Maroc , Makhzen L'Algérie, le Maroc et la Tunisie
sont tous d'anciennes dépendances de la France : Le Maroc couvre une superficie de 447 000 kilomètres carrés et, en 1992, ses habitants étaient au nombre de 26,2 millions (presque autant que l'Algérie). En 1990, 47 % de la population totale vivaient dans des zones urbaines et 4 % vivaient dans la capitale, Rabat. Contrairement à l'Algérie, le Maroc est un importateur de pétrole dont la principale exportation est le phosphate, une source majeure de ses ressources pour la croissance socio-économique. Le Maroc est une monarchie constitutionnelle, dans laquelle le roi règne avec un Parlement. Bien que dans les années 1960 et 1970, le roi Hassan du Maroc ait dissous le Parlement et gouverné par décret à plusieurs reprises lors des « urgences nationales », il a permis une sorte de démocratie limitée depuis 1977 et a mis l'accent sur la continuité institutionnelle et le maintien du système. De manière générale, le Maroc bénéficie d'une plus grande liberté de la presse que la Tunisie ou l'Algérie. Signalons au passage que le télégraphe
de Chappe vers 1845 à Figuig et le télégraphe sans
fils à Casa vers le début de 1907 ont été
initialement introduits pour répondre aux besoins des militaires
dans le cadre de lentreprise coloniale de la France. Le téléphone est arrivé au
Maroc en 1882 Adriano Rotondo a été assigné
comme vice-consul à la ville marocaine de Mazagán. Le standard de Tanger a été installé
dans la rue populaire et principale Siaghin, à l'intérieur
de la Médina, tout près des bâtiments principaux
et du siège des légations étrangères les
plus importantes. Exploiter le réseau téléphonique
de Tanger n'était pas une entreprise facile. En 1907, Moulay Abdelaziz, qui accordait lui
aussi beaucoup dintérêt au développement des
moyens de communication, ordonne lachat du matériel qui
va servir à la télégraphie sans fil. Multiple extensible Meknes 1936 Le 25 novembre 1924, le monopole de lEtat
marocain a été confirmé sur le Télégraphe
et le Téléphone avec fils et sans fils par le Dahir du
25 Novembre 1924 tel que modifié par celui du 6/7/1949. 1927 Le premier centre Strowger est installé à Rabat en 1927. Le 06 mars 1932 Le premier système R6
de la Compagnie Américaine Thomson-Houston fut installé
à Casablanca. Le système Rotary
7, dabord installé dans le Nord
du Maroc, étaient fabriqués par Standard Electrique, S.A.
En octobre 1913, le Maroc a signé une
convention avec les autorités françaises, qui a permis
la création de l«Office des
Postes, des Télégraphes et des Téléphones
». Les années de la fin du XIXe siècle
et du début du XXe ont ouvert la voie à une période
de turbulence au Maroc, car elle a été le théâtre
de luttes pour l'expansion coloniale des principales puissances européennes,
en dehors des tensions indépendantistes, qui a donné lieu
à la loi d'Algésiras de 1906 et à l'accord
franco-espagnol de 1912, qui ont ouvert l'ère des protectorats
français et espagnol au Maroc. En 1930, le 27 juin, marque la première
communication téléphonique entre la France et le
Maroc, obtenue par voie entièrement manuelle. Le téléphone automatique constitue, à cette époque, un événement partout où il s'installe. En 1935, cest une société du nom
de Telefonica qui décroche la concession du service public de
la téléphonie dans la zone de Tanger. 1953 COMPARAISON AVEC LES AUTRES PAYS D'AFRIQUE DU
NORD Les Commutateurs à barres croisées
: Crossbar Les câbles sous-marins téléphoniques: Au cours de lannée
1956, le Ministère des Postes Téléphone
et Télégraphe, qui sest chargé successivement
de : Les entités d'exploitation des télécommunications
de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie ont toutes été
créées sous le colonialisme et calquées sur le
ministère français des Postes, Télégraphes
et Téléphones (FIT), un département appartenant
au gouvernement. En 1964, fut installé à Tétouan un Centre de Transit utilisant cette technologie. Les Centraux téléphoniques numériques A partir de 1982, la commutation numérique a
été généralisée à lensemble
du réseau téléphonique, par le biais des technologies
E10 dAlcatel (France), AXE dEricsson (Suède), DMS
de Northon Telecom(Canada) et EWSD de Siemens (Allemagne). Le tournant du XIXe siècle Après lIndépendance, lOffice
se transforme en ministère; mais en 1984 on assiste à
un retour au modèle précédent Après la création de lONPT en 1984
et avant même ladoption de la loi 24-96 en 1997 relative
à la poste et aux télécoms, les autorités
marocaines ont commencé à alléger la pression du
monopole sur le secteur. Fin dun monopole Pour conclure, on peut affirmer que le secteur
des télécommunications au Maroc a connu trois grandes
étapes au cours de son histoire. La numérotation
Tous les numéros de téléphone au Maroc comportent 9 chiffres (à l'exclusion du 0). Le Maroc utilise un plan de numérotation
fermé, c'est-à -dire que le préfixe n'est pas omis pour
les appels locaux. Les préfixes fixes et mobiles appartiennent exclusivement à une seule compagnie de téléphone. Dans la liste suivante, les opérateurs
téléphoniques sont indiqués par les lettres suivantes:
1990
- Transition vers des nombres à 6 chiffres
|
Zone géographique | Avant le 13/10/2000 | Entre le 13/10/2000 et le 24/03/2006 | Entre le 24/03/2006 et le 07/03/2009 | Après le 07/03/2009 |
---|---|---|---|---|
Casablanca, Settat | 0....... | 02....... | 02....... | 052....... |
Rabat, Tanger, Tétouan | 0....... | 03....... | 03....... | 053....... |
Agadir, Marrakech | 0....... | 04....... | 02....... | 052....... |
Fès, Meknès, Oujda | 0....... | 05....... | 03....... | 053....... |
Réseaux moiles | 0....... | 06....... | 06....... | 066....... |
Réseaux mobiles | 01....... 07....... |
01....... 07....... |
061....... 067....... | |
Réseaux mobiles | 04....... 05....... |
064....... 065....... |
||
Services sans frais et à frais partagés | 08ab-cdef | 08ab-0-cdef | 08....... | 080....... |
Services à tarif majoré | 92.... | 09-292.... | 09....... | 089....... |
LA FRANCE ET L'ESPAGNE AU MAROC PENDANT LA PÉRIODE DU PROTECTORAT (1912-1956) Le 27 novembre 1912, au Palais de Santa Cruz de Madrid, le Ministre d'Etat Garcia Prieto et l'Ambassadeur Léon Geoffray signaient une convention ayant pour objet de "préciser la situation respective de la France et de l'Espagne à l'égard de l'Empire chérifien' et, par la même occasion, de "mettre en harmonie leurs intérêts au Maroc". La négociation en avait été
longue et difficile. On aurait même pu la considérer
comme la dernière phase de conversations engagées
dès 1902, en tous cas comme la suite logique d'un
précédent accord secret du 3 octobre 1904, découlant
lui-même de la fameuse déclaration franco-britannique
du 8 avril précédent (l'Entente Cordiale), dont
l'article 8 avait "pris en particulière considération"
les intérêts de l'Espagne au Maroc. Reprenant, presque mot pour mot, les termes de
l'article 8 de la déclaration franco-britannique, le traité
de Protectorat, signé à Fez le 30 mars 1912, avait
stipulé que le gouvernement français se concerterait
avec le gouvernement espagnol au sujet des droits et intérêts
que celui-ci tenait de sa situation géographique et de
ses possessions sur les côtes marocaines.Aussi
bien, de par la convenion de Madrid, la France reconnaissait-elle
à l'Espagne une zone d'influence dans laquelle il lui appartiendrait
de veiller à la tranquilité, et de prêter
au gouvernement chérifien son assistance pour toutes réformes
administratives, économiques, financières, judiciaires
et militaires dont il a besoin. En application de ces principes, les 29 articles du convenio présentaient un caractère soit politique, soit administratif et technique. Dans la première catégorie : l'engagement de l'Espagne à n'aliéner ni céder, sous aucune forme, ses droits sur tout ou partie du territoire de sa zone d'influence (art. 5) ; la confirmation des clauses, datant des traités de 1904, de non-militarisation afin d'assurer le libre passage du détroit de Gibraltar (art. 6) ; la délimitation de la future zone de Tanger, qui serait dotée d'un régime spécial (art. 7) ; la réaffïrmation du privilège de la France en matière diplomatique (art. 1), sous réserve cependant que les accords internationaux conclus à l'avenir par le Sultan ne s'appliqueraient à la zone espagole que du consentement du gouvernement de Madrid (art. 26), et que les sujets marocains originaires de la zone d'influence seraient placés, à l'étranger, sous la protection diplomatique et consulaire de l'Espagne. Dans la seconde catégorie, de nombreuses dispositions, minutieusement détaillées, d'ordre financier ou comptable, conviennent de la répartition, entre les deux zones, des charges des emprunts ou des recettes des douanes, de l'exercice des privilèges de la Banque d'Etat ou de la Régie cointéressée des tabacs, enfin, un long protocole annexe relatif à la concession et à l'exploitation d'une ligne de chemin de fer de Tanger à Fez. Toutes ces dispositions avaient été mises au point, à Madrid, par une commission mixte à laquelle nous représentait le Ministre plénipotentiaire Guiot, délégué du contrôle de la dette. Au lendemain de la signature du convenio, André Tardieu écrivait dans la Revue des deux mondes : "Penelope a tissé sa toile, il faut maintenant oublier la difficile genèse de l'accord si l'on veut en retenir le fruit tardif. Et, en substance, Raymond Recouly dans la Revue politique et parlementaire : les négociateurs ont, visiblement, essayé de tout prévoir et de régler à l'avance toutes difficultés prévisibles ; mais il pourra s'en présenter d'autres, insoupçonnées, en sorte que ce compromis, qui ne pouvait d'ailleurs être autre chose, ne vaudra que par l'esprit dans lequel il sera appliqué. Encore ne pouvait-on pas prévoir, en cette fin d'année 1912, tous les changements d'ordre intérieur, tous les événements d'ordre extérieur, dont les deux puissances allaient être le théâtre ou subir les répercussions, les entraînant à des prises de position de politique générale qui les éloigneraient plus souvent l'une de l'autre qu'elles ne les rapprocheraient, et dont leurs relations, sur le plan strictement marocain, auraient forcément à subir le contre-coup. Aussi bien, avec le recul du temps, peut-on distinguer, dans leurs relations interzonales, deux grandes périodes. La première, marquée par le désir manifeste d'entente et de collaboration, en dépit de dissentiments passagers . La seconde, au contraire, d'antagonisme manifeste, en dépit de certaines tentatives de détente, sous le signe de ce qu'un diplomate espagnol, dans une conversation avec l'un de ses collègues français, qualifiait un jour de "camaraderie de capitairtes" entre vétérans de la guerre du Rif : les généraux Noguès et Orgaz, puis Juin et Varela. La coupure entre les deux périodes étant marquée par le pronunciamiento du Général Franco en 1936. En février 1913 les Espagnols installent à Tetuan leur premier Haut Commissaire, le Général Alfau, et font désigner, comme Khalifa, par le Sultan Moulay Youssef, son propre frère, Moulay El Mehdi. Mais les débuts de leur pénétration militaire sont difficiles. Elle dépend, dans une large mesure, du puissant Cald el Raissouli, qui tient le triangle Larache-El Ksar-Xaouen, et se montre, selon les circonstances, allié plus ou moins réticent, adversaire plus ou moins déclaré. Aussi des voix ne tardent-elles pas à s'élever, en Espagne métropolitaine, contre la poursuite d'une opération aussi ruineuse que décevante. La moindre d'entre elles n'est pas celle du Gouverneur militaire de Cadix, un certain Général Primo de Rivera, qui, reçu en 1917 à l'Académie de la province, y prononce un retentissant discours qui le fait aussitôt relever de son commandement. Après s'être montré favorable, dès que les circonstances pourraient s'y prêter, à un échange avec l'Angleterre entre Gibraltar et Ceuta, il s'autorise des commandements qu'il a exercés au Maroc pour préconiser l'abandon de la zone d'influence "en faveur de qui la désire ardamment" (propos immédiatement soulignes, comme on pense, par notre presse spécialisée), un abandon, ajoutait- il, largement compensé par les avantages qu'en raison de sa situation géographique l'Espagne tirerait du point de vue économique et commercial, "d'un Maroc civilisé par d'autres". Pendant la guerre 1914-18, les germanophiles, nombreux et influents en Espagne, escomptent d'une victoire allemande le renversement complet du régime de 1912 au Maroc. L'armistice de 1918 leur apporte une pénible désillusion. Aussi bien le Gouvernement va-t-il s'entendre reprocher de n'avoir pas su profiter des circonstances pour étendre son action au Maroc, que ce soit d'ailleurs (selon l'ancien Ambassadeur Perez Caballo dans une interview à Y ABC en 1924), faute de n'avoir pas su donner à sa neutralité un caractère assez amical envers la France ; ou, au contraire (beaucoup plus tard, en 1955, selon M. Garcia Figueras, ancien secrétaire général du Haut Commissariat) d'y avoir négligé ses propres intérêts pour ne pas créer de difficultés à la France. Dans certains milieux, la crainte de voir les Alliés victorieux évincer complètement l'Espagne du Maroc fait naître l'idée de se prévaloir de "l'esprit d'une mission civilisatrice commune" dont se sont inspirées les promesses de 1904 et les réalisations de 1912, pour demander que la voix de l'Espagne puisse se faire entendre au Congrès de la Paix. Le Comte de Romanonès, Président du Conseil, se rend d'urgence à Paris. Il en rapporte l'assurance, que, seules, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie seraient mises en demeure d'abandonner leurs droits et privilèges, que les accords franco- espagnols ne seraient, d'aucune manière, remis en cause, et que l'Espagne pourrait donc, en toute liberté d'action, poursuivre son uvre de pénétration et d'organisation. La guerre n'avait d'ailleurs pas arrêté la mise en train des relations inter- zonales. Dans la période 1915-16 avaient été conclus, entre Paris et Madrid, toute une série de conventions techniques ayant pour objet de régler les relations postales, judiciaires et autres de zone à zone. De leur côté, sur place, les Autorités militaires respectives avaient conclu des arrangements en vue de la remise des déserteurs. Mais l'avenir même de la zone espagnole se trouve gravement compromis par le véritable derrubîamiento qu'en juillet 1921 subit à Anoual, sur la route d'Adjdir, l'armée du Général Sylvestre, qui, s'étant éloigné de Melilla sans assurer suffisamment ses arrières, perd quelques 20 000 hommes et se suicide sur le champ de bataille. Non seulement s'en trouve consolidé le prestige du jeune chef riffain, Mohamed ben Abd el Krim, qui a mené l'attaque. D en retire, par surcroit, un très substantiel trésor de guerre provenant du rachat, à prix d'or, de quelques 1 500 prisonniers. L'affaire a, comme on s'en doute, un immense retentissement en Espagne, où elle provoque, une fois de plus, un profond découragement. Ramené dans l'opposition par le jeu du turno politico, le Comte de Romanonès, qui, en 1919, dans un discours au demeurant diversement apprécié, avait affirmé la nécessité pour l'Espagne d'une union intime avec la France dans le cadre d'une large alliance des puissances méditerranéennes, prend de nouveau la parole à Seville, en avril 1922, pour déplorer qu'en 10 ans, la collaboration franco-espagnole au Maroc n'y ait pas réussi à réaliser la coordination des opérations militaires, et conclure qu'une "explosion d'éclaircissements et de sincérité" s'imposait désormais sans plus tarder. C'est Abd el Krim, le vainqueur d'Anoual, qui va indirectement s'en charger. D'abord en contraignant les Espagnols, au printemps de 1924, à reculer leur ligne de défense jusqu'aux avancées de Tetuan. Puis, un an plus tard, en avril 1925, en lançant sur le glacis de l'Ouergha, ainsi découvert par le repli stratégique de nos voisins, une véritable ruée, destinée, du moins dans l'esprit de son entourage, à le conduire à Fez, y détrôner "le Sultan des Roumis". Lyautey n'avait été nullement surpris d'une attaque, dont un journaliste américain de retour d'une enquête dans le Rif lui avait même indiqué la date approximative, qu'il redoutait de longue date, et en prévision de laquelle, pour y parer dans la mesure des moyens dont il disposait, il avait établi une nouvelle ligne de postes sur l'Ouergha et au Nord d'Ouezzan. Mais c'était sans succès que, dans l'une de ses célèbres et lumineuses directives du 20 décembre 1924, exprimant au Gouvernement ses craintes d'un retrait complet des Espagnols, ne voulant, à aucun prix, se trouver entraîner à "mettre les pieds dans le guêpier du Rif", il préconisait une action dans notre propre zone "pour rendre à Abd el Krim le sentiment de notre supériorité", et sollicitait avec la plus vive insistance les renforts qu'il jugeait indispensables. L'aggravation, aussi rapide qu'inquiétante, de la situation rend nécessaire la réunion d'une conférence franco-espagnole qui se tient à Madrid en juin-juillet 1925. Nous y sommes représentés par l'ancien Ministre Louis Malvy qui, durant son exil de 1918, a noué en Espagne d'utiles amitiés, et par notre Ambassadeur, le Comte de Peretti de la Rocca. Plusieurs accords de circonstance jettent les bases d'une collaboration devenue indispensable. Elle se concrétise aussitôt, le 21 août, à Algésiras, par une prise de contact entre le Général Primo de Rivera et le Maréchal Pétain, que le Cabinet Painlevé vient de charger de la direction supérieure des opérations militaires (ce qui, comme on sait, va provoquer la démission du Maréchal Lyautey et son remplacement par l'ancien Ministre Théodore Steeg). Puis, à l'automne, par la participation d'une division de torpilleurs français au débarquement de contingents espagnols dans la baie d'Alhucemas. Enfin, par une nouvelle conférence militaire Primo-Petain à Madrid, en février 1926, pour y convenir des objectifs et des moyens d'exécution d'une offensive de printemps. Par l'un des accords de Madrid, du 11 juillet 1925, les deux gouvernements s'étaient engagés à ne négocier ni traiter séparément avec les Riffains, mais ils envisageaient aussi la possibilité de leur reconnaître, sur l'étendue d'un territoire à déterminer au cours de négociations, "toute l'autonomie compatible avec les traités en vigueur". Parfaitement conforme à l'état d'esprit qui régnait alors à Madrid, de même qu'aux idées personnelles du Dictateur qu'il avait maintes fois reprises depuis son discours de Cadix, cette déclaration d'intention, si elle avait été suivie d'effet, aurait évidemment porté, au profit d'Abd el Krim et au détriment de l'Espagne, une très sérieuse et peut-être irrémédiable atteinte au système de 1912. Quant à l'engagement de négocier ou traiter séparément avec les Riffains, il mettait brusquement un terme aux sondages qu'à titre naturellement personnel, mais non sans y avoir été autorisé par la Résidence générale, le Contrôleur civil Léon Gabrielli, chef du poste de Taourirt, (principal lieu de passage entre le Rif et les confins algéro-marocains) avait commencé d'entreprendre à l'instigation du Caïd Haddou, l'un de ses anciens chaouchs de la région d'Oujda, devenu l'un des familiers d'Abd el Krim. C'est sous la conduite du Caïd qu'il s'était rendu, le 28 juin 1925, à la zouia du Cap Quitadés, sur la baie d'Alhucemas, où il avait été reçu par Abd el Krim et avait eu d'autres entretiens avec ses deux beaux-frères et principaux lieutenants, Azerkane et Bou Djibar. Il avait retenu de ces conversations qu'Abd el Krim ne visait pas au Sultanat, qu'il était même prêt à s'effacer si sa présence devenait gênante, mais qu'il n'entendait, à aucun prix, traiter avec l'Espagne : celle-ci n'avait "dû son sursis" qu'à l'ouverture du front français sur l'Ouergha, et sa carence avait dores et déjà rendu caducs ses engagements de 1904 et 1912. Mais, à l'inverse, rien n'empêchait deux belligérants, comme l'étaient présentement le Rif et la France, de s'entendre sur des conditions de paix, qui reconnaîtrait l'indépendance de l'un, l'autorité de l'autre sur sa zone marocaine. Conséquent avec lui-même, Abd el Krim refuse, en août 1925, d'accueillir la commission mixte, dont Gabrielli fait naturellement partie, constituée à Oujda afin de lui présenter les conditions de paix arrêtées par les deux Gouvernements. C'est encore notre souci de solidarité avec Madrid qui fait échouer, en décembre, un second voyage de Gabrielli, invité par Azerkane à venir voir nos prisonniers, et, par la même occasion, "discuter d'une entente désirée et désormais possible". La Résidence générale avait, en effet, subordonné son autorisation à la condition, refusée par Abd el Krim, que Gabrielli pourrait, en même temps, s'occuper des prisonniers espagnols. Nouvelles ouvertures riffaines, en février 1926, évidemment dans la crainte d'une offensive de printemps. Gabrielli en est saisi à Taourirt, par une première visite d'Haddou, une seconde d' Azerkane, à laquelle vient assister le Général Mougin, chef du cabinet militaire du Résident général. Elles ne sont plus foncièrement incompatibles avec le convenio de 1912. Azerkane laisse entendre qu'Abd el Krim, dans son très vif désir de répondre à celui de la France, serait disposé à recevoir communication des conditions offertes par le Sultan (dont il ne conteste donc plus la souveraineté) "représenté par les deux gouvernements auxquels il a donné mandat de protection'*. Le 31 mars, Abd el Krim fait confirmer son accord pour des entretiens à trois, pourvu que ses représentants soient autorisés à discuter des propositions qui leur seront faites. C'est la conférence d'Oujda, qui, ouverte le 22 avril, se termine le 7 mai sur un échec total. Mais Abd el Krim sait pertinemment qu'il ne peut plus livrer que le traditionnel baroud d'honneur. Pressé, d'un côté, par nos forces, de l'autre par celles de nos voisins, réduit aux abois par la défection de l'importante tribu des Béni Ouriagel, il fait, le 26 mai, sa soumission au Colonel Corap. D échappe ainsi à la vindicte des Espagnols, dont quelques jours auparavant, il a fait massacrer un groupe de prisonniers. L'affaire du Rif se termine à Paris en une sorte d'apothéose. Le Général Primo de Rivera, le Sultan Moulay Youssef, venu inaugurer la Mosquée de la place du Puits de l'Ermite, assistent, aux côtés du Président Doumergue, à la revue du 14 juillet sur les Champs Elysées. Deux derniers accords sont signés au Quai d'Orsay. L'un, par échange de lettres, décide du sort d'Abd el Krim, qui sera déporté, avec les siens, dans l'île de la Réunion. L'autre, d'une portée plus générale, convient de reprendre les opérations de délimitation entre les deux zones (elles seront, sinon achevées, du moins ratifiées, et des lignes d'usage s'établiront de proche en proche), et organise le régime des confins interzonaux, comportant, en particulier, des échanges de vues réguliers entre hautes autorités voisines, permettant d'examiner et de réviser les cas exceptionnels qui mettraient en jeu les intérêts communs des deux zones. Abd el Krim une fois éliminé, la pacification de la zone espagnole peut être considérée comme achevée dans le courant de l'année 1927. Elle sera, de la sorte, portée au crédit de la dictature Primo de Rivera, ce qui, au départ, aurait pu sembler assez inattendu. L'Espagne se trouvant désormais, selon l'expression du Professeur Robert Montagne, "en mesure de remplir ses obligations interzonales", une sorte de régime de croisière va pouvoir s'établir entre la Résidence générale et le Haut Commissariat. Il s'agit principalement de réunions périodiques, la plupart du temps de pure routine, entre hauts fonctionnaires des deux zones (avec participation éventuelle de celle de Tanger, dont le Statut, établi par la convention tripartite du 18 décembre 1923, entre en vigueur le Ie juillet 1925), afin d'assurer l'exécution de toutes les clauses économiques et financières du convenio de 1912. Quelqu'ait été, en effet, le souci de ses négociateurs de réserver au Haut Commissariat (de même qu'à l'administration internationale de Tanger) la plus large liberté d'action, ils n'avaient pu faire abstraction du principe de l'Unité de l'Empire, entraînant, entre chaque zone, la répartition et la ventilation des charges et obligations souscrites antérieurement par le Maghzen, ou des recettes douanières perçues à l'entrée du territoire. Ces réunions interzonales, chaque fois prétextes à d'amicales et agréables réceptions mondaines, se révélaient souvent plus difficiles sur le plan des affaires, en raison, d'abord, de leur complexité, et aussi de l'inévitable disproportion, non sans analogie avec ce qui s'était passé au lendemain d'Algésiras, entre les ressources financières, agricoles et industrielles des zones respectives, la zone territoriale, la part du lion. Aussi bien nos interlocuteurs pouvaient-ils avoir le sentiment, dans ces négociations inter- zonales, de ne pas partir à égalité, ce qui ne pouvait, fort légitimement d'ailleurs, que les inciter à défendre avec plus de vigilance les intérêts dont ils avaient la charge. D'autre part, le long de la limite interzonale, où les postes de contrôle se trouvaient plus ou moins enchevêtrés au petit bonheur des hasards de la pénétration (certains des nôtres y demeureront enclavés jusqu'à la fin du Protectorat), les multiples incidents quotidiens de la vie locale, fréquentation des marchés, répression de la contrebande, passages clandestins de malfaiteurs ou déserteurs, alimentent tout un petit contentieux dont le règlement provoque échanges de correspondances, ou mieux encore, d'entretiens entre autorités voisines de contrôle. Tout cela est, bien entendu, surtout affaire de tempéraments personnels, plus ou moins ouverts ou réservés, d'affinités, de sympathies, ou, au contraire, de réticences, mais, d'une façon générale, s'inspirant d'un esprit de bon voisinage et de camaraderie que favorise l'éloignement de ces petits postes, pour la plupart perdus en plein bled. Ces relations ne se gâteront parfois qu'en fonction de circonstances extérieures au Maroc, telles que la guerre civile espagnole ou la seconde guerre mondiale. Mais, sur un plan beaucoup plus général, les négociateurs du convenio n'avaient pu éviter qu'il ne fût entaché, dans son principe même, d'une grave équivoque. Le gouvernement français et la Résidence générale, au demeurant mandataires du gouvernement chérifien et responsables du respect dû à la souveraineté chérifienne, en déduisaient que les délégations consenties à l'Espagne se limitaient à l'exercice d'une simple autonomie administrative, comme l'expression s'en trouvait couchée dans plusieurs articles du traité. Le gouvernement espagnol et le Haut Commissariat, se réclamant d'ailleurs de l'esprit dans lequel avait été menée la négociation, avaient, non moins naturellement, tendance à interpréter beaucoup plus largement la portée de la délégation générale et permanente en vertu de laquelle le Khalifa exercerait tous les droits appartenant au Sultan, jusqu'à lui attribuer tous les signes extérieurs de la souveraineté, ce qui ne pouvait être vu que d'un très mauvais il par le Maghzen de Rabat. Enfin, les relations interzonales ne pouvaient que dépendre des personnalités des deux "grands patrons" de Rabat et de Tetuan. Malheureusement, les fréquentes mutations de hauts commissaires espagnols, conséquences des fluctuations politiques à Madrid jusqu'à la stabilisation du Franquisme (le reproche allait,, de-- lors, se retourner contre nous) n'étaient guère de nature à faciliter l'établissement, entre eux, de sentiments d'amitié et de confiance réciproques. De même que le développement des transports aériens allait rendre inutile l'escale de Madrid, dont Lyautey profitait pour y préconiser inlassablement "une entente la main dans la main" entre les deux "puissances mandataires", et où le Pyrénéen Lucien Saint aimait, lui aussi, s'arrêter pour y "causer du Maroc". Aussi bien, au fil des ans, et d'autres facteurs intervenant, eux aussi, les relations personnelles entre les "grands patrons" eurent-elles tendance à se raréfier, jusqu'à se réduire souvent au simple échange de politesses protocolaires. Les divergences politiques entre les deux zones s'affirment à partir de 1930, lorsque le fameux "dahir berbère" provoque, en zone française, des remous auxquels ne s'étaient sans doute pas attendu ses auteurs, et fournit une excellente plateforme de départ aux jeunes nationalistes, promoteurs du mouvement qui deviendra un jour celui de Ylstiklal Les principaux d'entre eux passent en zone espagnole, d'où ils peuvent, à loisir, poursuivre leurs attaques contre l'administration française du Protectorat et correspondre à loisir avec notre vieil adversaire l'Emir Chekib Arslan, qui anime, à Genève, le Comité syro-palestinien. Au demeurant sans graves inconvénients pour le Haut Commissariat, qui garde toujours la faculté d'opposer la tendance sultanienne, en quelque sorte intégriste, des transfuges Mekki Naciri ou Brahim et Ouezzani, à celle, khalifienne et plus ou moins séparatiste à cette époque, d'Abdelkhalek Torres. De même qu'en 1934, lorsque nos opérations de pacification dans l'Anti-Atlas délogeront le "Sultan bleu" Merrebi Rebbo de son Agadir de Kerdous, il ira, au Cap Juby, se mettre au service des Espagnols. En avril 1931, la chute de la Monarchie et l'instauration delà République, marquées, à'Tetuan, par quelques échauffourées entre Espagnols et quelqu'effer- vescence au camp du Tercio de Dar Riffîen, n'avaient pratiquement pas eu de répercussions notables au sein des tribus campagnardes. En octobre 1933, un voyage officiel du Président Zamora, terminé par une imposante prise d'armes en présence du Khalifa Moulay el Hassan et du Ministre délégué Urbain Blanc, venu saluer le Président en l'absence du Président général Henri Ponsot, se déroule dans d'excellentes conditions. Le changement de régime en Espagne n'avait cependant pas été sans faire naître de graves incertitudes sur le sort même de la zone. Dans un retentissant discours électoral prononcé à Bilbao, le Ministre des Finances Indalacio Prieto avait en effet annoncé l'intention de remettre à la Société des Nations l'exercice d'un "protectorat" trop onéreux et d'un avenir trop incertain. Le bruit avait aussitôt couru, aussitôt démenti, il est vrai, par l'Ambassade d'Espagne à Paris et le secrétariat de l'organisme de Genève, que les notifications nécessaires auraient été faites auprès de la Commission des Mandats, alors en session. De son côté, la Résidence générale s'était empressée de rappeler, dans un communiqué officiel, le double principe de l'exclusivité du Protectorat au profit de la France, et de l'inalienabilité de la zone espagnole. En fin de compte, et à la suite d'une mise au point, assez embarrassée, de l'imprudent orateur, le Ministre des affaires étrangères, Alejandro Lerroux, avait précisé que son gouvernement considérait la zone non comme une colonie, mais comme une tête de pont civilisatrice, de laquelle il n'avait aucun intention de se dessaisir. Le nouveau Haut Commissaire, un civil, Lopez Ferrer, ancien consul d'Espagne à Tetuan avant le Protectorat, fait observer de son côté que la zone ne constitue pas un simple prolongement, outre-mer, de la Métropole, et qu'une autre souveraineté y doit être respectée. Venu à Rabat, en décembre 1931, prendre contact avec le Résident général Lucien Saint qui le présente au Sultan Sidi Mohamed, il s'y déclare partisan résolu du resserrement des relations entre les deux zones. Un an plus tard, fin juillet 1932, des ouvertures à notre Ambassadeur Jean Herbette, tendant à "hâter le règlement de quelques affaires concernant le Maroc", et nous proposant de déléguer à cet effet le spécialiste en la matière qu'était l'Ambassadeur Aguire de Career, ne sont pas poussées plus avant, dès que la Quai d'Orsay, dirigé à l'époque par le Président Herriot, laisse entrendre que toute revendication espagnole sur le territoire de la confédération des Béni Zeroual au Nord de Fez (qu'un des accords de 1925 nous a autorisés à occuper sans limitation de durée) entraînerait de notre part des demandes de compensations dans le Sud-Marocain, où les régions sous contrôle espagnol servaient couramment de refuge aux dissidents de notre zone* refoulés par nos opérations de pacification, et de places d'armes aux redoutables rezzous nord-sahariens. A l'inverse, c'est en parfait accord avec Madrid que nos opérations de 1934, par lesquelles s'achève la pacification de l' Anti-Atlas et de la Région du Drâ, vont permettre à nos voisins de prendre effectivement possession de la petite enclave d'Ifni, identifiée, à tort ou à raison, avec l'ancien établissement de pêcheries qu'ils avaient fondé, au XVIe siècle, à Santa Cruz de Mar Pequena, et que le Général Huré, à l'état major duquel avait été attaché un officier supérieur espagnol, avait reçu l'ordre de contourner. Le 8 avril 1934, le Colonel Capaz, directeur des affaires indigènes au Haut Commissariat, (qui périra tragiquement dans une prison madrilène pendant la guerre civile), après quelques jours d'habiles travaux d'approche au Cap Juby, y débarque sans avoir à tirer le moindre coup de fusil. Dès que l'état de la mer permet l'arrivée des troupes nécessaires, il atteint sans difficulté, avec l'aide efficace de Merrebi Rebbo, les limites conventionnelles de l'enclave, telles qu'elles ont été fixées par le convenio de 1912 à 25 kilomètres du rivage. Elles ne seront d'ailleurs, elles non plus, jamais abornées, la commission mixte de délimitation ayant interrompu ses travaux sine die à la suite du pronunciamiento de juillet 1936. Tout comme en bordure du Rif, postes français et espagnols vont s'y trouver plus ou moins enchevêtrés, mais les nombreux incidents résultant de cette situation, dûs, la plupart du temps, au zèle intempestif des patrouilles de mokhazenis, resteront sans gravité et pourront être réglés, sur place, dans un esprit de bon voisinage. En juillet 1936, le pronunciamiento du Général Franco, qui trouve en zone espagnole ses bases logistiques et le soutien total du corps d'occupation, pose pour le Gouvernement Léon Blum et la Résidence générale, un embarrassant cas de conscience. Faisait-il jouer, aux termes de l'article 3 du traité de Protectorat, notre engagement de prêter au Sultan notre appui contre un danger susceptible de menacer la tranquilité de certaines régions de notre Empire ? Devions-nous au contraire considérer que le convenio nous avait formellement déchargés de cette responsabilité sur l'Espagne, et, qu'en conséquence, nous n'avions d'aucune façon à intervenir dans ces régions entrées en dissidence, non d'ailleurs contre le Sultan ni son Khalifa, mais seulement contre le Gouvernement et le régime républicains de Madrid ? L'option, en fin de compte, pour la seconde proposition ne pouvait d'ailleurs nous dispenser de suivre de très près les événements, dans la mesure où ils pourraient porter atteinte au respect de la souveraineté chérifienne, à nos relations normales avec les autorités légales espagnoles, enfin à la sécurité des personnes et des biens de nos ressortissants en zone espagnole (comme allait s'en présenter le cas en août 1936, lorsqu'un citoyen français, Barthélémy Aguilar, impliqué dans une affaire de désertion, sera sommairement exécuté à Bab Taza, dans la province de Xaouen). Ces différentes préoccupations se retrouvent dans une fethoua (proclamation solennelle) qu'à la demande du Général Noguès le Sultan Sidi Mohamed lance à son peuple le 6 septembre 1936. Il y exprime sa tristesse de voir des luttes intestines déchirer un pays ami, chargé par les traités d'exercer son influence sur certaines parties de son Empire. Il déplore que certains de ses sujets s'y soient trouvés mêlés, non pour défendre le gouvernement espagnol contre une agression extérieure, mais pour servir les entreprises de ses adversaires politiques. Il exprime sa confiance au gouvernement français pour prendre, de concert avec le Maghzen, toutes mesures de nature à empêcher ses sujets de se joindre à la lutte, et assurer la sauvegarde de sa souveraineté, garantie par les traités. Les premières de ces mesures (sur lesquelles le rejet, par le Haut Commissariat, de nos demandes de réparations et d'indemnisation dans l'affaire Aguilar ne semblent pas avoir été sans influence) sont d'ordre économique. Un premier dahir, du 8 septembre 1936, institue des contrôles réglementaires sur le transit et le transbordement des denrées alimentaires à destination de la zone en dissidence. Un second, du 22 septembre, d'une portée beaucoup plus générale, interdit purement et simplement toutes transactions commerciales entre les deux zones. Malgré la recrudescence de la contrebande, comme toujours en pareil cas, la zone espagnole se trouve ainsi coupée de ses sources coutumières de ravitaillement, mais, par contre-coup, nos exportateurs de bon nombre de leurs débouchés ou marchés. D'où de nombreuses protestations, non sur le principe et le bien fondé du dahir, mais sur la forme des interdictions qu'il édicté. Le Bulletin du Comité de l'Afrique française observe, non sans raison, qu'aucune de ces critiques ne se fonde sur le seul argument qui aurait pu valablement être invoqué, celui de l'atteinte ainsi portée à l'Unité de l'Empire. Le fethoua du 6 septembre visait également les mouvements, à la vérité traditionnels et tolérés de longue date, mais dont l'amplitude venait de prendre d'inquiétantes proportions, des engagements volontaires d'indigènes de la zone française dans les mehallas khalifïennes, où les attirait une active propagande d'alléchantes promesses de soldes et d'avantages de carrière. C'est pour essayer d'enrayer cet exode qu'un dahir du 27 février 1937 interdit à tout sujet de S.M. Chérifienne de prendre du service dans les forces armées espagnoles, à tout personnel de nationalités française ou étrangère de quitter la zone française pour se rendre, à cette intention, en Espagne métropolitaine ou ses possessions extérieures. Les départs clandestins n'en continuent pas moins, pour atteindre leur maximum fin 1937. Ils diminueront par la suite, à mesure que se prolongeront les hostilités et que s'allongeront les listes des pertes. L'appui militaire, naval et aérien dont bénéficie le pronunciamiento de la part de Hitler et de Mussolini n'est pas sans préoccuper gravement le Général Noguès, qui, en février 1937, peut écrire au Quai d'Orsay : "le Reich a fait sa réapparition au Maroc à la faveur de la sédition militaire espagnole". Des bruits persistants, qui, si exagérés qu'ils aient probablement été, ne manquaient cependant pas d'une certaine consistance, pouvaient en effet faire redouter l'utilisation logistique de la zone d'influence par des détachements, dont les débarquements auraient même été signalés, notamment à Melilla. Le Général Noguès avait tout aussitôt chargé notre Consul à Tetuan de rappeler au Haut Commissariat l'interdiction pour les deux puissances de laisser entrer des troupes étrangères sur le territoire chérifîen. Le Colonel Beigbeder, qui assume les fonctions de Haut Commissaire, sans nier que le Général Franco avait eu recours à certains techniciens allemands, dont le séjour à Tetuan avait d'ailleurs été de durée limitée, répond à notre Agent qu'il est parfaitement au courant des dispositions des traités, et qu'on peut lui faire confiance pour "ne pas déclancher une catastrophe dont le mouvement nationaliste espagnol serait la première victime". De son côté, notre Ambassadeur à Berlin, M. André François Poncet, signalait les "calomnies incendiaires" de la presse contre la France, accusée de venir au secours des marxistes espagnols aux abois, et du même coup, s'emparer de la zone espagnole. Cependant, lors de la réception de nouvel an du Corps diplomatique, Hitler lui avait formellement déclaré que l'Allemagne n'avait aucune intention de prendre pied sur une parcelle quelconque du territoire appartenant à l'Espagne. En cette même occasion, Hitler et son Ministre des Affaires étrangères von Neurath avaient également donné à l'Ambassadeur de Grande Bretagne, Sir Nevil Henderson, l'assurance que l'Espagne n'entretenait aucune visée sur le Maroc espagnol, et rejeté sur la France la pleine et entière responsabilité de l'émotion créée par ces bruits . Ils étaient, en tous cas, symptomatiques du climat psychologique qui s'était développé depuis que la position prise par le gouvernement Léon Blum avait paru entrainer le Protectorat dans une politique hostile au mouvement franquiste, dont les mesures restrictives prises en zone française pouvaient paraître autant d'indices. Soucieux, néanmoins, d'éviter une rupture totale, nous ne changeons rien à notre représentation consulaire en zone espagnole, bientôt la seule à pouvoir assurer les liaisons indispensables, puisqu'à Rabat, le Consul Général Onitveros y La Plana et la plupart des agents sous ses ordres se rallient au Franquisme et démissionnent avec éclat. Madrid les remplace incontinent par des "consuls républicains.', qui, par définition, ne sauraient entretenir de rapports avec "les insurgés" de Tetuan, et vont se trouver, d'ailleurs, dès leur arrivée, en situation difficile, ne pouvant guère entretenir de relations qu'avec les fonctionnaires de la Résidence générale, et systématiquement tenus à l'écart par la société française, parmi laquelle leurs prédécesseurs s'étaient acquis et avaient gardé de nombreuses sympathies. Naturellement, par crainte du nouveau régime, de nombreux transfuges "de gauche" passent en zone française, et, principalement à Casablanca, y viennent grossir les rangs des "Espagnols rouges". Ils y bénéficient, de la part des services de police, de la même neutralité bienveillante que leurs adversaires politiques, ceux-ci récusant l'autorité des "consuls républicains", qui ne cessent de protester à la Résidence générale contre leurs "activités subversives" ou leurs "agissements". En février 1939, les accords Bérard-Jordana, portant reconnaissance du régime franquiste et affirmant, en particulier, une volonté réciproque de "pratiquer au Maroc une politique de franche et loyale collaboration", entraînent, automatiquement, l'abrogation des dahirs d'exception et le rétablissement de relations normales entre les deux zones. Mais, six mois plus tard à peine, commence la seconde guerre mondiale, avec, pour conséquences, la proclamation de l'état de siège en zone française, l'institution dû contrôle des changes, de sévères restrictions à la circulation des personnes et des biens. Très loyalement, le Sultan Sidi Mohamed exprime au Conseiller du Gouvernement chérifîen qu'une démarche soit faite à Madrid, pour y demander l'assurance que la zone espagnole ne puisse être utilisée "par les ennemis de la France, qui sont aussi les nôtres". De leur côté, dans le but d'assurer la tranquilité des territoires dont ils ont la charge, nos voisins croient devoir mettre en état de défense la limite interzonale, qui se hérisse de barbelés et de blockhauss. Et bientôt, nos graves revers militaires de mai-juin 1940 laissant escompter une rapide victoire du Fûhrer, puis l'entrée en guerre du Duce, qui, l'un et l'autre, ont si efficacement contribué à la victoire franquiste, vont faire naître en Espagne, comme pendant l'autre guerre, l'espoir d'une révision profonde de ce statut marocain dont on n'a jamais cessé de nous garder quelque rancune, et la réalisation de ces reivindicaciones qu'une active propagande ne va cesser d'orchestrer. Après avoir, comme on sait, prêté ses bons offices au Maréchal Pétain pour la demande d'armistice, le Gouvernement espagnol fait valoir que, du moment où nous allons être inévitablement obligés à consentir des sacrifices en Afrique du Nord, mieux vaudrait, dans la ligne générale de notre politique marocaine, que ce fût au profit de l'Espagne, plutôt que de l'Italie ou même de l'Allemagne. Les demandes espagnoles portent, d'abord et comme nous pouvions nous y attendre, sur l'éternel territoire des Béni Zeroual, mais aussi, au Maroc oriental, sur le massif des Béni Snassen au nord d'Oudja, magnifique observatoire méditerranéen. La négociation, freinée tant qu'ils le peuvent, à Rabat par le Général Noguès, à Vichy, par l'Ambassadeur François Charles Roux, secrétaire général aux affaires étrangères, finira par tourner court lorsqu'il sera devenu patent, en septembre, après le voyage à Berlin de M. Serrano Suner, beau-frère et futur ministre des affaires étrangères du Caudillo, et ses entretiens, parfois orageux, avec Ribbentrop, que l'Espagne "n'avait plus à se faire d'illusions" sur le soutien à attendre en cette matière du Fûhrer qui, désireux, à l'époque, de ménager Vichy, nous aura, de la sorte, indirectement rendu service. La seule concession, diplomatiquement assez théorique mais non sans conséquences sur notre prestige auprès du Maghzen, que Vichy consent à l'Espagne, est de lui abandonner les prérogatives que nous tenons, à Tanger, de notre qualité de puissance protectrice, considérées, à tort ou à raison, comme devenues sans portée depuis que nos voisins, profitant de notre situation militaire et de celle de nos alliés britanniques, avaient fait occuper la petite zone d'administration internationale, au matin du 14 juin 1940, sous le prétexte d'y maintenir le régime de neutralité prévu par le Statut. Présentée comme ayant été faite au nom du Sultan (qui, averti à la toute dernière minute, avait laissé s'accréditer une version qui, tout au moins, sauvait les apparences), l'opération avait été uniquement menée par des mehallas khalifiennes, à l'exclusion de toutes forces régulières espagnoles. Il n'en restait pas moins que la non-militarisation statutaire allait se transformer en un régime de neutralité armée, en attendant que ce ne soit de non-belligérance. Malgré les assurances formelles données, à Vichy, par l'Ambassadeur de Lequerica à notre Ministre des affaires étrangères, M. Paul Beaudoin, quant au caractère provisoire de l'occupation et au maintien des différents services statutaires, ceux-ci sont dissous les uns après les autres, à l'exception du Tribunal Mixte, sur lequel le juge-doyen espagnol, M. Diaz Merry, exerce d'ailleurs une influence prépondérante, et dont la suppression risquait d'entraîner le rétablissement des anciennes juridictions consulaires. Puis une loi espagnole du 3 novembre 1940 rattache enfin Tanger à "la zone voisine de protectorat". Mais personne, à Rabat, n'est dupe de la thèse selon laquelle ces différentes mesures, loin de porter atteinte à la souveraineté chérifïenne, n'auraient fait, au contraire, que la renforcer, en libérant Tanger de ses servitudes internationales, et en le faisant directement passer sous l'autorité du Khalifa, déjà titulaire d'une délégation générale du Sultan. Le dernier lien qui attachait, si fictivement que ce fût, Tanger au Maghzen de Rabat disparait en mars 1941, lorsque le vieux Mendoub Si M'hamed Tazi, auquel les Espagnols n'avaient pas osé s'attaquer, bien qu'il eût catégoriquement refusé de passer sous l'obédience khalifienne avec la dignité de Vizir, reçoit l'ordre de céder la place à un Pacha désigné par Tetuan. Tout porte à croire qu'en l'expulsant, peut-être à contre-cur, le gouvernement espagnol ait, tout simplement, fini par céder aux pressions du Fûhrer, moins soucieux, peut-être, de récupérer la ci-devant Légation d'Allemagne, où le Kaiser avait fait sa tapageuse escale de mars 1905, que de s'assurer une solution de rechange à la faute qu'il avait commise en laissant passer l'occasion de se saisir de Gibraltar. Sir Samuel Hoare écrira dans ses souvenirs d'Ambassadeur extraordinaire à Madrid que Tanger allait devenir rapidement un redoutable centre d'espionnage, et "la forteresse de l'Axe, sur le Détroit". Bien qu'aucun de ces empiétements successifs n'ait manqué de s'accompagner de formelles protestations, soit du Mendoub à Tanger, soit de nos Consuls généraux à Tanger ou Tetuan, soit même quelquefois de notre Ambassade à Madrid, le Sultan et les membres du Magzhen, si résignés qu'ils fussent à l'inévitable, ne pouvaient que constater l'impuissance dans laquelle s'était trouvé le gouvernement protecteur à pouvoir s'y opposer. Il avait fallu toute l'amicale insistance du Général Noguës pour que le Sultan renonçât à évoquer publiquement l'affaire de Tanger dans son traditionnel discours de la fête du trône, en novembre 1940. Mais il n'avait décidément pas cru devoir laisser passer l'expulsion du Mendoub sans demander, par écrit, au Résident général, "dans l'appréciation des devoirs qu'il avait assumés en recevant de son peuple mission de le gouverner et de le défendre", de faire tenir à Madrid "une énergique protestation contre les mesures unilatérales prises en opposition avec les conventions internationales ratifiées par dahirs chérifîens". Peu importe que, pour des raisons de politique générale, notre Ambassadeur François Pietri n'ait présenté cette protestation qu'assez tardivement, et sans doute moins énergiquement que n'eût désiré Sidi Mohamed. L'entourage du Palais n'en avait fait aucun mystère, et l'effet psychologique recherché au Maroc avait été parfaitement atteint. Dépendant, d'une manière générale, des fluctuations de l'état des rapports entre Vichy et Madrid, les relations interzonales ne pouvaient qu'être très fâcheusement influencées par l'affaire de Tanger, et quels qu'aient peut-être été ses désirs personnels, le Général Ascencio, Haut Commissaire à l'époque, n'avait pas été en mesure d'amorcer la détente qui aurait pu conduire à leur progressive amélioration. Le pire, cependant, va pouvoir être évité grâce à une première manifestation de la "camaraderie de capitaines" à laquelle il a été fait allusion au début de cette étude. Le général Orgaz, qui succède au Général Ascencio, et le Général Nogués se rencontrent, le 8 juillet 1941, au poste frontière d'Arbaoua, sur la route de Tanger. Leur tour général d'horizon témoigne à la fois de leur solide expérience marocaine et d'un désir évident de collaboration. Mais les excellentes dispositions du Haut Commissaire se heurtent, que ce soit ou non sur directives de Madrid, aux tendances phalangistes ouvertement affichées, et, pour ne pas dire, en certaines occasions, à l'évidente mauvaise volonté de certains de ses proches collaborateurs. Double conséquence du débarquement américain du 8 novembre 1942 : un nouveau théâtre d'opérations s'ouvre en Méditerranée occidentale ; les Français d'Afrique du Nord font sécession de Vichy, que Madrid continue à considérer comme le seul gouvernement légal de la France. Par rapport au pronunciamiento de 1936, la situation se trouve, en quelque sorte, inversée. Les American diplomatie papers, dont le Département d'Etat de Washington assure la publication, ainsi que les souvenirs des Généraux Dwight Eisenhower et Mark Clark, révèlent la place considérable qu'a tenu le "Maroc espagnol" dans l'évaluation des risques que pourrait comporter Y Opération Torch. Tandis que, de Rabat, on pouvait avoir l'impression que nos voisins vivaient sous la crainte de voir, un jour ou l'autre, la guerre s'étendre à la zone dont ils avaient la charge, les Américains, jusqu'à la libération de la Tunisie et le débarquement en Sicile, n'ont jamais cessé de se préoccuper de la grave menace que pourrait faire peser sur leur flanc nord ou leurs arrières, soit la traversée de la Péninsule ibérique par la Wehrmacht venant au secours de VAfrika Korps. (ce qui aurait rendu nécessaire une hasardeuse opération pour couvrir Gibraltar), soit une attaque brusquée du Général Orgaz sur la zone française, pour exploiter le moindre échec ou le moindre contre-temps dans l'exécution des plans américano-britanniques. Hypothèses dont le Général Clark, aussitôt installé son Quartier général à Oujda, va s'entretenir à Oran avec son collègue anglais le Général Morgan. Sans savoir, évidemment, qu'à la même époque, Hitler faisait étudier par son Grand état major les plans Ilena et Gisela sur le thème d'une action défensive au Sud des Pyrénées, pour parer à la possibilité d'un débarquement allié sur les côtes de la Péninsule. La neutralité de la zone espagnole présente pour Washington un telle importance aussi bien politique que stratégique, que le chargé d'affaires américain à Tanger, Mr J. Rives Childs, avait, depuis plusieurs mois, discrètement entrepris une action auprès du Général Orgaz, et noué avec lui d'excellentes relations personnelles. Le Haut Commissaire, tenu par les uns pour germanophile, pour les autres pour un neutraliste convaincu, passait en tous cas, de l'avis général, pour un chef énergique et réaliste, fort capable, s'il advenait que la Wehrmacht passât en Espagne, de vouloir jouer, dans son fief du Rif, un rôle à la Weygand. C'est pour lui en fournir les moyens, et particulièrement l'approvisionner en carburants, que les services américains avaient entrepris à Tetuan des conversations d'ordre économique, distinctes de celles qui étaient parallèlement menées à Madrid, et dans le même esprit que celles de Mr Robert Murphy à Alger. Elles n'étaient pas achevées au moment du débarquement. Le Général Orgaz, qui, d'aventure, se trouvait ce matin-là à Madrid, et s'était empressé de rejoindre son poste en avion, n'avait certainement éprouvé la moindre surprise à s'entendre répéter par Mr Childs les "assurances Roosevelt" que, quelques heures plus tôt, aux côtés du Général Franco, il avait apprises de la bouche de l'Ambassadeur Carlton Hayes. Il demande sans désemparer à Mr Childs de l'aider à maintenir au Maroc "une stricte et correcte neutralité". Le gouvernement espagnol en ayant exprimé le désir à Mr Carlton Hayes, Mr Childs est chargé d'organiser une rencontre, à laquelle il reçoit l'autorisation d'assister, entre le Général Orgaz, et, à défaut du Général Eisenhower retenu en Tunisie, le Général Patton, commandant la Western Task Force à Casablanca. Elle a lieu le 3 janvier 1941, à Larache, et se passe le mieux du monde. Le 2 avril, c'est le Général Orgaz qui convie le Général Clark au camp de . Touaima, dans les environs de Melilla, où avaient été, pendant quelques semaines, internés des aviateurs américains victimes d'atterrissages forcés. Le Général Clark, qui, par correction envers le Général Nogués, s'était fait accompagner par deux officiers de son Cabinet militaire, n'en rapporte rien de bien concret, si ce n'est, écrira-t-il, un aperçu visuel du terrain sur lequel il aurait peut-être un jour à manuvrer. Au début de juin, l'entraînement de sa Ve Armée est déjà assez poussé pour qu'il puisse inviter, de concert, les Généraux Nogués et Orgaz au spectacle d'un grand dégagement militaire dans la plaine des Anjad, dont il espère bien qu'il sera de nature (écrit-il encore dans ses Mémoires) à "cimenter l'Espagne dans sa détermination de rester neutre". Sur le plan politique, le débarquement américain oblige Madrid à pratiquer un véritable jeu de bascule entre Vichy, d'une part, Alger et Rabat de l'autre, avec lesquels une rupture ne saurait se concevoir, par crainte de mesures de rétorsion dont feraient les frais les très importants intérêts espagnols en Afrique Française du Nord. L'ambiguité de la situation n'échappe pas au Général Nogués, qui, faisant jouer à fond la "camaraderie de capitaines", décide d'établir avec le Général Orgaz une liaison strictement personnelle, de laquelle il charge le Commandant (et futur Général) Miquel, notre Attaché militaire à Tanger. Le Général Orgaz répond à cette initiative en dépêchant à Rabat, dans des conditions similaires, le Lieutenant Colonel de Olivarés. Bien que la formule n'ait pas donné les résultats qu'on pouvait en attendre (le Général Orgaz ne tarde pas à rappeler son émissaire à Tetuan, sans que le Général Nogués croie devoir, pour autant, mettre fin à la mission du sien), elle apparaissait judicieuse. Du fait des circonstances, en effet, la limite interzonale était devenue, cette fois pour de bon, une véritable frontière de guerre, de part et d'autre de laquelle s'affairaient les agents des services de renseignements, avec les inévitables séquelles d'allées et venues plus ou moins clandestines, le renforcement des contrôles (notamment, sur le "car Bernai" assurant les liaisons entre Tetuan et Ifni), les arrestations et poursuites judiciaires éventuelles, et, naturellement, les nombreuses interventions des Consuls en faveur de leurs ressortissants respectifs. L'équilibre que Madrid cherche à garder entre Vichy et le Comité d'Alger est sérieusement mis à l'épreuve au début de 1943, lorsque Vichy pourvoit au remplacement de M. Lavastre, consul général à Tanger, révoqué pour cause de ralliement à Alger. Malgré les représentations de M. Carlton Hayes, faisant valoir que la rupture de l'armistice a fait perdre â Vichy toute qualification diplomatique ou consulaire, Madrid ne croit pas" pouvoir s'y refuser, non plus que mettre M. Lavastre en demeure d'évacuer son Consulat général. Le "Consul de Vichy" se trouve, à son arrivée, dans une situation comparable à celles des "consuls républicains" de 1936 en zone française, et ne peut grouper autour de lui qu'une faible partie de notre colonie. Il se retirera dignement au moment voulu. Mais le Général Orgaz ne laisse passer aucune occasion de rappeler à M. Lavastre et à la Résidence générale qu'il ne s'agit de sa part que d'une tolérance, "en dehors des règles du droit international". Le débarquement américain avait, également, fourni à la Délégation générale espagnole de Tanger le prétexte, pour des motifs de sécurité militaire, de mettre la main sur le poste radio d'Air France et notre station météorologique. Elle procède enfin, en mars 1943, à l'occupation, plusieurs fois différée, de la poste chéri- fïenne, héritière, depuis le Statut, de l'ancienne poste française. Nous ne recevons pas, à cette occasion, de la part des Anglo-américains, (qui continuent, d'ailleurs, à disposer de la poste britannique) le soutien diplomatique qui nous eût été nécessaire pour nous y opposer. Mais ils se montrent beaucoup plus attentifs aux activités du Consulat du Reich. Dès l'été 1943, Sir Samuel Hoare adresse à ce propos de "grandes remontrances" au Général Franco : l'Angleterre n'avait toléré l'occupation de Tanger que dans l'intérêt, alors invoqué par l'Espagne, du maintien de la neutralité. En janvier 1944, il revient de Londres avec l'instruction formelle d'exiger la fermeture du Consulat et l'expulsion des agents de l'Axe. Une négociation à trois s'engage aussitôt au palais de Santa Cruz, portant sur l'ensemble des questions soulevées par la poursuite de la guerre. Jacques Truelle, délégué officieux du Comité d'Alger, n'est pas invité à y prendre part. Elle s'achève, le 2 mai 1944, à l'entière satisfaction des Alliés. Malgré quelques tergiversations du Général Orgaz, le Consulat du Reich est fermé dans la nuit du 16 au 17 mai 1944. Il faudra cependant attendre encore un an, et la capitulation de l'Allemagne, pour que le statut d'administration internationale soit rétabli à Tanger, dans les conditions et avec les modifications arrêtées à Paris, en août 1945, par une conférence à quatre, à laquelle participent, aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne, deux puissances non-statutaires, les Etats-Unis, et l'URSS, habilitée par l'une des résolutions de la Conférence de Potsdam, à se porter héritière de la Russie des Tzars. L'Espagne, mise en pénitence, en a été tenue à l'écart, et c'est au même titre que les autres puissances statutaires qu'elle est invitée à adhérer à l'Acte final. Faisant contre mauvaise fortune bon cur, elle se borne à énoncer des réserves, retire ses troupes, "leur mission heureusement accomplie", à la date prévue par le calendrier, et reprend dans l'Administration tangéroise une place pourtant loin de celle qu'elle occupait avant son coup de main de l'été 1940. Il lui faudra attendre l'ultime révision du Statut en 1952 pour récupérer l'essentiel de ses anciennes positions, notamment en matière de répression des troubles et de surveillance des frontières. Ainsi s'achève, en octobre 1945, l'épisode Tanger-Espagnol. Les conséquences politiques et idéologiques de la seconde guerre mondiale se font très vivement sentir sur l'échiquier marocain. Les règles du jeu restent pourtant les mêmes : Algésiras, Protectorat français, zone d'influence espagnole. Mais leurs conditions d'application se trouvent profondément modifiées du fait des ruptures d'équilibre survenues entre les forces respectives des parties intéressées. Malgré sa glorieuse participation aux ultimes combats et à la victoire, la France a subi les graves échecs de 1940. Au terme d'une atroce guerre civile, le Franquisme en Espagne a fini par triompher, et à mettre en place un régime d'une incontestable stabilité. Les engagements souscrits par la France, au double titre de la Charte de San Francisco et de la constitution de la IVe République, l'obligent à orienter sa politique marocaine dans le sens d'une évolution dont l'aboutissement, à terme, ne peut être que l'abolition du Protectorat, dont aucune clause du traité de 1912 ne limitait précédemment la durée. Mais ces engagements ne lient d'aucune façon l'Espagne, qui, contrairement à ce qu'avait espéré M. Serrano Suner, n'a pas "tiré bénéfice de n'être pas entrée en guerre contre les vainqueurs", va faire antichambre aux Nations Unies jusqu'en 1956, mais échappera de la sorte aux attaques qui y seront lancées contre la France qui s'y trouvera traduite en accusation. Et, aussi longtemps que le régime de 1912 restera en vigueur au Maroc, elle pourra s'y réclamer du convenio. Cependant qu'en zone française, toute une série de facteurs convergents : notre perte de prestige, moins peut-être du fait de nos revers militaires que de notre impuissance diplomatique à Tanger, l'interprétation, si tendancieuse qu'elle ait été, de la Charte de l'Atlantique par les adversaires du Protectorat, les perspectives ouvertes, à tort ou à raison, par le Président Roosevelt à Anfa et par la Conférence de Brazzaville ; enfin, l'émancipation des Etats arabes du Proche Orient et la création, par l'ONU, du Royaume de Libye, ont contribué à faire naître, ou à renforcer, chez nos protégés, des sentiments de frustration, pour le moins de déception ou de mauvaise humeur, et à favoriser, selon l'expression du Professeur Robert Montagne, "le dangereux développement du nationalisme citadin". Avec le recul du temps, il semble plus facile qu'à l'époque de discerner que ces incompréhensions et ces malentendus sont venus, du moins dans une certaine mesure, de ce que "le cas concret Maroc" et son statut diplomatique si particulier se sont, en quelque sorte, trouvés noyés au milieu des grands principes généraux desquels est sortie l'ONU. En toute bonne foi, les constituants de 1946 s'étaient ima* ginés avoir automatiquement réglé l'appartenance du Maroc à l'Union française, en qualité de membre associé, par une simple référence au traité de protectorat : tel était bien le sens de l'article 61. Mais c'était ne pas tenir compte du convenio de 1912, et méconnaître que notre capacité juridique se limitait aux populations dont nous avions diplomatiquement la charge, à l'exclusion de celles qui échappaient à notre contrôle et à notre action. En d'autres termes, l'appartenance du Maroc à l'Union française n'aurait pu qu'être incomplète, et réduite à la seule zone française, ce qui n'eut fait qu'approfondir le fossé interzonal, et mettre en pleine lumière ce partage de fait que les négociateurs de 1912 avaient pris tant de soin à vouloir pudiquement dissimuler. Il apparaissait ainsi, en définitive, que le problème marocain, tel qu'il se posait en fonction de ses nouvelles données d'après-guerre, ne comportait plus de solution qui restât en parfaite harmonie avec le système de 1912. Eût-il été possible, pour éviter l'impasse, d'engager alors avec l'Espagne, non une révision formelle du convenio qui nous eût placés en position de demandeurs, mais de simples conversations d'un caractère exploratoire en vue d'essayer de dégager les possibilités de ce qu'on appellera plus tard une "évolution parallèle", dans le cadre de cette mission civilisatrice commune maintes fois invoquée depuis le Protectorat ? Sans vouloir parler de l'exclusive jetée par l'ONU contre l'Espagne franquiste, ni de la fermeture de la frontière des Pyrénées, décidée en 1946 par le Cabinet Gouin-Bidault (qui ne sera pas sans avoir quelques retombées interzonales, ni provoquer quelque mauvaise humeur de la part de nos voisins), les circonstances, sur le plan strictement marocain, ne s'y prêtaient guère. Plus de "camaraderie de capitaines" possible avec les Ambassadeurs Gabriel Puaux puis Eiric Labonne, successeurs civils du Général Nogués. Sans compter, non plus la très fâcheuse impression produite sur nos voisins par la participation de Ministres communistes, Maurice Thorez en tête, aux premiers cabinets de la IVe République, qui ne pouvait que renforcer la vieille appréhension du Haut Commissariat à l'égard de certains services de la Résidence, depuis si longtemps suspects d'indulgences et de complaisances à l'égard des "Espagnols rouges" de notre zone. Sans doute, en septembre 1943, la visite d'arrivée du Résident général Gabriel Puaux, nommé par le Comité d'Alger, au Général Orgaz, est-elle entourée, à Larache, du cérémonial accoutumé. Mais elle ne lui sera jamais rendue, et lorsque le Général Varela succède au Général Orgaz, il se contente de notifier à Rabat sa prise de service. En 1946, il ne mettra aucun empressement à vouloir entrer en rapports avec M. Eiric Labonne, (peut-être desservi par son ambassade de 1937 auprès du Gouvernement républicain Negrin) qui n'aurait cependant pas demandé mieux, dans l'optique des grandes anticipations économiques qui lui étaient familières, d'étudier, de concert, les possibilités d'une collaboration industrielle entre le charbon de Djerada et le fer de Melilla. Il faudra, pour qu'ils arrivent à se rencontrer, sans que leur soit d'ailleurs ménagé un entretien particulier, la circonstance tout à fait exceptionnelle de la traversée de la zone espagnole, le 8 avril 1947, par le Sultan Sidi Mohamed, se rendant en voyage officiel à Tanger. Voyageant par train spécial, le Souverain est reçu en grande pompe à Arzila, où a été prévu l'arrêt du déjeuner, par le Khalifa, le Haut Commissaire, le Maghzen et les notables. La diffa d'apparat est servie sous les tentes, dressées sur les coteaux qui dominent le petit port et l'Océan. Au moment où elle va s'achever, le Kahlifa se lève, et, à la surprise sans doute d'un certain nombre des convives, donne solennellement lecture d'une déclaration dont la portée dépasse, de loin, une simple allocution de bienvenue au Chef de la famille impériale, et constitue, sans équivoque possible, l'hommage d'allégeance d'un vassal à son suzerain. II est difficile de s'imaginer que la manifestation n'ait pas été concertée d'avance entre les deux Maghzen, qui, après s'être longtemps regardés en chiens de faïence, s'étaient rapprochés en 1937, par l'entremise de leurs hajibi (chambellans) respectifs, les frères BenYaich, à l'occasion de la grave opération chirurgicale qu'avait subie le Sultan Sidi Mohamed, dont les jours avaient pu paraître en danger. Ces relations s'étaient, par la suite, régulièrement poursuivies, apparemment sur le plan familial, duquel il leur était facile de déborder discrètement. Quoi qu'il en ait été, la déclaration d'Arzila réaffirmait avec un éclat inattendu les principes de la souveraineté et de l'intégrité chérifiennes, ce dont nous ne pouvions que nous réjouir. Mais peut-être aussi le Sultan s'en est-il trouvé enhardi à omettre le paragraphe, demandé par la Résidence générale, de traditionnelle allusion à la puissance protectrice, dans le fameux discours qu'il prononce le lendemain à Tanger, qu'il était difficile de ne pas considérer comme un appel de Ylstiklal à la Ligue arabe. Le Général Varela durcit aussitôt son attitude à l'égard des nationalistes de sa zone, et refoule leur chef de file, Abdelkhalek Torres, sur Tanger, où il rejoint les représentants d'autres tendances similaires, avec lesquels il va s'employer, sans grand succès d'ailleurs, à jeter les bases d'un front commun d'action. A Paris, le Cabinet Ramadier, jugeant nécessaire d'affirmer l'autorité de la puissance protectrice et de "remettre le Sultan dans le creux" (c'est le Président Auriol qui rapporte l'expression dans le journal de son septennat) décide de remplacer M. Eiric Labonne, "victime de l'incartade du Sultan", par le Général Juin. Est ainsi rendu possible un renouveau de la "camaraderie de capitaines". Sans que soit, cependant, repris le cérémonial habituel des visites protocolaires interzonales. C'est à Tanger que les deux Généraux se rencontrent, une première fois, soi-disant comme par hasard, en janvier 1949, une seconde, sans plus en faire mystère et accompagnés de leurs principaux collaborateurs, en juin 1950. "Dans un climat de franche amitié" (écrira le Maréchal Juin dans ses Mémoires) se dégagent de leurs conversations, sur le plan politique, une large communauté de vues quant aux responsabilités qui leur incombent respectivement, et sur le plan économique, une volonté bien arrêtée de coopération, qui se matérialisera, en septembre 1950, par la signature, à Rabat, d'un accord interzonal décidant la construction, à frais communs, d'un double barrage sur la Moulouya, réclamé de longue date par les colons des deux zones, dont les travaux seront, sans retard, mis en chantier. Mais le Général Varela, depuis déjà plusieurs mois gravement malade, meurt à Tetuan au printemps 1951, et, à l'automne de cette même année, le Général Juin quitte le Maroc pour prendre le commandement Centre-Europe de l'OTAN à Fontainebleau. Leurs successeurs, les Généraux Garcia Valino et Augustin Guillaume, sont, eux aussi, de vieux routiers du Maroc où ils ont fait une grande partie de leur carrière militaire. Mais les circonstances ont déjà changé. Dans un souci d'apaisement, le Général Valino a rappelé Abdelkhalek Torres à Tetuan, pour en faire un Vizir. L'évolution rapide des affaires de politique indigène en zone française accapare toute l'attention du Général Guillaume. Leur rencontre sur la Moulouya, en janvier 1953, de laquelle on aurait pu espérer la continuation de la "camaraderie de capitaines" reprise par leurs prédécesseurs, reste sans lendemain. Le Maréchal Juin notera mélancoliquement dans ses Mémoires, publiés en 1960, que, depuis la mort du Général Varela, "la solidarité franco-espagnole s'était bien relâchée", et que "l'on n'allait pas tarder à voir la zone espagnole se transformer en une véritable place d'armes des contingents de 1'" Armée de libération" appelés à opérer dans notre propre zone". C'est la crise dynastique, provoquée en août 1953 par la déposition du Sultan Sidi Mohamed, qui consomme la rupture politique entre les deux zones. L'Espagne, restant, très logiquement, dans la ligne de la déclaration d'Arzila, et se posant, d'une, façon d'ailleurs assez inattendue, en champion de l'Unité chéri- fienne, refuse de reconnaître la légalité des mesures prises à rencontre du Sultan déchu, et la légitimité de l'accession au Trône de Moulay ben Arafa. L'action unilatérale de la France, sans consultation préalable de "la puissance co- protectrice", est officiellement considérée, à Tetuan comme à Madrid, comme un manquement, grave et discourtois, à l'état de fait et de droit que le voisinage et les traités ont établi entre les deux pays. Le Général Valino va même jusqu'à affirmer, dans l'un de ses discours, que si le centre de gravité de l'action matérielle continue à se trouver en zone française, celui de l'action politique et spirituelle est désormais passé en zone espagnole. Quant au Kahlifa Moulay Hassan, fût-il le gendre de Moulay ben Arafa, il continue à considérer Sidi Mohamed comme le seul Sultan légitime, et à faire réciter la prière en son nom. Le 21 janvier 1954, le Général Valino organise, sur l'hippodrome de Tetuan, un rassemblement monstre de Caïds et de Notables, pour protester, dans une adresse au Général Franco, contre la déposition du Sultan et réclamer, tant que la légalité ne sera pas rétablie en zone française, la séparation provisoire de la zone espagnole sous la souveraineté pleine et entière du Khalifa Moulay Hassan. Somme toute, la proclamation d'une nouvelle sïba, comme en avait si souvent connues le vieux Maroc. "Merci, mes frères", s'écrie le Caudillo en recevant, le 9 février, au Palais du Pardo, la délégation venue lui remettre l'adresse de l'Hippodrome. L'Espagne, (affirme-t-il) défendra avec opiniâtreté l'unité du Maroc, se refusera à accepter une situation contraire à la morale internationale et aux accords diplomatiques, et, "tant que la force de la raison n'aura pas triomphé de la déraison de la force", maintiendra la zone dont l'administration lui a été confiée sous la souveraineté du Khalifa, assisté du Haut Commissaire et des Autorités du Maghzen, fidèles aux principes de l'unité et aux sentiments du peuple marocain. Il y aurait, naturellement, beaucoup à
dire sur la valeur politique et juridique de cette argumentation
qui va être reprise et développée à
l'envi dans la presse, pendant toute la durée de l'exil
de Sidi Mohamed, sous les signatures d'éditorialistes ou
de spécialistes réputés, tels que l'Africaniste
bien connu Enrico Arqués, le directeur de la très
officielle agence de presse EFE, M. Gomez Apparicio, et, sous
les pseudonymes de Diplomaticus ou Africanus, certaines personnalités
politiques ou diplomatiques : Dès avant le rassemblement des Caïds, au reçu d'informations que la suite des événements devait confirmer, M. Georges Bidault avait cru devoir mettre en garde le Comte de Casa Rojas, Ambassadeur d'Espagne, contre l'éventualité de prises de position susceptibles de porter atteinte à l'Unité du Maroc. A Rabat, le Conseil des Vizirs ayant, de son côté, protesté contre "l'action menée en zone Khalifïenne, partie intégrante de l'Empire chérifien", le Quai d'Orsay avait fait remettre à Madrid, par notre Ambassadeur Jacques Meyrier, une note exprimant son désir d'être renseigné sur la portée exacte qu'il convenait d'attribuer aux déclarations du Général Valino, qui, "non content de donner aux événements d'août 1953 une version sans rapport avec la réalité des faits, a qualifié d'une façon inadmissible la politique de la Résidence générale". Enfin, le 1 1 février, devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, M. Maurice Schumann, à l'époque secrétaire d'Etat, avait marqué qu'en ce qui concerne le changement de Sultan, la France n'était tenue envers l'Espagne qu'à des obligations de courtoisie dont elle s'était acquittée dans l'exercice de sa compétence résultant du traité de Protectorat, -mais qu'elle ne pouvait laisser passer sans protester certains termes., parfaitement inadmissibles, (l'expression que reprendra la note Meyrier) employés par le Général Valino, et surtout l'attribution de souveraineté au Khalifa, en violation des accords de 1910. La réponse N du Gouvernement espagnol, remise à l'Ambassade le 5 février, mais publiée seulement après la réception des Caïds au palais du Pardo, se borne à déclarer que les faits qu'elle relève "constituent un acte de politique intérieure du Protectorat, expression publique d'un état de conscience de ses habitants". Quelques jours plus tard, et peut-être dans l'intention d'atténuer la sécheresse de cette fin de non-recevoir, M. Martin Artajo, Ministre des affaires étrangères, recevant un collaborateur du Bulletin de Paris, affirmait que si les relations entre les deux pays "n'avaient pas toujours atteint un minimum de bon voisinage", la faute n'en incombait pas à l'Espagne, mais que, tant qu'existeraient entre eux des relations diplomatiques, des conversations resteraient toujours possibles, et le pire qui pourrait arriver serait de la voir suivre des chemins différents. C'est bien ce qui va continuer de se passer. Lorsque, devenu chef du Gouvernement, le Président Mendès-France exprime, devant l'Assemblée nationale, sa résolution de vouloir rétablir la confiance et calmer les esprits, en accord avec le Sultan ben Arafa, la presse madrilène lui réplique tout net qu'un accord ne saurait être envisagé avec les nationalistes marocains tant que Sidi Mohammed restera en exil. En zone espagnole, les ¦ fêtes religieuses traditionnelles, en particulier le "grand moussem" qui se tient à Xaouen en août 1954, sont autant d'occasions de manifester contre la déposition de Sidi Mohamed et le colonialisme de la France. En septembre 1955, le Général Boyer de la Tour, qui a fait la majeure partie de sa carrière au Maroc et qui y revient comme Résident général, échange bien avec le Général Valino les habituels télégrammes d'arrivée, mais se heurte à un "refus poli" du Consul général d'Espagne à Rabat lorsqu'il exprime le désir de prendre personnellement contact avec le Haut Commissaire. A peine vient-il d'arriver à Rabat qu'éclate, en bordure de la zone espagnole, une nouvelle guerre du Rif. Dans la nuit du Ie au 2 octobre 1955, plusieurs de nos postes avancés sont brusquement attaqués par des éléments incontrôlés. De la tournée d'inspection qu'il tient à faire lui-même dans une région qu'il connait bien pour y avoir exercé ses premiers commandements, le Général de la Tour rapporte la certitude (que reprendra le Maréchal Juin dans le passage précité de ses Mémoires) que des agitateurs ont pu monter, tout à loisir, par delà la limite interzonale, une organisation destinée à préparer un mouvement insurrectionnel dans notre zone. Démenti immédiat du Haut Commissariat qui ne saurait tolérer que le territoire placé sous son contrôle puisse être utilisé comme base d'agression. A New- York, conférence de presse de l'observateur espagnol - à l'ONU, M. de Erice : seule, une "terrible erreur d'information" a pu faire croire que l'Espagne aidât des rebelles à fomenter une agression contre la France, avec laquelle elle entretient les meilleures relations. Rabat oppose à ces déclarations le fait précis que le petit poste de Bou Denib, resté englobé depuis 1925 en zone espagnole, n'a reçu le moindre secours des postes espagnols avoisinants. Réaction de Madrid : outre que Bou Denib aurait dû être évacué depuis longtemps (l'argument ne manquait pas d'une certaine valeur) la France, n'ayant tenu aucun compte des droits de l'Espagne lors de la déposition du Sultan, ne pouvait guère s'attendre à une collaboration militaire pour réprimer une révolte qu'avait provoquée "sa stupide politique". Dans ses Vérités sur l'Afrique du Nord (Pion, 1956), le Général de la Tour, confirmant sur son honneur de soldat l'exactitude des faits qu'il avait avancés, quant à l'aide que nos ennemis avaient trouvée en zone espagnole, se montre très sévère à l'égard du Général Valino, dont il qualifie la politique d'"insensée", et, plus loin d'"aberrante", et auquel il reproche de n'être pas, au moins, resté neutre dans l'affaire de la déposition du Sultan. Et d'ajouter que, "par un paradoxe curieux, la zone espagnole allait jouer, avec cependant moins d'importance, le même rôle que la Chine communiste au Tonkin". Les relations interzonales sont donc au plus bas lorsqu'en ce même automne 1955, le Sultan Moulay ben Arafa accepte de se retirer, d'abord à Tanger, (ce qui n'est pas, remarque M. Gomez Apparicio, sans poser quelques problèmes, du fait des attributions récupérées en 1952 par l'Espagne, dans l'Administration internationale), puis, définitivement, sur la Côte d'Azur. Cependant qu'en application d'un protocole négocié à Antsirabe par le Général Catroux, l'ancien Sultan Sidi Mohamed rentre en France pour signer, le 6 novembre, avec M. Antoine Pinay, la déclaration de la Celle Saint-Cloud. Très légitimement, l'Espagne ne peut que se féliciter de ce renversement de la situation, qui ne va pourtant la satisfaire. La position du gouvernement espagnol avait été définie au lendemain du colloque d'Aix-les-Bains, des résultats duquel il avait été aussitôt informé, par une note du Comte de Casa Rojas au Quai d'Orsay, datée du 22 septembre, dont, pour couper court à "la version erronée émanant d'une agence de presse" (évidemment l'AFP), le Bulletin d'informations diplomatiques de Madrid publie un "résumé officiel". En substance, l'Espagne, se déclarant absolument étrangère à la violation de la légitimité commise par la France en déposant le Sultan, lui laisse la charge entière d'en opérer le rétablissement, mais elle entend être associée, dès leur début, à toutes négociations que rendraient nécessaires les modifications à apporter au statut marocain actuellement en vigueur ou à la révision des traités. En aucun cas, elle ne saurait souscrire à ce qui aurait été "décidé dans son dos". Les arguments sur lesquels se fonde cette prise de position sont longuement exposés, sous des formes diverses mais tendant aux mêmes conclusions, par un editorial de M. Gomez Apparicio (Hofa de Lunes, 26 septembre) et trois articles signés Diplomaticus dans Y A (22, 25 & 27 octobre). M. Gomez Apparicio revendique pour l'Espagne le droit absolu, résultant des traités de 1904 et 1912, de participer à toute modification au statut diplomatique du Maroc en pleine égalité avec la France, et non, comme ce fut le cas en 1912, à devoir "sanctionner ce qui avait été décidé dans son dos", Diplomaticus s'attache à dégager de ces mêmes traités la notion d'un lien indivisible entre l'établissement du Protectorat et celui de la zone espagnole, dérivant moins du seul convenio de 1912 dans lequel la France agissait en qualité de mandataire du Sultan, que du traité de Fez lui- même. Il en résultait une "parité juridique" des deux pays dans un système qui n'était pas, comme on le prétendait à Paris, placé sous la compétence exclusive de la France, et ne l'habilitait pas à traiter, seule; avec le Maghzen, de toutes modifications à apporter à la structure politique du Maroc. Dans ces conditions, la déclaration de la Celle Saint-Cloud, décidant de l'ouverture de négociations bilatérales, sans l'intervention de tiers, fût-ce dans le respect des droits de ces derniers, ne pouvait être que fort mal accueillie à Madrid. La presse y dénonce "la nouvelle erreur irréparable" que commet la France en revenant à une politique de tête à tête avec le Maghzen, et la formule d'interdépendance comme un procédé détourné de faire entrer le Maroc dans l'Union française. Elle se refuse surtout à laisser compter parmi les pays tiers une Espagne qui n'a pas, elle, été obligée de réviser sa politique marocaine etMà participer aux pardons de Saint Germain,* comme en témoignent hautement la cordialité, très remarquée, de l'audience que le Sultan y a accordée au Comte de Casa Rojas, et l'hommage rendu par le Souverain, dès son retour à Rabat, "à la politique de l'Espagne, qui était en train de porter ses fruits". Le Sultan n'ayant d'ailleurs pas attendu l'ouverture des négociations annoncées par la déclaration de la Celle Saint Cloud pour proclamer, à l'occasion de la Fête du Trône en novembre, "la fin du régime de tutelle et l'avènement d'une ère de liberté et d'indépendance", la France va même se faire accuser, à Madrid, de vouloir brûler les étapes, de hâter inconsidérément l'heure d'une "indépendance à la française , avec sa démocratie, ses partis politiques, son communisme, un existentialisme à l'usage des Marocains". Sous une forme évidemment plus nuancée, f elle est aussi la crainte que le Général Franco exprime à un groupe de publicistes américains, qu'il reçoit le 30 novembre au Palais du Pardo. Opposant systématiquement les populations urbaines et rurales, les premières sensibles au communisme, les secondes uniquement à la force, insistant sur le manque de maturité politique du peuple marocain, il en déduit la nécessité de ne le mener à l'indépendance que prudemment et progressivement, et non avec la précipitation qui paraissait être désormais celle de la France. Dans les jours qui suivent, la presse parisienne se fait reprocher d'avoir tendancieusement essayé de tirer parti des déclarations du Caudillo pour faire croire que l'Espagne serait beaucoup moins pressée d'accorder l'indépendance au Maroc depuis que la France s'était décidée à y consentir. Le bruit avait en effet maintes fois couru que l'Espagne, dans le cadre général de sa politique avec les pays arabes, envisagerait des réformes de structure pouvant aller jusqu'à un certain degré d'autonomie interne de sa zone. Elle avait fini par être prise de vitesse par la déclaration de la Celle Saint Cloud. Ce n'est qu'au début de janvier 1956 que le Khalifa fait état de conversations ouvertes à cet effet avec le Haut Commissaire. Puis, le 13 janvier, à Madrid, un long communiqué du Conseil des Ministres rend publique "sa ferme volonté de continuer à défendre l'indépendance et l'unité du Maroc sous l'autorité du Sultan légitime, et de fournir, en accord avec le Khalifa, les moyens de réaliser l'auto-gouvernement de la zone par ses Autorités naturelles". Enfin, un décret-loi du 29 janvier habilite le Haut Commissaire à procéder, par voie d'ordonnances préalablement approuvées par la Présidence du Conseil, aux réformes nécessaires. Désireux de faciliter la période transitoire, le Parti réformiste, réuni en Congrès, adresse aussitôt ses remerciements aux Autorités espagnoles. Afin, lui aussi, de leur laisser les mains libres, mais cependant plus réservé, Si Abdelkhalek Torres, entraînant dans son sillage le Vizir de la Justice Mohamed Guennoun, se croit obligé de démissionner, espérant ainsi contribuer à l'établissement, dans la zone, "d'une administration marocaine réelle, avec autorité et pouvoir exécutif. De retour de Rabat où il a accompagné Si Mohammed el Mehdi, frère du Khalifa, et a été reçu par le Sultan, Guennoun précise que l'auto-gouvernement de la zone ne saurait se concevoir que comme un moyen d'exécuter le programme général, tracé par S.M. elle-même, de l'extension de ses pouvoirs à l'ensemble du Maroc. Au contraire, de Tanger, bon nombre de doctrinaires nationalistes professent qu'il n'est plus besoin, à Tetuan, d'un Maghzen Khalifien, mais seulement et à titre provisoire, de simples directions techniques, puisqu'il existe désormais à Rabat un gouvernement central unifié. A quoi le Haut Commissariat rétorque aussitôt que ce serait abusivement, et contrairement aux dispositions du convenio, reconnaître en dehors de la zone française compétence au Cabinet Bekkaï, qui y a été constitué, conformément aux formes du Protectorat, par dahir chérifien contresigné du Résident général. Entre temps, le 9 janvier 1956, au Palais du Palafito, dans les environs de Larache, coutumier de telles cérémonies, le Général Valino avait reçu la visite d'arrivée du nouveau Résident général, M. le Préfet André Dubois. C'était la première depuis celle du Général Guillaume, auquel avaient succédé les Ambassadeurs Francis Lacoste puis Gilbert Grandval, enfin le Général Boyer de la Tour. L'empressement avec lequel le Gouvernement espagnol avait accepté le principe de la rencontre contrastait singulièrement avec les "refus polis" opposés, l'année précédente, au dernier de ceux-ci. Dans des conférences de presse tenues, en décembre, à Sarragosse ou à Tetuan,* le Général Valino avait expliqué qu'une première étape ayant été réalisée par la restauration du Sultan, une seconde pourrait être, caractérisée par une entente avec la France dans le but de poursuivre "une politique parallèle", ou encore que, le Gouvernement espagnol ayant clairement indiqué ne pouvoir admettre quelqu'accord franco-marocain conclu en dehors de lui, "il semblait logique" de désirer un contact rapide entre personnalités politiques des deux pays. Un communiqué est remis à la presse au sortir de la réunion. Une fois examinées les questions intéressant les deux zones, notamment la situation dans les régions du Rif, le Haut Commissaire avait informé le Résident général de l'intention de son Gouvernement d'introduire en zone khalifienne des réformes de nature à permettre, par une évolution parallèle, (la même expression qu'à la conférence de presse de Sarragosse) d'assurer l'indépendance du Maroc dans le respect des intérêts des deux puissances. Présentée d'abord, trop hâtivement, comme ."devant marquer entre les deux pays le début de relations qui compteraient dans l'histoire de l'Europe" (Arriba du 1 1 janvier), le ton de la presse ne tarde pas à changer, et la portée de l'entrevue à être ramenée à de plus modestes proportions, lorsqu'elle n'est pas minimisée, et réduite à une simple affaire de routine interzonale. C'est M. Gomez Apparicio qui donne le ton dans Hoja de Lunes du 13 janvier : une tradition avait été interrompue du fait des circonstances. Elle a été reprise à l'initiative de la France, ayant reconnu ses erreurs. Mais il y a loin entre cette visite de courtoisie et la recherche d'accords ou d'hypothèses sur l'avenir, qui demanderaient des conversations à des niveaux plus élevés. Cette dernière remarque était évidente. Du moment que le principe même de l'indépendance n'était plus discuté, il ne s'agissait plus, (Si Allai el Fassi l'avait parfaitement analysé dans une interview accordée à ElEspanol, organe hebdomadaire de la direction générale de la presse à Madrid), d'une simple révision, mais bel et bien de l'abrogation des traités de 1912, dont la réintégration de la zone khalifienne ne serait que la conséquence, ce qui dépassait, de loin, l'échelon interzonal. Toute la question était de décider de la procédure à suivre à cet effet Les africanistes espagnols et les nationalistes marocains n'avaient pas attendu la déclaration de la Celle Saint Cloud pour commencer de s'en préoccupe*. Aussitôt le colloque d'Aix-les-Bains, Si Ahmed Balafrej, secrétaire général de l'Istiklal, regrettant que la bonne volonté du Président Edgard Faure n'ait pas obtenu de meilleurs résultats, s'adressait particulièrement à l'Espagne, en raison de ses intérêts au Maroc et de ses liens avec le monde arabe, pour lui suggérer de prendre l'initiative d'une conférence entre toutes les puissances intéressées. C'était, selon M. Gomez Apparicio, "exactement poser le problème", à la condition toutefois de n'entendre, par puissances intéressées, que le Maroc et les deux "puissances protectrices'*. Dans le même sens, le Général Valino, interrogé par Al Alain, le journal de l'Istiklal, sur sa manière d'envisager "l'évolution parallèle" du communiqué du Palafito, expliquait que, dans une première phase, il appartiendrait aux deux "puissances protectrices" d'en déterminer la durée et les modalités, et, dans une seconde, de se concerter à ce sujet avec le Maroc. En sens inverse, Brahim el Ouezzani, porte-parole du Parti démocratique de l'indépendance, se montre absolument opposé à l'internationalisation d'un problème foncièrement franco-marocain. La même tendance s'affirme au Congrès de Ylstiklal qui se tient à Rabat dans les premiers jours de décembre : réalisation de l'indépendance et de l'intégrité territoriale par la voie de négociations avec la France sur la base du respect mutuel des deux souverainetés, en vue d'abroger le traité de Fez et de conclure de nouveaux accords pour régler les relations entre les deux pays. Les "milieux autorisés" de Paris avaient déjà répondu au Général Valino, à propos de la façon dont il envisageait "l'évolution parallèle", en laissant entendre que l'Espagne n'avait aucune raison d'être associée à la révision d'un traité dont elle n'était pas signataire, étant bien entendu par avance que seraient respectés et maintenus les droits des pays tiers. C'est la même position qu'adopte, le 13 janvier 1956, la déclaration ministérielle du Cabinet Bekkaï. Celui-ci s'assigne comme mission de négocier avec la France un accord qui constaterait l'abrogation du traité de Fez et du Protectorat, puis définirait les bases de nouvelles relations entre les deux pays. Telle sera, en effet, l'économie de la déclaration Pineau- Bekkal du 2 mars 1956. Essentiellement, reconnaissance par la France de l'indépendance du Maroc, comportant une diplomatie et une armée ; futurs accords dits d'interdépendance dans les domaines d'intérêts communs. Pas un mot de l'Espagne, ni du convenio de 1912. La déclaration de Paris provoque, dès le 4 mars, à Tetuan des manifestations d'enthousiasme des Marocains ; elles s'étendent les jours suivants à Larache et El Ksar. Mais les manifestants se heurtent au service d'ordre ; il y a des morts et des blessés. Les nationalistes rejettent la responsabilité des échauffourées sur la police ; le Haut Commissariat sur des groupes d'agitateurs et d'indésirables. A Rabat, le Sultan convoque immédiatement le Consul général d'Espagne, et, dans l'exercice de "la mission qui lui incombe de défendre ses sujets partout où ils se trouvent", appelle toute son attention sur l'inopportunité de ces incidents alors que sont envisagées des négociations entre les deux pays. A Tetuan, le Khalifa se fait un devoir de protester "au nom de la sauvegarde de l'amitié hispano- marocaine". Au Quai d'Orsay, selon la même procédure que lors de la déclaration de la Celle Saint Cloud, l'Ambassadeur d'Espagne avait reçu communication officielle de celle du 2 mars. Il y revient, le 9 mars, remettre, d'ordre de son gouvernement une note dont "on croit savoir" qu'elle réitérait les précédentes réserves, et laissait prévoir une invitation au Sultan de venir négocier bilatéralement à Madrid. Quelques jours auparavant, M. Martin Artajo, recevant des journalistes américains, leur avait dit qu'une fois terminés les pourparlers de Paris, l'Espagne, à son tour, pourrait engager une négociation, et "faire des concessions aux Marocains, non à la France". Ce qui reprenait, presque mot pour mot, les termes d'un récent editorial de M. Gomez Apparicio dans Hoja de Lunes : le vieil argument des juristes français, d'un seul et unique protectorat, est devenu caduc avec le temps ; la France doit radicalement renoncer à négocier avec le Maroc au nom de l'Espagne ; l'Espagne est parfaitement en droit de renoncer à ses droits de puissance protectrice au bénéfice du Maroc, non à celui de la France, comme celle-ci cherche à le faire grâce à la formule ambiguë de l'interdépendance. La presse diplomatique madrilène ne cache pas les graves inquiétudes que lui inspire cette même formule : Réduire somme toute, à néant la portée de la déclaration de Paris, qui n'abroge ni Algésiras, ni les traités de 1904 et de 1912, n'apporter au Maroc qu'une seule concession de la France, le changement du titre de Résident général en celui de Haut Commissaire, et lui subordonner pratiquement toute réelle indépendance. Ou bien encore : ce n'est qu'une manuvre de la France, un moyen détourné de lui permettre, sous le prétexte de restaurer la complète intégrité du territoire chérifîen, de faire purement et simplement "entrer la zone khalifîenne dans l'interdépendance de Paris". Telles sont aussi, est-on en droit de penser, les préoccupations des diplomates espagnols durant la courte négociation, mais, autant qu'on puisse savoir, assez serrée, qui aboutit, le 7 avril 1956, à la signature de la déclaration Artajo-Bekkaï, par laquelle, essentiellement, les deux gouvernements, considérant que le régime de 1912 ne répond plus à la situation présente, déclarent que le convenio de Madrid ne peut plus désormais régir les relations hispano-marocaines. Négociation bilatérale menée, probablement, avec les coudées beaucoup plus franches que dans des conversations à trois, dont M. Gomez Apparicio ne manque pas de se féliciter qu'elle ait "marqué le triomphe de l'égalité des droits entre les deux puissances protectrices". Bien que semblant, à première vue, calquées à peu près sur le même modèle, les déclarations de Paris et de Madrid présentent, à les regarder de plus près, d'importantes différences de rédaction, révélatrices de l'esprit dans lequel elles ont été respectivement élaborées. Le gouvernement français se borne à "confirmer solennellement" l'indépendance du Maroc. Le gouvernement espagnol, se référant, plutôt qu'à cette confirmation, au discours de la fête du Trône, "reconnaît l'indépendance proclamée par S.M. le Sultan et sa pleine souveraineté". Le gouvernement français confirmait sa volonté de respecter et faire respecter l'intégrité territoriale du Maroc. Si la déclaration de Madrid omet les mots "faire respecter", elle ajoute que le gouvernement espagnol prendra toutes les mesures nécessaires pour rendre effective cette intégrité territoriale. Sous entendu, sans doute, pour procéder, en temps voulu, à l'évacuation de la zone khalifienne. Mais, faute d'être définie avec plus de précision, l'expression "intégrité territoriale" ne laisse pas que de prêter à équivoque, comme il apparaîtra d'ailleurs plus tard, si l'on se réfère aux aspirations irrédentistes de certains leaders nationalistes, allant jusqu'à revendiquer les vieux Présides de Ceuta et de Melilla. Enfin la déclaration de Madrid envisage la conclusion d'accords ayant pour but de définir, non plus l'interdépendance, mais "la libre coopération" des deux pays sur le terrain de leurs intérêts communs, et tout spécialement de garantir, dans l'esprit le plus amical, les libertés et les droits de leurs nationaux sur leurs territoires respectifs. Ceci peut apparaître comme une précaution des négociateurs espagnols contre les risques, sur lesquels la presse a tellement insisté, d'une emprise française sur la ci-devant zone espagnole pendant l'inévitable période transitoire de la liquidation des anciens régimes de protectorat. Pendant les conversations préparatoires qui avaient été menées à Rabat pendant la seconde quinzaine de mars, les informateurs politiques n'avaient fait aucun mystère des prises de contact soit du Consul général d'Espagne soit des collaborateurs diplomatiques du Président Bekkal et du Sultan lui-même avec notre Ministre délégué Roger Lalouette ou de hauts fonctionnaires de l'ancienne Résidence générale. Le Sultan va d'ailleurs demander lui-même à deux de ceux-ci, qu'il connaît de longue date, le diplomate Ghislain Clauzel et le juriste Louis Fougère, de se joindre à l'importante délégation qui l'accompagne à Madrid. Le 5 avril, au moment de son départ, dans l'allocution qu'il prononce sur le terrain de Salé et dont le ton contraste fort heureusement avec celui du discours de Tanger, il exprime le vu que les négociations de Madrid soient couronnées du même succès que celles de Paris, et profite de l'occasion pour rendre hommage aux bonnes dispositions dont a fait preuve le gouvernement français, "grâce auxquelles l'amitié franco-marocaine est redevenue une réalité tangible". Mais la France s'étant dores et déjà dessaisie des prérogations diplomatiques qu'elle tenait du traité de protectorat, n'avait plus à intervenir dans l'abrogation du convenio de 1912, dont elle avait cependant été la négociatrice et la signataire, mais aussi "au titre de mandataire", (ce qui ne serait pas arrivé si, comme l'eût souhaité Poincaré, la négociation de Madrid s'était achevée avant celle de Fez). Aussi bien les membres français de la délégation chérifïenne, s'ils sont sans doute opportunément consultés par leurs collègues marocains, n'agissent-ils qu'à titre strictement personnel, et n'apparaissent jamais dans les réunions de travail officielles. C'est également en dehors de toute participation française qu'interviendront, en 1958 et en 1970, les accords hispano-marocains de Cintra et de Fez, portant restitution de la zone d'influence sud-marocaine de Tarfaya et de l'enclave d'Ifni, dont les limites territoriales avaient cependant été définies par le convenio de 1912. Dans l'important discours qu'il prononce en mai 1958 en ouvrant la session des Cortés, le Général Franco revient longuement sur les conditions dans lesquelles il a été amené à reconnaître l'indépendance du Maroc. Il en rejette l'entière responsabilité sur "la décision unilatérale, et rendue publique, de l'autre puissance protectrice", obligeant ainsi l'Espagne à "accepter un changement aussi radical", auquel n'étaient encore prêtes "ni les institutions politiques rudimentaires, ni la préparation des hommes, ni l'économie des deux zones intégrées jusqu'alors par les deux nations protectrices". Néanmoins, et au lieu, comme elle en aurait eu la possibilité, de retarder de quelques années le moment de l'indépendance, l'Espagne avait choisi "le seul chemin conforme à sa politique traditionnelle d'amour et de fraternité à l'égard des Marocains". Tout comme le Caudillo, d'autres ont-ils pu penser, à l'époque, qu'en effet l'accélération de l'histoire avait quelque peu trop rapidement précipité une évolution qui de toute manière, serait devenue inévitable à plus ou moins longue échéance. Quoi qu'il en ait été, l'abrogation du régime de 1912 allait, fort heureusement, libérer les relations franco-espagnoles de cette "pierre d'achoppement" (l'expression est de M. Martin Artajo), jetée sur leur route marocaine par les "difficultés insoupçonnées" (pour reprendre celle de Raymond Recoucly) que ne pouvaient prévoir les négociateurs du convenio de 1912. Henry MARCHAT de l'Académie des
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