Afin d'avoir une vision globale de l'évolution de la technologie
et de l'infrastructure déployée pour développer la
téléphonie en France,
voici des articles qui synthétisent les aspects stratégiques
avant et avec l'arrivée de l'électronique.
1 - Aspect
stratégique du développement du réseau téléphonique
en France de 1879 à 1940.
2- Quelques chiffres
et événements, les techniques électro-mécaniques:
Déploiement du téléphone à Paris et sur
d'autres régions :
2 - Répartition
des abonnés sur PARIS et sa banlieue avant 1950
3 - Développement
dans le Calvados avant 1914
4 - Les
premiers développements du téléphone en Lorraine
avant 1914
5 - Le téléphone
et les transactions internationales avant
1932
6 - L'évolution
du téléphone après les années 1950
: l'électronique le numérique
sommaire
Stratégie politique des télécommunications
jusqu'à la première guerre mondiale
Le capitalisme, moteur de louverture
des télécommunications :
De la même manière, après
la défense darrière-garde de Gasparin dansles
années 1830, lÉtat va apprendre à coexister
avec le secteur privé dans lechamp des télécommunications,
malgré la longue survivance du monopole sur les infrastructures.
Dans les années 1840, le développement du télégraphe
électrique marque la jonction des communications avec la
« fée électricité » et démultiplie
le nombre de dépêches pouvant être envoyées.
Il est dabord intégré au monopole public. Mais
la demande commerciale de communications à distance est telle
que lÉtat consent bientôt, par la loi du 29 novembre
1850, à une première remise en cause du monopole dutilisation.
Alors que la France est en retard sur le Royaume-Uni ou la Prusse
dans le développement du réseau télégraphique,
Louis-Napoléon étendra par un décret-loi de
1851 le monopole dans la construction des lignes et réaffirmera
le monopole public dexploitation, tout en maintenant la possibilité
dy déroger sur autorisation gouvernementale.
La mode économique est alors à louverture des
industries de réseaux au secteur privé. On y consent
dabord timidement en matière de télécom-munications.
Si les infrastructures demeurent propriété de lÉtat,
des autorisations dusage seront notamment accordées
aux compagnies de cheminde fer pour assurer la sécurité
ferroviaire, ou à des entreprises proposant la transmission
de dépêches internationales, alors que les câbles
sous-marin sfont leur apparition et engagent linternationalisation
des télécommunications. Craignant que les lignes électriques
soient exposées au vandalisme cette peur justifiera pendant
plusieurs années de différer le passage du télégraphe
optique au télégraphe électrique, le pouvoir
prend également soin de réprimer toute forme de sabotage
des lignes.
Louis-Napoléon lance aussi un plan dinvestissement
en vue du déploiement dun réseau national pour
le télégraphe électrique afin daccompagner
laugmentation du trafic,alors que le nombre de dépêches
transmises est multiplié par 50 en huit ans seulement (près
des trois quarts du trafic sont liés aux activités
boursières oucommerciales).
Le réseau national sera achevé en 1870. La France
possède alors plus 2 800 bureaux publics. Bien évidemment,
les formalités qui entourent la transmission des dépêches
doivent garantir à lÉtat la possibilité
dexercer une surveillance étroite des communications.
À cette fin, le télégraphe ne doit servir quauxcorrespondances
privées. Une circulaire de 1854 signée par le garde
dessceaux dispose en outre que les « directeurs du télégraphe
doivent adresser au préfet une copie de toutes les dépêches
particulières qui nauront pas unintérêt
purement privé ».
En vertu de larticle 3 de la loi du 29 novembre1850, ils peuvent
également refuser de transmettre une dépêche
sil lestime contraire à lordre public ou
aux bonnes murs. Les correspondances télégraphiques
privées peuvent être suspendues totalement ou partiellement
sur décision du gouvernement. Sans surprise, lanonymat
est proscrit : lexpéditeur est aussi tenu de fournir
son nom et dattester de son adresse, bref de son identité.
Les « dépêches secrètes », inintelligibles,
sont autorisées à condition dêtre rédigées
en signes romains ou en chiffres arabes. Mêmes si elles sont
interdites avec certains pays en 1870, sont notamment concernés
des pays comme lAutriche, lEspagne ou la Perse
on suppose ces dépêches secrètes facilement
déchiffrables. Surtout, les bureaux gardent trace de toute
communication. Un directeur des transmissions télégraphiques
àVersailles louera ainsi la contribution du télégraphe
à lordre public : « la télégraphie
réalise pour la sécurité publique lidéal
de M. Vidocq, de terrible mémoire ».
Présenté pour la première fois en France en
1877 (un an après le dépôt du brevet de Alexander
Graham Bell aux États-Unis), le téléphone va
de nouveau déstabiliser le régime de monopole. Dans
un premier temps,les pouvoirs publics se désintéressent
de cette technologie. Peu sont ceux qui perçoivent alors
limportance de cette innovation technique.
Tout au plus ladministration envisage-t-elle son utilisation
militaire au niveau local, afin par exemple de transmettre à
loral des dépêches aux bureaux télégraphiques.
Dans les premières notices scientifiques consacrées
au téléphone, « le lecteur pouvait lire de nombreuses
pages sur les utilisations présentes et à venir du
téléphone par larmée et la marine en
liaison avecle télégraphe ».
Quant à son utilisation par la population, lÉtat
refuse de sengager. Le réseau télégraphique
qui a déjà coûté cher semble
répondre aux besoins, dautant que la guerre franco-allemande
de 1870 grève toujours les finances publiques.
Les autorités font donc le choix de laisser le secteur privé
prendre le risque des investissements dans les premiers réseaux
téléphoniques, tout en se tenant prête à
reprendre la main si jamais le téléphone en venait
à rogner les revenus du télégraphe. Trois sociétés
américaines arrivent alors sur le marché français
pour faire valoir leurs brevets sur le téléphone.
Sur le fondement des lois de 1837 et de 1851, lÉtat
leur accorde en 1879 des autorisations pour une durée de
cinq ans, assorties dune taxe de 15 % sur les profits réalisés
et dun cahier des charges prévoyant par exemple que
les travaux doivent être effectués par un ingénieur
dÉtat. Ces entreprises,plutôt que de se faire
concurrence, décident bientôt de fusionner pour former
la Société Générale des Téléphones
(SGT). Elles investissent Paris et lancent des travaux déquipements
à Lyon, Marseille ou Bordeaux, cest-à-dire de
grand centres urbains où elles espèrent tirer des
profits maximum dune clientèle daffaires, le
coût du service restant prohibitif.
Mais en 1882, le nouveau ministère des Postes et du Télégraphe,
qui défend son monopole sur les télécommunications
en arguant de la filiation naturelle entre le télégraphe
et le téléphone, se décide à demander
au Parlement les crédits nécessaires à la construction
dun réseau téléphonique public. Après
avoir construit les premiers commutateurs et des lignes longue-distance
(Paris-Lyon-Marseille et Paris-Bruxelles), lÉtat se
rembourse au-près des opérateurs locaux qui souhaitent
sy connecter. Les recettes sont toutefois trop faibles pour
servir à financer le développement dun vrai
réseau public, dautant que le Parlement refuse doctroyer
des fonds supplémentaires. Or, malgré le sous investissement
et des prix élevés pour les utilisateurs, le téléphone
commence sérieusement à menacer les revenus du télégraphe.
Aussi lÉtat décide-t-il de la reprise en main
de la SGT, nationalisée au forceps par la loi du 10 juillet
1889. Comme lécrit Véronique Leroux, après
les « atermoiements des premières années, lAdministration
avait la conviction que le téléphone était
une entreprise rentable ; rien ne sopposait donc plus à
lappropriation de son exploitation par lÉtat
».
Pour financer le développement du réseau public, lÉtat
sinspire alors un mécanisme de financement innovant,
proposé en 1888 par la municipalité de Limoges. Il
est fondé sur un mécanisme davance de fonds
par les villes et les chambres du commerce locales.
Linvestissement initial est progressivement remboursé
grâce aux premiers utilisateurs du réseau ainsi construit
(le remboursement des avances devait seffectuer en deux ans
seulement en moyenne).
Une fois remboursés, ces réseaux locaux seraient ensuite
intégrés au monopole dÉtat. Ce système
original laissait linitiative aux acteurs locaux, et permettait
de répondre aux besoins négligés jusqualors
: après que la loi de 1889 ait autorisé les collectivités
locales à y recourir, le nombre de réseaux locaux
allait être multiplié par dix en cinq ans seulement.
Un développement rapide qui vient garnir le monopole étatique,
et qui conduit à étendre ce mécanisme innovant
à la construction de lignes longue-distance, elles aussi
laissées à linitiative locale. Pourtant, le
manque dinvestissement dans la maintenance des réseaux(à
la charge de lÉtat), couplé à lincompétence
technique des responsables des PTT, conduira à un retard
durable du réseau téléphonique français.
Au contraire des États-Unis où le téléphone
devient rapidement un moyen decommunication populaire (on compte
un téléphone pour 208 personnes en1895), il reste
en France réservé à la petite bourgeoisie et
à lélite économique (le ratio y est de
un pour 1 216 ; 44 % des terminaux sont situés à Paris).
Comme lobserve Chantal de Gournay dans une étude sur
les débuts du téléphone à Paris, «
durant la première décennie du téléphone,
lutilisation commerciale ou professionnelle de cette invention
était presque exclusive de tout autre usage » et, «
près dun demi-siècle après son invention,
le téléphone demeurait encore un outil essentiellement
réservé aux professionnels ».
Le régime juridique des télécommunications
est destiné à porter le capitalisme et le développement
industriel du pays, et non pas la liberté dex-pression
et de communication. Du point de vue des autorités, toutefois,
on a pourvu à lessentiel : les milieux daffaires
ont accès à cette nouvelle technique de communication,
tandis que les recettes de lÉtat et sa maîtrise
du réseau sont assurées.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, le débat
sur la privatisation du téléphone sera relancé
par les libéraux et le patronat, mais le monopole est alors
reconduit.
Il faudra attendre les années 1970 pour que lÉtat
cherche à démocratiser le téléphone,
et les politiques néo-libérales des années
1980 pour que soit finalement engagée la privatisation des
réseaux de télécommunications.
Félix Tréguer
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sommaire
1-
Le développement du réseau téléphonique dans
lespace français 1879 -1940 (Henry Bakis 1982 )
De 1879 à 1940, les réseaux téléphoniques
vont équiper lespace français.
Léclairage donné ici à
lhistoire du téléphone sera particulier : il sagira
dinsister chaque fois que nécessaire, sur les relations du
réseau avec lespace national. Or, ce dernier se subdivise
schématiquement en trois types despaces (ceux de Paris, des
grandes villes et des campagnes) qui vont justement donner lieu à
des enjeux techniques et industriels différenciés dans le
domaine de la commutation.
A une autre échelle, celle de lensemble du pays, se pose
la question des liaisons interurbaines et des techniques de transmission.
Nous nous ferons lécho, dans notre seconde
partie, des enjeux technico-industriels à luvre pour
Paris, les villes de province et les campagnes. Mais auparavant, retraçons
les grandes étapes du développement du réseau.
Grandes étapes du développement du réseau téléphonique
1879-1899 : monopole et concessions
Peu de temps après son invention, le téléphone
fit son apparition en France.
Le 16 juin 1879, le ministre des Postes et Télégraphes prit
un arrêté octroyant la concession des réseaux téléphoniques
à lindustrie privée ; le monopole cependant restait
entier au bénéfice de lEtat.
Lindustrie française des télécommunications
était donc, à sa naissance, dotée de deux caractéristiques
qui vont marquer son histoire : la tutelle de lAdministration des
postes et télégraphes dune part, linfluence
des sociétés américaines dautre part.
Les premières années sont marquées
par la création du réseau de Paris en 1879.
La Société Générale des Téléphones
crée des réseaux dans les grandes villes de province, Bordeaux,
Marseille, Nantes, Le Havre, Lyon, Saint-Etienne, Angoulême...
A la fin de lannée 1888, on compte
moins de 11 000 abonnés en France : la Société Générale
des Téléphones comptait 6 100 abonnés à Paris
et 2 400 en province ; lAdministration comptait pour sa part 2 350
abonnés en province.
1889-1913 : nationalisation et difficultés
LAdministration remet progressivement
en cause les concessions ; elle espérait compenser par les recettes
téléphoniques, la baisse des recettes télégraphiques
qui samorçait.
Elle avait pu directement mesurer, par son expérience dexploitation
télépho¬ nique, que le téléphone était
un investissement financièrement productif.
Mais à lintérêt financier
sajoutait deux préoccupations dordre politique :
le téléphone apparaissait comme un instrument stratégique
de contrôle de la communication sociale ;
Le développement du réseau téléphonique
il était exigé par certaines
villes, et apparaissait comme devant relever du secteur public.
Mireille Nouvion souligne les revendications des
notables des différentes régions :
«Les Chambres de Commerce, les Conseils Généraux
votaient des motions virulentes contre la Société Générale
des Téléphones. Les villes secondaires nadmettaient
pas que le téléphone fût constitué en privilège
au profit de Paris et des grosses agglomérations urbaines. La Société
des Téléphones, en effet, dont lavenir était
borné à cinq ans, et qui devait annuellement à lEtat
10 % de ses recettes, équipait en priorité les centres de
plus grande rentabilité. »
Le souci de service public fut donc un argument important
pour la nationalisation des réseaux : reprenant le téléphone,
lEtat pourrait réaliser promptement un système de
téléphonie régionale ; il pourrait pratiquer des
tarifs inférieurs à ceux de lindustrie privée
; enfin, il aurait du réseau une vision densemble qui éviterait
les incohérences inévitables liées à la diversité
des interventions.
Les députés de lAssemblée Nationale
votèrent donc, en septembre 1889 la reprise du téléphone
par lEtat français (à raison de 435 voix contre 65)
et lexploitation du téléphone fut confiée au
ministère des Postes et Télégraphes.
Paradoxalement, un choix lourd de conséquences
fut fait alors :
«la constitution du réseau en petites
unités réparties (dans les bureaux de postes et reliées
entre elles par des artères de transmission de très faible
capacité. » (M. Corrèze, 1974).
Ainsi, la nationalisation du téléphone na
pas conduit à la constitution dun réseau conçu
à léchelle de la France.
Au contraire, lorganisation téléphonique a été
calquée sur la structure postale, qui, elle-même, suit le
découpage administratif du pays.
«Cest le département en tant
que division administrative qui a servi de schéma pour la construction
des lignes : tout converge vers le chef-lieu du département, comme
dans le pays tout converge vers Paris. » (P. Robert, 1920) .
Ce choix allait fournir à linnovation un
cadre très contraignant : le nombre de centraux nécessaires
a été huit fois plus important en France que dans les autres
pays européens et vingt fois plus grand quaux Etats-Unis
(«toutes choses égales par ailleurs » : M. Corrèze)
.
La faiblesse des relations transversales du réseau
français a frappé les députés se penchant
sur la question du téléphone au début du siècle.
Il faudra patienter jusquà lautomatisation pour
que les délais dattente natteignent plus une à
trois heures dans les relations entre départements, trois à
quatre heures dans les relations à grande distance.
La faiblesse des relations transversales tient prohablement
au fait que lEtat était bien propriétaire du réseau,
mais nétait pas pour autant en mesure de financer ce développement,
et la responsabilité en est revenue aux collectivités locales
(loi du 20 mai 1890) ; par voie de conséquence, lEtat nétait
pas maître de la configuration de ce réseau, configuration
qui ne reflétait pas la géographie économique de
la France de cette époque.
Faut-il penser, avec P. Carré, que le téléphone apparaissait
comme un objet de luxe ? Or, le luxe, par définition, nest
pas indispensable.
La configuration du réseau téléphonique
français du début du XXe siècle apparaît comme
résultant de choix peu compréhensibles, à moins de
les analyser comme lexpression de restrictions imposées par
les notables aux communications, ce qui est la thèse dYves
Stourdzé, et, conjointement, car cette thèse mérite
dêtre modulée, comme la traduction en terme dinfrastructure,
des besoins en communication de la société de lépoque.
On sait en effet que les déplacements de région à
région nétaient pas aussi fréquents que de
nos jours. Le contexte est tout différent de celui dautres
pays comme les Etats-Unis où les migrations dune ville à
lautre, voire de lEst à lOuest, font partie de
la civilisation américaine.
De plus, en France, il ny a manifestement pas à
cette époque de demande populaire pour le téléphone,
et il ny en aura pas pendant fort longtemps. Plusieurs raisons sans
doute à cela. Dabord le téléphone apparaît
comme linstrument des notables, instrument économique et
politique. Lexposé des motifs du texte législatif
entend dailleurs explicitement quil convient de restreindre
lusage du téléphone : on peut y lire que cest
la plus sûre des garanties contre son utilisation improductive ou
inutile. Notons à ce propos que le «filtre des notables »
continue à exercer ses effets dans un grand nombre dEtats,
en Afrique Noire par exemple, où le téléphone nest
pas installé chez lagriculteur en brousse, mais chez le fonctionnaire
ou le commerçant. Dans un cas comme dans lautre la cherté
des tarifs joue évidemment un rôle explicatif important,
mais cest par la faible urbanisation de la France par rapport aux
autres pays que lon peut expliquer une telle situation.
De 1889 à 1892, les financements sont assurés
dabord par la Caisse des Dépôts et Consignations, puis
par un budget annexe.
Ce dernier mode de financement repoussé en 1892 pour des raisons
dorthodoxie budgétaire, lAdministration, ne pouvant
compter sur les seuls crédits budgétaires, doit se tourner
notamment vers des prêteurs bénévoles
pour le financement des réseaux urbains et interurbains.
Le système des avances eut cependant pour
inconvénient, outre daccorder une fois encore la priorité
aux corps intermédiaires mieux pourvus de ressources, de provoquer
une véritable prolifération de centraux : les organismes
prêteurs exigeant souvent en échange de leur avance, linstallation
dun central. De 1892 à 1923, le nombre dabonnés
par central décroît de façon aberrante.
1919-1939 : efforts déquipement et manque de moyens
budgétaires
Après les années de guerre, le développement
du réseau téléphonique se présentait dans
des termes différents pour les villes et les campagnes. Dans les
campagnes était en vigueur le système des avances remboursables
; léquipement était donc fonction de la demande effective.
Dans les villes, par contre, les investissements, plus lourds, devaient
être pris en charge par le budget ; léquipement était
donc tributaire des disponibilités budgétaires.
En 1923, il fallait attendre en moyenne de quatre à
cinq heures pour obtenir une communication interurbaine.
Létat de vétusté et dinsuffisance du
service suscita une nouvelle montée de protestations.
Le 30 juin 1923, fut adopté un budget annexe au
budget général pour lAdministration des P.T.T. avec
possibilité demprunts spéciaux. Ce budget restait
soumis aux règles générales régissant les
finances publiques. Un plan de redressement pour les télécommunications
(sur dix ans) fut également voté alors, dont les principales
dispositions étaient les suivantes :
normalisation des postes dabonnés,
réorganisation du réseau interurbain
avec installation de répéteurs,
automatisation de tous les réseaux
de plus de 1 000 abonnés,
introduction de petits autocommutateurs dans
les réseaux de moins de 1 000 abonnés.
Ces décisions rendirent possible une modernisation
du réseau.
Entre 1924 et 1934, le nombre dabonnements nouveaux sest élevé
à 45 000 alors quil était de 25 000 entre 1919 et
1923.
Mais cette évolution favorable devait être contrariée
par la politique de déflation du milieu des années 1930
: la nouvelle période de restrictions budgétaires devait
se prolonger au-delà de la seconde guerre mondiale.
Avant même louverture du central automatique
de Paris-Carnot, le 22 septembre 1928, de nombreuses villes de province
furent équipées en automatique. Ce fut le cas pour Dieppe
(système Ericsson) ; Vichy, Le Havre, Montpellier, Rennes, Bordeaux,
Lyon (système Strowger) ; Marseille et Nantes (système Rotary)
.
Ainsi, le téléphone automatique des villes françaises
ne connut pas de retard par rapport à létranger (Berlin
et Londres par exemple) . Il fallait le souligner, car cela atténue
la portée de la thèse sur le rôle prépondérant
des notables locaux, tous ces équipements de grands réseaux
en systèmes automatiques ne durent rien aux finances départementales
ou locales. Les dépenses en étaient prévues et réglées
sur le budget général de lEtat, car, de 1920 à
1933 environ, on espérait le versement des sommes exigées
des Allemands au titre des réparations de guerre, réparations
prévues par le Traité de Versailles (28 juin 1919) .
Ce nest donc quaprès 1933-1934 que
les remarques sur le rôle des notables recouvrent leur pertinence.
En effet, cest après ces années que, devant la carence
dun budget de lEtat (politique de déflation du gouvernement
Laval, diminution de 10 % du traitement des fonctionnaires) carence due
à la crise, que le budget des P.T.T. fut fortement réduit.
Afin de poursuivre léquipement téléphonique
du pays, il fut décidé de faire appel aux finances locales
pour assurer lextension du réseau téléphonique
dans les campagnes. Les avantages du téléphone rural, dit
«automatique rural » étaient certains, car il mettait
fin à linterruption du service la nuit et les dimanches.
Les raccordements téléphoniques se poursuivent donc dans
les réseaux ruraux. Il en allait différemment pour les réseaux
urbains.
Des enjeux techniques et industriels différents pour trois
types despaces : Paris, grandes villes, campagnes
- Paris : choix de l'I.T.T. pour la fourniture du central Carnot
Au 31 décembre 1918, Paris comptait 76 000
abonnés, desservis par 16 centraux. La vétusté du
réseau était patente : lincendie dun central
en 1908, les dégâts provoqués par les inondations
de 1910 avaient souligné et aggravé cet état défectueux.
En octobre 1925, les P.T.T. mirent au concours le
choix dun système de communication pour Paris. Le choix du
système devant équiper le central Carnot était aussi
important pour lAdministration que pour les industriels car il engageait
lavenir du réseau parisien pour lequel il était inconcevable
de choisir des systèmes différents. Cf. M. Deloraine : «A
quelques exceptions près, tous ceux qui étaient engagés
dans cette entreprise apprenaient leur métier...
Nous avons développé ailleurs les débuts
de lautomatisation du réseau téléphonique de
Paris, depuis la mise au concours (octobre 1925) jusquau choix du
système Rotary.
Les raisons de ce choix tenaient pour lessentiel à la valeur
technique du matériel disposant notamment dun «enregistreur-traducteur
» (Bakis, 1985) . Les prix proposés étaient meilleurs
que ceux inclus dans les propositions des concurrents : le système
pas à pas était 8 % plus cher que Rotary, et lEricsson
était de 11 % plus coûteux.
En second lieu, il était nécessaire de retenir une autre
raison importante, quoique ne figurant pas au contrat : I.T.T. sétait
engagée, pour mieux disposer lAdministration, à créer
un laboratoire international à Paris dans le cas où son
commutateur Rotary serait préféré à ceux proposés
par les concurrents. Telle fut, selon M. Deloraine, lorigine du
Laboratoire Central des Télécommunications (L.T.C.) .
Le central fut prêt pour le jour convenu du
mois de septembre 1928 (Au fur et à mesure que le délai
de livraison approchait, on se rendait plus clairement compte quil
serait difficile de le respecter ; en décembre 1927, les heures
de travail furent portées à soixante par semaine), ce
qui semble bien avoir tenu du miracle. Mais la réputation de L.M.T.
doit beaucoup à cette performance du central Carnot, dautant
que trente-six ans après son inauguration, il fonctionnait toujours
; sa durée de fonctionnement prévue était pourtant
de seulement vingt-cinq ans.
Pour les grandes villes de province : choix du système R6
Pour équiper les villes de province,
le système automatique R6 fut retenu par une commission qui se
livra à des études comparatives techniques et économiques
entre tous les systèmes (Strowger, Siemens, Rotary, Ericsson à
500 points, R6) .
Des membres de la Commission se rendirent dans des centraux déjà
équipés avec lun des systèmes cités,
afin dexaminer les installations.
Le R6, dont les premiers centraux dessais avaient assuré
la commutation à Troyes, Nîmes, Epinal, donnait entière
satisfaction .
Un équipement dabonné dans un central R6 dimportance
moyenne revenait en 1930 à un prix inférieur à tous
ceux des autres systèmes (également à Saint-Quentin
et Roanne. Il sagissait dun central R6 destiné aux
villes «moyennes » à autocommutateur unique, disposant
dun numérotage à quatre chiffres. Le central R6 dun
modèle à plus grande capacité (pour grands réseaux
à cinq chiffres) ne fut mis au point quen 1933, et équipa
le réseau Lille -Roubaix -Tourcoing.)
Une concurrence acharnée et étendue
a donc eu pour conséquence le choix du système présentant
le maximum davantages tant sur le plan technique que sur le plan
économique : le R6. De plus, comme précédemment en
ce qui concerne le système Rotary, le constructeur abandonna à
lAdministration tous les droits de fabrication et dusage et
sans aucune redevance. Il en résulta que dautres constructeurs,
tels la CIT, la société Ericsson, la coopérative
ouvrière AOIP, purent augmenter la production et accélérer
linstallation de centraux automatiques en province, et même
provoquer une certaine concurrence par le jeu de rabais sur les «prix
de base » initiaux, conformément aux directives de la Commission
des Marchés, devant laquelle les décisions importantes devaient
toujours être présentées.
Mais la portée des décisions de lAdministration des
télécommunications à propos du R6, fut considérablement
limitée par les réductions de crédits intervenues
à partir de 1934.
A propos de choix du R6 par lAdministration, Y.
Stourdzé a avancé une thèse intéressante :
celle de la stratégie de la multinationale I.T.T., mettant volontairement
en concurrence deux filiales (L.M.T. et Compagnie des Téléphones
Thomson Houston) afin de permettre à lAdministration de satisfaire
son désir de ne pas dépendre dun monopole ; mais,
ce faisant, cette dernière naurait choisi quune «stratégie
de pseudo-balance entre deux filiales dune même
firme multinationale... ».
Lauteur fonde sa thèse sur plusieurs
faits. Dabord, la spécificité des technologies (différences
entre Rotary et R6) nest pas la cause de la persistance au sein
de lI.T.T. de deux filiales indépendantes et concurrentes
sur le même marché de léquipement téléphonique
de la France : en effet, il est vrai que les études conduisant
à la mise au point du système R6 furent menées en
1929-1930, soit après le rachat de la Compagnie des Téléphones
Thomson-Houston par 1T.T.T. en avril 1927. Ce qui implique que la différence
dans les technologies proposées ne correspondait nullement à
un «héritage » quaurait fait lI.T.T. en
acquérant une nouvelle filiale, mais, au contraire, que cette différence
résultait dune stratégie de la part de la firme multinationale
; stratégie qui semble dautant plus plausible que la nouvelle
filiale (Thomson) limita sa concurrence au marché français
: «pseudo-rivalités, parce que les différences, ici,
naffectent pas le conglomérat dans sa politique générale...
Lopposition interne ne déborde pas sur des enjeux fondamentaux
» : lexportation. Second fait : dans les années cinquante,
les deux filiales se mirent à fabriquer des autocommutateurs téléphoniques
de même technologie (la technologie Crossbar) , ce qui ne les empêcha
nullement de survivre toutes deux. Ainsi, «la
Bell dAnvers marqua un point en sortant la première.
Le développement du réseau téléphonique
Un système utilisant
les «relais-reed » mis au point par les Bell Laboratories,
la C.G.C.T. marquant le pas puis reprenant lavantage par linvention
dune technologie originale dite des «mini-crossbar ».
Lhypothèse que formule lauteur
est donc que le fournisseur dominant doit se garder dapparaître
monopoliste, donc dangereux : il doit au contraire faire montre dune
structure à opposition interne «qui
permettra à lAdministration dimaginer quelle
nest pas face à une entité unique, mais à des
unités différentielles quelle peut soutenir simultanément
ou successivement » pensant «créer chez le(s) fournisseur(s)
un équilibre des factions. Politique sefforçant de
reproduire, au fond, chez le fournisseur, léquilibre inter-administratif
lui-même... ».
Laissons à lauteur cette interprétation
qui, pour être intéressante et probablement juste en ce qui
concerne la stratégie de la multinationale I.T.T. jouant sur plusieurs
claviers simultanément, nous semble toutefois inexacte en ce qui
concerne lAdministration. En effet, comme on la montré,
le choix a été précédé dune concurrence
très sérieuse sur le plan technique. Par ailleurs, lAdministration
a exigé de ses fournisseurs labandon des droits sur les systèmes
quelle adoptait pour le réseau. Aussi, la crainte dun
monopole de la part de lAdministration ne devait pas être
aussi aiguë dès lors quétait obtenu contractuellement
cet abandon des droits de fabrication et dinstallation par le fournisseur
choisi, et que la concurrence pouvait jouer de nouveau entre fournisseurs
pour la fabrication dun système déjà choisi
(rabais sur les prix de base initiaux conformément aux directives
de la Commission des Marchés, comme on la signalé
plus haut) .
Une soixantaine de centraux, équipés en
système R6, furent implantés entre 1928 et 1946. La région
de Lyon en bénéficia particulièrement, avec linstallation
dun centre à Roanne en 1930, à Saint-Etienne en 1931,
Villeurbanne en 1932, à Tassin, La Mulatière, Caluire, Oullins,
Saint-Fons, Ecully, Champagne en 1937, Vénissieux, Saint-Fons encore,
Bron en 1938, Saint-Didier et Saint-Rambert en 1939.
Léquipement des réseaux ruraux
On se heurtait dans les campagnes à un certain
nombre de difficultés. Sur le plan de lorganisation du réseau,
des choix fondamentaux avaient conduit à «la
multiplication du nombre de centres de commutation : de 220 en 1892, il
atteignait 21 500 en 1928, soit, toutes choses égales
par ailleurs, un nombre de centraux 8 fois plus grand que dans les autres
pays européens et 20 fois plus grand quaux Etats-Unis.
Vers 1925, sur 25 000 réseaux environ existant en France, plus
de la moitié ne comportait que 5 abonnés au moins.
Lautomatisation aurait exigé une réorganisation complète
de ces réseaux, la transformation des postes dabonnés,
encore à piles et à magnéto dappel, en postes
à cadran, le remaniement et la création de lignes et de
circuits. Cela aurait représenté des dépenses dinvestissements
considérables qui napparurent pas justifiées à
lépoque » (Nouvion, 1982, p. 40).
Le système dénommé «automatique
rural » apporta aux usagers lavantage de la permanence et
de la discrétion du service dans les bureaux de poste et la concentration
des opératrices dans les centres importants. Ce système
nétait cependant que semi-automatique, puisque les abonnés
devaient encore manuvrer une magnéto et non un cadran.
Techniquement, il sagissait simplement de remplacer les opératrices
intermédiaires, en établissant des dispositifs techniques.
Les demandes de communication téléphonique des abonnés
étaient ainsi acheminées directement vers un centre de commutation
manuel où les opératrices intervenaient toujours : elles
prenaient alors en charge lappel du demandeur en cherchant à
mettre ce dernier en liaison avec le poste demandé.
Le système rural retenu par lAdministration
française devait répondre à des exigences dexploitation
préalablement définies.
Huit entreprises entrèrent en concurrence, et,
comme lAdministration entendait ne pas vouloir se contenter dun
choix sur documents, elles durent équiper, à partir de 1929,
un groupement, à titre dessais dans la région Paris
extra-muros, comportant chacun de 20 à 30 bureaux, maintenant la
desserte dun grand nombre dabonnés par un petit nombre
de circuits. Au lieu dintégrer la commutation automatique,
qui était une innovation, dans le réseau antérieur,
quitte à entreprendre pour cela les réorganisations nécessaires
et en retirer les bénéfices au niveau de lamélioration
du fonctionnement de lensemble du réseau, lAdministration,
appuyée par les Conseils Généraux, allait fortifier
une structure de réseau dépassée technologiquement.
Pourquoi de telles décisions techniques ?
(Ouvrons une parenthèse à propos des postes
téléphoniques de lAdministration française.
Le premier poste à cadran (donc relié à un réseau
automatique) est le Poste 1924 à colonne.
Il a été installé à Paris dès lautomatisation
du réseau de la capitale. Le second poste mis en service est le
U 43 (Universel 1943), qui doit son qualificatif duniversel au fait
quil pouvait être équipé dun cadran lorsquil
était raccordé à un réseau automatique, ou
dune magnéto à poussoir (remplaçant les postes
à manivelle des réseaux à commutation manuelle).
Cette astuce technique (la magnéto ayant le même encombrement
que le cadran) a permis à lU 43 dêtre installé
dans les campagnes (avec magnéto). Lorsquun réseau
rural passait en automatique, il suffisait de remplacer la magnéto
à poussoir par un cadran (poste mis au point
au SRCT). Le C 63 (Socotel 1963) résulte détudes menées
au C.N.E.T)
Le développement du réseau téléphonique
La faiblesse de base du «semi-automatique »
rural tient à ce quil ne remettait pas en cause le réseau
antérieur, et en prolongeait les faiblesses. Lamélioration
du fonctionnement de lensemble du réseau nest pas lobjectif
poursuivi ; il sagissait plus simplement, dapporter quelques
améliorations pour les usagers, et grâce au mode de financement,
de poursuivre léquipement téléphonique du pays
malgré labsence de moyens budgétaires. Les ingénieurs
des Télécommunications mirent en valeur le fait que le système
rural était justifié dans les zones à faible densité
téléphonique, «même lorsque
le centre de groupement était équipé en automatique,
et surtout tant que lexploitation interurbaine nexistait pas,
ce qui fut le cas jusquen 1950. Mais à partir du moment où
le centre de groupement est doté dun autocommutateur établissant
des communications interurbaines et où la densité et le
trafic téléphonique ont atteint une certaine valeur, le
système rural nest plus justifié. Cest léquipement
en automatique intégral qui simpose » .
Léquipement des réseaux ruraux en
«semi-automatique » débuta dans toute la France en
1936.
Il se poursuivit jusquà la seconde guerre mondiale grâce
aux concours financiers très substantiels apportés par les
départements et les collectivités locales : le nombre de
communes pourvues du téléphone est passé de 22 163
en 1923, à 33 521 en 1939.
Léquipement du territoire en réseaux
téléphoniques témoigne dune situation contradictoire
qui sest prolongée jusquaux années 1960.
Comme le souligne M. Nouvion, cette situation est caractérisée
à la fois par des vagues dinnovations fondamentales souvent
liées dans leur mise en uvre aux moments de protestations
les plus intenses des milieux des affaires et du Parlement, et par une
stagnation de lactivité globale, car faute de moyens de financements
suffisants, lAdministration ne pouvait donner une véritable
extension au réseau ni veiller au renouvellement des équipements
existants.
Géré par des groupes privés pendant
une dizaine dannées, le téléphone a été
nationalisé dès 1889. Mais, par le système de financement
mis en place, ce sont des notables qui détenaient le contrôle
réel de lavenir du téléphone en France. Pourquoi
cette décision ? Parce que les problèmes de communication
à léchelle locale étaient gérés
par les notables locaux, notamment à travers la presse locale et
régionale que la Poste permettait de distribuer et dacheminer
fournissant à la fois un soutien logis¬ tique et un soutien
financier (aujourdhui encore, ne dit-on pas que
le routage de la presse est lune des principales causes du déficit
de la Poste ?).
Ainsi, pour que le téléphone se développe,
il fallait que les notables le souhaitent, cest-à-dire quils
devaient avoir un certain besoin de ce nouveau média de communication,
ou, tout au moins, quils devaient ne pas éprouver de crainte
particulière à son encontre. Or, cétait bien
le cas : «Apparemment... les notables locaux
navaient rien à attendre du téléphone, instrument
de communication point à point sans intermédiaire. Ils défendaient
pour leur part, tout comme lEtat central, une structure pyramidale
de transmission, où les intermédiaires jouent un rôle
fondamental de disjoncteur et de filtres institutionnels.
Selon eux, le téléphone court-circuitait bien sûr
ce réseau, et navait donc pas sa place dans le système
de communication français ».
Outil de dialogue, le téléphone semblait
devoir perturber considérablement le «fragile équilibre
existant dans le système de la transmission des informations dans
ce pays». Les notables locaux, par lintermédiaire de
la procédure de financement avaient donc gardé le contrôle
des extensions du réseau. Car, pour que le téléphone
se développe, il fallait que les collectivités locales (conseils
généraux, chambres de commerce) fassent des avances au Trésor
couvrant les frais dinstallation du réseau. Et les P.T.T.
procédaient au remboursement grâce aux bénéfices
dexploitation sans intérêts.
De ce survol historique du développement du téléphone
en France, on peut en déduire quun modèle hiérarchique
précède, accompagne et encadre le développement du
réseau téléphonique en France. Comme le montre Y.
Stour dzé, les instruments de dialogue, de réversibilité
de la communication, furent plus ou moins complètement escamotés
au profit dautres instruments techniques qui trouvèrent plus
aisément le financement, lappui et le soutien des sociétés
savantes et des pouvoirs publics comme des institutions industrielles
et commerciales .
A contrario, le développement en France de la radiodiffusion
et de la télévision qui ne contrariaient pas le modèle
hiérarchique (et le fortifiant même) furent plus vigoureux.
Dailleurs, si le téléphone lui-même sest
un peu développé à la fin du xix siècle et
au début du XX siècle, cela est dû en partie à
un malentendu : il était considéré comme un instrument
de diffusion.
Devant la profusion de systèmes de télécommunications,
devant la multiplication des réseaux, les incitations à
les utiliser (publicités) , devant les bouleversements technologiques
impliquant la mise à la disposition du public de moyens de vidéocommunication,
ou de téléinformatique domestique, on peut se demander si
la société française a, de nos jours, véritablement
abandonné le modèle hiérarchique.
Henry Bakis Chercheur au C.N.E.T. Issy-les-Moulineaux
|
sommaire
RAPPEL
de quelques chiffres et événements, des techniques en cours
:
- 1897 On
compte alors en France 11.314 abonnés, dont 6.425 à Paris
- 1900 on fait un premier essai du système automatique Strowger
dans les locaux du Ministère du Commerce, pour évaluer ce
nouveau système (sans abonné puplique).
- 1909 il n'y avait que 44 600 abonnés â Paris.
- 1921 Le nouveau réseau de Paris sera
structuré autour de 4 centres de jonctions dont le nombre et la localisation
auront été déterminés par une étude du
trafic. Ce sont en
1922 les bureaux existants de Guyot (nord-Ouest), Combat
(nord-est), Daumesnil (Sud-est) et Vaugirard (Sud-ouest).
A cette date tout Paris est toujours en manuel.
- 1926 Le système Rotary 7A est finalement
choisi le 13 octobre, pour équiper PARIS et il est décidé
que le système R6, sera implanté dans les villes moyennes
de province dès 1928 en commençant par Troyes
- 1927
le ROTARY
7A1 une variante du 7A est mise en service pour la première fois
dans le monde en France, à Nantes en octobre , fabriquée en
France par la société Le Matériel Téléphonique
(L.M.T), capable de gérer jusqu'à 10.000 abonnés (au
lieu des 20.000 lignes initialement )
Au final la version ROTARY 7A1 est retenue pour une mise en service
dans tout Paris
- 1928 : mise en service du premier
central téléphonique automatique à Paris central
"Carnot". A cette occasion on installe chez les abonnés
reliés au téléphone automatique un poste à
cadran A Paris,
il y a 160 000 abonnés.
Les travaux de transformation dureront une douzaine d'années,
et le nombre des abonnés atteindra environ 350 000 quand ils seront
terminés en 1940.
La première partie du programme (transformation progressive des bureaux
très importants) a déjà reçu une réalisation
partielle.
Centraux automatiques déjà
en service :
 |
Réseaux en cours de transformation
:
Rouen : 6 000 abonnés ;
Nîmes : 1800 abonnés;
Epinal : 1200 abonnés ;
Paris .
Neuf bureaux automatiques sont déjà commandés
et en cours de construction :
Carnot, 6000 abonnés (en service) ;
Gobelins, 10000;
Vaugirard, 8000;
Diderot, 10000;
Trudaine, 10000;
Danton, 10000;
Odéon, 6000;
Anjou, 10000;
Opéra, 10000. |
Le programme d'automatisation prévu
avait laissé une marge de croissance suffisante entre la capacité
future du réseau et l'évolution du nombre d'abonnés
qui avait jusqu'alors doublé tous les 10 ans depuis 1909.
Le programme prévoyait d'accueillir 500 000 abonnés en 1936
dans 42 centraux, alors que le nombre d'abonnés à Paris
était seulement de 186 365 en 1931.
On peut connaitre l'évolution et la Répartition
des abonnés sur PARIS et sa banlieue dans
cette rubrique.
Pour automatiser la province, on se refert
à cet exposé de A. JOUTY INGÉNIEUR EN
CHEF DES TÉLÉCOMMUNICATIONS
-
LA COMMUTATION TÉLÉPHONIQUE EN PROVINCE
La construction d'un réseau de commutation téléphonique
est une oeuvre de longue haleine, dont le but « l'automatique
intégral » semble reculer à mesure que l'on s'en
approche. Pourquoi l'automatique intégral ?
Sa nécessité n'a pas toujours été reconnue
et a même été parfois énergiquement niée
par les directeurs de très puissantes exploitations.
Aujourd'hui la situation est plus claire, car le tèléphone
a pénétré partout et sert à entrer en contact
immédiat aussi bien avec le voisin de palier qu'avec un correspondant
aux antipodes ; et il a bien fallu reconnaître qu'un service téléphonique
manuel n'est supportable qu'à deux conditions :
- le nombre d'opératrices requis pour établir une communication
entre abonnés de centraux différents doit être le
plus réduit possible ;
- tout central manuel doit desservir assez d'abonnés pour fournir
aux heures creuses, et en particulier la nuit, un trafic suffisant pour
justifier la permanence du service.
De là découlent les urgences de l'automatisation
:
- d'abord les grandes villes, où le réseau local se partage
entre plusieurs centraux,
- les campagnes ensuite, dont les abonnés sont dispersés
sur de minuscules centraux.
- Les petites villes, les bourgades resteront pour la fin ; elles passeront
même après l'automatisation du trafic interurbain.
De ces ordres d'urgence découle la structure du réseau
téléphonique de la province :
* Les petites villes, du moins celles qui ont franchi l'étape de
l'automatisation, sont équipées des matériels les
plus modernes, les grandes villes des systèmes automatiques les
plus anciens. Mais dans ces dernières, il aura fallu entre temps
faire face aux accroissements tant de la population que de la pénétration
du téléphone ; il aura fallu aussi adapter les techniques
passées à l'évolution naturelle de l'exploitation
interurbaine qui, d'abord manuelle, puis devenant de plus en plus exigeante,
en quantité, qualité et rapidité, atteignant des
portées de plus en plus lointaines, requiert à son tour
l'automatisation.
* Aussi dans les grandes villes, se superposent les sédiments de
l'évolution des systèmes automatiques : les matériels
anciens, plus ou moins remaniés ou adaptés, s'y mêlent
aux matériels modernes, faisant ainsi d'un grand réseau
une mosaïque d'éléments techniques divers, rassemblés
à grand peine autour de quelques principes de fonctionnement communs.
* Les zones rurales, dont les 750 000 abonnés sont disséminés
sur quelque 25 000 centraux ont été peu à peu équipées
pendant ce temps de l' « automatisation rural », qui permet
de concentrer le trafic d'un nombre suffisant d'abonnés sur un
centre de groupement manuel, au moyen de commutateurs « semi-automatiques
» , c'est-à-dire télécommandés par une
opératrice.
* Dans les autres centraux, qui, faute de temps, d'argent ou de place
attendent encore l'automatique, on rencontre les matériels les
plus divers : tableaux standards à batterie locale, multiples «
extensibles » d'un modèle conçu entre les deux guerres,
en vue d'obtenir une certaine souplesse d'installation.
Ainsi, notre réseau de commutation présente une diversité
telle qu'aucune description ne pourra en être complète, ni
même exacte, car il faudra faire abstraction de tout un ensemble
de particularités, qui auront rendu irréductibles l'un à
l'autre le système Strowger de Lyon
et le système Strowger de Bordeaux,
aussi bien que le système Rotary de Marseille
et le système Rotary de Nantes, Tout
à Relais à Fontainebleau
La description peut en être tentée tout aussi bien du point
de vue de l'importance des installations et de la nature des problèmes
d'exploitation : grandes agglomérations, banlieues, petites villes,
campagnes, que du point de vue de l'évolution historique des systèmes
automatiques et de leurs procédés de fabrication : système
Strowger, Rotary 7A, R6,
Rotary 7B, Crossbar
Pentaconta et Crossbar CP 400.
Mais quelle que soit la localité à laquelle nous songeons,
quel que soit le nom de baptême du système automatique qui
la dessert, nous ne devons pas oublier que le central, ou les centraux,
dont elle est équipée, possède ses particularités
propres, non seulement d'équipement, mais aussi de fonctionnement,
en raison des adaptations successives qui ont dû y être apportées.
En gros nous pouvons distinguer 3 phases dans l'équipement
en automatique des villes de province :
- la période des expériences préliminaires, qui a
duré de 1911 à 1930 et a été marquée
par la mise en service de systèmes automatiques divers : Strowger,
Rotary, Ericsson,
Tout à Relais,
R6.
- l'ère du R6 qui a duré jusqu'en 1961,
au cours de laquelle les centraux commandés pour la province font
appel à ce type de matériel exception faite des réseaux
et localités antérieurement équipés en Strowger
ou en Rotary, exception faite également de la période d'essai
des systèmes Crossbar qui débute en 1955.
- la phase du Crossbar, où tous les
centraux sont commandés dans l'un ou l'autre des deux systèmes
Crossbar CP 400 ou Pentaconta.
Mais dès son début on cesse de fabriquer le R6, et on introduit
le Crossbar dans les réseaux R6, combinant ainsi dans un même
ensemble des systèmes fondamentalement hétérogènes.
L'équipement des campagnes en téléphone automatique
a subi une évolution particulière, car à l'origine
le besoin essentiel était d'y introduire aux moindres frais la
permanence du service. Ce désir, compte tenu de la faible intensité
du trafic téléphonique rural, a conduit à préférer
jusqu'en 1954 exception faite des zones fortement urbanisées, telles
les banlieues de grandes villes, ou de zones touristiques comme la côte
d'Azur, une exploitation manuelle semi automatique à une exploitation
entièrement automatique.
L'équipement de la province en automatique rural a ainsi
débuté en 1929 par l'essai de huit systèmes différents.
A la veille de la guerre, la moitié du territoire est équipée.
En 1954, débute l'équipement de bourgades rurales, importantes
en automatique intégral « S.R.C.T. ». Il s'agit de
petits autocommutateur R6, conçus par le service des recherches
et du contrôle technique de l'administration, qui donnent à
leurs abonnés les facilités, y compris l'automatique interurbain,
dont jouissent déjà les abonnés des grandes villes.
L'effort d'équipement en automatique rural ne cesse pas pour autant,
mais se concentre sur l'équipement des villages.
En 1962, lorsque le R6 cède la place aux systèmes
Crossbar dans les grandes villes une nouvelle version - en matériel
Crossbar CP 400 - des petits autocommutateurs est mise au point. C'est
le matériel Socotel S1, conçu pour parler le même
langage que son prédécesseur, afin d'obtenir une interchangeabilité
aussi complète que possible.
Il est certes plus facile de reproduire l'histoire du téléphone
automatique que d'en décrire les techniques, qui sont variées
et complexes.
Il n'a jamais été simple que dans la conception originale
de Strowger : chaque ligne
d'abonné se termine sur un « connecteur » qui donne
accès à 100 lignes, disposées sur un cylindre en
10 nh;eaux de 10 lignes. Un balai radial peut venir en contact avec l'une
quelconque de ces 100 broches par un double mouvement : translation selon
l'axe du cylindre support, rotation autour de cet axe.
Le premier mouvement est commandé à distance par l'abonné
demandeur, qui dispose à cet effet d'un manipulateur. Les impulsions
de courant fournies par ce dernier agissent sur un électro-aimant
qui, par un système à cliquet et crémaillère,
fait monter l'arbre porte balai d'autant de pas que d'impulsions re çues.
Un autre manipulateur commande un second électroaimant qui, par
un système à cliquet et roue à rochet, fait tourner
l'arbre porte balai. Pour rendre les deux mouvements successifs compatibles,
la crémaillère doit être de révolution, tandis
que le rochet doit être cylindrique. Un troisième manipulateur
commande un électroaimant de libération qui relâche
les cliquets de retenue de la crémaillère et du cylindre
à rochet (rappelé par un ressort).
Chacun des 100 abonnés peut ainsi appeler l'un quelconque des 100
autres par son connecteur, auquel il est relié par une ligne à
4 fils : 3 pour la commande des électros d'ascension, de rotation
et de libération et le 4° pour la conversation (avec retour
par le sol).
La mise au point de ce système initial pourtant si simple demanda
des années, car immédiatement les problèmes surgirent
:
- Comment étendre le système à plus de 100 lignes
?
- Comment éviter qu'un tiers ne puisse rentrer sur une communication
en cours ? -
- Comment réduire le nombre des fils de commande ?
Le dernier problème est résolu par l'invention du cadran
d'appel, qui permet d'envoyer des trains d'impulsions successifs sur les
fils de conversation. La distinction entre la dernière impulsion
d'un train et la première du train suivant dépend du temps
de fonctionnement de relais, et l'intervalle entre trains d'impulsions
doit être nettement plus long que l'intervalle entre impulsions.
Le second problème conduit à placer, sur les lignes engagées
en conversation, un potentiel interdisant toute autre connexion, potentiel
que saura reconnaître le connecteur qui atteint une telle ligne.
C'est le premier des trois problèmes précédents qui
demanda le plus d'efforts. Il fut résolu au moyen des « sélecteurs
de groupe ».
Dans un central de 1 000 lignes pàr exemple, chacune ligne d'abonné
aboutit à un sélecteur semblable aux connecteurs, mais d'utilifation
différente. Chaque niveau du sélecteur permet d'atteindre
un groupe de 10 connecteurs d'une centaine particulière, également
accessibles à tous les autres sélecteurs du central. Aussi
le sélecteur qui atteint le niveau correspondant à une centaine
déterminée, y trouve des connecteurs, dont certains sont
libres et d'autres déjà occupés. Le sélecteur
explore ce niveau dans un mouvement automatique de rotation, sait reconnaître
le potentiel caractéristique des connecteurs occupés et
s'arrête sur le premier connecteur trouvé libre. On passe
aux centraux de capacité supérieure en ajoutant un nouvel
étage de sélection.
Dans un central de 10 000 lignes, il y a donc un étage de sélecteurs
de milliers, un étage de sélecteurs de centaines, lui même
décomposé en 10 groupes distincts (un par millier) et un
étage de connecteurs décomposé en 100 groupes distincts
(un par centaine).
Il ne reste plus qu'un problème majeur à résoudre
pour donner au système Strowger sa structure classique : au lieu
d'en affecter un à chaque ligne d'abonné, réduire
le nombres des premiers sélecteurs au strict nécessaire
pour écouler le trafic.
Il faut pour cela interposer entre chaque ligne d'abonné et les
premiers sélecteurs un commutateur supplémentaire, le présélecteur,
qui dès que l'abonné appelle, part à la recherche
d'un premier sélecteur libre et s'arrête sur lui. Le premier
sélecteur ainsi trouvé fournit la totalité de numérotation.
L'économie faite en réduisant le nombre des premiers sélecteurs
doit largement compenser l'introduction des présélecteurs,
dont le mécanisme est beaucoup plus simple.
Une fois brevetées les solutions de ces problèmes, il ne
restait plus aux imitateurs de Strowger que deux issues : acquérir
des licences de fabrication, ou s'orienter vers des solutions plus complexes
et franchement différentes.
C'est pourquoi le système Rotary s'oppose si nettement au système
Strowger dans son fonctionnement et non pas seulement dans sa
structure mécanique.
Les mouvements des sélecteurs Strowger sont commandés par
des impulsions de courant venues du poste de l'abonné, et les électroaimants
récepteurs entraînent les mécanismes par des cliquets
; en Rotary un embrayage électro-magnétique accouple au
moment voulu le sélecteur à un arbre en rotation permanente,
et le sélecteur ainsi embrayé signale sa position en envoyant
vers l'arrière des impulsions de courant.
Dans une première ébauche (système Lorimer,
expérimenté à Lyon en 1908), ces impulsions de courant
iront dans le poste d'abonné rappeler successivement au repos 4
leviers à 10 positions qui y marquent le numéro demandé.
Dès qu'un des leviers est revenu au repos, le sélecteur
correspondant est débrayé et cesse de se mouvoir, tandis
que le sélecteur suivant est embrayé à son tour .
Mais cette solution, qui place un volumineux mécanisme chez l'ahonné,
est encore trop lourde, et le Rotary qui acceptera le disque
d'appel du Strowger (le procédé inventé par "Wheatstone
en 1839, est dans le domaine public) devra remplacer le tableau de leviers
du poste d'abonné par un organe placé au central et appelé
enregistreur.
Ce dernier reçoit les trains d'impulsions directes venues du cadran
d'appel et les trains d'impulsions « inverses » venant des
différents sélecteurs utilisés, compare les deux
séries et arrête chaque sélecteur sur le niveau voulu.
Les enregistreurs sont d'ailleurs mis en groupe commun, car il en faut
très peu ; chaque premier sélecteur s'en associe un tempor
airement pendant la phase d'établissement de la communication.
Autre complication nécessaire pour différencier le Rotary
: le sélecteur n'aura pas accès à 100 directions,
mais à 200. Du coup les trains d'impulsions directes et inverses
ne sont pas identiques et l'enregistreur doit comparer des nombres exprimés
dans deux systèmes de numérortation différents.
Ce procédé contient en germe celui de la « traduction
» des préfixes, qui est aujourd'hui d'emploi universel en
automatique interurbain.
Le système R6 représente une autre orientation de la technique
de la téléphonie automatique ; en tentant de simplifier
la mécanique du sélecteur, il s'inscrit dans le sens d'une
évolution qui part de solutions à prépondérance
mécanique pour promouvoir des solutions à prépondérance
électrique de plus en plus marquée.
Tandis que les balais du sélecteur Strowger se meuvent de deux
façons distinctes, ascension et rotation, le sélecteur R6
ne possède qu'un seul mouvement, explorant à la file dans
sa rotation des « niveaux » qui ne se distinguent plus à
l'oeil.
Pour les reconnaître il faut associer au sélecteur R6 un
petit commutateur à 10 directions, l' «orienteur »,
qui reçoit le train d'impulsions venu du cadran, et marque d'un
certain potentiel toutes les lignes du niveau correspondant. Cet orienteur,
qui ne sert que quelques secondes par communication est systématiquement
associé à 10 sélecteurs.
Par la suite, le système R6 s'est à son tour adjoint des
enregistreurs, et dans ses deux dernières formes R6 N1 et R6 N2,
des traducteurs : pour écouler les communications automatiques
interurbaines, il faut en effet analyser ·les préfixes pour
déterminer tant la route à suivre que la taxe appliquée.
Les systèmes Crossbar représentent un pas supplémentaire
dans la recherche de solutions purement électriques.
Toute la complexité y est donc reportée dans les circuits
électriques, mais les Systèmes Crossbar modernes sont cependant
les descendants d'un type intermédiaire de systèmes automatiques
dénommés systèmes « Tout
à Relais », aujourd'hui disparus.
Un autocommutateur tout à relais a desservi Fontainebleau
de 1927 à 1942, mais l'invention initiale remonte à 1906.
Outre le désir de s'affranchir des brevets existants, ce type de
commutation repose sur le souci de réduire l'usure, d'une part
en substituant des contacts par pression sans glissement aux contacts
glissants des commutateurs à balais, d'autre part en s'affranchissant
des percussions parfois brutales auxquelles ces derniers sont soumis.
L'idée de base des circuits électriques fut qu'un groupe
de 20 relais, soit 10 relais de dizaine et 10 relais d'unité dont
les contacts sont convenablement disposés, peut relier une ligne
d'entrée à une ligne de sortie prise parmi 100 autres, en
constituant ainsi l'équivalent d'un connecteur Strowger. Dans la
forme moderne et sous réserve de quelques complications mécaniques,
les systèmes Crossbar assemblent ces 20 relais en un ensemble compact
dénommé Commutateur Crossbar (en supposant qu'il s'agisse
d'un commutateur Crossbar 10 X 10).
Cependant les solutions actuelles utilisent de préférence
le Commutateur Crossbar à 10 X 10 de façon à relier
10 lignes entrantes distinctes à 10 lignes sortantes. En associant
10 commutateurs semblables, on obtient un paquet de 100 lignes entrantes
dont chacun accède à un groupe de 10 «mailles»
; chaque maille à son tour entre dans un second Commutateur Crossbar,
qui lui donne accès à 10 lignes sortantes.
On réalise ainsi un ensemble complexe, mais homogène, où
100 lignes entrantes accèdent à 100 lignes sortantes par
l'intermédiaire de 100 mailles, c'est-à-dire l'équivalent
d'un groupe de 100 sélecteurs à 100 directions ; chaque
commutateur primaire n'est relié à un commutateur secondaire
donné que par une unique maille. Les connexions à l'intérieur
du groupe de 20 commutateurs sont établies par l'intermédiaire
d'un « marqueur » qui identifie la position de la ligne appelante,
et ayant reçu l'indication de niveau de sortie choisit une ligne
sortante libre, reliée à la ligne appelante par l'intermédiaire
d'une maille libre, qu'il désigne.
A l'agencement numérique près, tous les systèmes
Crossbar sont basés sur ce principe.
Le système CP 400, qui utilise des commutateurs à 10 X 20
(en fait des commutateurs à 10 X 12 utilisés en 10 X 20
grâce à un artifice), permet ainsi de relier chaque ligne
entrante à un groupe de 400 lignes sortantes.
Le système Pentaconta qui utilise des commutateurs n X 52 (en fait
des commutateurs n X 28, où n peut selon les conditions prendre
des valeurs comprises entre 8 et 16), permet pour sa part de relier chaque
ligne entrante à 1 040 lignes sortantes, compte tenu du fait que
l'on prévoit 2 mailles directes de chaque commutateur primaire
à chaque commutateur secondaire, et que l'on utilise que 40 mailles
directes à la sortie de chaque commutateur primaire.
L'étape future sera la commutation électronique.
Toutes les fonctions de commande y seront assurées par des calculateurs
et des mémoires n'utilisant que des matériaux électroniques
mais le « 'réseau de connexion », au moins dans les
premières versions y reproduira sous une autre forme le réseau
de connexion des centraux Crossbar ; toutefois les contacts placés
dans des tubes de verre scellés. et remplis d'un gaz inerte y seront
mis à l'abri de la poussière, l'ennemi essentiel du téléphone
automatique.
Ainsi la commutation téléphonique automatique, dont le matériel
peut durer 40 à 50 ans, se montre · une oeuvre vivante,
en perpétuelle croissance, en perpétuelle adaptation à
des conditions changeantes d'exploitation et de production : hier destinée
à un service purement urbain. elle devra permettre demain de relier
des « cerveaux électroniques » par un réseau
mondial de téléphonie automatique ; hier sa technique, à
base de tours et de fraiseuses, aujourd'hui faite de métaux découpés
à la presse, d'isolants moulés et de bobinages, reposera
demain entièrement sur la chimie des semi-conducteurs.
A. JOUTY
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Rappel des différents types de commutateurs
automatiques éléctro mécaniques utilisés en
France :
Le réseau téléphonique de Paris intra-muros fut entièrement
automatisé en 1939, juste avant la déclaration de guerre
de la France à l'Allemagne.
La totalité de lÎle-de-France ne sera automatisée
quen 1975, et la totalité de la métropole en 1979
soit 66 ans après le début de l'automatisation du réseau
en 1913.
Les premiers commutateurs conçus sont électromécaniques
et à organes tournants, Coexistent en France les systèmes
de type pas à pas (Strowger, famille R6 et SRCT) et les systèmes
de type à impulsions de contrôle inverses (AGF500 et famille
Rotary). Le premier commutateur de type rotatif est installé en
1913, le plus récent est installé en 1971, les dernières
extensions sont commandées en 1978 et le dernier commutateur à
organes tournant est démonté en 1984, avant le changement
du Plan de numérotation téléphonique en France (basculage
à 8 chiffres le 25 octobre 1985 à 23H00.
De par son architecture et pour ne pas trop complexifier lensemble,
chaque commutateur à organes tournants ne peut prendre en charge
quun maximum de 10 000 abonnés.
STROWGER
Ce commutateur sans enregistreur de numéros
et à contrôle direct est inventé par Almon Strowger
aux États-Unis en 1891, premier modèle de commutateur automatique
mis en service en France, le 19 octobre 1913, à Nice Biscarra.
Il est fabriqué sous licence Strowger Automatic Telephone Exchange
Company par la Compagnie française pour l'exploitation des procédés
Thomson-Houston. Il est équipé de sélecteurs rotatifs
semi-cylindriques à 100 points de sortie (10 lignes téléphoniques
de sortie sélectionnées par niveau, sur 10 niveaux empilés
en hauteur). Un commutateur STROWGER fonctionne de manière saccadée,
en mode pas à pas, littéralement télécommandé
en temps réel par chaque impulsion numérotée au cadran
de labonné demandeur, chiffre par chiffre, chaque chiffre
sélectionnant successivement la position de son sélecteur.
Ce mode détablissement de communication de manière
automatique est le plus élémentaire. Il est parfaitement
adapté aux débuts de lautomatisation du réseau
téléphonique alors que le maillage reste encore relativement
simple et peu dense. Les commutateurs de type STROWGER été
retenus uniquement pour la province. Le STROWGER le plus récent
est mis en service en 1932 à Lyon. Le dernier est démonté
en 1979 à Bordeaux.
AGF 500
Fabriqué par la société LM
Ericsson, mis au point en 1922, ce commutateur d'origine suédoise
est équipé d'enregistreurs de numéros et de sélecteurs
volumineux disposés en éventails constitués déléments
rotatifs de base (modèle RVA avec balais de nettoyage des contacts
intégrés) horizontaux en forme de plateau à 25 positions
tournant à 90° groupés par 20 éléments,
donnant 500 points de sortie (25 positions angulaires de sortie pour 20
positions commandées radialement en hauteur correspondant à
20 lignes possibles pour chaque position angulaire). Il est capable de
gérer jusqu'à 10.000 abonnés par cur de chaîne
si toutes les volumineuses extensions possibles sont installées
; unique mise en service en 1924 en France, à Dieppe. Ce commutateur
fut remplacé en 1960.
ROTARY 7A1
Cette variante française est dérivée
du système ROTARY 7A, équipé à l'origine d'embrayages
magnétiques des arbres rotatifs distribuant lénergie
motrice au commutateur. Le ROTARY 7A1 est lui équipé d'embrayages
mécaniques des arbres rotatifs plus robustes. Comme le ROTARY 7A
d'origine provenant des États-Unis et conçu et mis au point
en Belgique par la Western Electric filiale d'AT&T en 1914, il est
équipé d'enregistreurs-traducteurs qui permettent, par rapport
aux systèmes fonctionnant en pas à pas déconomiser
des baies de sélecteurs et des étages de sélection
en enregistrant les Préfixes des numéros téléphoniques
demandés (2 chiffres en province, 3 caractères pour la Région
Parisienne) afin de déterminer directement une route « calculée
» par le traducteur qui va analyser ces préfixes par bloc.
Une fois le centre téléphonique à contacter déterminé,
le traducteur commande en différé la rotation des sélecteurs
nécessaires à létablissement de la communication
en activant les bonnes commandes dembrayages qui vont connecter
juste le temps nécessaire les arbres dentraînement
rotatifs des sélecteurs choisis pour les positionner sur les bonnes
positions, et les débrayer au bon moment par un système
dimpulsions de contrôle inverses. Ainsi, tout commutateur
de modèle ROTARY fonctionne de manière régulière
et harmonieuse. Il est pourvu de sélecteurs rotatifs semi cylindriques
à 300 points de sortie (30 lignes téléphoniques de
sortie sélectionnées par niveau, sur 10 niveaux empilés
en hauteur). Il est capable de gérer jusqu'à 10.000 abonnés
par cur de chaîne, si toutes les volumineuses extensions possibles
sont toutes installées. L'automatisation du réseau de Paris
est décidée en 1926. Le premier ROTARY 7A1 conçu
à partir de 1922 est mis en service dès 1927 à Nantes.
Finalement le ROTARY 7A1 est retenu pour Paris dès 1928 par souci
d'homogénéisation du réseau parisien et ce malgré
la conception entre-temps en 1927 d'une seconde variante : le ROTARY 7A2.
Premier central téléphonique automatique mis en service
dans Paris (Carnot), 23 rue de Médéric : le 22 septembre
1928 à 22 Heures, en présence du Ministre du Commerce, de
lIndustrie, des Postes et Télégraphes Henry Chéron
! Il sagit dun ROTARY 7A1. Le second ROTARY 7A1 de Paris sera
mis en service au Centre Téléphonique des Gobelins le 20
juillet 1929 ; il y a assuré un service satisfaisant jusquau
7 juillet 1982, soit 53 ans. Le ROTARY 7A1 le plus récent de France
est installé en 1952. Le dernier ROTARY 7A1 de France, celui de
Paris-Alésia (à Montrouge), est désactivé
le 26 juin 1984.
ROTARY 7A2
Cette nouvelle variante française est conçue
en 1927 dans les laboratoires parisiens d'ITT à partir du système
ROTARY 7A1.
Cette version améliorée est en effet nouvellement pourvue
de sélecteurs de débordements de sécurité
améliorant encore la capacité d'écoulement du trafic
téléphonique ; cest ce que lon nomme lacheminement
supplémentaire de second choix. La variante ROTARY 7A2 est le système
à organes tournants le plus développé, mais aussi
le plus cher. Il nest pas déployé en France bien quy
étant conçu, mais est adopté par plusieurs pays,
dont notamment lEspagne dès la fin de la guerre civile.
R6 (sans enregistreur de numéros)
Ce commutateur à contrôle direct, dont
le nom officiel est ROTATIF 1926, car mis au point en 1926, encore rencontré
sous le nom semi abrégé ROTATIF 6, est implanté dans
les villes moyennes de province dès la fin de 1928 en commençant
par Troyes, ce système français de type pas à pas
étant un hybride qui s'inspire à la fois des systèmes
Rotary et Strowger. Il est de surcroît simplifié à
l'extrême pour être le moins coûteux possible. Par contre,
il est équipé dOrienteurs à 11 positions (1
position de repos et 10 autres positions pour les 10 chiffres du cadran),
un nouveau groupe dorganes de contrôle commun à plusieurs
sélecteurs à la fois qui permettent de dissocier clairement
la fonction de réception des chiffres composés par l'abonné
de la fonction de recherche et de connexion de la liaison. Chaque étage
de sélecteurs est équipé de son groupe dOrienteurs.
Chaque Orienteur, qui fonctionne en mode pas à pas, nest
utilisé que pendant la réception des chiffres numérotés
au cadran du téléphone de labonné, puis est
libéré pour aller traiter une autre communication à
établir. Dans le système R6, la notion de point de sélection
ne revêt plus la même importance, l'architecture étant
différente des autres types de commutateurs : en effet, lastuce
consiste à remplacer les sélecteurs semi cylindriques ou
à plateau des systèmes précités qui à
la fois tournent horizontalement et accomplissent aussi des mouvements
ascensionnels par de simples commutateurs rotatifs semi-circulaires à
51 plots, dédoublés par une astuce de commutation à
relais, soit un élément de sélection uniquement rotatif
à 102 directions. Ainsi, dans le système ROTATIF 1926, les
éléments ne font plus que tourner horizontalement, et naccomplissent
jamais de mouvements de haut en bas ou de bas en haut, doù
un prix de revient moindre que tous les autres systèmes à
organes tournants conçus jusques à présent. Ce système
fut développé par l'Ingénieur français Fernand
Gohorel de la Compagnie des Téléphones Thomson-Houston,
en raison du coût élevé des ROTARY 7A, 7A1 et 7A2
américains. 26 commutateurs ROTATIF 1926 à contrôle
direct sont installés en France, le plus récent est installé
en 1939 à Besançon.
R6 (avec enregistreurs de numéros)
Ce commutateur est mis en conception pour les villes
de province de plus grande importance dès 1930. Ce système
est aussi un hybride qui s'inspire des systèmes Rotary et Strowger,
mais il est simplifié et moins coûteux. Bien quétant
plus coûteux qu'un R6 à contrôle direct, il permet
une meilleure souplesse dans l'acheminement des communications, tout en
restant moins performant que les ROTARY 7A, 7A1 et 7A2. Un commutateur
R6 avec enregistreurs est un commutateur R6 à contrôle direct
dont les Orienteurs du premier étage de sélecteurs ont été
remplacés par des enregistreurs de numéros qui commandent
en différé, après analyses des préfixes, les
orienteurs des étages de sélecteurs suivants pour acheminer
de manière plus souple et plus optimale les communications en son
propre sein pour les abonnés locaux, ou vers les centres de transit
pour les abonnés plus éloignés. L'agglomération
Lille-Roubaix-Tourcoing est équipée en premier de ce système
en 1933. Le déploiement du ROTATIF 1926 avec enregistreur de numéros
est totalement interrompu en province dès la déclaration
de guerre, et ne reprendra qu'en 1945. Il se poursuivra jusqu'à
larrivée de la version modernisée en 1949.
ROTARY 7D
Ce prototype expérimental est installé
en 1937 à Angers, en vue d'équiper la banlieue de Paris
par la société LMT, mais n'est finalement pas retenu en
France pour déploiement. Il est par contre massivement déployé
dans les campagnes de Grande-Bretagne et constitue un meilleur produit
que notre système automatique-rural en déploiement dans
nos campagnes.
R6 N1 (normalisé type 1)
Ce commutateur à enregistreurs, chacun d'entre
eux étant associé à un seul traducteur séparé
et à relais, est mis en service en France dès 1949 à
Rouen, par la CGCT. Ces commutateurs ROTATIF 1926 Normalisés de
type 1 sont équipés de nouveaux traducteurs aussi efficaces
que ceux des ROTARY 7A1 utilisés dans le réseau parisien,
afin de préparer lautomatisation à venir de linterurbain
automatique. Le ROTATIF 1926 N1 le plus récent est mis en service
en 1959.
ROTARY 7A normalisé
Il est mis au point sur Paris, (avec réduction
de coût de 15%) en 1949, issu de l'expérience acquise durant
les 21 années d'utilisation en France. Le ROTARY 7A NORMALISÉ
le plus récent est mis en service en 1954.
SRCT
De l'acronyme Service des Recherches et du Contrôle
Technique l'ayant conçu, c'est un petit autocommutateur fabriqué
à partir de matériel R6, de catégorie secondaire
et en conséquence destiné au déploiement dans les
campagnes, dans le but de remplacer le système dit automatique-rural
qui était en fait semi-automatique déployé à
partir de 1935 sur instruction de Georges Mandel, Ministre des PTT. Conçu
par l'Ingénieur en chef des Télécommunications Albert
de Villelongue, le SRCT permet d'automatiser les campagnes. La capacité
typique de raccordement est de 900 lignes dabonnés. Le premier
SRCT est inauguré à Perros-Guirec en 1950.
L43
De son nom complet LESIGNE 43, c'est un commutateur
utilisant le même matériel que le R6 N1 mais il adopte un
principe de sélection différent, sans dispositif Orienteur.
En effet, dans ce système, les sélecteurs sont actionnés
directement par les enregistreurs, à laide dun réseau
de commande par fils distincts des fils véhiculant les conversations
téléphoniques. Mis en service en France dès juillet
1951 à Nancy. Bien que nayant pas été massivement
déployé, ce modèle de commutateur a toutefois permis
une mise en concurrence des différents constructeurs, et amènera
à la mise au point ultérieure dune nouvelle version
améliorée des commutateurs R6. Un total de 13 commutateurs
L43 est mis en service en France. Le
LESIGNE 43 le plus récent est mis en service en 1960.
ROTARY 7A à chercheurs
Équipé de sélecteurs simplifiés
et modifiés à un seul mouvement imitant le R6, il est implanté
à Belle-Épine, en 1953. Cette variante prototype préfigurant
le ROTARY 7B1.
ROTARY 7B1
Issu du ROTARY 7B conçu aux États-Unis
depuis 1927, il est mis au point en France tardivement par la société
LMT. Beaucoup plus économique que les ROTARY 7A, 7A1 et 7A2, mais
avec une capacité d'écoulement moindre car n'étant
équipé que de sélecteurs à un seul mouvement,
comme le R6. Il est également plus sécurisé face
aux risques dincendie, grâce au remplacement des isolants
en tissus par des isolants en matières synthétiques. Le
premier est installé à Enghien-les-bains en 1954. Il est
largement déployé dans Paris dès 1955. Le ROTARY
7B1 le plus récent est mis en service en 1971. Les dernières
extensions de systèmes ROTARY 7B1 déjà installés
auparavant ont été commandées en septembre 1978.
R6 N2 (normalisé type 2)
Commutateur dont l'ensemble des enregistreurs n'utilise que deux traducteurs
séparés et à relais, il est issu des évolutions
du L43, mis en service en France dès 1958 à Poitiers et
Boulogne, par la CGCT et par l'AOIP. Le ROTATIF 1926 N2 le plus récent
est mis en service en 1962. Les dernières extensions de systèmes
R6 déjà installés auparavant ont été
commandées en octobre 1978, pour équiper des départements
où le plan de numérotation ne dépassait pas six chiffres.
CENTRAL AUTOMATIQUE TOUT RELAIS, à commutation
entièrement effectuée avec des tables de relais, sans organe
tournant : le précurseur en France qui préfigure le Crossbar.
Fabriqué par la Compagnie Générale de Télégraphie
et Téléphonie, mis en service en 1927 à Fontainebleau,
capable de gérer jusqu'à 1000 abonnés, qui s'avère
ultérieurement trop coûteux et trop complexe à entretenir
et à étendre. Il est finalement remplacé en 1943.
CENTRAUX CROSSBAR
PENTACONTA Système entièrement nouveau, conçu par
les sociétés LMT et CGCT, toutes deux filiales françaises
de l'américain ITT. La conception de ce système doit beaucoup
à l'ingénieur Fernand Gohorel qui supervise l'invention
du Multisélecteur à barres croisées. Le radical «
Penta » signifie que les abonnés sont regroupés par
modules primaires de 50. Il s'avère le système électromécanique
pourvu des meilleures capacités d'écoulement du trafic ;
il est retenu pour les très grandes villes françaises pour
cette raison, ainsi que pour les centres de transit interurbains de nouvelle
génération. Chaque commutateur PENTACONTA, bien qu'électromécanique,
possède quelle que soit son importance une chaîne d'enregistrement
des incidents dont le rôle est d'éditer automatiquement une
carte perforée qui détaille le défaut, chaque fois
que le système constate une faute de fonctionnement ; progrès
remarquable pour l'époque où les microprocesseurs ne sont
pas encore inventés. Nous pouvons facilement reconnaître
un commutateur PENTACONTA, par ses éléments sélecteurs
de base qui comportent toujours de manière apparente 14 barres
horizontales. Nous parlons d'ESL pour Équipements de Sélection
de Ligne d'abonné pour un PENTACONTA utilisé en commutateur
d'abonnés, et d'ESG pour Équipements de Sélection
de Groupe pour un PENTACONTA utilisé en centre de transit intercentraux.
289 commutateurs PENTACONTA sont mis en service en France. Le dernier
commutateur électromécanique de type PENTACONTA est commandé
en France en juin 1978, et les dernières extensions sont commandées
en juin 1979. Le dernier commutateur PENTACONTA dÎle-de-France,
celui de Paris-Brune Chaîne Jeux est démonté le dernier
trimestre 1994 et le dernier commutateur PENTACONTA de France, est démonté
à Givors le 6 décembre 1994.
PENTACONTA type 500 (Multisélecteur à 500
points de sortie au niveau des ESL), concernant la France, il est implanté
pour la première fois à Melun le 23 juillet 1955. Ce système
est capable de gérer jusqu'à 17.000 abonnés.
PENTACONTA type 1000 A (Multisélecteur à 1040 points de
sortie au niveau des ESL) dont le premier exemplaire est mis en service
à Albi en 1959.
PENTACONTA type 1000 B (Multisélecteur à 1040 points de
sortie au niveau des éléments ESL et à 1040 points
de sortie au niveau des ESG), développé dans les années
soixante, pour permettre de traiter jusqu'à 50.000 abonnés
ou circuits par cur de chaîne et pourvoir Paris et les très
grandes villes françaises. Paris en est équipé dès
le 21 janvier 1964.
PENTACONTA CT4 (Centre de Transit 4 fils). Apparu en 1966, fait partie
de la nouvelle génération d'autocommutateurs de transit
interurbains construite à partir du matériel Pentaconta,
mais à commutation sur 4 fils (au lieu de 2 fils). 11 commutateurs
PENTACONTA CT4 ont été déployés en France.
NGC (Nodal de Grande Capacité), de la nouvelle génération
d'autocommutateurs interurbains, est construit à partir du matériel
Pentaconta à commutation sur 2 fils. Le premier des 5 commutateurs
NGC est mis en service en février 1972 en France, à Lyon.
Les NGC sont, avant les évolutions ultérieures, équipés
de Traducteurs Quasi Électroniques (matrices à diodes et
transistor - en totalité abandonnés dès 1975, pour
être remplacés par des Traducteurs Impulsionnels à
Tores encore plus rapides à commuter). Le NGC de Paris St-Lambert
est le premier à être équipé des nouveaux Traducteurs
Impulsionnels à Tores dès sa mise en service le 3 juin 1972.
PENTACONTA type 1000 C (Multisélecteur à 1040 points de
sortie au niveau des ESG). Conçu en 1965 aux États-Unis.
Utilisé en France pour les GCI (Grand Centre de communication Interurbain)
de la nouvelle génération d'autocommutateurs interurbains
destinés à remplacer la génération à
organes tournants, mais à commutation sur 4 fils, avec même
sélecteur mais mise en uvre différente pour un écoulement
du trafic encore amélioré. Le premier des 32 commutateurs
GCI est mis en service en décembre 1973 en France, à Marseille.
Ils sont équipés de Traducteurs à Programme Câblé,
dérivés des Traducteurs Impulsionnels à Tores, mais
plus adaptés au type de structure des GCI. Avec les débuts
de l'informatique, certains GCI sont ensuite équipés dès
1974 de Traducteurs à Programme Enregistré, et d'une interface
homme-machine informatique primitive comme celui de Marseille St Mauront.
D'ailleurs, les TPE ont vocation à remplacer rétroactivement
les autres types de traducteurs sur les pentaconta et autres CP400 appelés
à ne pas être remplacés rapidement par du matériel
de future génération. Il s'agit d'un nouveau type de Pentaconta
très évolué pour l'époque qui commence à
devenir substantiellement électronique par la création des
Unités de Commande Électroniques en remplacement des Unités
de Commande Électromécaniques initiales.
PENTACONTA type 2000 (Multisélecteur à 2080 points de sortie
au niveau des ESG). Il est aussi bien utilisé en commutateur dabonnés
de grande capacité (50.000 lignes) quen CTU (Centre de Transit
Urbain), essentiellement pour Paris puis Lyon en 21 exemplaires. Il est
construit à partir du matériel Pentaconta à commutation
sur 2 fils. Le premier CTU est inauguré en 1968 à Paris.
Ce Pentaconta accorde une grande part à l'électronique et
sera l'objet d'évolutions, y compris informatiques. Le Pentaconta
2000 dispose d'une interface homme-machine par clavier et console informatique
primitive. Comme le type précédent, le Pentaconta 2000 est
très évolué pour l'époque par l'innovation
des Unités de Commande Électroniques en remplacement des
Unités de Commande Électromécaniques initiales. Il
est mis en service afin de dégorger le trafic dans les très
grandes villes françaises, en attendant l'arrivée des centres
de transit électroniques spatiaux et temporels prévus les
années suivantes.
CP400, (nom complet : CROSSBAR pour PARIS ou CROSSBAR
PARISIEN 400) est initialement prévu pour équiper Paris
et la 1re couronne. Un prototype à commande centralisée
mis en place en France dès le 31 mars 1956 à Beauvais, est
issu de la Société Française des Téléphones
Ericsson de Colombes. Les CP400 sont pourvus de 400 points de sortie au
niveau des Éléments de Sélection de Ligne d'abonné
et/ou des Éléments de Sélection de Groupe. Bien que
le Directeur Général des Télécommunications
de cette époque, Jean Rouvière bataille pour ne pas retenir
ce nouveau type de commutateur téléphonique moins performant
que le PENTACONTA. Il doit cependant s'incliner en 1957, pour raison économique
: le CP400 étant moins coûteux. Finalement, et malgré
sa dénomination initiale, le CROSSBAR PARISIEN 400 sera massivement
retenu pour équiper les villes moyennes de province
Après
une série de différentes versions, il faut attendre lannée
1973 pour que des commutateurs dabonnés CP400 soient enfin
installés dans Paris intra-muros après réalisation
des adaptations nécessaires. Le dernier commutateur de type CP400
est commandé en avril 1979 et les dernières extensions sont
commandées en novembre 1979 en CP400. Le dernier CP400 de France
est démonté à Langon en 1994. Nous pouvons facilement
reconnaître un commutateur CP400, par ses éléments
sélecteurs de base qui comportent toujours de manière apparente
6 barres horizontales pour 10 barres verticales.
CP400-PÉRIGUEUX. S'ensuit la présérie
de 5 commutateurs CP400-Type PÉRIGUEUX améliorés,
installée dès 1960 à Périgueux.
CP400-ANGOULÊME. Arrive la première série de production
en masse encore améliorée de 115 commutateurs de ce nouveau
type en 1962 avec le premier d'entre eux installé à Angoulême.
Leur capacité peut atteindre 10.000 abonnés. Les commutateurs
CP400-ANGOULÊME sont déployés jusquen 1970.
CP400-BRIE-COMTE-ROBERT. Prototype révolutionnaire mis au point
par le prolifique ingénieur des télécommunications
A. de Villelongue et ouvert en 1967, il s'agit du premier commutateur
à signalisation intercentre à Multi Fréquences, au
lieu de la signalisation par impulsions décimales jusqu'alors utilisée.
Gain de temps dans l'acheminement et fiabilisation accrus des communications,
notamment longue distance, avec augmentation de l'écoulement du
trafic. Tous les CP400 précédemment installés sont
rétroactivement convertis à cette nouvelle signalisation,
ainsi que les Pentaconta. Le dernier CP400 est démonté à
Langon en 1994.
CP400-BOURGES. En 1968, la mise au point d'un nouveau prototype installé
à Bourges voit le jour dune capacité de 8.000 abonnés
destiné aux petites villes.
CP400-TROYES. Puis en 1969, une nouvelle série encore améliorée
de 22 commutateurs CP400-Type TROYES dont le premier est installé
à Troyes. Leur capacité peut atteindre 20.000 abonnés.
Les commutateurs CP400-TROYES sont déployés jusquen
1970.
CP400-AJACCIO. En 1969 également, une nouvelle série avec
d'autres améliorations issues du CP400-BOURGES voit le jour à
destination des villes moyennes. Au moins 29 commutateurs de ce type sont
ainsi déployés au 1er janvier 1972.
CP400-CT4 (Centre de Transit 4 fils). Apparu également en 1969
en premier à Grenoble et Tours, fait partie de la nouvelle génération
d'autocommutateurs de transit interurbains construite à partir
du matériel CP400, mais à commutation sur 4 fils. 24 commutateurs
CP400-CT4 ont été déployés en France.
CP400-CUPIDON (Centre Universel Pour lInterurbain Dans l'Organisation
Nouvelle puis Centre Universel Permettant lInterconnexion Dans une
Organisation Nouvelle). Puis arrive en 1970 la nouvelle version CP400-CUPIDON
encore améliorée à partir des perfectionnements des
types ANGOULÊME et TROYES, avec de meilleures capacités de
souplesse et découlement de trafic. Leur capacité
peut atteindre 30.000 abonnés. Arrivée très retardée
par la mort brutale de l'ingénieur Albert de Villelongue en août
1967. 415 commutateurs CP400-CUPIDON sont installés en France.
CP400-POISSY. Enfin, dès 1972, une nouvelle série améliorée
est inaugurée à Poissy, dénommée CP400-POISSY,
directement dérivée du CP400-CUPIDON et qui est l'ultime
perfectionnement, en France de ce système suédois, avec
l'adjonction d'un étage supplémentaire d'Aiguilleurs. Le
CP400-POISSY permet de prendre en charge jusqu'à 40.000 abonnés
voire 50.000 par cur de chaîne à laide de certaines
extensions supplémentaires. Il est pourvu de Traducteurs À
Tores (magnétiques), qui permettent de traduire jusqu'à
1000 directions différentes. Ces nouveaux traducteurs sont même
généralisés rétroactivement sur les CP400
précédents ainsi que les PENTACONTA, et même sur certains
ROTARY encore en service en 1972. 322 commutateurs CP400-POISSY sont installés
en France.
CP100, (nom complet : CROSSBAR pour PARIS ou CROSSBAR
PARISIEN 100) est un autocommutateur simplifié, de taille réduite,
dérivé directement du CP400 conçu à lorigine
pour une capacité maximale de 3.000 abonnés. En raison de
son coût réduit, il est utilisé pour automatiser les
campagnes et les très petites villes de France en version typique
de 400 abonnés, ainsi quà remplacer les autocommutateurs
SRCT vieillissants. Ils sont déployés massivement en France
à partir de 1964.
sommaire
3
- Répartition des abonnés sur PARIS et sa banlieue
avant 1950
Il faut se souvenir que le réseau parisien a pu
être, à un moment donné, « surdimensionné
» par raport aux besoins, jusqu'aux années cinquante.
Outil destiné à abolir la distance, le téléphone
a pourtant tardé à franchir les portes de la capitale, comme
en témoigne la comparaison avec Londres et Boston, et a été
paradoxalement confiné à une vocation locale.
Enfin, les signes de la distinction n'ont pas joué en sa faveur
puisque les classes aisées lui ont accordé peu d'importance
dans leur mode d'habiter, et ce sont les quartiers autrefois affectés
aux activités artisanales et au transport fluvial qui ont, les
premiers, bénéficié du développement téléphnique,
tel le canal Saint- Martin, longtemps considéré comme un
quartier populaire.
Répartition spatiale des téléphones et ségrégation
des quartiers parisiens
a) En 1884 - La répartition
des postes d'abonnés dans les quatiers de Paris n'a rien de très
remarquable pour qui connaît un peu l'histoire de cette ville.
Une carte de 1884 révèle que c'est dans le quartier de l'Opéra
(où se trouve installé le central Gutenberg) et du Sentier
que la densité téléphonique était la plus
forte.
La totalité de la Rive gauche ne comptait que quelques rares abonnés.
Mais le septième, le cinquième, le treizième, le
quatorzième et le quinzième arrondissement constituaient
un désert téléphonique, ce qui n'avait rien d'exceptionnel
étant donné que ces quartiers étaient occupés
essentiellement par des universités et des établissements
religieux (couvents, etc.) ou sanitaires.
Toutes les activités économiques se trouvaient concentrées
sur la Rive Droite, dans le huitième et le neuvième arrondissement,
ainsi que les quartiers du Louvre et du Marais. Le point culminant était
La Bourse. Les Champs Elysées connaissaient un certain développement
mais qui n'était pas plus important que
celui du dixième arrondissement bordé par les gares du Nord
et de l'Est et le Canal Saint-Martin.
Ce qu'il faut donc retenir de cette observation
c'est que, en 1884, seules les fonctions commerciales, industrielles ou
artisanales ont véritablement déterminé la densité
téléphonique des quartiers parisiens. La ségrégation
entre quartiers pauvres et quartiers riches n'était donc pas perceptible
au niveau de l'équipement téléphonique puisque la
fonction résidentielle n'était pas encore prise en compte.
A l'exception d'une concentration de postes d'abonnés autour du
Parc Monceau (établissement récent de la bourgeoisie), le
seizième et le dix-septième connaissaient un équipement
téléphonique assez faible. En revanche, les postes d'abonnés
se développaient dans l'Est, de part et d'autre du canal Saint-Martin,
avec les deux points forts de la Bastille et de la République,
ce qui confirme le caractère déterminant des activités
économiques. Cet axe se prolonge vers la banlieue nord qui avait
bénéficié de la construction d'un réseau de
canaux dès 1813 : les canaux de l'Ourcq, Saint-Denis et Saint-Martin.
b) En 1922 -
Quittons à présent l'enfance du téléphone
pour examiner l'état du réseau parisien, au lendemain de
la Première Guerre mondiale et à la veille du programme
d'automatisation du réseau. Sur les douze centraux existants, seulement
trois desservaient les quartiers de la rive gauche en totalisant 16.200
abonnés au 1er janvier 1922, dont 6.150 pour le central Ségur,
1.900 pour celui des Gobelins et 8.150 pour celui de Fleurus.
En ce qui concerne les quartiers résidentiels
de la Rive droite, soit le seizième et le dix-septième,
ils étaient desservis par trois centraux, Auteuil, Passy et Wagram
(nous n'avons pas compté les Champs- Elysées en raison de
leur caractère mixte, partagés entre les activités
et les résidences). Le central Wagram desservait la partie comprise
entre l'avenue de la Grande-Armée, l'avenue Friedland et la rue
de Rome, ce qui correspond aujourd'hui au « bon dix-septième
», le « mauvais dix-septième
» ayant été affecté au central Marcadet. Ces
trois centraux comptaient 16.490 abonnés, au total, soit légèrement
plus que tous les quartiers de la rive gauche réunis, pour une
superficie pourtant plus réduite. Ces lignes d'abonnés se
répartissaient de la façon suivante : 2.700 pour Auteuil,
6.530 pour Passy et 7.260 pour Wagram. Depuis 1884, la relation entre
la densité téléphonique et la composante bourgeoise
des quartiers résidentiels se voit donc confirmée, notamment
dans les seizième et dix-septième arrondissements.
Les quartiers périphériques du Nord
et de l'Est, desservis par les centraux Marcadet, Nord et Roquette, se
placent parmi les plus déshérités. Ces trois centraux
comptent 17.555 abonnés, dont 2.400 à Marcadet, 9.110 au
central Nord et 6.045 à Roquette. Ce chiffre reflète surtout
le dynamisme économique de la zone Est- Nord.
En résumé, de tous les quartiers périphériques
que nous avons énumérés jusque-là, ceux qui
ont été annexés à Paris après 1860,
seuls les quartiers résidentiels riches ont vu leur densité
téléphonique s'accroître substantiellement. Cette
tendance est d'autant plus sensible qu'il y a peu d'activités économiques
dans ces zones de l'Ouest pour justifier le développement du téléphone.
En revanche, les quartiers périphériques de la Rive gauche,
du Nord et de l'Est, sont peu concernés par le développement
du téléphone même s'ils ont connu des afflux de population
importants depuis 1 860. La rareté du téléphone est
plus perceptible sur la rive gauche en raison de la relative absence d'activités.
Compte tenu de la présence des universités sur la rive gauche,
les principales activités étaient l'imprimerie, le brochage
et la reliure3.
En résumé, nous dirons donc que, durant
la première décennie du téléphone, l'utilisation
commerciale ou professionnelle de cette invention était presque
exclusive de tout autre usage. Ce qui explique que
le téléphone ne se soit étendu qu'aux quartiers les
plus dynamiques sur le plan des activités économiques.
Dès lors, la ségrégation sociale de l'espace qui
est liées surtout à la fonction résidentielle ne
pouvait être perceptible à travers la distribution des lignes
téléphoniques. Le clivage Est-Ouest, qui reflète
la répartition des classes sociales dans Paris, ne pouvait donc
pas être mis en évidence par le schéma distributif
du téléphone en 1884. En revanche, le clivage Nord-Sud (ou
Rive droite - Rive gauche), qui recoupe la répartition des activités
dans Paris, se trouve totalement confirmé par la distribution des
centraux et des postes d'abonnés en 1884. Ce clivage subsiste de
façon durable puisqu'en 1922, il existe quatre fois plus de centraux
sur la Rive droite (12 stations) que sur la Rive gauche (3 stations).
Si l'on prend le nombre d'abonnés, la Rive droite en compte à
elle seule 75 795, contre 16 200 abonnés pour la Rive gauche. Si
l'on prend uniquement les quartiers comportant essentiellement des activités
commerciales ou autres, c'est-à-dire le noyau économique
de la Rive droite, constitué par les centraux Gutenberg, Laborde,
Trudaine et Archives, ces quartiers totalisent 36 260 abonnés,
soit 40 % de la totalité des abonnés parisiens. Le quartier
de l'Opéra, desservi par le central Gutenberg, compte à
lui seul 22 800 abonnés, c'est-à-dire considérablement
plus que tous les autres quartiers de la Rive gauche réunis (16
200). Ce qui signifie que près d'un demi-siècle après
son invention, le téléphone demeurait encore un outil essentiellement
réservé aux professionnels.
Dès 1922 donc, on voit se dessiner l'embourgeoisement
du seizième arrondissement ainsi que son assimilation progressive
du téléphone domestique. Cependant, le déplacement
des catégories sociales aisées vers l'Ouest ne s'arrête
pas aux frontières de Paris. Dès 1922, on peut déjà
se rendre compte que la bourgeoisie a débordé
Paris en direction des sites verdoyants de la banlieue Ouest, puisque
Neuilly et Boulogne deviennent les banlieues les plus équipées
en téléphone, avec celles de la zone industrielle du Nord.
Les réseaux suburbains :
Les réseaux annexes de Paris ne furent créés
qu'en 1891, à la faveur de la restructuration provoquée
par la nationalisation du téléphone.
Avant cette date, les banlieusards désireux de communiquer avec
Paris devaient se soumettre au régime des lignes d'intérêt
privé établies aux conditions fixées par la Société
générale du téléphone (SGT).
Le nombre des lignes privées établies avant 1889 dans la
banlieue parisienne était de 245.
Pour les grandes villes de province, elles étaient au nombre de
42 à Marseille, 39 à Lyon et 26 à Bordeaux.
Citons les principales banlieues parisiennes pourvues de lignes privées
extra-muros, les reliant à Paris à la date de mai 1889 :
- Saint-Denis 27 lignes
- Aubervilliers 24 lignes
- Charenton 23 lignes
- Ivry 22 lignes
- Neuilly 20 lignes
- Pantin 17 lignes
- Saint-Ouen 15 lignes
- Levallois-Perret 9 lignes
- Montreuil 8 lignes
- Saint-Cloud 5 lignes
Le développement des fils posés hors
des fortifications étaient de 532 km.
Ainsi qu'on peut le constater, le développement
du téléphone de banlieue avant 1889 correspondait essentiellement
à la petite couronne de Paris. Mis à part Neuilly et Saint-Cloud/Boulogne,
toutes les banlieues desservies par les lignes privées étaient
des banlieues laborieuses, occupées par des installations industrielles
qui, pour la plupart, résultaient d'un transfert ou d'un prolongement
des activités exercées dans les quartiers artisanaux de
Paris. Quoique la composante résidentielle de Neuilly ne fût
pas exclusive puisque l'industrie de la parfumerie et des produits de
beauté était groupée en banlieue Nord- Ouest, soit
à Neuilly, Courbevoie, Colombes et Bezons, à proximité
d'une clientèle aisée habitant les quartiers ouest- parisiens.
On peut donc en déduire que la première génération
des lignes téléphoniques de banlieue desservaient en priorité
une clientèle professionnelle dont les entreprises ont été
déportées vers la périphérie de Paris, en
s' arrêtant toutefois à peu de distance de la ville.
Cette exclusivité d'une clientèle
professionnelle pour le téléphone de banlieue s'explique
aisément par le coût des lignes privées imposé
par la SGT avant la nationalisation du téléphone.
Ces lignes d'intérêt privé sont établies par
la SGT, mais appartiennent à l'Etat à partir du point où
elles sortent des limites de l'octroi d'une ville. L'abonnement que devait
payer un abonné de la banlieue pour communiquer avec le réseau
urbain combinait une double taxation, répartie entre la SGT et
les PTT.
Même en se limitant seulement à cette petite couronne, un
abonné de la banlieue parisienne devait payer au minimum un abonnement
annuel de 1 200 F, soit le double de l'abonnement d'un Parisien.
Un tel tarif était pour le moins dissuasif pour tout usage domestique
du téléphone en banlieue. On mesure mieux la portée
de la politique tarifaire lorsqu'on compare le réseau parisien
au réseau londonien. Dès 1885, on
a vu se constituer à Londres une nouvelle société
téléphonique - parallèlement à la United Telephone
Company de Londres - qui avait pour but d'exploiter toutes les villes
situées dans un rayon de 12 miles (19 km) autour de Londres. C'est
dire toute l'importance que revêtaient déjà à
cette époque les échanges entre la capitale et ses zones
suburbaines, ou ce qu'il conviendrait d'appeler des villes satellites.
Ces villes pouvaient non seulement communiquer entre elles mais aussi
avec le réseau londonien.
Peu à peu donc, on vit se mettre en place un service téléphonique
uniforme s' appliquant à Londres et ses communes suburbaines dans
un rayon de 19 kilomètres à partir du General Post Office.
Cette zone élargie était desservie par 24 bureaux centraux
qui communiquaient tous entre eux. Le service téléphonique
urbain et suburbain était assuré au tarif uniforme de 500
F par an, appliqué indifféremment à tous les abonnés
qu'ils soient localisés au centre ou à la périphérie.
Cela signifie qu'un habitant londonien résidant à 19 km
du centre payait moins de la moitié de l'abonnement auquel était
soumis le Parisien de banlieue, pour un service qui n'était même
pas équivalent puisqu'il ne recouvrait qu'une zone de 4 km autour
de Paris.
On ne saurait mieux mettre en évidence l'abîme qui sépare
les conceptions spatiales du service téléphonique propres
à chaque pays.
A la conception centralisée du service téléphonique
de Paris, profondément pénalisante pour les habitants de
la périphérie, s'opposait la définition d'une zone
téléphonique locale à Londres élargie à
toutes les communes suburbaines distantes, avec un traitement équitable
pour tous les abonnés. Cette profonde différence des politiques
tarifaires est en soi si éloquente qu'elle se passe de tout commentaire.
La politique tarifaire très restrictive de la SGT avait limité
le développement des lignes suburbaines à la petite couronne
de Paris et ses installations industrielles.
Peu à peu, de nombreuses demandes émanant des localités
de province, notamment des banlieues industrielles du Nord et de la Marne,
ont amené l'administration à réviser le statut des
réseaux annexes qu'elle avait l'intention de créer dans
ces régions.
La répartition spatiale des réseaux téléphoniques
suburbains créés en 1890-1891, donc après la nationalisation
du téléphone en 1889, illustre de manière assez convaincante
la conquête bourgeoise des sites les plus agréables de la
région parisienne.
C'est la première phase d'occupation des abords des forêts,
des parcs et des points d'eau. A l'Ouest, d'abord, notons la présence
des réseaux autour du bois de Boulogne (Neuilly,
Boulogne) ; des forêts de Saint-Germain et de Marly avec une série
de réseaux qui gravitent le long de la Seine (Saint-Germain, Le
Vésinet, Marly, Croissy, Châtou et Rueil) : le parc de Maisons-Lafitte
; toujours aux abords de la Seine, notons Andresy, Saint-Cloud et Sèvres
; Ville-d'Avray, Versailles, Viro- flay, Meudon et Clamait jouissent tous
de la proximité d'une forêt ou d'un bois. Même pour
la banlieue Nord, la présence des installations industrielles n'empêche
pas l'implantation excentrée des réseaux près de
la forêt de Montmorency et du lac d'Enghien. Cependant, tout le
Nord-Est, de Saint-Denis à Montreuil, reste voué aux activités
industrielles. C'est à l'Est, dans le prolongement du bois de Vincennes,
qu'on retrouve les banlieues favorisées desservies par les réseaux
de Saint-Mandé, Vincennes, Fontenay-sous-Bois, Nogent- sur-Marne
et Joinville-le-Pont, jouissant pour la plupart du pittoresque des bords
de Marne. C'est encore Saint-Maur-des-Fossés, pris en étau
dans la boucle de la Marne, qui démontre de la manière la
plus convaincante le lien qui existe entre le téléphone
suburbain de 1890 et les sites de plaisance : le vieux Saint-Maur, le
parc de Saint-Maur et La Varenne-Saint-Hilaire étaient réputés
pour leurs week-ends au bord de l'eau et leurs pique-niques sur l'herbe.
La majorité des habitations de La Varenne-Saint-Hilaire étaient
des résidences secondaires réservées aux week- ends.
En somme, le schéma spatial mis en évidence
par la répartition des téléphones en 1891 n'est guère
différent de celui qu'Alan Moyer avait déjà dégagé
à propos de Boston. Le mécanisme d'extension spatiale du
téléphone est semblable dans les deux cas, même si
les densités téléphoniques n'ont aucune commune mesure
dans ces deux agglomérations : les milieux d'affaires au centre
avec le taux d'équipement le plus fort, puis
l'extension du téléphone à une première couronne
occupée par les activités industrielles, et enfin le raccordement
des résidences bourgeoises au-delà du périmètre
industrialisé. Les distances par rapport au centre (hôtel
de ville) régissant la localisation des classes laborieuses sont
à peu près identiques dans les cas bostonien et parisien
en 1890. Alan Moyer situait les habitations ouvrières dans un périmètre
distant de 2 miles (3,2 km) de l'hôtel de ville, se terminant à
3 miles (4,8 km) de ce point central. Ce qui correspondait grosso modo
aux quartiers périphériques de Paris annexés après
1860, à l'exception des arrondissements de l'Ouest occupés
par la bourgeoisie.
Cependant, la similitude entre Boston et Paris se termine
là, et les logiques spatiales divergent dès qu'il s'agit
de la localisation des classes moyennes et des catégories très
favorisées. Pour Boston, les classes moyennes se sont installées
à la périphérie de la ville, dans une zone comprise
entre 3,5 miles (5,6 km) et 6 miles (9,6 km) de distance à partir
de l'hôtel de ville. C'était la limite du service de tramway
à l'époque. Les catégories sociales très aisées
disposant de moyens de transport personnels se sont installées
au-delà de cette limite, entre 6 miles (9,6 km) et 8 miles (12,8
km) du centre- ville.
A Paris, on l'a vu, cette occupation bourgeoise de la
proche banlieue ne s'est pas produite compte tenu du manque d'attractivité
de ces zones, mis à part les bois. La petite couronne parisienne
a donc été accaparée par les activités
industrielles, les classes moyennes et aisées ayant préféré
rester à l'intérieur de Paris. Les banlieues attrayantes,
dont l'essor était déjà perceptible à
partir de la répartition des réseaux téléphoniques
de 1891, étaient presque toutes beaucoup plus éloignées
du centre que les banlieues de Boston occupées par la bourgeoisie
en 1890.
Saint-Germain-en-Laye et Marly se trouvaient à plus de 22
km de Paris, Montmorency à 19 km. Andresy, Maisons-Lafitte,
Versailles ou La Varenne-Saint-Hilaire n'étaient pas d'un
accès rapide. En les comparant avec les banlieues de Boston
en 1890, on devait effectuer presque le double de la distance pour
atteindre les zones suburbaines « chic » de Paris.
Compte tenu des moyens de transport disponibles à l'époque,
il semble irréaliste de penser que ces résidences
suburbaines pouvaient être d'un usage permanent. A la différence
des banlieues bostoniennes, où la bourgeoisie résidait
en permanence, les propriétés suburbaines de Paris
étaient probablement utilisées de manière saisonnière,
permettant aux Parisiens de s'évader à la campagne.
Le réseau parisien entre les deux guerres :
La chasse à l'abonné dans les années trente.
En accédant à l'automatique, le réseau parisien
avait été conçu avec une capacité d'accueil
supérieure au nombre réel d'abonnés qui ont
effectivement sollicité l'accès au réseau.
C'est du moins ce que laissent entendre toutes les notes de service
que nous avons pu dépouiller aux Archives, dont le contenu
peut surprendre ceux qui ont été habitués à
l'interprétation selon laquelle il existe un « malthusianisme
du téléphone français », sorte de volonté
délibérée de ne pas diffuser largement cet
outil au sein de la société française. Cette
interprétation vaut pour la période qui a suivi la
Seconde Guerre mondiale, surtout à partir de 1960, où
on a vu affluer les demandes en instance insatisfaites durant des
années. Mais, avant la Seconde Guerre mondiale, les indices
dont on dispose laisseraient plutôt croire que les PTT avaient
à faire face à une absence critique de « demande
sociale », absence encore renforcée par la crise économique
de 1929.
Ce qui nous conforte dans cette interprétation, c'est une
lettre du ministre des PTT, G. Mandel, dont on retrouve trace dans
une note de service rédigée le 27 mars 1935 par M.
Mailley, alors ingénieur en chef chargé des lignes
téléphoniques et télégraphiques de Paris
et de banlieue.
Cette note de service no 532 mentionne que le ministre déplore
l'insuffisance du nombre d'abonnés en France, d'autant plus
injustifié que l'administration a consenti de nombreux avantages
financiers à l'usager. Face à cette absence de débouchés
pour l'industrie du téléphone, le ministre ne voyait
pas d'autre action possible qu'une campagne publicitaire menée
par les agents des PTT eux- mêmes, transformés pour
la circonstance en démarcheurs du porte-à-porte !
Pour inciter le personnel à mener une propagande active auprès
du public en faveur du téléphone, le ministre propose
qu'on offre une récompense de 50 F à chaque agent
qui ramènerait un abonné supplémentaire à
l'administration. Nous rapportons ci-dessous quelques passages significatifs
de la lettre du ministre : « Vous n'êtes pas sans
savoir qu'en France le nombre des abonnés au téléphone
est lamentablement insuffisant. Le chiffre des postes en service
y atteint à peine 1.300.000 alors qu'il est outre-Rhin de
2.960.000, en Angleterre de 2.109.000 et aux Etats-Unis de 17.426.000.
Cependant, le prix de l'abonnement
au téléphone n 'est pas plus élevé chez
nous qu'ailleurs. Et, par sucroît, l'Administration consent
depuis quelques temps aux abonnés de très nombreux
avantages tels que la fourniture gratuite de la ligne, la location
des appareils à un tarif réduit (...) Mais, faute
d'un sérieux effort de propagande, la plupart de ces avantages
sont restés ignorés de la plus grande partie du public
(...) J'ai donc décidé défaire désormais
appel aux agents des PTT pour entreprendre cette propagande nécessaire.
Aussi vous prierais-je d'attirer leur attention sur la note de service
ci-jointe et de leur dire qu'en retour du surcroît d'effort
qui va leur être demandé, l'on allouera une rémunération
de 25 ou de 50 francs à tout fonctionnaire ou agent qui procurera
un nouvel abonné. »
On est ici bien loin d'une politique malthusienne.
Les incitations de l'administration allaient jusqu'au raccordement
gratuit, ce qui ne se reproduira plus dans la période contemporaine.
D'autre part, il est intéressant de noter que la récompense
accordée pour la « chasse à l'abonné
» était de 25 F pour la province et 50 F pour Paris,
ce qui dénote un manque à gagner important pour le
réseau parisien.
D'autres notes de service confirment que le
réseau parisien était loin d'être saturé.
Lorsqu'en 1930 se pose le problème de l'automatisation du
réseau de Paris (celui de Nice avait été le
premier à bénéficier de l'automatique en 1922,
le programme prévu avait laissé une marge de croissance
suffisante entre la capacité future du réseau et l'évolution
du nombre d'abonnés qui avait jusqu'alors doublé tous
les 10 ans depuis 1909.
Le programme d'automatisation prévoyait d'accueillir 500.000
abonnés en 1936 dans 42 centraux, alors que le nombre d'abonnés
à Paris était de 186.365 en 1931.
A partir de cette date le téléphone
en France entre dans une période de stagnation qui durera
jusqu'en 1952.
Les causes immédiates sont évidentes : la crise économique
et la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il faut ajouter
les options du Premier Plan qui occultèrent les télécommunications
de leur objectif premier, le redémarrage de la France.
On connaît la suite du scénario : en 1968, le taux
d'équipement téléphonique des ménages
français était de 15 % ; en 1980, il atteignait 80
%.
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sommaire
- Le Calvados
TOURISME BALNÉAIRE ET
TÉLÉPHONE DANS LE CALVADOS 1880 - 1914 Yves
Lecouturier
Quoi de plus naturel de nos jours de téléphoner
pour réserver son séjour dans un lieu de vacances. Mais
à la fin du siècle dernier et au début du XXe siècle,
le tourisme balnéaire affirmait son développement tandis
que le téléphone balbutiait. C'est sous la Restauration
que naît la pratique des séjours à la mer et celle-ci
se développe sous le Second Empire sous l'impulsion de la bourgeoisie
d'affaires et avec l'apparition du chemin de fer. Gabriel Désert
écrit qu'en 1894 « la Côte Fleurie a dès lors
une situation ferroviaire privilégiée qui est, sans aucun
doute, l'un des éléments de la prospérité
qu'elle connaîtra à la fin du siècle ».
A cette époque, en dehors de quelques lignes d'intérêt
privé fonctionnant en circuit fermé, le téléphone
est quasiment inexistant. Aussi le développement du tourisme balnéaire
va-t-il être particulièrement déterminant quant à
l'établissement du réseau téléphonique calvadosien.
Les premiers circuits
Le premier circuit est destiné à
joindre le littoral, mais dans un but uniquement pratique.
En juillet 1885 est établi un circuit téléphonique
destiné à desservir le canal de Caen à la mer «
pour régler les départs des navires et leur croisement dans
la gare de Blainville, ainsi que les manuvres d'eau en temps de
crues de l'Orne ».
Cette ligne de 14 200 mètres installée pour le compte de
la Société de Navigation n'est en fait qu'une longue ligne
d'intérêt privé. La ville de Caen est dotée
d'une réseau téléphonique d'Etat en 1886 mais il
faut attendre 1890 pour que la ligne Caen-Ouistreham-port soit ouverte
aux abonnés du réseau caennais. C'est aussi dans un but
privé qu'est établie en juillet 1891 une ligne de 9 kilomètres
« dont l'usage a été demandé par la société
des établissements Decauville aine pour les besoins de l'exploitation
du chemin de fer de Luc à Ouistreham ».
La première liaison interdépartementale
est réalisée en 1891 : Trouville « la reine des plages
» et Honfleur sont les deux premières communes du département
reliées à Paris en transitant par Rouen : un circuit Rouen-Paris
est établi en 1887 et le circuit Trouville-Honfleur-Rouen en juin
1891. Cette liaison est fort bien accueillie. Dès le 20 août
1891, le Directeur Départemental des Postes et Télégraphes
s'adresse au Préfet : « Par suite de l'inauguration récente
du circuit téléphonique Rouen-Trouville, des demandes se
produisent de personnes habitant Trouville momentanément tendant
à obtenir d'avoir leurs habitations reliées telephoniquement
au bureau des Postes et Télégraphes de cette localité
en vue de se procurer la facilité de communiquer directement de
chez elles avec les réseaux de Rouen et de Paris ». L'unique
cabine ne suffisant plus, un réseau local est nécessaire.
Arguant de cette situation, le Directeur Départemental sollicite
un arrêté préfectoral pour exécuter ces travaux
rapidement malgré l'avancement de la saison. Dès le lendemain
le Préfet donne son accord. Dans les années suivantes, le
besoin de communiquer s'affirme davantage et les villégiaturistes
éprouvent de plus en plus l'incommodité du transit par Rouen.
Un développement continu
II faut attendre 1897 pour que le Conseil Général
étudie un projet de réseau téléphonique départemental
et constate lors de sa session d'août que le « Calvados est
très en retard pour la création de ce nouvel agent de communication
rapide». Sous l'impulsion du député de Caen, Georges
Lebret, et d'un comité animé par des commerçants,
le projet de circuit Caen-Paris prend forme. Quelques lignes interdépartementales
sont envisagées : Caen-Bayeux, Caen-Lisieux et Caen-Trouville.
En juillet 1897 le Journal de Caen plaide pour la construction d'un circuit
CatH-Luc avec rattachement de toutes les stations balnéaires de
Courseulles à Ouistreham. Mais l'hésitation des notables
locaux, pour qui « on ne paraît s'être préoccupé
que de l'intérêt de Caen », limite le projet à
quelques circuits. Deux bailleurs de fonds, le comte Foy et le baron Gérard,
tous deux conseillers généraux, apportent au département
les 197 000 francs nécessaires et le Conseil Général
vote sa participation au paiement de l'intérêt.
Le premier semestre 1898 voit ainsi la mise en service du circuit Caen-Paris
et des trois circuits calvadosiens, le dernier, Caen-Trouville étant
ouvert au service public le 13 juin. Des initiatives privées, mais
avec l'aval du Conseil Général, font naître des circuits
Trouville-Deauville, Trouville-Cabourg, Trouville- Villers-sur-Mer et
Cabourg-Beuzeval.
agrandir
Lors de la session d'août 1899, le Conseil Général
est saisi d'un projet de création d'un réseau téléphonique
départemental par le Sous-Secrétariat d'Etat aux Postes
et Télégraphes : « la France n'a pas jusqu'ici profité,
aussi largement que ses voisins, des facilités nouvelles qu'offre
ce merveilleux moyen de communication pour les relations d'affaires et
de famille ». Quant au financement, l'Administration propose la
participation du Conseil Général « dans une large
mesure », des Chambres de Commerce, des Compagnies de Chemin de
Fer de l'Ouest et de Caen à la mer, « en raison des intérêts
qu'elles ont dans la région du littoral », des Caisses d'Epargne
et de Groupements de Souscripteurs.
Le plaidoyer de dix pages de l'Administration conclut en soulignant que
« les réseaux déjà existants seront beaucoup
plus productifs après l'établissement du réseau départemental
». Le rapporteur, Charles Paulmier, tout en reconnaissant que le
projet est séduisant, objecte que l'extension rapide du réseau
risque, « au lieu d'améliorer les communications de départ,
de compromettre celles que nous possédons à l'heure actuelle.
Déjà actuellement, pendant la saison des bains de mer, les
lignes sont tellement encombrées que les communications sont en
fait virtuellement supprimées... Dans ces conditions, on peut se
demander, avec un certain effroi, ce qu'il adviendrait le jour où,
au lieu de dix centres téléphoniques dans le Calvados, il
y en aurait 60 ou 80 ». Si le principe d'un second circuit Caen-Paris
et de circuits reliant les stations balnéaires situées à
l'ouest de l'embouchure de l'Orne est admis, le reste du projet est mis
à l'étude, mais est refusé à la session d'avril
1900. Le rapporteur conclut ainsi : « s'il faut du téléphone,
pas trop s'en faut : si l'abondance des communications provenant de l'augmentation
des postes téléphoniques rendait illusoire le service à
attendre des lignes actuelles, ce serait une fois de plus le cas de constater
que le mieux est l'ennemi du bien ». Ainsi le conversatisme du Conseil
Général ne pare qu'au plus pressé. En 1901, les communes
balnéaires retenues font officiellement leur demande, Saint-Aubin-sur-Mer
justifiant ainsi la sienne : « le Conseil municipal considère
que l'installation du téléphone ne peut qu'augmenter la
prospérité de Saint-Aubin en offrant aux baigneurs de nouvelles
facilités de communication avec Paris, Rouen et Le Havre ».
Le 1er août 1902 sont mis en activité les réseaux
de Luc, Bernières et Courseulles ainsi que les circuits Caen-Luc,
Luc-Bernières et Bernières-Cour- seulles. Quinze jours plus
tard suivent les réseaux de Saint-Aubin, Langrune, Lion, Ouistreham
et La Délivrande, ainsi que les circuits
La Délivrande-Luc, Saint- Aubin-Langr une-Luc et Ouistre- ham-Lion-Luc
Le comte Foy et le baron Gérard financent à nouveau tout
ce programme. Le désenclavement du littoral se poursuit grâce
à des initiatives privées.
Eh 1903, le maire de Villerville finance le réseau local et un
circuit avec Trouville, le maire d'Houlgate finance le circuit Caen-Cabourg
et la Chambre de Commerce d'Honfleur un deuxième circuit Honfleur-Rouen.
Enfin, en 1905, les villes de Deauville et de Trouville, cette dernière
ayant refusé de la faire seule en 1903, financent l'indispensable
circuit Trouville-Paris. En dépit de la réserve des notables
calvadosiens, mais sous la pression des villégiaturistes et des
commerçants pour qui la saison balnéaire cause nombre de
désagréments en juillet 1903, le sucrier Albert Bouchon,
de Nassandres, se plaint d'attendre de 2 à 4 heures pour téléphoner
à Caen le littoral calvadosien apparaît mieux équipé
en 1905 que le reste du département : 36 % des 569 abonnés
se situent sur le littoral.
Une extension nécessaire
En ce début du XXe siècle,
la situation du téléphone est loin d'être satisfaisante.
Le Conseil Général, en mai 1905, constatant qu' «
actuellement les communications téléphoniques laissent beaucoup
à désirer » et que « la cause du malaise constaté
réside dans l'insuffisance des débouchés »,
décide enfin d'étudier sérieusement un projet de
réseau départemental. Le projet adopté par le Conseil
Général est ambitieux puisqu'un emprunt de 1 106 147 francs
est nécessaire. Il concerne la création de 61 circuits départementaux,
le rachat de tous les circuits existants et non encore remboursés
par l'Etat au moyen des produits, et l'établissement de six circuits
interdépartementaux. Après une année de débats
et de discussions, le Conseil Général adopte, en août
1906, le projet définitif, n'objectant qu'une remarque : «
que les travaux ne viennent pas apporter une perturbation déplorable
dans le service téléphonique à l'époque de
la saison balnéaire, ainsi que cela a lieu en ce moment ».
Ces travaux touchent l'essentiel du département et sur le littoral
apportent le téléphone au-delà de Courseulles. En
effet, dès août 1906, Arromanches en transitant par Ryes
est relié à Bayeux. Isigny et Grandcamp suivent en octobre
1907, Blonville en janvier 1908, Asnelles, Ver-sur-Mer et Vierville en
juin 1908 et Sallenelles en mars 1909. Après Caen. Trouville est
un important centre téléphonique : déjà reliée
à Rouen, Paris, Caen et aux localités voisines, la «
reine des plages » est reliée à Honfleur par un circuit
particulier et à Pont-1'Evêque en juillet 1909. En septembre,
un second circuit avec Deauville est mis en service. En décembre
sont terminés les circuits Caen-Hermanville et Varaville-Cabourg.
Ainsi, en 1910, les cités balnéaires en vogue peuvent toutes
être atteintes téléphoniquement.
Mais la qualité du service laisse tant à désirer
que Trouville, en 1908, réclame un second circuit vers Paris constatant
que « la ligne unique actuellement existante est impuissante à
répondre aux exigences de la saison des bains de mer » :
une enquête de 1907 attribuait une fréquentation de 60 000
personnes à Trouville et de 20 000 à Deauville. Du fait
d'un Conseil Général conservateur et économe, ce
projet n'aboutit qu'en 1911 et encore avec les concours des municipalités
de Deauville et Trouville et de la Chambre de Commerce de Honfleur.
En 1910, les circuits Caen-Cabourg 2 et Caen-Courseulles sont réclamés,
ce dernier « étant destiné à enlever à
la voie Caen-Luc un trafic par trop intensif pendant la saison balnéaire
» et permettant l'amélioration des relations entre Luc, Saint-Aubin,
Bernières, Courseulles et Ouistreham.
Nous ne possédons que quelques résultats
financiers du quatrième trimestre 1905 au troisième
trimestre 1909 mais ceux- ci sont suffisamment éloquents.
Quatre pointes sont perceptibles sur le graphique et concernent toutes
les quatre le troisième trimestre, c'est-à-dire celui de
la saison balnéaire. Si en 1906 la pointe reste limitée,
en revanche, les années suivantes sont exemplaires : en 1907 et
1908, les produits du troisième trimestre représentent le
tiers des produits annuels. La croissance des troisièmes trimestres
est plus forte en 1907 que la croissance annuelle, mais à partir
de 1908, du fait de l'extension du réseau départemental,
la croissance annuelle l'emporte.
L'avènement de Deauville
Deauville, sous l'impulsion du directeur
du casino, Eugène Cornuché, se développe rapidement
et, en 1913, double Trouville. Cet avènement se traduit sur le
plan téléphonique par la multiplication des circuits au
départ de Deauville. Depuis septembre 1909, deux circuits relient
les deux rivales. En octobre 1911, deux nouveaux circuits sont projetés
à cause de nombreux et importants retards dans l'établissement
des communications. Ils sont mis en service le 16 août 1912. Parallèlement
Deauville réclame un circuit vers Paris. Dans une délibération
du Conseil municipal du 12 novembre 1911, le maire « renouvelle
sa proposition d'avancer la somme de 200 000 francs à l'Etat pour
la construction immédiate d'un circuit direct Deauville-Paris qui
est absolument indispensable pour assurer un service régulier donnant
satisfaction aux abonnés ». Le Conseil Général
donne son accord et les travaux commencent au printemps 1912. Mais des
retards apportés dans la construction entraînent une protestation
du Conseil municipal, soutenue par la Société des Courses.
Celle-ci, qui a souscrit pour 42 000 F dans le projet, avance «
la grande affluence du monde cette année
à Deauville, ce qui va rendre très difficile (on peut dire
presqu'impossible) les communications entre Deauville et Paris ».
Enfin le 10 mai 1913, le circuit est mis en service.
Désormais tous les nouveaux circuits partent de
Deauville : en octobre 1913, le Conseil Général donne un
avis favorable pour l'établissement de circuits de dégagement.
« dont la construction est nécessitée par le développement
du trafic de Deauville », en direction de Rouen, Cabourg et Villers-sur-Mer
; les circuits 5 et 6 avec Trouville sont aussi projetés. L'Administration
des Postes et Télégraphes peut ainsi répondre sur
les conditions d'exécution du service téléphonique
pendant la saison balnéaire : « il a été reconnu
nécessaire de libérer Deauville de l'intervention de Trou-
ville et pour ce faire de la doter de plusieurs voies directes de dégagement
». Le succès de Deauville est si rapide qu'un second circuit
en direction de Paris est nécessaire. Lors de la session du Conseil
Général, en avril 1914, le Préfet justifie aussi
cette demande : « afin de remédier autant que possible à
l'encombrement qui se produit à certains moments à Deauville
pendant la saison balnéaire, le service des Postes a, depuis votre
dernière session, saisi mon administration d'un projet de création
d'un deuxième circuit Paris-Deauville ». La ville de Deauville
ayant, comme à son habitude, pris en charge la totalité
de l'annuité, le Conseil Général donne son autorisation,
précisant qu' « il serait d'un grand intérêt
que ces travaux fussent exécutés avant l'été
». Du fait de la guerre, la construction de ce circuit n'interviendra
qu'en 1921.
Les nouveaux besoins
Ces besoins ne concernent pas tant de nouveaux circuits
que l'amélioration des circuits existants. Rapidement saturés
pendant la saison balnéaire, certains doivent être doublés,
ainsi Trouville- Paris en 1912. En novembre 1912, le Conseil municipal
de Cabourg réclame un deuxième circuit en direction de Caen
: « la création d'un doublement de l'unique circuit Caen-Cabourg
améliorera considérablement nos relations avec les environs
et même avec Paris et la ville de Caen pourra nous être donnée
avec quelques minutes d'attente au lieu de 3 ou 4 heures comme cela est
arrivé pendant la saison balnéaire ». Ce second circuit
est mis en service le 10 juillet 1913. La pression de la saison balnéaire
est constamment déterminante. Alors que la participation de la
ville de Caen était sollicitée pour les circuits Caen-Cabourg
2 et Caen-Lisieux 2, un conseiller caennais s'exclamait : « cela
profitera surtout aux baigneurs ». Bayeux, en 1911, réclame
le doublement de son circuit vers Caen, l'unique devant faire face pendant
la saison estivale « à un trafic particulièrement
actif».
Afin de soulager le circuit Caen-Luc, un circuit Caen-Cour-
seulles est demandé en 1912 « pour éviter l'encombrement
qui, pendant la saison estivale, rendait très difficiles les communications
et donnait lieu à de nombreuses et justes réclamations de
la part des abonnés et du public ». La Chambre de Commerce
de Caen et les villes de Caen, Courseulles, Saint- Aubin-sur-Mer et Bernières
participent au service de l'annuité, mais Luc refuse préférant
la solution du doublement du circuit Caen-Luc « qui rendrait de
très grands services à toutes les stations de Ouistre- ham
à Courseulles indistinctement ». Caen-Courseulles est mis
en service le 20 mai 1913. Quelques circuits consacrent l'existence de
nouvelles cités balnéaires : en 1913 Houlgate est reliée
à Cabourg et à Villers-sur-Mer, et cette dernière
à Blonville. En août 1912, le Conseil Général
examine un nouveau projet d'extension du réseau départemental
: sur les 62 circuits projetés, un seul concerne le littoral (Merville-Cabourg).
Ce projet démontre que le littoral calvadosien a bénéficié
du téléphone bien avant le reste du département.
Si Deauville et Trouville sont les deux principaux centres
balnéaires, les localités situées entre Bernières
et Ouistreham n'en sont pas moins actives. En août 1912, c'est-à-dire
en pleine saison, le Conseil municipal de Ouistreham réclame un
circuit direct avec Caen car « il est presqu'impossible aux abonnés
du téléphone de profiter de leur abonnement à cause
de la longueur de temps mise à leur donner la communication avec
Caen ». En juin 1913, le Directeur départemental plaide pour
un circuit Bénouville- Ouistreham « cette dernière
localité étant en situation particulièrement défavorable
pour l'écoulement de son trafic téléphonique ».
En juin 1914, il propose une réorganisation technique « en
vue de faciliter l'exploitation des divers circuits téléphoniques
dont l'établissement est prévu ». Les réseaux
de Courseulles, Bernières, Saint-Aubin, Langrune et Luc sont groupés
de façon à constituer des communications directes : Caen-Bernières-Cour-
seulles, Caen-Langrune-Saint-Aubin, Caen-Luc 1 et 2, Courseulles- Bernières-Saint-
Aubin et Saint- Aubin-Langrune-Luc. La même lettre propose les circuits
Caen-Bénouville-Ouistreham, Villers-sur- Mer-Blonville-Trouville
et Cabourg-Houlgate- Villers-sur-Mer.
A la veille de la Première Guerre Mondiale, chaque
station balnéaire dispose d'au moins un circuit direct ou indirect
avec Caen. Les stations les plus fréquentées, Deauville
et Trouville, sont directement reliées à Rouen et Paris.
Les abonnés du littoral représentent plus du tiers des abonnés
du département. En 1905, Trouville et Deauville possèdent
95 abonnés et Caen 187, mais en 1914, les deux cités balnéaires
comptent 537 abonnés et Caen 601. Le nombre d'abonnés de
la Côte Fleurie est multiplié par cinq entre 1905 et 1914
alors que celui du département ne l'est que par 4,4. Les effectifs
augmentent rapidement, mais la qualité de service
apparaît mauvaise, voire déplorable. Ainsi lors de la session
du Conseil Général, en octobre 1912, le Préfet propose
de nouvelles lignes « pour faire face au surcroît de trafic
qu'elles ne suffisent plus à assurer » constatant «
une insuffisance à peu près générale ».
Chaque nouvelle demande est presque toujours justifiée par l'impossibilité
d'écouler le trafic pendant la saison balnéaire : la durée
d'attente pour Paris varie de 3 à 5 heures, voire plus ! En 1914,
l'équipement téléphonique du littoral calvàdosien
existe, mais sa situation reste fragile : beaucoup reste à faire
pour améliorer le réseau. Le téléphone s'est
développé sous la pression des villégiaturistes et
des commerçants locaux, mais aussi avec le concours obligatoire
des notables conservateurs du Conseil Général.
Yves LECOUTURIER
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sommaire
Les premiers développements du téléphone
en Lorraine (1885-1914) Jean-Paul Martin
Le téléphone apparaît en France
vers 1880 dans un environnement économique, socio-culturel
et politique peu favorable à son adoption.
Après 10 années de gestion libérale et d'expérimentation
sociale, les préventions qui accompagnent l'arrivée
de toute innovation, tournent en France au plus complet blocage.
Le téléphone est nationalisé mais l'Etat refuse
de le financer et confie son avenir aux notables locaux. Ce sont
eux, par leurs avances, qui financent tes équipements et
mettent en uvre le développement au réseau.
Mais les notables locaux, par absence de besoins pu par crainte
de ne pouvoir le contrôler, ont, semble--il, freiné
la diffusion du téléphone en
refusant de consentir des avances importantes à l'Etat.
Qu'en a-t-il été en Lorraine où, à
l'exception de quelques bureaux militaires ouverts au public et
des liaisons internationales de voisinage établies avec l'Alsace-Lorraine,
les lignes et les réseaux construits avant 1914 ont été
financés par les particuliers et ies collectivités
locales ?
Après avoir précisé les conditions de financement,
on s'interrogera sur l'attitude des notables lorrains et les choix
qu'ils ont fait en matière de développement du réseau
téléphonique.
On examinera ensuite la diffusion du téléphone dans
la région, ses modalités, son intensité et
ses freins, en soulignant en quoi les processus de diffusion sont
révélateurs de grands courants d'échanges et
des horizons spatiaux de la vie de relations en Lorraine à
la fin du siècle dernier.
Nous n'avons pas étendu nos recherches au département
de la Moselle, annexé depuis 1871, où c'est l'administration
allemande, et non les collectivités locales, qui a pris en
charge la construction du réseau téléphonique.
I Le mode de financement : le téléphone
entre les mains des notables locaux
1. Les avances remboursables
En 1889, après 10 années d'expérience libérale
où l'on voit coexister concessions privées et réseaux
d'état, le téléphone en France est nationalisé.
La loi de nationalisation dote le téléphone d'un statut
juridique stable en le confiant à l'administration récemment
fusionnée des Postes et Télégraphes, mais son
avenir n'est pas assuré pour autant car il lui manque ce
qui a fait la fortune du télégraphe électrique
: une mise de fonds initiale importante et un plan de développement
suivi à moyen ou long terme. En effet, la loi ne prévoit
aucun crédit d'état pour financer te téléphone.
Ce sont les particuliers, les chambres de commerce, les villes et
les départements qui font à l'Etat l'avance des sommes
indispensables à la construction du réseau.
De son côté, l'Etat se charge de construire, d'exploiter
et d'entretenir les lignes dont les recettes servent à rembourser
les avances consenties. Après remboursement, l'ensemble des
installations reste la propriété de l'Etat.
Un autre décret de 1891 va dans le même sens : c'est
aussi par avances de fonds que seront financés les circuits
interurbains.
2. Les modalités d'application
Dans les 10 années qui suivent la nationalisation, des conventions
particulières sont passées avec l'administration pour
la construction de circuits interurbains et l'installation de réseaux
dans les communes qui en font la demande.
Le téléphone se diffuse lentement et sans plan d'ensemble.
Le réseau général s'organise autour de quelques
grandes lignes reliant Paris et les principales villes de province
(Lille, Lyon, Marseille, Toulouse, Rennes,
Nantes, Rouen et Nancy).
Entre les branches de ce réseau étoile s'amorce, au
gré des initiatives locales, la construction des premiers
réseaux départementaux.
Vers 1889, d'après l'enquête effectuée par le
Secrétariat des Postes (1), l'installation de réseaux
téléphoniques est en cours dans 18 départements
situés pour la plupart dans le Nord, la Région Parisienne
et la Basse-Normandie.
(1) « Le grand réseau téléphonique
», Le Journal de Montmêdy, 21/9/1899. L'article entrevoit
pour le téléphone en France un avenir radieux...
Partout ailleurs, les réseaux départementaux restent
à l'état de projet ou sont carrément repoussés
comme dans la Manche, lé Finistère, les Côtes-du-Nord,
la Vendée et les Basses-Alpes.
Conscient du risque d'une croissance anarchique,
l'Etat se tourne vers le Département et décide en
1900 d'en faire son unique interlocuteur.
Celui-ci reprend à son compte les avances anciennes, affecte
les recettes au remboursement des premiers prêteurs et entreprend
la réalisation du réseau départemental. Désormais,
les extensions du réseau font l'objet de programmes annuels
comprenant la liste des localités à rattacher, les
circuits de jonction à construire et les réseaux d'abonnés
à ouvrir dans les communes.
Mais le mode de financement par avances remboursables demeure inchangé
: c'est le Département qui se charge d'avancer les sommes
nécessaires à la réalisation des programmes
d'équipement, non. pas sur son propre budget, mais à
l'aide d'emprunts dont le capital est amorti par les recettes d'exploitation
que l'Etat lui reverse chique année.
Le mode de remboursement ne tient pas compte des différences
de productivité entre les lignes. Les recettes dés
circuits interurbains et interdépartementaux qui sont de
beaucoup les plus productifs, peuvent être affectées
à la construction des lignes locales généralement
déficitaires. En définitive, seuls les intérêts
des emprunts restent à la charge des intéressés
dans des proportions variables selon les départements.
En Meuse, les communes en supportent les 2/3 et le Département
1/3.
Les Vosges et la Meurthe-et-Moselle ont adopté la même
répartition ; communes 60 %, CCI. 15 %, Département
25 %.
La construction de réseaux d'abonnés dans les communes
est financée par les municipalités et les postes téléphoniques
installés chez les particuliers mis au compte des abonnés
eux-mêmes. Dans le régime de l'abonnement à
forfait qui se pratique dans les villes de plus de 25 000 habitants,
les particuliers doivent se procurer les appareils de transmission-réception
et payer l'installation de la ligne reliant le poste au central
de la localité.
Le montant élevé des abonnements et les taxes perçues
sur les conversations font du téléphone un moyen de
communication relativement cher (2).
(2) Les abonnements sont de 2 types :
- 1) à forfait dans les grandes villes où les appels
locaux ne sont pas décomptés (abonnement annuel de
200 F). Les communications locale» sont gratuites,
- 2) à conversations taxées (abonnement annuel dégressif
: ; 160 F la première année, 40 F la '& année
et les suivantes). Une1 taxe de 10 centimes est perçue sur
les communications locales. Les taxes interurbaines augmentent avec
la distance : 0,40 F sur les communications à destination
des autres abonnés du département, 0,50 F pour les
départements limitrophes, 1,25 F pour Paris par unité
de 3 minutes, en 1907, dans les Vosges.
Par le mode de financement qu'il a mis en place,
l'Etat a confié l'avenir du téléphone aux notables
locaux.
Or ceux-ci n'ont pas fait d'avances massives pour financer la construction
du réseau.
3. Les notables locaux et le financement du téléphone
Pour J. Attali et Y. Stourdze (3), c'est
la principale raison de la lente percée du téléphone
en France.
L'Etat, disent-ils, a remis le téléphone aux notables
locaux parce qu'ils géraient déjà les problèmes
de communication à l'échelon local.
Leur monopole en matière d'information s'appuyait sur la
presse locale dont on sait qu'elle a connu à la fin du siècle
dernier une très large diffusion grâce aux tarifs préférentiels
de la poste. Il semble que les notables locaux n'aient pas eu besoin
du téléphone.
Mais les auteurs vont plus loin en soulignant que les notables avaient
tout à craindre de lui. En tant que mode de communication
directe de personne à personne, le téléphone
venait en effet court-circuiter les canaux traditionnels de transmission
de l'information.
Par leur refus d'avancer des sommes importantes, les notables locaux
ont exprimé leur crainte de voir le téléphone
affaiblir leur rôle de relais et de « filtres institutionnels
» vis-à-vis de la population. Aussi en ont-ils freiné
la diffusion et restreint son usage aux seuls milieux des affaires.
Contrairement à ce qu'on observe en Amérique du Nord
et dans d'autres pays européens où le téléphone
se répand très tôt dans les couches moyennes,
le téléphone en France demeure un moyen de communication
au service des entreprises et de l'administration.
Dans un autre ouvrage consacré à l'histoire des télécommunications
en France, C. Bertho (4) en arrive aux mêmes conclusions pour
la période qui nous intéresse. Les notables locaux
se sont montrés particulièrement réservés,
sinon réticents, à l'égard du téléphone.
(3) Attali J., Stourdze Y. : « The birth of the téléphone
on économie crisis : the slowdeath of the monologue in French
Society». In Pool (Ithiel de Sola) Ed. The social impact of
the téléphone, M.I.T. Press, 1977, 502 p. et Stourdze
Y. : « Généalogie des Télécommunications
françaises » in C.N.E.T.- E.N.S.T. : Les réseaux
pensants, Télécommunications et Société.
Masson, Paris, 1978.
(4) Bertho C. : Télégraphes
et Téléphones, de Valmy au microprocesseur. Le Livre
de Poche, Paris, 1981, 540 p.
II. Le développement du téléphone en
Lorraine entre 1885 et 1914
Pour reconstituer les premiers développements
du réseau téléphonique en Lorraine, nous avons
relevé année par année dans les archives de
l'administration des Postes et les Recueils des Actes administratifs
départementaux les données suivantes :
le nombre d'abonnés : indicateur
de croissance,
les communes dotées du téléphone
; indicateur de la diffusion spatiale,
les recettes téléphoniques
: critère indirect du volume de trafic,
les circuits de jonction : critère
indirect de la répartition géographique du trafic.
Ces données traitées de manière
synchronique (graphiques d'évolution) et diachroriique (cartes
de la diffusion du téléphone et de l'organisation
des circuits) permettent de reconnaître trois phases dans
le développement du réseau téléphonique
en Lorraine entre 1885 et 1914.
1. La phase « expérimentale » : le réseau
urbain de Nancy (1885-1892)
Le téléphone fait son apparition
en Lorraine vers 1883 sous forme de lignes privées installées
dans les établissements industriels.
En fait, la création d'un réseau interconnecté
et fondé sur le principe de la location du service date de
1885 avec la mise en service à Nancy d'un réseau local
comptant 87 abonnés.
Parmi les souscripteurs, on relève une majorité d'entrepreneurs
industriels, de grossistes et de représentants du commerce.
Ce premier réseau construit et exploité par l'administration
des Postes se développe régulièrement : 143
abonnés en 1888 et 176 en 1891.
Mais il sera le seul à fonctionner dans la région
jusqu'en 1892.
Le coût de l'installation, le montant des abonnements et les
restrictions d'usage imposées par la réglementation
n'incitent guère les autres villes à suivre l'exemple
de Nancy. Mais c'est surtout l'impossibilité de téléphoner
en dehors du réseau local qui en limite l'intérêt.
Avant 1890, tes circuits interurbains sont rares et coûteux.
Il se pose au pkm technique des problèmes d'affaiblissement
et pour que la voix soit encore intelligible à longue distance,
il faut utiliser des fus de cuivre de gros diamètre.
C'est à l'intérieur des grandes agglomérations
urbaines que le téléphone révèle toute
son utilité. Aussi le réseau téléphonique
français est-il constitué à l'origine d'une
poussière de réseaux locaux.
Les propos tenus par H. Boucher en août 1982 devant ses collègues
conseillers généraux du département de Vosges
le soulignent clairement (5). Dans une région comme le Nord
de la France, dit-il, on peut commencer par créer des réseaux
urbains disposant d'une autonomie de communications.
Mais dans les Vosges, Epinal et Saint-Dié n'ont pas suffisamment
d'importance pour justifier la création d'un réseau
local.
Ce qu'il faut, c'est relier les villes entre elles. Et il conclut
: «Votre programme est tout tracé par les nécessités
locales ». Un mois plus tard, en septembre 1892 est inaugurée
la première liaison téléphonique entre Paris
et la Lorraine.
La possibilité d'obtenir des communications rapides
avec la capitale intéresse lés industriels et les
CCI. de la région.
Avec parfois l'appui financier des municipalités et des conseils
généraux, les milieux d'affaires se lancent dans l'aventure
du téléphone.
(5) Recueil des Actes administratifs du Département des
Vosges. Session d'août 1892, p. 388-389.
2. La phase « d'innovation » (1892-1900)
Entre 1892 et 1900, une quarantaine
de conventions particulières sont passées avec l'Etat
pour la construction de circuits interurbains et l'ouverture de
réseaux d'abonnés dans les communes qui se présentent.
Parmi les signataires, on relève les CCI. de Nancy et Epinal
qui ont joué un rôle d'impulsion décisif dans
la construction du circuit Paris-Nancy-Epinal. Ce sont elles qui
prennent l'initiative du projet en collaboration avec la CCI. de
Paris et contribuent à la majeure partie de son financement.
On trouve aussi parmi les signataires un grand nombre de particuliers
et d'entreprises : EVRARD à Lunéville, BARON DE TURCKHEIM,
industriel à Blâmont, le COMPTOIR MÉTALLURGIQUE
DE LONGWY, la CRISTALLERIE DE BACCARAT, la BRASSERIE DE VÉZELISE,
VARIN-BERNIER, banquier à Bar-le-Duc, GROSDIDIER, maître
de forge à Commercy, RIVART à Stenay et Montmédy,
la SOCIÉTÉ DES EAUX à Vittel, la SOCIÉTÉ
COTON- NIÈRE DE L'EST à Vincey, des groupes d'industriels
à Granges et Gérardmer, etc.
Dans les Vosges, ces initiatives sont soutenues par
le Conseil Général qui, 10 ans avant la Meurthe-et-Moselle
et la Meuse, vote une subvention annuelle de 10 000 F pour inciter
les municipalités à se doter du téléphone
et se relier à Epinal.
Les municipalités urbaines et les petits centres textiles dont
les conseils municipaux sont dominés par le patronat local
répondent favorablement et votent les avances nécessaires
à l'installation d'un réseau local. Il faut voir dans
cette convergence d'initiatives l'explication de l'avance prise par
le département des Vosges avant 1900 :

Tableau I. - L'état d'avancement du réseau téléphonique
en Lorraine en 1899
Dès 1895 et mieux encore en 1900, on observe
dans les Vosges l'amorce d'un réseau départemental
centré sur Epinal et déjà réticulé
au plan local (carte des circuits téléphoniques en
1900).
Il se compose de 28 réseaux, locaux dont là plupart
réunissent un petit nombre d'abonnés : 2 à
Granges, 6 à Senones et Val-d7Ajol, 9 à Mirecourt,
24 à Remiremont, 44 à Saint-Diér et 70 à
Epinal en 1897.
La réticulation du réseau ne fait que reproduire la
dispersion des -établissements industriels dans les vallées
de la Meurthe et de la Moselle.
En Meuse et en Meurthe-et-Moselle, tous les réseaux ouverts
avant 1900 ont été financés à l'aide
de fonds privés : ceux de Toul et Lunéville entrent
en service en 1892, dès l'ouverture du circuit de Paris,
avec respectivement 14 et 25 abonnés.
Celui de Vézelise fonctionne l'année suivante avec
4 abonnés. Viennent ensuite Pont-à-Mousson en 1895,
Longwy en 1897, puis Blâmont, Baccarat et Bayon en 1899. A
cette date, deux 'autres réseaux sont en construction à
Frouard et Champigneulles.
Ces réseaux qui comptent peu d'abonnés lors de leur
ouverture se développent lentement et, en 1899, le réseau
urbain de Nancy (416 abonnés) regroupe les 4/5 de tous les
abonnés au téléphone de Meurthe-et-Moselle.
Dans la Meuse où le démarrage intervient plus tardivement,
toujours à Finitiative d'entrepreneurs locaux, le développement
du réseau se fait en ordre dispersé. Les six réseaux
construits entre 1895 et 1899 ne sont pas reliés entre eux
niais avec des villes des départements limitrophes qui leur
donnent accès au réseau général : Bar-le-Duc
à Châlons-sur-Marne et Nancy (via le bureau de Toul),
Verdun à Sainte-Menehould, Stenay et Montmédy à
Carignari et les Ardennes, Commercy à Toul et Vau- couleurs.
Durant cette phase où le rôle d'impulsion
est laissé aux particuliers, ce sont les milieux d'affaires
qui sont les vecteurs de diffusion du téléphone. Celui-ci
se diffuse lentement au gré des, initiatives locales et sa
croissance n'est pas encore suffisamment forte pour que s'accusent
les disparités intrarégionales. Une demande potentielle
existe soutenue à la fin du siècle dernier par une
forte croissance des activités industrielles et commerciales,
mais les milieux d'affaires, à l'exception des industriels
vosgiens, n'ont pas réussi à faire passer leurs demandes
auprès des instances départementales.
En 1900, l'Etat remet le téléphone entre les mains
des conseillers généraux en les chargeant de mettre
en uvre les programmes d'extension du réseau.
3. La phase « d'adoption » (1900-1914)
Trois traits caractérisent le développement
du téléphone durant cette phase : un développement
programmé mis en uvre par les départements,
une croissance rapide accompagnée d'une large diffusion au
plan local, un développement inégal d'un département
à l'autre.
1 2
3
Fig. 1. Communes dotées du téléphone.
Fig. 2. Recettes téléphoniques
et télégraphiques. Fig. 3. Taux
d'équipement (pour 1 000 h)
Entre 1900 et 1914, le téléphone
en Lorraine connaît une croissance extrêmement rapide.
La courbe des communes dotées du télé-phone
(fig. 1), notamment celle de Meurthe-et-Moselle où le mouvement
de diffusion est intense, prend l'allure d'une courbe de GAUSS caractéristique
de la phase «d'adoption» mise en évidence par
les études géographiques sur la diffusion de l'innovation.
De 45 en 1899, le nombre des localités rattachées
s'élève à 443 en 1905, puis à 893 en
1914.
La croissance toutefois est inégale. A la veille de la Première
Guerre mondiale 85 % des communes de Meurthe-et-Moselle ont le téléphone.
Le taux de couverture atteint 30 % dans la Meuse et 45 % dans les
Vosges.
Les recettes enregistrent aussi une forte augmentation liée
à l'extension du réseau et à la progression
du trafic, alors que les produits du télégraphe stagnent
ou augmentent légèrement (fig. 2).
La substitution du téléphone au télégraphe
intervient dès 1904 en Meurthe-et-Moselle, en 1906 dans les
Vosges alors que les recettes téléphoniques et télégraphiques
s'équilibrent encore dans la Meuse en 1914.
Le taux d'équipement des ménages
(nombre d'abonnés pour 1 000 habitants) progresse régulièrement
tout au long de la période, tout en restant en-deçà
de la moyenne nationale (6).
(6) Le décalage observé tient en partie aux données
prises en compte : les p» téléphoniques pour
l'indice national et les lignes principales pour les taux départementaux
(sources : I.JN.S.E.E., Annuaire statistique, vol. 57, 1946, tab.
XII, p. 134-135).
Mais fait caractéristique, la structure de la clientèle
ne se modifie guère.
Le téléphone se répand, mais il reste un instrument
au service du monde des affaires comme le montre le faible taux
de lignes à usage résidentiel dans les Vosges en 1908:
Lignes à usage résidentiel 16
%
Lignes à usage professionnel 84 % (établissements
purs et mixtes)
dont :
agriculture 1 %
industrie-artisanat 27 %
commerce de détail-hôtellerie
25 %
intermédiaires-grossistes 24
%
services-administration 7 %
Il semble à l'examen de ces indices
de croissance que ce soit moins le nombre d'abonnés (indice
de pénétration sociale) que l'extension du réseau
(indice de diffusion spatiale) qui différencie l'attitude
des notables locaux à l'égard du téléphone
durant cette période d'expansion.
Dans la Meuse, où les représentants des cantons ruraux
ont la majorité au Conseil Général, les notables
n'ont pas fait d'avances massives pour la construction du réseau
départemental. Ils l'ont conçu dès le départ
en terme de réseau administratif et donné la priorité
au financement des lignes reliant les chefs-lieux de canton et les
sous-préfectures à Bar-le-Duc. Une fois cet objectif
atteint, l'assemblée départementale s'est contentée
de satisfaire les demandes les plus pressantes de la CCI., des villes
et des municipalités rurales peu nombreuses à soliciter
l'installation d'une cabine publique.
Les premiers projets d'extension dont les travaux débutent
avec retard, ne recueillent l'adhésion que de 82 municipalités
dont 25 villes et chefs-lieux de cantons inscrits d'office au projet.
C'est peut- être la Meuse qui vérifie le mieux la thèse
développée par Y. Stourdze. Une étude plus
fine des pouvoirs locaux, menée en termes socio-culturels,
devrait permettre d'en démontrer la validité.
Dans les Vosges et la Meurthe-et-Moselle, le développement
du téléphone s'inscrit dans un contexte d'expansion
économique porteur d'une demande autrement plus forte que
dans un département rural et peu urbanisé comme la
Meuse. Les milieux d'affaires intéressés par la construction
des grands circuits interurbains forment des groupes de pression
suffisamment puissants pour que leurs demandes soient prises en
considération par les instances départementales et
inscrites dans les programmes d'extension.
Par les recettes que procurent ces grands circuits, l'assemblée
départementale est en mesure de réaliser de nouveaux
emprunts rapidement amortis pouvant servir à financer la
construction de lignes locales dont on sait qu'elles sont déficitaires.
Ce schéma peut s'appliquer à quelques nuances près
à la Meurthe-et-Moselle où le Conseil Général,
avec l'appui constant de la CCI. et des municipalités, est
parvenu à financer le réseau rural et faire de Nancy
la tête de nombreuses lignes interrégionales. Le premier
projet d'extension est ambitieux puisqu'il envisage à terme
de relier toutes les localités du département.
Les travaux débutent dès 1900 avec l'adhésion
de 320 municipalités. Et par effet d'imitation, les autres
suivront quelques années après.
Entre 1900 et 1910, le Département des Vosges
a lancé huit emprunts d'un montant global de 2 millions de
francs. Après un effort initial important deux emprunts
en 1900 de 350 000 F chacun pour la reprise des lignes existantes
et le lancement du premier programme d'équipement
les sommes allouées au téléphone diminuent
régulièrement : 110 000 F en 1906, 100 000 F en 1908
et 40 000 F en 1910 (7).
(7) Le faible montant de l'emprunt de 1910 est dû à
une modification du mode de remboursement. En 1908, l'Etat décide
que les avances servant à financer une ligne seront remboursées
à l'aide des seuls produits de cette ligne. C'est un coup
porté à l'équipement des communes rurales dont
les lignes ne sont pas rentables. A la fin de l'année 1910,
on revient au système antérieur de remboursement groupé.
Or à cette date, l'administration reverse
au département 100 000 F par trimestre à titre de
remboursement des anciennes avances.
Ce qui revient à dire qu'un emprunt de 400 000 F pouvait
être normalement amorti en l'espace d'un an.
D'abord favorables au téléphone, les notables vosgiens
se sont montrés réticents, les industriels notamment
qui, une fois réalisés les grands circuits de jonction,
se sont désintéressés de l'équipement
des communes rurales.
Dès 1904, le Conseil Général prend des mesures
restrictives visant à exclure des projets d'extension les
localités de moins de 500 habitants ou celles qui ne sollicitent
pas l'ouverture d'un réseau d'abonnés. La majeure
partie des communes rurales sont dans ce cas.
Elles se voient aussi dans l'obligation, lorsqu'elles
ne possèdent pas de service postal ou télégraphique,
de fournir le local de la cabine, le mobilier de bureau et surtout
de verser les allocations annuelles du gérant et du piéton
distributeur des messages téléphonés.
Les petits bureaux sont d'ailleurs peu utilisés et leurs
recettes sont loin de couvrir le coût initial des installations
(8).
(8) A Coussey, pourtant chef-lieu de canton, les recettes d&
la cabine publique s'élèvent à 76 F en 1906.
Celles de Romont (440 h) à 28 F et de Harol (850 h) à
65 F. Il faudrait entre 30 et 50 ans pour amortir les coûts
d'installation (3 000 F en moyenne en 1906) !
Ces mesures restrictives, ajoutées aux retards que connaissent
les programmes d'équipement à l'approche de la guerre,
expliquent la faible extension du réseau communal des Vosges
en 1914. Pourtant le nombre des abonnés progresse régulièrement
et le taux d'équipement des ménages se tient à
un niveau légèrement supérieur à celui
de Meurthe-et-Moselle.
III. L'extension du réseau téléphonique
: logique économique et logique administrative
Aucun plan de développement suivi à
court ou moyen terme n'a présidé à l'extension
du réseau téléphonique en Lorraine durant cette
période.
On a cherché le plus souvent à minimiser les coûts
et favoriser la construction de circuits pour lesquels existait
une demande potentielle.
En ce sens le nombre de circuits téléphoniques peut
être considéré comme un assez bon indicateur
de la répartition géographique des grands courants
de trafic. Mais il a fallu concilier la recherche du mioindre coût
et la qualité du service en fonction des techniques en usage
à la fin du siècle dernier..
En effet, la saturation des lignes principales et l'engorgement
dçs centraux exploitée manuellement (9) ont nécessité
l'ouverture de . nouveaux circuits directs « sautant »
les bureaux intermédiaires et la misé en place d'itinéraires
secondaires permettant de « détourner» les appels
en cas d'affluence.
(9) Les premiers centraux automatisés sont mis au point
aux Etats-Unis en 1891 (type Strowoer), mais leur mise en service
en France fut tardive : le premier est expérimenté
à Nice en 1913. Celui de Nancy Saint-Georges, le premier
en Lorraine, fut installé en 1931 et restera en service jusqu'en
1948.
D'un côté, les impératifs financiers conduisaient
à prévoir un réseau à moindre coût
par le rattachement de nombreuses localités sur un même
central, de l'autre les impératifs de qualité du service
tendaient à la création d'un réseau maillé
où tous les points à fort trafic seraient reliés
entre eux par un circuit direct.
Après 1900, cette logique économique et financière
s'efface en partie devant la volonté des élus de construire
un réseau départemental reproduisant la hiérarchie
des chefs-lieux administratifs indépendamment de la rentabilité
des lignes.
On est ainsi passé d'un réseau à configuration
nodale simple à un réseau plus complexe dont l'organisation
interne repérage porte la marque de ces multiples influences.
La généalogie des circuits, leur configuration et
leur densité sont révélatrices des conditions
de fonctionnement et des horizons spatiaux de la vie de relations.
Fig. 4. Carte de repérage
Fig. 5. Circuits téléphoniques en 1900
On y lit plusieurs échelles spatiales .
1. L'échelon interrégional : les grands courants
d'affaires
Comme pour les autres infrastructures de communication,
c'est sur les liaisons avec Paris que s'articulent les premiers
réseaux impulsés par les milieux d'affaires (fig.
5 : carte des circuits de jonction en 1900).
La rapidité de transmission, la possibilité de dialoguer
et le libre-accès à la parole le téléphone
peut être installé partout, à domicile, au bureau
justifient l'intérêt que ces milieux portent
au téléphone.
Il le suscite d'autant plus que l'industrialisation, les chemins
de fer et le développement des activités commerciales
ont amené l'ouverture de l'économie lorraine et la
mise en place 4e tout un réseau d'intermédiaires (grossistes,
représentants, commissionnaires, courtiers, etc.) pour lesquels
le téléphone est un moyen de se tenir en contacts
réguliers avec les fournisseurs et les clients. Ces intermédiaires
sont avec les industriels les premiers à adopter le téléphone.
Sa large diffusion dam l'hôtellerie le souligne aussi indirectement.
On peut dès lors comprendre l'importance des relations à
longues distances dans la répartition du trafic dès
la phase de démarrage du réseau téléphonique.
Ainsi, dans lés Vosges en 1898, sur 89 000 appels enregistrés,
7 000 seulement sont à destination locale (8 %), 42 000 à
destination des villes du département (48 %) et 39 000 à
destination des autres départements (44 %).
A cette date, les communications à longues distances sont
limitées par l'absence d'interconnexion généralisée
à l'échelon national.
Tous les appels interrégionaux transitent par le circuit
Epinal-Nancy-Paris dont lies recettes sont en constante progression
(10).
(10) Après un an de fonctionnement, les recettes s'élèvent
à 4 600 F, à 8 000 F en 1895 et à 13 400 F
en 1897 pour les appels en provenance ou à destination du
département de Meurthe-et-Moselle (CCI. de Nancy, séance
du 15 juillet 1898).
La ligne est saturée aux heures de pointe, à l'arrivée
des courriers et au départ des trains postaux, et les délais
d'attente qui s'en suivent soulèvent de nombreuses réclamations.
Le doublement de la ligne est envisagé dès 1898 et
réalisé en 1900 alors même que les réseaux
départementaux, à l'exception de celui des Vosges,
en sont encore au premier stade de leur formation.
Lé doublement de la ligne améliore sensiblement les
liaisons interrégionales car elle ouvre la Lorraine à
une vingtaine de départements français (via Paris)
et permet de réserver le 1er circuit aux seules communications
avec la capitale
.
Fig. 6. Circuits téléphoniques
interurbains en 1914
En 1914, les liaisons avec Paris constituent toujours l'épine
dorsale du réseau téléphonique régional
(fig. 6 : carte des circuits téléphoniques interurbains
en 1914).
La Lorraine est reliée avec la capitale par 11 circuits directs
dont six au départ de Nancy, deux au départ de Bar-le-Duc
et Epinal et un au départ de Verdun.
A ces fils directs s'ajoutent les multiples possibilités
d'obtenir Paris par des circuits secondaires (« circuits omnibus
» via Chaumont, Vesoul, Reims et Belfort).
La centralisation administrative et le rôle de la capitale
dans l'organisation économique expliquent l'importance du
trafic échangé entre la Lorraine et la région
parisienne.
Mais de nombreux appels ne font que transiter par Paris sans qu'on
puisse connaître leurs destinations finales.
Comme pour les chemins de fer, Paris est le grand centre redistributeur
des appels à l'échelon national et international.
Aussi ne peut-on comprendre l'établissement de nouveaux circuits
qu'en se référant à l'état d'avancement
et au degré d'interconnexion de l'ensemble du réseau
téléphonique français.
Après 1900, les milieux d'affaires ont demandé la
construction de circuits directs pour améliorer les communications
téléphoniques de la Lorraine avec les départements
limitrophes et les régions avec lesquelles ils entretiennent
des relations économiques privilégiées : le
Nord (Nancy-Lille 2 circuits), la Champagne (Nancy-Reims 2 circuits),
le Sud-Est (Nancy-Lyon), la Franche-Comté (4 circuits avec
Bel- fort) et la Basse-Seine (Epinal-Rouen-Le Havre 3 circuits à
l'usage des usines textiles des Vosges).
La création de ces grands circuits a permis
de réserver les lignes existantes aux communications intrarégionales
et par conséquent de renforcer la position centrale d'Epinal
et de Nancy dans l'organisation interne du réseau téléphonique
lorrain. La mise en service de circuits de jonction interdépartementaux
a aussi permis d'améliorer les liaisons intra régionales,
mais il s'agit dans presque tous les cas de circuits d'intérêt
local : Vézelise-Mirecourt, Bar-le-Duc-Saint-Dizier, Montmédy-Longuyon,
Charmes-Bayon, Saint-Dié-Nancy, etc. Par contre la frontière
d'Alsace-Lorraine a constitué une coupure autrement plus
puissante que les limites départementales.
Dès 1900, Nancy est relié à Metz et au réseau
de la Moselle, mais il est remarquable de constater l'absence de
liaisons directes avec Strasbourg ou Mulhouse.
L'ouverture après 1905 de petits circuits transvosgiens établis
avec Schirmeck, Sainte-Marie-aux-Mines, Munster et Wesserling dénote
le maintien de relations locales, notamment par le biais des entreprises
textiles. Il en est de même des anciens arrondissements de
Château-Salins et de Sarrebourg qui faisaient partie avant
1871 du Département de la Meurthe. Les impératifs
stratégiques ont pris le pas sur les intérêts
locaux.
2. L'échelon départemental : la primauté
du principe administratif
Les élus ont conçu à
l'échelle de chaque département un réseau téléphonique
calqué sur la hiérarchie des chef-lieux administratifs.
La carte des circuits de jonction en 1914 le montre clairement.
Dans la Meuse, où les conseillers généraux
ont hérité en 1900 d'un réseau complètement
éclaté, leur premier souci a été de
relier les sous-préfectures à Bar-le-Duc et de brancher
les chefs-lieux de canton sur cette armature
départementale.
Dans les Vosges, c'est aussi le principe administratif qui a guidé
l'extension du téléphone. On peut observer en 1914
l'existence de plusieurs réseaux centrés sur les sous-préfectures
et inscrits, à quelques ajustements près, dans les
limites des arrondissements (réseaux de Saint-Dié,
Remiremont, Epinal, Mirecourt et Neuf château).
L'importance démographique de l'agglomération de Nancy
et le rôle qu'elle a acquis dans l'organisation économique
et financière de la Lorraine à la fin du siècle
dernier ont conduit à concevoir en Meurthe-et-Moselle un
réseau très centralisé dans lequel la plupart
des chefs-lieux de canton sont reliés par des circuits directs
à la préfecture même si le trafic échangé
ne le justifie pas (11).
(11) En 1922, Nancy échangeait 420 communications quotidiennes
avec Lunéville, 189 avec Longwy, mais seulement 38 avec Baccarat,
28 avec Thiaucourt et Domèvre-en-Haye, 8 avec Audun-le-Roman,
Arracourt et Badonviller (Recueil des Actes administratifs du Département
de Meurthe-et-Moselle, 1922).
Là encore, le doublement des lignes établies avec
Longwy, Toul, Lunéville et Pont-à-Mousson a permis
de réserver les premiers circuits à l'usage exclusif
des chefs-lieux de canton et en 1914, 5 d'entr'eux seulement communiquent
toujours avec Nancy par des circuits partagés (Arracourt,
Audun-le-Roman, Domèvre-en- Haye, Thiaucourt et Badonviller).
C'est aussi dans les limites cantonales que s'est
effectuée l'extension du réseau téléphonique
au plan local (fig. 7 et 8 : cartes des communes dotées du
téléphone en 1900 et 1914).
Fig 7
Fig 8
Fig. 7. Communes dotées du téléphone en 1900.
Fig. 8. Communes dotées du téléphone en 1914
On peut avancer à cela différentes raisons.
Des contraintes techniques, car au-delà de trois localités
reliées par un même circuit partagé, les transmissions
deviennent très mauvaises.
Sans compter que les abonnés en bout de circuit obtiennent
difficilement la ligne auprès des employés du central
de la commune voisine qui font passer en priorité les abonnés
locaux.
Des heures sont réservées pour chaque localité
mais la réglementation n'est pas strictement appliquée.
Des raisons financières aussi : la minimisation du coût
de construction des lignes privilégie le raccordement au
plus proche voisin.
Des raisons socio-économiques enfin, car le canton à
la fin du siècle dernier représente encore un cadre
fondamental de la vie de relation des ruraux.
Dans la tarification des appels, il existe une taxe intra-cantonale.
Les réseaux locaux, en fait, se moulent dans les structures
existantes alors que les réseaux départementaux et
les liaisons interrégionales font davantage apparaître
le téléphone comme un agent d'innovation.
Frappant aussi est le petit nombre de circuits reliant directement
entre eux les centres sous-régionaux.
Est-ce la marque d'une polarisation de la vie de relation courante
sur les villes de niveau sous-régional ?
On serait amené à le penser (12), alors que les relations
d'organisation et d'affaires se traitent au niveau des villes majeures.
(12) Comme nous l'avons montré par ailleurs : J.-P. Martin
et R. Schwab : L'évolution de l'armature urbaine de l'Alsace
et de la Lorraine, 1850-1975. Villes en Parallèle, n°
5, avril 1982, p. 8-44.
Mais comme le souligne le Directeur départemental
des Postes de Meurthe-et-Moselle en 1922, les téléphone
en 1900. nécessités d'administration
ne correspondent pas toujours à la logique économique.
Après avoir signalé un certain nombre d'anomalies,
il conclut : « Ces anomalies résultent des hésitations
des communes à adopter le téléphone au moment
de la création du réseau départemental, de
l'insuffisance des crédits consacrés aux travaux,
des itinéraires imposés par l'autorité militaire
et du défaut d'ensemble dans l'exécution » .
On ne saurait mieux résumer les contraintes
qui ont pesé sur les premiers développements du téléphone
en Lorraine à la fin du siècle dernier.
En 1914, le téléphone est diffusé dans un grand
nombre de localités mais peu d'abonnés sont raccordés.
La demande sociale, peu soutenue, se répand lentement en
dehors des milieux d'affaires.
La faiblesse du marché n'attire pas les investissements industriels
et la modernisation des équipements n'est pas entreprise.
Le mode de financement, enfin, se révèle inadapté
à un développement programmé du réseau
au plan national.
En 1914, la France est déjà malade de son téléphone.
Elle le restera, on le sait, jusqu'à ces toutes dernières
années.
Jean-Paul Martin E.R.A. 214 du C.N.R.S. Université
L.-Pasteur Strasbourg
|
sommaire
1932 Le téléphone
et les transactions internationales,
A.Albenque
Le téléphone joue un rôle
de plus en plus important dans les transactions internationales.
Deux grandes commissions suivent de près le développement
de ce mode de communication et étudient sans cesse les améliorations
à apporter dans ce domaine :
- le Comité international des communications téléphoniques
a grande distance, qui représente surtout les intérêts
des administrations ou entreprises qui assurent les services téléphoniques
;
- la Commission de la téléphonie internationale, créée
en 1925, lors du troisième Congrès de la Chambre de
Commerce internationale, tenu à Bruxelles à cette date
; cette commission représente surtout les intérêts
des usagers du téléphone.
Des travaux de ces comités, il résulte
que, dans le monde, les États-Unis de l'Amérique du
Nord sont le pays où l'on emploie le plus souvent les communications
téléphoniques : 230,7 communications par an et par
habitant.
En Europe, en prenant les chiffres de 14 pays, on arrive à
une moyenne de 50,74, soit près de cinq fois moins de communications.
L'État européen qui utilise le plus le téléphone
est le Danemark : 143,5 communications ; la Suède suit avec
119 communications ; la Norvège tient le troisième
rang avec 87,1.
La supériorité des pays Scandinaves est due au fait
que de grandes distances séparent souvent les uns des autres
les établissements humains, que pendant la mauvaise saison
il est difficile parfois de se rencontrer ; les usagers tiennent
cependant à demeurer en contact avec le monde extérieur
: on se sent moins seul, si l'on a un téléphone à
sa portée.
En France, où cette impression d'isolement est moins fréquente
et où les nouveautés ne pénètrent d'ailleurs
que lentement dans les murs, la moyenne des conversations
n'est que de 18,1, comme en Hongrie.
Notre pays occupe ainsi le onzième rang et
précède la Tchécoslovaquie : 17 communications,
et l'Espagne : 10,4.
Le morcellement politique est évidemment
responsable de l'infériorité du continent européen.
Ce morcellement entraîne une organisation différente
dans chaque État, et la prise de contact entre les divers
réseaux provoque parfois de longs retards.
De plus, la grande variété des langues n'est pas faite
pour faciliter l'usage dû téléphone. Aux États-Unis,
on se comprend toujours, puisque l'anglais règne sans conteste.
Pourtant de sensibles progrès viennent d'être
réalisés en Europe.
Les services d'étude des transports de la Chambre de Commerce
Internationale ont dressé un tableau des conversations tenues
en 1925 et en 1930 entre 34 villes importantes d'Europe.
Par une combinaison ingénieuse, ils ont dessiné 561
carrés représentant les 561 possibilités de
communication entre ces villes.
En 1925, sur 561 possibilités, 49 ont été réalisées,
soit 8,7 p. 100.
Les communications les plus fréquentes ont été
réalisées par Berlin (12 carrés) avec Amsterdam,
Budapest, Copenhague, Danzig, Luxembourg, Milan, Oslo, Paris, Prague,
Sarrebruck, Stockholm, Vienne, et par Danzig (9 carrés) avec
Amsterdam, Bâle, Berlin, Budapest, Luxembourg, Milan, Paris,
Prague, Stockholm, Vienne.
Les communications de Paris occupent 8 carrés,
et elles ont établi des relations avec Amsterdam, Bâle,
Berlin, Bruxelles, Londres, Luxembourg, Madrid. Londres figure sur
ce tableau avec 4 carrés, ses principales communications
atteignant Amsterdam, Bâle, Bruxelles.
En 1930, sur 561 possibilités, 50,8 p. 100 ont été
réalisées.
Berlin est représenté cette fois par 28 carrés,
Danzig par 24. Stockholm, qui ne communiquait en 1925 qu'avec
Berlin, Copenhague, Danzig et Oslo, a communiqué en 1930
avec Amsterdam, Bâle, Berlin, Bruxelles, Budapest, Copenhague,
Danzig, Gibraltar, Helsinki, Kiev, Kovno, Leningrad, Lisbonne, Londres,
Luxembourg, Madrid, Milan, Moscou, Oslo, Paris, Prague, Reval, Riga,
Rome, Vienne, Varsovie : 26 contacts téléphoniques.
Exemple frappant des progrès de l'utilisation des téléphones.
A.Albenque
|
sommaire
Pour illustrer l'évolution majeure de la
commutation dans les années 1950, voici deux études : la
première des laboratoires Bell qui ont étés les pionniers
dans le domaine, puis la deuxième vision concernat la France en
particulier.
I
- Aux Etats-Unis - LA REPRÉSENTATION
DE BELL LABS SUR LA COMMUTATION COMME INFORMATIQUE (OU PAS)
de KIM W. TRACY , ROSE-HULMAN INSTITUTE OF TECHNOLOGY .
À la fin des années 1920, il
était clair que pour que le réseau téléphonique
puisse évoluer, davantage d'automatisation était nécessaire
pour prendre en charge le réseau téléphonique en
pleine croissance. Dans les années 1930, Stibitz et d'autres ont
commencé à travailler sur la construction d'une série
de machines à relais pour prendre en charge divers aspects de cette
automatisation. À la fin des années 1940, il devenait clair
pour les Bell Labs que la commutation était une forme de calcul
et que l'automatisation informatique serait nécessaire pour répondre
au besoin croissant d'évolutivité du réseau téléphonique.
Mon affirmation est que les Bell Labs ont continué à croire
que la commutation était un calcul, mais l'ont dépeint différemment
au fil du temps en raison de pressions réglementaires et juridiques
externes dues au statut de monopole du système Bell.
Ce document couvre l'évolution de la vision des Bell Labs
et la représentation de la commutation au fil du temps.
En examinant des articles présentés par Bell Labs et d'autres
documents internes, je compare la façon dont la commutation a évolué
d'un problème « informatique » pour être
présentée comme un « contrôle de programme
enregistré » de la commutation.
Cette séparation de l'informatique est devenue urgente car le décret
de consentement de 1956 a rendu difficile pour le système Bell
de poursuivre toute activité autre que le système téléphonique
et les contrats militaires.
Les Bell Labs ont continué à produire de nombreux systèmes
informatiques à l'appui du système téléphonique,
mais ont continué à faire attention à la manière
dont cela était présenté au public. De plus, lorsque
le réseau téléphonique est passé des systèmes
de commutation analogiques aux systèmes de commutation numériques,
les Bell Labs ont continué à promouvoir le contrôle
des programmes stockés même s'il est devenu encore plus informatisé.
Dans le même temps, Bell Labs et AT&T ont non seulement continué
à faire d'importantes recherches en informatique, mais ont intensifié
leurs efforts pour pénétrer plus pleinement le marché
de l'informatique, comme avec son achat de NCR en 1991.
1. Introduction
Les Bell Labs étaient désireux d'appliquer les technologies
informatiques et électroniques en évolution au système
Bell, en particulier pour permettre au système Bell d'être
en mesure de gérer les demandes en croissance rapide sur le réseau
téléphonique. Au milieu des années 1940 et dans les
années 1950, les Bell Labs avaient entrepris de multiples efforts
pour déterminer comment la commutation électronique pouvait
être développée.
À la fin des années 1940, le groupe de recherche sur la
commutation dirigé par Deming Lewis étudiait l'utilisation
du PCM (Pulse Code Modulation) comme moyen de numériser la parole
et de construire des systèmes pour tirer parti de l'électronique
non seulement pour les systèmes de contrôle, mais aussi pour
la commutation, notamment dans l'ESSEX (Experimental Solid State Exchange).
Depuis que le transistor a été récemment inventé
en 1947, il y avait un empressement à appliquer cette technologie
une fois qu'elle deviendrait suffisamment fiable pour remplacer les tubes
à vide, qui étaient considérés comme moins
fiables et gourmands en énergie que les relais. D'autres efforts
de Bell pour appliquer l'électronique à la commutation téléphonique
sont venus du groupe Bell Labs Systems Engineering, dirigé par
Ken McKay. Ces efforts d'ingénierie des systèmes ont été
réalisés dans ce qui est devenu le système ESS n
° 1 installé pour la première fois à Morris,
dans l'Illinois en 1960.
Des pressions externes ont également été exercées
avec le décret de consentement de 1957 interdisant effectivement
à AT&T de concourir dans le secteur informatique. Il
fallait donc s'assurer que la commutation téléphonique ne
soit pas perçue comme une activité informatique. Les Bell
Labs ont produit un certain nombre d'histoires liées à leurs
contributions à l'informatique.
Une histoire récemment redécouverte à partir de 1961
avait une longue histoire de commutation par rapport aux histoires ultérieures.
Le reste de cette histoire interne de 1961 était très similaire
dans son contenu aux efforts ultérieurs. En conséquence,
cette divergence avec la façon dont la commutation téléphonique
était incluse (ou non) dans l'histoire informatique des Bell Labs
m'a incité à rechercher si le changement dans la façon
dont la commutation téléphonique était représentée
de l'informatique à être qualifié de contrôlé
par programme stocké.
2. Histoires informatiques des laboratoires Bell
Le premier document décrivant les contributions des laboratoires
Bell à l'informatique est un rapport interne de 71 pages des laboratoires
Bell datant de 1961. (WD Lewis éd. Contributions du système
Bell aux ordinateurs et au traitement de l'information. Mémorandum
interne des laboratoires Bell, apparemment non publié, 10 juillet
1961).
Ce document comporte une section détaillée (5 pages incluant
les références) sur la commutation téléphonique
ainsi que d'autres sections sur les domaines de l'informatique qui sont
restés dans l'histoire ultérieure des Bell Labs. Ce document
non publié semble être un rapport préparé pour
Ken G. McKay (vice-président de l'ingénierie des systèmes
de 1959 à 1962) et William (Bill) O. Baker (alors vice-président
de la recherche des Bell Labs et plus tard président des Bell Labs).
"Le système Bell n'est pas dans le domaine de l'informatique
commerciale", a-t-il déclaré et expliqué plus
en détail : il s'intéresse de plus en plus à
la commutation électronique, à la transmission de données
et aux techniques numériques pour la transmission de la voix et
de la télévision. Elle doit aussi continuer à assumer
les tâches militaires pour lesquelles elle est particulièrement
qualifiée. Pour ces raisons, il continuera d'être un contributeur
majeur dans les domaines du calcul numérique et du traitement de
l'information.
Le document d'histoire de l'informatique de 1961 a été édité
par W. Deming Lewis, qui dirigeait la recherche sur la commutation et
les sections sont rédigées par ceux qui ont joué
un rôle principal dans les technologies qu'ils décrivent.
Au moment de ce document, Baker était vice-président pour
la recherche (de 1955 à 1973) et soutenait également la
recherche informatique en tant que vice-président. Ce document
a été trouvé par Ed Eckert comme la demande de cet
auteur en novembre 2021 dans les papiers de Bill Baker à Murray
Hill avec les initiales de Baker et de Ken McKay en haut. Bill Baker a
ensuite fortement soutenu la recherche informatique pendant son mandat
de président des Bell Labs (1973-1979).
Des histoires ultérieures pour commémorer le 50e anniversaire
de la fondation des Bell Labs en 1925 ont été créées
au début des années 1980. Ces histoires comprenaient un
document interne sur le rôle des Bell Labs dans l'informatique par
Holbrook et Brown qui a ensuite été développé
par Brown, Holbrook et Doug McIlroy pour un public externe. Ce dernier
document a également été quelque peu révisé.
Tous ces documents ultérieurs ne disent presque rien sur la commutation
téléphonique, par rapport à l'Histoire de 1961.
De plus, Amos Joel, Jr. (que nous avons appelé le père de
la commutation électronique au sein des Bell Labs) a également
édité le volume d'histoire de la commutation de 1982 de
A History of Engineering and Science in the Bell System. Joel a joué
un rôle important dans la transition de la commutation téléphonique
vers l'utilisation de l'électronique, en particulier dans la création
du bureau central électronique Morris (ECO) et du système
de commutation électronique n ° 1 (ESS). Par conséquent,
l'histoire de la commutation téléphonique est devenue complètement
séparée de l'histoire de l'informatique dans ces livres
publiés à l'extérieur et même dans le folklore
interne des Bell Labs.
3. La commutation électronique
aux Bell Labs
Les Bell Labs ont fait plusieurs incursions pour intégrer l'électronique
dans la commutation. Avant la commutation électronique, les systèmes
pas à pas et crossbar étaient les principales plates-formes
de commutation téléphonique électromécanique.
Dans les années 1940, Bell a commencé à envisager
d'utiliser l'électronique pour automatiser la commutation. Après
1947, le transistor était considéré comme encore
plus prometteur que les tubes à vide. L'une des principales décisions
était d'automatiser ou non entièrement le réseau
de commutation avec l'électronique. L'automatisation du réseau
de commutation nécessiterait de passer à quelque chose comme
le multiplexage temporel (TDM) et donc d'abandonner l'utilisation de connexions
physiques de bout en bout (alors appelées «commutation par
répartition spatiale») à l'aide de commutateurs électromécaniques.
L'utilisation de TDM serait plus facilement activée en encodant
les signaux dans quelque chose comme PCM (Pulse Code Modulation) qui utilisait
l'échantillonnage pour traduire les appels vocaux analogiques en
flux binaires de données.
Pour une chronologie approximative des premiers efforts de commutation
électronique aux Bell Labs assemblés par cet auteur, veuillez
vous référer à la figure suivante :

Cette chronologie est séparée en efforts déployés
par l'unité de recherche en commutation (notés en vert et
au-dessus de la chronologie) et les efforts de commutation de production
menés par l'unité d'ingénierie des systèmes
(notés en bleu et en dessous de la chronologie).
Commençant en 1947, le premier effort fut le système de
commutation automatique à commande électronique (ECASS)
qui utilisait des tubes thermioniques (sous vide), des relais secs et
des diodes à gaz à cathode froide pour remplacer les opérateurs
humains.
L'ECASS a continué à utiliser des connexions physiques de
bout en bout, plutôt que de les remplacer par TDM et PCM.
Un système téléphonique automatique utilisant une
mémoire à tambour magnétique, le Drum Information
Assembler and Dispatcher (DIAD) en 1949 a commencé à ressembler
étroitement à un système informatique en utilisant
une mémoire et une commande électronique séparées.
Le DIAD "peut être considéré comme une sorte
d'ordinateur". DIAD a utilisé environ 1 100 tubes à
vide et 2 200 diodes au germanium.
L'unité de recherche sur la commutation a également participé
au développement du PCM, le considérant comme la clé
du multiplexage temporel. L'Experimental Solid State Exchange (ESSEX)
de la recherche sur la commutation a mis en uvre le PCM dans un
système entièrement à semi-conducteurs qui comprenait
les éléments de commutation.
L'ESSEX a démontré que de tels systèmes entièrement
électroniques étaient réalisables et pouvaient être
considérés comme une forme spécialisée d'ordinateur.
Ce n'est qu'en 1975 qu'il deviendra la conception de commutateur de production
utilisée dans le système Bell avec le 4ESS. Lewis note qu'un
ingénieur système, Chester E. Brooks, avait eu l'idée
d'un commutateur entièrement électronique. en 1951, mais
la seule référence donnée était un article
de Fortune de 1958 par Bello où la prédiction était
que d'ici 1980, le système Bell utiliserait une commutation à
semi-conducteurs basée sur PCM et TDM (ce qui s'est avéré
être à peu près correct). Du côté de
la commutation de production des Bell Labs, Amos Joel Jr. a documenté
les utilisations possibles de l'électronique pour contrôler
le réseau de commutation en 1956 .
Il a ensuite proposé un "commutateur" expérimental
qui a mis en uvre ces idées dans un système pratique
parallèlement aux travaux de recherche sur l'ESSEX. Joel a pu s'appuyer
sur cette idée pour déployer un essai sur le terrain réussi
en 1960 à Morris, dans l'Illinois (parfois appelé le commutateur
Morris ou alternativement le bureau central électronique, ECO).
Cet essai réussi à Morris a ensuite été transformé
en une version de production qui est devenue le système ESS n °
1. Cette commutation de production est devenue l'histoire publique largement
acceptée de la commutation ainsi que celle partagée au sein
des Bell Labs. Il n'est pas étonnant que Joel ait été
considéré comme le père de la commutation électronique
au sein des Bell Labs. Il faudra attendre le commutateur interurbain 4ESS
et le commutateur local 5ESS pour qu'une structure de commutation entièrement
électronique et numérique soit déployée dans
le système Bell.
Chester E. Brooks était l'auteur de un certain nombre de brevets
américains, dont un pour un "système de commutation
téléphonique automatique électronique" déposé
le 19 novembre 1956 (brevet américain numéro 3 120 581)
qui décrit les opérations du système, y compris l'utilisation
du binaire pour les circuits de contrôle. Une recherche préliminaire
de documents internes de Bell Labs par Brooks vers 1951 n'a pas encore
fourni ces documents, mais cet auteur est convaincu qu'ils existaient.
Notez que le livre Engineering and Operations in the Bell System était
principalement destiné à être un document de formation
pour les nouveaux ingénieurs des Bell Labs et a été
délivré à chaque nouvel ingénieur.
4. Évolution du passage de l'informatique au contrôle
des programmes enregistrés.
En 1953, Deming Lewis (qui était rédacteur en chef du rapport
sur l'histoire de l'informatique des Bell Labs de 1961 a directement lié
les ordinateurs électroniques à la commutation téléphonique
et a détaillé les relations entre eux. Un article de Claude
Shannon en 1949 détaillait les besoins en mémoire d'un central
téléphonique en termes de " bits ", un terme récemment
inventé en 1947 par Tukey. Dans un article de 1979 de John Pierce
où il revient sur l'histoire de la commutation et son rôle,
il relie les efforts pour développer et pousser le PCM comme un
moyen de rendre possible la commutation entièrement électronique.
a été fait non seulement avec Pierce mais aussi avec Shannon
et Oliver comme indiqué dans où ils ont laissé entendre
que le PCM permettrait une commutation téléphonique entièrement
électronique. Les premiers systèmes de commutation électroniques
ont fait une comparaison directe avec un ordinateur, en particulier le
DIAD qui a été lancé en 1949 et la description contient
un chiffre qui assimile le système à un ordinateur avec
la seule différence que l'ALU (unité logique arithmétique)
a été remplacée par le « réseau de connexion
» ou la matrice de commutation. Voir la figure ci dessous pour ce
diagramme du document DIAD.
Figure de l'article DIAD 1952 comparant le passage à l'informatique
.
Lewis poursuit en faisant une comparaison directe qui, selon lui, est
particulièrement forte pour le DIAD. Il dit également que
l'ECASS, un système antérieur qui a débuté
en 1947, était également similaire à un ordinateur.
Il fait une comparaison directe avec les Harvard Mark I et II et les ordinateurs
relais Bell montrant une forte ressemblance fonctionnelle avec ces systèmes
de commutation électroniques. Lewis poursuit en disant que les
contributions entre l'informatique et la commutation vont dans les deux
sens, la commutation étant susceptible de contribuer aux "dispositifs
informatiques, à la fiabilité et aux systèmes utilisant
deux ordinateurs ou plus". Ces exemples démontrent que la
pensée, en particulier au sein de l'équipe de Lewis dans
la recherche sur la commutation, était que l'informatique et la
commutation étaient des technologies complémentaires et
qui se chevauchaient.
Le groupe d'ingénierie système de Joel au sein des laboratoires
Bell s'efforçait de fournir des systèmes de commutation
pratiques capables de gérer l'utilisation croissante du réseau
téléphonique. Ce groupe était l'unité d'ingénierie
des systèmes qui était plus directement responsable du déploiement
d'un réseau fonctionnel. Amos Joel avait également proposé
d'utiliser des composants électroniques comme dans et proposé
un système qui n'incluait pas la numérisation du réseau
de commutation mais plutôt uniquement pour le contrôle, tout
comme le modèle DIAD avait utilisé. Il a ensuite utilisé
ce même modèle dans le système de commutation expérimental
déployé à Morris, Illinois en 1960 et dans l' ESS
n ° 1 . Fait intéressant, dans un article du magazine Fortune
en 1958, les Bell Labs semblent avoir déjà décidé
de reporter la fabrication du réseau de commutation entièrement
numérique jusqu'en 1980, en utilisant le PCM comme cela a été
proposé dans l'ESSEX à la fin des années 1950 par
les chercheurs en commutation des Bell Labs. Dans le travail de Joel en
ingénierie des systèmes, il semble clair qu'ils s'étaient
installés sur un modèle de contrôle de programme stocké
de commutation qui durerait jusqu'au milieu des années 1970 déploiement
du 4ESS pour la commutation interurbaine utilisant PCM. Il est donc logique
que le contrôle des programmes stockés différencie
l'approche de Joel du modèle entièrement numérique
sur lequel la recherche sur la commutation avait travaillé et qu'elle
considérait comme l'avenir.
Cette terminologie de "contrôle de programme enregistré"
s'est poursuivie même après que le système de commutation
soit devenu entièrement électronique et numérique
à la fin des années 1970 et 1980 avec le 4ESS et le 5ESS.
Au moment du 4ESS, du 5ESS et de la cession de 1984, la terminologie de
«commande de programme stocké» était enracinée
dans la culture d'ingénierie du système de commutation et
il n'était guère nécessaire de la changer pour devenir
un «ordinateur spécialisé» ou des termes similaires
qui sont plus directement informatisé.
Jusqu'en 1966, les dirigeants d'AT&T, y compris le président
Romnes, continuaient à dire des choses comme "le système
téléphonique est lui-même un ordinateur".
5. Conclusion Au début du développement de la
commutation électronique chez Bell Labs, la commutation téléphonique
était considérée comme une forme spécialisée
d'informatique. Avec les efforts concurrents au sein des laboratoires
pour développer un système de commutation entièrement
électronique par rapport à un système de commutation
partiellement électronique, il était logique d'appeler la
version qui ne remplaçait pas le réseau de commutation "commande
de programme stocké", car elle contrôlait le réseau
de commutation. La version partiellement électronique l'a emporté,
en grande partie pour des raisons pratiques de fiabilité et de
coût. La situation a été compliquée par le
décret de consentement de 1956 en exigeant qu'AT&T n'entre
pas dans le secteur de l'informatique, ce qui explique pourquoi les historiques
de commutation téléphonique et d'informatique ont été
présentés séparément au monde extérieur
aux Bell Labs. Au moment où Bell a déployé une version
entièrement électronique dans les années 1970, le
terme était tellement ancré dans la culture des ingénieurs
de commutation chez Bell Labs qu'il n'était tout simplement pas
logique de changer, en particulier avec la pression continue de ne pas
sembler être dans le marché de l'informatique.
6. Remerciements J'aimerais remercier plusieurs personnes qui
ont contribué à trouver l'histoire de l'informatique des
Bell Labs en 1961.
Tom Misa m'avait poussé du coude pendant des années qu'un
tel document existait et j'ai finalement pris sur moi de faire de mon
mieux pour voir s'il existait. J'ai contacté Al Aho qui m'a référé
à Brian Kernighan qui m'a ensuite référé à
A. Michael Noll. Noll avait parcouru les papiers de Bill Baker et avait
créé un site Web avec certains de ses papiers. Noll m'a
ensuite référé à Ed Eckert de Nokia Bell Labs
qui a pu trouver le document dans les papiers de Baker à l'emplacement
des Bell Labs à Murray Hill, NJ.
Les données de ces
documents sont reprises pour commenter et illustrer la page "naissance
de la commutatition électronique" de ce
site.
sommaire
II - En France
Chargé de recherche à l'Institut d'histoire moderne et contemporaine
(CNRS) et chargé de cours à l'Université de Paris
IV, Pascal Griset est spécialiste de l'histoire des télécommunications.
Il prépare une histoire des techniques aux 19 et 21 siècles.
Il vient de publier La croissance économique en France au 19e siècle
(A.. Colin) en collaboration avec Alain Beltran.
LE DÉVELOPPEMENT
DU TÉLÉPHONE EN FRANCE DEPUIS LES ANNÉES 1950
de Pascal Griset
1989 POLITIQUE DE RECHERCHE ET RECHERCHE D'UNE POLITIQUE
Comment est-on passé du « 22 à Asnières
» au téléphone installé dans les voitures particulières
?
Question de maîtrise technologique et de développement industriel,
pensons-nous d'abord. Ce serait pourtant sous-estimer l'importance des
choix politiques, les enjeux mentaux et quelques problèmes de souveraineté
nationale...
La lutte pour le contrôle des télécommunications
est un enjeu central pour la détermination des rapports de force
entre les Etats et les entreprises à l'orée du 21e siècle.
La France à travers ses entreprises fait partie des adversaires
qui ont déjà brisé quelques lances sur un terrain
pouvant sembler plus ouvert par la dérégulation intervenue
aux Etats-Unis. La France est donc présente, avec ses atouts et
ses handicaps, dans cet affrontement où ne sont acceptés
que les meilleurs. Pourtant, au-delà des paramètres financiers
et technologiques, l'évaluation du potentiel français doit
également intégrer une analyse des rapports entretenus entre
les pouvoirs publics et les entreprises privées dans ce domaine,
monopole d'Etat.
Le développement du téléphone en
France après la seconde guerre mondiale montre combien les choix
en matière de télécommunications peuvent être
l'enjeu de rivalités politiques, mais il révèle aussi
les qualités et les limites d'un modèle français
de politique industrielle.
Une politique de recherche et l'industrialisation pour l'indépendance
nationale.
La société française n'a intégré
que très lentement l'importance des télécommunications
pour son avenir économique et culturel. Dès la fin des années
1950, les différentes dimensions du problème apparaissaient
pourtant clairement. Le développement du téléphone
intégrait tout d'abord d'importants enjeux techniques. Le passage
des techniques électromécaniques aux techniques électroniques
en commutation fut une révolution sans précédent
entraînant une impitoyable sélection entre les entreprises
et les nations, seules quelques-unes, pour des raisons à la fois
techniques et financières, pouvant assumer ce grand saut. Le téléphone
est également, à double titre, un enjeu industriel.
sommaire
L'industrie des télécommunications est devenue
une industrie de pointe. Son développement s'intègre dans
celui de l'industrie électronique et spatiale, avec les synergies
que l'on devine avec le domaine militaire. Les investissements sont colossaux,
mais les profits, pour les rares gagnants, sont à leur mesure.
Deuxième aspect, l'équipement d'un pays en télécommunications
modernes et bon marché est un élément majeur qui
participe à la compétitivité des entreprises dans
tous les domaines.
Enfin, découlant des éléments précédents,
le téléphone et son industrie sont un extraordinaire enjeu
politique. Enjeu de politique internationale, car la maîtrise des
réseaux de télécommunications internationaux est
un élément décisif dans la politique étrangère
d'une grande puissance ; enjeu de politique intérieure, car aucune
politique industrielle cohérente ne peut se faire en dehors des
télécommunications, et tout gouvernement doit donc avoir
un contrôle assez étroit de l'évolution de ce secteur.
L'histoire des années 1950 à 1990 nous révèle
que des acteurs aux conceptions et aux intérêts différents,
voire divergents, étaient concernés par cette activité
: l'administration, les industriels, les politiques, les « usagers
»... de plus en plus... « consommateurs ». L'administration
des PTT était présente à la fois par ses services
d'exploitation et par son centre de recherche, le CNET. Les services d'exploitation
avaient pour principale préoccupation le développement des
capacités du réseau qu'ils géraient. Leur importance
dans les processus de décision ne fut pas négligeable, mais
ce fut surtout le Centre national d'étude des télécommunications
(CNET) qui pesa de tout son poids dans la définition de la politique
française des télécommunications. Créé
en 1944, confirmé par le gouvernement provisoire, le CNET était
une structure interministérielle qui ne prit une véritable
importance qu'à partir de 1954 lorsqu'une réforme lui permit
de trouver son unité sous la houlette des PTT. Dès lors,
sous la direction de Pierre Marzin, le Centre se consacra à sa
véritable mission, définie par les textes fondateurs, en
s'attachant à coordonner les activités de l'industrie française
des télécommunications (1).
Cette industrie était bien faible au regard des
besoins d'une grande nation industrialisée. Si dans le domaine
des transmissions l'industrie française réussissait à
conserver une part importante du marché intérieur, celui
de la commutation était en revanche totalement contrôlé
par les technologies étrangères. Les deux filiales de ITT,
la CGCT et LMT, et la société Ericsson accaparaient au début
des années 1960 plus de 65 % des commandes de l'Etat en matériel
de commutation (2). Le pouvoir politique mis très longtemps à
considérer le téléphone comme une priorité
pour le pays. On rattachait volontiers celui-ci aux activités de
loisir plus qu'aux biens d'équipements industriels. Les télécommunications
furent négligées par le plan Monnet et il fallut attendre
l'été 1947 pour qu'une commission de modernisation des télécommunications
soit créée. Le programme prévu en 1948 par celle-ci
ne fut jamais appliqué. Ce ne fut qu'à partir du 6e et surtout
du 7e Plan que les télécommunications furent considérées
comme prioritaires (3). Il est vrai que jusqu'à la fin des années
1960 la pression de la demande fut étonnamment faible. Les députés
en campagne électorale se voyaient réclamer des écoles,
des hôpitaux, pas le téléphone. En 1970, le retard
de la France en matière d'équipement téléphonique
était donc dramatique. Sa densité téléphonique
était de 7,8 lignes principales pour cent habitants contre 11,1
pour l'Italie, 12,3 pour la RFA, 15,3 pour le Royaume-Uni, 33,3 pour les
Etats-Unis et 40,9 pour la Suède. Le taux d'automatisation, qui
était de 100 % aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Italie, de 99
% en Belgique et en Grande-Bretagne, dépassait à peine 75
% en France. Les délais de raccordement étaient extrêmement
longs, le téléphone était un luxe : Fernand Raynaud
pouvait sans succès chercher à joindre le 22 à Asnières...
1. Une histoire du CNET, à laquelle nous avons
collaboré dans le cadre du Centre de recherche en histoire de l'innovation
(Paris IV), est à l'heure actuelle sous presse et une large partie
des informations a été collectée lors d'interviews
des principaux ingénieurs et responsables des télécommunications
à l'occasion de cette recherche. Nous remercions tout particulièrement
Messieurs Cotten, Docquiert, Letellier, Libois, Lucas, Marzin. Des documents
d'archives ont également appuyé notre démarche. Ils
ne sont pas répertoriés et leur consultation est à
l'heure actuelle impossible.
2. L'International Telegraph and Telephon Company disposait
du marché des télécommunications hors des frontières
de l'Union. Ses filiales françaises impliquées dans la commutation
étaient la Compagnie générale de construction téléphonique
(CGCT) et le Matériel téléphonique (LMT).
3. Voir L.-J. Libois, « La planification
française et les télécommunications », rapport
au Colloque Bernard Gregory, sur « Science et décision »,
Paris, 1979.
Les débuts de la commutation électronique
: le pari technologique
Les centraux de commutation, qui sont au réseau
téléphonique ce que l'échangeur est au réseau
autoroutier, ont été, au cur de l'évolution
technologique du téléphone, l'enjeu économique le
plus important. Au début des années 1950, la commutation
électromécanique était arrivée au bout de
son évolution avec le système Crossbar. En Grande-Bretagne
et aux Etats-Unis, l'idée d'utiliser l'électronique en commutation
commençait à apparaître. En 1956, le Post Office pouvait
annoncer la création d'un centre de recherche sur la commutation
électronique. Le choix des Britanniques s'était porté
sur le « temporel », c'est-à-dire un système
où l'ensemble des fonctions de commutation était assuré
par l'électronique. Quelques mois plus tard, en mars 1957, les
Bell Laboratories (centre de recherches d'ATT) annonçaient la construction
d'un centre expérimental de commutation électronique .
Leur choix technologique (4) était cependant différent puisqu'ils
avaient choisi le « spatial ». L'électronique n'y intervient
que pour commander des systèmes électro mécaniques.
L'option anglaise entraînait donc une rupture complète avec
les anciens systèmes, alors que les Américains avaient choisi
une évolution permettant d'envisager une introduction plus rapide
de la nouvelle technologie dans les réseaux opérationnels.
Les rapports entre ATT et le CNET avaient toujours été très
cordiaux. Au fil des accords, portant notamment sur des échanges
de brevets, les ingénieurs du CNET avaient fréquemment rencontré
leurs homologues américains dans les fantastiques laboratoires
Bell. Trois ingénieurs du CNET étaient donc présents
au symposium organisé par ATT. De retour en France, ils informaient
Pierre Marzin, directeur du Centre, des projets américains. Ingénieur
parmi les plus brillants de l'avant-seconde guerre mondiale, P. Marzin
rêvait d'un téléphone totalement français,
affranchi de la tutelle américaine. Pressentant les extraordinaires
potentialités d'une filière électronique en commutation,
il créa, en avril 1957, un nouveau département du CNET appelé
RME, recherche sur les machines électroniques. Sa mission : concevoir
un système français de commutation électronique.
Il en confia la direction à Louis- Joseph Libois. Le rôle
leader en commutation électronique échappait donc au service
commutation du CNET, à la grande déconvenue de ses ingénieurs.
Pierre Marzin voulait des hommes totalement détachés de
la commutation classique pour créer un système réellement
nouveau, il cassait les routines des structures en place, créait
un groupe totalement concerné par la nouvelle technologie, liait
la carrière de ces hommes à la réussite de leur mission.
Cette audace s'avéra payante : ces hommes nouveaux croyaient en
l'électronique alors que peu de « commutants », ils
l'admirent plus tard, auraient misé sur le succès à
moyen terme de cette révolution technologique. Les avantages de
l'électronique étaient pourtant considérables : «
Elle apporte des avantages substantiels : la réduction du volume
et du poids, la facilité d'entretien si le matériel est
bien conçu et la diminution de puissance d'alimentation»
(5), estimait le directeur du Laboratoire central des télécommunications
dès 1956.
Le travail des ingénieurs de RME commença
par une période de recherche libre destinée à explorer
sans a priori les différentes démarches envisageables. Les
premières expériences anglo-saxonnes servirent ainsi d'une
certaine manière à déterminer « ce qu'il ne
fallait pas faire » et toutes les options du CNET s'éloignèrent
des choix américains et britanniques. Une première étape
vit la réalisation de deux prototypes ANTINEA (1958-1960) et ANTARES
(1961-1963). Ils permirent d'évaluer à leur juste mesure
les problèmes liés à la nature des composants électroniques
et aux méthodes de programmation. Les grandes orientations dans
ces domaines fondamentaux purent ainsi être déterminées.
A la fin des années 1950, malgré le développement
des transistors, l'électronique reposait encore dans de nombreux
cas sur les lampes à vide. Ainsi, ce fut avec des lampes que les
Britanniques tentèrent la mise au point de leur central temporel.
Ce prototype, que certains n'hésitèrent pas à surnommer
« l'usine à gaz », était extrêmement volumineux
et peu performant. Il nécessitait un système de climatisation
et termina sa carrière en 1963, véritable diplodocus témoin
de cette préhistoire de la commutation électronique. Les
Britanniques furent ainsi « fâchés » avec le
temporel pour deux décennies. Dans le cadre moins ambitieux de
la commutation spatiale, les Américains adoptèrent des diodes
à gaz dans le premier central réalisé à Morris
dans l'Illinois (novembre 1960). Le choix des composants s'avérait
donc déterminant pour l'efficacité, la faisabilité
du système, mais également pour sa rentabilité. P.
Lucas, ingénieur dans l'équipe RME, explique ainsi les grandes
options qui inspirèrent les choix français en la matière
: « La politique suivie à cette époque fut de chercher
à utiliser des composants dont la diffusion probable devait être
la plus large possible, c'est-à-dire de coller le plus possible
aux technologies de l'informatique dont le marché serait certainement
plus large que celui de la communication » (6). Quelle lucidité
dans ce choix alors qu'à cette époque les Américains,
il est vrai plus favorisés en matière de crédits,
développaient des composants spécifiques très coûteux
!
La programmation des centraux, autre élément
clef, s'avéra être d'une extrême complexité.
Ce ne fut que très lentement que les problèmes furent évalués
dans toutes leurs dimensions, et les retards de mise au point des systèmes,
lorsqu'ils survinrent, furent bien souvent dus à une sous-estimation
du temps nécessaire à la programmation. Le programme du
central de Morris comportait déjà 50 000 instructions.
Parallèlement à la recherche, l'industrialisation
était préparée grâce à la mise en place
de structures de coopération avec les industriels. Depuis 1959,
l'administration et les industriels avaient en effet joint leurs efforts
en matière de commutation au sein d'une société d'économie
mixte, la SOCOTEL(7). Le CNET, de par ses statuts, coordonnateur de l'industrie
des télécommunications en France, jouait un rôle important
dans cet organisme. Invités par le CNET à se joindre à
l'effort effectué en matière de commutation électronique,
les industriels, qu'ils soient purement français ou filiales d'ITT,
se montrèrent très réservés, voire hostiles
à cette orientation. Lors de la réunion des membres de SOCOTEL,
le 15 décembre 1960, un projet de recherche portant sur le spatial,
le SE 400, fut rejeté en raison de l'opposition des industriels
qui le jugeaient trop ambitieux. Cette journée reste dans bien
des mémoires comme un événement marquant. Les débats
furent tellement tendus qu'aucun compte rendu n'en fut réalisé.
4. ATT (American Telegraph and Telephone Company).
Cette gigantesque entreprise disposait jusqu'au début des années
1980 d'un monopole sur les communications téléphoniques
aux Etats-Unis. Elle ne pouvait en revanche pas exporter, ce secteur étant
réservé à l'International Telegraph and Telephone
(ITT).
5. G. Goudet, conférence faite à
la Société des radioélec- triciens, le 20 octobre
1956, publiée dans UOnde électrique, mars 1957.
6. P. Lucas, « Les progrès de
la commutation électronique dans le monde », Commutation
et électronique, 44, janvier 1974.
7. SO. CO. TEL : « Société
mixte pour le développement de la technique de la Commutation dans
le domaine des Télécommunications ». Voir H. Docquiert,
SOCOTEL, Expérience de coopération Etat-Industrie, Paris,
SOCOTEL, 1987, 183 p. Henri Docquiert est l'ancien directeur de cette
société.
Les industriels étaient préoccupés
avant tout par le marché français et donc par les contrats
des années à venir, qui portaient sur des équipements
uniquement électromécaniques (système Crossbar).
Leurs ambitions et celles du CNET qui voulait mettre en uvre une
politique à long terme s'accordaient mal. Le projet refusé
par SOCOTEL fut dès lors entièrement assumé par RME
et, selon P. Lucas, « entra dans la clandestinité ».
Rebaptisé SOCRATE, il devint la première réalisation
de commutation électronique opérationnelle en France. Il
représentait un progrès essentiel dans le domaine de la
commutation spatiale. Tout en poursuivant le développement de ces
centraux « spatiaux », les ingénieurs du CNET, mis
en confiance et forts de leur expérience, purent envisager le développement
d'un système complètement électronique dit «
temporel ». Si de nombreux contrats d'études furent passés
avec les industriels, l'essentiel du travail de recherche sur le temporel
fut réalisé au sein des laboratoires du CNET (8).
Le premier prototype de central temporel relié
au réseau, PLATON, fut installé à Perros-Guirec le
26 janvier 1970. C'était une première mondiale. Pierre Marzin
aimait raconter que les remarques du boucher de la commune sur la qualité
des communications l'informaient sur l'avancement de mise au point du
central avant même que les rapports de ses ingénieurs n'arrivent
sur son bureau. Cette boutade souligne bien l'extrême importance
des essais en exploitation réelle pour tout système de commutation,
leur caractère parfois décourageant tant de problèmes
difficiles à soupçonner en laboratoire pouvant apparaître.
PLATON montra la faisabilité technologique de la commutation temporelle
; il restait à en réaliser l'industrialisation.
8 .Les problèmes généraux liés
au financement de la recherche par les commandes publiques sont abordés
par Christian Dilleman, « Les commandes publiques, stratégies
et politiques, » Notes et études documentaires , novembre
1977, 120 p.
Une politique industrielle conquérante
Le CNET orienta la CIT, Compagnie industrielle des téléphones,
filiale de la CGE, vers la technologie la plus en pointe, le temporel,
quitte à réaliser pour elle l'essentiel de l'effort de recherche.
Il semble que la filiale de la CGE, malgré l'intérêt
porté au projet par Ambroise Roux, accueillît la proposition
avec peu d'enthousiasme. Les conditions « très favorables
» proposées par le CNET forcèrent pourtant ces quelques
réticences. Pour mener à bien ce projet, le problème
du transfert de technologie était posé. Transmettre des
plans, des instructions à CIT aurait été totalement
inefficace car la structure d'accueil n'était pas suffisamment
solide pour en tirer parti. Une filiale de CIT, la SLE (Société
lanionnaise d'électronique) fut donc chargée d'assumer la
responsabilité de cette industrialisation. Certains ingénieurs
ayant développé le système au sein du CNET «
désertèrent » celui-ci pour rejoindre la SLE... avec
la bénédiction de leurs supérieurs. Travaillant d'abord
de manière très marginale au sein de la CIT, la SLE réussit
progressivement l'intégration du programme temporel au sein de
l'entreprise. La démarche suivie lors de cette étape cruciale
du développement du temporel fut donc très pragmatique.
Structure légère, la SLE était parfaitement adaptée
à son objectif. Elle joua parfaitement son rôle d'interface
entre le CNET et la CIT. Le développement des études donna,
sans modification fondamentale, le central E10 (9).
9. Outre son réseau de connexion temporel, le central E10 possédait
deux caractéristiques d'avant-garde : les fonctions de commutation
étaient réparties entre plusieurs processeurs spécialisés
et les fonctions de gestion ne concernant pas directement l'écoulement
du trafic étaient exécutées par un calculateur commun
à plusieurs unités de commutation.
Loin de constituer des « logiques » successives,
la politique de recherche et la politique industrielle étaient
donc bien présentes conjointement dans les orientations prises
par P. Marzin dès la fin des années 1950 (10) . En confiant
à une entreprise française l'innovation technologique radicale
que constituait le temporel, le CNET avait forgé une arme destinée
à écarter les filiales d'ITT celle-ci n'ayant pas
suivi l'évolution technologique du temporel au moment des
choix d'équipements. C'était une option risquée,
car elle engageait la principale entreprise française dans une
voie difficile. Elle était cependant la seule possibilité
d'échapper à l'influence prépondérante des
capitaux étrangers dans la commutation française et laissait
entrevoir de véritables possibilités de développement
pour les exportations. Dès 1972, la baisse constante du prix des
composants électroniques et la progression rapide des études
permettaient au CNET d'être optimiste : « La commutation temporelle
arrive plus tôt que ne l'avaient prévu la plupart des techniciens.
Sans doute faut-il s'en féliciter, car ainsi pourrons-nous hâter
la transformation du réseau en un réseau universel permettant
d'acheminer indifféremment de la parole et des données »
(11).
Le CNET n'entendait pas pour autant donner un monopole
à la filiale de CGE. Dès 1973, l'appel à un autre
fournisseur était prévu : « II est proposé
d'engager un second constructeur dans la production et l'installation
de centraux E10 à partir du programme 1975 », pouvait-on
lire dans un rapport. Ce texte poursuivait et ces quelques mots
contiennent l'aboutissement d'une démarche de plusieurs années
: « Le choix est à faire entre les sociétés
du groupe ITT (LMT, CGCT), STE, SAT et AOIP. Les premières sont
à écarter car elles ont choisi de s'attaquer à un
créneau différent du marché avec le modèle
Eli » (12).
10. Dans une table ronde consacrée à
l'histoire du CNET en 1983, A. Bertho envisageait l'histoire du Centre
comme la succession de trois « logiques », une logique d'exploitation
(1953-1958) précédant une logique de recherche (1958-1968)
débouchant finalement sur une logique de développement (1968-
1974). Cette perspective nous semble masquer la véritable démarche
de Pierre Marzin qui mit, dès la fin des années 1950, la
recherche au service d'un grand projet de restructuration industrielle.
11. C. Abraham, « Situation de la commutation
électronique en France et dans le monde », rapport pour le
département Commutation électronique et automatismes du
CNET, 16 mai 1972.
12. Note du CNET à l'attention de
Monsieur le ministre des PTT, 6 novembre 1973. La note évoquait
ensuite l'AOIP comme susceptible d'assurer une partie de la fabrication
prévue. La place de cette entreprise, qui est une coopérative
ouvrière, est bien particulière dans les projets de l'administration.
Très sévère à son égard, Jacques Darmon
estime : « Son inaptitude à suivre l'évolution rapide
de la technologie, son incapacité à attaquer les marchés
étrangers, ses coûts de production trop élevés
ont rapidement mis l'entreprise hors d'état de soutenir une concurrence
ouverte », Jacques Darmon, Le grand dérangement, Paris, J.-C.
Lattes, 1985, p. 171.
La logique technique devait donc réduire tout «
naturellement » la place de LMT et de la GCGT, leur participation
à l'équipement du pays passant obligatoirement par une licence
sur le matériel temporel. Forte de cette avance technologique,
la CIT devait donc se trouver en position de force sur les marchés
étrangers. Son matériel, accepté par une administration
importante, disposerait d'une crédibilité considérable,
ses coûts de production ne seraient pas alourdis par le versement
de royalties à une entreprise étrangère. Pour la
première fois depuis son arrivée sur le marché français,
ITT allait donc se trouver en état d'infériorité
technologique face à une entreprise française. La modernisation,
en fait le véritable développement tant attendu du réseau
téléphonique français pourrait s'appuyer sur une
technologie nationale.
Mettre fin au sous-développement téléphonique
du pays
II restait à concrétiser ces projets, car,
tandis que le CNET réalisait cet effort considérable de
recherche, l'équipement du pays en téléphone suivait
toujours son rythme d'escargot. Ce fut en fait lors de la présidence
de Georges Pompidou que les décisions furent enfin prises pour
combler un retard de plus en plus ridicule et pénalisant pour un
pays industrialisé. Le rôle de Yves Guéna, ministre
des PTT, fut important pour débloquer certaines pesanteurs, la
nomination du directeur du CNET, Pierre Marzin, à la tête
de l'administration des télécommunications montrant à
tous que l'avenir devait être fondé sur une technologie française.
Le premier problème à résoudre était
celui du financement du programme d'équipement. Pour cela, l'emprunt
fut retenu comme la meilleure solution et des sociétés de
financement furent créées pour mobiliser l'épargne
vers le téléphone. La décision fut prise à
la fin de l'année 1969 par la loi autorisant la création
des sociétés de financement des télécommunications.
L'agrément conjoint des PTT et du ministère des Finances
intervint le 24 décembre 1969. Joyeux Noël pour le téléphone
puisque cette organisation, bien que son efficacité fut parfois
contestée, constitua la base de tout son développement futur
] (13)
Quatre sociétés furent créées : FINEXTEL en
février 1970, CODETEL en janvier 1971, AGRITEL en juin 1972, CREDITEL
en octobre 1972.
Pour permettre à l'administration d'être
mieux à même d'assumer le développement du téléphone,
des réformes de structures furent également réalisées.
La création en 1968 de la Direction générale des
télécommunications (DGT), la suppression en 1971 du Secrétariat
général aux PTT amorçaient l'émancipation
des télécommunications, leur plus grande indépendance
par rapport aux Postes, dans une administration dont l'unité était
cependant préservée. Ainsi, pour la première fois
en 1970, le budget des Postes et celui des Télécommunications
furent présentés séparément.
Une importante réflexion sur le rôle et l'organisation
de l'administration fut également menée. En février
1974, la commission de contrôle parlementaire sur le téléphone
rendait un rapport dont les conclusions ne pouvaient qu'entraîner
une profonde réforme de l'organisation des télécommunications
françaises. « L'activité du ministère des PTT
a incontestablement un caractère industriel et commercial... Il
faudrait envisager de le scinder en deux administrations distinctes, postes
et services financiers d'une part, télécommunications d'autre
part. Pour ces dernières un établissement public des télécommunications
serait créé », estimaient les députés.
Loin d'être destiné à un oubli rapide, ce projet avait
reçu un accueil tout à fait positif à l'Elysée
: Bernard Esambert, conseiller de Georges Pompidou, avait convaincu le
Président et ce dernier était favorable à la réalisation
de cette réforme. Bien entendu, des difficultés pouvaient
être attendues de la part des syndicats, certaines grèves
l'avaient démontré, et il est certain que la mise en place
d'un tel changement aurait été délicate (14). Il
reste que la volonté politique était affirmée et
que ces propos ont un air très familier pour qui suit les débats
sur les télécommunications en 1989 ! Au début de
l'année 1974 tout semblait donc être en place pour que le
plan mis en uvre par. le CNET puisse enfin aboutir. Des structures
de financement étaient en place, une entreprise française
disposait d'une avance technologique de plusieurs années sur ITT,
une administration des télécommunications plus autonome
laissait entrevoir des structures plus souples pour gérer le développement
du téléphone.
13. Voir C.-H. Cotten, «Recours au marché
Revue française des télécommunications, numéro
1.
14. Voir à ce propos E. Quéré,
La crise du téléphone : ses causes, les solutions, Paris,
Fédération CGT des Postes et télécommunications,
mars 1976.
La révolution d'octobre
Nous reprennons ici l'expression la plus couramment utilisée
à propos de cette période par le personnel du CNET.
Le décès de Georges Pompidou et les élections
présidentielles de 1974, en bouleversant les données politiques,
entraînèrent une remise en cause complète de ces projets.
Le Conseil des ministres du 16 octobre 1974 annonçait la nomination
d'un nouveau directeur général des Télécommunications.
Gérard Théry remplaçait Louis-Joseph Libois, le «
père » de la commutation électronique française.
La nouvelle équipe bouleversa la stratégie mise en place.
L'attitude des ingénieurs du Centre lors des années précédentés
fut très critiquée. Il leur fut reproché d'avoir
été juges et parties dans les contrats d'études passés
avec les industriels mais surtout, plus fondamentalement, le CNET fut
accusé d'avoir outrepassé ses attributions et d'avoir déterminé
par ses options technologiques la politique industrielle de la DGT.
La nouvelle génération de décideurs,
arrivée au pouvoir grâce à l'élection de Valéry
Giscard d'Estaing, abordait les problèmes de manière totalement
différente. Son expérience n'était pas celle de l'Occupation.
Elle retenait essentiellement des années 1960 et du début
des années 1970 la vision d'une industrie française peu
dynamique, surprotégée par une administration excessivement
tolérante vis-à-vis des retards et des surcoûts trop
souvent observés. A la philosophie économique de Georges
Pompidou, encore très interventionniste dans son désir de
créer une industrie française capable de lutter à
l'échelle internationale, succédait une philosophie plus
libérale, du moins dans ses discours. Enjeu industriel essentiel,
les télécommunications furent pronfondément touchées
par ce changement de cap lié certes à des considérations
économiques mais dont les motivations politiques de la nouvelle
équipe au pouvoir n'étaient pas absentes. La structure de
l'administration fut considérablement modifiée, le rôle
et la place du CNET transformés. Le Centre ne dépendait
plus directement de la DGT mais d'une nouvelle structure, la Direction
des affaires industrielles et internationales (DAII). Celle- ci prenait
en main la définition des objectifs industriels, le CNET étant
limité à la recherche fondamentale et appliquée.
Les ingénieurs du CNET devaient chercher et non décider...
La nomination à la tête de la DAII de Jean-Pierre Souviron,
ingénieur en chef des Mines, semblait bien montrer que l'heure
de la « mise au pas » avait sonné pour le CNET.
De plus, l'un des principes qui avait structuré
le CNET à sa création, la liaison entre recherche et contrôle
du matériel, fut abandonné. « En politisant le problème
des choix industriels et en modifiant le régime de contrôle
des prix, l'administration a donc enlevé au CNET une fonction qu'il
remplissait bien par le passé (15)». En l'espace de quelques
semaines, « l'ensemble de l'organisation qui permettait au CNET
de maîtriser le processus d'innovation se trouve remis en cause.
Et cela est grave lorsque l'on sait le temps qu'il a fallu pour former
des équipes de recherche de haut niveau, c'est-à-dire capables
de dominer le processus d'innovation » (16).
Toute la logique qui soutenait le développement
du téléphone en France était donc bouleversée.
Les orientations destinées à développer une industrie
nationale par la dynamique de la recherche étaient abandonnées.
15. Alain Le Diberder, La production des réseaux
de télécommunications, Paris, Economica, 1983.
16. M. Nouvion, U automatisation des télécommunications
, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1982, p. 303. Cette rupture entre
contrôle technique et recherche n'a rien d'anecdotique, elle ne
correspond pas à une lutte entre services pour quelques prérogatives.
Elle peut entraîner une efficacité diminuée pour les
chercheurs, qui perdent le contact avec les équipes de l'industrie.
Quant aux contrôleurs, il leur est plus difficile de se maintenir
par la recherche au niveau des équipes qu'ils sont amenés
à superviser. M. Nouvion peut à ce propos émettre
l'hypothèse selon laquelle « ces décisions prises
trahissent une méconnaissance assez profonde des processus par
lesquels sont introduits l'innovation... ».
Un choix technologique discuté et une organisation industrielle
hésitante
Le principal argument justifiant le démantellement
du projet industriel du CNET qualifié de « politique
de l'Arsenal » s'appuyait sur le désir d'obtenir,
grâce à la mise en place d'un marché concurrentiel,
l'équipement téléphonique du pays à un prix
moins élevé. Une consultation fut organisée pour
cela en 1975. L'application de stricts critères de rentabilité
fit préférer le spatial au temporel, ce dernier étant
jugé encore trop cher et peu fiable. Plusieurs systèmes
furent mis en compétition mais aucun n'était contrôlé
par des brevets français. La CIT, orientée depuis des années
vers le temporel, ne disposait d'aucun projet sérieux en ce domaine.
Elle dut s'associer en catastrophe avec le japonais NEC pour proposer
du spatial. En fait, les entreprises les mieux placées dans cette
compétition étaient les filiales d'ITT, grâce au système
de commutation spatial (Metaconta qui deviendra le 11F finalement adopté)
mis au point avec l'aide des ingénieurs du CNET au sein de SOCOTEL...
La voie de garage se transformait en allée royale. Le choix du
spatial prenait à contre-pied la CIT et plaçait ITT en position
de supériorité technologique. Un comble après vingt
ans d'efforts destinés à écarter grâce au rapport
de force technologique la multinationale du marché français
! Les conséquences d'un tel choix apparurent très vite.
Il condamnait l'industrie française de la commutation à
de nouvelles décennies de dépendance vis-à-vis des
Américains. Malgré leur « libéralisme »,
les nouveaux responsables ne pouvaient assumer une telle responsabilité
devant l'opinion et les parlementaires. Une nouvelle tactique devait cependant
être définie puisque l'outil technique élaboré
depuis des années avait été écarté.
La politique de secours fut longue à se dessiner ; pendant plusieurs
mois, la politique industrielle des PTT navigua, c'est le moins que l'on
puisse dire, « dans le flou le plus complet» (17). Aucun choix
clair ne semblait pouvoir être pris : « Les dirigeants des
sociétés s'interrogent sur les alliances souhaitées
par le ministère de l'Industrie et de la recherche tandis que les
pouvoirs publics, Elysées et PTT, paraissent eux-mêmes attendre
que les industriels leur proposent des accords », pouvait-on lire
dans la presse (18). Ce fut en mai que le plan fut finalement arrêté
et exécuté. Le gouvernement opta pour la plus dirigiste
des politiques en imposant aux partenaires industriels l'entrée
de Thomson sur le marché du phone, ce groupe achetant une filiale
d'ITT et la filiale d'Ericson en France. Thomson bénéficia
d'un appui total du gouvernement pour se tailler rapidement une place
en ce domaine qu'elle avait abandonné au terme d'un accord signé
avec ITT... en 1927 (19). Présentée comme le moyen de diminuer
l'importance d'ITT en France, l'arrivée de Thomson était
aussi un épisode des luttes entre industriels français et
impliquait pour CIT un recul certain. Elle marquait la rupture des accords
Thomson-CGE de 1969, le « Yalta de l'électronique française
» qui réservait à CGE le domaine du téléphone.
L'arrivée brutale de Thomson dans le téléphone public
suscita de nombreuses interrogations à une époque où
l'ancien conseiller du président Pompidou, Ambroise Roux, connaissait,
à travers le groupe qu'il dirigeait, la CGE, de nombreux revers.
L'hebdomadaire Le Point évoquait même des explications échappant
à la simple logique industrielle et technique : « Dans ses
principales activités, la CGE vient de perdre tantôt ses
espérances, tantôt son leadership. Echec industriel ou cabale
politique ?... Dans ce pays où tout commence et tout finit par
des airs politiques, il en est que l'on chante sur plus d'un registre,
le gouvernement, V.G.E. en tête, entend casser les reins à
celui qui fut l'ami de Georges Pompidou » (20). Les négociations
furent difficiles, ITT n'accepta de vendre sa filiale LMT qu'en étant
assurée qu'une partie du marché français lui serait
réservée. La « reddition d'ITT » proclamée
par la presse prenait en fait pour de nombreux observateurs l'allure d'une
victoire :
ITT conservait la maîtrise des brevets clefs sur les centraux
spatiaux.
Les « royalties » que Thomson devrait verser à
ITT lorsqu'elle voudrait exporter rendrait son matériel fatalement
plus coûteux que celui, presque identique, vendu directement par
ITT.
La part de marché français réservée
à ITT allait garnir les carnets de commande de sa filiale française
et lui permettait d'envisager, forte de la référence apportée
par une telle commande, de s'attaquer à d'autres marchés
étrangers, notamment les pays arabes.
Enfin, LMT fut vendu au prix fort, 160 millions de dollars. Quatre
ans plus tard, l'action LMT était cotée à 50 % de
ce prix d'achat !
17. G. Pasturel dans L'Usine nouvelle du 29 janvier
1976.
18 . Henry d'Armagnac dans Le Nouveau Journal
du 3 février 1976 reflète parfaitement l'impression de totale
indécision, non seulement sur les buts, mais également sur
les responsabilités à prendre pour la réorganisation
de l'industrie des télécommunications.
19. Thomson était entré dans
l'industrie téléphonique en 1904 par l'acquisition des établissements
Postel-Vinay. Après un accord avec ITT en 1925, où Thomson
gardait la majorité de la Compagnie des téléphones,
Thomson-Houston ITT reprend l'ensemble du capital en 1927.
20. Le Point, 17 mai 1976.
Le choix spatial fut présenté comme étant
une position d'attente, permettant de laisser au temporel le temps de
mûrir et de profiter d'une baisse sur le prix des composants. L'argument,
apparemment logique, semblait écarter le problème des investissements
à réaliser pour développer de front deux systèmes
différents au sein de plusieurs groupes industriels. Une dernière
tentative pour réaliser l'unité technique de la commutation
française fut effectuée par les ingénieurs du CNET.
Ils s'attachèrent à définir un modèle de central
temporel unique, le El, pouvant être fabriqué par CIT et
Thomson. Encore une fois les ingénieurs se mêlait de politique
industrielle... Ce projet allait complètement à l'encontre
des plans de la DAII bien que le choix d'un système unique permettait
de maintenir la concurrence en répartissant les marchés
entre plusieurs constructeurs (21).
Ce type de concurrence orchestrée par l'administration, la DAII
n'en voulait pas. Elle désirait deux constructeurs totalement autonomes
ayant chacun leur indépendance technologique. Ainsi, ce ne fut
que lorsque Thomson fut capable de présenter sur le marché
un central temporel compétitif, le MT 20, que de nouveau le cap
fut mis vers le temporel dans un partage du marché entre Thomson
et CIT. Cette nouvelle orientation intervenait à peine deux ans
après la consultation de 1975 alors que les unités de production
pour le spatial étaient à peine prêtes ! Le spatial,
présenté a posteriori comme une solution transitoire «
en attendant » le temporel, donna en fait à Thomson le temps
nécessaire pour mettre en place sa propre technique en ce domaine...
au prix d'investissements inutiles et d'une perte de temps extrêmement
préjudiciable pour CIT par rapport à la concurrence étrangère.
La politique menée depuis 1974 s'avérait catastrophique
: comme l'écrivait J.-M. Quatrepoint, « les pouvoirs publics
ont fait de la concurrence et de l'internationalisation leurs maîtres
mots. Mais le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien ? Il est des moments,
surtout dans les technologies de pointe, où il faut arrêter
une politique et s'y tenir. La concurrence est une bonne chose si elle
ne tourne pas à l'imbroglio » (22).
21. Lors de la définition du projet E10, le
CNET dans une note au ministre avait bien précisé ce qu'il
entendait par « système unique » : « Tous les
exploitants, dans tous les pays du monde, ont une préférence
pour le système unique. La définition de ce qu'ils entendent
par là peut varier, cependant, système unique signifie au
minimum, d'une part, un seul matériel, pour chaque application
et, d'autre part, système construit par plusieurs fournisseurs,
de manière à faire jouer la concurrence », note du
CNET à l'attention de Monsieur le ministre des PTT, 6 novembre
1973.
22. Le Monde du 30 juillet 1976.
Des résultats décevants et le retour du champion national
La sanction économique de la nouvelle politique
fut particulièrement lourde. A l'exportation, la France perdit
beaucoup de temps, près de trois ans. S'il est vrai que l'introduction
du temporel dans un réseau n'est pas toujours facile, l'avance
technologique prise par la France fut comblée par ses principaux
concurrents. Certes, de beaux succès furent enregistrés
mais ils étaient sans commune mesure avec ceux que l'on pouvait
espérer, compte tenu de l'avance du E10 (et de son évolution
pour les grands centres urbains, le E12) sur les systèmes étrangers.
Georges Pebereau avait évoqué ces risques en 1976 : «
Si l'industrialisation du système El 2 prenait un retard d'un an
à 18 mois sur le calendrier, cela en serait fait des espérances
sur le plan mondial... Le matériel
El 2 doit être fabriqué tel qu'il est conçu
actuellement» (23). Au niveau national, la concurrence ne s'instaura
pas vraiment. Les prix payés par l'administration n'enregistrèrent
aucune évolution favorable pour celle-ci. Certains purent même
estimer que la séparation entre la recherche et le contrôle
du matériel réalisée en 1975, en privant le CNET
d'un atout essentiel, détériora la position de l'administration
face à ses fournisseurs.
Le retrait de Thomson de l'industrie du téléphone
à l'automne 1983 confirma qu'il n'y avait pas en France la place
pour deux groupes en ce domaine. Malgré un très important
effort de recherche et la qualité des résultats obtenus,
Thomson fut obligé de disperser ses efforts et ne put réellement
rentabiliser ceux-ci. D'énormes investissements furent ainsi perdus.
« Au lieu de consacrer l'ensemble de ses moyens techniques et financiers
au développement du système MT (temporel), Thomson les a
dispersés sur cinq systèmes différents de commutation...
Cette accumulation de développements simultanés ne pouvait
conduire qu'à la catastrophe ... C'est par centaines de millions
de francs qu'il faut mesurer l'effet de cette absence de priorité.
(24) » L'abandon de Thomson, qui a cédé à CIT
ses activités téléphoniques, a renvoyé de
fait la structure de l'industrie des télécommunications
à ce qu'elle devait être dans les projets mis au point avant
1974. Il est tentant d'expliquer ce revirement par le changement politique
intervenu en 1981 et la nationalisation des deux grands groupes industriels
Thomson-CSF et CGE. En fait, les nationalisations « n'ont joué
dans la genèse de l'accord qu'un rôle marginal » (25).
L'intérêt des deux groupes fut prépondérant.
Alain Gomez pour Thomson et Georges Peberau pour CGE tirèrent simplement
les conséquences des choix catastrophiques de 1975. Dans une situation
financière plus que préoccupante, Thomson devait absolument
se débarrasser d'activités déficitaires. CGE sut
en profiter pour devenir le seul groupe industriel du téléphone
en France par sa filiale portant désormais le nom d'Alcatel-Thomson.
Analysant les raisons de cet accord, Georges Pebereau déclarait
d'ailleurs : « Avant la crise on pouvait gérer des conglomérats,
après il faudra se concentrer sur ses métiers » (26)
En lisant dans la presse de cette deuxième année
de la première présidence de François Mitterrand,
à propos du nouveau montage industriel : « C'est avec près
de dix ans de retard ce que souhaitaient faire les hommes de Georges Pompidou
», il est tentant de penser que, bien qu'éloignés
par leurs camps politiques, les deux présidents se retrouvent,
à travers le temps, dans leur volonté de mener une politique
industrielle, garante de l'indépendance nationale (27).
Marcel Proust, consommateur pionnier, évoquait
déjà le téléphone, cet appareil « où
naîtrait si spontanément sur les lèvres de l'écouteuse
un sourire d'autant plus vrai qu'il sait n'être pas vu » (28).
Sa diffusion fut pourtant particulièrement difficile en France.
Son histoire, intimement mêlée à celle de la culture
française, rythmée par l'évolution des rapports entre
l'administration, l'Etat et l'industrie privée, souligne les effets
pervers du monopole d'Etat dans un domaine où, comme l'écrivait
joliment J.-J. Chiquelin, « l'enchevêtrement des relations
entre l'administration et le privé est d'une luxuriance toute amazonienne
». Le monopole n'est cependant qu'une donnée. Il ne détermine
pas fatalement un climat inhibant pour l'industrie. L'exemple de la politique
mise en uvre par P. Marzin montre qu'une administration consciente
des intérêts généraux du pays et de son industrie
peut être capable de mettre en place un projet ambitieux et dynamique
et de le mener à bien lorsqu'elle ne se contente pas de gérer
des positions acquises et le pouvoir de services inamovibles. A l'heure
où des choix décisifs se présentent pour l'avenir
des télécommunications françaises, il semble bien
que les idées toutes faites sur le sacro-saint service public ou
la miraculeuse séparation de l'entreprise et de l'Etat doivent
être laissées de côté. C'est sur un monopole,
celui d'ATT, que la puissance des télécommunications américaines
fut fondée et l'unanimité ne se réalise pas, loin
de là, sur la pertinence de son démantèlement. De
même les spéculations sur la déréglementation
paraissent exagérer un phénomène dont les conséquences
restent encore bien modestes. Les expériences passées et
les nouvelles données apparues dans les années 1980 laissent
supposer que la France devra adopter quelques principes simples pour se
donner toutes les chances du succès. Définir clairement
et durablement les responsabilités respectives du secteur privé
et de l'administration, quelles que soient leurs parts respectives. Déterminer
pour le long terme les choix politiques afin que ne pèsent plus
sur les industries les risques de changement de cap intempestifs. Ces
facteurs institutionnels ne doivent cependant pas éclipser les
paramètres économiques et technologiques. Pour être
en mesure de répondre aux défis que représentent
les énormes besoins financiers de la recherche et l'internationalisation
des marchés, les alliances avec les grands de l'industrie mondiale
ne pourront être évitées. Cette dernière remarque
se trouve d'ailleurs confortée par le rôle croissant joué
par l'informatique dans les télécommunications. D'importantes
restructurations industrielles en découleront fatalement, l'accord
CGE- ITT l'a récemment démontré.
23. Georges Pebereau, déclaration à Y
Agence nouvelle, 8 juillet 1976.
24. Jacques Darmon, op. cit., p. 94.
25 J.-M. Quatrepoint dans Le Monde du 9 septembre
1983.
26. Déclaration de G. Pebereau au
Quotidien de Taris du 15 septembre 1983.
28. Le Matin du 9 septembre 1983.
27. M. Proust cité par P. Carré,
« Proust, le téléphone et la modernité »,
Revue française des télécommunications, janvier 1988,
p. 55-64.
Quel avenir pour les communications françaises?
Au-delà du domaine des télécommunications,
l'histoire industrielle et technique de la France est éclairée
par cette étude du téléphone. Les principes pouvant
guider l'organisation de la recherche-développement apparaissent
par exemple plus clairement. Pour que celle-ci se déroule dans
de bonnes conditions, l'existence de la structure responsable, qu'elle
soit privée ou d'Etat, doit être liée à la
réussite du projet qu'elle entreprend. En créant spécialement
RME pour la recherche en commutation électronique, Pierre Marzin
avait posé les bases psychologiques de la réussite du projet.
Cette capacité à rompre avec les situations acquises est
rare en notre pays ! Au cur de ces problèmes, le rôle
décisif de l'innovation dans les rapports de force entre Etats
et entre entreprises apparaît. Certes, le poids financier, les structures
commerciales sont des éléments essentiels mais lorsque une
innovation apporte un progrès réel ou des économies
substantielles, elle peut entraîner d'importantes modifications
dans les rapports de force au sein d'une branche industrielle. En ce qui
concerne spécifiquement les télécommunications, l'innovation
technologique nous semble bien ouvrir de courtes périodes durant
lesquelles de nouvelles frontières se dessinent entre les groupes
industriels. Cette période terminée, les rapports de force
se stabilisent pour une période bien plus longue. Il reste que
pour profiter pleinement de ce mécanisme, l'entreprise doit y être
préparée par une politique de recherche ambitieuse et doit
s'engager dans la phase d'industrialisation avec détermination,
la vitesse d'introduction de l'innovation sur le marché étant
cruciale.
Malgré les occasions perdues, le bilan de l'administration
des Télécommunications et de l'industrie française
est pourtant positif. Thomson-Alcatel, au sein du groupe CGE, est un candidat
sérieux pour les compétitions internationales et a déjà
remporté de beaux succès à l'exportation. La France
est enfin dotée d'un téléphone moderne complété
par de nombreux services dont le Minitel n'est pas le moindre. Recentré
sur ses points forts, Thomson a remporté un succès prometteur
en vendant son système RITA à l'armée américaine,
faisant la preuve de son avance technologique dans les systèmes
sophistiqués. L'administration des Télécommunications
a su considérablement évoluer pour s'adapter à ses
nouveaux objectifs. Une véritable « culture d'entreprise
» propre à France-Télécoms, formée autant
par les orientations générales que par la réflexion
d'un personnel très qualifié sur sa mission, s'est forgée
durant cette période (28) . Dotées d'un énorme potentiel
scientifique et d'un savoir-faire au tout premier rang mondial, les télécommunications
françaises, quels que soient leur organisation et statut futur,
devront penser à l'échelle planétaire et se doter
de structures où intérêt général, indépendance
nationale et compétitivité ne seront pas incompatibles.
28. Sans adhérer aux explications freudiennes
de L. Virol, nous pensons avec lui que durant cette période une
véritable « identité » de l'administration des
télécommunications s'est forgée. Son étude
est certainement une clef pour comprendre l'évolution de ce secteur.
La réflexion menée par les ingénieurs des télécommunications
sur l'avenir de la DGT et du monopole forme, par exemple, un élément
très important pour réfléchir aux solutions d'avenir.
L. Virol, « L'administration face à l'évolution de
la demande, des techniques et des mentalités », dans A. Giraud,
J.-L. Missika, D. Wolton (dir.), Les réseaux pensants, Paris, Masson,
1978.
QUELQUES ÉLÉMENTS TECHNIQUES
Pour que deux correspondants puissent communiquer, leur
voix doit être transportée tout au long de lignes téléphoniques.
Les moyens utilisés pour cela, et tout particulièrement
les cables, relèvent de la « transmission ». Il n'y
a cependant pas que deux abonnés, le réseau en comprend
des millions et il n'est pas question de relier directement chaque abonné
à tous les autres abonnés par un fil. Il faut donc acheminer
les communications sur des voies de tailles différentes, les orienter
vers le bon destinataire. Le central de commutation est l'élément
essentiel de cette distribution des messages, sorte de gare de triage
du réseau téléphonique. L'autre grand domaine technique
du téléphone est donc la « commutation ».
Le Crossbar fut après la seconde guerre mondiale
le modèle de central de commutation le plus développé.
Lorsque un abonné appelle son correspondant, la bonne destination
est sélectionnée par des systèmes de barres se croisant
(Crossbar) en fonction du numéro composé sur le combiné.
A chaque numéro correspond une position différente.
L'électronique a donné aux techniques de
commutation de nouvelles possibilités. Le central de commutation
spatial n'est que partiellement électronique, il sélectionne
toujours la bonne connection dans l'espace par le croisement de barres
métalliques. Il est en fait un central Crossbar dont les performances
sont améliorées grâce à des calculateurs électroniques.
Le central de commutation temporel est lui totalement électronique.
Il sélectionne la bonne connection grâce à des systèmes
électroniques commandés par des programmes informatiques.
Il rompt totalement avec la technologie Crossbar, aucune pièce
mécanique n'est en mouvement, la dimension de sélection
n'est plus l'espace mais le temps, la gestion est totalement informatisée.
La commutation temporelle permet de mettre en place le
Réseau numérique a intégration de service (RNIS)
qui transmettra sur un réseau unique l'ensemble des informations,
voix, images, données informatiques.
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