Afin d'avoir une vision globale de l'évolution de la technologie et de l'infrastructure déployée pour développer la téléphonie en France,
voici des articles qui synthétisent les aspects stratégiques avant et avec l'arrivée de l'électronique.


1 - Aspect stratégique du développement du réseau téléphonique en France de 1879 à 1940.
2- Quelques chiffres et événements, les techniques électro-mécaniques:

Déploiement du téléphone à Paris et sur d'autres régions :

2 - Répartition des abonnés sur PARIS et sa banlieue avant 1950
3 - Développement dans le Calvados avant 1914
4 -
Les premiers développements du téléphone en Lorraine
avant 1914
5 - Le téléphone et les transactions internationales avant 1932

6 - L'évolution du téléphone après les années 1950 : l'électronique le numérique

sommaire

Stratégie politique des télécommunications jusqu'à la première guerre mondiale

Le capitalisme, moteur de l’ouverture des télécommunications :
De la même manière, après la défense d’arrière-garde de Gasparin dansles années 1830, l’État va apprendre à coexister avec le secteur privé dans lechamp des télécommunications, malgré la longue survivance du monopole sur les infrastructures.
Dans les années 1840, le développement du télégraphe électrique marque la jonction des communications avec la « fée électricité » et démultiplie le nombre de dépêches pouvant être envoyées. Il est d’abord intégré au monopole public. Mais la demande commerciale de communications à distance est telle que l’État consent bientôt, par la loi du 29 novembre 1850, à une première remise en cause du monopole d’utilisation. Alors que la France est en retard sur le Royaume-Uni ou la Prusse dans le développement du réseau télégraphique, Louis-Napoléon étendra par un décret-loi de 1851 le monopole dans la construction des lignes et réaffirmera le monopole public d’exploitation, tout en maintenant la possibilité d’y déroger sur autorisation gouvernementale.
La mode économique est alors à l’ouverture des industries de réseaux au secteur privé. On y consent d’abord timidement en matière de télécom-munications. Si les infrastructures demeurent propriété de l’État, des autorisations d’usage seront notamment accordées aux compagnies de cheminde fer pour assurer la sécurité ferroviaire, ou à des entreprises proposant la transmission de dépêches internationales, alors que les câbles sous-marin sfont leur apparition et engagent l’internationalisation des télécommunications. Craignant que les lignes électriques soient exposées au vandalisme cette peur justifiera pendant plusieurs années de différer le passage du télégraphe optique au télégraphe électrique, le pouvoir prend également soin de réprimer toute forme de sabotage des lignes.
Louis-Napoléon lance aussi un plan d’investissement en vue du déploiement d’un réseau national pour le télégraphe électrique afin d’accompagner l’augmentation du trafic,alors que le nombre de dépêches transmises est multiplié par 50 en huit ans seulement (près des trois quarts du trafic sont liés aux activités boursières oucommerciales).
Le réseau national sera achevé en 1870. La France possède alors plus 2 800 bureaux publics. Bien évidemment, les formalités qui entourent la transmission des dépêches doivent garantir à l’État la possibilité d’exercer une surveillance étroite des communications. À cette fin, le télégraphe ne doit servir qu’auxcorrespondances privées. Une circulaire de 1854 signée par le garde dessceaux dispose en outre que les « directeurs du télégraphe doivent adresser au préfet une copie de toutes les dépêches particulières qui n’auront pas unintérêt purement privé ».
En vertu de l’article 3 de la loi du 29 novembre1850, ils peuvent également refuser de transmettre une dépêche s’il l’estime contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Les correspondances télégraphiques privées peuvent être suspendues totalement ou partiellement sur décision du gouvernement. Sans surprise, l’anonymat est proscrit : l’expéditeur est aussi tenu de fournir son nom et d’attester de son adresse, bref de son identité. Les « dépêches secrètes », inintelligibles, sont autorisées à condition d’être rédigées en signes romains ou en chiffres arabes. Mêmes si elles sont interdites avec certains pays – en 1870, sont notamment concernés des pays comme l’Autriche, l’Espagne ou la Perse – on suppose ces dépêches secrètes facilement déchiffrables. Surtout, les bureaux gardent trace de toute communication. Un directeur des transmissions télégraphiques àVersailles louera ainsi la contribution du télégraphe à l’ordre public : « la télégraphie réalise pour la sécurité publique l’idéal de M. Vidocq, de terrible mémoire ».
Présenté pour la première fois en France en 1877 (un an après le dépôt du brevet de Alexander Graham Bell aux États-Unis), le téléphone va de nouveau déstabiliser le régime de monopole. Dans un premier temps,les pouvoirs publics se désintéressent de cette technologie. Peu sont ceux qui perçoivent alors l’importance de cette innovation technique.
Tout au plus l’administration envisage-t-elle son utilisation militaire au niveau local, afin par exemple de transmettre à l’oral des dépêches aux bureaux télégraphiques. Dans les premières notices scientifiques consacrées au téléphone, « le lecteur pouvait lire de nombreuses pages sur les utilisations présentes et à venir du téléphone par l’armée et la marine en liaison avecle télégraphe ».
Quant à son utilisation par la population, l’État refuse de s’engager. Le réseau télégraphique – qui a déjà coûté cher – semble répondre aux besoins, d’autant que la guerre franco-allemande de 1870 grève toujours les finances publiques.
Les autorités font donc le choix de laisser le secteur privé prendre le risque des investissements dans les premiers réseaux téléphoniques, tout en se tenant prête à reprendre la main si jamais le téléphone en venait à rogner les revenus du télégraphe. Trois sociétés américaines arrivent alors sur le marché français pour faire valoir leurs brevets sur le téléphone. Sur le fondement des lois de 1837 et de 1851, l’État leur accorde en 1879 des autorisations pour une durée de cinq ans, assorties d’une taxe de 15 % sur les profits réalisés et d’un cahier des charges prévoyant par exemple que les travaux doivent être effectués par un ingénieur d’État. Ces entreprises,plutôt que de se faire concurrence, décident bientôt de fusionner pour former la Société Générale des Téléphones (SGT). Elles investissent Paris et lancent des travaux d’équipements à Lyon, Marseille ou Bordeaux, c’est-à-dire de grand centres urbains où elles espèrent tirer des profits maximum d’une clientèle d’affaires, le coût du service restant prohibitif.
Mais en 1882, le nouveau ministère des Postes et du Télégraphe, qui défend son monopole sur les télécommunications en arguant de la filiation naturelle entre le télégraphe et le téléphone, se décide à demander au Parlement les crédits nécessaires à la construction d’un réseau téléphonique public. Après avoir construit les premiers commutateurs et des lignes longue-distance (Paris-Lyon-Marseille et Paris-Bruxelles), l’État se rembourse au-près des opérateurs locaux qui souhaitent s’y connecter. Les recettes sont toutefois trop faibles pour servir à financer le développement d’un vrai réseau public, d’autant que le Parlement refuse d’octroyer des fonds supplémentaires. Or, malgré le sous investissement et des prix élevés pour les utilisateurs, le téléphone commence sérieusement à menacer les revenus du télégraphe.
Aussi l’État décide-t-il de la reprise en main de la SGT, nationalisée au forceps par la loi du 10 juillet 1889. Comme l’écrit Véronique Leroux, après les « atermoiements des premières années, l’Administration avait la conviction que le téléphone était une entreprise rentable ; rien ne s’opposait donc plus à l’appropriation de son exploitation par l’État ».
Pour financer le développement du réseau public, l’État s’inspire alors un mécanisme de financement innovant, proposé en 1888 par la municipalité de Limoges. Il est fondé sur un mécanisme d’avance de fonds par les villes et les chambres du commerce locales.
L’investissement initial est progressivement remboursé grâce aux premiers utilisateurs du réseau ainsi construit (le remboursement des avances devait s’effectuer en deux ans seulement en moyenne).
Une fois remboursés, ces réseaux locaux seraient ensuite intégrés au monopole d’État. Ce système original laissait l’initiative aux acteurs locaux, et permettait de répondre aux besoins négligés jusqu’alors : après que la loi de 1889 ait autorisé les collectivités locales à y recourir, le nombre de réseaux locaux allait être multiplié par dix en cinq ans seulement.
Un développement rapide qui vient garnir le monopole étatique, et qui conduit à étendre ce mécanisme innovant à la construction de lignes longue-distance, elles aussi laissées à l’initiative locale. Pourtant, le manque d’investissement dans la maintenance des réseaux(à la charge de l’État), couplé à l’incompétence technique des responsables des PTT, conduira à un retard durable du réseau téléphonique français.
Au contraire des États-Unis où le téléphone devient rapidement un moyen decommunication populaire (on compte un téléphone pour 208 personnes en1895), il reste en France réservé à la petite bourgeoisie et à l’élite économique (le ratio y est de un pour 1 216 ; 44 % des terminaux sont situés à Paris). Comme l’observe Chantal de Gournay dans une étude sur les débuts du téléphone à Paris, « durant la première décennie du téléphone, l’utilisation commerciale ou professionnelle de cette invention était presque exclusive de tout autre usage » et, « près d’un demi-siècle après son invention, le téléphone demeurait encore un outil essentiellement réservé aux professionnels ».
Le régime juridique des télécommunications est destiné à porter le capitalisme et le développement industriel du pays, et non pas la liberté d’ex-pression et de communication. Du point de vue des autorités, toutefois, on a pourvu à l’essentiel : les milieux d’affaires ont accès à cette nouvelle technique de communication, tandis que les recettes de l’État et sa maîtrise du réseau sont assurées.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, le débat sur la privatisation du téléphone sera relancé par les libéraux et le patronat, mais le monopole est alors reconduit.
Il faudra attendre les années 1970 pour que l’État cherche à démocratiser le téléphone, et les politiques néo-libérales des années 1980 pour que soit finalement engagée la privatisation des réseaux de télécommunications.


Félix Tréguer

sommaire

1- Le développement du réseau téléphonique dans l’espace français 1879 -1940 (Henry Bakis 1982 )

De 1879 à 1940, les réseaux téléphoniques vont équiper l’espace français.
L’éclairage donné ici à l’histoire du téléphone sera particulier : il s’agira d’insister chaque fois que nécessaire, sur les relations du réseau avec l’espace national. Or, ce dernier se subdivise schématiquement en trois types d’espaces (ceux de Paris, des grandes villes et des campagnes) qui vont justement donner lieu à des enjeux techniques et industriels différenciés dans le domaine de la commutation.
A une autre échelle, celle de l’ensemble du pays, se pose la question des liaisons interurbaines et des techniques de transmission.

Nous nous ferons l’écho, dans notre seconde partie, des enjeux technico-industriels à l’œuvre pour Paris, les villes de province et les campagnes. Mais auparavant, retraçons les grandes étapes du développement du réseau.

Grandes étapes du développement du réseau téléphonique


1879-1899 : monopole et concessions
Peu de temps après son invention, le téléphone fit son apparition en France.
Le 16 juin 1879, le ministre des Postes et Télégraphes prit un arrêté octroyant la concession des réseaux téléphoniques à l’industrie privée ; le monopole cependant restait entier au bénéfice de l’Etat.
L’industrie française des télécommunications était donc, à sa naissance, dotée de deux caractéristiques qui vont marquer son histoire : la tutelle de l’Administration des postes et télégraphes d’une part, l’influence des sociétés américaines d’autre part.

Les premières années sont marquées par la création du réseau de Paris en 1879.
La Société Générale des Téléphones crée des réseaux dans les grandes villes de province, Bordeaux, Marseille, Nantes, Le Havre, Lyon, Saint-Etienne, Angoulême...
A la fin de l’année 1888, on compte moins de 11 000 abonnés en France : la Société Générale des Téléphones comptait 6 100 abonnés à Paris et 2 400 en province ; l’Administration comptait pour sa part 2 350 abonnés en province.

1889-1913 : nationalisation et difficultés
L’Administration remet progressivement en cause les concessions ; elle espérait compenser par les recettes téléphoniques, la baisse des recettes télégraphiques qui s’amorçait.
Elle avait pu directement mesurer, par son expérience d’exploitation télépho¬ nique, que le téléphone était un investissement financièrement productif.
Mais à l’intérêt financier s’ajoutait deux préoccupations d’ordre politique : le téléphone apparaissait comme un instrument stratégique de contrôle de la communication sociale ;

Le développement du réseau téléphonique
il était exigé par certaines villes, et apparaissait comme devant relever du secteur public.
Mireille Nouvion souligne les revendications des notables des différentes régions :
«Les Chambres de Commerce, les Conseils Généraux votaient des motions virulentes contre la Société Générale des Téléphones. Les villes secondaires n’admettaient pas que le téléphone fût constitué en privilège au profit de Paris et des grosses agglomérations urbaines. La Société des Téléphones, en effet, dont l’avenir était borné à cinq ans, et qui devait annuellement à l’Etat 10 % de ses recettes, équipait en priorité les centres de plus grande rentabilité. »

Le souci de service public fut donc un argument important pour la nationalisation des réseaux : reprenant le téléphone, l’Etat pourrait réaliser promptement un système de téléphonie régionale ; il pourrait pratiquer des tarifs inférieurs à ceux de l’industrie privée ; enfin, il aurait du réseau une vision d’ensemble qui éviterait les incohérences inévitables liées à la diversité des interventions.

Les députés de l’Assemblée Nationale votèrent donc, en septembre 1889 la reprise du téléphone par l’Etat français (à raison de 435 voix contre 65) et l’exploitation du téléphone fut confiée au ministère des Postes et Télégraphes.
Paradoxalement, un choix lourd de conséquences fut fait alors :
«la constitution du réseau en petites unités réparties (dans les bureaux de postes et reliées entre elles par des artères de transmission de très faible capacité. » (M. Corrèze, 1974).

Ainsi, la nationalisation du téléphone n’a pas conduit à la constitution d’un réseau conçu à l’échelle de la France.
Au contraire, l’organisation téléphonique a été calquée sur la structure postale, qui, elle-même, suit le découpage administratif du pays.
«C’est le département en tant que division administrative qui a servi de schéma pour la construction des lignes : tout converge vers le chef-lieu du département, comme dans le pays tout converge vers Paris. » (P. Robert, 1920) .

Ce choix allait fournir à l’innovation un cadre très contraignant : le nombre de centraux nécessaires a été huit fois plus important en France que dans les autres pays européens et vingt fois plus grand qu’aux Etats-Unis («toutes choses égales par ailleurs » : M. Corrèze) .

La faiblesse des relations transversales du réseau français a frappé les députés se penchant sur la question du téléphone au début du siècle. Il faudra patienter jusqu’à l’automatisation pour que les délais d’attente n’atteignent plus une à trois heures dans les relations entre départements, trois à quatre heures dans les relations à grande distance.

La faiblesse des relations transversales tient prohablement au fait que l’Etat était bien propriétaire du réseau, mais n’était pas pour autant en mesure de financer ce développement, et la responsabilité en est revenue aux collectivités locales (loi du 20 mai 1890) ; par voie de conséquence, l’Etat n’était pas maître de la configuration de ce réseau, configuration qui ne reflétait pas la géographie économique de la France de cette époque.
Faut-il penser, avec P. Carré, que le téléphone apparaissait comme un objet de luxe ? Or, le luxe, par définition, n’est pas indispensable.

La configuration du réseau téléphonique français du début du XXe siècle apparaît comme résultant de choix peu compréhensibles, à moins de les analyser comme l’expression de restrictions imposées par les notables aux communications, ce qui est la thèse d’Yves Stourdzé, et, conjointement, car cette thèse mérite d’être modulée, comme la traduction en terme d’infrastructure, des besoins en communication de la société de l’époque. On sait en effet que les déplacements de région à région n’étaient pas aussi fréquents que de nos jours. Le contexte est tout différent de celui d’autres pays comme les Etats-Unis où les migrations d’une ville à l’autre, voire de l’Est à l’Ouest, font partie de la civilisation américaine.

De plus, en France, il n’y a manifestement pas à cette époque de demande populaire pour le téléphone, et il n’y en aura pas pendant fort longtemps. Plusieurs raisons sans doute à cela. D’abord le téléphone apparaît comme l’instrument des notables, instrument économique et politique. L’exposé des motifs du texte législatif entend d’ailleurs explicitement qu’il convient de restreindre l’usage du téléphone : on peut y lire que c’est la plus sûre des garanties contre son utilisation improductive ou inutile. Notons à ce propos que le «filtre des notables » continue à exercer ses effets dans un grand nombre d’Etats, en Afrique Noire par exemple, où le téléphone n’est pas installé chez l’agriculteur en brousse, mais chez le fonctionnaire ou le commerçant. Dans un cas comme dans l’autre la cherté des tarifs joue évidemment un rôle explicatif important, mais c’est par la faible urbanisation de la France par rapport aux autres pays que l’on peut expliquer une telle situation.

De 1889 à 1892, les financements sont assurés d’abord par la Caisse des Dépôts et Consignations, puis par un budget annexe.
Ce dernier mode de financement repoussé en 1892 pour des raisons d’orthodoxie budgétaire, l’Administration, ne pouvant compter sur les seuls crédits budgétaires, doit se tourner notam
ment vers des prêteurs bénévoles pour le financement des réseaux urbains et interurbains.
Le système des avances eut cependant pour inconvénient, outre d’accorder une fois encore la priorité aux corps intermédiaires mieux pourvus de ressources, de provoquer une véritable prolifération de centraux : les organismes prêteurs exigeant souvent en échange de leur avance, l’installation d’un central. De 1892 à 1923, le nombre d’abonnés par central décroît de façon aberrante.

1919-1939 : efforts d’équipement et manque de moyens budgétaires

Après les années de guerre, le développement du réseau téléphonique se présentait dans des termes différents pour les villes et les campagnes. Dans les campagnes était en vigueur le système des avances remboursables ; l’équipement était donc fonction de la demande effective.
Dans les villes, par contre, les investissements, plus lourds, devaient être pris en charge par le budget ; l’équipement était donc tributaire des disponibilités budgétaires.

En 1923, il fallait attendre en moyenne de quatre à cinq heures pour obtenir une communication interurbaine.
L’état de vétusté et d’insuffisance du service suscita une nouvelle montée de protestations.

Le 30 juin 1923, fut adopté un budget annexe au budget général pour l’Administration des P.T.T. avec possibilité d’emprunts spéciaux. Ce budget restait soumis aux règles générales régissant les finances publiques. Un plan de redressement pour les télécommunications (sur dix ans) fut également voté alors, dont les principales dispositions étaient les suivantes :
— normalisation des postes d’abonnés,
— réorganisation du réseau interurbain avec installation de répéteurs,
— automatisation de tous les réseaux de plus de 1 000 abonnés,
— introduction de petits autocommutateurs dans les réseaux de moins de 1 000 abonnés.
Ces décisions rendirent possible une modernisation du réseau.

Entre 1924 et 1934, le nombre d’abonnements nouveaux s’est élevé à 45 000 alors qu’il était de 25 000 entre 1919 et 1923.
Mais cette évolution favorable devait être contrariée par la politique de déflation du milieu des années 1930 : la nouvelle période de restrictions budgétaires devait se prolonger au-delà de la seconde guerre mondiale.

Avant même l’ouverture du central automatique de Paris-Carnot, le 22 septembre 1928, de nombreuses villes de province furent équipées en automatique. Ce fut le cas pour Dieppe (système Ericsson) ; Vichy, Le Havre, Montpellier, Rennes, Bordeaux, Lyon (système Strowger) ; Marseille et Nantes (système Rotary) .
Ainsi, le téléphone automatique des villes françaises ne connut pas de retard par rapport à l’étranger (Berlin et Londres par exemple) . Il fallait le souligner, car cela atténue la portée de la thèse sur le rôle prépondérant des notables locaux, tous ces équipements de grands réseaux en systèmes automatiques ne durent rien aux finances départementales ou locales. Les dépenses en étaient prévues et réglées sur le budget général de l’Etat, car, de 1920 à 1933 environ, on espérait le versement des sommes exigées des Allemands au titre des réparations de guerre, réparations prévues par le Traité de Versailles (28 juin 1919) .

Ce n’est donc qu’après 1933-1934 que les remarques sur le rôle des notables recouvrent leur pertinence.
En effet, c’est après ces années que, devant la carence d’un budget de l’Etat (politique de déflation du gouvernement Laval, diminution de 10 % du traitement des fonctionnaires) carence due à la crise, que le budget des P.T.T. fut fortement réduit.
Afin de poursuivre l’équipement téléphonique du pays, il fut décidé de faire appel aux finances locales pour assurer l’extension du réseau téléphonique dans les campagnes. Les avantages du téléphone rural, dit «automatique rural » étaient certains, car il mettait fin à l’interruption du service la nuit et les dimanches.
Les raccordements téléphoniques se poursuivent donc dans les réseaux ruraux. Il en allait différemment pour les réseaux urbains.

Des enjeux techniques et industriels différents pour trois types d’espaces : Paris, grandes villes, campagnes

- Paris : choix de l'I.T.T. pour la fourniture du central Carnot
Au 31 décembre 1918, Paris comptait 76 000 abonnés, desservis par 16 centraux. La vétusté du réseau était patente : l’incendie d’un central en 1908, les dégâts provoqués par les inondations de 1910 avaient souligné et aggravé cet état défectueux.
En octobre 1925, les P.T.T. mirent au concours le choix d’un système de communication pour Paris. Le choix du système devant équiper le central Carnot était aussi important pour l’Administration que pour les industriels car il engageait l’avenir du réseau parisien pour lequel il était inconcevable de choisir des systèmes différents. Cf. M. Deloraine : «A quelques exceptions près, tous ceux qui étaient engagés dans cette entreprise apprenaient leur métier...

Nous avons développé ailleurs les débuts de l’automatisation du réseau téléphonique de Paris, depuis la mise au concours (octobre 1925) jusqu’au choix du système Rotary.
Les raisons de ce choix tenaient pour l’essentiel à la valeur technique du matériel disposant notamment d’un «enregistreur-traducteur » (Bakis, 1985) . Les prix proposés étaient meilleurs que ceux inclus dans les propositions des concurrents : le système pas à pas était 8 % plus cher que Rotary, et l’Ericsson était de 11 % plus coûteux.
En second lieu, il était nécessaire de retenir une autre raison importante, quoique ne figurant pas au contrat : I.T.T. s’était engagée, pour mieux disposer l’Administration, à créer un laboratoire international à Paris dans le cas où son commutateur Rotary serait préféré à ceux proposés par les concurrents. Telle fut, selon M. Deloraine, l’origine du Laboratoire Central des Télécommunications (L.T.C.) .
Le central fut prêt pour le jour convenu du mois de septembre 1928 (Au fur et à mesure que le délai de livraison approchait, on se rendait plus clairement compte qu’il serait difficile de le respecter ; en décembre 1927, les heures de travail furent portées à soixante par semaine), ce qui semble bien avoir tenu du miracle. Mais la réputation de L.M.T. doit beaucoup à cette performance du central Carnot, d’autant que trente-six ans après son inauguration, il fonctionnait toujours ; sa durée de fonctionnement prévue était pourtant de seulement vingt-cinq ans.

Pour les grandes villes de province : choix du système R6
Pour équiper les villes de province, le système automatique R6 fut retenu par une commission qui se livra à des études comparatives techniques et économiques entre tous les systèmes (Strowger, Siemens, Rotary, Ericsson à 500 points, R6) .
Des membres de la Commission se rendirent dans des centraux déjà équipés avec l’un des systèmes cités, afin d’examiner les installations.
Le R6, dont les premiers centraux d’essais avaient assuré la commutation à Troyes, Nîmes, Epinal, donnait entière satisfaction .
Un équipement d’abonné dans un central R6 d’importance moyenne revenait en 1930 à un prix inférieur à
tous ceux des autres systèmes (également à Saint-Quentin et Roanne. Il s’agissait d’un central R6 destiné aux villes «moyennes » à autocommutateur unique, disposant d’un numérotage à quatre chiffres. Le central R6 d’un modèle à plus grande capacité (pour grands réseaux à cinq chiffres) ne fut mis au point qu’en 1933, et équipa le réseau Lille -Roubaix -Tourcoing.)
Une concurrence acharnée et étendue a donc eu pour conséquence le choix du système présentant le maximum d’avantages tant sur le plan technique que sur le plan économique : le R6. De plus, comme précédemment en ce qui concerne le système Rotary, le constructeur abandonna à l’Administration tous les droits de fabrication et d’usage et sans aucune redevance. Il en résulta que d’autres constructeurs, tels la CIT, la société Ericsson, la coopérative ouvrière AOIP, purent augmenter la production et accélérer l’installation de centraux automatiques en province, et même provoquer une certaine concurrence par le jeu de rabais sur les «prix de base » initiaux, conformément aux directives de la Commission des Marchés, devant laquelle les décisions importantes devaient toujours être présentées.
Mais la portée des décisions de l’Administration des télécommunications à propos du R6, fut considérablement limitée par les réductions de crédits intervenues à partir de 1934.

A propos de choix du R6 par l’Administration, Y. Stourdzé a avancé une thèse intéressante : celle de la stratégie de la multinationale I.T.T., mettant volontairement en concurrence deux filiales (L.M.T. et Compagnie des Téléphones Thomson Houston) afin de permettre à l’Administration de satisfaire son désir de ne pas dépendre d’un monopole ; mais, ce faisant, cette dernière n’aurait choisi qu’une «stratégie de pseudo-balance entre deux “ filiales ” d’une même firme multinationale... ».
L’auteur fonde sa thèse sur plusieurs faits. D’abord, la spécificité des technologies (différences entre Rotary et R6) n’est pas la cause de la persistance au sein de l’I.T.T. de deux filiales indépendantes et concurrentes sur le même marché de l’équipement téléphonique de la France : en effet, il est vrai que les études conduisant à la mise au point du système R6 furent menées en 1929-1930, soit après le rachat de la Compagnie des Téléphones Thomson-Houston par 1T.T.T. en avril 1927. Ce qui implique que la différence dans les technologies proposées ne correspondait nullement à un «héritage » qu’aurait fait l’I.T.T. en acquérant une nouvelle filiale, mais, au contraire, que cette différence résultait d’une stratégie de la part de la firme multinationale ; stratégie qui semble d’autant plus plausible que la nouvelle filiale (Thomson) limita sa concurrence au marché français : «pseudo-rivalités, parce que les différences, ici, n’affectent pas le conglomérat dans sa politique générale...
L’opposition interne ne déborde pas sur des enjeux fondamentaux » : l’exportation. Second fait : dans les années cinquante, les deux filiales se mirent à fabriquer des autocommutateurs téléphoniques de même technologie (la technologie Crossbar) , ce qui ne les empêcha nullement de survivre toutes deux. Ainsi,
«la Bell d’Anvers marqua un point en sortant la première.

Le développement du réseau téléphonique

Un système utilisant les «relais-reed » mis au point par les Bell Laboratories, la C.G.C.T. marquant le pas puis reprenant l’avantage par l’invention d’une technologie originale dite des «mini-crossbar ».
L’hypothèse que formule l’auteur est donc que le fournisseur dominant doit se garder d’apparaître monopoliste, donc dangereux : il doit au contraire faire montre d’une structure à opposition interne «qui permettra à l’Administration d’imaginer qu’elle n’est pas face à une entité unique, mais à des unités différentielles qu’elle peut soutenir simultanément ou successivement » pensant «créer chez le(s) fournisseur(s) un équilibre des factions. Politique s’efforçant de reproduire, au fond, chez le fournisseur, l’équilibre inter-administratif lui-même... ».

Laissons à l’auteur cette interprétation qui, pour être intéressante et probablement juste en ce qui concerne la stratégie de la multinationale I.T.T. jouant sur plusieurs claviers simultanément, nous semble toutefois inexacte en ce qui concerne l’Administration. En effet, comme on l’a montré, le choix a été précédé d’une concurrence très sérieuse sur le plan technique. Par ailleurs, l’Administration a exigé de ses fournisseurs l’abandon des droits sur les systèmes qu’elle adoptait pour le réseau. Aussi, la crainte d’un monopole de la part de l’Administration ne devait pas être aussi aiguë dès lors qu’était obtenu contractuellement cet abandon des droits de fabrication et d’installation par le fournisseur choisi, et que la concurrence pouvait jouer de nouveau entre fournisseurs pour la fabrication d’un système déjà choisi (rabais sur les prix de base initiaux conformément aux directives de la Commission des Marchés, comme on l’a signalé plus haut) .

Une soixantaine de centraux, équipés en système R6, furent implantés entre 1928 et 1946. La région de Lyon en bénéficia particulièrement, avec l’installation d’un centre à Roanne en 1930, à Saint-Etienne en 1931, Villeurbanne en 1932, à Tassin, La Mulatière, Caluire, Oullins, Saint-Fons, Ecully, Champagne en 1937, Vénissieux, Saint-Fons encore, Bron en 1938, Saint-Didier et Saint-Rambert en 1939.

L’équipement des réseaux ruraux

On se heurtait dans les campagnes à un certain nombre de difficultés. Sur le plan de l’organisation du réseau, des choix fondamentaux avaient conduit à «la multiplication du nombre de centres de commutation : de 220 en 1892, il atteignait 21 500 en 1928, soit, toutes choses égales par ailleurs, un nombre de centraux 8 fois plus grand que dans les autres pays européens et 20 fois plus grand qu’aux Etats-Unis.
Vers 1925, sur 25 000 réseaux environ existant en France, plus de la moitié ne comportait que 5 abonnés au moins.
L’automatisation aurait exigé une réorganisation complète de ces réseaux, la transformation des postes d’abonnés, encore à piles et à magnéto d’appel, en postes à cadran, le remaniement et la création de lignes et de circuits. Cela aurait représenté des dépenses d’investissements considérables qui n’apparurent pas justifiées à l’époque » (Nouvion, 1982, p. 40).

Le système dénommé «automatique rural » apporta aux usagers l’avantage de la permanence et de la discrétion du service dans les bureaux de poste et la concentration des opératrices dans les centres importants. Ce système n’était cependant que semi-automatique, puisque les abonnés devaient encore manœuvrer une magnéto et non un cadran.
Techniquement, il s’agissait simplement de remplacer les opératrices intermédiaires, en établissant des dispositifs techniques. Les demandes de communication téléphonique des abonnés étaient ainsi acheminées directement vers un centre de commutation manuel où les opératrices intervenaient toujours : elles prenaient alors en charge l’appel du demandeur en cherchant à mettre ce dernier en liaison avec le poste demandé.

Le système rural retenu par l’Administration française devait répondre à des exigences d’exploitation préalablement définies.

Huit entreprises entrèrent en concurrence, et, comme l’Administration entendait ne pas vouloir se contenter d’un choix sur documents, elles durent équiper, à partir de 1929, un groupement, à titre d’essais dans la région Paris extra-muros, comportant chacun de 20 à 30 bureaux, maintenant la desserte d’un grand nombre d’abonnés par un petit nombre de circuits. Au lieu d’intégrer la commutation automatique, qui était une innovation, dans le réseau antérieur, quitte à entreprendre pour cela les réorganisations nécessaires et en retirer les bénéfices au niveau de l’amélioration du fonctionnement de l’ensemble du réseau, l’Administration, appuyée par les Conseils Généraux, allait fortifier une structure de réseau dépassée technologiquement. Pourquoi de telles décisions techniques ?

(Ouvrons une parenthèse à propos des postes téléphoniques de l’Administration française. Le premier poste à cadran (donc relié à un réseau automatique) est le Poste 1924 à colonne. Il a été installé à Paris dès l’automatisation du réseau de la capitale. Le second poste mis en service est le U 43 (Universel 1943), qui doit son qualificatif d’universel au fait qu’il pouvait être équipé d’un cadran lorsqu’il était raccordé à un réseau automatique, ou d’une magnéto à poussoir (remplaçant les postes à manivelle des réseaux à commutation manuelle). Cette astuce technique (la magnéto ayant le même encombrement que le cadran) a permis à l’U 43 d’être installé dans les campagnes (avec magnéto). Lorsqu’un réseau rural passait en automatique, il suffisait de remplacer la magnéto à poussoir par un cadran (poste mis au point au SRCT). Le C 63 (Socotel 1963) résulte d’études menées au C.N.E.T)

Le développement du réseau téléphonique

La faiblesse de base du «semi-automatique » rural tient à ce qu’il ne remettait pas en cause le réseau antérieur, et en prolongeait les faiblesses. L’amélioration du fonctionnement de l’ensemble du réseau n’est pas l’objectif poursuivi ; il s’agissait plus simplement, d’apporter quelques améliorations pour les usagers, et grâce au mode de financement, de poursuivre l’équipement téléphonique du pays malgré l’absence de moyens budgétaires. Les ingénieurs des Télécommunications mirent en valeur le fait que le système rural était justifié dans les zones à faible densité téléphonique, «même lorsque le centre de groupement était équipé en automatique, et surtout tant que l’exploitation interurbaine n’existait pas, ce qui fut le cas jusqu’en 1950. Mais à partir du moment où le centre de groupement est doté d’un autocommutateur établissant des communications interurbaines et où la densité et le trafic téléphonique ont atteint une certaine valeur, le système rural n’est plus justifié. C’est l’équipement en “automatique intégral” qui s’impose » .

L’équipement des réseaux ruraux en «semi-automatique » débuta dans toute la France en 1936.
Il se poursuivit jusqu’à la seconde guerre mondiale grâce aux concours financiers très substantiels apportés par les départements et les collectivités locales : le nombre de communes pourvues du téléphone est passé de 22 163 en 1923, à 33 521 en 1939.

L’équipement du territoire en réseaux téléphoniques témoigne d’une situation contradictoire qui s’est prolongée jusqu’aux années 1960.
Comme le souligne M. Nouvion, cette situation est caractérisée à la fois par des vagues d’innovations fondamentales souvent liées dans leur mise en œuvre aux moments de protestations les plus intenses des milieux des affaires et du Parlement, et par une stagnation de l’activité globale, car faute de moyens de financements suffisants, l’Administration ne pouvait donner une véritable extension au réseau ni veiller au renouvellement des équipements existants.

Géré par des groupes privés pendant une dizaine d’années, le téléphone a été nationalisé dès 1889. Mais, par le système de financement mis en place, ce sont des notables qui détenaient le contrôle réel de l’avenir du téléphone en France. Pourquoi cette décision ? Parce que les problèmes de communication à l’échelle locale étaient gérés par les notables locaux, notamment à travers la presse locale et régionale que la Poste permettait de distribuer et d’acheminer fournissant à la fois un soutien logis¬ tique et un soutien financier (aujourd’hui encore, ne dit-on pas que le routage de la presse est l’une des principales causes du déficit de la Poste ?).

Ainsi, pour que le téléphone se développe, il fallait que les notables le souhaitent, c’est-à-dire qu’ils devaient avoir un certain besoin de ce nouveau média de communication, ou, tout au moins, qu’ils devaient ne pas éprouver de crainte particulière à son encontre. Or, c’était bien le cas : «Apparemment... les notables locaux n’avaient rien à attendre du téléphone, instrument de communication point à point sans intermédiaire. Ils défendaient pour leur part, tout comme l’Etat central, une structure pyramidale de transmission, où les intermédiaires jouent un rôle fondamental de “disjoncteur” et de “filtres” institutionnels. Selon eux, le téléphone court-circuitait bien sûr ce réseau, et n’avait donc pas sa place dans le système de communication français ».

Outil de dialogue, le téléphone semblait devoir perturber considérablement le «fragile équilibre existant dans le système de la transmission des informations dans ce pays». Les notables locaux, par l’intermédiaire de la procédure de financement avaient donc gardé le contrôle des extensions du réseau. Car, pour que le téléphone se développe, il fallait que les collectivités locales (conseils généraux, chambres de commerce) fassent des avances au Trésor couvrant les frais d’installation du réseau. Et les P.T.T. procédaient au remboursement grâce aux bénéfices d’exploitation sans intérêts.

De ce survol historique du développement du téléphone en France, on peut en déduire qu’un modèle hiérarchique précède, accompagne et encadre le développement du réseau téléphonique en France. Comme le montre Y. Stour dzé, les instruments de dialogue, de réversibilité de la communication, furent plus ou moins complètement escamotés au profit d’autres instruments techniques qui trouvèrent plus aisément le financement, l’appui et le soutien des sociétés savantes et des pouvoirs publics comme des institutions industrielles et commerciales .

A contrario, le développement en France de la radiodiffusion et de la télévision qui ne contrariaient pas le modèle hiérarchique (et le fortifiant même) furent plus vigoureux. D’ailleurs, si le téléphone lui-même s’est un peu développé à la fin du xix siècle et au début du XX siècle, cela est dû en partie à un malentendu : il était considéré comme un instrument de diffusion.

Devant la profusion de systèmes de télécommunications, devant la multiplication des réseaux, les incitations à les utiliser (publicités) , devant les bouleversements technologiques impliquant la mise à la disposition du public de moyens de vidéocommunication, ou de téléinformatique domestique, on peut se demander si la société française a, de nos jours, véritablement abandonné le modèle hiérarchique.

Henry Bakis Chercheur au C.N.E.T. Issy-les-Moulineaux

sommaire

RAPPEL de quelques chiffres et événements, des techniques en cours :

- 1897 On compte alors en France 11.314 abonnés, dont 6.425 à Paris
- 1900 on fait un premier essai du système automatique Strowger dans les locaux du Ministère du Commerce, pour évaluer ce nouveau système (sans abonné puplique).
- 1909 il n'y avait que 44 600 abonnés â Paris.
- 1921 Le nouveau réseau de Paris sera structuré autour de 4 centres de jonctions dont le nombre et la localisation auront été déterminés par une étude du trafic. Ce sont en 1922 les bureaux existants de Guyot (nord-Ouest), Combat (nord-est), Daumesnil (Sud-est) et Vaugirard (Sud-ouest). A cette date tout Paris est toujours en manuel.
- 1926 Le système Rotary 7A est finalement choisi le 13 octobre, pour équiper PARIS et il est décidé que le système R6, sera implanté dans les villes moyennes de province dès 1928 en commençant par Troyes
-
1927 le ROTARY 7A1 une variante du 7A est mise en service pour la première fois dans le monde en France, à Nantes en octobre , fabriquée en France par la société Le Matériel Téléphonique (L.M.T), capable de gérer jusqu'à 10.000 abonnés (au lieu des 20.000 lignes initialement )
Au final la version ROTARY 7A1 est retenue pour une mise en service dans tout Paris

- 1928 : mise en service du premier central téléphonique automatique à Paris central "Carnot". A cette occasion on installe chez les abonnés reliés au téléphone automatique un poste à cadran
A Paris, il y a 160 000 abonnés.
Les travaux de transformation dureront une douzaine d'années, et le nombre des abonnés atteindra environ 350 000 quand ils seront terminés en 1940.

La première partie du programme (transformation progressive des bureaux très importants) a déjà reçu une réalisation partielle.
Centraux automatiques déjà en service :
Réseaux en cours de transformation :
Rouen : 6 000 abonnés ;
Nîmes : 1800 abonnés;
Epinal : 1200 abonnés ;

Paris .
Neuf bureaux automatiques sont déjà commandés et en cours de construction :
Carnot, 6000 abonnés (en service) ;
Gobelins, 10000;
Vaugirard, 8000;
Diderot, 10000;
Trudaine, 10000;
Danton, 10000;
Odéon, 6000;
Anjou, 10000;
Opéra, 10000.
Le programme d'automatisation prévu avait laissé une marge de croissance suffisante entre la capacité future du réseau et l'évolution du nombre d'abonnés qui avait jusqu'alors doublé tous les 10 ans depuis 1909.
Le programme prévoyait d'accueillir 500 000 abonnés en 1936 dans 42 centraux, alors que le nombre d'abonnés à Paris était seulement de 186 365 en 1931.
On peut connaitre l'évolution et la
Répartition des abonnés sur PARIS et sa banlieue dans cette rubrique.

Pour automatiser la province, on se refert à cet exposé de A. JOUTY INGÉNIEUR EN CHEF DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

- LA COMMUTATION TÉLÉPHONIQUE EN PROVINCE

La construction d'un réseau de commutation téléphonique est une oeuvre de longue haleine, dont le but « l'automatique intégral » semble reculer à mesure que l'on s'en approche. Pourquoi l'automatique intégral ?
Sa nécessité n'a pas toujours été reconnue et a même été parfois énergiquement niée par les directeurs de très puissantes exploitations.
Aujourd'hui la situation est plus claire, car le tèléphone a pénétré partout et sert à entrer en contact immédiat aussi bien avec le voisin de palier qu'avec un correspondant aux antipodes ; et il a bien fallu reconnaître qu'un service téléphonique manuel n'est supportable qu'à deux conditions :
- le nombre d'opératrices requis pour établir une communication entre abonnés de centraux différents doit être le plus réduit possible ;
- tout central manuel doit desservir assez d'abonnés pour fournir aux heures creuses, et en particulier la nuit, un trafic suffisant pour justifier la permanence du service.

De là découlent les urgences de l'automatisation :
- d'abord les grandes villes, où le réseau local se partage entre plusieurs centraux,
- les campagnes ensuite, dont les abonnés sont dispersés sur de minuscules centraux.
- Les petites villes, les bourgades resteront pour la fin ; elles passeront même après l'automatisation du trafic interurbain.
De ces ordres d'urgence découle la structure du réseau téléphonique de la province :

* Les petites villes, du moins celles qui ont franchi l'étape de l'automatisation, sont équipées des matériels les plus modernes, les grandes villes des systèmes automatiques les plus anciens. Mais dans ces dernières, il aura fallu entre temps faire face aux accroissements tant de la population que de la pénétration du téléphone ; il aura fallu aussi adapter les techniques passées à l'évolution naturelle de l'exploitation interurbaine qui, d'abord manuelle, puis devenant de plus en plus exigeante, en quantité, qualité et rapidité, atteignant des portées de plus en plus lointaines, requiert à son tour l'automatisation.

* Aussi dans les grandes villes, se superposent les sédiments de l'évolution des systèmes automatiques : les matériels anciens, plus ou moins remaniés ou adaptés, s'y mêlent aux matériels modernes, faisant ainsi d'un grand réseau une mosaïque d'éléments techniques divers, rassemblés à grand peine autour de quelques principes de fonctionnement communs.

* Les zones rurales, dont les 750 000 abonnés sont disséminés sur quelque 25 000 centraux ont été peu à peu équipées pendant ce temps de l' « automatisation rural », qui permet de concentrer le trafic d'un nombre suffisant d'abonnés sur un centre de groupement manuel, au moyen de commutateurs « semi-automatiques » , c'est-à-dire télécommandés par une opératrice.

* Dans les autres centraux, qui, faute de temps, d'argent ou de place attendent encore l'automatique, on rencontre les matériels les plus divers : tableaux standards à batterie locale, multiples « extensibles » d'un modèle conçu entre les deux guerres, en vue d'obtenir une certaine souplesse d'installation.

Ainsi, notre réseau de commutation présente une diversité telle qu'aucune description ne pourra en être complète, ni même exacte, car il faudra faire abstraction de tout un ensemble de particularités, qui auront rendu irréductibles l'un à l'autre le système Strowger de Lyon et le système Strowger de Bordeaux, aussi bien que le système Rotary de Marseille et le système Rotary de Nantes, Tout à Relais à Fontainebleau

La description peut en être tentée tout aussi bien du point de vue de l'importance des installations et de la nature des problèmes d'exploitation : grandes agglomérations, banlieues, petites villes, campagnes, que du point de vue de l'évolution historique des systèmes automatiques et de leurs procédés de fabrication : système Strowger, Rotary 7A, R6, Rotary 7B, Crossbar Pentaconta et Crossbar CP 400.
Mais quelle que soit la localité à laquelle nous songeons, quel que soit le nom de baptême du système automatique qui la dessert, nous ne devons pas oublier que le central, ou les centraux, dont elle est équipée, possède ses particularités propres, non seulement d'équipement, mais aussi de fonctionnement, en raison des adaptations successives qui ont dû y être apportées.

En gros nous pouvons distinguer 3 phases dans l'équipement en automatique des villes de province :
- la période des expériences préliminaires, qui a duré de 1911 à 1930 et a été marquée par la mise en service de systèmes automatiques divers : Strowger, Rotary, Ericsson, Tout à Relais, R6.
- l'ère du R6 qui a duré jusqu'en 1961, au cours de laquelle les centraux commandés pour la province font appel à ce type de matériel exception faite des réseaux et localités antérieurement équipés en Strowger ou en Rotary, exception faite également de la période d'essai des systèmes Crossbar qui débute en 1955.
- la phase du Crossbar, où tous les centraux sont commandés dans l'un ou l'autre des deux systèmes Crossbar CP 400 ou Pentaconta.
Mais dès son début on cesse de fabriquer le R6, et on introduit le Crossbar dans les réseaux R6, combinant ainsi dans un même ensemble des systèmes fondamentalement hétérogènes.

L'équipement des campagnes en téléphone automatique a subi une évolution particulière, car à l'origine le besoin essentiel était d'y introduire aux moindres frais la permanence du service. Ce désir, compte tenu de la faible intensité du trafic téléphonique rural, a conduit à préférer jusqu'en 1954 exception faite des zones fortement urbanisées, telles les banlieues de grandes villes, ou de zones touristiques comme la côte d'Azur, une exploitation manuelle semi automatique à une exploitation entièrement automatique.
L'équipement de la province en automatique rural a ainsi débuté en 1929 par l'essai de huit systèmes différents.
A la veille de la guerre, la moitié du territoire est équipée.

En 1954, débute l'équipement de bourgades rurales, importantes en automatique intégral « S.R.C.T. ». Il s'agit de petits autocommutateur R6, conçus par le service des recherches et du contrôle technique de l'administration, qui donnent à leurs abonnés les facilités, y compris l'automatique interurbain, dont jouissent déjà les abonnés des grandes villes.
L'effort d'équipement en automatique rural ne cesse pas pour autant, mais se concentre sur l'équipement des villages.
En 1962, lorsque le R6 cède la place aux systèmes Crossbar dans les grandes villes une nouvelle version - en matériel Crossbar CP 400 - des petits autocommutateurs est mise au point. C'est le matériel Socotel S1, conçu pour parler le même langage que son prédécesseur, afin d'obtenir une interchangeabilité aussi complète que possible.

Il est certes plus facile de reproduire l'histoire du téléphone automatique que d'en décrire les techniques, qui sont variées et complexes.
Il n'a jamais été simple que dans la conception originale de Strowger : chaque ligne d'abonné se termine sur un « connecteur » qui donne accès à 100 lignes, disposées sur un cylindre en 10 nh;eaux de 10 lignes. Un balai radial peut venir en contact avec l'une quelconque de ces 100 broches par un double mouvement : translation selon l'axe du cylindre support, rotation autour de cet axe.
Le premier mouvement est commandé à distance par l'abonné demandeur, qui dispose à cet effet d'un manipulateur. Les impulsions de courant fournies par ce dernier agissent sur un électro-aimant qui, par un système à cliquet et crémaillère, fait monter l'arbre porte balai d'autant de pas que d'impulsions re çues. Un autre manipulateur commande un second électroaimant qui, par un système à cliquet et roue à rochet, fait tourner l'arbre porte balai. Pour rendre les deux mouvements successifs compatibles, la crémaillère doit être de révolution, tandis que le rochet doit être cylindrique. Un troisième manipulateur commande un électroaimant de libération qui relâche les cliquets de retenue de la crémaillère et du cylindre à rochet (rappelé par un ressort).
Chacun des 100 abonnés peut ainsi appeler l'un quelconque des 100 autres par son connecteur, auquel il est relié par une ligne à 4 fils : 3 pour la commande des électros d'ascension, de rotation et de libération et le 4° pour la conversation (avec retour par le sol).

La mise au point de ce système initial pourtant si simple demanda des années, car immédiatement les problèmes surgirent :
- Comment étendre le système à plus de 100 lignes ?
- Comment éviter qu'un tiers ne puisse rentrer sur une communication en cours ? -
- Comment réduire le nombre des fils de commande ?
Le dernier problème est résolu par l'invention du cadran d'appel, qui permet d'envoyer des trains d'impulsions successifs sur les fils de conversation. La distinction entre la dernière impulsion d'un train et la première du train suivant dépend du temps de fonctionnement de relais, et l'intervalle entre trains d'impulsions doit être nettement plus long que l'intervalle entre impulsions.
Le second problème conduit à placer, sur les lignes engagées en conversation, un potentiel interdisant toute autre connexion, potentiel que saura reconnaître le connecteur qui atteint une telle ligne.
C'est le premier des trois problèmes précédents qui demanda le plus d'efforts. Il fut résolu au moyen des « sélecteurs de groupe ».

Dans un central de 1 000 lignes pàr exemple, chacune ligne d'abonné aboutit à un sélecteur semblable aux connecteurs, mais d'utilifation différente. Chaque niveau du sélecteur permet d'atteindre un groupe de 10 connecteurs d'une centaine particulière, également accessibles à tous les autres sélecteurs du central. Aussi le sélecteur qui atteint le niveau correspondant à une centaine déterminée, y trouve des connecteurs, dont certains sont libres et d'autres déjà occupés. Le sélecteur explore ce niveau dans un mouvement automatique de rotation, sait reconnaître le potentiel caractéristique des connecteurs occupés et s'arrête sur le premier connecteur trouvé libre. On passe aux centraux de capacité supérieure en ajoutant un nouvel étage de sélection.

Dans un central de 10 000 lignes, il y a donc un étage de sélecteurs de milliers, un étage de sélecteurs de centaines, lui même décomposé en 10 groupes distincts (un par millier) et un étage de connecteurs décomposé en 100 groupes distincts (un par centaine).

Il ne reste plus qu'un problème majeur à résoudre pour donner au système Strowger sa structure classique : au lieu d'en affecter un à chaque ligne d'abonné, réduire le nombres des premiers sélecteurs au strict nécessaire pour écouler le trafic.
Il faut pour cela interposer entre chaque ligne d'abonné et les premiers sélecteurs un commutateur supplémentaire, le présélecteur, qui dès que l'abonné appelle, part à la recherche d'un premier sélecteur libre et s'arrête sur lui. Le premier sélecteur ainsi trouvé fournit la totalité de numérotation.
L'économie faite en réduisant le nombre des premiers sélecteurs doit largement compenser l'introduction des présélecteurs, dont le mécanisme est beaucoup plus simple.
Une fois brevetées les solutions de ces problèmes, il ne restait plus aux imitateurs de Strowger que deux issues : acquérir des licences de fabrication, ou s'orienter vers des solutions plus complexes et fra
nchement différentes.

C'est pourquoi le système Rotary s'oppose si nettement au système Strowger dans son fonctionnement
et non pas seulement dans sa structure mécanique.
Les mouvements des sélecteurs Strowger sont commandés par des impulsions de courant venues du poste de l'abonné, et les électroaimants récepteurs entraînent les mécanismes par des cliquets ; en Rotary un embrayage électro-magnétique accouple au moment voulu le sélecteur à un arbre en rotation permanente, et le sélecteur ainsi embrayé signale sa position en envoyant vers l'arrière des impulsions de courant.
Dans une première ébauche (système Lorimer, expérimenté à Lyon en 1908), ces impulsions de courant iront dans le poste d'abonné rappeler successivement au repos 4 leviers à 10 positions qui y marquent le numéro demandé.
Dès qu'un des leviers est revenu au repos, le sélecteur correspondant est débrayé et cesse de se mouvoir, tandis que le sélecteur suivant est embrayé à son tour .
Mais cette solution, qui place un volumineux mécanisme chez l'ahonné, est encore trop lourde, et le Rotary qui acceptera le disque d'appel du Strowger (le procédé inventé par "Wheatstone en 1839, est dans le domaine public) devra remplacer le tableau de leviers du poste d'abonné par un organe placé au central et appelé enregistreur.
Ce dernier reçoit les trains d'impulsions directes venues du cadran d'appel et les trains d'impulsions « inverses » venant des différents sélecteurs utilisés, compare les deux séries et arrête chaque sélecteur sur le niveau voulu. Les enregistreurs sont d'ailleurs mis en groupe commun, car il en faut très peu ; chaque premier sélecteur s'en associe un tempor airement pendant la phase d'établissement de la communication.
Autre complication nécessaire pour différencier le Rotary : le sélecteur n'aura pas accès à 100 directions, mais à 200. Du coup les trains d'impulsions directes et inverses ne sont pas identiques et l'enregistreur doit comparer des nombres exprimés dans deux systèmes de numérortation différents.
Ce procédé contient en germe celui de la « traduction » des préfixes, qui est aujourd'hui d'emploi universel en automatique interurbain.
Le système R6 représente une autre orientation de la technique de la téléphonie automatique ; en tentant de simplifier la mécanique du sélecteur, il s'inscrit dans le sens d'une évolution qui part de solutions à prépondérance mécanique pour promouvoir des solutions à prépondérance électrique de plus en plus marquée.
Tandis que les balais du sélecteur Strowger se meuvent de deux façons distinctes, ascension et rotation, le sélecteur R6 ne possède qu'un seul mouvement, explorant à la file dans sa rotation des « niveaux » qui ne se distinguent plus à l'oeil.
Pour les reconnaître il faut associer au sélecteur R6 un petit commutateur à 10 directions, l' «orienteur », qui reçoit le train d'impulsions venu du cadran, et marque d'un certain potentiel toutes les lignes du niveau correspondant. Cet orienteur, qui ne sert que quelques secondes par communication est systématiquement associé à 10 sélecteurs.
Par la suite, le système R6 s'est à son tour adjoint des enregistreurs, et dans ses deux dernières formes R6 N1 et R6 N2, des traducteurs : pour écouler les communications automatiques interurbaines, il faut en effet analyser ·les préfixes pour déterminer tant la route à suivre que la taxe appliquée.
Les systèmes Crossbar représentent un pas supplémentaire dans la recherche de solutions purement électriques.
Toute la complexité y est donc reportée dans les circuits électriques, mais les Systèmes Crossbar modernes sont cependant les descendants d'un type intermédiaire de systèmes automatiques dénommés systèmes « Tout à Relais », aujourd'hui disparus.
Un autocommutateur tout à relais a desservi Fontainebleau de 1927 à 1942, mais l'invention initiale remonte à 1906.
Outre le désir de s'affranchir des brevets existants, ce type de commutation repose sur le souci de réduire l'usure, d'une part en substituant des contacts par pression sans glissement aux contacts glissants des commutateurs à balais, d'autre part en s'affranchissant des percussions parfois brutales auxquelles ces derniers sont soumis.
L'idée de base des circuits électriques fut qu'un groupe de 20 relais, soit 10 relais de dizaine et 10 relais d'unité dont les contacts sont convenablement disposés, peut relier une ligne d'entrée à une ligne de sortie prise parmi 100 autres, en constituant ainsi l'équivalent d'un connecteur Strowger. Dans la forme moderne et sous réserve de quelques complications mécaniques, les systèmes Crossbar assemblent ces 20 relais en un ensemble compact dénommé Commutateur Crossbar (en supposant qu'il s'agisse d'un commutateur Crossbar 10 X 10).
Cependant les solutions actuelles utilisent de préférence le Commutateur Crossbar à 10 X 10 de façon à relier 10 lignes entrantes distinctes à 10 lignes sortantes. En associant 10 commutateurs semblables, on obtient un paquet de 100 lignes entrantes dont chacun accède à un groupe de 10 «mailles» ; chaque maille à son tour entre dans un second Commutateur Crossbar, qui lui donne accès à 10 lignes sortantes.
On réalise ainsi un ensemble complexe, mais homogène, où 100 lignes entrantes accèdent à 100 lignes sortantes par l'intermédiaire de 100 mailles, c'est-à-dire l'équivalent d'un groupe de 100 sélecteurs à 100 directions ; chaque commutateur primaire n'est relié à un commutateur secondaire donné que par une unique maille. Les connexions à l'intérieur du groupe de 20 commutateurs sont établies par l'intermédiaire d'un « marqueur » qui identifie la position de la ligne appelante, et ayant reçu l'indication de niveau de sortie choisit une ligne sortante libre, reliée à la ligne appelante par l'intermédiaire d'une maille libre, qu'il désigne.
A l'agencement numérique près, tous les systèmes Crossbar sont basés sur ce principe.
Le système CP 400, qui utilise des commutateurs à 10 X 20 (en fait des commutateurs à 10 X 12 utilisés en 10 X 20 grâce à un artifice), permet ainsi de relier chaque ligne entrante à un groupe de 400 lignes sortantes.
Le système Pentaconta qui utilise des commutateurs n X 52 (en fait des commutateurs n X 28, où n peut selon les conditions prendre des valeurs comprises entre 8 et 16), permet pour sa part de relier chaque ligne entrante à 1 040 lignes sortantes, compte tenu du fait que l'on prévoit 2 mailles directes de chaque commutateur primaire à chaque commutateur secondaire, et que l'on utilise que 40 mailles directes à la sortie de chaque commutateur primaire.
L'étape future sera la commutation électronique.
Toutes les fonctions de commande y seront assurées par des calculateurs et des mémoires n'utilisant que des matériaux électroniques mais le « 'réseau de connexion », au moins dans les premières versions y reproduira sous une autre forme le réseau de connexion des centraux Crossbar ; toutefois les contacts placés dans des tubes de verre scellés. et remplis d'un gaz inerte y seront mis à l'abri de la poussière, l'ennemi essentiel du téléphone automatique.
Ainsi la commutation téléphonique automatique, dont le matériel peut durer 40 à 50 ans, se montre · une oeuvre vivante, en perpétuelle croissance, en perpétuelle adaptation à des conditions changeantes d'exploitation et de production : hier destinée à un service purement urbain. elle devra permettre demain de relier des « cerveaux électroniques » par un réseau mondial de téléphonie automatique ; hier sa technique, à base de tours et de fraiseuses, aujourd'hui faite de métaux découpés à la presse, d'isolants moulés et de bobinages, reposera demain entièrement sur la chimie des semi-conducteurs.

A. JOUTY

Rappel des différents types de commutateurs automatiques éléctro mécaniques utilisés en France :
Le réseau téléphonique de Paris intra-muros fut entièrement automatisé en 1939, juste avant la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne.
La totalité de l’Île-de-France ne sera automatisée qu’en 1975, et la totalité de la métropole en 1979 soit 66 ans après le début de l'automatisation du réseau en 1913.

Les premiers commutateurs conçus sont électromécaniques et à organes tournants, Coexistent en France les systèmes de type pas à pas (Strowger, famille R6 et SRCT) et les systèmes de type à impulsions de contrôle inverses (AGF500 et famille Rotary). Le premier commutateur de type rotatif est installé en 1913, le plus récent est installé en 1971, les dernières extensions sont commandées en 1978 et le dernier commutateur à organes tournant est démonté en 1984, avant le changement du Plan de numérotation téléphonique en France (basculage à 8 chiffres le 25 octobre 1985 à 23H00.
De par son architecture et pour ne pas trop complexifier l’ensemble, chaque commutateur à organes tournants ne peut prendre en charge qu’un maximum de 10 000 abonnés.

STROWGER
Ce commutateur sans enregistreur de numéros et à contrôle direct est inventé par Almon Strowger aux États-Unis en 1891, premier modèle de commutateur automatique mis en service en France, le 19 octobre 1913, à Nice Biscarra. Il est fabriqué sous licence Strowger Automatic Telephone Exchange Company par la Compagnie française pour l'exploitation des procédés Thomson-Houston. Il est équipé de sélecteurs rotatifs semi-cylindriques à 100 points de sortie (10 lignes téléphoniques de sortie sélectionnées par niveau, sur 10 niveaux empilés en hauteur). Un commutateur STROWGER fonctionne de manière saccadée, en mode pas à pas, littéralement télécommandé en temps réel par chaque impulsion numérotée au cadran de l’abonné demandeur, chiffre par chiffre, chaque chiffre sélectionnant successivement la position de son sélecteur. Ce mode d’établissement de communication de manière automatique est le plus élémentaire. Il est parfaitement adapté aux débuts de l’automatisation du réseau téléphonique alors que le maillage reste encore relativement simple et peu dense. Les commutateurs de type STROWGER été retenus uniquement pour la province. Le STROWGER le plus récent est mis en service en 1932 à Lyon. Le dernier est démonté en 1979 à Bordeaux.

AGF 500
Fabriqué par la société LM Ericsson, mis au point en 1922, ce commutateur d'origine suédoise est équipé d'enregistreurs de numéros et de sélecteurs volumineux disposés en éventails constitués d’éléments rotatifs de base (modèle RVA avec balais de nettoyage des contacts intégrés) horizontaux en forme de plateau à 25 positions tournant à 90° groupés par 20 éléments, donnant 500 points de sortie (25 positions angulaires de sortie pour 20 positions commandées radialement en hauteur correspondant à 20 lignes possibles pour chaque position angulaire). Il est capable de gérer jusqu'à 10.000 abonnés par cœur de chaîne si toutes les volumineuses extensions possibles sont installées ; unique mise en service en 1924 en France, à Dieppe. Ce commutateur fut remplacé en 1960.

ROTARY 7A1
Cette variante française est dérivée du système ROTARY 7A, équipé à l'origine d'embrayages magnétiques des arbres rotatifs distribuant l’énergie motrice au commutateur. Le ROTARY 7A1 est lui équipé d'embrayages mécaniques des arbres rotatifs plus robustes. Comme le ROTARY 7A d'origine provenant des États-Unis et conçu et mis au point en Belgique par la Western Electric filiale d'AT&T en 1914, il est équipé d'enregistreurs-traducteurs qui permettent, par rapport aux systèmes fonctionnant en pas à pas d’économiser des baies de sélecteurs et des étages de sélection en enregistrant les Préfixes des numéros téléphoniques demandés (2 chiffres en province, 3 caractères pour la Région Parisienne) afin de déterminer directement une route « calculée » par le traducteur qui va analyser ces préfixes par bloc. Une fois le centre téléphonique à contacter déterminé, le traducteur commande en différé la rotation des sélecteurs nécessaires à l’établissement de la communication en activant les bonnes commandes d’embrayages qui vont connecter juste le temps nécessaire les arbres d’entraînement rotatifs des sélecteurs choisis pour les positionner sur les bonnes positions, et les débrayer au bon moment par un système d’impulsions de contrôle inverses. Ainsi, tout commutateur de modèle ROTARY fonctionne de manière régulière et harmonieuse. Il est pourvu de sélecteurs rotatifs semi cylindriques à 300 points de sortie (30 lignes téléphoniques de sortie sélectionnées par niveau, sur 10 niveaux empilés en hauteur). Il est capable de gérer jusqu'à 10.000 abonnés par cœur de chaîne, si toutes les volumineuses extensions possibles sont toutes installées. L'automatisation du réseau de Paris est décidée en 1926. Le premier ROTARY 7A1 conçu à partir de 1922 est mis en service dès 1927 à Nantes. Finalement le ROTARY 7A1 est retenu pour Paris dès 1928 par souci d'homogénéisation du réseau parisien et ce malgré la conception entre-temps en 1927 d'une seconde variante : le ROTARY 7A2. Premier central téléphonique automatique mis en service dans Paris (Carnot), 23 rue de Médéric : le 22 septembre 1928 à 22 Heures, en présence du Ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes Henry Chéron ! Il s’agit d’un ROTARY 7A1. Le second ROTARY 7A1 de Paris sera mis en service au Centre Téléphonique des Gobelins le 20 juillet 1929 ; il y a assuré un service satisfaisant jusqu’au 7 juillet 1982, soit 53 ans. Le ROTARY 7A1 le plus récent de France est installé en 1952. Le dernier ROTARY 7A1 de France, celui de Paris-Alésia (à Montrouge), est désactivé le 26 juin 1984.

ROTARY 7A2
Cette nouvelle variante française est conçue en 1927 dans les laboratoires parisiens d'ITT à partir du système ROTARY 7A1.
Cette version améliorée est en effet nouvellement pourvue de sélecteurs de débordements de sécurité améliorant encore la capacité d'écoulement du trafic téléphonique ; c’est ce que l’on nomme l’acheminement supplémentaire de second choix. La variante ROTARY 7A2 est le système à organes tournants le plus développé, mais aussi le plus cher. Il n’est pas déployé en France bien qu’y étant conçu, mais est adopté par plusieurs pays, dont notamment l’Espagne dès la fin de la guerre civile.

R6 (sans enregistreur de numéros)
Ce commutateur à contrôle direct, dont le nom officiel est ROTATIF 1926, car mis au point en 1926, encore rencontré sous le nom semi abrégé ROTATIF 6, est implanté dans les villes moyennes de province dès la fin de 1928 en commençant par Troyes, ce système français de type pas à pas étant un hybride qui s'inspire à la fois des systèmes Rotary et Strowger. Il est de surcroît simplifié à l'extrême pour être le moins coûteux possible. Par contre, il est équipé d’Orienteurs à 11 positions (1 position de repos et 10 autres positions pour les 10 chiffres du cadran), un nouveau groupe d’organes de contrôle commun à plusieurs sélecteurs à la fois qui permettent de dissocier clairement la fonction de réception des chiffres composés par l'abonné de la fonction de recherche et de connexion de la liaison. Chaque étage de sélecteurs est équipé de son groupe d’Orienteurs. Chaque Orienteur, qui fonctionne en mode pas à pas, n’est utilisé que pendant la réception des chiffres numérotés au cadran du téléphone de l’abonné, puis est libéré pour aller traiter une autre communication à établir. Dans le système R6, la notion de point de sélection ne revêt plus la même importance, l'architecture étant différente des autres types de commutateurs : en effet, l’astuce consiste à remplacer les sélecteurs semi cylindriques ou à plateau des systèmes précités qui à la fois tournent horizontalement et accomplissent aussi des mouvements ascensionnels par de simples commutateurs rotatifs semi-circulaires à 51 plots, dédoublés par une astuce de commutation à relais, soit un élément de sélection uniquement rotatif à 102 directions. Ainsi, dans le système ROTATIF 1926, les éléments ne font plus que tourner horizontalement, et n’accomplissent jamais de mouvements de haut en bas ou de bas en haut, d’où un prix de revient moindre que tous les autres systèmes à organes tournants conçus jusques à présent. Ce système fut développé par l'Ingénieur français Fernand Gohorel de la Compagnie des Téléphones Thomson-Houston, en raison du coût élevé des ROTARY 7A, 7A1 et 7A2 américains. 26 commutateurs ROTATIF 1926 à contrôle direct sont installés en France, le plus récent est installé en 1939 à Besançon.

R6 (avec enregistreurs de numéros)
Ce commutateur est mis en conception pour les villes de province de plus grande importance dès 1930. Ce système est aussi un hybride qui s'inspire des systèmes Rotary et Strowger, mais il est simplifié et moins coûteux. Bien qu’étant plus coûteux qu'un R6 à contrôle direct, il permet une meilleure souplesse dans l'acheminement des communications, tout en restant moins performant que les ROTARY 7A, 7A1 et 7A2. Un commutateur R6 avec enregistreurs est un commutateur R6 à contrôle direct dont les Orienteurs du premier étage de sélecteurs ont été remplacés par des enregistreurs de numéros qui commandent en différé, après analyses des préfixes, les orienteurs des étages de sélecteurs suivants pour acheminer de manière plus souple et plus optimale les communications en son propre sein pour les abonnés locaux, ou vers les centres de transit pour les abonnés plus éloignés. L'agglomération Lille-Roubaix-Tourcoing est équipée en premier de ce système en 1933. Le déploiement du ROTATIF 1926 avec enregistreur de numéros est totalement interrompu en province dès la déclaration de guerre, et ne reprendra qu'en 1945. Il se poursuivra jusqu'à l’arrivée de la version modernisée en 1949.

ROTARY 7D
Ce prototype expérimental est installé en 1937 à Angers, en vue d'équiper la banlieue de Paris par la société LMT, mais n'est finalement pas retenu en France pour déploiement. Il est par contre massivement déployé dans les campagnes de Grande-Bretagne et constitue un meilleur produit que notre système automatique-rural en déploiement dans nos campagnes.

R6 N1 (normalisé type 1)
Ce commutateur à enregistreurs, chacun d'entre eux étant associé à un seul traducteur séparé et à relais, est mis en service en France dès 1949 à Rouen, par la CGCT. Ces commutateurs ROTATIF 1926 Normalisés de type 1 sont équipés de nouveaux traducteurs aussi efficaces que ceux des ROTARY 7A1 utilisés dans le réseau parisien, afin de préparer l’automatisation à venir de l’interurbain automatique. Le ROTATIF 1926 N1 le plus récent est mis en service en 1959.

ROTARY 7A normalisé
Il est mis au point sur Paris, (avec réduction de coût de 15%) en 1949, issu de l'expérience acquise durant les 21 années d'utilisation en France. Le ROTARY 7A NORMALISÉ le plus récent est mis en service en 1954.

SRCT
De l'acronyme Service des Recherches et du Contrôle Technique l'ayant conçu, c'est un petit autocommutateur fabriqué à partir de matériel R6, de catégorie secondaire et en conséquence destiné au déploiement dans les campagnes, dans le but de remplacer le système dit automatique-rural qui était en fait semi-automatique déployé à partir de 1935 sur instruction de Georges Mandel, Ministre des PTT. Conçu par l'Ingénieur en chef des Télécommunications Albert de Villelongue, le SRCT permet d'automatiser les campagnes. La capacité typique de raccordement est de 900 lignes d’abonnés. Le premier SRCT est inauguré à Perros-Guirec en 1950.

L43
De son nom complet LESIGNE 43, c'est un commutateur utilisant le même matériel que le R6 N1 mais il adopte un principe de sélection différent, sans dispositif Orienteur. En effet, dans ce système, les sélecteurs sont actionnés directement par les enregistreurs, à l’aide d’un réseau de commande par fils distincts des fils véhiculant les conversations téléphoniques. Mis en service en France dès juillet 1951 à Nancy. Bien que n’ayant pas été massivement déployé, ce modèle de commutateur a toutefois permis une mise en concurrence des différents constructeurs, et amènera à la mise au point ultérieure d’une nouvelle version améliorée des commutateurs R6. Un total de 13 commutateurs L43 est mis en service en France. Le
LESIGNE 43 le plus récent est mis en service en 1960.

ROTARY 7A à chercheurs
Équipé de sélecteurs simplifiés et modifiés à un seul mouvement imitant le R6, il est implanté à Belle-Épine, en 1953. Cette variante prototype préfigurant le ROTARY 7B1.

ROTARY 7B1
Issu du ROTARY 7B conçu aux États-Unis depuis 1927, il est mis au point en France tardivement par la société LMT. Beaucoup plus économique que les ROTARY 7A, 7A1 et 7A2, mais avec une capacité d'écoulement moindre car n'étant équipé que de sélecteurs à un seul mouvement, comme le R6. Il est également plus sécurisé face aux risques d’incendie, grâce au remplacement des isolants en tissus par des isolants en matières synthétiques. Le premier est installé à Enghien-les-bains en 1954. Il est largement déployé dans Paris dès 1955. Le ROTARY 7B1 le plus récent est mis en service en 1971. Les dernières extensions de systèmes ROTARY 7B1 déjà installés auparavant ont été commandées en septembre 1978.

R6 N2 (normalisé type 2)
Commutateur dont l'ensemble des enregistreurs n'utilise que deux traducteurs séparés et à relais, il est issu des évolutions du L43, mis en service en France dès 1958 à Poitiers et Boulogne, par la CGCT et par l'AOIP. Le ROTATIF 1926 N2 le plus récent est mis en service en 1962. Les dernières extensions de systèmes R6 déjà installés auparavant ont été commandées en octobre 1978, pour équiper des départements où le plan de numérotation ne dépassait pas six chiffres.

CENTRAL AUTOMATIQUE TOUT RELAIS, à commutation entièrement effectuée avec des tables de relais, sans organe tournant : le précurseur en France qui préfigure le Crossbar. Fabriqué par la Compagnie Générale de Télégraphie et Téléphonie, mis en service en 1927 à Fontainebleau, capable de gérer jusqu'à 1000 abonnés, qui s'avère ultérieurement trop coûteux et trop complexe à entretenir et à étendre. Il est finalement remplacé en 1943.

CENTRAUX CROSSBAR
PENTACONTA Système entièrement nouveau, conçu par les sociétés LMT et CGCT, toutes deux filiales françaises de l'américain ITT. La conception de ce système doit beaucoup à l'ingénieur Fernand Gohorel qui supervise l'invention du Multisélecteur à barres croisées. Le radical « Penta » signifie que les abonnés sont regroupés par modules primaires de 50. Il s'avère le système électromécanique pourvu des meilleures capacités d'écoulement du trafic ; il est retenu pour les très grandes villes françaises pour cette raison, ainsi que pour les centres de transit interurbains de nouvelle génération. Chaque commutateur PENTACONTA, bien qu'électromécanique, possède quelle que soit son importance une chaîne d'enregistrement des incidents dont le rôle est d'éditer automatiquement une carte perforée qui détaille le défaut, chaque fois que le système constate une faute de fonctionnement ; progrès remarquable pour l'époque où les microprocesseurs ne sont pas encore inventés. Nous pouvons facilement reconnaître un commutateur PENTACONTA, par ses éléments sélecteurs de base qui comportent toujours de manière apparente 14 barres horizontales. Nous parlons d'ESL pour Équipements de Sélection de Ligne d'abonné pour un PENTACONTA utilisé en commutateur d'abonnés, et d'ESG pour Équipements de Sélection de Groupe pour un PENTACONTA utilisé en centre de transit intercentraux. 289 commutateurs PENTACONTA sont mis en service en France. Le dernier commutateur électromécanique de type PENTACONTA est commandé en France en juin 1978, et les dernières extensions sont commandées en juin 1979. Le dernier commutateur PENTACONTA d’Île-de-France, celui de Paris-Brune Chaîne Jeux est démonté le dernier trimestre 1994 et le dernier commutateur PENTACONTA de France, est démonté à Givors le 6 décembre 1994.

PENTACONTA type 500 (Multisélecteur à 500 points de sortie au niveau des ESL), concernant la France, il est implanté pour la première fois à Melun le 23 juillet 1955. Ce système est capable de gérer jusqu'à 17.000 abonnés.

PENTACONTA type 1000 A (Multisélecteur à 1040 points de sortie au niveau des ESL) dont le premier exemplaire est mis en service à Albi en 1959.

PENTACONTA type 1000 B (Multisélecteur à 1040 points de sortie au niveau des éléments ESL et à 1040 points de sortie au niveau des ESG), développé dans les années soixante, pour permettre de traiter jusqu'à 50.000 abonnés ou circuits par cœur de chaîne et pourvoir Paris et les très grandes villes françaises. Paris en est équipé dès le 21 janvier 1964.

PENTACONTA CT4 (Centre de Transit 4 fils). Apparu en 1966, fait partie de la nouvelle génération d'autocommutateurs de transit interurbains construite à partir du matériel Pentaconta, mais à commutation sur 4 fils (au lieu de 2 fils). 11 commutateurs PENTACONTA CT4 ont été déployés en France.

NGC (Nodal de Grande Capacité), de la nouvelle génération d'autocommutateurs interurbains, est construit à partir du matériel Pentaconta à commutation sur 2 fils. Le premier des 5 commutateurs NGC est mis en service en février 1972 en France, à Lyon. Les NGC sont, avant les évolutions ultérieures, équipés de Traducteurs Quasi Électroniques (matrices à diodes et transistor - en totalité abandonnés dès 1975, pour être remplacés par des Traducteurs Impulsionnels à Tores encore plus rapides à commuter). Le NGC de Paris St-Lambert est le premier à être équipé des nouveaux Traducteurs Impulsionnels à Tores dès sa mise en service le 3 juin 1972.

PENTACONTA type 1000 C (Multisélecteur à 1040 points de sortie au niveau des ESG). Conçu en 1965 aux États-Unis. Utilisé en France pour les GCI (Grand Centre de communication Interurbain) de la nouvelle génération d'autocommutateurs interurbains destinés à remplacer la génération à organes tournants, mais à commutation sur 4 fils, avec même sélecteur mais mise en œuvre différente pour un écoulement du trafic encore amélioré. Le premier des 32 commutateurs GCI est mis en service en décembre 1973 en France, à Marseille. Ils sont équipés de Traducteurs à Programme Câblé, dérivés des Traducteurs Impulsionnels à Tores, mais plus adaptés au type de structure des GCI. Avec les débuts de l'informatique, certains GCI sont ensuite équipés dès 1974 de Traducteurs à Programme Enregistré, et d'une interface homme-machine informatique primitive comme celui de Marseille St Mauront. D'ailleurs, les TPE ont vocation à remplacer rétroactivement les autres types de traducteurs sur les pentaconta et autres CP400 appelés à ne pas être remplacés rapidement par du matériel de future génération. Il s'agit d'un nouveau type de Pentaconta très évolué pour l'époque qui commence à devenir substantiellement électronique par la création des Unités de Commande Électroniques en remplacement des Unités de Commande Électromécaniques initiales.

PENTACONTA type 2000 (Multisélecteur à 2080 points de sortie au niveau des ESG). Il est aussi bien utilisé en commutateur d’abonnés de grande capacité (50.000 lignes) qu’en CTU (Centre de Transit Urbain), essentiellement pour Paris puis Lyon en 21 exemplaires. Il est construit à partir du matériel Pentaconta à commutation sur 2 fils. Le premier CTU est inauguré en 1968 à Paris. Ce Pentaconta accorde une grande part à l'électronique et sera l'objet d'évolutions, y compris informatiques. Le Pentaconta 2000 dispose d'une interface homme-machine par clavier et console informatique primitive. Comme le type précédent, le Pentaconta 2000 est très évolué pour l'époque par l'innovation des Unités de Commande Électroniques en remplacement des Unités de Commande Électromécaniques initiales. Il est mis en service afin de dégorger le trafic dans les très grandes villes françaises, en attendant l'arrivée des centres de transit électroniques spatiaux et temporels prévus les années suivantes.

CP400, (nom complet : CROSSBAR pour PARIS ou CROSSBAR PARISIEN 400) est initialement prévu pour équiper Paris et la 1re couronne. Un prototype à commande centralisée mis en place en France dès le 31 mars 1956 à Beauvais, est issu de la Société Française des Téléphones Ericsson de Colombes. Les CP400 sont pourvus de 400 points de sortie au niveau des Éléments de Sélection de Ligne d'abonné et/ou des Éléments de Sélection de Groupe. Bien que le Directeur Général des Télécommunications de cette époque, Jean Rouvière bataille pour ne pas retenir ce nouveau type de commutateur téléphonique moins performant que le PENTACONTA. Il doit cependant s'incliner en 1957, pour raison économique : le CP400 étant moins coûteux. Finalement, et malgré sa dénomination initiale, le CROSSBAR PARISIEN 400 sera massivement retenu pour équiper les villes moyennes de province… Après une série de différentes versions, il faut attendre l’année 1973 pour que des commutateurs d’abonnés CP400 soient enfin installés dans Paris intra-muros après réalisation des adaptations nécessaires. Le dernier commutateur de type CP400 est commandé en avril 1979 et les dernières extensions sont commandées en novembre 1979 en CP400. Le dernier CP400 de France est démonté à Langon en 1994. Nous pouvons facilement reconnaître un commutateur CP400, par ses éléments sélecteurs de base qui comportent toujours de manière apparente 6 barres horizontales pour 10 barres verticales.

CP400-PÉRIGUEUX. S'ensuit la présérie de 5 commutateurs CP400-Type PÉRIGUEUX améliorés, installée dès 1960 à Périgueux.
CP400-ANGOULÊME. Arrive la première série de production en masse encore améliorée de 115 commutateurs de ce nouveau type en 1962 avec le premier d'entre eux installé à Angoulême. Leur capacité peut atteindre 10.000 abonnés. Les commutateurs CP400-ANGOULÊME sont déployés jusqu’en 1970.
CP400-BRIE-COMTE-ROBERT. Prototype révolutionnaire mis au point par le prolifique ingénieur des télécommunications A. de Villelongue et ouvert en 1967, il s'agit du premier commutateur à signalisation intercentre à Multi Fréquences, au lieu de la signalisation par impulsions décimales jusqu'alors utilisée. Gain de temps dans l'acheminement et fiabilisation accrus des communications, notamment longue distance, avec augmentation de l'écoulement du trafic. Tous les CP400 précédemment installés sont rétroactivement convertis à cette nouvelle signalisation, ainsi que les Pentaconta. Le dernier CP400 est démonté à Langon en 1994.
CP400-BOURGES. En 1968, la mise au point d'un nouveau prototype installé à Bourges voit le jour d’une capacité de 8.000 abonnés destiné aux petites villes.
CP400-TROYES. Puis en 1969, une nouvelle série encore améliorée de 22 commutateurs CP400-Type TROYES dont le premier est installé à Troyes. Leur capacité peut atteindre 20.000 abonnés. Les commutateurs CP400-TROYES sont déployés jusqu’en 1970.
CP400-AJACCIO. En 1969 également, une nouvelle série avec d'autres améliorations issues du CP400-BOURGES voit le jour à destination des villes moyennes. Au moins 29 commutateurs de ce type sont ainsi déployés au 1er janvier 1972.
CP400-CT4 (Centre de Transit 4 fils). Apparu également en 1969 en premier à Grenoble et Tours, fait partie de la nouvelle génération d'autocommutateurs de transit interurbains construite à partir du matériel CP400, mais à commutation sur 4 fils. 24 commutateurs CP400-CT4 ont été déployés en France.
CP400-CUPIDON (Centre Universel Pour l’Interurbain Dans l'Organisation Nouvelle puis Centre Universel Permettant l’Interconnexion Dans une Organisation Nouvelle). Puis arrive en 1970 la nouvelle version CP400-CUPIDON encore améliorée à partir des perfectionnements des types ANGOULÊME et TROYES, avec de meilleures capacités de souplesse et d’écoulement de trafic. Leur capacité peut atteindre 30.000 abonnés. Arrivée très retardée par la mort brutale de l'ingénieur Albert de Villelongue en août 1967. 415 commutateurs CP400-CUPIDON sont installés en France.
CP400-POISSY. Enfin, dès 1972, une nouvelle série améliorée est inaugurée à Poissy, dénommée CP400-POISSY, directement dérivée du CP400-CUPIDON et qui est l'ultime perfectionnement, en France de ce système suédois, avec l'adjonction d'un étage supplémentaire d'Aiguilleurs. Le CP400-POISSY permet de prendre en charge jusqu'à 40.000 abonnés voire 50.000 par cœur de chaîne à l’aide de certaines extensions supplémentaires. Il est pourvu de Traducteurs À Tores (magnétiques), qui permettent de traduire jusqu'à 1000 directions différentes. Ces nouveaux traducteurs sont même généralisés rétroactivement sur les CP400 précédents ainsi que les PENTACONTA, et même sur certains ROTARY encore en service en 1972. 322 commutateurs CP400-POISSY sont installés en France.
CP100, (nom complet : CROSSBAR pour PARIS ou CROSSBAR PARISIEN 100) est un autocommutateur simplifié, de taille réduite, dérivé directement du CP400 conçu à l’origine pour une capacité maximale de 3.000 abonnés. En raison de son coût réduit, il est utilisé pour automatiser les campagnes et les très petites villes de France en version typique de 400 abonnés, ainsi qu’à remplacer les autocommutateurs SRCT vieillissants. Ils sont déployés massivement en France à partir de 1964.

sommaire

3 - Répartition des abonnés sur PARIS et sa banlieue avant 1950

Il faut se souvenir que le réseau parisien a pu être, à un moment donné, « surdimensionné » par raport aux besoins, jusqu'aux années cinquante.
Outil destiné à abolir la distance, le téléphone a pourtant tardé à franchir les portes de la capitale, comme en témoigne la comparaison avec Londres et Boston, et a été paradoxalement confiné à une vocation locale.
Enfin, les signes de la distinction n'ont pas joué en sa faveur puisque les classes aisées lui ont accordé peu d'importance dans leur mode d'habiter, et ce sont les quartiers autrefois affectés aux activités artisanales et au transport fluvial qui ont, les premiers, bénéficié du développement téléphnique, tel le canal Saint- Martin, longtemps considéré comme un quartier populaire.

Répartition spatiale des téléphones et ségrégation des quartiers parisiens

a) En 1884 - La répartition des postes d'abonnés dans les quatiers de Paris n'a rien de très remarquable pour qui connaît un peu l'histoire de cette ville.
Une carte de 1884 révèle que c'est dans le quartier de l'Opéra (où se trouve installé le central Gutenberg) et du Sentier que la densité téléphonique était la plus forte.
La totalité de la Rive gauche ne comptait que quelques rares abonnés. Mais le septième, le cinquième, le treizième, le quatorzième et le quinzième arrondissement constituaient un désert téléphonique, ce qui n'avait rien d'exceptionnel étant donné que ces quartiers étaient occupés essentiellement par des universités et des établissements religieux (couvents, etc.) ou sanitaires.
Toutes les activités économiques se trouvaient concentrées sur la Rive Droite, dans le huitième et le neuvième arrondissement, ainsi que les quartiers du Louvre et du Marais. Le point culminant était La Bourse. Les Champs Elysées connaissaient un certain développement
mais qui n'était pas plus important que celui du dixième arrondissement bordé par les gares du Nord et de l'Est et le Canal Saint-Martin.
Ce qu'il faut donc retenir de cette observation c'est que, en 1884, seules les fonctions commerciales, industrielles ou artisanales ont véritablement déterminé la densité téléphonique des quartiers parisiens. La ségrégation entre quartiers pauvres et quartiers riches n'était donc pas perceptible au niveau de l'équipement téléphonique puisque la fonction résidentielle n'était pas encore prise en compte.
A l'exception d'une concentration de postes d'abonnés autour du Parc Monceau (établissement récent de la bourgeoisie), le seizième et le dix-septième connaissaient un équipement téléphonique assez faible. En revanche, les postes d'abonnés se développaient dans l'Est, de part et d'autre du canal Saint-Martin, avec les deux points forts de la Bastille et de la République, ce qui confirme le caractère déterminant des activités économiques. Cet axe se prolonge vers la banlieue nord qui avait bénéficié de la construction d'un réseau de canaux dès 1813 : les canaux de l'Ourcq, Saint-Denis et Saint-Martin.

b) En 1922 - Quittons à présent l'enfance du téléphone pour examiner l'état du réseau parisien, au lendemain de la Première Guerre mondiale et à la veille du programme d'automatisation du réseau. Sur les douze centraux existants, seulement trois desservaient les quartiers de la rive gauche en totalisant 16.200 abonnés au 1er janvier 1922, dont 6.150 pour le central Ségur, 1.900 pour celui des Gobelins et 8.150 pour celui de Fleurus.
En ce qui concerne les quartiers résidentiels de la Rive droite, soit le seizième et le dix-septième, ils étaient desservis par trois centraux, Auteuil, Passy et Wagram (nous n'avons pas compté les Champs- Elysées en raison de leur caractère mixte, partagés entre les activités et les résidences). Le central Wagram desservait la partie comprise entre l'avenue de la Grande-Armée, l'avenue Friedland et la rue de Rome, ce qui correspond aujourd'hui au « bon dix-septième », le « mauvais dix-septième » ayant été affecté au central Marcadet. Ces trois centraux comptaient 16.490 abonnés, au total, soit légèrement plus que tous les quartiers de la rive gauche réunis, pour une superficie pourtant plus réduite. Ces lignes d'abonnés se répartissaient de la façon suivante : 2.700 pour Auteuil, 6.530 pour Passy et 7.260 pour Wagram. Depuis 1884, la relation entre la densité téléphonique et la composante bourgeoise des quartiers résidentiels se voit donc confirmée, notamment dans les seizième et dix-septième arrondissements.
Les quartiers périphériques du Nord et de l'Est, desservis par les centraux Marcadet, Nord et Roquette, se placent parmi les plus déshérités. Ces trois centraux comptent 17.555 abonnés, dont 2.400 à Marcadet, 9.110 au central Nord et 6.045 à Roquette. Ce chiffre reflète surtout le dynamisme économique de la zone Est- Nord.

En résumé, de tous les quartiers périphériques que nous avons énumérés jusque-là, ceux qui ont été annexés à Paris après 1860, seuls les quartiers résidentiels riches ont vu leur densité téléphonique s'accroître substantiellement. Cette tendance est d'autant plus sensible qu'il y a peu d'activités économiques dans ces zones de l'Ouest pour justifier le développement du téléphone. En revanche, les quartiers périphériques de la Rive gauche, du Nord et de l'Est, sont peu concernés par le développement du téléphone même s'ils ont connu des afflux de population importants depuis 1 860. La rareté du téléphone est plus perceptible sur la rive gauche en raison de la relative absence d'activités. Compte tenu de la présence des universités sur la rive gauche, les principales activités étaient l'imprimerie, le brochage et la reliure3.

En résumé, nous dirons donc que, durant la première décennie du téléphone, l'utilisation commerciale ou professionnelle de cette invention était presque exclusive de tout autre usage. Ce qui explique que le téléphone ne se soit étendu qu'aux quartiers les plus dynamiques sur le plan des activités économiques.
Dès lors, la ségrégation sociale de l'espace qui est liées surtout à la fonction résidentielle ne pouvait être perceptible à travers la distribution des lignes téléphoniques. Le clivage Est-Ouest, qui reflète la répartition des classes sociales dans Paris, ne pouvait donc pas être mis en évidence par le schéma distributif du téléphone en 1884. En revanche, le clivage Nord-Sud (ou Rive droite - Rive gauche), qui recoupe la répartition des activités dans Paris, se trouve totalement confirmé par la distribution des centraux et des postes d'abonnés en 1884. Ce clivage subsiste de façon durable puisqu'en 1922, il existe quatre fois plus de centraux sur la Rive droite (12 stations) que sur la Rive gauche (3 stations). Si l'on prend le nombre d'abonnés, la Rive droite en compte à elle seule 75 795, contre 16 200 abonnés pour la Rive gauche. Si l'on prend uniquement les quartiers comportant essentiellement des activités commerciales ou autres, c'est-à-dire le noyau économique de la Rive droite, constitué par les centraux Gutenberg, Laborde, Trudaine et Archives, ces quartiers totalisent 36 260 abonnés, soit 40 % de la totalité des abonnés parisiens. Le quartier de l'Opéra, desservi par le central Gutenberg, compte à lui seul 22 800 abonnés, c'est-à-dire considérablement plus que tous les autres quartiers de la Rive gauche réunis (16 200). Ce qui signifie que près d'un demi-siècle après son invention, le téléphone demeurait encore un outil essentiellement réservé aux professionnels.

Dès 1922 donc, on voit se dessiner l'embourgeoisement du seizième arrondissement ainsi que son assimilation progressive du téléphone domestique. Cependant, le déplacement des catégories sociales aisées vers l'Ouest ne s'arrête pas aux frontières de Paris. Dès 1922, on peut déjà se rendre compte que la bourgeoisie a débordé Paris en direction des sites verdoyants de la banlieue Ouest, puisque Neuilly et Boulogne deviennent les banlieues les plus équipées en téléphone, avec celles de la zone industrielle du Nord.

Les réseaux suburbains :
Les réseaux annexes de Paris ne furent créés qu'en 1891, à la faveur de la restructuration provoquée par la nationalisation du téléphone.
Avant cette date, les banlieusards désireux de communiquer avec Paris devaient se soumettre au régime des lignes d'intérêt privé établies aux conditions fixées par la Société générale du téléphone (SGT).

Le nombre des lignes privées établies avant 1889 dans la banlieue parisienne était de 245.
Pour les grandes villes de province, elles étaient au nombre de 42 à Marseille, 39 à Lyon et 26 à Bordeaux.
Citons les principales banlieues parisiennes pourvues de lignes privées extra-muros, les reliant à Paris à la date de mai 1889 :
- Saint-Denis 27 lignes
- Aubervilliers 24 lignes
- Charenton 23 lignes
- Ivry 22 lignes
- Neuilly 20 lignes
- Pantin 17 lignes
- Saint-Ouen 15 lignes
- Levallois-Perret 9 lignes
- Montreuil 8 lignes
- Saint-Cloud 5 lignes
Le développement des fils posés hors des fortifications étaient de 532 km.

Ainsi qu'on peut le constater, le développement du téléphone de banlieue avant 1889 correspondait essentiellement à la petite couronne de Paris. Mis à part Neuilly et Saint-Cloud/Boulogne, toutes les banlieues desservies par les lignes privées étaient des banlieues laborieuses, occupées par des installations industrielles qui, pour la plupart, résultaient d'un transfert ou d'un prolongement des activités exercées dans les quartiers artisanaux de Paris. Quoique la composante résidentielle de Neuilly ne fût pas exclusive puisque l'industrie de la parfumerie et des produits de beauté était groupée en banlieue Nord- Ouest, soit à Neuilly, Courbevoie, Colombes et Bezons, à proximité d'une clientèle aisée habitant les quartiers ouest- parisiens.
On peut donc en déduire que la première génération des lignes téléphoniques de banlieue desservaient en priorité une clientèle professionnelle dont les entreprises ont été déportées vers la périphérie de Paris, en s' arrêtant toutefois à peu de distance de la ville.
Cette exclusivité d'une clientèle professionnelle pour le téléphone de banlieue s'explique aisément par le coût des lignes privées imposé par la SGT avant la nationalisation du téléphone.
Ces lignes d'intérêt privé sont établies par la SGT, mais appartiennent à l'Etat à partir du point où elles sortent des limites de l'octroi d'une ville. L'abonnement que devait payer un abonné de la banlieue pour communiquer avec le réseau urbain combinait une double taxation, répartie entre la SGT et les PTT.
Même en se limitant seulement à cette petite couronne, un abonné de la banlieue parisienne devait payer au minimum un abonnement annuel de 1 200 F, soit le double de l'abonnement d'un Parisien.
Un tel tarif était pour le moins dissuasif pour tout usage domestique du téléphone en banlieue. On mesure mieux la portée de la politique tarifaire lorsqu'on compare le réseau parisien au réseau londonien.
Dès 1885, on a vu se constituer à Londres une nouvelle société téléphonique - parallèlement à la United Telephone Company de Londres - qui avait pour but d'exploiter toutes les villes situées dans un rayon de 12 miles (19 km) autour de Londres. C'est dire toute l'importance que revêtaient déjà à cette époque les échanges entre la capitale et ses zones suburbaines, ou ce qu'il conviendrait d'appeler des villes satellites. Ces villes pouvaient non seulement communiquer entre elles mais aussi avec le réseau londonien.
Peu à peu donc, on vit se mettre en place un service téléphonique uniforme s' appliquant à Londres et ses communes suburbaines dans un rayon de 19 kilomètres à partir du General Post Office. Cette zone élargie était desservie par 24 bureaux centraux qui communiquaient tous entre eux. Le service téléphonique urbain et suburbain était assuré au tarif uniforme de 500 F par an, appliqué indifféremment à tous les abonnés qu'ils soient localisés au centre ou à la périphérie. Cela signifie qu'un habitant londonien résidant à 19 km du centre payait moins de la moitié de l'abonnement auquel était soumis le Parisien de banlieue, pour un service qui n'était même pas équivalent puisqu'il ne recouvrait qu'une zone de 4 km autour de Paris.
On ne saurait mieux mettre en évidence l'abîme qui sépare les conceptions spatiales du service téléphonique propres à chaque pays.
A la conception centralisée du service téléphonique de Paris, profondément pénalisante pour les habitants de la périphérie, s'opposait la définition d'une zone téléphonique locale à Londres élargie à toutes les communes suburbaines distantes, avec un traitement équitable pour tous les abonnés. Cette profonde différence des politiques tarifaires est en soi si éloquente qu'elle se passe de tout commentaire.
La politique tarifaire très restrictive de la SGT avait limité le développement des lignes suburbaines à la petite couronne de Paris et ses installations industrielles.
Peu à peu, de nombreuses demandes émanant des localités de province, notamment des banlieues industrielles du Nord et de la Marne, ont amené l'administration à réviser le statut des réseaux annexes qu'elle avait l'intention de créer dans ces régions.

La répartition spatiale des réseaux téléphoniques suburbains créés en 1890-1891, donc après la nationalisation du téléphone en 1889, illustre de manière assez convaincante la conquête bourgeoise des sites les plus agréables de la région parisienne.
C'est la première phase d'occupation des abords des forêts, des parcs et des points d'eau. A l'Ouest, d'abord, notons la présence des réseaux autour du bois de
Boulogne (Neuilly, Boulogne) ; des forêts de Saint-Germain et de Marly avec une série de réseaux qui gravitent le long de la Seine (Saint-Germain, Le Vésinet, Marly, Croissy, Châtou et Rueil) : le parc de Maisons-Lafitte ; toujours aux abords de la Seine, notons Andresy, Saint-Cloud et Sèvres ; Ville-d'Avray, Versailles, Viro- flay, Meudon et Clamait jouissent tous de la proximité d'une forêt ou d'un bois. Même pour la banlieue Nord, la présence des installations industrielles n'empêche pas l'implantation excentrée des réseaux près de la forêt de Montmorency et du lac d'Enghien. Cependant, tout le Nord-Est, de Saint-Denis à Montreuil, reste voué aux activités industrielles. C'est à l'Est, dans le prolongement du bois de Vincennes, qu'on retrouve les banlieues favorisées desservies par les réseaux de Saint-Mandé, Vincennes, Fontenay-sous-Bois, Nogent- sur-Marne et Joinville-le-Pont, jouissant pour la plupart du pittoresque des bords de Marne. C'est encore Saint-Maur-des-Fossés, pris en étau dans la boucle de la Marne, qui démontre de la manière la plus convaincante le lien qui existe entre le téléphone suburbain de 1890 et les sites de plaisance : le vieux Saint-Maur, le parc de Saint-Maur et La Varenne-Saint-Hilaire étaient réputés pour leurs week-ends au bord de l'eau et leurs pique-niques sur l'herbe. La majorité des habitations de La Varenne-Saint-Hilaire étaient des résidences secondaires réservées aux week- ends.

En somme, le schéma spatial mis en évidence par la répartition des téléphones en 1891 n'est guère différent de celui qu'Alan Moyer avait déjà dégagé à propos de Boston. Le mécanisme d'extension spatiale du téléphone est semblable dans les deux cas, même si les densités téléphoniques n'ont aucune commune mesure dans ces deux agglomérations : les milieux d'affaires au centre avec le taux d'équipement le plus fort, puis l'extension du téléphone à une première couronne occupée par les activités industrielles, et enfin le raccordement des résidences bourgeoises au-delà du périmètre industrialisé. Les distances par rapport au centre (hôtel de ville) régissant la localisation des classes laborieuses sont à peu près identiques dans les cas bostonien et parisien en 1890. Alan Moyer situait les habitations ouvrières dans un périmètre distant de 2 miles (3,2 km) de l'hôtel de ville, se terminant à 3 miles (4,8 km) de ce point central. Ce qui correspondait grosso modo aux quartiers périphériques de Paris annexés après 1860, à l'exception des arrondissements de l'Ouest occupés par la bourgeoisie.

Cependant, la similitude entre Boston et Paris se termine là, et les logiques spatiales divergent dès qu'il s'agit de la localisation des classes moyennes et des catégories très favorisées. Pour Boston, les classes moyennes se sont installées à la périphérie de la ville, dans une zone comprise entre 3,5 miles (5,6 km) et 6 miles (9,6 km) de distance à partir de l'hôtel de ville. C'était la limite du service de tramway à l'époque. Les catégories sociales très aisées disposant de moyens de transport personnels se sont installées au-delà de cette limite, entre 6 miles (9,6 km) et 8 miles (12,8 km) du centre- ville.

A Paris, on l'a vu, cette occupation bourgeoise de la proche banlieue ne s'est pas produite compte tenu du manque d'attractivité de ces zones, mis à part les bois. La petite couronne parisienne a donc été accaparée par les activités industrielles, les classes moyennes et aisées ayant préféré rester à l'intérieur de Paris. Les banlieues attrayantes, dont l'essor était déjà perceptible à partir de la répartition des réseaux téléphoniques de 1891, étaient presque toutes beaucoup plus éloignées du centre que les banlieues de Boston occupées par la bourgeoisie en 1890.
Saint-Germain-en-Laye et Marly se trouvaient à plus de 22 km de Paris, Montmorency à 19 km. Andresy, Maisons-Lafitte, Versailles ou La Varenne-Saint-Hilaire n'étaient pas d'un accès rapide. En les comparant avec les banlieues de Boston en 1890, on devait effectuer presque le double de la distance pour atteindre les zones suburbaines « chic » de Paris.
Compte tenu des moyens de transport disponibles à l'époque, il semble irréaliste de penser que ces résidences suburbaines pouvaient être d'un usage permanent. A la différence des banlieues bostoniennes, où la bourgeoisie résidait en permanence, les propriétés suburbaines de Paris étaient probablement utilisées de manière saisonnière, permettant aux Parisiens de s'évader à la campagne.

Le réseau parisien entre les deux guerres :
La chasse à l'abonné dans les années trente. En accédant à l'automatique, le réseau parisien avait été conçu avec une capacité d'accueil supérieure au nombre réel d'abonnés qui ont effectivement sollicité l'accès au réseau. C'est du moins ce que laissent entendre toutes les notes de service que nous avons pu dépouiller aux Archives, dont le contenu peut surprendre ceux qui ont été habitués à l'interprétation selon laquelle il existe un « malthusianisme du téléphone français », sorte de volonté délibérée de ne pas diffuser largement cet outil au sein de la société française. Cette interprétation vaut pour la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, surtout à partir de 1960, où on a vu affluer les demandes en instance insatisfaites durant des années. Mais, avant la Seconde Guerre mondiale, les indices dont on dispose laisseraient plutôt croire que les PTT avaient à faire face à une absence critique de « demande sociale », absence encore renforcée par la crise économique de 1929.
Ce qui nous conforte dans cette interprétation, c'est une lettre du ministre des PTT, G. Mandel, dont on retrouve trace dans une note de service rédigée le 27 mars 1935 par M. Mailley, alors ingénieur en chef chargé des lignes téléphoniques et télégraphiques de Paris et de banlieue.
Cette note de service no 532 mentionne que le ministre déplore l'insuffisance du nombre d'abonnés en France, d'autant plus injustifié que l'administration a consenti de nombreux avantages financiers à l'usager. Face à cette absence de débouchés pour l'industrie du téléphone, le ministre ne voyait pas d'autre action possible qu'une campagne publicitaire menée par les agents des PTT eux- mêmes, transformés pour la circonstance en démarcheurs du porte-à-porte ! Pour inciter le personnel à mener une propagande active auprès du public en faveur du téléphone, le ministre propose qu'on offre une récompense de 50 F à chaque agent qui ramènerait un abonné supplémentaire à l'administration. Nous rapportons ci-dessous quelques passages significatifs de la lettre du ministre : « Vous n'êtes pas sans savoir qu'en France le nombre des abonnés au téléphone est lamentablement insuffisant. Le chiffre des postes en service y atteint à peine 1.300.000 alors qu'il est outre-Rhin de 2.960.000, en Angleterre de 2.109.000 et aux Etats-Unis de 17.426.000.
Cependant, le prix de l'abonnement au téléphone n 'est pas plus élevé chez nous qu'ailleurs. Et, par sucroît, l'Administration consent depuis quelques temps aux abonnés de très nombreux avantages tels que la fourniture gratuite de la ligne, la location des appareils à un tarif réduit (...) Mais, faute d'un sérieux effort de propagande, la plupart de ces avantages sont restés ignorés de la plus grande partie du public (...) J'ai donc décidé défaire désormais appel aux agents des PTT pour entreprendre cette propagande nécessaire. Aussi vous prierais-je d'attirer leur attention sur la note de service ci-jointe et de leur dire qu'en retour du surcroît d'effort qui va leur être demandé, l'on allouera une rémunération de 25 ou de 50 francs à tout fonctionnaire ou agent qui procurera un nouvel abonné. »
On est ici bien loin d'une politique malthusienne.
Les incitations de l'administration allaient jusqu'au raccordement gratuit, ce qui ne se reproduira plus dans la période contemporaine. D'autre part, il est intéressant de noter que la récompense accordée pour la « chasse à l'abonné » était de 25 F pour la province et 50 F pour
Paris, ce qui dénote un manque à gagner important pour le réseau parisien.

D'autres notes de service confirment que le réseau parisien était loin d'être saturé.
Lorsqu'en 1930 se pose le problème de l'automatisation du réseau de Paris (celui de Nice avait été le premier à bénéficier de l'automatique en 1922, le programme prévu avait laissé une marge de croissance suffisante entre la capacité future du réseau et l'évolution du nombre d'abonnés qui avait jusqu'alors doublé tous les 10 ans depuis 1909.
Le programme d'automatisation prévoyait d'accueillir 500.000 abonnés en 1936 dans 42 centraux, alors que le nombre d'abonnés à Paris était de 186.365 en 1931.
A partir de cette date le téléphone en France entre dans une période de stagnation qui durera jusqu'en 1952.

Les causes immédiates sont évidentes : la crise économique et la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il faut ajouter les options du Premier Plan qui occultèrent les télécommunications de leur objectif premier, le redémarrage de la France.
On connaît la suite du scénario : en 1968, le taux d'équipement téléphonique des ménages français était de 15 % ; en 1980, il atteignait 80 %.

sommaire

- Le Calvados

TOURISME BALNÉAIRE ET TÉLÉPHONE DANS LE CALVADOS 1880 - 1914 Yves Lecouturier

Quoi de plus naturel de nos jours de téléphoner pour réserver son séjour dans un lieu de vacances. Mais à la fin du siècle dernier et au début du XXe siècle, le tourisme balnéaire affirmait son développement tandis que le téléphone balbutiait. C'est sous la Restauration que naît la pratique des séjours à la mer et celle-ci se développe sous le Second Empire sous l'impulsion de la bourgeoisie d'affaires et avec l'apparition du chemin de fer. Gabriel Désert écrit qu'en 1894 « la Côte Fleurie a dès lors une situation ferroviaire privilégiée qui est, sans aucun doute, l'un des éléments de la prospérité qu'elle connaîtra à la fin du siècle ».
A cette époque, en dehors de quelques lignes d'intérêt privé fonctionnant en circuit fermé, le téléphone est quasiment inexistant. Aussi le développement du tourisme balnéaire va-t-il être particulièrement déterminant quant à l'établissement du réseau téléphonique calvadosien.

Les premiers circuits
Le premier circuit est destiné à joindre le littoral, mais dans un but uniquement pratique.
En juillet 1885 est établi un circuit téléphonique destiné à desservir le canal de Caen à la mer « pour régler les départs des navires et leur croisement dans la gare de Blainville, ainsi que les manœuvres d'eau en temps de crues de l'Orne ».
Cette ligne de 14 200 mètres installée pour le compte de la Société de Navigation n'est en fait qu'une longue
ligne d'intérêt privé. La ville de Caen est dotée d'une réseau téléphonique d'Etat en 1886 mais il faut attendre 1890 pour que la ligne Caen-Ouistreham-port soit ouverte aux abonnés du réseau caennais. C'est aussi dans un but privé qu'est établie en juillet 1891 une ligne de 9 kilomètres « dont l'usage a été demandé par la société des établissements Decauville aine pour les besoins de l'exploitation du chemin de fer de Luc à Ouistreham ».
La première liaison interdépartementale est réalisée en 1891 : Trouville « la reine des plages » et Honfleur sont les deux premières communes du département reliées à Paris en transitant par Rouen : un circuit Rouen-Paris est établi en 1887 et le circuit Trouville-Honfleur-Rouen en juin 1891. Cette liaison est fort bien accueillie. Dès le 20 août 1891, le Directeur Départemental des Postes et Télégraphes s'adresse au Préfet : « Par suite de l'inauguration récente du circuit téléphonique Rouen-Trouville, des demandes se produisent de personnes habitant Trouville momentanément tendant à obtenir d'avoir leurs habitations reliées telephoniquement au bureau des Postes et Télégraphes de cette localité en vue de se procurer la facilité de communiquer directement de chez elles avec les réseaux de Rouen et de Paris ». L'unique cabine ne suffisant plus, un réseau local est nécessaire. Arguant de cette situation, le Directeur Départemental sollicite un arrêté préfectoral pour exécuter ces travaux rapidement malgré l'avancement de la saison. Dès le lendemain le Préfet donne son accord. Dans les années suivantes, le besoin de communiquer s'affirme davantage et les villégiaturistes éprouvent de plus en plus l'incommodité du transit par Rouen.

Un développement continu
II faut attendre 1897 pour que le Conseil Général étudie un projet de réseau téléphonique départemental et constate lors de sa session d'août que le « Calvados est très en retard pour la création de ce nouvel agent de communication rapide». Sous l'impulsion du député de Caen, Georges Lebret, et d'un comité animé par des commerçants, le projet de circuit Caen-Paris prend forme. Quelques lignes interdépartementales sont envisagées : Caen-Bayeux, Caen-Lisieux et Caen-Trouville. En juillet 1897 le Journal de Caen plaide pour la construction d'un circuit CatH-Luc avec rattachement de toutes les stations balnéaires de Courseulles à Ouistreham. Mais l'hésitation des notables locaux, pour qui « on ne paraît s'être préoccupé que de l'intérêt de Caen », limite le projet à quelques circuits. Deux bailleurs de fonds, le comte Foy et le baron Gérard, tous deux conseillers généraux, apportent au département les 197 000 francs nécessaires et le Conseil Général vote sa participation au paiement de l'intérêt.
Le premier semestre 1898 voit ainsi la mise en service du circuit Caen-Paris et des trois circuits calvadosiens, le dernier, Caen-Trouville étant ouvert au service public le 13 juin. Des initiatives privées, mais avec l'aval du Conseil Général, font naître des circuits Trouville-Deauville, Trouville-Cabourg, Trouville- Villers-sur-Mer et Cabourg-Beuzeval.
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Lors de la session d'août 1899, le Conseil Général est saisi d'un projet de création d'un réseau téléphonique départemental par le Sous-Secrétariat d'Etat aux Postes et Télégraphes : « la France n'a pas jusqu'ici profité, aussi largement que ses voisins, des facilités nouvelles qu'offre ce merveilleux moyen de communication pour les relations d'affaires et de famille ». Quant au financement, l'Administration propose la participation du Conseil Général « dans une large mesure », des Chambres de Commerce, des Compagnies de Chemin de Fer de l'Ouest et de Caen à la mer, « en raison des intérêts qu'elles ont dans la région du littoral », des Caisses d'Epargne et de Groupements de Souscripteurs.
Le plaidoyer de dix pages de l'Administration conclut en soulignant que « les réseaux déjà existants seront beaucoup plus productifs après l'établissement du réseau départemental ». Le rapporteur, Charles Paulmier, tout en reconnaissant que le projet est séduisant, objecte que l'extension rapide du réseau risque, « au lieu d'améliorer les communications de départ, de compromettre celles que nous possédons à l'heure actuelle. Déjà actuellement, pendant la saison des bains de mer, les lignes sont tellement encombrées que les communications sont en fait virtuellement supprimées... Dans ces conditions, on peut se demander, avec un certain effroi, ce qu'il adviendrait le jour où, au lieu de dix centres téléphoniques dans le Calvados, il y en aurait 60 ou 80 ». Si le principe d'un second circuit Caen-Paris et de circuits reliant les stations balnéaires situées à l'ouest de l'embouchure de l'Orne est admis, le reste du projet est mis à l'étude, mais est refusé à la session d'avril 1900. Le rapporteur conclut ainsi : « s'il faut du téléphone, pas trop s'en faut : si l'abondance des communications provenant de l'augmentation des postes téléphoniques rendait illusoire le service à attendre des lignes actuelles, ce serait une fois de plus le cas de constater que le mieux est l'ennemi du bien ». Ainsi le conversatisme du Conseil Général ne pare qu'au plus pressé. En 1901, les communes balnéaires retenues font officiellement leur demande, Saint-Aubin-sur-Mer justifiant ainsi la sienne : « le Conseil municipal considère que l'installation du téléphone ne peut qu'augmenter la prospérité de Saint-Aubin en offrant aux baigneurs de nouvelles facilités de communication avec Paris, Rouen et Le Havre ».
Le 1er août 1902 sont mis en activité les réseaux de Luc, Bernières et Courseulles ainsi que les circuits Caen-Luc, Luc-Bernières et Bernières-Cour- seulles. Quinze jours plus tard suivent les réseaux de Saint-Aubin, Langrune, Lion, Ouistreham et La Délivrande, ainsi que les
circuits La Délivrande-Luc, Saint- Aubin-Langr une-Luc et Ouistre- ham-Lion-Luc Le comte Foy et le baron Gérard financent à nouveau tout ce programme. Le désenclavement du littoral se poursuit grâce à des initiatives privées.
Eh 1903, le maire de Villerville finance le réseau local et un circuit avec Trouville, le maire d'Houlgate finance le circuit Caen-Cabourg et la Chambre de Commerce d'Honfleur un deuxième circuit Honfleur-Rouen.
Enfin, en 1905, les villes de Deauville et de Trouville, cette dernière ayant refusé de la faire seule en 1903, financent l'indispensable circuit Trouville-Paris. En dépit de la réserve des notables calvadosiens, mais sous la pression des villégiaturistes et des commerçants pour qui la saison balnéaire cause nombre de désagréments — en juillet 1903, le sucrier Albert Bouchon, de Nassandres, se plaint d'attendre de 2 à 4 heures pour téléphoner à Caen — le littoral calvadosien apparaît mieux équipé en 1905 que le reste du département : 36 % des 569 abonnés se situent sur le littoral.

Une extension nécessaire
En ce début du XXe siècle, la situation du téléphone est loin d'être satisfaisante. Le Conseil Général, en mai 1905, constatant qu' « actuellement les communications téléphoniques laissent beaucoup à désirer » et que « la cause du malaise constaté réside dans l'insuffisance des débouchés », décide enfin d'étudier sérieusement un projet de réseau départemental. Le projet adopté par le Conseil Général est ambitieux puisqu'un emprunt de 1 106 147 francs est nécessaire. Il concerne la création de 61 circuits départementaux, le rachat de tous les circuits existants et non encore remboursés par l'Etat au moyen des produits, et l'établissement de six circuits interdépartementaux. Après une année de débats et de discussions, le Conseil Général adopte, en août 1906, le projet définitif, n'objectant qu'une remarque : « que les travaux ne viennent pas apporter une perturbation déplorable dans le service téléphonique à l'époque de la saison balnéaire, ainsi que cela a lieu en ce moment ». Ces travaux touchent l'essentiel du département et sur le littoral apportent le téléphone au-delà de Courseulles. En effet, dès août 1906, Arromanches en transitant par Ryes est relié à Bayeux. Isigny et Grandcamp suivent en octobre 1907, Blonville en janvier 1908, Asnelles, Ver-sur-Mer et Vierville en juin 1908 et Sallenelles en mars 1909. Après Caen. Trouville est un important centre téléphonique : déjà reliée à Rouen, Paris, Caen et aux localités voisines, la « reine des plages » est reliée à Honfleur par un circuit particulier et à Pont-1'Evêque en juillet 1909. En septembre, un second circuit avec Deauville est mis en service. En décembre sont terminés les circuits Caen-Hermanville et Varaville-Cabourg. Ainsi, en 1910, les cités balnéaires en vogue peuvent toutes être atteintes téléphoniquement.
Mais la qualité du service laisse tant à désirer que Trouville, en 1908, réclame un second circuit vers Paris constatant que « la ligne unique actuellement existante est impuissante à répondre aux exigences de la saison des bains de mer » : une enquête de 1907 attribuait une fréquentation de 60 000 personnes à Trouville et de 20 000 à Deauville. Du fait d'un Conseil Général conservateur et économe, ce projet n'aboutit qu'en 1911 et encore avec les concours des municipalités de Deauville et Trouville et de la Chambre de Commerce de Honfleur.
En 1910, les circuits Caen-Cabourg 2 et Caen-Courseulles sont réclamés, ce dernier « étant destiné à enlever à la voie Caen-Luc un trafic par trop intensif pendant la saison balnéaire » et permettant l'amélioration des relations entre Luc, Saint-Aubin, Bernières, Courseulles et Ouistreham.

Nous ne possédons que quelques résultats financiers — du quatrième trimestre 1905 au troisième trimestre 1909 — mais ceux- ci sont suffisamment éloquents. Quatre pointes sont perceptibles sur le graphique et concernent toutes les quatre le troisième trimestre, c'est-à-dire celui de la saison balnéaire. Si en 1906 la pointe reste limitée, en revanche, les années suivantes sont exemplaires : en 1907 et 1908, les produits du troisième trimestre représentent le tiers des produits annuels. La croissance des troisièmes trimestres est plus forte en 1907 que la croissance annuelle, mais à partir de 1908, du fait de l'extension du réseau départemental, la croissance annuelle l'emporte.


L'avènement de Deauville
Deauville, sous l'impulsion du directeur du casino, Eugène Cornuché, se développe rapidement et, en 1913, double Trouville. Cet avènement se traduit sur le plan téléphonique par la multiplication des circuits au départ de Deauville. Depuis septembre 1909, deux circuits relient les deux rivales. En octobre 1911, deux nouveaux circuits sont projetés à cause de nombreux et importants retards dans l'établissement des communications. Ils sont mis en service le 16 août 1912. Parallèlement Deauville réclame un circuit vers Paris. Dans une délibération du Conseil municipal du 12 novembre 1911, le maire « renouvelle sa proposition d'avancer la somme de 200 000 francs à l'Etat pour la construction immédiate d'un circuit direct Deauville-Paris qui est absolument indispensable pour assurer un service régulier donnant satisfaction aux abonnés ». Le Conseil Général donne son accord et les travaux commencent au printemps 1912. Mais des retards apportés dans la construction entraînent une protestation du Conseil municipal, soutenue par la Société des Courses. Celle-ci, qui a souscrit pour 42 000 F dans le projet, avance « la grande affluence du monde cette année à Deauville, ce qui va rendre très difficile (on peut dire presqu'impossible) les communications entre Deauville et Paris ». Enfin le 10 mai 1913, le circuit est mis en service.

Désormais tous les nouveaux circuits partent de Deauville : en octobre 1913, le Conseil Général donne un avis favorable pour l'établissement de circuits de dégagement. « dont la construction est nécessitée par le développement du trafic de Deauville », en direction de Rouen, Cabourg et Villers-sur-Mer ; les circuits 5 et 6 avec Trouville sont aussi projetés. L'Administration des Postes et Télégraphes peut ainsi répondre sur les conditions d'exécution du service téléphonique pendant la saison balnéaire : « il a été reconnu nécessaire de libérer Deauville de l'intervention de Trou- ville et pour ce faire de la doter de plusieurs voies directes de dégagement ». Le succès de Deauville est si rapide qu'un second circuit en direction de Paris est nécessaire. Lors de la session du Conseil Général, en avril 1914, le Préfet justifie aussi cette demande : « afin de remédier autant que possible à l'encombrement qui se produit à certains moments à Deauville pendant la saison balnéaire, le service des Postes a, depuis votre dernière session, saisi mon administration d'un projet de création d'un deuxième circuit Paris-Deauville ». La ville de Deauville ayant, comme à son habitude, pris en charge la totalité de l'annuité, le Conseil Général donne son autorisation, précisant qu' « il serait d'un grand intérêt que ces travaux fussent exécutés avant l'été ». Du fait de la guerre, la construction de ce circuit n'interviendra qu'en 1921.
Les nouveaux besoins

Ces besoins ne concernent pas tant de nouveaux circuits que l'amélioration des circuits existants. Rapidement saturés pendant la saison balnéaire, certains doivent être doublés, ainsi Trouville- Paris en 1912. En novembre 1912, le Conseil municipal de Cabourg réclame un deuxième circuit en direction de Caen : « la création d'un doublement de l'unique circuit Caen-Cabourg améliorera considérablement nos relations avec les environs et même avec Paris et la ville de Caen pourra nous être donnée avec quelques minutes d'attente au lieu de 3 ou 4 heures comme cela est arrivé pendant la saison balnéaire ». Ce second circuit est mis en service le 10 juillet 1913. La pression de la saison balnéaire est constamment déterminante. Alors que la participation de la ville de Caen était sollicitée pour les circuits Caen-Cabourg 2 et Caen-Lisieux 2, un conseiller caennais s'exclamait : « cela profitera surtout aux baigneurs ». Bayeux, en 1911, réclame le doublement de son circuit vers Caen, l'unique devant faire face pendant la saison estivale « à un trafic particulièrement actif».

Afin de soulager le circuit Caen-Luc, un circuit Caen-Cour- seulles est demandé en 1912 « pour éviter l'encombrement qui, pendant la saison estivale, rendait très difficiles les communications et donnait lieu à de nombreuses et justes réclamations de la part des abonnés et du public ». La Chambre de Commerce de Caen et les villes de Caen, Courseulles, Saint- Aubin-sur-Mer et Bernières participent au service de l'annuité, mais Luc refuse préférant la solution du doublement du circuit Caen-Luc « qui rendrait de très grands services à toutes les stations de Ouistre- ham à Courseulles indistinctement ». Caen-Courseulles est mis en service le 20 mai 1913. Quelques circuits consacrent l'existence de nouvelles cités balnéaires : en 1913 Houlgate est reliée à Cabourg et à Villers-sur-Mer, et cette dernière à Blonville. En août 1912, le Conseil Général examine un nouveau projet d'extension du réseau départemental : sur les 62 circuits projetés, un seul concerne le littoral (Merville-Cabourg). Ce projet démontre que le littoral calvadosien a bénéficié du téléphone bien avant le reste du département.

Si Deauville et Trouville sont les deux principaux centres balnéaires, les localités situées entre Bernières et Ouistreham n'en sont pas moins actives. En août 1912, c'est-à-dire en pleine saison, le Conseil municipal de Ouistreham réclame un circuit direct avec Caen car « il est presqu'impossible aux abonnés du téléphone de profiter de leur abonnement à cause de la longueur de temps mise à leur donner la communication avec Caen ». En juin 1913, le Directeur départemental plaide pour un circuit Bénouville- Ouistreham « cette dernière localité étant en situation particulièrement défavorable pour l'écoulement de son trafic téléphonique ». En juin 1914, il propose une réorganisation technique « en vue de faciliter l'exploitation des divers circuits téléphoniques dont l'établissement est prévu ». Les réseaux de Courseulles, Bernières, Saint-Aubin, Langrune et Luc sont groupés de façon à constituer des communications directes : Caen-Bernières-Cour- seulles, Caen-Langrune-Saint-Aubin, Caen-Luc 1 et 2, Courseulles- Bernières-Saint- Aubin et Saint- Aubin-Langrune-Luc. La même lettre propose les circuits Caen-Bénouville-Ouistreham, Villers-sur- Mer-Blonville-Trouville et Cabourg-Houlgate- Villers-sur-Mer.

A la veille de la Première Guerre Mondiale, chaque station balnéaire dispose d'au moins un circuit direct ou indirect avec Caen. Les stations les plus fréquentées, Deauville et Trouville, sont directement reliées à Rouen et Paris. Les abonnés du littoral représentent plus du tiers des abonnés du département. En 1905, Trouville et Deauville possèdent 95 abonnés et Caen 187, mais en 1914, les deux cités balnéaires comptent 537 abonnés et Caen 601. Le nombre d'abonnés de la Côte Fleurie est multiplié par cinq entre 1905 et 1914 alors que celui du département ne l'est que par 4,4. Les effectifs augmentent rapidement, mais la qualité de service apparaît mauvaise, voire déplorable. Ainsi lors de la session du Conseil Général, en octobre 1912, le Préfet propose de nouvelles lignes « pour faire face au surcroît de trafic qu'elles ne suffisent plus à assurer » constatant « une insuffisance à peu près générale ». Chaque nouvelle demande est presque toujours justifiée par l'impossibilité d'écouler le trafic pendant la saison balnéaire : la durée d'attente pour Paris varie de 3 à 5 heures, voire plus ! En 1914, l'équipement téléphonique du littoral calvàdosien existe, mais sa situation reste fragile : beaucoup reste à faire pour améliorer le réseau. Le téléphone s'est développé sous la pression des villégiaturistes et des commerçants locaux, mais aussi avec le concours obligatoire des notables conservateurs du Conseil Général.

Yves LECOUTURIER

sommaire

Les premiers développements du téléphone en Lorraine (1885-1914) Jean-Paul Martin

Le téléphone apparaît en France vers 1880 dans un environnement économique, socio-culturel et politique peu favorable à son adoption.
Après 10 années de gestion libérale et d'expérimentation sociale, les préventions qui accompagnent l'arrivée de toute innovation, tournent en France au plus complet blocage. Le téléphone est nationalisé mais l'Etat refuse de le financer et confie son avenir aux notables locaux. Ce sont eux, par leurs avances, qui financent tes équipements et mettent en œuvre le développement au réseau. Mais les notables locaux, par absence de besoins pu par crainte de ne pouvoir le contrôler, ont, semble--il, freiné
la diffusion du téléphone en refusant de consentir des avances importantes à l'Etat.
Qu'en a-t-il été en Lorraine où, à l'exception de quelques bureaux militaires ouverts au public et des liaisons internationales de voisinage établies avec l'Alsace-Lorraine, les lignes et les réseaux construits avant 1914 ont été financés par les particuliers et ies collectivités locales ?
Après avoir précisé les conditions de financement, on s'interrogera sur l'attitude des notables lorrains et les choix qu'ils ont fait en matière de développement du réseau téléphonique.
On examinera ensuite la diffusion du téléphone dans la région, ses modalités, son intensité et ses freins, en soulignant en quoi les processus de diffusion sont révélateurs de grands courants d'échanges et des horizons spatiaux de la vie de relations en Lorraine à la fin du siècle dernier.
Nous n'avons pas étendu nos recherches au département de la Moselle, annexé depuis 1871, où c'est l'administration allemande, et non les collectivités locales, qui a pris en charge la construction du réseau téléphonique.

I — Le mode de financement : le téléphone entre les mains des notables locaux

1. Les avances remboursables
En 1889, après 10 années d'expérience libérale où l'on voit coexister concessions privées et réseaux d'état, le téléphone en France est nationalisé. La loi de nationalisation dote le téléphone d'un statut juridique stable en le confiant à l'administration récemment fusionnée des Postes et Télégraphes, mais son avenir n'est pas assuré pour autant car il lui manque ce qui a fait la fortune du télégraphe électrique : une mise de fonds initiale importante et un plan de développement suivi à moyen ou long terme. En effet, la loi ne prévoit aucun crédit d'état pour financer te téléphone.
Ce sont les particuliers, les chambres de commerce, les villes et les départements qui font à l'Etat l'avance des sommes indispensables à la construction du réseau.
De son côté, l'Etat se charge de construire, d'exploiter et d'entretenir les lignes dont les recettes servent à rembourser les avances consenties. Après remboursement, l'ensemble des installations reste la propriété de l'Etat.
Un autre décret de 1891 va dans le même sens : c'est aussi par avances de fonds que seront financés les circuits interurbains.

2. Les modalités d'application
Dans les 10 années qui suivent la nationalisation, des conventions particulières sont passées avec l'administration pour la construction de circuits interurbains et l'installation de réseaux dans les communes qui en font la demande.
Le téléphone se diffuse lentement et sans plan d'ensemble.
Le réseau général s'organise autour de quelques grandes lignes reliant Paris et les principales villes de province (Lille, Lyon, Marseille,
Toulouse, Rennes, Nantes, Rouen et Nancy).
Entre les branches de ce réseau étoile s'amorce, au gré des initiatives locales, la construction des premiers réseaux départementaux.

Vers 1889, d'après l'enquête effectuée par le Secrétariat des Postes (1), l'installation de réseaux téléphoniques est en cours dans 18 départements situés pour la plupart dans le Nord, la Région Parisienne et la Basse-Normandie.
(1) « Le grand réseau téléphonique », Le Journal de Montmêdy, 21/9/1899. L'article entrevoit pour le téléphone en France un avenir radieux...

Partout ailleurs, les réseaux départementaux restent à l'état de projet ou sont carrément repoussés comme dans la Manche, lé Finistère, les Côtes-du-Nord, la Vendée et les Basses-Alpes.

Conscient du risque d'une croissance anarchique, l'Etat se tourne vers le Département et décide en 1900 d'en faire son unique interlocuteur.
Celui-ci reprend à son compte les avances anciennes, affecte les recettes au remboursement des premiers prêteurs et entreprend la réalisation du réseau départemental. Désormais, les extensions du réseau font l'objet de programmes annuels comprenant la liste des localités à rattacher, les circuits de jonction à construire et les réseaux d'abonnés à ouvrir dans les communes.
Mais le mode de financement par avances remboursables demeure inchangé : c'est le Département qui se charge d'avancer les sommes nécessaires à la réalisation des programmes d'équipement, non. pas sur son propre budget, mais à l'aide d'emprunts dont le capital est amorti par les recettes d'exploitation que l'Etat lui reverse chique année.
Le mode de remboursement ne tient pas compte des différences de productivité entre les lignes. Les recettes dés circuits interurbains et interdépartementaux qui sont de beaucoup les plus productifs, peuvent être affectées à la construction des lignes locales généralement déficitaires. En définitive, seuls les intérêts des emprunts restent à la charge des intéressés dans des proportions variables selon les départements.
En Meuse, les communes en supportent les 2/3 et le Département 1/3.
Les Vosges et la Meurthe-et-Moselle ont adopté la même répartition ; communes 60 %, CCI. 15 %, Département 25 %.
La construction de réseaux d'abonnés dans les communes est financée par les municipalités et les postes téléphoniques installés chez les particuliers mis au compte des abonnés eux-mêmes. Dans le régime de l'abonnement à forfait qui se pratique dans les villes de plus de 25 000 habitants, les particuliers doivent se procurer les appareils de transmission-réception et payer l'installation de la ligne reliant le poste au central de la localité.
Le montant élevé des abonnements et les taxes perçues sur les conversations font du téléphone un moyen de communication relativement cher (2).

(2) Les abonnements sont de 2 types :
- 1) à forfait dans les grandes villes où les appels locaux ne sont pas décomptés (abonnement annuel de 200 F). Les communications locale» sont gratuites,
- 2) à conversations taxées (abonnement annuel dégressif : ; 160 F la première année, 40 F la '& année et les suivantes). Une1 taxe de 10 centimes est perçue sur les communications locales. Les taxes interurbaines augmentent avec la distance : 0,40 F sur les communications à destination des autres abonnés du département, 0,50 F pour les départements limitrophes, 1,25 F pour Paris par unité de 3 minutes, en 1907, dans les Vosges.

Par le mode de financement qu'il a mis en place, l'Etat a confié l'avenir du téléphone aux notables locaux.
Or ceux-ci n'ont pas fait d'avances massives pour financer la construction du réseau.

3. Les notables locaux et le financement du téléphone
Pour J. Attali et Y. Stourdze (3), c'est la principale raison de la lente percée du téléphone en France.
L'Etat, disent-ils, a remis le téléphone aux notables locaux parce qu'ils géraient déjà les problèmes de communication à l'échelon local.
Leur monopole en matière d'information s'appuyait sur la presse locale dont on sait qu'elle a connu à la fin du siècle dernier une très large diffusion grâce aux tarifs préférentiels de la poste. Il semble que les notables locaux n'aient pas eu besoin du téléphone.
Mais les auteurs vont plus loin en soulignant que les notables avaient tout à craindre de lui. En tant que mode de communication directe de personne à personne, le téléphone venait en effet court-circuiter les canaux traditionnels de transmission de l'information.
Par leur refus d'avancer des sommes importantes, les notables locaux ont exprimé leur crainte de voir le téléphone affaiblir leur rôle de relais et de « filtres institutionnels » vis-à-vis de la population. Aussi en ont-ils freiné la diffusion et restreint son usage aux seuls milieux des affaires.
Contrairement à ce qu'on observe en Amérique du Nord et dans d'autres pays européens où le téléphone se répand très tôt dans les couches moyennes, le téléphone en France demeure un moyen de communication au service des entreprises et de l'administration.
Dans un autre ouvrage consacré à l'histoire des télécommunications en France, C. Bertho (4) en arrive aux mêmes conclusions pour la période qui nous intéresse. Les notables locaux se sont montrés particulièrement réservés, sinon réticents, à l'égard du téléphone.

(3) Attali J., Stourdze Y. : « The birth of the téléphone on économie crisis : the slowdeath of the monologue in French Society». In Pool (Ithiel de Sola) Ed. The social impact of the téléphone, M.I.T. Press, 1977, 502 p. et Stourdze Y. : « Généalogie des Télécommunications françaises » in C.N.E.T.- E.N.S.T. : Les réseaux pensants, Télécommunications et Société. Masson, Paris, 1978.
(4) Bertho C. : Télégraphes et Téléphones, de Valmy au microprocesseur. Le Livre de Poche, Paris, 1981, 540 p.


II. — Le développement du téléphone en Lorraine entre 1885 et 1914

Pour reconstituer les premiers développements du réseau téléphonique en Lorraine, nous avons relevé année par année dans les archives de l'administration des Postes et les Recueils des Actes administratifs départementaux les données suivantes :
— le nombre d'abonnés : indicateur de croissance,
— les communes dotées du téléphone ; indicateur de la diffusion spatiale,
— les recettes téléphoniques : critère indirect du volume de trafic,
— les circuits de jonction : critère indirect de la répartition géographique du trafic.
Ces données traitées de manière synchronique (graphiques d'évolution) et diachroriique (cartes de la diffusion du téléphone et de l'organisation des circuits) permettent de reconnaître trois phases dans le développement du réseau téléphonique en Lorraine entre 1885 et 1914.

1. La phase « expérimentale » : le réseau urbain de Nancy (1885-1892)
Le téléphone fait son apparition en Lorraine vers 1883 sous forme de lignes privées installées dans les établissements industriels.
En fait, la création d'un réseau interconnecté et fondé sur le principe de la location du service date de 1885 avec la mise en service à Nancy d'un réseau local comptant 87 abonnés.
Parmi les souscripteurs, on relève une majorité d'entrepreneurs industriels, de grossistes et de représentants du commerce. Ce premier réseau construit et exploité par l'administration des Postes se développe régulièrement : 143 abonnés en 1888 et 176 en 1891.
Mais il sera le seul à fonctionner dans la région jusqu'en 1892.
Le coût de l'installation, le montant des abonnements et les restrictions d'usage imposées par la réglementation n'incitent guère les autres villes à suivre l'exemple de Nancy. Mais c'est surtout l'impossibilité de téléphoner en dehors du réseau local qui en limite l'intérêt.
Avant 1890, tes circuits interurbains sont rares et coûteux. Il se pose au pkm technique des problèmes d'affaiblissement et pour que la voix soit encore intelligible à longue distance, il faut utiliser des fus de cuivre de gros diamètre.
C'est à l'intérieur des grandes agglomérations urbaines que le téléphone révèle toute son utilité. Aussi le réseau téléphonique français est-il constitué à l'origine d'une poussière de réseaux locaux.
Les propos tenus par H. Boucher en août 1982 devant ses collègues conseillers généraux du département de Vosges le soulignent clairement (5). Dans une région comme le Nord de la France, dit-il, on peut commencer par créer des réseaux urbains disposant d'une autonomie de communications.
Mais dans les Vosges, Epinal et Saint-Dié n'ont pas suffisamment d'importance pour justifier la création d'un réseau local.
Ce qu'il faut, c'est relier les villes entre elles. Et il conclut : «Votre programme est tout tracé par les nécessités locales ». Un mois plus tard, en septembre 1892 est inaugurée la première liaison téléphonique entre Paris et la Lorraine.
La possibilité d'obtenir des communications
rapides avec la capitale intéresse lés industriels et les CCI. de la région.
Avec parfois l'appui financier des municipalités et des conseils généraux, les milieux d'affaires se lancent dans l'aventure du téléphone.

(5) Recueil des Actes administratifs du Département des Vosges. Session d'août 1892, p. 388-389.

2. La phase « d'innovation » (1892-1900)
Entre 1892 et 1900, une quarantaine de conventions particulières sont passées avec l'Etat pour la construction de circuits interurbains et l'ouverture de réseaux d'abonnés dans les communes qui se présentent.
Parmi les signataires, on relève les CCI. de Nancy et Epinal qui ont joué un rôle d'impulsion décisif dans la construction du circuit Paris-Nancy-Epinal. Ce sont elles qui prennent l'initiative du projet en collaboration avec la CCI. de Paris et contribuent à la majeure partie de son financement. On trouve aussi parmi les signataires un grand nombre de particuliers et d'entreprises : EVRARD à Lunéville, BARON DE TURCKHEIM, industriel à Blâmont, le COMPTOIR MÉTALLURGIQUE DE LONGWY, la CRISTALLERIE DE BACCARAT, la BRASSERIE DE VÉZELISE, VARIN-BERNIER, banquier à Bar-le-Duc, GROSDIDIER, maître de forge à Commercy, RIVART à Stenay et Montmédy, la SOCIÉTÉ DES EAUX à Vittel, la SOCIÉTÉ COTON- NIÈRE DE L'EST à Vincey, des groupes d'industriels à Granges et Gérardmer, etc.

Dans les Vosges, ces initiatives sont soutenues par le Conseil Général qui, 10 ans avant la Meurthe-et-Moselle et la Meuse, vote une subvention annuelle de 10 000 F pour inciter les municipalités à se doter du téléphone et se relier à Epinal.
Les municipalités urbaines et les petits centres textiles dont les conseils municipaux sont dominés par le patronat local répondent favorablement et votent les avances nécessaires à l'installation d'un réseau local. Il faut voir dans cette convergence d'initiatives l'explication de l'avance prise par le département des Vosges avant 1900 :

Tableau I. - L'état d'avancement du réseau téléphonique en Lorraine en 1899

Dès 1895 et mieux encore en 1900, on observe dans les Vosges l'amorce d'un réseau départemental centré sur Epinal et déjà réticulé au plan local (carte des circuits téléphoniques en 1900).
Il se compose de 28 réseaux, locaux dont là plupart réunissent un petit nombre d'abonnés : 2 à Granges, 6 à Senones et Val-d7Ajol, 9 à Mirecourt, 24 à Remiremont, 44 à Saint-Diér et 70 à Epinal en 1897.
La réticulation du réseau ne fait que reproduire la dispersion des -établissements industriels dans les vallées de la Meurthe et de la Moselle.
En Meuse et en Meurthe-et-Moselle, tous les réseaux ouverts avant 1900 ont été financés à l'aide de fonds privés : ceux de Toul et Lunéville entrent en service en 1892, dès l'ouverture du circuit de Paris, avec respectivement 14 et 25 abonnés.
Celui de Vézelise fonctionne l'année suivante avec 4 abonnés. Viennent ensuite Pont-à-Mousson en 1895, Longwy en 1897, puis Blâmont, Baccarat et Bayon en 1899. A cette date, deux 'autres réseaux sont en construction à Frouard et Champigneulles.
Ces réseaux qui comptent peu d'abonnés lors de leur ouverture se développent lentement et, en 1899, le réseau urbain de Nancy (416 abonnés) regroupe les 4/5 de tous les abonnés au téléphone de Meurthe-et-Moselle.
Dans la Meuse où le démarrage intervient plus tardivement, toujours à Finitiative d'entrepreneurs locaux, le développement du réseau se fait en ordre dispersé. Les six réseaux construits entre 1895 et 1899 ne sont pas reliés entre eux niais avec des villes des départements limitrophes qui leur donnent accès au réseau général : Bar-le-Duc à Châlons-sur-Marne et Nancy (via le bureau de Toul), Verdun à Sainte-Menehould, Stenay et Montmédy à Carignari et les Ardennes, Commercy à Toul et Vau- couleurs.

Durant cette phase où le rôle d'impulsion est laissé aux particuliers, ce sont les milieux d'affaires qui sont les vecteurs de diffusion du téléphone. Celui-ci se diffuse lentement au gré des, initiatives locales et sa croissance n'est pas encore suffisamment forte pour que s'accusent les disparités intrarégionales. Une demande potentielle existe soutenue à la fin du siècle dernier par une forte croissance des activités industrielles et commerciales, mais les milieux d'affaires, à l'exception des industriels vosgiens, n'ont pas réussi à faire passer leurs demandes auprès des instances départementales.
En 1900, l'Etat remet le téléphone entre les mains des conseillers généraux en les chargeant de mettre en œuvre les programmes d'extension du réseau.

3. La phase « d'adoption » (1900-1914)

Trois traits caractérisent le développement du téléphone durant cette phase : un développement programmé mis en œuvre par les départements, une croissance rapide accompagnée d'une large diffusion au plan local, un développement inégal d'un département à l'autre.
1 2 3
Fig. 1. Communes dotées du téléphone.
Fig. 2. Recettes téléphoniques et télégraphiques. Fig. 3. Taux d'équipement (pour 1 000 h)
Entre 1900 et 1914, le téléphone en Lorraine connaît une croissance extrêmement rapide.
La courbe des communes dotées du télé-phone (fig. 1), notamment celle de Meurthe-et-Moselle où le mouvement de diffusion est intense, prend l'allure d'une courbe de GAUSS caractéristique de la phase «d'adoption» mise en évidence par les études géographiques sur la diffusion de l'innovation. De 45 en 1899, le nombre des localités rattachées s'élève à 443 en 1905, puis à 893 en 1914.
La croissance toutefois est inégale. A la veille de la Première Guerre mondiale 85 % des communes de Meurthe-et-Moselle ont le téléphone.
Le taux de couverture atteint 30 % dans la Meuse et 45 % dans les Vosges.
Les recettes enregistrent aussi une forte augmentation liée à l'extension du réseau et à la progression du trafic, alors que les produits du télégraphe stagnent ou augmentent légèrement (fig. 2).
La substitution du téléphone au télégraphe intervient dès 1904 en Meurthe-et-Moselle, en 1906 dans les Vosges alors que les recettes téléphoniques et télégraphiques s'équilibrent encore dans la Meuse en 1914.
Le taux d'équipement des ménages (nombre d'abonnés pour 1 000 habitants) progresse régulièrement tout au long de la période, tout en restant en-deçà de la moyenne nationale (6).
(6) Le décalage observé tient en partie aux données prises en compte : les p» téléphoniques pour l'indice national et les lignes principales pour les taux départementaux (sources : I.JN.S.E.E., Annuaire statistique, vol. 57, 1946, tab. XII, p. 134-135).

Mais fait caractéristique, la structure de la clientèle ne se modifie guère.
Le téléphone se répand, mais il reste un instrument au service du monde des affaires comme le montre le faible taux de lignes à usage résidentiel dans les Vosges en 1908:
Lignes à usage résidentiel 16 %
Lignes à usage professionnel 84 % (établissements purs et mixtes)
dont :
— agriculture 1 %
— industrie-artisanat 27 %
— commerce de détail-hôtellerie 25 %
— intermédiaires-grossistes 24 %
— services-administration 7 %
Il
semble à l'examen de ces indices de croissance que ce soit moins le nombre d'abonnés (indice de pénétration sociale) que l'extension du réseau (indice de diffusion spatiale) qui différencie l'attitude des notables locaux à l'égard du téléphone durant cette période d'expansion.
Dans la Meuse, où les représentants des cantons ruraux ont la majorité au Conseil Général, les notables n'ont pas fait d'avances massives pour la construction du réseau départemental. Ils l'ont conçu dès le départ en terme de réseau administratif et donné la priorité au financement des lignes reliant les chefs-lieux de canton et les sous-préfectures à Bar-le-Duc. Une fois cet objectif atteint, l'assemblée départementale s'est contentée de satisfaire les demandes les plus pressantes de la CCI., des villes et des municipalités rurales peu nombreuses à soliciter l'installation d'une ca
bine publique.
Les premiers projets d'extension dont les travaux débutent avec retard, ne recueillent l'adhésion que de 82 municipalités dont 25 villes et chefs-lieux de cantons inscrits d'office au projet.
C'est peut- être la Meuse qui vérifie le mieux la thèse développée par Y. Stourdze. Une étude plus fine des pouvoirs locaux, menée en termes socio-culturels, devrait permettre d'en démontrer la validité.

Dans les Vosges et la Meurthe-et-Moselle, le développement du téléphone s'inscrit dans un contexte d'expansion économique porteur d'une demande autrement plus forte que dans un département rural et peu urbanisé comme la Meuse. Les milieux d'affaires intéressés par la construction des grands circuits interurbains forment des groupes de pression suffisamment puissants pour que leurs demandes soient prises en considération par les instances départementales et inscrites dans les programmes d'extension.
Par les recettes que procurent ces grands circuits, l'assemblée départementale est en mesure de réaliser de nouveaux emprunts rapidement amortis pouvant servir à financer la construction de lignes locales dont on sait qu'elles sont déficitaires. Ce schéma peut s'appliquer à quelques nuances près à la Meurthe-et-Moselle où le Conseil Général, avec l'appui constant de la CCI. et des municipalités, est parvenu à financer le réseau rural et faire de Nancy la tête de nombreuses lignes interrégionales. Le premier projet d'extension est ambitieux puisqu'il envisage à terme de relier toutes les localités du département.
Les travaux débutent dès 1900 avec l'adhésion de 320 municipalités. Et par effet d'imitation, les autres suivront quelques années après.

Entre 1900 et 1910, le Département des Vosges a lancé huit emprunts d'un montant global de 2 millions de francs. Après un effort initial important — deux emprunts en 1900 de 350 000 F chacun pour la reprise des lignes existantes et le lancement du premier programme d'équipement — les sommes allouées au téléphone diminuent régulièrement : 110 000 F en 1906, 100 000 F en 1908 et 40 000 F en 1910 (7).
(7) Le faible montant de l'emprunt de 1910 est dû à une modification du mode de remboursement. En 1908, l'Etat décide que les avances servant à financer une ligne seront remboursées à l'aide des seuls produits de cette ligne. C'est un coup porté à l'équipement des communes rurales dont les lignes ne sont pas rentables. A la fin de l'année 1910, on revient au système antérieur de remboursement groupé.

Or à cette date, l'administration reverse au département 100 000 F par trimestre à titre de remboursement des anciennes avances.
Ce qui revient à dire qu'un emprunt de 400 000 F pouvait être normalement amorti en l'espace d'un an.
D'abord favorables au téléphone, les notables vosgiens se sont montrés réticents, les industriels notamment qui, une fois réalisés les grands circuits de jonction, se sont désintéressés de l'équipement des communes rurales.
Dès 1904, le Conseil Général prend des mesures restrictives visant à exclure des projets d'extension les localités de moins de 500 habitants ou celles qui ne sollicitent pas l'ouverture d'un réseau d'abonnés. La majeure partie des communes rurales sont dans ce cas.

Elles se voient aussi dans l'obligation, lorsqu'elles ne possèdent pas de service postal ou télégraphique, de fournir le local de la cabine, le mobilier de bureau et surtout de verser les allocations annuelles du gérant et du piéton distributeur des messages téléphonés.
Les petits bureaux sont d'ailleurs peu utilisés et leurs recettes sont loin de couvrir le coût initial des installations (8).
(8) A Coussey, pourtant chef-lieu de canton, les recettes d& la cabine publique s'élèvent à 76 F en 1906. Celles de Romont (440 h) à 28 F et de Harol (850 h) à 65 F. Il faudrait entre 30 et 50 ans pour amortir les coûts d'installation (3 000 F en moyenne en 1906) !

Ces mesures restrictives, ajoutées aux retards que connaissent les programmes d'équipement à l'approche de la guerre, expliquent la faible extension du réseau communal des Vosges en 1914. Pourtant le nombre des abonnés progresse régulièrement et le taux d'équipement des ménages se tient à un niveau légèrement supérieur à celui de Meurthe-et-Moselle.

III. — L'extension du réseau téléphonique : logique économique et logique administrative

Aucun plan de développement suivi à court ou moyen terme n'a présidé à l'extension du réseau téléphonique en Lorraine durant cette période.
On a cherché le plus souvent à minimiser les coûts et favoriser la construction de circuits pour lesquels existait une demande potentielle.
En ce sens le nombre de circuits téléphoniques peut être considéré comme un assez bon indicateur de la répartition géographique des grands courants de trafic. Mais il a fallu concilier la recherche du mioindre coût et la qualité du service en fonction des techniques en usage à la fin du siècle dernier..
En effet, la saturation des lignes principales et l'engorgement dçs centraux exploitée manuellement (9) ont nécessité l'ouverture de . nouveaux circuits directs « sautant » les bureaux intermédiaires et la misé en place d'itinéraires secondaires permettant de « détourner» les appels en cas d'affluence.
(9) Les premiers centraux automatisés sont mis au point aux Etats-Unis en 1891 (type Strowoer), mais leur mise en service en France fut tardive : le premier est expérimenté à Nice en 1913. Celui de Nancy Saint-Georges, le premier en Lorraine, fut installé en 1931 et restera en service jusqu'en 1948.

D'un côté, les impératifs financiers conduisaient à prévoir un réseau à moindre coût par le rattachement de nombreuses localités sur un même central, de l'autre les impératifs de qualité du service tendaient à la création d'un réseau maillé où tous les points à fort trafic seraient reliés entre eux par un circuit direct.
Après 1900, cette logique économique et financière s'efface en partie devant la volonté des élus de construire un réseau départemental reproduisant la hiérarchie des chefs-lieux administratifs indépendamment de la rentabilité des lignes.
On est ainsi passé d'un réseau à configuration nodale simple à un réseau plus complexe dont l'organisation interne repérage porte la marque de ces multiples influences.
La généalogie des circuits, leur configuration et leur densité sont révélatrices des conditions de fonctionnement et des horizons spatiaux de la vie de relations.
Fig. 4. — Carte de repérage
Fig. 5. — Circuits téléphoniques en 1900


On y lit plusieurs échelles spatiales .

1. L'échelon interrégional : les grands courants d'affaires
Comme pour les autres infrastructures de communication, c'est sur les liaisons avec Paris que s'articulent les premiers réseaux impulsés par les milieux d'affaires (fig. 5 : carte des circuits de jonction en 1900).
La rapidité de transmission, la possibilité de dialoguer et le libre-accès à la parole — le téléphone peut être installé partout, à domicile, au bureau — justifient l'intérêt que ces milieux portent au téléphone.
Il le suscite d'autant plus que l'industrialisation, les chemins de fer et le développement des activités commerciales ont amené l'ouverture de l'économie lorraine et la mise en place 4e tout un réseau d'intermédiaires (grossistes, représentants, commissionnaires, courtiers, etc.) pour lesquels le téléphone est un moyen de se tenir en contacts réguliers avec les fournisseurs et les clients. Ces intermédiaires sont avec les industriels les premiers à adopter le téléphone. Sa large diffusion dam l'hôtellerie le souligne aussi indirectement.
On peut dès lors comprendre l'importance des relations à longues distances dans la répartition du trafic dès la phase de démarrage du réseau téléphonique.
Ainsi, dans lés Vosges en 1898, sur 89 000 appels enregistrés, 7 000 seulement sont à destination locale (8 %), 42 000 à destination des villes du département (48 %) et 39 000 à destination des autres départements (44 %).
A cette date, les communications à longues distances sont limitées par l'absence d'interconnexion généralisée à l'échelon national.
Tous les appels interrégionaux transitent par le circuit Epinal-Nancy-Paris dont lies recettes sont en constante progression (10).
(10) Après un an de fonctionnement, les recettes s'élèvent à 4 600 F, à 8 000 F en 1895 et à 13 400 F en 1897 pour les appels en provenance ou à destination du département de Meurthe-et-Moselle (CCI. de Nancy, séance du 15 juillet 1898).

La ligne est saturée aux heures de pointe, à l'arrivée des courriers et au départ des trains postaux, et les délais d'attente qui s'en suivent soulèvent de nombreuses réclamations. Le doublement de la ligne est envisagé dès 1898 et réalisé en 1900 alors même que les réseaux départementaux, à l'exception de celui des Vosges, en sont encore au premier stade de leur formation.
Lé doublement de la ligne améliore sensiblement les liaisons interrégionales car elle ouvre la Lorraine à une vingtaine de départements français (via Paris) et permet de réserver le 1er circuit aux seules communications avec la capitale
.
Fig. 6. — Circuits téléphoniques interurbains en 1914
En 1914, les liaisons avec Paris constituent toujours l'épine dorsale du réseau téléphonique régional (fig. 6 : carte des circuits téléphoniques interurbains en 1914).
La Lorraine est reliée avec la capitale par 11 circuits directs dont six au départ de Nancy, deux au départ de Bar-le-Duc et Epinal et un au départ de Verdun.
A ces fils directs s'ajoutent les multiples possibilités d'obtenir Paris par des circuits secondaires (« circuits omnibus » via Chaumont, Vesoul, Reims et Belfort).
La centralisation administrative et le rôle de la capitale dans l'organisation économique expliquent l'importance du trafic échangé entre la Lorraine et la région parisienne.
Mais de nombreux appels ne font que transiter par Paris sans qu'on puisse connaître leurs destinations finales.
Comme pour les chemins de fer, Paris est le grand centre redistributeur des appels à l'échelon national et international. Aussi ne peut-on comprendre l'établissement de nouveaux circuits qu'en se référant à l'état d'avancement et au degré d'interconnexion de l'ensemble du réseau téléphonique français.
Après 1900, les milieux d'affaires ont demandé la construction de circuits directs pour améliorer les communications téléphoniques de la Lorraine avec les départements limitrophes et les régions avec lesquelles ils entretiennent des relations économiques privilégiées : le Nord (Nancy-Lille 2 circuits), la Champagne (Nancy-Reims 2 circuits), le Sud-Est (Nancy-Lyon), la Franche-Comté (4 circuits avec Bel- fort) et la Basse-Seine (Epinal-Rouen-Le Havre 3 circuits à l'usage des usines textiles des Vosges).

La création de ces grands circuits a permis de réserver les lignes existantes aux communications intrarégionales et par conséquent de renforcer la position centrale d'Epinal et de Nancy dans l'organisation interne du réseau téléphonique lorrain. La mise en service de circuits de jonction interdépartementaux a aussi permis d'améliorer les liaisons intra régionales, mais il s'agit dans presque tous les cas de circuits d'intérêt local : Vézelise-Mirecourt, Bar-le-Duc-Saint-Dizier, Montmédy-Longuyon, Charmes-Bayon, Saint-Dié-Nancy, etc. Par contre la frontière d'Alsace-Lorraine a constitué une coupure autrement plus puissante que les limites départementales.
Dès 1900, Nancy est relié à Metz et au réseau de la Moselle, mais il est remarquable de constater l'absence de liaisons directes avec Strasbourg ou Mulhouse.
L'ouverture après 1905 de petits circuits transvosgiens établis avec Schirmeck, Sainte-Marie-aux-Mines, Munster et Wesserling dénote le maintien de relations locales, notamment par le biais des entreprises textiles. Il en est de même des anciens arrondissements de Château-Salins et de Sarrebourg qui faisaient partie avant 1871 du Département de la Meurthe. Les impératifs stratégiques ont pris le pas sur les intérêts locaux.

2. L'échelon départemental : la primauté du principe administratif
Les élus ont conçu à l'échelle de chaque département un réseau téléphonique calqué sur la hiérarchie des chef-lieux administratifs.
La carte des circuits de jonction en 1914 le montre clairement.
Dans la Meuse, où les conseillers généraux ont hérité en 1900 d'un réseau complètement éclaté, leur premier souci a été de relier les sous-préfectures à Bar-le-Duc et de brancher les chefs-lieux de canton sur cette ar
mature départementale.
Dans les Vosges, c'est aussi le principe administratif qui a guidé l'extension du téléphone. On peut observer en 1914 l'existence de plusieurs réseaux centrés sur les sous-préfectures et inscrits, à quelques ajustements près, dans les limites des arrondissements (réseaux de Saint-Dié, Remiremont, Epinal, Mirecourt et Neuf château).
L'importance démographique de l'agglomération de Nancy et le rôle qu'elle a acquis dans l'organisation économique et financière de la Lorraine à la fin du siècle dernier ont conduit à concevoir en Meurthe-et-Moselle un réseau très centralisé dans lequel la plupart des chefs-lieux de canton sont reliés par des circuits directs à la préfecture même si le trafic échangé ne le justifie pas (11).
(11) En 1922, Nancy échangeait 420 communications quotidiennes avec Lunéville, 189 avec Longwy, mais seulement 38 avec Baccarat, 28 avec Thiaucourt et Domèvre-en-Haye, 8 avec Audun-le-Roman, Arracourt et Badonviller (Recueil des Actes administratifs du Département de Meurthe-et-Moselle, 1922).

Là encore, le doublement des lignes établies avec Longwy, Toul, Lunéville et Pont-à-Mousson a permis de réserver les premiers circuits à l'usage exclusif des chefs-lieux de canton et en 1914, 5 d'entr'eux seulement communiquent toujours avec Nancy par des circuits partagés (Arracourt, Audun-le-Roman, Domèvre-en- Haye, Thiaucourt et Badonviller).

C'est aussi dans les limites cantonales que s'est effectuée l'extension du réseau téléphonique au plan local (fig. 7 et 8 : cartes des communes dotées du téléphone en 1900 et 1914).
Fig 7 Fig 8
Fig. 7. Communes dotées du téléphone en 1900
. Fig. 8. Communes dotées du téléphone en 1914

On peut avancer à cela différentes raisons.
Des contraintes techniques, car au-delà de trois localités reliées par un même circuit partagé, les transmissions deviennent très mauvaises.
Sans compter que les abonnés en bout de circuit obtiennent difficilement la ligne auprès des employés du central de la commune voisine qui font passer en priorité les abonnés locaux.
Des heures sont réservées pour chaque localité mais la réglementation n'est pas strictement appliquée.
Des raisons financières aussi : la minimisation du coût de construction des lignes privilégie le raccordement au plus proche voisin.
Des raisons socio-économiques enfin, car le canton à la fin du siècle dernier représente encore un cadre fondamental de la vie de relation des ruraux.
Dans la tarification des appels, il existe une taxe intra-cantonale. Les réseaux locaux, en fait, se moulent dans les structures existantes alors que les réseaux départementaux et les liaisons interrégionales font davantage apparaître le téléphone comme un agent d'innovation.
Frappant aussi est le petit nombre de circuits reliant directement entre eux les centres sous-régionaux.
Est-ce la marque d'une polarisation de la vie de relation courante sur les villes de niveau sous-régional ?
On serait amené à le penser (12), alors que les relations d'organisation et d'affaires se traitent au niveau des villes majeures.
(12) Comme nous l'avons montré par ailleurs : J.-P. Martin et R. Schwab : L'évolution de l'armature urbaine de l'Alsace et de la Lorraine, 1850-1975. Villes en Parallèle, n° 5, avril 1982, p. 8-44.

Mais comme le souligne le Directeur départemental des Postes de Meurthe-et-Moselle en 1922, les téléphone en 1900. nécessités d'administration ne correspondent pas toujours à la logique économique.
Après avoir signalé un certain nombre d'anomalies, il conclut : « Ces anomalies résultent des hésitations des communes à adopter le téléphone au moment de la création du réseau départemental, de l'insuffisance des crédits consacrés aux travaux, des itinéraires imposés par l'autorité militaire et du défaut d'ensemble dans l'exécution » .

On ne saurait mieux résumer les contraintes qui ont pesé sur les premiers développements du téléphone en Lorraine à la fin du siècle dernier.
En 1914, le téléphone est diffusé dans un grand nombre de localités mais peu d'abonnés sont raccordés.
La demande sociale, peu soutenue, se répand lentement en dehors des milieux d'affaires.
La faiblesse du marché n'attire pas les investissements industriels et la modernisation des équipements n'est pas entreprise.
Le mode de financement, enfin, se révèle inadapté à un développement programmé du réseau au plan national.
En 1914, la France est déjà malade de son téléphone. Elle le restera, on le sait, jusqu'à ces toutes dernières années.

Jean-Paul Martin E.R.A. 214 du C.N.R.S. Université L.-Pasteur Strasbourg

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1932 Le téléphone et les transactions internationales, A.Albenque

— Le téléphone joue un rôle de plus en plus important dans les transactions internationales.

Deux grandes commissions suivent de près le développement de ce mode de communication et étudient sans cesse les améliorations à apporter dans ce domaine :
- le Comité international des communications téléphoniques a grande distance, qui représente surtout les intérêts des administrations ou entreprises qui assurent les services téléphoniques ;
- la Commission de la téléphonie internationale, créée en 1925, lors du troisième Congrès de la Chambre de Commerce internationale, tenu à Bruxelles à cette date ; cette commission représente surtout les intérêts des usagers du téléphone.

Des travaux de ces comités, il résulte que, dans le monde, les États-Unis de l'Amérique du Nord sont le pays où l'on emploie le plus souvent les communications téléphoniques : 230,7 communications par an et par habitant.
En Europe, en prenant les chiffres de 14 pays, on arrive à une moyenne de 50,74, soit près de cinq fois moins de communications.
L'État européen qui utilise le plus le téléphone est le Danemark : 143,5 communications ; la Suède suit avec 119 communications ; la Norvège tient le troisième rang avec 87,1.
La supériorité des pays Scandinaves est due au fait que de grandes distances séparent souvent les uns des autres les établissements humains, que pendant la mauvaise saison il est difficile parfois de se rencontrer ; les usagers tiennent cependant à demeurer en contact avec le monde extérieur : on se sent moins seul, si l'on a un téléphone à sa portée.
En France, où cette impression d'isolement est moins fréquente et où les nouveautés ne pénètrent d'ailleurs que lentement dans les mœurs, la moyenne des conversations n'est que de 18,1, comme en Hongrie.
Notre pays occupe ainsi le onzième rang et précède la Tchécoslovaquie : 17 communications, et l'Espagne : 10,4.

Le morcellement politique est évidemment responsable de l'infériorité du continent européen.
Ce morcellement entraîne une organisation différente dans chaque État, et la prise de contact entre les divers réseaux provoque parfois de longs retards.
De plus, la grande variété des langues n'est pas faite pour faciliter l'usage dû téléphone. Aux États-Unis, on se comprend toujours, puisque l'anglais règne sans conteste.

Pourtant de sensibles progrès viennent d'être réalisés en Europe.
Les services d'étude des transports de la Chambre de Commerce Internationale ont dressé un tableau des conversations tenues en 1925 et en 1930 entre 34 villes importantes d'Europe.
Par une combinaison ingénieuse, ils ont dessiné 561 carrés représentant les 561 possibilités de communication entre ces villes.
En 1925, sur 561 possibilités, 49 ont été réalisées, soit 8,7 p. 100.
Les communications les plus fréquentes ont été réalisées par Berlin (12 carrés) avec Amsterdam, Budapest, Copenhague, Danzig, Luxembourg, Milan, Oslo, Paris, Prague, Sarrebruck, Stockholm, Vienne, et par Danzig (9 carrés) avec Amsterdam, Bâle, Berlin, Budapest, Luxembourg, Milan, Paris, Prague, Stockholm, Vienne.
Les communications de Paris occupent 8 carrés, et elles ont établi des relations avec Amsterdam, Bâle, Berlin, Bruxelles, Londres, Luxembourg, Madrid. Londres figure sur ce tableau avec 4 carrés, ses principales communications atteignant Amsterdam, Bâle, Bruxelles.
En 1930, sur 561 possibilités, 50,8 p. 100 ont été réalisées.
Berlin est représenté cette fois par 28 carrés, Danzig par 24. Stockholm, qui ne communiquait en 1925
qu'avec Berlin, Copenhague, Danzig et Oslo, a communiqué en 1930 avec Amsterdam, Bâle, Berlin, Bruxelles, Budapest, Copenhague, Danzig, Gibraltar, Helsinki, Kiev, Kovno, Leningrad, Lisbonne, Londres, Luxembourg, Madrid, Milan, Moscou, Oslo, Paris, Prague, Reval, Riga, Rome, Vienne, Varsovie : 26 contacts téléphoniques. Exemple frappant des progrès de l'utilisation des téléphones.

A.Albenque

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Pour illustrer l'évolution majeure de la commutation dans les années 1950, voici deux études : la première des laboratoires Bell qui ont étés les pionniers dans le domaine, puis la deuxième vision concernat la France en particulier.

I - Aux Etats-Unis - LA REPRÉSENTATION DE BELL LABS SUR LA COMMUTATION COMME INFORMATIQUE (OU PAS)
de KIM W. TRACY , ROSE-HULMAN INSTITUTE OF TECHNOLOGY .

À la fin des années 1920, il était clair que pour que le réseau téléphonique puisse évoluer, davantage d'automatisation était nécessaire pour prendre en charge le réseau téléphonique en pleine croissance. Dans les années 1930, Stibitz et d'autres ont commencé à travailler sur la construction d'une série de machines à relais pour prendre en charge divers aspects de cette automatisation. À la fin des années 1940, il devenait clair pour les Bell Labs que la commutation était une forme de calcul et que l'automatisation informatique serait nécessaire pour répondre au besoin croissant d'évolutivité du réseau téléphonique. Mon affirmation est que les Bell Labs ont continué à croire que la commutation était un calcul, mais l'ont dépeint différemment au fil du temps en raison de pressions réglementaires et juridiques externes dues au statut de monopole du système Bell.
Ce document couvre l'évolution de la vision des Bell Labs et la représentation de la commutation au fil du temps.

En examinant des articles présentés par Bell Labs et d'autres documents internes, je compare la façon dont la commutation a évolué d'un problème « informatique » pour être présentée comme un « contrôle de programme enregistré » de la commutation.
Cette séparation de l'informatique est devenue urgente car le décret de consentement de 1956 a rendu difficile pour le système Bell de poursuivre toute activité autre que le système téléphonique et les contrats militaires.
Les Bell Labs ont continué à produire de nombreux systèmes informatiques à l'appui du système téléphonique, mais ont continué à faire attention à la manière dont cela était présenté au public. De plus, lorsque le réseau téléphonique est passé des systèmes de commutation analogiques aux systèmes de commutation numériques, les Bell Labs ont continué à promouvoir le contrôle des programmes stockés même s'il est devenu encore plus informatisé. Dans le même temps, Bell Labs et AT&T ont non seulement continué à faire d'importantes recherches en informatique, mais ont intensifié leurs efforts pour pénétrer plus pleinement le marché de l'informatique, comme avec son achat de NCR en 1991.

1. Introduction
Les Bell Labs étaient désireux d'appliquer les technologies informatiques et électroniques en évolution au système Bell, en particulier pour permettre au système Bell d'être en mesure de gérer les demandes en croissance rapide sur le réseau téléphonique. Au milieu des années 1940 et dans les années 1950, les Bell Labs avaient entrepris de multiples efforts pour déterminer comment la commutation électronique pouvait être développée.
À la fin des années 1940, le groupe de recherche sur la commutation dirigé par Deming Lewis étudiait l'utilisation du PCM (Pulse Code Modulation) comme moyen de numériser la parole et de construire des systèmes pour tirer parti de l'électronique non seulement pour les systèmes de contrôle, mais aussi pour la commutation, notamment dans l'ESSEX (Experimental Solid State Exchange).
Depuis que le transistor a été récemment inventé en 1947, il y avait un empressement à appliquer cette technologie une fois qu'elle deviendrait suffisamment fiable pour remplacer les tubes à vide, qui étaient considérés comme moins fiables et gourmands en énergie que les relais. D'autres efforts de Bell pour appliquer l'électronique à la commutation téléphonique sont venus du groupe Bell Labs Systems Engineering, dirigé par Ken McKay. Ces efforts d'ingénierie des systèmes ont été réalisés dans ce qui est devenu le système ESS n ° 1 installé pour la première fois à Morris, dans l'Illinois en 1960.
Des pressions externes ont également été exercées avec le décret de consentement de 1957 interdisant effectivement à AT&T de concourir dans le secteur informatique. Il fallait donc s'assurer que la commutation téléphonique ne soit pas perçue comme une activité informatique. Les Bell Labs ont produit un certain nombre d'histoires liées à leurs contributions à l'informatique.
Une histoire récemment redécouverte à partir de 1961 avait une longue histoire de commutation par rapport aux histoires ultérieures. Le reste de cette histoire interne de 1961 était très similaire dans son contenu aux efforts ultérieurs. En conséquence, cette divergence avec la façon dont la commutation téléphonique était incluse (ou non) dans l'histoire informatique des Bell Labs m'a incité à rechercher si le changement dans la façon dont la commutation téléphonique était représentée de l'informatique à être qualifié de contrôlé par programme stocké.

2. Histoires informatiques des laboratoires Bell
Le premier document décrivant les contributions des laboratoires Bell à l'informatique est un rapport interne de 71 pages des laboratoires Bell datant de 1961. (WD Lewis éd. Contributions du système Bell aux ordinateurs et au traitement de l'information. Mémorandum interne des laboratoires Bell, apparemment non publié, 10 juillet 1961).
Ce document comporte une section détaillée (5 pages incluant les références) sur la commutation téléphonique ainsi que d'autres sections sur les domaines de l'informatique qui sont restés dans l'histoire ultérieure des Bell Labs. Ce document non publié semble être un rapport préparé pour Ken G. McKay (vice-président de l'ingénierie des systèmes de 1959 à 1962) et William (Bill) O. Baker (alors vice-président de la recherche des Bell Labs et plus tard président des Bell Labs). "Le système Bell n'est pas dans le domaine de l'informatique commerciale", a-t-il déclaré et expliqué plus en détail : il s'intéresse de plus en plus à la commutation électronique, à la transmission de données et aux techniques numériques pour la transmission de la voix et de la télévision. Elle doit aussi continuer à assumer les tâches militaires pour lesquelles elle est particulièrement qualifiée. Pour ces raisons, il continuera d'être un contributeur majeur dans les domaines du calcul numérique et du traitement de l'information.
Le document d'histoire de l'informatique de 1961 a été édité par W. Deming Lewis, qui dirigeait la recherche sur la commutation et les sections sont rédigées par ceux qui ont joué un rôle principal dans les technologies qu'ils décrivent. Au moment de ce document, Baker était vice-président pour la recherche (de 1955 à 1973) et soutenait également la recherche informatique en tant que vice-président. Ce document a été trouvé par Ed Eckert comme la demande de cet auteur en novembre 2021 dans les papiers de Bill Baker à Murray Hill avec les initiales de Baker et de Ken McKay en haut. Bill Baker a ensuite fortement soutenu la recherche informatique pendant son mandat de président des Bell Labs (1973-1979).
Des histoires ultérieures pour commémorer le 50e anniversaire de la fondation des Bell Labs en 1925 ont été créées au début des années 1980. Ces histoires comprenaient un document interne sur le rôle des Bell Labs dans l'informatique par Holbrook et Brown qui a ensuite été développé par Brown, Holbrook et Doug McIlroy pour un public externe. Ce dernier document a également été quelque peu révisé. Tous ces documents ultérieurs ne disent presque rien sur la commutation téléphonique, par rapport à l'Histoire de 1961.
De plus, Amos Joel, Jr. (que nous avons appelé le père de la commutation électronique au sein des Bell Labs) a également édité le volume d'histoire de la commutation de 1982 de A History of Engineering and Science in the Bell System. Joel a joué un rôle important dans la transition de la commutation téléphonique vers l'utilisation de l'électronique, en particulier dans la création du bureau central électronique Morris (ECO) et du système de commutation électronique n ° 1 (ESS). Par conséquent, l'histoire de la commutation téléphonique est devenue complètement séparée de l'histoire de l'informatique dans ces livres publiés à l'extérieur et même dans le folklore interne des Bell Labs.

3. La commutation électronique aux Bell Labs
Les Bell Labs ont fait plusieurs incursions pour intégrer l'électronique dans la commutation. Avant la commutation électronique, les systèmes pas à pas et crossbar étaient les principales plates-formes de commutation téléphonique électromécanique. Dans les années 1940, Bell a commencé à envisager d'utiliser l'électronique pour automatiser la commutation. Après 1947, le transistor était considéré comme encore plus prometteur que les tubes à vide. L'une des principales décisions était d'automatiser ou non entièrement le réseau de commutation avec l'électronique. L'automatisation du réseau de commutation nécessiterait de passer à quelque chose comme le multiplexage temporel (TDM) et donc d'abandonner l'utilisation de connexions physiques de bout en bout (alors appelées «commutation par répartition spatiale») à l'aide de commutateurs électromécaniques. L'utilisation de TDM serait plus facilement activée en encodant les signaux dans quelque chose comme PCM (Pulse Code Modulation) qui utilisait l'échantillonnage pour traduire les appels vocaux analogiques en flux binaires de données.
Pour une chronologie approximative des premiers efforts de commutation électronique aux Bell Labs assemblés par cet auteur, veuillez vous référer à la figure suivante :

Cette chronologie est séparée en efforts déployés par l'unité de recherche en commutation (notés en vert et au-dessus de la chronologie) et les efforts de commutation de production menés par l'unité d'ingénierie des systèmes (notés en bleu et en dessous de la chronologie).
Commençant en 1947, le premier effort fut le système de commutation automatique à commande électronique (ECASS) qui utilisait des tubes thermioniques (sous vide), des relais secs et des diodes à gaz à cathode froide pour remplacer les opérateurs humains.
L'ECASS a continué à utiliser des connexions physiques de bout en bout, plutôt que de les remplacer par TDM et PCM.
Un système téléphonique automatique utilisant une mémoire à tambour magnétique, le Drum Information Assembler and Dispatcher (DIAD) en 1949 a commencé à ressembler étroitement à un système informatique en utilisant une mémoire et une commande électronique séparées. Le DIAD "peut être considéré comme une sorte d'ordinateur". DIAD a utilisé environ 1 100 tubes à vide et 2 200 diodes au germanium.
L'unité de recherche sur la commutation a également participé au développement du PCM, le considérant comme la clé du multiplexage temporel. L'Experimental Solid State Exchange (ESSEX) de la recherche sur la commutation a mis en œuvre le PCM dans un système entièrement à semi-conducteurs qui comprenait les éléments de commutation.
L'ESSEX a démontré que de tels systèmes entièrement électroniques étaient réalisables et pouvaient être considérés comme une forme spécialisée d'ordinateur. Ce n'est qu'en 1975 qu'il deviendra la conception de commutateur de production utilisée dans le système Bell avec le 4ESS. Lewis note qu'un ingénieur système, Chester E. Brooks, avait eu l'idée d'un commutateur entièrement électronique. en 1951, mais la seule référence donnée était un article de Fortune de 1958 par Bello où la prédiction était que d'ici 1980, le système Bell utiliserait une commutation à semi-conducteurs basée sur PCM et TDM (ce qui s'est avéré être à peu près correct). Du côté de la commutation de production des Bell Labs, Amos Joel Jr. a documenté les utilisations possibles de l'électronique pour contrôler le réseau de commutation en 1956 .
Il a ensuite proposé un "commutateur" expérimental qui a mis en œuvre ces idées dans un système pratique parallèlement aux travaux de recherche sur l'ESSEX. Joel a pu s'appuyer sur cette idée pour déployer un essai sur le terrain réussi en 1960 à Morris, dans l'Illinois (parfois appelé le commutateur Morris ou alternativement le bureau central électronique, ECO). Cet essai réussi à Morris a ensuite été transformé en une version de production qui est devenue le système ESS n ° 1. Cette commutation de production est devenue l'histoire publique largement acceptée de la commutation ainsi que celle partagée au sein des Bell Labs. Il n'est pas étonnant que Joel ait été considéré comme le père de la commutation électronique au sein des Bell Labs. Il faudra attendre le commutateur interurbain 4ESS et le commutateur local 5ESS pour qu'une structure de commutation entièrement électronique et numérique soit déployée dans le système Bell.

Chester E. Brooks était l'auteur de un certain nombre de brevets américains, dont un pour un "système de commutation téléphonique automatique électronique" déposé le 19 novembre 1956 (brevet américain numéro 3 120 581) qui décrit les opérations du système, y compris l'utilisation du binaire pour les circuits de contrôle. Une recherche préliminaire de documents internes de Bell Labs par Brooks vers 1951 n'a pas encore fourni ces documents, mais cet auteur est convaincu qu'ils existaient.

Notez que le livre Engineering and Operations in the Bell System était principalement destiné à être un document de formation pour les nouveaux ingénieurs des Bell Labs et a été délivré à chaque nouvel ingénieur.

4. Évolution du passage de l'informatique au contrôle des programmes enregistrés.
En 1953, Deming Lewis (qui était rédacteur en chef du rapport sur l'histoire de l'informatique des Bell Labs de 1961 a directement lié les ordinateurs électroniques à la commutation téléphonique et a détaillé les relations entre eux. Un article de Claude Shannon en 1949 détaillait les besoins en mémoire d'un central téléphonique en termes de " bits ", un terme récemment inventé en 1947 par Tukey. Dans un article de 1979 de John Pierce où il revient sur l'histoire de la commutation et son rôle, il relie les efforts pour développer et pousser le PCM comme un moyen de rendre possible la commutation entièrement électronique. a été fait non seulement avec Pierce mais aussi avec Shannon et Oliver comme indiqué dans où ils ont laissé entendre que le PCM permettrait une commutation téléphonique entièrement électronique. Les premiers systèmes de commutation électroniques ont fait une comparaison directe avec un ordinateur, en particulier le DIAD qui a été lancé en 1949 et la description contient un chiffre qui assimile le système à un ordinateur avec la seule différence que l'ALU (unité logique arithmétique) a été remplacée par le « réseau de connexion » ou la matrice de commutation. Voir la figure ci dessous pour ce diagramme du document DIAD.
Figure de l'article DIAD 1952 comparant le passage à l'informatique .

Lewis poursuit en faisant une comparaison directe qui, selon lui, est particulièrement forte pour le DIAD. Il dit également que l'ECASS, un système antérieur qui a débuté en 1947, était également similaire à un ordinateur. Il fait une comparaison directe avec les Harvard Mark I et II et les ordinateurs relais Bell montrant une forte ressemblance fonctionnelle avec ces systèmes de commutation électroniques. Lewis poursuit en disant que les contributions entre l'informatique et la commutation vont dans les deux sens, la commutation étant susceptible de contribuer aux "dispositifs informatiques, à la fiabilité et aux systèmes utilisant deux ordinateurs ou plus". Ces exemples démontrent que la pensée, en particulier au sein de l'équipe de Lewis dans la recherche sur la commutation, était que l'informatique et la commutation étaient des technologies complémentaires et qui se chevauchaient.
Le groupe d'ingénierie système de Joel au sein des laboratoires Bell s'efforçait de fournir des systèmes de commutation pratiques capables de gérer l'utilisation croissante du réseau téléphonique. Ce groupe était l'unité d'ingénierie des systèmes qui était plus directement responsable du déploiement d'un réseau fonctionnel. Amos Joel avait également proposé d'utiliser des composants électroniques comme dans et proposé un système qui n'incluait pas la numérisation du réseau de commutation mais plutôt uniquement pour le contrôle, tout comme le modèle DIAD avait utilisé. Il a ensuite utilisé ce même modèle dans le système de commutation expérimental déployé à Morris, Illinois en 1960 et dans l' ESS n ° 1 . Fait intéressant, dans un article du magazine Fortune en 1958, les Bell Labs semblent avoir déjà décidé de reporter la fabrication du réseau de commutation entièrement numérique jusqu'en 1980, en utilisant le PCM comme cela a été proposé dans l'ESSEX à la fin des années 1950 par les chercheurs en commutation des Bell Labs. Dans le travail de Joel en ingénierie des systèmes, il semble clair qu'ils s'étaient installés sur un modèle de contrôle de programme stocké de commutation qui durerait jusqu'au milieu des années 1970 déploiement du 4ESS pour la commutation interurbaine utilisant PCM. Il est donc logique que le contrôle des programmes stockés différencie l'approche de Joel du modèle entièrement numérique sur lequel la recherche sur la commutation avait travaillé et qu'elle considérait comme l'avenir.
Cette terminologie de "contrôle de programme enregistré" s'est poursuivie même après que le système de commutation soit devenu entièrement électronique et numérique à la fin des années 1970 et 1980 avec le 4ESS et le 5ESS. Au moment du 4ESS, du 5ESS et de la cession de 1984, la terminologie de «commande de programme stocké» était enracinée dans la culture d'ingénierie du système de commutation et il n'était guère nécessaire de la changer pour devenir un «ordinateur spécialisé» ou des termes similaires qui sont plus directement informatisé.
Jusqu'en 1966, les dirigeants d'AT&T, y compris le président Romnes, continuaient à dire des choses comme "le système téléphonique est lui-même un ordinateur".

5. Conclusion Au début du développement de la commutation électronique chez Bell Labs, la commutation téléphonique était considérée comme une forme spécialisée d'informatique. Avec les efforts concurrents au sein des laboratoires pour développer un système de commutation entièrement électronique par rapport à un système de commutation partiellement électronique, il était logique d'appeler la version qui ne remplaçait pas le réseau de commutation "commande de programme stocké", car elle contrôlait le réseau de commutation. La version partiellement électronique l'a emporté, en grande partie pour des raisons pratiques de fiabilité et de coût. La situation a été compliquée par le décret de consentement de 1956 en exigeant qu'AT&T n'entre pas dans le secteur de l'informatique, ce qui explique pourquoi les historiques de commutation téléphonique et d'informatique ont été présentés séparément au monde extérieur aux Bell Labs. Au moment où Bell a déployé une version entièrement électronique dans les années 1970, le terme était tellement ancré dans la culture des ingénieurs de commutation chez Bell Labs qu'il n'était tout simplement pas logique de changer, en particulier avec la pression continue de ne pas sembler être dans le marché de l'informatique.

6. Remerciements J'aimerais remercier plusieurs personnes qui ont contribué à trouver l'histoire de l'informatique des Bell Labs en 1961.
Tom Misa m'avait poussé du coude pendant des années qu'un tel document existait et j'ai finalement pris sur moi de faire de mon mieux pour voir s'il existait. J'ai contacté Al Aho qui m'a référé à Brian Kernighan qui m'a ensuite référé à A. Michael Noll. Noll avait parcouru les papiers de Bill Baker et avait créé un site Web avec certains de ses papiers. Noll m'a ensuite référé à Ed Eckert de Nokia Bell Labs qui a pu trouver le document dans les papiers de Baker à l'emplacement des Bell Labs à Murray Hill, NJ.

Les données de ces documents sont reprises pour commenter et illustrer la page "naissance de la commutatition électronique" de ce site.

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II - En France

Chargé de recherche à l'Institut d'histoire moderne et contemporaine (CNRS) et chargé de cours à l'Université de Paris IV, Pascal Griset est spécialiste de l'histoire des télécommunications. Il prépare une histoire des techniques aux 19 et 21 siècles. Il vient de publier La croissance économique en France au 19e siècle (A.. Colin) en collaboration avec Alain Beltran.

LE DÉVELOPPEMENT DU TÉLÉPHONE EN FRANCE DEPUIS LES ANNÉES 1950 de Pascal Griset

1989 POLITIQUE DE RECHERCHE ET RECHERCHE D'UNE POLITIQUE

Comment est-on passé du « 22 à Asnières » au téléphone installé dans les voitures particulières ?
Question de maîtrise technologique et de développement industriel, pensons-nous d'abord. Ce serait pourtant sous-estimer l'importance des choix politiques, les enjeux mentaux et quelques problèmes de souveraineté nationale...

La lutte pour le contrôle des télécommunications est un enjeu central pour la détermination des rapports de force entre les Etats et les entreprises à l'orée du 21e siècle. La France à travers ses entreprises fait partie des adversaires qui ont déjà brisé quelques lances sur un terrain pouvant sembler plus ouvert par la dérégulation intervenue aux Etats-Unis. La France est donc présente, avec ses atouts et ses handicaps, dans cet affrontement où ne sont acceptés que les meilleurs. Pourtant, au-delà des paramètres financiers et technologiques, l'évaluation du potentiel français doit également intégrer une analyse des rapports entretenus entre les pouvoirs publics et les entreprises privées dans ce domaine, monopole d'Etat.

Le développement du téléphone en France après la seconde guerre mondiale montre combien les choix en matière de télécommunications peuvent être l'enjeu de rivalités politiques, mais il révèle aussi les qualités et les limites d'un modèle français de politique industrielle.
Une politique de recherche et l'industrialisation pour l'indépendance nationale.

La société française n'a intégré que très lentement l'importance des télécommunications pour son avenir économique et culturel. Dès la fin des années 1950, les différentes dimensions du problème apparaissaient pourtant clairement. Le développement du téléphone intégrait tout d'abord d'importants enjeux techniques. Le passage des techniques électromécaniques aux techniques électroniques en commutation fut une révolution sans précédent entraînant une impitoyable sélection entre les entreprises et les nations, seules quelques-unes, pour des raisons à la fois techniques et financières, pouvant assumer ce grand saut. Le téléphone est également, à double titre, un enjeu industriel.

sommaire

L'industrie des télécommunications est devenue une industrie de pointe. Son développement s'intègre dans celui de l'industrie électronique et spatiale, avec les synergies que l'on devine avec le domaine militaire. Les investissements sont colossaux, mais les profits, pour les rares gagnants, sont à leur mesure. Deuxième aspect, l'équipement d'un pays en télécommunications modernes et bon marché est un élément majeur qui participe à la compétitivité des entreprises dans tous les domaines.

Enfin, découlant des éléments précédents, le téléphone et son industrie sont un extraordinaire enjeu politique. Enjeu de politique internationale, car la maîtrise des réseaux de télécommunications internationaux est un élément décisif dans la politique étrangère d'une grande puissance ; enjeu de politique intérieure, car aucune politique industrielle cohérente ne peut se faire en dehors des télécommunications, et tout gouvernement doit donc avoir un contrôle assez étroit de l'évolution de ce secteur.

L'histoire des années 1950 à 1990 nous révèle que des acteurs aux conceptions et aux intérêts différents, voire divergents, étaient concernés par cette activité : l'administration, les industriels, les politiques, les « usagers »... de plus en plus... « consommateurs ». L'administration des PTT était présente à la fois par ses services d'exploitation et par son centre de recherche, le CNET. Les services d'exploitation avaient pour principale préoccupation le développement des capacités du réseau qu'ils géraient. Leur importance dans les processus de décision ne fut pas négligeable, mais ce fut surtout le Centre national d'étude des télécommunications (CNET) qui pesa de tout son poids dans la définition de la politique française des télécommunications. Créé en 1944, confirmé par le gouvernement provisoire, le CNET était une structure interministérielle qui ne prit une véritable importance qu'à partir de 1954 lorsqu'une réforme lui permit de trouver son unité sous la houlette des PTT. Dès lors, sous la direction de Pierre Marzin, le Centre se consacra à sa véritable mission, définie par les textes fondateurs, en s'attachant à coordonner les activités de l'industrie française des télécommunications (1).

Cette industrie était bien faible au regard des besoins d'une grande nation industrialisée. Si dans le domaine des transmissions l'industrie française réussissait à conserver une part importante du marché intérieur, celui de la commutation était en revanche totalement contrôlé par les technologies étrangères. Les deux filiales de ITT, la CGCT et LMT, et la société Ericsson accaparaient au début des années 1960 plus de 65 % des commandes de l'Etat en matériel de commutation (2). Le pouvoir politique mis très longtemps à considérer le téléphone comme une priorité pour le pays. On rattachait volontiers celui-ci aux activités de loisir plus qu'aux biens d'équipements industriels. Les télécommunications furent négligées par le plan Monnet et il fallut attendre l'été 1947 pour qu'une commission de modernisation des télécommunications soit créée. Le programme prévu en 1948 par celle-ci ne fut jamais appliqué. Ce ne fut qu'à partir du 6e et surtout du 7e Plan que les télécommunications furent considérées comme prioritaires (3). Il est vrai que jusqu'à la fin des années 1960 la pression de la demande fut étonnamment faible. Les députés en campagne électorale se voyaient réclamer des écoles, des hôpitaux, pas le téléphone. En 1970, le retard de la France en matière d'équipement téléphonique était donc dramatique. Sa densité téléphonique était de 7,8 lignes principales pour cent habitants contre 11,1 pour l'Italie, 12,3 pour la RFA, 15,3 pour le Royaume-Uni, 33,3 pour les Etats-Unis et 40,9 pour la Suède. Le taux d'automatisation, qui était de 100 % aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Italie, de 99 % en Belgique et en Grande-Bretagne, dépassait à peine 75 % en France. Les délais de raccordement étaient extrêmement longs, le téléphone était un luxe : Fernand Raynaud pouvait sans succès chercher à joindre le 22 à Asnières...

1. Une histoire du CNET, à laquelle nous avons collaboré dans le cadre du Centre de recherche en histoire de l'innovation (Paris IV), est à l'heure actuelle sous presse et une large partie des informations a été collectée lors d'interviews des principaux ingénieurs et responsables des télécommunications à l'occasion de cette recherche. Nous remercions tout particulièrement Messieurs Cotten, Docquiert, Letellier, Libois, Lucas, Marzin. Des documents d'archives ont également appuyé notre démarche. Ils ne sont pas répertoriés et leur consultation est à l'heure actuelle impossible.

2. L'International Telegraph and Telephon Company disposait du marché des télécommunications hors des frontières de l'Union. Ses filiales françaises impliquées dans la commutation étaient la Compagnie générale de construction téléphonique (CGCT) et le Matériel téléphonique (LMT).
3. Voir L.-J. Libois, « La planification française et les télécommunications », rapport au Colloque Bernard Gregory, sur « Science et décision », Paris, 1979.

Les débuts de la commutation électronique : le pari technologique

Les centraux de commutation, qui sont au réseau téléphonique ce que l'échangeur est au réseau autoroutier, ont été, au cœur de l'évolution technologique du téléphone, l'enjeu économique le plus important. Au début des années 1950, la commutation électromécanique était arrivée au bout de son évolution avec le système Crossbar. En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, l'idée d'utiliser l'électronique en commutation commençait à apparaître. En 1956, le Post Office pouvait annoncer la création d'un centre de recherche sur la commutation électronique. Le choix des Britanniques s'était porté sur le « temporel », c'est-à-dire un système où l'ensemble des fonctions de commutation était assuré par l'électronique. Quelques mois plus tard, en mars 1957, les Bell Laboratories (centre de recherches d'ATT) annonçaient la construction d'un centre expérimental de commutation électronique .

Leur choix technologique (4) était cependant différent puisqu'ils avaient choisi le « spatial ». L'électronique n'y intervient que pour commander des systèmes électro mécaniques. L'option anglaise entraînait donc une rupture complète avec les anciens systèmes, alors que les Américains avaient choisi une évolution permettant d'envisager une introduction plus rapide de la nouvelle technologie dans les réseaux opérationnels. Les rapports entre ATT et le CNET avaient toujours été très cordiaux. Au fil des accords, portant notamment sur des échanges de brevets, les ingénieurs du CNET avaient fréquemment rencontré leurs homologues américains dans les fantastiques laboratoires Bell. Trois ingénieurs du CNET étaient donc présents au symposium organisé par ATT. De retour en France, ils informaient Pierre Marzin, directeur du Centre, des projets américains. Ingénieur parmi les plus brillants de l'avant-seconde guerre mondiale, P. Marzin rêvait d'un téléphone totalement français, affranchi de la tutelle américaine. Pressentant les extraordinaires potentialités d'une filière électronique en commutation, il créa, en avril 1957, un nouveau département du CNET appelé RME, recherche sur les machines électroniques. Sa mission : concevoir un système français de commutation électronique. Il en confia la direction à Louis- Joseph Libois. Le rôle leader en commutation électronique échappait donc au service commutation du CNET, à la grande déconvenue de ses ingénieurs. Pierre Marzin voulait des hommes totalement détachés de la commutation classique pour créer un système réellement nouveau, il cassait les routines des structures en place, créait un groupe totalement concerné par la nouvelle technologie, liait la carrière de ces hommes à la réussite de leur mission. Cette audace s'avéra payante : ces hommes nouveaux croyaient en l'électronique alors que peu de « commutants », ils l'admirent plus tard, auraient misé sur le succès à moyen terme de cette révolution technologique. Les avantages de l'électronique étaient pourtant considérables : « Elle apporte des avantages substantiels : la réduction du volume et du poids, la facilité d'entretien si le matériel est bien conçu et la diminution de puissance d'alimentation» (5), estimait le directeur du Laboratoire central des télécommunications dès 1956.

Le travail des ingénieurs de RME commença par une période de recherche libre destinée à explorer sans a priori les différentes démarches envisageables. Les premières expériences anglo-saxonnes servirent ainsi d'une certaine manière à déterminer « ce qu'il ne fallait pas faire » et toutes les options du CNET s'éloignèrent des choix américains et britanniques. Une première étape vit la réalisation de deux prototypes ANTINEA (1958-1960) et ANTARES (1961-1963). Ils permirent d'évaluer à leur juste mesure les problèmes liés à la nature des composants électroniques et aux méthodes de programmation. Les grandes orientations dans ces domaines fondamentaux purent ainsi être déterminées.

A la fin des années 1950, malgré le développement des transistors, l'électronique reposait encore dans de nombreux cas sur les lampes à vide. Ainsi, ce fut avec des lampes que les Britanniques tentèrent la mise au point de leur central temporel. Ce prototype, que certains n'hésitèrent pas à surnommer « l'usine à gaz », était extrêmement volumineux et peu performant. Il nécessitait un système de climatisation et termina sa carrière en 1963, véritable diplodocus témoin de cette préhistoire de la commutation électronique. Les Britanniques furent ainsi « fâchés » avec le temporel pour deux décennies. Dans le cadre moins ambitieux de la commutation spatiale, les Américains adoptèrent des diodes à gaz dans le premier central réalisé à Morris dans l'Illinois (novembre 1960). Le choix des composants s'avérait donc déterminant pour l'efficacité, la faisabilité du système, mais également pour sa rentabilité. P. Lucas, ingénieur dans l'équipe RME, explique ainsi les grandes options qui inspirèrent les choix français en la matière : « La politique suivie à cette époque fut de chercher à utiliser des composants dont la diffusion probable devait être la plus large possible, c'est-à-dire de coller le plus possible aux technologies de l'informatique dont le marché serait certainement plus large que celui de la communication » (6). Quelle lucidité dans ce choix alors qu'à cette époque les Américains, il est vrai plus favorisés en matière de crédits, développaient des composants spécifiques très coûteux !

La programmation des centraux, autre élément clef, s'avéra être d'une extrême complexité. Ce ne fut que très lentement que les problèmes furent évalués dans toutes leurs dimensions, et les retards de mise au point des systèmes, lorsqu'ils survinrent, furent bien souvent dus à une sous-estimation du temps nécessaire à la programmation. Le programme du central de Morris comportait déjà 50 000 instructions.

Parallèlement à la recherche, l'industrialisation était préparée grâce à la mise en place de structures de coopération avec les industriels. Depuis 1959, l'administration et les industriels avaient en effet joint leurs efforts en matière de commutation au sein d'une société d'économie mixte, la SOCOTEL(7). Le CNET, de par ses statuts, coordonnateur de l'industrie des télécommunications en France, jouait un rôle important dans cet organisme. Invités par le CNET à se joindre à l'effort effectué en matière de commutation électronique, les industriels, qu'ils soient purement français ou filiales d'ITT, se montrèrent très réservés, voire hostiles à cette orientation. Lors de la réunion des membres de SOCOTEL, le 15 décembre 1960, un projet de recherche portant sur le spatial, le SE 400, fut rejeté en raison de l'opposition des industriels qui le jugeaient trop ambitieux. Cette journée reste dans bien des mémoires comme un événement marquant. Les débats furent tellement tendus qu'aucun compte rendu n'en fut réalisé.

4. ATT (American Telegraph and Telephone Company). Cette gigantesque entreprise disposait jusqu'au début des années 1980 d'un monopole sur les communications téléphoniques aux Etats-Unis. Elle ne pouvait en revanche pas exporter, ce secteur étant réservé à l'International Telegraph and Telephone (ITT).
5. G. Goudet, conférence faite à la Société des radioélec- triciens, le 20 octobre 1956, publiée dans UOnde électrique, mars 1957.
6. P. Lucas, « Les progrès de la commutation électronique dans le monde », Commutation et électronique, 44, janvier 1974.
7. SO. CO. TEL : « Société mixte pour le développement de la technique de la Commutation dans le domaine des Télécommunications ». Voir H. Docquiert, SOCOTEL, Expérience de coopération Etat-Industrie, Paris, SOCOTEL, 1987, 183 p. Henri Docquiert est l'ancien directeur de cette société.

Les industriels étaient préoccupés avant tout par le marché français et donc par les contrats des années à venir, qui portaient sur des équipements uniquement électromécaniques (système Crossbar). Leurs ambitions et celles du CNET qui voulait mettre en œuvre une politique à long terme s'accordaient mal. Le projet refusé par SOCOTEL fut dès lors entièrement assumé par RME et, selon P. Lucas, « entra dans la clandestinité ». Rebaptisé SOCRATE, il devint la première réalisation de commutation électronique opérationnelle en France. Il représentait un progrès essentiel dans le domaine de la commutation spatiale. Tout en poursuivant le développement de ces centraux « spatiaux », les ingénieurs du CNET, mis en confiance et forts de leur expérience, purent envisager le développement d'un système complètement électronique dit « temporel ». Si de nombreux contrats d'études furent passés avec les industriels, l'essentiel du travail de recherche sur le temporel fut réalisé au sein des laboratoires du CNET (8).

Le premier prototype de central temporel relié au réseau, PLATON, fut installé à Perros-Guirec le 26 janvier 1970. C'était une première mondiale. Pierre Marzin aimait raconter que les remarques du boucher de la commune sur la qualité des communications l'informaient sur l'avancement de mise au point du central avant même que les rapports de ses ingénieurs n'arrivent sur son bureau. Cette boutade souligne bien l'extrême importance des essais en exploitation réelle pour tout système de commutation, leur caractère parfois décourageant tant de problèmes difficiles à soupçonner en laboratoire pouvant apparaître. PLATON montra la faisabilité technologique de la commutation temporelle ; il restait à en réaliser l'industrialisation.

8 .Les problèmes généraux liés au financement de la recherche par les commandes publiques sont abordés par Christian Dilleman, « Les commandes publiques, stratégies et politiques, » Notes et études documentaires , novembre 1977, 120 p.

Une politique industrielle conquérante

Le CNET orienta la CIT, Compagnie industrielle des téléphones, filiale de la CGE, vers la technologie la plus en pointe, le temporel, quitte à réaliser pour elle l'essentiel de l'effort de recherche. Il semble que la filiale de la CGE, malgré l'intérêt porté au projet par Ambroise Roux, accueillît la proposition avec peu d'enthousiasme. Les conditions « très favorables » proposées par le CNET forcèrent pourtant ces quelques réticences. Pour mener à bien ce projet, le problème du transfert de technologie était posé. Transmettre des plans, des instructions à CIT aurait été totalement inefficace car la structure d'accueil n'était pas suffisamment solide pour en tirer parti. Une filiale de CIT, la SLE (Société lanionnaise d'électronique) fut donc chargée d'assumer la responsabilité de cette industrialisation. Certains ingénieurs ayant développé le système au sein du CNET « désertèrent » celui-ci pour rejoindre la SLE... avec la bénédiction de leurs supérieurs. Travaillant d'abord de manière très marginale au sein de la CIT, la SLE réussit progressivement l'intégration du programme temporel au sein de l'entreprise. La démarche suivie lors de cette étape cruciale du développement du temporel fut donc très pragmatique. Structure légère, la SLE était parfaitement adaptée à son objectif. Elle joua parfaitement son rôle d'interface entre le CNET et la CIT. Le développement des études donna, sans modification fondamentale, le central E10 (9).

9. Outre son réseau de connexion temporel, le central E10 possédait deux caractéristiques d'avant-garde : les fonctions de commutation étaient réparties entre plusieurs processeurs spécialisés et les fonctions de gestion ne concernant pas directement l'écoulement du trafic étaient exécutées par un calculateur commun à plusieurs unités de commutation.

Loin de constituer des « logiques » successives, la politique de recherche et la politique industrielle étaient donc bien présentes conjointement dans les orientations prises par P. Marzin dès la fin des années 1950 (10) . En confiant à une entreprise française l'innovation technologique radicale que constituait le temporel, le CNET avait forgé une arme destinée à écarter les filiales d'ITT — celle-ci n'ayant pas suivi l'évolution technologique du temporel — au moment des choix d'équipements. C'était une option risquée, car elle engageait la principale entreprise française dans une voie difficile. Elle était cependant la seule possibilité d'échapper à l'influence prépondérante des capitaux étrangers dans la commutation française et laissait entrevoir de véritables possibilités de développement pour les exportations. Dès 1972, la baisse constante du prix des composants électroniques et la progression rapide des études permettaient au CNET d'être optimiste : « La commutation temporelle arrive plus tôt que ne l'avaient prévu la plupart des techniciens. Sans doute faut-il s'en féliciter, car ainsi pourrons-nous hâter la transformation du réseau en un réseau universel permettant d'acheminer indifféremment de la parole et des données » (11).

Le CNET n'entendait pas pour autant donner un monopole à la filiale de CGE. Dès 1973, l'appel à un autre fournisseur était prévu : « II est proposé d'engager un second constructeur dans la production et l'installation de centraux E10 à partir du programme 1975 », pouvait-on lire dans un rapport. Ce texte poursuivait — et ces quelques mots contiennent l'aboutissement d'une démarche de plusieurs années : « Le choix est à faire entre les sociétés du groupe ITT (LMT, CGCT), STE, SAT et AOIP. Les premières sont à écarter car elles ont choisi de s'attaquer à un créneau différent du marché avec le modèle Eli » (12).

10. Dans une table ronde consacrée à l'histoire du CNET en 1983, A. Bertho envisageait l'histoire du Centre comme la succession de trois « logiques », une logique d'exploitation (1953-1958) précédant une logique de recherche (1958-1968) débouchant finalement sur une logique de développement (1968- 1974). Cette perspective nous semble masquer la véritable démarche de Pierre Marzin qui mit, dès la fin des années 1950, la recherche au service d'un grand projet de restructuration industrielle.
11. C. Abraham, « Situation de la commutation électronique en France et dans le monde », rapport pour le département Commutation électronique et automatismes du CNET, 16 mai 1972.
12. Note du CNET à l'attention de Monsieur le ministre des PTT, 6 novembre 1973. La note évoquait ensuite l'AOIP comme susceptible d'assurer une partie de la fabrication prévue. La place de cette entreprise, qui est une coopérative ouvrière, est bien particulière dans les projets de l'administration. Très sévère à son égard, Jacques Darmon estime : « Son inaptitude à suivre l'évolution rapide de la technologie, son incapacité à attaquer les marchés étrangers, ses coûts de production trop élevés ont rapidement mis l'entreprise hors d'état de soutenir une concurrence ouverte », Jacques Darmon, Le grand dérangement, Paris, J.-C. Lattes, 1985, p. 171.

La logique technique devait donc réduire tout « naturellement » la place de LMT et de la GCGT, leur participation à l'équipement du pays passant obligatoirement par une licence sur le matériel temporel. Forte de cette avance technologique, la CIT devait donc se trouver en position de force sur les marchés étrangers. Son matériel, accepté par une administration importante, disposerait d'une crédibilité considérable, ses coûts de production ne seraient pas alourdis par le versement de royalties à une entreprise étrangère. Pour la première fois depuis son arrivée sur le marché français, ITT allait donc se trouver en état d'infériorité technologique face à une entreprise française. La modernisation, en fait le véritable développement tant attendu du réseau téléphonique français pourrait s'appuyer sur une technologie nationale.

Mettre fin au sous-développement téléphonique du pays

II restait à concrétiser ces projets, car, tandis que le CNET réalisait cet effort considérable de recherche, l'équipement du pays en téléphone suivait toujours son rythme d'escargot. Ce fut en fait lors de la présidence de Georges Pompidou que les décisions furent enfin prises pour combler un retard de plus en plus ridicule et pénalisant pour un pays industrialisé. Le rôle de Yves Guéna, ministre des PTT, fut important pour débloquer certaines pesanteurs, la nomination du directeur du CNET, Pierre Marzin, à la tête de l'administration des télécommunications montrant à tous que l'avenir devait être fondé sur une technologie française.

Le premier problème à résoudre était celui du financement du programme d'équipement. Pour cela, l'emprunt fut retenu comme la meilleure solution et des sociétés de financement furent créées pour mobiliser l'épargne vers le téléphone. La décision fut prise à la fin de l'année 1969 par la loi autorisant la création des sociétés de financement des télécommunications. L'agrément conjoint des PTT et du ministère des Finances intervint le 24 décembre 1969. Joyeux Noël pour le téléphone puisque cette organisation, bien que son efficacité fut parfois contestée, constitua la base de tout son développement futur ] (13)
Quatre sociétés furent créées : FINEXTEL en février 1970, CODETEL en janvier 1971, AGRITEL en juin 1972, CREDITEL en octobre 1972.

Pour permettre à l'administration d'être mieux à même d'assumer le développement du téléphone, des réformes de structures furent également réalisées. La création en 1968 de la Direction générale des télécommunications (DGT), la suppression en 1971 du Secrétariat général aux PTT amorçaient l'émancipation des télécommunications, leur plus grande indépendance par rapport aux Postes, dans une administration dont l'unité était cependant préservée. Ainsi, pour la première fois en 1970, le budget des Postes et celui des Télécommunications furent présentés séparément.

Une importante réflexion sur le rôle et l'organisation de l'administration fut également menée. En février 1974, la commission de contrôle parlementaire sur le téléphone rendait un rapport dont les conclusions ne pouvaient qu'entraîner une profonde réforme de l'organisation des télécommunications françaises. « L'activité du ministère des PTT a incontestablement un caractère industriel et commercial... Il faudrait envisager de le scinder en deux administrations distinctes, postes et services financiers d'une part, télécommunications d'autre part. Pour ces dernières un établissement public des télécommunications serait créé », estimaient les députés. Loin d'être destiné à un oubli rapide, ce projet avait reçu un accueil tout à fait positif à l'Elysée : Bernard Esambert, conseiller de Georges Pompidou, avait convaincu le Président et ce dernier était favorable à la réalisation de cette réforme. Bien entendu, des difficultés pouvaient être attendues de la part des syndicats, certaines grèves l'avaient démontré, et il est certain que la mise en place d'un tel changement aurait été délicate (14). Il reste que la volonté politique était affirmée et que ces propos ont un air très familier pour qui suit les débats sur les télécommunications en 1989 ! Au début de l'année 1974 tout semblait donc être en place pour que le plan mis en œuvre par. le CNET puisse enfin aboutir. Des structures de financement étaient en place, une entreprise française disposait d'une avance technologique de plusieurs années sur ITT, une administration des télécommunications plus autonome laissait entrevoir des structures plus souples pour gérer le développement du téléphone.

13. Voir C.-H. Cotten, «Recours au marché Revue française des télécommunications, numéro 1.
14. Voir à ce propos E. Quéré, La crise du téléphone : ses causes, les solutions, Paris, Fédération CGT des Postes et télécommunications, mars 1976.

La révolution d'octobre
Nous reprennons ici l'expression la plus couramment utilisée à propos de cette période par le personnel du CNET.

Le décès de Georges Pompidou et les élections présidentielles de 1974, en bouleversant les données politiques, entraînèrent une remise en cause complète de ces projets. Le Conseil des ministres du 16 octobre 1974 annonçait la nomination d'un nouveau directeur général des Télécommunications. Gérard Théry remplaçait Louis-Joseph Libois, le « père » de la commutation électronique française. La nouvelle équipe bouleversa la stratégie mise en place. L'attitude des ingénieurs du Centre lors des années précédentés fut très critiquée. Il leur fut reproché d'avoir été juges et parties dans les contrats d'études passés avec les industriels mais surtout, plus fondamentalement, le CNET fut accusé d'avoir outrepassé ses attributions et d'avoir déterminé par ses options technologiques la politique industrielle de la DGT.

La nouvelle génération de décideurs, arrivée au pouvoir grâce à l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, abordait les problèmes de manière totalement différente. Son expérience n'était pas celle de l'Occupation. Elle retenait essentiellement des années 1960 et du début des années 1970 la vision d'une industrie française peu dynamique, surprotégée par une administration excessivement tolérante vis-à-vis des retards et des surcoûts trop souvent observés. A la philosophie économique de Georges Pompidou, encore très interventionniste dans son désir de créer une industrie française capable de lutter à l'échelle internationale, succédait une philosophie plus libérale, du moins dans ses discours. Enjeu industriel essentiel, les télécommunications furent pronfondément touchées par ce changement de cap lié certes à des considérations économiques mais dont les motivations politiques de la nouvelle équipe au pouvoir n'étaient pas absentes. La structure de l'administration fut considérablement modifiée, le rôle et la place du CNET transformés. Le Centre ne dépendait plus directement de la DGT mais d'une nouvelle structure, la Direction des affaires industrielles et internationales (DAII). Celle- ci prenait en main la définition des objectifs industriels, le CNET étant limité à la recherche fondamentale et appliquée. Les ingénieurs du CNET devaient chercher et non décider... La nomination à la tête de la DAII de Jean-Pierre Souviron, ingénieur en chef des Mines, semblait bien montrer que l'heure de la « mise au pas » avait sonné pour le CNET.

De plus, l'un des principes qui avait structuré le CNET à sa création, la liaison entre recherche et contrôle du matériel, fut abandonné. « En politisant le problème des choix industriels et en modifiant le régime de contrôle des prix, l'administration a donc enlevé au CNET une fonction qu'il remplissait bien par le passé (15)». En l'espace de quelques semaines, « l'ensemble de l'organisation qui permettait au CNET de maîtriser le processus d'innovation se trouve remis en cause. Et cela est grave lorsque l'on sait le temps qu'il a fallu pour former des équipes de recherche de haut niveau, c'est-à-dire capables de dominer le processus d'innovation » (16).

Toute la logique qui soutenait le développement du téléphone en France était donc bouleversée. Les orientations destinées à développer une industrie nationale par la dynamique de la recherche étaient abandonnées.

15. Alain Le Diberder, La production des réseaux de télécommunications, Paris, Economica, 1983.
16. M. Nouvion, U automatisation des télécommunications , Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1982, p. 303. Cette rupture entre contrôle technique et recherche n'a rien d'anecdotique, elle ne correspond pas à une lutte entre services pour quelques prérogatives. Elle peut entraîner une efficacité diminuée pour les chercheurs, qui perdent le contact avec les équipes de l'industrie. Quant aux contrôleurs, il leur est plus difficile de se maintenir par la recherche au niveau des équipes qu'ils sont amenés à superviser. M. Nouvion peut à ce propos émettre l'hypothèse selon laquelle « ces décisions prises trahissent une méconnaissance assez profonde des processus par lesquels sont introduits l'innovation... ».

Un choix technologique discuté et une organisation industrielle hésitante

Le principal argument justifiant le démantellement du projet industriel du CNET — qualifié de « politique de l'Arsenal » — s'appuyait sur le désir d'obtenir, grâce à la mise en place d'un marché concurrentiel, l'équipement téléphonique du pays à un prix moins élevé. Une consultation fut organisée pour cela en 1975. L'application de stricts critères de rentabilité fit préférer le spatial au temporel, ce dernier étant jugé encore trop cher et peu fiable. Plusieurs systèmes furent mis en compétition mais aucun n'était contrôlé par des brevets français. La CIT, orientée depuis des années vers le temporel, ne disposait d'aucun projet sérieux en ce domaine. Elle dut s'associer en catastrophe avec le japonais NEC pour proposer du spatial. En fait, les entreprises les mieux placées dans cette compétition étaient les filiales d'ITT, grâce au système de commutation spatial (Metaconta qui deviendra le 11F finalement adopté) mis au point avec l'aide des ingénieurs du CNET au sein de SOCOTEL... La voie de garage se transformait en allée royale. Le choix du spatial prenait à contre-pied la CIT et plaçait ITT en position de supériorité technologique. Un comble après vingt ans d'efforts destinés à écarter grâce au rapport de force technologique la multinationale du marché français ! Les conséquences d'un tel choix apparurent très vite. Il condamnait l'industrie française de la commutation à de nouvelles décennies de dépendance vis-à-vis des Américains. Malgré leur « libéralisme », les nouveaux responsables ne pouvaient assumer une telle responsabilité devant l'opinion et les parlementaires. Une nouvelle tactique devait cependant être définie puisque l'outil technique élaboré depuis des années avait été écarté. La politique de secours fut longue à se dessiner ; pendant plusieurs mois, la politique industrielle des PTT navigua, c'est le moins que l'on puisse dire, « dans le flou le plus complet» (17). Aucun choix clair ne semblait pouvoir être pris : « Les dirigeants des sociétés s'interrogent sur les alliances souhaitées par le ministère de l'Industrie et de la recherche tandis que les pouvoirs publics, Elysées et PTT, paraissent eux-mêmes attendre que les industriels leur proposent des accords », pouvait-on lire dans la presse (18). Ce fut en mai que le plan fut finalement arrêté et exécuté. Le gouvernement opta pour la plus dirigiste des politiques en imposant aux partenaires industriels l'entrée de Thomson sur le marché du phone, ce groupe achetant une filiale d'ITT et la filiale d'Ericson en France. Thomson bénéficia d'un appui total du gouvernement pour se tailler rapidement une place en ce domaine qu'elle avait abandonné au terme d'un accord signé avec ITT... en 1927 (19). Présentée comme le moyen de diminuer l'importance d'ITT en France, l'arrivée de Thomson était aussi un épisode des luttes entre industriels français et impliquait pour CIT un recul certain. Elle marquait la rupture des accords Thomson-CGE de 1969, le « Yalta de l'électronique française » qui réservait à CGE le domaine du téléphone. L'arrivée brutale de Thomson dans le téléphone public suscita de nombreuses interrogations à une époque où l'ancien conseiller du président Pompidou, Ambroise Roux, connaissait, à travers le groupe qu'il dirigeait, la CGE, de nombreux revers. L'hebdomadaire Le Point évoquait même des explications échappant à la simple logique industrielle et technique : « Dans ses principales activités, la CGE vient de perdre tantôt ses espérances, tantôt son leadership. Echec industriel ou cabale politique ?... Dans ce pays où tout commence et tout finit par des airs politiques, il en est que l'on chante sur plus d'un registre, le gouvernement, V.G.E. en tête, entend casser les reins à celui qui fut l'ami de Georges Pompidou » (20). Les négociations furent difficiles, ITT n'accepta de vendre sa filiale LMT qu'en étant assurée qu'une partie du marché français lui serait réservée. La « reddition d'ITT » proclamée par la presse prenait en fait pour de nombreux observateurs l'allure d'une victoire :
— ITT conservait la maîtrise des brevets clefs sur les centraux spatiaux.
— Les « royalties » que Thomson devrait verser à ITT lorsqu'elle voudrait exporter rendrait son matériel fatalement plus coûteux que celui, presque identique, vendu directement par ITT.
— La part de marché français réservée à ITT allait garnir les carnets de commande de sa filiale française et lui permettait d'envisager, forte de la référence apportée par une telle commande, de s'attaquer à d'autres marchés étrangers, notamment les pays arabes.
— Enfin, LMT fut vendu au prix fort, 160 millions de dollars. Quatre ans plus tard, l'action LMT était cotée à 50 % de ce prix d'achat !

17. G. Pasturel dans L'Usine nouvelle du 29 janvier 1976.
18 . Henry d'Armagnac dans Le Nouveau Journal du 3 février 1976 reflète parfaitement l'impression de totale indécision, non seulement sur les buts, mais également sur les responsabilités à prendre pour la réorganisation de l'industrie des télécommunications.
19. Thomson était entré dans l'industrie téléphonique en 1904 par l'acquisition des établissements Postel-Vinay. Après un accord avec ITT en 1925, où Thomson gardait la majorité de la Compagnie des téléphones, Thomson-Houston ITT reprend l'ensemble du capital en 1927.
20. Le Point, 17 mai 1976.

Le choix spatial fut présenté comme étant une position d'attente, permettant de laisser au temporel le temps de mûrir et de profiter d'une baisse sur le prix des composants. L'argument, apparemment logique, semblait écarter le problème des investissements à réaliser pour développer de front deux systèmes différents au sein de plusieurs groupes industriels. Une dernière tentative pour réaliser l'unité technique de la commutation française fut effectuée par les ingénieurs du CNET. Ils s'attachèrent à définir un modèle de central temporel unique, le El, pouvant être fabriqué par CIT et Thomson. Encore une fois les ingénieurs se mêlait de politique industrielle... Ce projet allait complètement à l'encontre des plans de la DAII bien que le choix d'un système unique permettait de maintenir la concurrence en répartissant les marchés entre plusieurs constructeurs (21).
Ce type de concurrence orchestrée par l'administration, la DAII n'en voulait pas. Elle désirait deux constructeurs totalement autonomes ayant chacun leur indépendance technologique. Ainsi, ce ne fut que lorsque Thomson fut capable de présenter sur le marché un central temporel compétitif, le MT 20, que de nouveau le cap fut mis vers le temporel dans un partage du marché entre Thomson et CIT. Cette nouvelle orientation intervenait à peine deux ans après la consultation de 1975 alors que les unités de production pour le spatial étaient à peine prêtes ! Le spatial, présenté a posteriori comme une solution transitoire « en attendant » le temporel, donna en fait à Thomson le temps nécessaire pour mettre en place sa propre technique en ce domaine... au prix d'investissements inutiles et d'une perte de temps extrêmement préjudiciable pour CIT par rapport à la concurrence étrangère. La politique menée depuis 1974 s'avérait catastrophique : comme l'écrivait J.-M. Quatrepoint, « les pouvoirs publics ont fait de la concurrence et de l'internationalisation leurs maîtres mots. Mais le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien ? Il est des moments, surtout dans les technologies de pointe, où il faut arrêter une politique et s'y tenir. La concurrence est une bonne chose si elle ne tourne pas à l'imbroglio » (22).

21. Lors de la définition du projet E10, le CNET dans une note au ministre avait bien précisé ce qu'il entendait par « système unique » : « Tous les exploitants, dans tous les pays du monde, ont une préférence pour le système unique. La définition de ce qu'ils entendent par là peut varier, cependant, système unique signifie au minimum, d'une part, un seul matériel, pour chaque application et, d'autre part, système construit par plusieurs fournisseurs, de manière à faire jouer la concurrence », note du CNET à l'attention de Monsieur le ministre des PTT, 6 novembre 1973.
22. Le Monde du 30 juillet 1976.

Des résultats décevants et le retour du champion national

La sanction économique de la nouvelle politique fut particulièrement lourde. A l'exportation, la France perdit beaucoup de temps, près de trois ans. S'il est vrai que l'introduction du temporel dans un réseau n'est pas toujours facile, l'avance technologique prise par la France fut comblée par ses principaux concurrents. Certes, de beaux succès furent enregistrés mais ils étaient sans commune mesure avec ceux que l'on pouvait espérer, compte tenu de l'avance du E10 (et de son évolution pour les grands centres urbains, le E12) sur les systèmes étrangers. Georges Pebereau avait évoqué ces risques en 1976 : « Si l'industrialisation du système El 2 prenait un retard d'un an à 18 mois sur le calendrier, cela en serait fait des espérances sur le plan mondial... Le matériel

El 2 doit être fabriqué tel qu'il est conçu actuellement» (23). Au niveau national, la concurrence ne s'instaura pas vraiment. Les prix payés par l'administration n'enregistrèrent aucune évolution favorable pour celle-ci. Certains purent même estimer que la séparation entre la recherche et le contrôle du matériel réalisée en 1975, en privant le CNET d'un atout essentiel, détériora la position de l'administration face à ses fournisseurs.

Le retrait de Thomson de l'industrie du téléphone à l'automne 1983 confirma qu'il n'y avait pas en France la place pour deux groupes en ce domaine. Malgré un très important effort de recherche et la qualité des résultats obtenus, Thomson fut obligé de disperser ses efforts et ne put réellement rentabiliser ceux-ci. D'énormes investissements furent ainsi perdus. « Au lieu de consacrer l'ensemble de ses moyens techniques et financiers au développement du système MT (temporel), Thomson les a dispersés sur cinq systèmes différents de commutation... Cette accumulation de développements simultanés ne pouvait conduire qu'à la catastrophe ... C'est par centaines de millions de francs qu'il faut mesurer l'effet de cette absence de priorité. (24) » L'abandon de Thomson, qui a cédé à CIT ses activités téléphoniques, a renvoyé de fait la structure de l'industrie des télécommunications à ce qu'elle devait être dans les projets mis au point avant 1974. Il est tentant d'expliquer ce revirement par le changement politique intervenu en 1981 et la nationalisation des deux grands groupes industriels Thomson-CSF et CGE. En fait, les nationalisations « n'ont joué dans la genèse de l'accord qu'un rôle marginal » (25). L'intérêt des deux groupes fut prépondérant. Alain Gomez pour Thomson et Georges Peberau pour CGE tirèrent simplement les conséquences des choix catastrophiques de 1975. Dans une situation financière plus que préoccupante, Thomson devait absolument se débarrasser d'activités déficitaires. CGE sut en profiter pour devenir le seul groupe industriel du téléphone en France par sa filiale portant désormais le nom d'Alcatel-Thomson. Analysant les raisons de cet accord, Georges Pebereau déclarait d'ailleurs : « Avant la crise on pouvait gérer des conglomérats, après il faudra se concentrer sur ses métiers » (26)

En lisant dans la presse de cette deuxième année de la première présidence de François Mitterrand, à propos du nouveau montage industriel : « C'est avec près de dix ans de retard ce que souhaitaient faire les hommes de Georges Pompidou », il est tentant de penser que, bien qu'éloignés par leurs camps politiques, les deux présidents se retrouvent, à travers le temps, dans leur volonté de mener une politique industrielle, garante de l'indépendance nationale (27).

Marcel Proust, consommateur pionnier, évoquait déjà le téléphone, cet appareil « où naîtrait si spontanément sur les lèvres de l'écouteuse un sourire d'autant plus vrai qu'il sait n'être pas vu » (28). Sa diffusion fut pourtant particulièrement difficile en France. Son histoire, intimement mêlée à celle de la culture française, rythmée par l'évolution des rapports entre l'administration, l'Etat et l'industrie privée, souligne les effets pervers du monopole d'Etat dans un domaine où, comme l'écrivait joliment J.-J. Chiquelin, « l'enchevêtrement des relations entre l'administration et le privé est d'une luxuriance toute amazonienne ». Le monopole n'est cependant qu'une donnée. Il ne détermine pas fatalement un climat inhibant pour l'industrie. L'exemple de la politique mise en œuvre par P. Marzin montre qu'une administration consciente des intérêts généraux du pays et de son industrie peut être capable de mettre en place un projet ambitieux et dynamique et de le mener à bien lorsqu'elle ne se contente pas de gérer des positions acquises et le pouvoir de services inamovibles. A l'heure où des choix décisifs se présentent pour l'avenir des télécommunications françaises, il semble bien que les idées toutes faites sur le sacro-saint service public ou la miraculeuse séparation de l'entreprise et de l'Etat doivent être laissées de côté. C'est sur un monopole, celui d'ATT, que la puissance des télécommunications américaines fut fondée et l'unanimité ne se réalise pas, loin de là, sur la pertinence de son démantèlement. De même les spéculations sur la déréglementation paraissent exagérer un phénomène dont les conséquences restent encore bien modestes. Les expériences passées et les nouvelles données apparues dans les années 1980 laissent supposer que la France devra adopter quelques principes simples pour se donner toutes les chances du succès. Définir clairement et durablement les responsabilités respectives du secteur privé et de l'administration, quelles que soient leurs parts respectives. Déterminer pour le long terme les choix politiques afin que ne pèsent plus sur les industries les risques de changement de cap intempestifs. Ces facteurs institutionnels ne doivent cependant pas éclipser les paramètres économiques et technologiques. Pour être en mesure de répondre aux défis que représentent les énormes besoins financiers de la recherche et l'internationalisation des marchés, les alliances avec les grands de l'industrie mondiale ne pourront être évitées. Cette dernière remarque se trouve d'ailleurs confortée par le rôle croissant joué par l'informatique dans les télécommunications. D'importantes restructurations industrielles en découleront fatalement, l'accord CGE- ITT l'a récemment démontré.

23. Georges Pebereau, déclaration à Y Agence nouvelle, 8 juillet 1976.
24. Jacques Darmon, op. cit., p. 94.
25 J.-M. Quatrepoint dans Le Monde du 9 septembre 1983.
26. Déclaration de G. Pebereau au Quotidien de Taris du 15 septembre 1983.
28. Le Matin du 9 septembre 1983.
27. M. Proust cité par P. Carré, « Proust, le téléphone et la modernité », Revue française des télécommunications, janvier 1988, p. 55-64.
Quel avenir pour les communications françaises?

Au-delà du domaine des télécommunications, l'histoire industrielle et technique de la France est éclairée par cette étude du téléphone. Les principes pouvant guider l'organisation de la recherche-développement apparaissent par exemple plus clairement. Pour que celle-ci se déroule dans de bonnes conditions, l'existence de la structure responsable, qu'elle soit privée ou d'Etat, doit être liée à la réussite du projet qu'elle entreprend. En créant spécialement RME pour la recherche en commutation électronique, Pierre Marzin avait posé les bases psychologiques de la réussite du projet. Cette capacité à rompre avec les situations acquises est rare en notre pays ! Au cœur de ces problèmes, le rôle décisif de l'innovation dans les rapports de force entre Etats et entre entreprises apparaît. Certes, le poids financier, les structures commerciales sont des éléments essentiels mais lorsque une innovation apporte un progrès réel ou des économies substantielles, elle peut entraîner d'importantes modifications dans les rapports de force au sein d'une branche industrielle. En ce qui concerne spécifiquement les télécommunications, l'innovation technologique nous semble bien ouvrir de courtes périodes durant lesquelles de nouvelles frontières se dessinent entre les groupes industriels. Cette période terminée, les rapports de force se stabilisent pour une période bien plus longue. Il reste que pour profiter pleinement de ce mécanisme, l'entreprise doit y être préparée par une politique de recherche ambitieuse et doit s'engager dans la phase d'industrialisation avec détermination, la vitesse d'introduction de l'innovation sur le marché étant cruciale.

Malgré les occasions perdues, le bilan de l'administration des Télécommunications et de l'industrie française est pourtant positif. Thomson-Alcatel, au sein du groupe CGE, est un candidat sérieux pour les compétitions internationales et a déjà remporté de beaux succès à l'exportation. La France est enfin dotée d'un téléphone moderne complété par de nombreux services dont le Minitel n'est pas le moindre. Recentré sur ses points forts, Thomson a remporté un succès prometteur en vendant son système RITA à l'armée américaine, faisant la preuve de son avance technologique dans les systèmes sophistiqués. L'administration des Télécommunications a su considérablement évoluer pour s'adapter à ses nouveaux objectifs. Une véritable « culture d'entreprise » propre à France-Télécoms, formée autant par les orientations générales que par la réflexion d'un personnel très qualifié sur sa mission, s'est forgée durant cette période (28) . Dotées d'un énorme potentiel scientifique et d'un savoir-faire au tout premier rang mondial, les télécommunications françaises, quels que soient leur organisation et statut futur, devront penser à l'échelle planétaire et se doter de structures où intérêt général, indépendance nationale et compétitivité ne seront pas incompatibles.

28. Sans adhérer aux explications freudiennes de L. Virol, nous pensons avec lui que durant cette période une véritable « identité » de l'administration des télécommunications s'est forgée. Son étude est certainement une clef pour comprendre l'évolution de ce secteur. La réflexion menée par les ingénieurs des télécommunications sur l'avenir de la DGT et du monopole forme, par exemple, un élément très important pour réfléchir aux solutions d'avenir. L. Virol, « L'administration face à l'évolution de la demande, des techniques et des mentalités », dans A. Giraud, J.-L. Missika, D. Wolton (dir.), Les réseaux pensants, Paris, Masson, 1978.

QUELQUES ÉLÉMENTS TECHNIQUES

Pour que deux correspondants puissent communiquer, leur voix doit être transportée tout au long de lignes téléphoniques. Les moyens utilisés pour cela, et tout particulièrement les cables, relèvent de la « transmission ». Il n'y a cependant pas que deux abonnés, le réseau en comprend des millions et il n'est pas question de relier directement chaque abonné à tous les autres abonnés par un fil. Il faut donc acheminer les communications sur des voies de tailles différentes, les orienter vers le bon destinataire. Le central de commutation est l'élément essentiel de cette distribution des messages, sorte de gare de triage du réseau téléphonique. L'autre grand domaine technique du téléphone est donc la « commutation ».

Le Crossbar fut après la seconde guerre mondiale le modèle de central de commutation le plus développé. Lorsque un abonné appelle son correspondant, la bonne destination est sélectionnée par des systèmes de barres se croisant (Crossbar) en fonction du numéro composé sur le combiné. A chaque numéro correspond une position différente.

L'électronique a donné aux techniques de commutation de nouvelles possibilités. Le central de commutation spatial n'est que partiellement électronique, il sélectionne toujours la bonne connection dans l'espace par le croisement de barres métalliques. Il est en fait un central Crossbar dont les performances sont améliorées grâce à des calculateurs électroniques.
Le central de commutation temporel est lui totalement électronique. Il sélectionne la bonne connection grâce à des systèmes électroniques commandés par des programmes informatiques. Il rompt totalement avec la technologie Crossbar, aucune pièce mécanique n'est en mouvement, la dimension de sélection n'est plus l'espace mais le temps, la gestion est totalement informatisée.

La commutation temporelle permet de mettre en place le Réseau numérique a intégration de service (RNIS) qui transmettra sur un réseau unique l'ensemble des informations, voix, images, données informatiques.

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