Le CNET
Centre national d'études des télécommunications
Le Centre national d'études des
télécommunications , le CNET, était un laboratoire
de recherche français en télécommunications.
Le 1er mars 2000, les changements économiques
intervenus dans ce secteur ont conduit lÉtat et France
Télécom à fusionner le CNET avec diverses autres
entités pour former France Télécom R&D,
devenu Orange Labs en 2007.
Dans les années 1930, au sein de l'administration des
PTT, deux petits organismes ont vocation à mener des recherches
en télécommunications : Le « Service d'études
et de recherches techniques » (SERT) et le Laboratoire national
de radioélectricité (LNR).
Avec quatorze ingénieurs, le SERT, créé est une
sorte de bureau d'études chargé d'établir les
cahiers des charges (décret du 4 juillet 1916).
Le LNR, créé en 1931 et issu du laboratoire de télégraphie
militaire créé par le général Ferrié
en 1926, ressemble plus à un laboratoire de recherches car
il regroupe des scientifiques reconnus dans un certain nombre de domaines
comme la physique de la haute atmosphère ou la métrologie.
Ce laboratoire interministériel rattaché aux PTT est
sollicité pour l'affectation de fréquences entre les
différents acteurs, privés ou publics de la radiodiffusion.
sommaire
En 1940, après la défaite de juin 1940
et l'instauration de ce que l'on appellera le régime de Vichy,
un comité de coordination des télécommunications
impériales (CCTI) fut créé pour organiser les
politiques de télécommunications.
Au cours de la période 1940-1944, l'administration des PTT
sera d'ailleurs complètement remaniée, notamment dans
le secteur des télécommunications. Le premier organe
créé spécifiquement pour la recherche est la
« Direction des recherches et du contrôle technique »
( DRCT ) qui regroupe l'ancien SERT et le service de vérification
du matériel.
En 1941, elle compte 314 personnes dont 28 ingénieurs, dirigées
par Jean Dauvin assisté de Charles Lange. Jean Dauvin s'emploie
à développer un puissant centre de recherches PTT avec
des ingénieurs dont la compétence doit égaler
celles de leurs collègues d'entreprises privées comme
la Société française radio-électrique
(SFR).
À la suite de l'armistice du 22 juin 1940,
les corps d'ingénieurs militaires ont été dissous
et 80 ingénieurs et 100 agents des transmissions militaires
trouvent refuge dans les diverses administrations des PTT dont certaines,
comme le SERT de Lyon, n'étaient qu'une couverture pour effectuer
des tâches militaires. L'invasion de la zone libre, en novembre
1942, conduira le SERT à abandonner les recherches militaires.
La voie est alors ouverte pour que Jean Dauvin accélère
l'évolution qui va mettre un terme aux pratiques d'avant-guerre
où les techniciens de l'État se cantonnaient dans l'énoncé
des problèmes, l'orientation des études et le contrôle
des réalisations. Pour que les techniciens des administrations
soient excellents, il faut qu'ils disposent de leurs propres laboratoires.
Pour Jean Dauvin et Charles Lange, avec l'expansion rapide des télécommunications,
un laboratoire d'État ne ferait pas concurrence aux laboratoires
industriels privés.
Finalement, avec l'appui du ministre à la Production industrielle
Jean Bichelonne, le CNET, créé par acte dit Loi
n°102 du 4 mai 1944, regroupe la plus grande partie des
services rattachés jusqu'alors à la DRCT, et reste,
en principe, un organe interministériel.
À la Libération, par l'arrêté
du 18 novembre 1944, Jean Dauvin, trop lié au régime
de Vichy, est remplacé par Henri Jannès, responsable
des télécommunications en Afrique du Nord en 1943 et
ancien résistant gaulliste. L'ordonnance de validation n°
45-144 signé par le général de Gaulle le 29 janvier
1945 conserve le caractère interministériel du CNET.
La création du CNET par la loi du 4 mai 1944,
confirmée quelques mois plus tard par le Gouvernement provisoire,
marque un véritable tournant. Celui-ci nest cependant
pas dénué dambiguïté pour les ingénieurs
des Télécoms. Si limportance stratégique
des télécommunications est reconnue par cette initiative,
le statut interministériel du CNET ramène en revanche
ladministration des PTT à un rôle de simple partenaire
dun projet plus large, impliquant notamment les militaires.
Pierre Marzin, qui a été nommé au sein
du CNET directeur de la « section particulière
des PTT », soppose rapidement à ce principe. En
1946 cette section reprend officiellement son indépendance
et devient le SRCT.
La question de larticulation entre le CNET et
lindustrie sétait posée dès sa création.
Henri Jannes, le premier directeur, avait mis en place une politique
autoritaire très mal perçue par les industriels. Sa
doctrine était fondée sur la logique dun opérateur
soucieux dobtenir les meilleurs prix de la part de ses fournisseurs.
Non dénuée déléments idéologiques,
la politique dHenri Jannes tenta dinscrire la relation
avec les industriels comme la résultante dun rapport
de force favorable à la puissance publique. Pierre Marzin souhaitait
au contraire un véritable partenariat entre opérateur
et manufacturiers, susceptible de permettre la création dun
contexte favorable à lémergence dune industrie
nationale puissante et autonome.
Jusqu'en 1954, le CNET dirigé par Henri Jannès devra
coexister avec le Service des recherches et du contrôle technique
SRCT, créé par le ministère des PTT le
25 avril 1946, et dirigé par Pierre Marzin, ancien adjoint
de Jean Dauvin.
La Direction générale des Télécommunications
(DGT) poussera à partir de 1953 à l'abandon par le CNET
de son caractère interministériel et à son intégration
de fait dans le SRCT. Les deux organismes fusionnés prendront
le nom de CNET.
Cette rupture met en évidence plusieurs éléments
qui marqueront les développements futurs. Elle signale tout
dabord que la recherche est devenue un point central pour le
développement des télécommunications françaises,
non seulement en termes opérationnels, mais également
en tant que lieu de pouvoir. Elle place la question des relations
entre recherche publique et industrie privée au cur des
débats. Désormais, cest dans une large mesure
de cette relation que résultera lorganisation de la recherche.
Elle pose enfin la question des relations entre lopérateur
de réseau et le développement de cette recherche. Cette
dernière question est résolue en 1954 lorsque le contraste
entre la réussite du SRCT et les difficultés du CNET
interministériel imposera un CNET « réunifié
» sous lautorité du ministère des PTT.
Pierre Marzin peut appliquer ces idées à
la fin des années 1950. Les enjeux les plus importants étaient
reliés au développement du téléphone dans
lespace national avec deux grands domaines, la transmission
et la commutation. Les collaborations entre le CNET et lindustrie
sétaient développées de manière
significative pour la mise en uvre de technologies innovantes
en transmission dès les années 1950..
sommaire
Le CNET s'est investi très tôt dans
les semiconducteurs.
Dès la fin de la guerre, vers 1946-1947, le CNET avait fait
son marché en Allemagne. Il avait récupéré
deux scientifiques allemands H.Welker et H.Mataré et avait
contribuéà leur installation dans un laboratoire de
la Société des freins et signaux Westinghouse,à
Aulnay-sous-Bois. Le CNET
finançait dans cette société des études
sur les cristaux de Germanium et de Silicium afin de développer
une fabrication française de détecteurs pour hyperfréquences.
A la même époque le CNET avait pris en charge un petit
laboratoire allemand de la Forêt Noire où un cristallographe,
le Dr Emmanuel Franke, travaillait sur la synthèse hydrothermale
du quartz, matériau stratégique dont les belligérants
avaient été friands durant la guerre. Après quelques
péripéties les deux opérations se rejoignent.
D'une part, en 1948, le CNET rapatriéà Paris, rue Dussoubs,
dans les greniers des magasins Réaumur, le laboratoire du Dr
Franke . D'autre part la collaboration avec Westinghouse se détériore
quelque peu. Les résultats des recherches menéesà
Aulnay sont mitigés : les avis sur les performances telles
que l'on peut les connaître à travers les archives sont
divergents et, en tous cas, les militaires émettent des critiques
sur la qualité des détecteurs fournis . Le soutien du
CNET n'est plus garanti, tandis que l'industriel s'interroge sur son
intérêt dans cette affaire. H.Welker, physicien de réputation
mondiale ne tarde pas à retourner en Allemagne où Siemens
lui propose de diriger les recherches sur les semiconducteurs. Quant
à Mataré, il émigre aux EU où il fera
parler de lui quelques années encore.
Marzin et Sueur ont une ambition nouvelle . Les détecteurs
hyperfréquences que Westinghouse peine à développer
sont certes bien utiles pour les futurs faisceaux hertziens (et plus
encore pour les radars des militaires) mais les Bell Laboratories,
pour lesquels Marzin et Sueur ont une admiration profonde, ont annoncé
dans Physical Review, début 1948, l'invention, le 23 décembre
1947, d'une sorte d'effet triode dans l'état solide : deux
pointes métalliques en contact avec soin sur une surface de
Ge ont permis aux chercheurs américains de Muray Hill, d'amplifier
des signaux électriques. L'invention du transistor à
pointes, comme le soulignent Michael Riordan et Lillian Hoddeson ,
ne fait pas la une de la presse grand-public : elle n'apparaît
qu'en page 46 du New York Timesdaté du 1er juillet 1948, lorsque
le quotidien rend compte de la première conférence de
presse faite, le 30 juin, sur le sujet par les Bell Labs. En France,
l'invention n'échappe pas à l'attention de Sueur et
de Marzin. Leur réaction est rapide, et ils chargent le Dr
Franke de reprendre, à Issy-IesMoulineaux, où un nouveau
bâtiment, le bâtiment B, vient de s'achever, les recherches
sur le germanium financées jusqu'alors à Aulnay.Georges
Petit Le Du qui a fait ses classes avec Welker est recruté
par le CNET où il monte un laboratoire de croissance de cristaux
semiconducteurs. Christian Licoppe a bien montré que ce pari
technologique sert à merveille l'ambition de Marzin et deSueur
de faire du SRCT l'aile marchante du CNET. Pour Pierre Marzin le caractère
interministériel de celui-ci est une construction commode.
La partie téléphone du CNET, financée sur le
budget des PTT, est de loin la plus importante et dispose de moyens
importants. Les membres de la meilleure équipe de l'ancien
CNET, la Division tubes et hyperfréquences, installée
à Neuilly, se sont dispersés. Le SRCT a, en outre, une
mission claire,orientée vers le développement du réseau
téléphonique; il est la partiemoderne de ce CNET dont
Pierre Marzin deviendra, quelques années plus tard, le directeur.
En octobre 1953, le groupe du Dr Franke fait partie du "célèbre"
Département Transmissions du SRCT : on y fabrique les premiers
monocristaux de Ge. On sait en mesurer la résistivité
électrique point par point, mais il faut monter la mesure de
la durée de vie des porteurs minoritaires, celle de l'effet
Hall, etc. Il faut surtout apprendre à faire des jonctions
p-n, les caractériser et fabriquer en quelques exemplaires
le transistor à jonction, ce nouveau composant qui vient de
détrôner le transistor à pointe. René Sueur
et Emmanuel Franke encouragent la petite équipe Ils partagent
notre enthousiasme et nous donnent des moyens. Mais que savons-nous
des semiconducteurs ? Rien, nous avons tout à apprendre .
...
Ainsi débute au Cnet l'épopée des semiconducteurs
racontée dans
ce document .
...
Jusqu'à sa nomination comme Directeur général
des Télécommunications en 1965, Pierre Marzin a été
la personnalité dominante du CNET. Son influence a eu des conséquences
directes et indirectes sur l'implication du CNET dans le développement
des semiconducteurs en France .
Le Transistron
Linvention du transistor à pointes
en Amérique en décembre 1947 et sa révélation
publique - après dépôt des brevets - le 30
juin 1948 font partie de lhistoire bien connue de lélectronique.
Mais il est moins connu quen France, au même moment,
nous étions de manière indépendante quasiment
au même point. Cest cette histoire que nous nous proposons
de ressortir de loubli, sur la base des documents dépoque,
sans contester la paternité des brevets américains
sur ce sujet
En France, Eugène Aisberg donne linformation de linvention
du transistor dans le numéro de septembre 1948 de sa revue
« Toute la radio ». Il sera le premier de la presse
spécialisée en Europe à le faire. Les trois
chercheurs américains des laboratoires Bell (John Bardeen,
Walter Brattain et William Schockley) recevront le prix Nobel
en 1956 pour leur travail. Ils ont été les premiers
à faire fonctionner un transistor à pointes
puis à jonction et sont à lorigine
de lindustrie mondiale des transistors. Mais dautres
chercheurs dans dautres pays ne sont pas restés inactifs,
même si leurs travaux ont été éclipsés
par léquipe des Bell Labs
En France, à la Libération, Henri Jannès,
directeur du C.N.E.T fait le triste constat : « La technique
française, en ce qui concerne la fabrication des petits
tubes et des tubes spéciaux, est en retard de dix ans sur
la technique américaine». La France navait
pas en effet anticipé le développement des semi-conducteurs
et navait pas comme en Allemagne ou aux Etats-Unis créé
avant ou pendant la guerre des équipes de recherche travaillant
sur le remplacement des tubes par des composants amplificateurs
« solid state ».
Les détecteurs en germanium et silicium récupérés
à partir de matériels militaires allemands et américains
font lobjet détudes au SRCT (Service
des Recherches et du Contrôle Technique), le service détudes
propre au ministère des P.T.T., dont le directeur est Pierre
Marzin. La possibilité de monter à des fréquences
très élevées de lordre de 3 Mhz leur
confère un intérêt certain pour les réseaux
de télécommunications.
Comme dans beaucoup de domaines, des spécialistes allemands
viendront après guerre renforcer les équipes scientifiques
des pays vainqueurs. Les français arrivent à convaincre
en 1946 deux chercheurs allemands spécialistes du domaine
des semi-conducteurs de venir poursuivre en France leurs travaux
initiés pendant la guerre [DUP 07]. Ils ont été
comme dautres scientifiques « débriefés
» par les services de renseignements alliés. Le docteur
Herbert Franz Mataré a étudié à Aix
la Chapelle puis à Genève où il a aussi appris
le français. En 1939 il rejoint le laboratoire de TELEFUNKEN
à Berlin. Il se consacre durant la guerre à lamélioration
du récepteur à bande centimétrique. Il a
travaillé sur des duo-diodes en cherchant à reproduire
des caractéristiques proches entre les 2 pointes pour pouvoir
éliminer le bruit. Après la guerre il devient professeur
avant daccepter de rejoindre en France début 1947
la Compagnie des Freins et Signaux Westinghouse
(C.F.S.W).
Le docteur Heinrich Johann Welker a travaillé avec Sommerfeld
pour obtenir son doctorat. Il publie avec lui des articles fondamentaux
qui feront date. Pendant la guerre il travaille pour le service
des recherches des transmissions, entre autres sur des détecteurs
à cristal pour ondes centimétriques mais aussi sur
un « cristal à 3 électrodes ».
Dans les conditions difficiles de laprès-guerre en
Allemagne, il sest établi comme ingénieur
indépendant. Il rejoint comme Herbert Mataré la
France début 1947 et travaille avec lui pour la Compagnie
des Freins et Signaux WESTINGHOUSE, société française
qui na plus après guerre de relation de dépendance
avec lancienne maison mère américaine WESTINGHOUSE
ELECTRIC INTERNATIONAL COMPANY.
Sous limpulsion de Pierre Marzin et de son adjoint René
Sueur, la Compagnie des Freins et Signaux WESTINGHOUSE a négocié
et signé en novembre 1947 un contrat de 6 millions de Francs
avec le SRCT pour développer et industrialiser des diodes
au germanium et au silicium. Comme WESTINGHOUSE était déjà
connue pour ses redresseurs et ses détecteurs WESTECTOR,
ce contrat lui permettait délargir le champ dactivités
vers les redresseurs très hautes fréquences. La
compagnie na pas attendu la signature du contrat et a anticipé
les travaux.
Il a fallu créer de toutes pièces un laboratoire
séparé consacré au germanium et au silicium,
indépendamment du sélénium. Les docteurs
Mataré et Welker ont donc investi un petit pavillon dAulnay-sous-Bois
pour en faire leur laboratoire,
Welker se chargeant de lélaboration du germanium
et Mataré de la technique de production des diodes et des
mesures associées. Lobjectif était de concurrencer
les diodes américaines SYLVANIA telle la 1N34. Dés
mi-1947 la production commence. Début 1948 3000 diodes
sont réalisées mensuellement et ce volume passe
à 10 000 / 20 000 par mois début 1949 avec des performances
suffisamment bonnes pour atteindre 3 cm de longueur donde.
Mais quand son travail lui laisse le temps, Mataré reprend
ses travaux sur la duo-diode entamés en Allemagne durant
la guerre. Début 1948 donc un peu après les
Américains - il arrive à piloter le courant dans
une diode à partir de lautre, même avec les
2 pointes distantes de 100µ. Welker essaie dinterpréter
ces résultats sur la base de la théorie de Schottky.
Ils sont eux aussi en présence dun amplificateur
solide, sur la même base que les Américains
!
Et cest ainsi que le 13 août 1948, les docteurs
Herbert F. Mataré et Heinrich J. Welker déposent
en France un brevet pour leur « Transistron »,
suite à leurs travaux pour le compte de la Compagnie des
Freins et Signaux Westinghouse. Ces travaux ont été
financés dans le cadre dun second contrat par le
ministère des P.T.T. qui recherchait le moyen de
remplacer les amplificateurs relais à tubes dans les liaisons
téléphoniques, beaucoup trop gourmands en
énergie.
|
Le « Transistron » nest
rien moins que la version européenne du transistor
à pointes dont le nom a été subtilement
changé par René Sueur pour se démarquer
du vocable américain de transistor. La photo ci-contre
montre la première réalisation en Juin 1948
selon le docteur Mataré (donc un peu avant lannonce
officielle US du 30 juin 1948).
Premier transistor européen construit en juin 1948
au laboratoire de la
Compagnie des Freins et Signaux Westinghouse, Paris, par
les docteurs H.F. Mataré et H. Welker (source Deutsches
Museum)
Noter la similitude avec le type A de Bel
|
Ce dépôt de brevet est un baroud dhonneur
en réaction à lannonce américaine du
30 juin 1948 en vue de se préparer à une future
guerre des brevets. Elle naura finalement pas lieu : les
Bell Labs décideront en 1951 doffrir des licences
à des conditions très favorables. Les frais de licence
seront faibles (25 000$) et rendront le transistor accessible
y compris à de jeunes « start-up » tel TEXAS
INSTRUMENTS aux Etats-Unis et SONY au Japon
qui se développeront
comme lon sait à partir de cette licence !
Il est cependant reconnu de nos jours par la communauté
scientifique américains y compris - que vu le secret
ayant entouré linvention des Bell Labs, linvention
du transistor à pointes de Mataré et Welker sest
faite de manière indépendante. Déjà
en son temps lindépendance de linvention navait
pas été contestée, voir par exemple ce quen
dit Aisberg : « Aussi, jusquà preuve du contraire,
devons-nous considérer comme acquis que létude
de la triode au germanium a été accomplie au laboratoire
des P.T.T. parallèlement avec le travail de recherche américain
» .
Lexistence du « transistor français »
était parvenue aux oreilles des équipes américaines
des Bell Labs qui ont détaché en 1949 lun
des leurs, Alan Holden, visiter le laboratoire dAulnay-sous-Bois.
Il écrira dans une lettre du 14 mai 1949 à Schokley
« Quand nous arrivâmes, ils étaient en train
de transmettre à un petit récepteur radio situé
à lextérieur à partir dun émetteur
situé à lintérieur et modulé
par un transistor
Cette équipe des P.T.T. me semble
très bonne. Ils ont de petits groupes dans toutes sortes
de « trous de rats », maisons de fermes, fromageries
et prisons dans la banlieue de Paris. Ils sont tous jeunes et
enthousiastes ».
Cette invention « française » (on devrait dire
franco-allemande car les travaux des 2 chercheurs allemands ont
commencé en Allemagne avant et pendant la guerre 39-45)
sera rendue publique le 18 mai 1949 soit quatre jours après
la visite des Bell Labs - et sera qualifiée par les autorités
à juste titre de « brillante réalisation de
la recherche française ». Linformation était
classée secret défense avant cette date.
La presse spécialisée nest pas conviée
à cette présentation officielle, ce qui provoquera
le courroux dEugène Aisberg, directeur de la revue
« Toute la Radio » dans son article « Transistron
= transistor + ?» publié en août 1949.
Cest donc par la voie des quotidiens que la nouvelle est
diffusée. Ils montrent la photo du Secrétaire dEtat
aux P.T.T., M. Eugène Thomas, tenant dans sa main une lampe
et le nouveau Transistron
Le Transistron montré en comparaison avec une lampe PTT
de la S.I.F. Photos du Transistron 1949 avec une règle
pour léchelle (source Patrice Zeissloff). Vue en
coupe du Transistron 1949.
A cette présentation publique du « Transistron
triode type P.T.T. 601 » seront montrés quelques
appareils équipés de ce nouvel amplificateur «
solide » : un poste récepteur radio, un poste émetteur,
et des répéteurs téléphoniques.Voici
la photo dun répéteur téléphonique
:
Répéteur auto-alimenté à 2 Transistrons
(source Patrice Zeissloff)
Malgré les conditions difficiles dues à laprès-guerre,
une production en quantité limitée est obtenue début
1949 et livrée aux services commanditaires des P.T.T. Le
premier objectif industriel est déquiper la ligne
téléphonique Paris-Limoges de répéteurs
à Transistrons. Voici une photo de cette version industrielle
de 1949-50
... |
sommaire
La première tâche du CNET est de rétablir
un réseau de télécommunications (téléphone
et télégraphe) en France. Sa première réalisation
visible par le grand public est, en 1953, la retransmission par voie
hertzienne du couronnement d'Élisabeth II.
Au cours des années 1950, les programmes de
recherche sont prioritairement destinés à soutenir lexploitation
du réseau et à former les équipes en essayant
de connaître, puis dassimiler les recherches menées
notamment aux États-Unis. La modernisation des lignes à
longue distance grâce aux câbles coaxiaux, la mise en
place des premières lignes à faisceaux hertziens, le
développement des premiers semi-conducteurs français
et des téléimprimeurs électroniques, la conception
du premier câble sous-marin téléphonique français
(Marseille, Alger) constituent quelques-uns des faits les plus marquants
dune recherche « raisonnable », à peine ternie
par léchec « flamboyant » du central L
43
En 1954, le Laboratoire national de radioélectricité
(LNR), situé à Bagneux dans les Hauts-de-Seine, est
intégré au CNET.
La mise au point, à la même époque, du Tecnetron
par Stanislas Teszner, préfigure le transistor à effet
de champ. La même époque voit l'émancipation des
structures issues des PTT et l'éloignement, budgétaire
et humain, des entités liées aux armées.
Les investissements dans le domaine
spatial
La décennie suivante, de 1955 à 1965, marque l'essor
des télécommunications spatiales, illustré en
1962 par la première liaison télévisée
intercontinentale entre Pleumeur-Bodou en Bretagne et Andover.
Le CNET lance sa première fusée, Véronique, en
1957. La recherche spatiale s'est ouverte, avec le premier Spoutnik
et, en 1959, un nouveau département est constitué au
CNET avec François du Castel. Bientôt un groupe du CNRS,
le GRI, est aussi hébergé au CNET.
Les deux groupes fusionneront ultérieurement pour constituer
le CRPE, premier laboratoire commun CNET-CNRS.
En recherche spatiale, le CNET ajoute à ses
compétences en radioélectricité sa technicité
en matière de fusées puis de satellites. Il est ainsi
capable de proposer rapidement au CNES naissant de premières
réalisations, avec le premier satellite scientifique français
FR-1 et avec le sondeur ionosphérique à diffusion incohérente.
La complémentarité science-technologie donne au CRPE
un poids considérable dans la recherche spatiale et il acquiert
une très bonne réputation mondiale. Il est responsable
du projet de satellite franco-soviétique Roseau, le premier
satellite à ordinateur embarqué, malheureusement abandonné
en 1968. Il lance le projet européen de sondeur à diffusion
incohérente EISCAT en zone polaire.
Les investissements dans la commutation téléphonique
Au début des années 1960, deux filiales
de ITT, la CGCT et LMT, ainsi que la société suèdoise
Ericsson, contrôlaient plus de 65 % des commandes de l'Etat
en matériel de commutation pour les services téléphoniques.
Le CNET est appelé par l'Etat à y remédier, dans
le sillage de la commission de modernisation des télécommunications
créée en 1947.
Dans sa configuration « réunifiée
», le CNET monte en puissance au tournant des années
1950-1960. Il trouve sa place et accroît sa visibilité
grâce à des projets efficacement menés.
En mars 1957, les laboratoires Bell invitent dans
leurs laboratoires de Murray Hill, dans le New Jersey, tous les organismes
et sociétés publics ou privés qui ont des accords
de brevets avec Western Electric. Une démonstration d'une
première maquette de central téléphonique électronique
est effectuée devant les participants à ce colloque
: des exposés sont faits et une abondante documentation est
remise aux invités. Pierre
Marzin, qui avait tenu à participer en personne à
ce symposium, en revint enthousiasmé.
La commutation, presque totalement dépendante des brevets américains
ou suédois, restait un point noir. En avril 1957, informé
par une mission dingénieurs des progrès réalisés
outre-Atlantique par AT&T en matière de commutation électronique,
Pierre Marzin crée un nouveau département du CNET appelé
RME,
Deux directions soffraient aux chercheurs. La
plus audacieuse rompait totalement avec les anciens centraux. La plus
« raisonnable » sappuyait sur les anciens équipements
pour en améliorer les performances grâce à des
calculateurs électroniques. Deux fers sont mis au feu. Le spatial
(système intermédiaire) dans les laboratoires parisiens,
le temporel (système radicalement neuf) au centre de
recherche de Lannion.
Léquipe de Lannion, menée par Louis-Joseph Libois,
développe le projet PLATON
et le succès est au rendez-vous.
sommaire
En 1958, ayant mené à bien ses premières
études de sous-ensembles (maquettes de mémoires, circuits
logiques), le département RME du CNET décide de les
réunir dans un ordinateur expérimental, "Antinea".
Celui-ci permet de tester fiabilité et performances des circuits,
et d'entraîner les personnels à la conception de systèmes
et à leur programmation. "Antinea", qui commence
à exécuter des programmes en 1960, fait partie de la
nouvelle "génération" des ordinateurs transistorisés.
C'est surtout, de notre point de vue, le premier calculateur électronique
digital construit et mis en service opérationnel par un laboratoire
français du secteur public.
Lopportunité de la décentralisation
est saisie avec habileté et débouche sur la création
du centre de recherche de Lannion.
La première pierre en est posée le 19 mai 1960 et le
8 septembre, le général de Gaulle visite le nouveau
site.
"Antinea" sert de calculateur de
commande à une maquette d'autocommutateur téléphonique,
"Antarès", en 1961-1962.
L'étape suivante consiste à réaliser une machine
plus puissante, "Ramsès", incorporée
en 1964 au central "Aristote" qui desservira la zone
téléphonique de Lannion.
Dans un rapport du Sénat n°53 de la
COMMISSION DES FINANCES de 1961 on pouvait
lire :
...
A prpos du Cnet, les recherches ont notamment porté :
en matière de recherche fondamentale : sur les transistors,
sur les principes physiques aptes à procurer les composants
utilisés dans le fonctionnement des grandes machines électroniques
(électroluminescence), sur les amplificateurs à très
faible bruit de type « laser » et « maser »,
qui seront utilisés pour les télécom munications
de l'espace, sur la physique des plasmas ionisés ;
en matière de recherche appliquée : sur les calculateurs
qui, dans l'avenir, conduiront la commutation électronique
à se substituer aux commutations mécaniques ou électromagnétiques
(prototype « Antinéa »), sur le problème
des concentreurs de lignes, sur le problème de la fusée
postale..
Pour 1962, le programme comporte la réalisation du centre spatial
de Pleumeur-Bodou (Côtes-du-Nord), qui communiquera dès
le milieu de l'année avec une station analogue située
dans le Maine, aux Etats-Unis, par l'intermédiaire de satellites
artificiels : ce centre comportera une antenne mobile de 35 mètres
de hauteur qui, à l'aide d'un calculateur, sera pointée
sur les satellites et permettra d'établir 600 voies téléphoniques
ou un canal de télé
vision. En outre, sont prévues la construction d'un prototype
de commutateur électronique à 4.000 lignes ; l'expérimentation
d'un dispositif permettant d'utiliser les temps morts des communications
téléphoniques pour doubler le nombre de ces communications
en les enchevêtrant ; l'ouverture à Lannion d'un laboratoire
d'études de conversion en énergie électrique
d'alimentation des énergies solaires, chimiques et nucléaires
en vue d'une applica tion aux satellites de télécommunications
et aux amplificateurs de câbles sous-marins.
La liaison entre cette cellule de recherches pures et appliquées
qu'est le C. N. E. T. et l'industrie, dont l'administration des Postes
et Télécommunications est cliente, se fait par l'intermédiaire
de deux sociétés d'économie mixte où sont
groupés les représentants de l'État et ceux des
entreprises :
la Société mixte pour le développement
de la technique de la - commutation dans le domaine des télécommunications
(SO. CO. TEL), société d'études et de recherches
sans activité commerciale. En 1961 , la société
a mis au point une gamme de commutateurs pour zones rurales expérimentés
dans la région d'Orléans, procédé à
l'adaptation du matériel Crossbar au réseau français
et à l'étude d'un central électronique en liaison
avec le C. N. E. T. et les constructeurs, mis sur pied les deux premières
unités du laboratoire (bureau d'études et unité
de réalisation). La troisième
unité (unité de contrôle et de mesures) verra
le jour en 1962, année où il sera procédé
à des études sur un nouveau poste téléphonique,
sur les composants de l'électronique, la transmission de données...
la Société mixte pour le développement
de la technique des télécommunications sur câbles
(SO. TE. LEC), qui a pour objet l'acquisition, la répartition
et la défense des droits de propriété industrielle,
la coordination technique et la constitution d'une documentation dans
le domaine des conducteurs.
Ces liaisons Etat-secteur privé, en même temps qu'elles
font progresser la technique, permettent un contrôle serré
des prix.
...
Le Rapporteur général s'étonne enfin de voir
créer un emploi militaire dans un budget civil, celui de général
de brigade au C. N. E. T. Sans doute le décret du 28 janvier
1954 précise-t-il que le directeur du C. N. E. T. est assisté
d'un officier général ou supérieur, mais il aurait
été infiniment préférable de donner une
appellation civile à cet emploi, dans lequel le général
aurait été détaché.
...
sommaire
En 1963 : Aristote, a été le premier commutateur
téléphonique électronique de type spatial
en Europe
Dès 1966, un séminaire international
ISS (International Switching Symposium) rassemble les experts du domaine.
En mai 1965 Bell labs met en exploitation le premier
système à commutation électronique temporel.
Depuis 1957, des équipes du CNET ont développé
des ordinateurs et des systèmes de commutation numériques,
suivant de près la conception des réseaux de données.
En 1970, le CNET réalise son système de commutation
électronique temporelle, PLATON
(Prototype Lannionais d'Autocommutateur Temporel à Organisation
Numérique), qui va permettre de simplifier les centraux téléphoniques,
teste les premières transmissions par fibre optique et commence
ses travaux sur la visiophonie.
L'aide à la CGE (Compagnie générale d'électricité)
pour les commutateurs spatial et temporel.
Mais du retard a été pris car en 1970, la France ne
compte que 7,8 lignes principales de téléphone pour
cent habitants. C'est très en dessous d'autres pays: 11,1 pour
l'Italie, 12,3 pour la RFA, 15,3 pour le Royaume-Uni, 33,3 pour les
Etats-Unis et 40,9 pour la Suède.
Pour
la CIT, comme pour les autres fabricants de matériel téléphonique,
on peut dire quil existe deux modèles dusines.
Le premier est celui de lusine à mono-activité
(condensateurs, circuits imprimés, montage-câblage déquipements
cross-bar...) sans technicité et sans investissements importants.
Le second est celui dune usine avec un service technique, notamment
orienté sur les tests, et dun service méthode
qualifié permettant de sadapter à de nouveaux
modes de fabrication.
Pendant les années 1960-70 la CIT est restée sur le
premier modèle, alors que LMT a évolué en ouvrant
en 1972 lusine dOrvault. « Une décentralisation
de la direction des fabrications de la division téléphonie
et des services détudes de commutation téléphonique
permettra à lusine dOrvault de disposer de linfrastructure
technique nécessaire au niveau technologique du système
E11.
Après la création du centre de
Lannion, deux équipes du CNET quelque peu en compétition
se sont trouvées à travailler sur la commutation
électronique : léquipe de Lannion sur le projet
de commutateur temporel à commande distribuée Platon,
et léquipe dIssy-les-Moulineaux sur un projet
de commutation spatiale à commande centralisée dénommé
Périclès, qui fut mis en service au central
Michelet à Clamart.
- Le projet Platon, avec sa structure de cur temporel
et concentrateurs distants, visait à couvrir les zones
peu denses, en profitant des économies permises par lintégration
commutation temporelle/transmission numérique. Il fut industrialisé
par la SLE (Société lannionnaise délectronique),
filiale de la CIT, sous le nom de système E10, dont la
tête de série fut mise en service à Poitiers.
- Le projet Périclès visait à couvrir
les besoins des grands centres urbains. Il ne fut pas industrialisé,
mais ses enseignements conduisirent au système E11
(puis 11F), dont la tête de série fut mise en service
à Athis-Mons.
La compétition entre les deux équipes ne fut pas
tant une compétition entre nature du point de connexion,
tout le monde étant daccord sur le fait quà
terme les progrès dans lintégration des composants
assureraient le succès des réseaux de connexion
temporels, mais sur la structure de la commande. Les Lannionnais
nont pas, au début, cru à la commande par
des calculateurs de type universel, mais par des calculateurs
très spécialisés, alors que les équipes
dIssy ont compris très rapidement que le poids des
investissements en logiciel allait devenir prépondérant
et que donc il était nécessaire dutiliser
les outils développés par lindustrie du software
(méthodes de spécifications, langages de programmation
de haut niveau, etc.) De fait, le logiciel des commutateurs électroniques
a vite représenté des millions dinstructions,
et des centaines « dhomme x ans » de programmation,
et à chaque génération technologique des
calculateurs, ce logiciel était porté sur les nouvelles
machines
La
réforme du CNET de 1970, en créant des « secteurs
» technologiques transcentres, dont le secteur commutation,
a mis les deux équipes sous les ordres dune même
hiérarchie, et a permis une certaine convergence, en définissant
une gamme de systèmes, répondant aux mêmes
spécifications fonctionnelles, mais technologiquement différentes,
pour sadapter aux divers besoins du réseau : E10
(temporel, commande distribuée) pour les petits centres
dabonnés, E11 (spatial, commande centralisée)
pour les gros centres urbains, E12 (temporel, commande centralisée)
pour les centres de transit. Les restructurations industrielles
ont fait quelque peu éclater ce schéma, et sont
restés le E10 (qui, après plusieurs générations
successives, est devenu commutateur de très grande capacité)
et la gamme MT20 (transit)/MT25 (abonnés), dérivée
du point de vue du logiciel du E11 via le 11F, mais à réseau
de commutation temporel. En effet, en 1978, à une conférence
à Atlanta, la DGT a annoncé officiellement quelle
faisait le choix du tout temporel pour son réseau. Mais
pour des considérations industrielles et de développement,
des commutateurs électroniques spatiaux ont encore été
commandés pendant plusieurs années après
cette date. |
sommaire
En 1959, avait été créé la Socotel,
société d'économie mixte réunissant l'administration
et les industriels, et le CNET y exerce un rôle important, mais
les industriels français comme les filiales d'ITT, «
se montrèrent très réservés, voire hostiles
», laissant l'Etat assurer tous les investissements.
Les industriels jugent trop ambitieux le commutateur
spatial SE 400, et s'y opposent le 15 décembre 1960.
Le CNET n'en développe pas moins le central
E10 doté de deux caractéristiques d'avant-garde
: le recours à plusieurs processeurs spécialisés,
et un calculateur commun à plusieurs commutateurs, dans le
sillage des progrès de l'industrie mondiale des semi-conducteurs
et de celle du logiciel, alors en pleine émergence. Il convainc
la CIT (Compagnie industrielle
des télécommunications), filiale de la CGE,
d'adopter la technologie la plus en pointe, le commutateur temporel,
alors qu'elle le voyait « avec peu d'enthousiasme », après
avoir réalisé pour elle l'essentiel de l'effort de recherche,
à des conditions « très favorables » qui
mettent fin à ses réticences.
Par ailleurs, la CGE fonde une filiale, la SLE
(Société lanionnaise d'électronique) pour l'industrialisation
et la commercialisation des commutateurs électroniques de la
famille E10 au début des années 1970, à Guingamp
(avec des centres de production satellites comme Bégard, Pontrieux,
Lanvollon, Bourbriac, Callac, Belle-Isle en Terre), qui récupère
à bon compte les ingénieurs ayant développé
le projet au sein du CNET, comme François Tallegas et Jean-Baptiste
Jacob.
La « démarche suivie lors de cette étape cruciale
du développement du temporel fut donc très pragmatique
», selon l'économiste Pascal Griset.
sommaire
L'année 1974 voit le CNET atteindre son développement
maximum avec environ 3 500 ingénieurs et techniciens. Il est
alors placé sous la coupe d'un nouveau tuteur, la direction
des Affaires industrielles, avec le changement d'esprit le plus important
depuis la Libération.
Entre 1975 et 1985, le CNET, sur fond d'arrêt
par l'Etat du projet concurrent Cyclades, de l'INRIA, continue ses
recherches sur la numérisation du réseau de communication,
avec en particulier la création de Transpac en 1978.
Le début des années 1980 est plus particulièrement
marqué, pour le CNET, par les événements suivants
:
la restitution au CNET, fin 1981, de son autonomie au sein de la DGT
(fin de la tutelle de la DAII, instaurée en octobre 1974),
la DAII conservant toutefois la responsabilité des relations
avec les industriels pour les marchés de développement
des nouveaux équipements, le choix des fournisseurs et le contrôle
des équipements fournis ; les décisions gouvernementales
pour la maîtrise de la filière électronique (26
juillet 1982), qui impliquent le CNET non seulement pour ses activités
en télécommunications, mais aussi en composants et en
informatique
En 1977 le CNET révolutionne
également les technologies de linformation, avec linvention
du Télétexte, service dinformation sur les téléviseurs,
et surtout du Minitel les
écrans à cristaux liquides en 1980.
Parallèlement, le CNET innove en optoélectronique
et le projet "Clématite" fondé sur
lélaboration dune technologie originale décrans
à cristaux liquides à matrice active est développé
de 1984 à 1986, et récompensé en 1987.
Cette innovation, élaborée à lorigine pour
les Minitels, est ensuite appliquée aux écrans dordinateurs
et de télévision.
Les travaux portent, cependant, essentiellement, sur la promotion
de la norme X.25.
Le Télétexte,
date aussi de cette époque, ainsi que Numéris (RNIS),
l'ATM, les premiers écrans plats à matrice active, et
les publiphones
à télécarte.
Le changement de majorité en France, en 1981,
se répercute sur les télécommunications.
La nouvelle direction du CNET s'efforce de redonner au CNET son dynamisme,
émoussé par les remises en cause antérieures.
De nouvelles formes d'études coordonnées et finalisées,
les projets-CNET se mettent en place ; un prix-CNET est institué,
récompensant la meilleure étude.
Le CNET retrouve sa place au sein de la DGT et sa crédibilité
au sein de la recherche.
Après 1985, le CNET prépare l'arrivée
des communications par l'image et la vidéo, avec entre autres,
le haut débit, le multimédia, et la reconnaissance automatique
de la parole (en continuant des travaux entamés dès
1969).
Les premiers services mobiles
sortent en 1985 avec Radiocom 2000 puis en 1990 avec Bi-Bop ; la première
télévision numérique terrestre est testée
en 1993.
Dans les premières années 2000, le CNET
quitte définitivement les bâtiments situés à
Issy-les-Moulineaux avenue du Général Leclerc ; ceux-ci
ont été démolis à la fin de l'année
2017 pour laisser place à la construction du programme immobilier
« Issy Cur de Ville ».
Le CNET simplante à Lannion
(Côtes-dArmor) en 1960, sous l'influence d'un enfant du
pays, Pierre Marzin, qui dirige alors l'établissement d'Issy
les Moulineaux, en région parisienne ; il a par ce biais contribué
très largement au développement économique et
démographique de la région du Trégor.
Au milieu des années 1990, la branche télécom
des PTT emploie environ 1 730 salariés au CNET de Lannion et
500 autres au CCETT (Centre commun d'études de télédiffusion
et de télécommunications) à Rennes, et pour l'ensemble
de la région Bretagne « près de la moitié
de sa matière grise et de ses études avec des spécialités
comme le multimédia, les transmissions et la commutation large
bande », entrainant l'ensemble des activités électroniques
bretonnes qui emploient alors, privé et public confondus, environ
18 000 salariés, selon le quotidien.
Le CCETT avait été créé
à Rennes en 1972 par le CNET et lORTF (Office de Radiodiffusion-Télévision
Française) pour y conduire des études et recherches
notamment dans les domaines des réseaux de Distribution de
la Télévision par câble, de la Numérisation
des images, des Terminaux et Services audiovisuels et des Réseaux
et systèmes informatiques.
Les recherches menées au CCETT ont permis léclosion
de quelques services opérationnels très innovants tels
que Canal +, Transpac, Télétel/Minitel, la Télévision
Numérique ou encore la diffusion de la TNT.
Il a été dissous en janvier 1997 dans le cadre de la
réorganisation des Télécommunications consécutive
à la privatisation de France Télécom
En 1996, il assure le lancement des services en ligne
dInternet de France Telecom, sous le nom de Wanadoo.
Le 1er mars 2000, le CNET devient France Telecom
Recherche et Développement FTR&D.
sommaire
Le troisième pôle du CNET à
Grenoble: le centre Norbert Ségard
L'idée de lancer au CNET un programme de recherche ambitieux
en microélectronique silicium est naturelle. La DGT, maintenant
riche, peut dégager des moyens importants pour essayer de rattraper,
au moins en partie, en quelques années, le retard pris en matière
de recherche. Où implanter un nouveau laboratoire CNET consacré
essentiellement à la recherche en microélectronique
? Une rude dialectique s'engage entre le CNET et la DAII. Lannion
revendique le privilège d'abriter un nouveau centre de recherche
dédié au silicium, arguant de la vocation électronique
de la Bretagne! Le point essentiel, aux yeux de la DAII et de la DIELI
(direction des industries électroniques et de l'informatique)
, au ministère de l'Industrie, est le couplage du futur centre
avec les fabricants français, voire étrangers, associés
au projet. Ce point est central et conditionne la réussite
à long terme de tout plan de redressement.
La DAII estimait que la région de Lannion, malgré la
présence des bonnes équipes systèmes du CNET,
n'avait pas les avantages incomparables que pouvaient présenter
des sites comme Grenoble ou Toulouse. Dans ces deux villes on trouvait
un excellent environnement en matière de recherche et d'enseignement
supérieur, une très riche présence industrielle,
des communications nationales et internationales fréquentes.
En outre les deux villes abritaient déjà au moins un
fabricant de circuits intégrés.
Accroître l'effort français de recherche dans ce domaine,
grâce au futur centre du CNET dédié au silicium,
c'est à dire disposer en France d'équipes de chercheurs,
d'ingénieurs, de techniciens, experts en micro-électronique
silicium, était indispensable, mais cette compétence
ne prenait tout son sens que si elle se traduisait dans des réalités
industrielles. La rencontre avec Pierre Bonelli s'est avérée
primordiale. Pierre Bonelli,récemment disparu, trop tôt
lui aussi, étai tà l'époque Directeur général
de la SEMA, société de conseil bien connue. Ayant occupé
des positions importantes chez Texas Instruments, il connaissait aussi
bien les problèmes techniques que le milieu industriel international.
Pierre Bonelli avait accepté, en décembre 2001, de prendre
la présidence de Bull dont il tentait, avec courage, de réussir
enfin le redressement.
Dans le courant de l'année 1976, Jean-Pierre Souviron, Directeur
des affaires industrielles et internationales et Pierre Bonelli arrivent
à la conclusion que la situation est favorable à des
négociations avec les fabricants américains et japonais.
La croissance rapide de la consommation de circuits intégrés,
prévue par la DGT, doit permettre d'attirer certains d'entre
eux dans des joint ventures avec des entreprises françaises.
Un marché d'études passé par la DAII à
la SEMA permet à celle-ci, en quelques mois, de bâtir
des scénarios précis de consommations de circuits intégrés,
en fonction des commandes de la DGT en centraux téléphoniques,
en péritéléphonie et en nouveaux services (en
particulier le
télécopieur) et déclinées selon les principales
filières technologiques, n-MOS, c-MOS, bi-polaires, etc.
La DGT dispose à l'issue de ce contrat d'une arme efficace
pour négocier avec les fabricants et les amener, s'ils veulent
bénéficier des commandes de la DGT, à accepter
diverses conditions: prise de participation de capitaux français,
accord de licence avec un fabricant français, localisation
des fabrications, etc. Pour mettre en route le processus un tour de
table réunit une dizaine d'industriels français dans
une société d'études, la SECIMOS dont Pierre
Bonelli est le président.
Une question essentielle se posait au préalable : un constructeur
de matériel de télécommunications pouvait-il
choisir librement les composants? En ces temps de néo-colbertisme,
mâtiné de protectionnisme, qui aujourd'hui nous semble
appartenir à un monde disparu, la DGT se réservait le
droit d'agréer ou de ne pas agréer tel ou tel composant.
Là encore le CNET et la DAII divergeaient. Pour les ingénieurs
du centre de fiabilité de Lannion,
l'agrément n'était qu'un acte technique : les experts
se rendaient chez les fabricants de composants, inspectaient les installations,
se faisaient montrer les mesures de taux de défauts et rendaient
leur verdict. Pour la DAII la complexité croissante des chaînes
de fabrication de circuits intégrés devait conduire
à exécuter des contrôles techniques beaucoup plus
rigoureux et à agréer, non des composants, mais des
filières. Et surtout l'agrément, pour être un
acte politique efficace, devait être prononcé par une
autorité disjointe de l'expertise technique. A cette époque
la société américaine National Semiconductors
avait éprouvé quelques déboires avec une certaine
gamme de circuits. Les experts du CNET n'avaient pas très envie
de sanctionner un industriel valeureux, qui ne "manquerait pas
de s'améliorer". La DAII sans état d'âme
retira l'agrément du fabricant. Ce fut un beau tapage, au CNET
et dans le monde des circuits intégrés. Exactement ce
que nous souhaitions pour rendre l'arme de l'agrément crédible
en prévision des futures négociations.
La création d'un nouveau centre consacré à la
recherche en micro-électronique silicium soulevait bien d'autres
problèmes que celui de sa localisation.
En premier lieu il fallait que le principe même en soit acquis
au niveau le plus haut: convaincre donc plusieurs structures administratives
et éviter les embûches de certains lobbies.
Le Directeur des affaires industrielles et internationales, Jean-Pierre
Souviron, le Directeur général des télécommunications,
Gérard Théry, s'y employèrent et grâce
aux relations qu'ils entretenaient avec les divers conseillers techniques,
tout se passa au mieux. Ces conseillers
constituaient un réseau d'une exceptionnelle qualité
où l'information circulait fort bien.
Deux obstacles étaientà redouter : l'opposition de la
DATAR et l'éventualité d'une pression électoraliste
: un député, ou pis un ministre, revendiquant pour sa
circonscription la manne des emplois de haut niveau attendus!
Dès le 23 mai 1977, le Conseil économique et social
avait décidé :
- la création d'une mission interministérielle pour
les circuits intégrés,
- la création d'un troisième centre du CNET consacré
à la recherche sur les circuits intégrés (aucune
localisation n'était mentionnée),
- l'affectation de 120 MF au profit d'actions industrielles en microélectronique.
Pour convaincre les différentes instances compétentes,
la DAII avait préparé un dossier qui écartait
la solution bretonne et comportait une comparaison raisonnée
des avantages et des inconvénients de quatre sites de province:
Grenoble, l'Isle d'Abeau, Montpellier et Toulouse. Une
note de synthèse montrait que deux sites se détachaient
nettement, Toulouse et Grenoble. Et entre ces deux villes Grenoble
apparaissait comme l'implantation la plus favorableà ce que
nous pensions être l'intérêt général
.
Le conseil interministériel du 20 décembre 1977 décide
la création d'un troisième pôle du CNET à
Grenoble. Cette décision de caractère industriel et
politique, avait été prise, pour une fois, sur des critères
strictement rationnels. Le fait, assez rare en lui-même, mérite
d'être noté.
En 1978 la DAII et le CNET prennent, dans ce domaine, deux décisions
importantes.
Michel Camus, directeur du secteur composants du CNET est nommé,
début 1978, directeur du futur centre de Grenoble (il le restera
jusqu'en 1990). D'autre part la DGT acquiert un terrain sur la ZIRST
(Zone industrielle pour la recherche scientifique et technique) de
Meylan dans la banlieue de Grenoble.
Le LETI, laboratoire du CEA, implanté depuis les années
50 sur le site du CENG, le centre d'études nucléaire
de Grenoble (créé après la guerre par Louis Néel)
était consacré à l'électronique avec quelques
compétences en micro-électronique. Il vivait en partie
des crédits du CEA mais devait les compléter par des
ressources sur contrats. L'irruption de la DGT dans un domaine technologique
où le LETI détient une position significative est pour
lui, tout à la fois, un motif de satisfaction, "la microélectronique
enfin reconnue pour une technologie essentielle pour l'avenir",
et une raison de redouter l'arrivée d'un concurrent, encore
incompétent, mais riche et ambitieux! Le CEA propose très
vite à la DAII de louer au CNET
un terrain sur le site du CENG. Une des raisons qui avait fait choisir
Grenoble était précisément l'existence du LETI
. Il ne paraissait pas très judicieux qu'une autre ville abrite
un laboratoire qui serait vite apparu comme un concurrent du LETI
et qu'ainsi, entre deux laboratoires, deux institutions, deux ministères,
s'exacerbe peu à peu une lutte stérile. Si concurrence
il devait y avoir nous avions la faiblesse de penser qu'elle serait
plus facilement canalisée dans la même ville. Mais de
là à ce que le CNET soit un sous-locataire du LETI il
y avait un pas! La DGT fit rapidement l'acquisition d'un terrain de
plusieurs hectares sur la ZIRST de Meylan et dès juillet 1978
Michel Camus s'installa à Meylan dans des locaux provisoires.
Les nombreuses discussions qui s'étaient tenues depuis plus
d'un an entre Jean Pollard,
Robert Veilex, Pierre Bonelli et ses collaborateurs, la direction
et les experts du CNET avaient permis à Jean Pierre Souviron,
Michel Camus et moi de nous faire une idée claire (mais peut-être
simpliste?) de la mission du futur centre. Il lui fallait se limiter
à la microélectronique silicium, pour éviter
la dispersion, remonter dans les recherches amont aussi loin que nécessaire
et aller vers l'aval jusqu'à la création d'un atelier-pilote
qui semblait indispensable pour que les chercheurs touchent du doigt
les problèmes concrets et aussi pour faciliter les transferts
ultérieurs à des
industriels. Une assistance informatique puissante, à la conception
comme à la conduite des process, nous paraissait prioritaire.
Acquérir en France des compétences dans le domaine des
machines correspondant aux différentes étapes de fabrication
ne devait pas être négligé.
Il était urgent, à nos yeux, de construire des bâtiments
définitifs. Nous souhaitions marquer les esprits par la qualité
de l'architecture et sa technicité mais aussi par l'esthétique
et le symbole. Un concours d'architecture est lancé et le jury
se réunit à deux reprises, les 13 et 28 juillet 1978.
Le projet Herbert eut sans peine la faveur du jury. Ses modules accolés
symbolisaient la répétition du motif cristallin constituant
le silicium dont la couleur bleue métallique se retrouvait
dans les façades faites de métal et de verre teinté.
La qualité du projet Herbert nous parut si évidente
que Gérard Théry souhaita que nous demandions à
l'Élysée de choisir entre les six projets finalistes.
Le Président Giscard d'Estaing voulut bien ratifier nos préférences!
La première pierre est posée le 13 novembre 1979 en
présence de Norbert Ségard, l'inauguration est présidée
par le nouveau Secrétaire d'État aux PTT, Pierre Ribes.
Les premières équipes qui avaient travaillé dès
juillet 1978 dans les locaux provisoires loués à Meylan
ont eu, dès le début, un esprit pionnier inspiré
par Michel Camus. Celui-ci a eu le grand mérite de réunir
autour de lui des équipes rapidement importantes et d'un excellent
niveau.
sommaire
LE CNET ET LES DÉBUTS DE L'INFORMATIQUE (1944-1964)
De Pierre-E. MOUNIER-KUHN
Contrairement aux organismes équivalents existant
hors de France, le CNET n 'a construit aucun ordinateur avant la fin
des années cinquante.
Il sous-traite la plupart de ses calculs à des organismes extérieurs
et se limite, en ce domaine, à réaliser quelques calculateurs
analogiques et une machine digitale mécanique. A partir de
ce constat et des comparaisons qu'il inspire, on peut jeter un éclairage
nouveau sur la situation difficile du CNET au temps de la "Reconstruction
", sur ses relations avec ses partenaires extérieurs,
sur son apprentissage de la "science lourde", sur l'évolution
qui l'a mené au succès en commutation électronique.
C'est aussi l'occasion d'évoquer les activités menées
dans le même domaine par les filiales françaises d'ITT
(LCT et LMT), jusqu'ici peu étudiées.
L'histoire de la recherche française en télécommunications,
notamment de la commutation électronique, est aujourd'hui bien
connue grâce à un remarquable effort d'enquête
et de publication. Pourtant, un aspect en est resté jusqu'ici
dans l'obscurité, c'est le rôle joué par les laboratoires
de télécommunications dans le développement du
calcul numérique nous distinguerons nettement
ici les machines destinées à ce type d'usage, qui pouvaient
être construites pour répondre à des besoins techniques,
dès le début des années cinquante, et les ordinateurs
réalisés plus tard pour la commutation, qui exigeaient
une fiabilité très supérieure.
Certes, réaliser des ordinateurs n'était pas un but
assigné au CNET dans ses missions officielles. Mais les centres
de recherche en télécommunications avaient besoin de
moyens de calcul pour résoudre certains problèmes (conception
de réseaux, etc.) ; d'autre part, en raison de leurs compétences,
ils se voyaient souvent confier par les militaires le soin de développer
des matériels "de pointe" (radars, automatismes,
calculateurs). C'est ainsi que les Bell Labs en Amérique, le
Telecom Research Establishment britannique, les PTT néerlandais
et japonais ont construit plusieurs calculateurs électroniques
après la Seconde Guerre mondiale.
Or, en France, c'est à l'industrie que les Armées ont
commandé les premiers ordinateurs. Paradoxe, dans un pays où
les conceptions dominantes d'alors considéraient volontiers
l'industrie comme ringarde et malthusienne, tandis que l'Etat et ses
experts entraînaient la nation vers un avenir meilleur ? Ou
illustration d'une idée persistante depuis l'avant-guerre :
l'innovation technique incombe aux entreprises, son contrôle
aux organismes d'Etat ?
Notre article décrira d'abord la situation du calcul et du
traitement de l'information au CNET dans les dix premières
années de son existence. On esquissera ensuite une comparaison
avec l'institution privée qui, à la même époque,
fait figure de rivale du CNET : l'ensemble des laboratoires LMT-LCT,
filiales françaises du groupe ITT (et dont l'histoire reste
encore à écrire). On soulignera enfin le contraste entre
le CNET des débuts et le CNET des années soixante. Ce
dernier mène à bien un projet technique ambitieux, la
mise au point de la commutation électronique et son transfert
à l'industrie opération typique de la "science
lourde" qui semblait tout-à-fait hors de portée
du "premier CNET".
Un parent pauvre de la recherche (1944-1954)
Fondé sous le régime de Vichy par une loi du 4 mai 1944,
le CNET a pour mission de grouper et de coordonner les recherches
en télécommunications de différents ministères,
dont chacun avait jusque- là son laboratoire exclusif. Il est
administrativement rattaché au Ministère des PTT mais
consacre une partie de ses travaux.
Les Bell Labs construisent cinq calculateurs entre 1945 et 1954, dont
le Complex number calculator de Stibitz destiné aux calculs
de réseaux téléphoniques, un Ballistic computer
et un ordinateur transistorisé TRADIC pour l'US Air Force.
Au début des années cinquante, les Bell Labs employaient
au calcul 60 personnes à plein temps, diplômées
en mathématiques. Les Bell Labs, en plus de leurs machines
"maison", acquirent des calculateurs IBM à partir
de 1952. Deux ingénieurs Bell réalisèrent précocement
un système d'exploitation permettant de faire travailler l'IBM
704 on/offline, sur bande magnétique : le Bell Operating System
(BESYS), qui durera et aura longue influence.
Les PTT néerlandaises présentent les ordinateurs PTERA
en 1953, ZEBRA en 1957. Le Telecom Research Establishment de Malvern
réalise, entre 1947 et 1953, deux machines : MOSAIC (Ministry
of Supply Automatic Integrator and Computer, incorporant 6000 tubes
et 2000 diodes), destinée à traiter des télémesures
de missiles, et TREAC, à usage interne, caractérisée
par son architecture parallèle, sa mémoire à
tubes de Williams et la haute fiabilité de ses composants.
Nippon Telegraph & Telephon met en service en 1957 son ordinateur
N1 (Parametron), dont s'inspirera la série Facom 200 de Fujitsu.
Défense nationale :
héritant du Laboratoire national de radioélectricité
fondé en 1914 par le général Ferrie, il est l'un
des principaux éléments du dispositif militaire de recherche
en électronique et en télécommunications. Créé
en réaction contre la dispersion et la duplication des études
qui handicapent la recherche publique , le CNET réunit en principe
les atouts nécessaires pour maîtriser l'évolution
rapide des technologies : d'une part, il rassemble des compétences
dans tous les domaines touchant aux télécommunications,
favorisant le travail interdisciplinaire ; d'autre part, ses activités
s'étendent de la recherche fondamentale au développement
préindustriel. "D'une certaine façon, écrit
A. Bertho, l'ambition est encore plus grande que celle du CNRS puisqu'il
s'agit d'un organisme interministériel annonçant son
souci de lier recherche publique et recherche d'entreprise, recherche
et innovation".
De notre point de vue, le CNET dispose, peut-être plus qu'aucune
autre organisation en France, des compétences et des techniques
nécessaires pour construire un ordinateur. C'est du reste ce
que souligne le physicien Léon Brillouin en 1947, lors d'une
conférence sur Les grandes machines mathématiques organisée
à l'École nationale supérieure des Télécommunications.
Ses ingénieurs fabriquent des compteurs électroniques
d'impulsions, mettent au point lignes à retard et matériaux
magnétiques (ferrites), étudient la subminiaturisation
des composants pour l'Armée de l'Air, travaillent sur la théorie
de l'information, etc. Ils réalisent des tubes spéciaux
à haute fiabilité (durée de vie moyenne : 30
000 heures), inaccessibles objets de rêve pour les constructeurs
d'ordinateurs de l'époque. Pourquoi le CNET n'exploite-t-il
pas ces atouts en se lançant dans la voie indiquée dès
1946 par Von Neumann et qui apparaît déjà à
certains Européens comme devant être la voie royale du
traitement de l'information ?
En fait, le CNET de 1944 est une juxtaposition de services géographiquement
épars, conservant des tutelles administratives distinctes.
Il mettra dix ans à construire son identité, dix ans
de conflits internes marqués notamment par la sécession
en 1946 du SRCT, dirigé par Pierre Marzin, qui ne réintégrera
le CNET que lors de la réforme de 1954.
Ces conflits sont d'autant plus âpres que le CNET est pauvre,
malgré l'ambition qui inspira sa création. Si un soutien
financier appréciable est accordé au SRCT, voué
en principe à la recherche appliquée pour les besoins
urgents des PTT, en revanche le CNET proprement dit voit son budget
en francs constants diminuer de 1946 à 1953, rongé par
l'inflation : ainsi, en un an (1950-1951), les prix de cinq composants
et appareils d'usage courant augmentent de 21 à 62 % selon
le cas. Attributions tardives des crédits, lenteurs et formalités
bureaucratiques pèsent sur la passation de marchés d'études
à l'industrie. Plus grave encore, le budget de ces marchés
d'études diminue de 76,8 % en volume de 1946 à 1953
! Ce déclin de la puissance d'investissement du CNET oblige
le Centre à réduire ses interventions industrielles
d'envergure aux domaines jugés les plus vitaux : les tubes
électroniques (partenaires : CSF et LCT), secondairement les
radars. Cette situation reflète l'état général
de sous-développement du téléphone français,
auquel les ingénieurs ne peuvent remédier faute d'une
politique suivie au niveau gouvernemental, que le régime parlementaire
de l'époque ne permettrait pas.
La pénurie de personnel (moins de 300 salariés
jusqu'en 1953) vient à la fois de la faiblesse de l'effectif
titulaire et des obstacles administratifs qui entravent l'embauche
de contractuels seul moyen pourtant de recruter des spécialistes
qualifiés en électronique, où le marché
de l'emploi est très tendu. Les départs pour l'industrie
sont nombreux, et le CNET de la Reconstruction vit même sous
la menace d'une démission collective de ses laboratoires "Tubes
et Hyperfréquences". Le CNET ne peut recruter directement
des ingénieurs sortant de Polytechnique, ceux-ci étant
alors obligés de rembourser leurs frais d'études. La
"division Recherches mathématiques" est d'abord réduite
à un seul mathématicien, Louis Robin.
Quatre entités nous intéressent particulièrement,
qui se caractérisent par des besoins de calculs croissants.
Certaines s'équipent de machines à calculer, mais sans
aucune coordination, sans envisager un effort commun à la taille
d'un "Centre national". Ce sont :
- le service de recherche des PTT (SRCT),
- la division "Tubes et Hyperfréquences",
- le département "Télécommande et contre-mesures",
- la division "Recherches mathématiques".
Le SRCT dispose, pour la conception des filtres téléphoniques,
d'un bureau de calcul équipé de machines mécaniques
Monroe, sous la direction d'un jeune ingénieur X-Télécom,
Jean Carteron. Le SRCT s'installe en 1952 dans le nouveau bâtiment
du CNET à Issy-les- Moulineaux, où il fait livrer par
la Société d'Électronique et d'Automatisme un
"corrélateur analogique et analyseur harmonique".
Ce faisant, "le SRCT a voulu :
- appliquer à ses problèmes un outil de calcul moderne,
- acquérir dans ce domaine une expérience qui ne peut
être obtenue que par la pratique de tels engins,
- acquérir vis-à-vis de ce type d'opérateur une
expérience qui permettra peu à peu d'établir
les bases d'un groupe de calcul plus important et correspondant plus
précisément encore aux besoins de la technique développée
dans nos laboratoires."
Toutefois cette machine ne suffit pas à étancher
la soif de calcul des ingénieurs. Chiffrant en 1954 ses besoins
d'équipement dans le cadre de la préparation du Ille
Plan, le SRCT demande des crédits pour "étudier
et construire des appareils mathématiques automatiques de calcul",
appareils qui "devront être fort développés
dans le cadre d'une coordination indispensable." "Un renforcement
très sensible des moyens de calcul mis à la disposition
des organismes de recherche s'impose de façon manifeste",
concluent les rapporteurs .
La division "Tubes et Hyperfréquences"
est l'une des plus actives du CNET. C'est une véritable pépinière
de grands électroniciens : André Blanc-Lapierre, Georges
Goudet, Pierre Lapostolle, Jean Voge, etc. Le CNET constitue dès
l'origine un vecteur du transfert vers la France des technologies
électroniques développées dans les pays anglo-américains
depuis la guerre. C'est le cas notamment dans le domaine des composants.
On s'efforce aussi de reconstruire une industrie française
du radar, profitant de la mise hors jeu de l'Allemagne dans les hautes
fréquences.
Pour étudier l'optique électronique
des faisceaux dans les klystrons, la division DTH se dote vers 1947
d'un calculateur analogique constitué d'une cuve pleine d'eau
et parsemée d'électrodes, procédé mis
au point au milieu des années trente pour l'aéronautique
par deux universitaires, Pérès et Malavard. Cette cuve
sera transférée à Issy-les-Moulineaux en 1957
et restera en service jusqu'en 1965.
Le département "Télécommande et contre-mesures"
est dirigé par Julien Loeb (X-1922), l'un des pionniers français
de l'Automatique (travaux sur l'électronique, les ondes ultracourtes,
les servomécanismes, la théorie de l'information) ;
il a dès 1945 mis au point des "procédés
mécaniques et électriques pour le calcul de la charge
d'espace dans les tubes électroniques" ; il sera l'un
des fondateurs de l'Association française de régulation
et d'automatisme en 1956, et passera plus tard chez Schlumberger et
à la Compagnie générale d'automatisation (CGA).
Son successeur, le chef de la division "Télécommande"
du SRCT, est Dickran Indjoudjian (X-1941). L'essentiel des activités
du département est financé par la Défense nationale.
La division Servomécanismes du même département,
dirigée par P. Blassel (X-1946), travaille notamment sur le
guidage de fusées, jouant dans ce domaine un rôle de
conseil et d'expertise vis-à-vis de la SNCASE qui construit
les engins. Cette spécialité en fait une utilisatrice
assidue des calculateurs analogiques (simulation de vol vertical,
cinématique du guidage d'engins, étude des dispositifs
stabilisateurs). Elle recourt d'abord à "l'Opérateur
mathématique électronique" installé à
la SEA aux frais du Service Technique de l'Aéronautique, et
qui produit pour elle "des centaines de courbes". A partir
de 1952, elle effectue maints calculs du SRCT. Cette expérience
la conduit à réaliser elle-même un calculateur
analogique dérivé des machines SEA, "d'une précision
moyenne, mais d'un encombrement et d'un prix de revient réduits"
, calculateur programmable par tableau de connexions ; l'appareil
permet de tester le radioguidage du missile "Pénélope"
à Colomb-Béchar avec un radar allemand Wiïrtz-burg.
La division Servomécanismes prévoit d'en construire
quatre exemplaires en 1954, et en a effectivement deux en service
à cette date, servant à la simulation électronique
de servomécanismes (étude RTD 33) ou à la simulation
électronique de sous- marin. Grâce à ces machines,
"on a développé des procédés électroniques
de calcul qui permettent de traiter des problèmes comportant
deux variables indépendantes. Des machines de cette nature
ont permis de pousser jusqu'à un degré très avancé
des questions de pilotage automatique. Parallèlement, on a
développé des procédés de calcul mécanique
qui permettent la mesure des fonctions de transfert d'organes non
linéaires. On sera ainsi prochainement en mesure d'attaquer
des problèmes inaccessibles au calcul humain, tels que les
systèmes répondant à des équations dont
les paramètres sont variables avec le temps".
L'aspect le plus étonnant des relations entre
le CNET et la SEA est que l'organisme de recherche public construit
des calculateurs analogiques, machines déjà classiques,
et laisse à l'industriel le soin de faire le plus difficile,
le plus aventureux : les ordinateurs ! Si le département "Télécommande"
est axé sur les techniques analogiques, comme le montre un
article publié à l'époque par D. Indjou- djian,
ce n'est pas le cas d'autres services, comme en témoigne Libois
(faisceaux hertziens) : "Dès 1946, nous travaillions sur
les impulsions, non sur des circuits analogiques. On a collaboré
avec Gloess, de la SEA On pensait en numérique !"
Le CNET contribue d'ailleurs à une démonstration de
"télétraitement" lors d'un colloque de cybernétique
à Namur (Belgique) en juin 1956, où un congressiste
interroge via la ligne téléphonique l'ordinateur de
la SEA installé à Courbevoie.
La division "Recherches mathématiques"
est dirigée par Louis Robin, auquel se joignent deux autres
ingénieurs, L. Collet et M. Poincelot. Cette division élabore
sous forme mathématique des problèmes posés par
les autres services du CNET, et effectue force calculs numériques,
comme le signalent les rapports d'activité. Mais elle ne dispose
pas des machines adéquates. Aussi voit-on, à travers
les archives, L. Robin courir confier ses calculs à l'institut
Henri- Poincaré (calcul des probabilités appliqué
au fonctionnement d'un réseau téléphonique, en
1947), au bureau de calcul de l'institut d'Astrophysique (étude
RM5/calcul de distorsion harmonique pour la division Radiocommunications),
à Kuntzmann à l'université de Grenoble (pour
la thèse de Poincelot, étude RM 15), à la société
grenobloise Neyrpic, toujours avec Kuntzmann, en 1954 (traité
des fonctions de Legendre, étude de la division Mathématiques),
et même pourquoi pas ? sur l'OME 15 du SRCT (calcul
d'une fonction de corrélation, étude RM 10). Cette attitude
est surprenante pour qui connaît le rôle pionnier joué
à l'étranger par les laboratoires de Mathématiques
dans la réalisation des premiers ordinateurs.
En fait, Louis Robin incarne une pratique artisanale
de la recherche, où les outils du mathématicien se limitent
au papier et au crayon. Les témoins qui l'ont connu au CNET,
tout en soulignant ses hautes qualités scientifiques, le décrivent
comme "un mathématicien à l'ancienne mode"
"qui écrivait à la plume sergent-major", "un
savant isolé qui fut longtemps le chef du département
et son unique membre" et "ne s'intéressait
pas aux machines". Robin s'intéresse à la partie
noble de sa mission élaborer sous forme mathématique
les problèmes des ingénieurs du CNET non au calcul
et aux résultats pratiques. Membre du Comité national
du CNRS, il siège dans la commission de Mathématiques
pures, non en Mathématiques appliquées. Même au
milieu des années soixante, lorsque le CNET possède
un service de calcul bien équipé auquel Robin peut confier
le traitement de fonctions de Bessel, "il faisait refaire les
opérations à la main par un scientifique du contingent".
Or Robin, loin d'être atypique, est bien représentatif
des mathématiciens français de sa génération,
celle du groupe Bourbaki, et, au-delà, d'un milieu savant qui
n'a pas fait pendant la guerre l'apprentissage de la coopération
avec l'Armée et l'industrie, en raison de la défaite
de juin 1940. Les mathématiciens, en particulier, restent fort
éloignés de la "science lourde", de la technologie,
de la gestion de projets faisant intervenir d'autres disciplines.
Ces caractères spécifiques suffisent à expliquer
pourquoi les militaires ne s'adressent pas à la recherche "académique"
pour construire des ordinateurs contrairement à ce qui
se passe aux États-Unis et en Angleterre.
L'examen des quatre départements ci-dessus
montre donc que le CNET a d'importants besoins de calcul et dispose
des techniques nécessaires pour construire un ordinateur. C'est
faute de moyens matériels, et surtout faute d'une organisation
lui permettant de mobiliser ses équipes sur un tel projet,
qu'il ne le fait pas. En fait, personne jusqu'en 1954 n'imagine que
le CNET soit capable d'une telle réalisation. Le premier réflexe
du CNET lui-même est de se tourner vers l'institut Biaise-Pascal
du CNRS, où un calculateur électronique digital a été
mis en chantier depuis 1947 par un inventeur, Louis Couffignal, qui
prétend posséder une "avance théorique"
sur les Américains.
En décembre 1952, lors de la réunion
du comité du CNET, "M. Loeb déclare que pour pouvoir
étudier le comportement des servomécanis- mes réels,
il est indispensable de créer une sorte de bureau de calculs
analogiques disposant de machines à cartes perforées
[sic]." "M. Robin, [...] constate avec regret que la France
ne dispose d'aucun centre national de calcul numérique équipé
de machines modernes, en particulier du type Couffignal, et d'un nombre
suffisant de tables numériques. Seules quelques rares sociétés
privées ont fait un effort dans ce domaine [SEA, Bull et IBM].
M. Goudet, à la demande du président, rend compte des
possibilités du CNRS : les machines Couffignal ne seront pas
au point avant deux ans ; cependant le CNRS dispose dès maintenant
de machines à calculer du type à cartes perforées
qu'il met à la disposition du CNET".
Personne, dans ce milieu informé, ne se fait
plus d'illusions sur la machine de Couffignal, et Goudet le dit crûment
au directeur du CNRS : "C'est le rôle du CNRS de constituer
en France un centre national de calcul numérique, doté
de tous les moyens modernes. Cependant, l'achèvement de la
machine du centre Biaise-Pascal paraît si lointain qu'il faut
s'organiser pour s'en passer." En conclusion, G. Goudet suggère
"de demander aux nombreux services gouvernementaux qui sont représentés
au CCTU leur contribution financière à l'équipement
du Centre, dont l'intérêt national paraît évident
à beaucoup".
La machine de Couffignal a visiblement suscité
des espoirs, sans doute a-t-elle été pour le CNET une
raison de s'abstenir de s'engager dans le calcul électronique
jusqu'en 1952 ; de fait, un partage des tâches existe après
la guerre entre le CNET et le CNRS, attribuant à l'institut
Biaise-Pascal le monopole des techniques de calcul. Mais cette explication
partielle ne suffit pas à dissiper le mystère de la
non-construction d'un ordinateur au CNET après l'échec
de Couffignal. On est tenté de songer que l'énergie
et les moyens investis dans la construction de divers calculateurs
entre 1950 et 1954 auraient permis de réaliser un ordinateur,
si le CNET avait pu décider de les mobiliser en vue d'une oeuvre
commune. Le problème est que "le CNET" n'est en 1950
qu'une expression administrative, comme l'Italie d'avant Cavour était
une expression géographique. La division "Tubes et Hyperfréquences"
est installée à Neuilly, la division "Antennes"
est logée à Issy dans les locaux de la SEFT (Armée
de Terre), la division "Télévision" est rue
Cognaq-Jay à Paris, le SRCT ne s'installe qu'en 1952 dans la
première partie achevée du bâtiment qui deviendra
plus tard celui du CNET à Issy. En tout, le Centre rassemble
quatorze implantations dans la région parisienne ! Pour l'essentiel,
les équipes du CNET-SG restent de petits groupes chargés
du suivi des marchés d'études passés par les
ministères auprès des entreprises. Ainsi, le CNET-SG
"tend de fait vers une logique de recherches externes, retrouvant
dès lors la pratique de la recherche d'avant-guerre" (28).
L'exemple de l'unique calculateur digital construit
au CNET sous la IVe République nous montre, mieux que tout
ce qui précède, les limites dans lesquelles agissent
les ingénieurs du Centre à l'époque. Entre 1949
et 1952, une équipe réalise en effet un calculateur
numérique à Issy-les-Moulineaux. Il s'agit d'une
machine électromécanique, constituée de relais
et de sélecteurs rotatifs composants de base des centraux
téléphoniques d'alors, qui avaient l'avantage
d'être robustes et peu coûteux : elle est comparable aux
calculateurs conçus par Stibitz aux Bell Labs dix ans auparavant.
Bien entendu il n'est pas question de programme enregistré.
Elle a été conçue par Jean Rose (CNRS et faculté
des sciences de Paris) en vue d'effectuer la sommation rapide des
séries de Fourier pour calculer des densités électroniques
en cristallographie. Le CNET n'intervient ici que comme constructeur,
la machine étant destinée à l'usage de chercheurs
universitaires. Le prototype effectue en une seconde un calcul tel
que 64 x 64 = 4096. La partie électromagnétique est
réalisée bénévolement par le CNET avec
du matériel CGCT et un lecteur de bande perforée du
commerce, la partie mécanique par le Laboratoire de minéralogie
du Museum d'Histoire naturelle, avec l'aide de la firme d'horlogerie
Jaeger pour les numérateurs : on est encore dans l'univers
technique de Hollerith et de Torrès-Quevedo. Le coût
de construction de la machine, hors dépenses de personnel,
se monte à environ 800.000 F. Initialement manipulée
par un opérateur, elle devait être ultérieurement
automatisée. L'inventeur et le CNET en envisageaient l'industrialisation
par une société privée car "avec quelques
modifications, la machine serait applicable à maints autres
problème de sommation à plusieurs variables." L'apparition
de calculateurs électroniques universels Bull et IBM à
cartes perforées, autour de 1953, mit un point final à
ce projet.
Justifiant le choix d'une technologie classique dans
la machine de Jean Rose, un commentaire de l'ingénieur général
des Télécommunications G. Letellier, directeur du département
Commutation, permet de mieux comprendre pourquoi le CNET ne construit
pas d'ordinateur : "II existe des machines électroniques
permettant de résoudre, parmi beaucoup d'autres, le problème
ainsi posé, mais ces machines sont d'une complication et d'un
prix tels qu'il n'en existe que très peu d'exemplaires dans
le monde" .
Le CNET juge les ordinateurs hors de sa portée. De fait, vers
1955, un ordinateur moyen coûte 50 à 100 fois plus que
la machine de J. Rose.
Un point de comparaison : le groupe LCT-LMT
Cette impression d'impuissance du CNET des débuts,
face à l'informatique naissante, est confirmée a contrario
par l'engagement précoce dans le "digital" de son
équivalent privé, le Laboratoire Central de Télécommunications
l'une des quatre filiales françaises du groupe américain
ITT, avec LMT, LTT et la CGCT. Lors de l'implantation du groupe en
France, dans les années 1920, ITT a compris que, pour être
accepté sur le marché, il fallait faire participer le
milieu technique français à l'innovation. D'où
la création en 1927 des laboratoires LMT, qui devient un centre
de R & D bouillonnant de créativité, à la
mesure des moyens dont il dispose et du talent de son directeur, Maurice
Deloraine. C'est aux "Laboratoires LMT", avenue de Breteuil,
qu'est inventée en 1938 par Alec Reeves la modulation
par impulsions et codage (MIC), un principe de base
des actuels systèmes de télécommunications. C'est
au LCT que se forment nombre de spécialistes du radar, qui
développeront ensuite des calculateurs électroniques
dans d'autres firmes : P.-F. Gloess (SEA), ?. Leclerc et H. Feissel
(Bull), etc.
Signalons au passage que le groupe ITT a construit le premier ordinateur
d'Europe continentale vers 1951 dans son laboratoire d'Anvers, et
que les ingénieurs des autres filiales européennes en
avaient connaissance.
Comme le CNET, le LCT consacre une partie de ses recherches
à la Défense. C'est ce qui l'amène à réaliser
des calculateurs digitaux. "En 1954 nous avons reçu un
contrat de la Marine pour étudier un calculateur de guidage
de torpilles. C'était la suite d'un système de radioguidage
que nous avions fourni vers 1950 : il s'agissait de placer un calculateur
numérique, en amont de l'émetteur radio, qui fournisse
des ordres à la torpille en fonction de la position de la cible.
Nous avons développé un ordinateur à lampes (2000
doubles triodes AT7, importées je crois) et à tambour
magnétique. Il pouvait recevoir ses données d'un radar,
d'une gonio, d'un observateur visuel. Le prototype a été
réceptionné en 1958 au STCAN de Toulon, mais j'ignore
s'il a été embarqué : son MTBF [mean time between
failures, temps moyen entre pannes] était faible, nous étions
contents s'il ne tombait en panne qu'une fois par jour ! Il n'a pas
été industrialisé.
A ce moment, on commençait à disposer
de transistors et de tores de ferrites, que nous avons utilisés
pour faire un calculateur de deuxième génération,
le "L10", destiné à l'Armée de l'Air
suédoise. Là aussi, LCT n'a fait qu'un prototype, mais
le L 10 a peut-être été produit en série
par la filiale d'ITT à Stockholm. Par ailleurs, en 1962 la
Société d'études et de recherches d'engins balistiques
(SEREB) a lancé un appel d'offres pour le calculateur de guidage
des MSB S, et a contracté avec la SAGEM et le LCT. A cause
de problèmes techniques, nous avons pris du retard. Notre prototype
a été réceptionné par la SEREB, mais c'est
la SAGEM qui a été retenue pour faire la série."
Le groupe LMT-LCT ne se lance dans l'informatique civile que dans
certains créneaux bien définis. Il se limite, en 1960,
à inscrire à son catalogue commercial des ordinateurs
construits par ses sociétés-surs anglaise et allemande
: le Stantec Zebra et l'ER 56 de Standard Elektrik Lorenz, avec lequel
il réalise le système SARI de réservation des
places d'Air France. Puis il développe deux calculateurs pour
la navigation aérienne (CS 2 et 825 P), produits à quelques
unités, et un ordinateur destiné à facturer les
notes de téléphone, (Automatic message accounting).
Parallèlement, la commutation électronique
a fait très tôt l'objet de recherches au LCT, dont le
directeur a déposé le brevet de base de la commutation
temporelle en 1945, et fait un exposé sur la question en 1947
devant la Société française des radioélectriciens.
LCT construit dès 1956 un autocommutateur électronique
à 20 lignes pour la Marine, puis un central à 240 lignes.
Le résultat le plus important des développements d'ordinateurs
au LCT a été la formation d'équipes expérimentées,
au moment où ITT s'interrogeait sur la stratégie à
suivre en vue de la commande électronique des centraux téléphoniques
[commutation spatiale] : devions-nous acheter des ordinateurs IBM
et les adapter, ou en développer nous-mêmes ?
On a choisi d'en développer. Le premier a été
le LCT 3200, dont dix prototypes ont été construits
en 18 mois. LMT l'a produit en série pour contrôler des
centraux Metaconta ; le premier a été installé
à Roissy en 1970. Son défaut était d'être
trop volumineux (composants discrets), et nous lui avons fait un successeur
en circuits intégrés, le LCT 3202. Parallèlement,
le LCT développait depuis 1959 le système qui s'appellera
plus tard le RITA, fondé sur ses brevets en MIC et en commutation
temporelle. Thomson a longtemps payé des royalties à
ITT sur le RITA et sur les centraux LMT 3202".
Un transfert recherche-industrie réussi : la commutation
électronique
Tout change au CNET en 1954 lorsque Pierre Marzin
y prend le pouvoir et le transforme en une véritable agence
d'objectifs. Dres sant l'état des lieux, P. Marzin expose un
cruel bilan du Centre : "d'un point de vue général
un redressement s'impose dans l'élaboration des programmes
des laboratoires du CNET. Ces programmes paraissent en effet avoir
été établis jusqu'ici en accueillant toutes les
suggestions extérieures et intérieures du CNET, sans
considération suffisante des moyens matériels du CNET
ni de la responsabilité des demandeurs [...] Ces moyens matériels
limités devraient être concentrés sur un petit
nombre d'études d'intérêt primordial. Il existe
actuellement au CNET quelque 200 études pour un effectif de
moins de 200 agents productifs. Elles traînent (jusqu'à
5 et 8 ans) et, lorsqu'elles aboutissent, elles n'intéressent
plus personne. La division Tubes et Hyperfréquences a dépensé
100 MF par an depuis 8 ans, sans résultats satisfaisants, et
a perdu ses meilleurs spécialistes des tubes (Goudet, Blanc-Lapierre)".
La réunion du SRCT avec le CNET aboutit à
constituer un ensemble de 1 463 personnes dont 900 se consacrent à
la recherche-développement. De plus, en 1955, le CNET absorbe
le Service de prévisions ionosphériques militaires (SPIM),
créé à partir d'un laboratoire militaire allemand
transplanté en France après 1945, qui s'est doté
depuis deux ans d'un calculateur électronique IBM 604 CPC installé
au château de la Martinière à Saclay. Stabilisé
sur le plan de son identité institutionnelle, sous l'impulsion
énergique de P. Marzin qui obtient dès 1957 une croissance
notable des moyens, le CNET entame une longue "montée
en puissance", marquée par le développement des
technologies informatiques pour la téléphonie. Les développements
qui suivront concerneront la commutation électronique (machines
"dédiées") : il ne s'agit pas pour le CNET
de "faire de l'informatique", orientation que la hiérarchie
écartera systématiquement.
Dès 1955, un nouveau texte de Letellier montre
une rupture complète avec la résignation antérieure,
et exprime une audace inconcevable jusque-là : "II est
à prévoir que les organes centraux emprunteront beaucoup
de leurs caractères aux techniques maintenant bien connues
des machines à calculer électroniques. [...] la plupart
des pièces détachées entrant dans sa constitution
restent encore à créer sur le plan industriel",
mais "on peut toutefois concevoir sur le plan du laboratoire
l'essai partiel d'un tel système".
La même année 1955, le CNET confie à la SEA une
étude à caractère prospectif sur la commutation
téléphonique. Le rapport de fin d'étude (février
1956) propose la voie de la commutation temporelle : "Voie naturelle
pour l'équipe SEA et là s'arrêtèrent
nos réflexions sur le "L 10", ce n'était pas
notre métier". Les relations continuent cependant, par
exemple à travers P.-F. Gloess qui, travaillant à la
fois au CNET et à la SEA, dépose de très nombreux
brevets en commutation et en électronique.
L'idée n'est pas entièrement neuve.
On a mentionné le brevet Deloraine de 1945. Dès 1931
en Grande-Bretagne, T. H. Flowers avait entrepris des études
sur la commutation électronique ; en 1935, un montage expérimental
a fonctionné ; un premier système "opérationnel"
est attesté en 1939. La recherche à grande échelle
commence au cours des années cinquante aux Etats-Unis et en
Grande- Bretagne. Un colloque international, tenu en 1957 à
Murray Hill (NJ), suscite l'émulation des laboratoires à
travers le monde.
L'électronique, qui depuis les années
trente envahissait les techniques de transmission, fait donc son entrée
dans les techniques de commutation. Ce progrès est illustré
par l'évolution de l'équipe de Louis Joseph Libois,
spécialisée depuis l'après-guerre dans le multiplexage
pour les faisceaux hertziens. Sa transformation, en 1956, en groupe
"Téléphonie électronique et faisceaux hertziens"
amorce sa réorientation vers un pari technologique à
long terme : la commutation électronique. Ce tournant se manifeste
en 1957 par la création du département "Recherche
sur les machines électroniques" (RME), qui comprend trois
divisions : Calcul électronique, Commutation électronique,
Energie et prototypes de laboratoire. En 1961 s'ajoutent deux nouvelles
divisions (Service calculateurs et automatisme, Centre logique et
programmation), illustrant le rapprochement de la commutation électronique
avec l'informatique. Les modifications ultérieures accentueront
cette symbiose. L'effectif du département RME doublera en dix
ans (1958-1967), passant de 94 à 198 personnes, tandis que
l'établissement du CNET à Lannion, particulièrement
axé sur la commutation et des composants électroniques,
passera de 140 à 809 salariés entre 1962, date de sa
fondation, et 1967.
En 1958, ayant mené à bien ses premières
études de sous-ensembles (maquettes de mémoires, circuits
logiques), le département RME décide de les réunir
dans un ordinateur expérimental, "Antinea".
Celui-ci permet de tester fiabilité et performances des circuits,
et d'entraîner les personnels à la conception de systèmes
et à leur programmation. "Antinea", qui commence
à exécuter des programmes en 1960, fait partie de la
nouvelle "génération" des ordinateurs transistorisés.
C'est surtout, de notre point de vue, le premier calculateur électronique
digital construit et mis en service opérationnel par un laboratoire
français du secteur public.
"Antinea" sert de calculateur de commande
à une maquette d'autocommutateur téléphonique,
"Antarès", en 1961-1962.
L'étape suivante consiste à réaliser une machine
plus puissante, "Ramsès", incorporée
en 1964 au central "Aristote" qui desservira la zone
téléphonique de Lannion. Deux répliques, "Ramsès
II" et "Ramsès IL", sont construites en 1965
pour servir au centre de calcul du CNET ; très rapides, munies
d'un système d'exploitation permettant l'utilisation en temps
partagé, reliées par une liaison à 50 000 bauds,
les "Ramsès" fonctionneront à Paris et à
Lannion jusqu'en 1973. Les tambours magnétiques sont fournis
par la SEA, les unités de bandes par la Compagnie des Compteurs.
Par ailleurs, deux petites maquettes d'ordinateurs, RME XI et X2,
seront montées en 1968 pour tester des circuits intégrés
TTL et des architectures logiques temps réel. Le CNET voit
son rôle dans le dispositif français de recherche en
informatique confirmé lorsqu'il crée à Lannion,
avec l'appui de l'Armée, un "laboratoire d'essai des ordinateurs"
chargé d'évaluer les périphériques magnétiques.
Conformément au mode de travail du CNET, ces
recherches sont effectuées en coopération avec l'industrie.
Ainsi, en 1961, les ingénieurs des télécom essayent
divers circuits de composants logiques et de mémoires en liaison
avec les constructeurs français de matériel informatique
: SEA, Bull, Compagnie des Compteurs.
Les études de programmation, lancées
lors du développement d'Antinéa, produisent des assembleurs,
des compilateurs Fortran (le premier en 1963 pour Ramsès),
des jeux de microprogrammes, et mèneront à des travaux
sur la fiabilité du logiciel au début des années
1970. Pour la conception des systèmes informatiques, des programmes
de tests de circuits logiques, puis de CAO de circuits intégrés
sont développés au cours de la décennie 1960.
Toutefois, les ingénieurs du CNET qui seraient
tentés de s'orienter vers une informatique déconnectée
des besoins des télécommunications sont soigneusement
remis dans le droit chemin par une hiérarchie attentive. A
la fin des années soixante, le CNET restera en marge du Plan
Calcul, bien que des liens institutionnels soient assurés
Alain Profit, chef du groupe "Informatique et transmission de
données" du Centre, est membre de la Délégation
à l'informatique. Le CNET se concentre sur sa participation
à deux grands programmes technologiques, la conquête
spatiale et surtout la modernisation du réseau téléphonique.
Grâce à l'expérience acquise avec
"Antinea", "Ramsès" et les systèmes
suivants, le CNET maîtrise les technologies nécessaires
pour atteindre les objectifs essentiels qui avaient présidé
à sa fondation : fournir les bases technologiques d'une industrie
nationale des télécommunications indépendante.
Le premier vecteur de transfert de technologie est la société
mixte Socotel (1959-1977), qui coordonne les études effectuées
au CNET et dans les laboratoires industriels. "Le rôle
du CNET y a été déterminant car c'est lui qui,
en les mettant en pratique, a démontré la validité
des principes fondamentaux que l'on retrouve dans les systèmes
modernes [...] la base même des réseaux intégrés
.
En 1970, le central Platon, mis au point au CNET, industrialisé
par la SLE-CITEREL (CIT-Alcatel et Ericsson), est mis en service à
Perros-Guirec ; d'autres installations suivent. C'est le premier commutateur
temporel au monde desservant les abonnés du réseau public.
Il apparaît que le CNET et la CIT ont deux ans d'avance en ce
domaine sur leurs concurrents. La CGE (CIT-Alcatel) industrialisera
ensuite le système E 10 fondé sur les recherches du
CNET. Alcatel deviendra dans les années quatre-vingt le premier
fournisseur mondial de matériel de télécommunications.
Résumons. Le CNET, vers 1950, a des
besoins croissants de calcul, de simulation, de contrôle automatique
de processus. Il possède les compétences techniques
nécessaires pour construire des ordinateurs. Ce qui lui manque
pour en réaliser, c'est principalement les aptitudes à
gérer un grand projet technologique : aptitude à réunir
les moyens financiers ; art de mobiliser des équipes pluridisciplinaires
compre nant notamment des mathématiciens ; possibilité
de définir sa propre politique scientifique, ses orientations
de développement ou à défaut, capacité
de convaincre des acteurs extérieurs, en particulier l'Armée,
de lui confier la réalisation d'un ordinateur. Bref, au temps
de la reconstruction, le CNET, simple étiquette administrative
recouvrant des laboratoires disparates, n'est pas encore tout-à-fait
un organisme maîtrisant la Big Science.
D'autres institutions possèdent ces aptitudes
à un degré plus élevé. Ce sont des entreprises,
et nous avons vu l'exemple de l'ensemble LCT-LMT. C'est à ces
firmes (LCT-LMT, SEA, IBM France aussi) que les militaires confient
l'étude et la réalisation des premiers ordinateurs français.
Ce n'est donc pas la recherche publique, mais les laboratoires industriels,
qui sont en France à la pointe de l'innovation dans ce domaine
porteur d'avenir : exception parmi les nations. Le résultat
est le même du point de vue strictement technique. Mais, si
l'on considère la diffusion ultérieure de l'innovation,
les entreprises sont évidemment moins portées à
faire partager leurs savoirs et savoir-faire acquis dans un tel développement
que ne l'est la recherche publique (songeons à l'essaimage
autour de Stanford et du MIT, voire des Bell Labs dont la logique
de secret industriel est en partie neutralisée par les lois
anti-trust). Ne bénéficiant en informatique d'aucune
expérience concrète émanant des laboratoires
d'État, la seule firme à capitaux français, la
SEA, a donc pris tous les risques de l'exploration d'une technologie
nouvelle, et l'a payé cher. Le résultat est, dès
le début des années soixante, la domination d'IBM sur
le marché du calcul scientifique et de la gestion, de LMT sur
celui des simulateurs aéronautiques.
A ce moment, le CNET, désormais en pleine possession
des moyens de sa mission, prend l'initiative dans le domaine de la
commutation électronique, et assure ultérieurement le
transfert de ses résultats vers l'industrie. Au-delà
de la réussite technique, on peut admirer la gestion du temps,
l'alliage expert d'audace et de prudence calculée qui permettent
de réaliser les systèmes en adéquation avec le
progrès des technologies : ni trop tôt (songeons aux
échecs de tant de machines conçues prématurément
par rapport aux performances des composants), ni trop tard. Bref,
le succès d'une maîtrise à tous les niveaux, techniques
et stratégiques, qui contraste avec les heurs et malheurs de
l'informatique tricolore.
Le contraste est encore accentué par l'inégale
efficacité des politiques gouvernementales, comme l'a montré
Jean-Jacques Salomon. La "stratégie de l'arsenal"
est adaptée à la réalisation de biens d'équipements
destinés à un client unique, l'Etat, dans des situations
de quasi-monopole ; d'où sa réussite lorsqu'il s'agit
d'équiper des réseaux de télécommunications.
Mais les causes de son succès dans cette configuration deviennent
des handicaps lorsqu'il s'agit de vendre sur des marchés ouverts
et très concurrentiels, exigeant un esprit commercial adaptable
à une clientèle variée, internationale, plus
sensible aux prix qu'aux qualités purement techniques ; tels
sont par exemple les utilisateurs d'ordinateurs de gestion.
La période des "trente glorieuses"
voit, en conséquence, se croiser deux évolutions inverses
: l'industrie française du traitement de l'information perd
progressivement son autonomie technique et financière au profit
de groupes américains, tandis que l'industrie des télécommunications
prend son essor et assure son indépendance.
sommaire
1974 Réorganisation du CNET
Lavènement dun nouveau président, Valéry
Giscard dEstaing provoque la mise en place » dune
nouvelle équipe de la DGT en juillet 1974. Un nouveau directeur
G. Théry est nommé à la tête de la DGT,
décide de la mise en place dune direction industrielle,
appelée DAI, et nomme son Directeur, Jean-Pierre Souviron.
On lui adjoindra assez rapidement la responsabilité des affaires
internationales et il deviendra ainsi le DAII des
Télécommunications. Il prend des décisions importantes
dans le domaine industriel, que nous examinerons ci-dessous, et il
cherche à redéfinir le rôle du CNET devant permettre
une relance de ses activités de recherche. Il part dun
constat sévère : « Je considère que la
recherche au sein du CNET en novembre 1974 était mauvaise :
les ingénieurs du CNET au lieu de faire de la recherche eux-mêmes,
la faisaient faire par des industriels grâce des crédits
détudes ».
Certes une bonne partie des travaux du CNET sont des contributions
au développement industriel, mais à Lannion en particulier
plusieurs projets de recherche sont menés en amont des développements
industriels. Le positionnement en amont du projet Platon, jusquen
1972, a été emblématique. Mais il na pas
été le seul. Les recherches engagées sur une
transmission à un débit de 560 Mbit/s, un très
haut débit pour lépoque sont menées dabord
sur un plan théorique : travaux de théorie des communications
de Michel Joindot appliqués à un canal à 40 GHz
via un guide dondes circulaire de 50 mm de diamètre.
Par ailleurs le CNET Lannion réalise les maquettes de toute
la partie « numérique et fréquence intermédiaire
», y compris lappareillage de caractérisation,
introuvable à cette époque, notamment un générateur
numérique pseudo-aléatoire et un analyseur de canal
de transmission à large bande. Puis il assure lintégration
densemble du numérique au millimétrique.
Un transfert technologique, sur le modèle du transfert PLATON,
est engagé. « En ce qui concerne les équipements
en fréquence intermédiaire et en bande de base numérique,
le développement industriel débute en 1973-74.
Léquipe du CNET Lannion transfère tout son
savoir-faire à des équipes de la CIT et de la SAT,
qui lui sont proches, car installées à Lannion. Ces
deux équipes industrielles travaillent dans une certaine coopération,
avec une dose démulation, et en lien avec le CNET Lannion,
responsable des marchés détudes et rédacteur
des spécifications techniques des sous-ensembles ». Maurice
Acx (SAT Lannion), Claude Aillet (SLE-Citerel) et Ph. Dupuis (CNET)
présentent une communication commune intitulée «
IF and baseband circuit design and repeater performances » lors
de la Conférence internationale sur le guide dondes circulaire
de Londres en novembre 1976. Lors de cette Conférence il a
été confirmé que lavancée rapide
des recherches sur les fibres optiques constituait une forte menace
pour le guide dondes. Effectivement le guide donde circulaire
naura aucune application industrielle, néanmoins ces
travaux amèneront le développement des activités
de transmission numérique sur le pôle lannionais.
La réorganisation du CNET se fera progressivement et aboutira
en 1979 à la constitution de centres, disposant dune
certaine autonomie et on peut considérer que laction
de la DGT à des effets positifs sur les deux centres de Lannion.
Elle va permettre de relancer les équipes, toujours mobilisées
sur le numérique, le « grand projet » de Lannion,
enrichi dans les années 1980 par des recherches à la
fois sur les nouveaux services numériques, les nouvelles formes
de réseaux (RNIS, ATM...) et sur les fibres optiques, considérées
comme lavenir des transmissions. Il nest pas certain que
le centre dIssy-les-Moulineaux ait bénéficié
du même effet de relance.
Période de flottement industriel (1974-77)
La DGT veut concentrer leffort industriel sur la commutation
spatiale, ce qui de fait remet en cause la commutation numérique.
Par ailleurs elle soutient Thomson-CSF, comme concurrent du Groupe
CGE, et cherchera à reprendre des filiales françaises
des groupes étrangers Ericsson et ITT. Cette période
de flottement intervient dans cet environnement industriel en pleine
transformation.
En octobre et novembre 1974 la grève du CNET Lannion, menée
dans le cadre dun mouvement général des PTT contre
la Réfor e en cours et largement suivie, a été
rapportée dans un article du journal le Monde, écrit
par Dominique Verguèse, journaliste des questions scientifiques.
Certes « à lappel des syndicats le personnel [du
CNET de Lannion et dIssy-les-Moulineaux proteste contre la réorganisation
récente de la direction générale des télécommunications,
qui restreint assez sensiblement la mission du CNET»...
Mais en fait une bonne partie des ingénieurs et techniciens
en grève à Lannion sont plus préoccupés
par le contenu de la nouvelle politique industrielle, que par les
questions dorganisation de la DGT et du CNET. Dominique Verguèse
se fait écho de cette préoccupation en écrivant
dans un paragraphe intitulé « La guerre des filières
» : « Devant le retard pris par la France la direction
générale des télécommunications, animée
par M. Liboisavait décidé de brûler les étapes...pour
passer plus rapidement aux centraux de lavenir, les centraux
électroniques à commutation temporelle, étudiés
par la CIT.
Le CNET sétait donc fait le champion de la commutation
temporelle en sappuyant sur lindustrie française...Le
nouveau gouvernement marque son hésitation à poursuivre
une politique nationale de développement technologique coûteuse,
qui requiert un soutien à long terme ».
En avril 1975 Dominique Verguèse est revenue sur la question
de la commutation numérique et a conclu son article de la façon
suivante « Si la politique menée jusquici [la politique
industrielle des Télécoms] est infléchie, il
faudrait éviter de ruiner les efforts de ces quinze dernières
années et éviter de jeter le bébé avec
leau du bain ». Cette phrase sonnait juste.
Le « bébé » était la commutation
numérique.
A la mobilisation politique, qui va de soi puisque le sénateur-maire
de Lannion est Pierre Marzin, sajoute la mobilisation syndicale.
Ces interventions sont effectuées notamment auprès des
secrétaires détat aux PTT. Le 28 février
1975 le secrétaire dEtat Aymar Achille-Fould est venu
à Lannion et a passé un long moment, notamment avec
André Pinet, devant des équipements E10, en déclarant
« je suis venu sur place pour minformer des soucis et
des inquiétudes du CNET et des industriels de la région
». Le 11 septembre 1975 Aymar Achille-Fould reçoit dans
son bureau une délégation CFDT, comprenant un représentant
du CNET Lannion. « Parmi les sujets discutés il a été
question assez longuement du CNET et de la politique industrielle.
Achille-Fould ne comprend pas pourquoi le CNET sinquiète
autant de son avenir, alors que les problèmes posés
sont à lextérieur et non à lintérieur
du CNET ». A. Achille-Fould peu de temps après en janvier
1976 quitta son poste de Secrétaire
dEtat, sans doute en raison de son désaccord sur la stratégie
industrielle de la DGT. On lui reprocha un potentiel conflit dintérêt,
celui de la présence dun beau-frère comme salarié
du groupe Philips, mais ce ne sera pas le seul potentiel conflit dintérêt
au sommet de lEtat, puisque le Directeur de Thomson Télécom
sera Philippe Giscard dEstaing, cousin du Président.
En 1975 la DGT lance un appel doffres international sur la commutation
spatiale.
Les deux offres les plus attractives pour la DGT sont le système
AXE dEricsson France et le Metaconta dITT. En décembre
1975 J-P Souviron commença à entreprendre des démarches
pour convaincre Ericsson et ITT daccepter le contrôle
de leurs filiales françaises (respectivement Ericsson France
et LMT) par Thomson avec comme contrepartie des commandes importantes
de leurs systèmes de technologies spatiales.
Les choix de la DGT lors de cet appel doffres provoquent une
première fracture.
La SLE-Citerel, victime co-latérale, est dissoute, ce qui provoque
larrêt dune coopération active de 20 ans
entre le groupe CGE et les Suédois. Georges Pébereau,
Président de la CGE (1982-1986) déclarera six ans plus
tard à la presse : « Je verse des larmes de sang sur
les conditions dans lesquelles ont été rompus les accords
entre CIT et LM Ericsson »
Les choix effectués
par la DGT en décembre 1975 provoquent lintégration
de la SLE-Citerel dans la CIT, qui est effective en 1977. En fait
la CIT sappelle CIT-Alcatel, depuis que les activités
dAlcatel, regroupant les activités de télécommunications
et électronique de la Société SACM (environ 5
000 salariés) ont été fusionnées avec
celles de la CIT en 1968. Le reste de l'aventure du projet Platon,
des évolutions, de l'industrialissation est détaillée
dans la page ALCATEL
et LANNION
sommaire
Le Projet Smartix lancé par le CNET en
1984.
Lobjectif à terme était de fournir aux divers
centres du CNET des outils de bureautique moderne adaptés au
contexte dun centre de recherche, permettant la création,
larchivage et léchange de documents multimédias
(texte, graphiques et images).
Il était géré dans le cadre du CNET Paris A,
avec un comité de pilotage auquel étaient associés
lINRIA et Bull.
Le projet Smartix comprenait les composants suivants :
- des postes de travail graphiques en mode terminal X 14, gérées
par des serveurs UNIX à base de SM90;
- un choix de logiciels dédition de documents multimédias
en environnement UNIX /terminal X ;
- un accès à un serveur MULTICS via des communications
ISO/DSA (connexion à développer par Bull) permettant
lusage de ressources en temps partagé (calcul,archivage)
;
- une messagerie de type X400 (recommandation UIT en cours de finalisation)
permettant les échanges de documents entre les divers centres
du CNET.
Machine SM90
Le projet voulait être une vitrine pour les développements
et produits des divers partenaires. Il a été clôturé
en 1989 sans avoir un déploiement complet. Ce projet sinsérait
dans un ensemble dactions supportées par lAgence
de linformatique pour promouvoir lutilisation de machines
UNIX françaises à base de SM 90. LINRIA a lancé
plusieurs projets exploitant cette machine.
Le SM90 était une machine développée par le CNET,
en partenariat avec lINRIA et destinée à des applications
techniques pour le réseau.
Le SM 90 était une machine UNIX avec un bus spécifique
permettant ladjonction facile de coupleurs spécifiques.
Un Groupement d'intérêt
public, le GIPSI-SM 90, fut créé entre l'INRIA, le CNET
et Bull afin de transférer sur la plateforme SM 90 des logiciels
intéressants pour les
chercheurs du GIPSI.
De nombreux industriels prirent le brevet du SM 90: TELMAT, TRT, DASSAULT,
CSEE, Bull (le SPS 7 fut la première machine UNIX de
Bull).
Son succès commercial fut surtout dans le domaine de linformatique
technique dans le réseau de France Télécom plutôt
que dans la
bureautique.
1985 Gestax fut une des
premières applicatons nationales développée sur
SM90 du CNET.
Gestax est conçue, développée et mise en exploitation
par 4 techniciens du Centre Principal d'Exploitation de Fontainebleau
et l'aide du CNET qui a fournis le premier mini ordinateur
SM90 sous Unix concu par le Cnet.
Cette application connéctée à un petit boitier
éléctronique conçu par le Cnet (l'ARDS automate
de recopie de données), aspire chaque message de taxation issu
des centres téléphoniques éléctroniques
comme les E10, Mt25 ... et olus trad sur les systèmes électrmécaniques.
Ces données étaient stockées 6 mois et analysées
chaque nuit afin de fournir journalièrement aux services
commérciaux les résultats d'analyse de comportement
des consommations téléphoniques de chaque abonné.
La dernière version permettait aussi de produire localement
une facturation détaillée au jour le jour
ainsi qu'une facturation détaillée inversée quand
les conversations étaient locales, alors que la facturation
détaillée de l'époque n'était disponible
qu'en fin de bimestre.
Avec votre serviteur Jean Godi, Christian Nicouleau, Gilles Barzic
et Patick Laumonier.
Ce projet parmi les 92 présentés au jury national des
suggestions des télécoms a été retenu
et récompensé de 20 000 fr, en présence du ministre
des PTT J. Dondoux. L'application GESTAX est présentée
en démonstration au SICOB 1986 où elle remporta un vif
succès.
Jean
A cette époque j'étais tout jeune et aspiré par
l'informatique qui se démocratisait au sein de l'administration.
Après le Cpe de Fontainebleau suivent de peu Alençon,
Montargis, Saint-Malo ... et plus de déploiement en 1986.
GESTAX permet :
- Une gestion aisée des données de taxation à
distance, à partir des bureaux de comptabilité, ou des
agences.
En effet, l'on ne dérange plus l'équipe des techniciens
de commutation pour aller faire un relevé manuel dans les Commutateurs
électroniques ou électromécaniques ( Commutateurs
PENTACONTA, CP400 ... certains de ces systèmes les plus anciens
en seront équipés à partir de 1989).
- De pouvoir rapidement vérifier via un terminal distant
(Télétype ou Minitel ) le relevé compteur journalier
en cas de contestation de la part d'un abonné , faisant tomber
le taux de 4 contestations pour 1.000 lignes à inférieur
à 1 pour 1.000, et mettre fin aux mauvaises surprises en fin
de bimestre. En 1991 avec la généralisation le taux
de réclamation de facturation a été divisé
par 10.
- D'être alerté rapidement en cas de consommation
anormale, qui peut être le synonyme d'une fraude extérieure,
ou d'un abus d'utilisation par un membre d'une famille, d'un employé
... , et d'alerter rapidement l'abonné de ce qui paraît
être une anomalie,
À partir du 1er janvier 1988 et la naissance de la marque FRANCE
TÉLÉCOM, l'application GESTAX a été renommée
GESCOMPTE.
sommaire
Pierre Lucas (1924-2007) ont été
avec Pierre Marzin, des pionniers dans les nouvelles technoligies
de la commutation téléphonique.
Pierre Marzin, 1905-1994
né à Lannion, est un ingénieur et un homme politique
français.
Ingénieur diplômé de l'École polytechnique
(promotion 1925), de l'École Supérieure des Postes &
Télégraphes (ESPT) et de l'École Supélec
en 1929. Elève ingénieur à l'ESPT, il est nommé
ingénieur ordinaire au Service dÉtudes et des
Recherches Techniques (SERT) par arrêté du 18 juin 1930
. Puis il est muté à la direction du Service dÉtudes
et des Recherches Techniques (SERT).
Alors ingénieur ordinaire, Pierre Marzin
est promu ingénieur en chef par acte dit arrêté
du 23 février 1942.
Le 23 mai 1946, Pierre Marzin, alors inspecteur
général adjoint (depuis mars 1944) à la Direction
des Recherches et du Contrôle Technique des PTT (DRCT), est
chargé à cette date du Service des Recherches et du
Contrôle Technique (SRCT) .
En 1954, à la suite de l'absorption de
fait du CNET par la DRCT, il devient Directeur du Centre national
d'études des télécommunications jusqu'à
sa nomination en tant que Directeur Général des Télécommunications
du 21 décembre 1967 au 11 octobre 1971.
Élu maire de Lannion de 1971 à
1977, il initie le développement économique de la ville
dans les années 1960 en obtenant l'implantation d'un établissement
du Centre national d'études des télécommunications,
le CNET, ancien nom de France Télécom R&D.
Dans les années 30, il met au point ce que l'on nommera la
pastille Marzin, la première membrane moderne
et fiable destinée aux microphones des combinés téléphoniques.
En 1937, il invente le système à courant porteur simplifié,
qui double la capacité de transmission téléphonique
pour chaque paire de fils.
Ce système fut surnommé le "système
Marzin" ou encore plus familièrement pour les
agents des PTT "la marzinette".
En 1942, il participa à l'évolution de sa propre invention,
où désormais il est possible de sextupler la capacité
de transmission téléphonique pour chaque câble.
En janvier 1970, on doit à Pierre Marzin, alors Directeur Général
des Télécommunications, la mise au point du premier
commutateur téléphonique
temporel (c'est-à-dire totalement électronique)
jamais conçu, le Prototype Lannionais d'Autocommutateur Temporel
à Organisation Numérique (PLATON), en tandem
avec l'ingénieur Louis-Joseph Libois alors devenu depuis 1968
le Directeur du Centre national d'études des télécommunications
(CNET).
En 2007 il est inhumé dans le cimetière de Lannion.
P.Lucas a fait ses études secondaires
au lycée de Rennes et y prépare lX. Il
est reçu à lÉcole en 1944, mais pour des
raisons de santé, il fait ses deux ans détudes
avec la promo 45. Il en sort dans le corps des télécommunications
et après deux ans à lENST débute à
la direction régionale de Rennes, où il est chargé
de remettre en route le réseau perturbé par la guerre,
notamment dans des villes sinistrées comme Saint-Malo et Brest.
Au bout dun an il est affecté au
CNET au département commutation dirigé par Gaston Letellier,
où il devient très rapidement le spécialise des
systèmes à barres croisées ou Crossbar
qui représentaient à lépoque le nec plus
ultra en matière de centraux téléphoniques.
Il participe avec brio à la mise au point
des premiers centraux crossbar, en système Pentaconta à
Melun (1955) et en système CP400 à Beauvais (1956).
Pierre Marzin, directeur du CNET, crée alors au printemps 1957
le département Recherches sur les machines électroniques
(RME) quil confie à Louis-Joseph Libois , futur directeur
général des télécommunications. Pierre
Lucas le rejoint alors pour faire profiter le nouveau département
de son expérience des commutateurs et des réseaux. Le
programme était ambitieux : il sagissait ni plus ni moins
de hisser la France au niveau quavaient atteint les États-Unis,
à une époque où notre pays était obligé
dimporter les technologies nécessaires aux télécommunications.
Cinquante ans après, lexistence de France Télécom
et dAlcatel atteste que ce pari fut gagné.
Pierre Lucas en fut un des acteurs éminents,
discret mais inspiré, grâce à une imagination
technique foisonnante et à une vision prospective particulièrement
aiguë. Grâce à lui diverses solutions techniques
ont pu être explorées, avant le choix des systèmes
de commutation temporelle daujourdhui : en particulier
système semiélectronique à commutateurs crossbar
(projet SOCRATE),
systèmes à relais à tiges (projet PÉRICLÈS).
Même si ces solutions nont pas été retenues
par la suite, grâce aux travaux du Centre de recherches du CNET
à Lannion sur la commutation temporelle, animé par Louis-Joseph
Libois et André Pinet, elles ont permis de résoudre
les problèmes de la commande des commutateurs par ordinateur,
notamment ceux de la permanence du service et de lécoulement
du trafic.
Pierre Lucas na pas limité aux
commutateurs téléphoniques son activité technique
; il a joué un rôle important dans la commutation de
paquets (réseau TRANSPAC)
et a créé les premières bases de ce qui allait
devenir par la suite le réseau Internet. Sa fécondité
sest concrétisée par le dépôt de
cinquante-quatre brevets et la rédaction de très nombreux
articles, faisant mentir lidée reçue selon laquelle
les polytechniciens ne seraient pas créatifs. Il reçut
dailleurs en 1985 le prix Christophe Colomb de la ville de Gênes
pour lensemble de son uvre, distinction prestigieuse attribuée
avant et après lui à des acteurs majeurs de la science
et de la technique. Il fut lun des trois Français avec
Louis Armand et Maurice Ponte à le recevoir depuis 1955. Parmi
les étrangers on relèvera David Sarnof, George H. Gallup,
Lojola de Palacio, commissaire européenne, la NASA ou lAcadémie
des sciences de lURSS, excusez du peu !
Ses travaux saccompagnèrent dune
intense collaboration avec les organismes internationaux, notamment
lUIT (Union internationale des télécommunications).
Retraité en 1989, il sinstalle
dans la maison familiale de Lézat-sur-Lèze (Ariège)
avec son épouse Simone où il se met aussitôt au
travail dans un domaine nouveau et rédige une Histoire de Lézat,
qui est, pouvait-on en douter, un monument dérudition.
Il nous a quittés le 29 septembre 2007 et, dans un synchronisme
émouvant, sa femme le suivit deux jours après.
sommaire
Inventions et faits marquants
1963 : Aristote, premier commutateur téléphonique
électronique de type spatial en Europe
1963 : S63, poste téléphonique optimisé
1967 : Satellite géostationnaire de télécommunications
1970 : Platon, premier commutateur téléphonique électronique
de type temporel du monde
1971 : Création du télétexte système Antiope
(qui sera déployé en France en 1977)
1977 : Étude et développement des câbles optiques
1978 : Mise au point du réseau Transpac
1980 : Invention du Minitel et de l'Annuaire Électronique des
abonnés au téléphone
1984 : co-invention de l'ATM et premier switch pré-ATM.
1984 : Le projet Smartix
1982 : Marathon, premier prototype de téléphone mobile
1987 : Visage, visiophone grand public
1987 : Lancement du réseau numérique à intégration
de services RNIS (Numéris)
1988 : Lancement de solution de radiodiffusion numérique (DAB)
1988 : Démonstration de télévision haute définition
1990 : Mise au point du Bi-Bop, premier téléphone mobile
grand-public
sommaire