur totale du circuit était en réalité
de 5 470 milles, soit environ 8 800 kilomètres), et l'événement
est entré dans l'histoire des télécommunications
comme la plus longue liaison téléphonique au monde
jusque-là établie par liaison radiotéléphonique,
aérienne. et lignes souterraines (8 563 kilomètres
à à travers les États-Unis, avec 25 répéteurs
téléphoniques), et câble sous-marin.
Une fois les contacts susmentionnés établis, une
activité de niveau politique supérieur a eu lieu,
consistant en une conversation téléphonique protocolaire
entre le président cubain Mario García Menocal,
qui se trouvait dans son bureau au palais présidentiel,
et le président américain Caricature faisant allusion
à l'état ruineux de l'économie nationale,
publié à Cuba à l'époque de l'inauguration
du service téléphonique avec les États-Unis.
Warren G. Harding, s'était rendu dans les bureaux de l'Union
panaméricaine à Washington, D.C. à cette
fin, plus tard, l'ancien président cubain, José
Miguel Gómez, qui visitait la même ville à
l'époque, a communiqué par téléphone
avec sa femme, qui était à Cuba.
Dans son discours inaugural, Hernand Behn avait annoncé
que la liaison téléphonique Cuba-États-Unis
serait... petite par rapport au grand projet que chérit
la Compagnie cubaine des téléphones, avec le soutien
de l'International Telephone and Telegraph Corporation, qui n'est
autre que de faire de notre pays la base ou le centre de communication
qui unira l'Amérique du Nord avec celles du Centre et du
Sud (ou, parlant par téléphone, le conseil principal
de ces pays ).
Cette allusion au rôle qui devait être réservé
à "notre pays" avec le "soutien" de
l'ITT, cachait à peine les ambitions d'expansion à
grande échelle de la société récemment
créée des frères Behn, qui à l'époque
était insignifiante : raison de plus pour qu'ils profitent
de toute opportunité qui leur permettrait de populariser
l'image de la nouvelle entreprise, en l'associant à un
grand projet d'envergure internationale.
Trois jours après l'inauguration spectaculaire du service
téléphonique Cuba-États-Unis, l'inauguration
officielle du service Cuba-Canada a eu lieu avec une conversation
téléphonique via La Havane - Jacksonville - New
York-Montréal - Ottawa entre le président cubain
et le premier ministre canadien Arthur Meighen. Mais la campagne
publicitaire devait continuer.
Ainsi, en mars 1922, une liaison téléphonique
fut établie entre La Havane et Boston, qui s'étendait
de cette ville sur la côte atlantique des États-Unis
jusqu'à San Francisco sur la côte pacifique, dans
le but de démontrer l'utilisation de haut-parleurs à
la place d'écouteurs. Selon une note parue dans l'International
Telephone Magazine, publié par l'ITT, cette démonstration
... avait l'intérêt d'être la première
fois que ce nouvel appareil [le haut-parleur] était [utilisé]
pour la transmission et la réception [...] La Havane
a entendu Boston et Boston a entendu La Havane, et San Francisco
a également participé avec de brèves phrases
complétant ainsi un circuit d'environ 6 000 milles.
De ce qui suit, il apparaîtra que cette démonstration
s'inscrivait dans la préparation d'une mise en scène
publicitaire encore plus importante, où la communication
par ondes radio devait jouer un rôle prépondérant.
...
Entre 1924 et 1930, l'ITT
est devenue une puissante société transnationale,
au sein de laquelle l'importance économique relative de
la Compagnie de téléphone cubaine a été
considérablement diminuée.
Cependant, au cours de la même période, les Behn
ont maintenu leur intérêt pour cette entreprise insulaire,
peut-être parce que, bénéficiant d'une absence
totale de contrôle gouvernemental, elle continuait à
rapporter de bons dividendes et pouvait être utilisée
comme vitrine d'une bonne gouvernance d'entreprise. Voici ce qu'en
disait le magazine Fortune en 1930 :
... Hernand a tranquillement pris en charge le véritable
premier-né [d'ITT] et en a fait l'unité téléphonique
la plus réussie de toutes.[...] Les réalisations
des Behn à Cuba ont beaucoup à voir avec l'enthousiasme
de l'un des premiers de l'entreprise sponsors.
A La Havane vers 1924, il devint évident pour les
frères Behn que le bâtiment de la rue Águila
occupé par le siège de la Compagnie cubaine du téléphone,
bâtiment du siège du téléphone cubain,
inauguré en septembre 1927 n'était pas à
la hauteur des plans de grande envergure qui avaient été
dessinés, ils a décidé de le remplacer par
un grand bâtiment moderne qui dominait le panorama de La
Havane et a attiré l'attention du monde entier.
Le nouveau bâtiment, situé à l'angle des rues
Águila et Dragones (joint à l'ancien, qui est resté
auxiliaire), a été inauguré en septembre
1927.
Sa hauteur de 62 mètres au-dessus du trottoir en faisait
le plus haut du pays, avec la particularité qu'il a été
conçu pour que son environnement soit "pendant longtemps
espagnol dans ses principaux aspects", pour lequel, selon
ses concepteurs, les architectes Luis et Leonardo Morales,...
le style plateresque a été choisi tel qu'il se trouve
à Salamanque, c'est-à-dire : l'apogée de
l'art architectural de la mère patrie [... La] conception
[du plafond à caissons du hall] est dans le plus pur style
de l'époque qui marque la reconquête...
L'histoire de la Compagnie était représentée
sur le haut de la grande porte d'entrée de l'édifice,
puisque, à supposer que le coquillage symbolise "le
pèlerin qui se rend dans des régions inconnues",
deux coquillages avaient été sculptés, l'un
grand et l'autre petit. , selon l'architecte Leonardo Morales,
étaient, respectivement, la représentation de...
l'International Telephone and Telegraph Corporation et la Cuban
Telephone Company, soutenus par deux chérubins robustes
qui [représentaient] l'esprit jeune de deux peuples forts
: le Cubain et le l'Américain
Il aurait sûrement été plus juste de supposer
que lesdits chérubins représentaient les frères
Behn. En tout cas, il ne fait guère de doute que le nouveau
bâtiment avait été conçu dans le feu
de l'euphorie des frères pour avoir pris le contrôle
de l'activité téléphonique en Espagne, comme
nous le verrons ci-dessous.
En 1922, une fois le paiement du service de la dette et les dépenses
de Cuban Telephone et de Porto Rico Telephone déduits du
revenu brut respectif, ces sociétés ont contribué
à elles seules un bénéfice net d'environ
500 000 $ à ITT, un montant qui s'est élevé
à plus de 800 000 $ en 1923, grâce, en grande partie,
à la gestion efficace d'Hernand Behn à la tête
de l'administration de ces sociétés. Sosthenes a
dû utiliser le prestige commercial acquis dans les deux
cas pour se lancer immédiatement dans l'aventure de l'expansion
mondiale rapide d'ITT, avec le soutien de la National City Bank
de New York, qui était intéressée à
accroître ses propres activités en Amérique
latine et L'Europe .
sommaire
La colonie Espagnole, la platerforme de lancement de L'ITT
en Europe
Semblable aux premiers conquistadors espagnols il y a quatre siècles,
mais voyageant en sens inverse, Sosthenes Behn quitte sa base
cubaine en 1923, traverse l'Atlantique et, en matière de
téléphonie, gagne l'Espagne pour ITT et les grands
financiers américains.
L'Espagne devint, à partir
de ce moment, le tremplin pour la création de l'empire
mondial des télécommunications ITT, de la
même manière que Cuba avait été le
point de départ d'Hernán Cortés pour la conquête
du Mexique.

Déjeuner offert par le colonel Sosthenes Behn et M.
Hernand Behn, respectivement président du conseil d'administration
et président de l'International Telephone & Telegraph
Corp. en l'honneur des dirigeants de la Compagnie nationale d'Espagne.
A cette époque, le service téléphonique espagnol,
qui se distinguait par son retard technologique et son inefficacité,
comptait à peine un téléphone pour 240 habitants
(90 000 téléphones au total) et 15 000 km de lignes
interurbaines de mauvaise qualité et dans un état
lamentable, c'est pourquoi, en 1923, les derniers gouvernements
parlementaires espagnols de l'époque ont commencé
à explorer la possibilité de transférer à
des entreprises privées étrangères, puissantes
et expérimentées, l'exploitation du système
téléphonique appartenant à l'État,
auquel appartenaient les systèmes à long terme.
de Madrid et de Barcelone.
Conscients de la situation, au début de 1923, les Behn
se dépêchèrent de se rendre à Madrid
en compagnie de leurs plus proches collaborateurs à Cuba
et à Porto Rico. Là, ils ont dû faire face
à plusieurs concurrents, parmi lesquels le suédois
Ericsson et les allemands Siemens et Halske, qui étaient
des fabricants réputés d'équipements téléphoniques,
bien qu'avec une expérience pratiquement nulle dans l'administration
des services publics.
Quant aux Behn ? selon les mots de Maurice Deloraine, ancienne
directrice technique générale d'ITT, ces... n'avaient
vraiment rien de précis à proposer. Ils n'avaient
ni usine, ni un nombre suffisant d'ingénieurs et de techniciens,
ni une situation financière de base. Comme atouts, ils
avaient leur confiance en eux, leur réputation, leur compréhension
de l'Espagne et des Espagnols, et parce qu'il était américain,
ils étaient considérés comme très
riches aux yeux du peuple.
À Madrid, les frères ont mené une campagne
de relations . Habiles relations publiques et une capacité
de négociation agile, qui a bénéficié
de la précieuse collaboration d'informateurs influents
et de propagandistes du ministère en charge des communications.
Tout cela, ajouté au soutien qu'ils ont obtenu de la National
City Bank et à la pression opportune exercée par
la représentation diplomatique américaine, a sans
aucun doute eu un impact considérable sur la décision
que le dictateur Miguel Primo de Rivera a finalement prise, avec
l'approbation du roi Alfonso XIII, de confier à l'ITT l'installation
et l'exploitation ultérieure du futur système téléphonique
du Pays .
Etant donné que l'accord exigeait qu'une partie importante
des composants et équipements nécessaires aux nouvelles
installations soient fabriqués en Espagne et qu'à
l'époque ITT ne disposait pas de ses propres possibilités
de fabrication, Sosthenes Behn n'a pas tardé à entamer
des négociations avec divers fabricants.
En conséquence, en septembre 1925, l'ITT
acquit, à des conditions extrêmement avantageuses,
la propriété de l'International
Western Electric Company, une filiale européenne
d'AT&T
qui avait sa principale usine à Anvers (Belgique)
et deux grandes filiales : Standard Telephones and Cables Ltd.
en Grande-Bretagne et Le Matériel Téléphonique
en France, et même une petite succursale (Teléfonos
Bell, S.A.) avec un masse salariale d'environ 250 employés,
établie à Barcelone depuis 1922.
Le 26 août 1924, le gouvernement de Primo de Rivera accorda
à la Compagnie nationale de téléphone d'Espagne
- que les Behn avaient auparavant organisé, avec la participation
d'un groupe de puissants banquiers espagnols, une concession d'au
moins 20 ans, pour reprendre ce qui devait être à
terme le système téléphonique du pays. Selon
les termes de la concession, bien que l'État devait recevoir
une partie des bénéfices, il a été
accepté
Il a été jugé raisonnable que les bénéfices
de la nouvelle compagnie de téléphone s'élèvent
à 8 % de la valeur des investissements.
A cette époque, l'Espagne était en guerre avec les
Rifains, bien décidés à secouer le joug colonial,
et les Behn proposèrent d'aider la couronne en leur offrant
la possibilité de communiquer par téléphone
avec la zone d'opérations
Le 1er décembre, la communication téléphonique
promise a été établie en utilisant les câbles
télégraphiques sous-marins gouvernementaux existants
entre l'Espagne et le Maroc, et trente jours plus tard, un nouveau
câble a été posé entre Algésiras
et Ceuta.
Ces réalisations spectaculaires ont non seulement contribué
à consolider la position d'ITT en Espagne, mais ont été
le premier exemple d'engagement offert par la société
en Europe.
Mais cela ne signifie pas que les possibilités commerciales
immédiates sont oubliées, puisqu'en 1925 l'ITT annonce
qu'elle envisage d'établir prochainement ... un service
public général qui unira le Maroc à toute
l'Europe.
En ce sens, les câbles téléphoniques sous-marins
fourniront un service similaire à celui des câbles
qui relient actuellement le système de l'International
Telephone and Telegraph Corporation, à Cuba, à celui
de Bell Telephone, aux États-Unis.
Une fois de plus, donc, l'exemple de Cuba est mis sur la table.
Mais, tout comme leurs précédentes activités
dans la plus grande des Antilles avaient servi à ITT de
rampe de lancement pour la conquête de la téléphonie
espagnole, les Behn entendaient désormais utiliser l'exemple
de leurs succès en Espagne comme tremplin pour sauter par-dessus
le téléphonie d'autres lieux européens.
Mais avant de quitter le sujet de l'ITT en Espagne et comme détail
intéressant, il convient de noter que le 13 novembre
1928, le service téléphonique entre Cuba et son
ancienne métropole a été inauguré.
L'acte a commencé par une conversation entre le président
cubain de triste mémoire, Gerardo Machado, et le roi d'Espagne,
Alphonse XIII. L'occasion a été saisie pour informer
les frères Behn que Machado leur avait décerné
la décoration de Commandeurs de l'Ordre de Carlos Manuel
de Céspedes, nommé "la première dans
l'histoire des villes qui a été [conférée]
à l'aide des lignes téléphoniques",
selon ce qui a été dit à cette occasion.
Une liaison radiotéléphonique établie peu
auparavant entre l'Amérique du Nord et la Grande-Bretagne
avait rendu l'événement possible, tout comme en
1921 la liaison téléphonique par câble sous-marin
entre Cuba et les États-Unis avait permis la réalisation
d'un événement similaire.
sommaire
L'expansion mondiale de l'ITT entre 1924 et 1930
Comme déjà mentionné, en 1925, ITT a acquis
l'International Western Electric Company, une filiale d'AT&T.
C'était une société de holding qui gérait
des filiales qui fabriquaient des équipements de communication
en Belgique, en Espagne, en France, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas
et en Italie. actionnaire de sociétés chinoises
et japonaises et détenait des participations mineures dans
d'autres sociétés.
Avec le changement de propriétaire, International
Western Electric a été renommé
International Standard Electric Corporation.
A cette importante acquisition s'ajoute bientôt la Compagnie
des Téléphones Thomson-Houston,
avec l'appui de la banque Morgan, qui devient à partir
de 1925 le principal bailleur de fonds des opérations d'ITT.
Mais si l'acquisition des usines détenues à l'étranger
par AT&T était importante pour AT&T, l'accord conclu
entre les deux sociétés à l'époque
n'était pas une mince affaire, selon lequel, en échange
de l'engagement d'ITT de s'abstenir de construire des usines d'équipement
de service téléphonique aux États-Unis États-Unis,
AT&T s'abstiendrait de concurrencer ITT à l'étranger.
Ce n'est pas l'endroit approprié pour exposer plus en détail
le processus d'expansion d'ITT jusqu'à ce qu'elle devienne
la gigantesque entreprise transnationale de télécommunications
qu'elle est devenue, mais nous en donnerons une idée ci-dessous
résumé du développement mondial de la société
au cours de la première décennie de son existence,
comme un contexte utile pour évaluer ses activités
à Cuba.
Rappelons tout d'abord qu'en 1924 l'ITT, disposant d'une concession
accordée pour 50 ans pour exploiter un service téléphonique
dans la capitale du Mexique et établir d'autres services
longue distance dans ce pays a acquis les installations d'une
des entreprises de télécommunications établies
dans le District fédéral : Compañía
Telefónica y Telegráfica Mexicana, S.A.
Le 1er avril 1927, une importante société qui possède
des câbles télégraphiques sous-marins entre
divers points sur les côtes de l'Amérique latine
et entre celle-ci et les États-Unis, All America Cables,
Inc.15 est devenue une filiale d'ITT, qui à cet effet avait
le soutien financier de la Morgan Bank et de la National City
Bank. Par la suite, ITT a pris le contrôle des services
téléphoniques de Montevideo et du Chili et a acquis
une compagnie de téléphone brésilienne. Parallèlement,
il continue d'augmenter la capacité de ses sociétés
européennes de fabrication d'équipements, notamment
Standard Telephones and Cables, Thomson-Houston et Le Matériel
Téléphonique, et prend des participations dans des
usines hongroises, autrichiennes et yougoslaves.
Sept câbles télégraphiques sous-marins tendus
à travers l'océan Atlantique entre l'Europe et les
États-Unis, et un à travers le Pacifique, reliant
les États-Unis à la Chine, au Japon, aux Philippines,
à Guam, à Midway et à Hawaï, ont été
repris par ITT lorsque, le 18 mai 1928, il acquit le contrôle
des sociétés de télécommunications
que Clarence Mackay avait organisées des années
auparavant pour concurrencer Western Union, en particulier Postal
Telegraph et Commercial Cable.
L'opération, également soutenue par la Morgan Bank
et la National City Bank, a complété le réseau
international de communications filaires d'ITT, qui a pratiquement
garanti à cette société le contrôle
absolu des communications internationales en Amérique latine,
et lui a permis d'établir une tête de pont sur le
marché des communications aux États-Unis.
À la fin de 1928, les actifs d'ITT atteignaient plus de
389 millions de dollars et ses bénéfices totaux,
21,2 millions.
Entre 1928 et 1929, ITT a acquis la plus grande compagnie de téléphone
d'Amérique latine, la société britannique
United River Plate Telephone and Telegraph Corporation, qui contrôlait
75% des 210 000 téléphones alors installés
en Argentine.
Auparavant, elle avait acquis une société similaire,
bien que beaucoup plus petite, la Compañía Telefónica
Argentina. Par la suite, il a fondé Standard Electric Argentina,
avec son usine d'assemblage et d'installation d'équipements
à Buenos Aires, et l'International Radio Company, dont
les équipements sont utilisé pour inaugurer, en
1929, une liaison radiotéléphonique à ondes
courtes entre l'Argentine et l'Espagne, qui était à
l'époque la plus longue du monde et la première
entre l'Amérique du Sud et l'Europe.
Vers 1930, l'ITT contrôlait 55 % des téléphones
installés en Amérique du Sud.
Mais avant 1929, il n'y avait pas beaucoup de propriété
d'ITT dans le domaine des communications « sans fil »
internationales, qui était alors entré en concurrence
ouverte avec les câblodistributeurs, au point de les obliger
à réduire leurs tarifs. Le 28 mars 1929, la société
Behns a acquis RCA Communications, Inc., une filiale de Radio
Corporation of America.
Vu dans le Time du 17 juin 1929 : Affaires et
finances : les progrès de Behn
Les Behn exploitent déjà des
systèmes de communication au Mexique, à Cuba,
à Porto Rico, en Espagne, en Argentine, au Chili,
au Brésil et en Uruguay. La semaine dernière,
ils ont annoncé qu'IT&T avait obtenu les droits
d'exploitation de la téléphonie et du télégraphe
sans fil au Pérou et en Colombie. Avec cette acquisition,
toute la côte ouest de l'Amérique du Sud et
la côte est au sud de Sao Paulo, au Brésil,
ont vu leur industrie du sans fil entre les mains des États-Unis.
La concession d'IT & T. a été remportée
après de longues luttes avec les « intérêts
britanniques ». Le principal intérêt
britannique est la fusion British Radio-Cable, qui possède
le système radio Marconi et le plus grand réseau
de câbles au monde.
Mais avec environ 1 000 000 téléphones sud-américains
sur 1 500 000 sous contrôle américain, et avec
la dernière victoire de Behn au Pérou et en
Colombie, il semblerait que les communications sud-américaines
voyagent sur les ailes de l'aigle plutôt que sur le
rugissement du lion.
|
En 1930, dix ans après sa fondation, l'International
Telephone and Telegraph Corporation était devenue ... d'une
société de services téléphoniques
sur deux îles semi-tropicales à la plus grande société
de services téléphoniques en dehors des États-Unis,
la deuxième plus grande société de services
télégraphiques en Amérique du Nord, une entreprise
de câblodistribution avec un bras qui [concurrence] vigoureusement
à travers l'Atlantique, un bras à travers le Pacifique
et un troisième [s'étendant] en Amérique
du Sud, un participant actif à la mêlée radio
et un fabricant [faisant] une entreprise d'environ 70 000 000
$ par an.
Le bénéfice net d'ITT est passé de moins
de 2 millions de dollars en 1924 à plus de 100 millions
de dollars en 1929, tandis que son actif total est passé
d'environ 38 millions de dollars en 1924 à environ 535
millions de dollars en 1930.
sommaire
Cuba, zone de test ITT
Bien qu'à la fin des années 1920 et au début
des années 1930, Hernand Behn ait été plus
occupé que jamais à assurer le bon fonctionnement
des principales sociétés de services de télécommunications
ITT en Amérique latine et en Espagne, il a continué
à accorder une attention particulière au fonctionnement
de la Compagnie cubaine de téléphone, qui à
cette époque est devenue "l'unité la plus réussie
de toutes", selon l'expression du magazine Fortune.
Compte tenu des perspectives d'augmentation rapide du trafic téléphonique
entre Cuba et les États-Unis offertes dans la seconde moitié
de la décennie précédente, un quatrième
câble sous-marin de 206 kilomètres de long a été
posé entre La Havane et Key West en 1930. avec une capacité
de 7 téléphones canaux.
Mais vingt ans s'écouleront avant que les nouveaux câbles
téléphoniques sous-marins entre La Havane et Key
West ne soient mis en service, car ce n'est qu'en 1950 que deux
autres seront posés, et ce non seulement en vue de couvrir
l'augmentation future du trafic Cuba-États. Unis, comme
pour tester, dans des conditions normales de fonctionnement, le
comportement d'une nouvelle technologie basée sur l'utilisation
de câbles avec répéteurs immergés à
grande profondeur.
L'expérience ainsi acquise a été décisive
dans la conception finale des premiers câbles téléphoniques
transocéaniques, qu'AT&T et la poste britannique, en
collaboration, ont posés en 1956 entre Terre-Neuve et l'Écosse.
Les nouveaux câbles incorporaient des amplificateurs flexibles,
régulièrement espacés, conçus par
Bell Laboratories, basés sur des tubes électroniques
de longue durée, conçus pour amplifier les signaux
dans une seule direction, de sorte que chaque conversation téléphonique
nécessitait l'utilisation simultanée des deux câbles.
Bien que les longueurs de celles qui ont été posées
entre La Havane et Key West soient légèrement différentes
(213 et 232 km), chacune comportait 3 répéteurs
qui permettaient de transmettre sans difficulté, entre
les deux câbles, 23 voies téléphoniques et
24 voies télégraphiques simplex (12 dans un sens
et beaucoup d'autres dans le sens opposé).
De manière caractéristique, pendant de nombreuses
années, l'ITT a utilisé le territoire cubain comme
terrain d'essai pour les nouvelles technologies dans des conditions
d'exploitation commerciale, en vue de leur éventuelle généralisation
ultérieure.
Sans aucun doute, la société tenait pour acquis
que, étant donné la corruption proverbiale des fonctionnaires
du gouvernement existant dans le pays avant le triomphe révolutionnaire
de 1959, toute altération du service dérivée
de l'installation éventuelle dans le pays d'une technologie
déficiente n'entraînerait pas de conséquences
majeures.
Il est vrai qu'il y avait une dépendance du ministère
des Communications de Cuba, la Direction des services publics,
qui, selon la loi, devait être chargée de révéler
le bon fonctionnement des services téléphoniques,
électriques, etc., au profit du population, ainsi que de
prendre les mesures pertinentes nécessaires à cet
effet. Mais en pratique, cette dépendance n'a jamais rempli
sa mission avant 1959, puisque jusqu'alors elle avait fonctionné,
en pratique, comme un bureau délégué des
grandes entreprises de service public.
Un exemple de nouvelle technologie mise à l'épreuve
par l'ITT à Cuba, qui était déficiente et
préjudiciable au service téléphonique, était
la centrale électronique expérimentale
de type "rotatif" avec enregistrement électronique
à base de tubes à gaz (à vide), qui a été
installée à La Havane après la seconde Guerre
mondiale.
Bien que le nouveau système ait bien fonctionné
dans des conditions de laboratoire, il a complètement échoué
dans les conditions d'exploitation commerciale auxquelles il a
été soumis à La Havane.
L'incorporation dudit standard au réseau téléphonique
local a nui, pendant de nombreuses années, au bon fonctionnement
d'un grand nombre de téléphones de la capitale,
sans qu'aucune rectification ou indemnisation ne soit exigée
de la part de l'entreprise.
Au lieu de cela, ITT a tiré les conclusions pertinentes
du résultat négatif de son expérience et
a décidé de ne plus fabriquer de centraux téléphoniques
du même type.
Mais l'exemple le plus spectaculaire de l'importance de la plage
de test cubaine pour ITT a été le succès
obtenu dans le développement essentiellement réalisé
par AT&T, mais motivé par une demande de Sosthenes
Behn lui-même pour un coûteux système
expérimental de communications par diffusion troposphérique,
entre Guanabo (Cuba) et Florida City (USA), points éloignés
à près de 300 kilomètres l'un de l'autre.
Ce système permettait de faire parvenir des signaux ultra-haute
fréquence (UHF) stables bien au-delà de l'horizon,
de telle sorte qu'il permettait la transmission d'un canal de
télévision monochrome, ainsi que de 120 canaux téléphoniques.
Jusqu'à l'entrée en service des satellites de communication
et des câbles à fibres optiques, ce système
était le seul au monde capable d'établir des canaux
de communications commerciales à très haut débit
pour couvrir de longues distances sans stations de relais intermédiaires,
même par voie maritime. Inutile de dire que cela s'est traduit
par un impact commercial significatif sur le marché des
télécommunications longue distance.
Le système de transmission troposphérique «
au-delà de l'horizon » entre Cuba et les États-Unis
est entré en service en 1957 et a fonctionné
sans problème.
En conséquence, la voie a été ouverte à
l'ITT pour installer le même système entre Porto
Rico et la République dominicaine, entre la Sardaigne et
Minorque, entre l'Alaska et des endroits éloignés
du nord du Canada, et entre l'Europe et l'Afrique, en traversant
le détroit de Gibraltar.
sommaire
La fin de l'ITT à Cuba
Après la Seconde Guerre mondiale, la Cuban Telephone a
laissé le service téléphonique national se
détériorer progressivement jusqu'à des extrêmes
intolérables, alléguant qu'il lui serait impossible
de disposer du capital nécessaire pour normaliser le service
et assurer son expansion jusqu'à ce qu'une augmentation
considérable des tarifs soit autorisée.
Mais les gouvernements constitutionnels de l'époque n'ont
pas osé mettre en place une telle mesure, étant
donné que la création "des dividendes suffisants
pour attirer de nouveaux capitaux signifiaient [affronter] un
public déjà indigné par la dégénérescence
du service."
En représailles, la Cuban Telephone a annulé toutes
ses nouvelles constructions à Cuba, principalement sur
décision du général William Harrison, ancien
président et ingénieur en chef d'AT&T, qui avait
remplacé en 1948 Sosthenes Behn à la présidence
d'ITT.
À partir de 1953, plus aucun nouveau téléphone
n'a été installé dans le pays
Cuba était si précieux pour l'ITT pour tester
de nouvelles technologies prometteuses, que Harrison lui-même
a consenti à ce qu'une de ses filiales dans le pays, la
Radio Corporation of Cuba, continue de travailler conjointement
avec AT&T dans l'installation de la communication susmentionnée
par transmission troposphérique.
Six mois avant l'inauguration de cette liaison, l'ITT a enfin
obtenu l'autorisation de sa très attendue augmentation
des tarifs téléphoniques, officialisée par
le décret numéro 552 du dictateur Fulgencio Batista,
du 13 mars 1957.
La date portait un symbolisme tragique, puisque ce jour-là
le palais présidentiel avait été attaqué
par un commandement révolutionnaire qui cherchait à
exécuter le tyran, une action qui a laissé un bilan
sanglant de nombreuses victimes.
Cette même nuit, un éminent avocat et homme politique
qui s'était distingué pour sa lutte contre la hausse
des tarifs prônée par le téléphone
cubain, a été arrêté à son domicile
et assassiné de sang-froid par les forces de la tyrannie.
Quelques jours plus tard, une annonce payante parut dans la presse
nationale où, sous le titre "Merci, Monsieur le
Président" et sous la forme d'une lettre adressée
au tyran, le général Edmond Leavey, qui occupait
alors le poste de président de l'ITT, a clairement déclaré
:
J'ai très rarement rencontré, où que ce
soit, une personnalité de la vie publique ayant une compréhension
aussi large d'un problème que vous. Vous n'avez jamais
perdu de vue l'intérêt de la communauté et
vous n'avez cessé de penser à améliorer le
niveau de vie des Cubains. comme leur propre objectif. Pour cet
idéal et pour votre magnifique conception de ce que signifie
un service public, moi, personnellement, et tous les hommes et
femmes libres qui collaborent avec moi dans la Compagnie cubaine
des téléphones, sommes de tout cur avec vous.
[...] Merci beaucoup, Fulgencio Batista, président
de Cuba.
De toute évidence, cette déclaration flagrante en
faveur du régime corrompu et sanglant qui était
alors au pouvoir à Cuba par la force, visait à garantir
le soutien d'une dictature sanglante pour les intérêts
de l'ITT, une position similaire, soit dit en passant, à
la celle que la même transnationale avait précédemment
adoptée en Europe vis-à-vis des régimes nazi
et franquiste.
Mais sa publication à l'époque n'a fait qu'accroître
la méfiance du public à l'égard des raisons
invoquées pour justifier l'augmentation excessive des tarifs
téléphoniques qui avait été autorisée.
C'est pourquoi personne ne peut s'étonner que, deux mois
à peine après le renversement de la tyrannie
de Batista à Cuba, le gouvernement révolutionnaire
qui avait pris le pouvoir a ordonné l'annulation de ladite
augmentation, ainsi que l'intervention ultérieure de la
compagnie téléphonique cubaine, dont le nom a été
changé en Empresa Nacional
Telefónica "13 de Marzo", lors
de sa nationalisation , le 6 août 1960, en collaboration
avec d'autres sociétés américaines, en réponse
à la suppression du quota de sucre cubain par le gouvernement
américain.
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